Chapitre IX. La campagne antijésuite de 1826 : mutation et cristallisation de l’affrontement entre gallicanisme et ultramontanisme
p. 221-252
Texte intégral
Un petit janséniste envers Rome indocile
À la tête parfois nous jette l’Évangile.
Pitoyable argument ! Rêve d’étroits cerveaux !
L’Évangile est, mon fils, l’œuvre des libéraux.
La Charte en découle…1
1Le jésuite, ennemi de toujours de Port-Royal. Ennemi avant même que l’abbaye cistercienne réformée par la jeune abbesse Angélique Arnauld ne devienne le centre rayonnant de la défense de l’augustinisme, de la grâce efficace, de la liberté de conscience ; lorsque Port-Royal n’était pas encore Port-Royal2. Ennemi puissant, acharné, obsédant… Ennemi destructeur, ennemi détruit, ennemi renaissant, et finalement, ennemi triomphant.
2Quels que soient les épisodes de l’histoire du jansénisme, ses acteurs n’ont cessé de voir derrière chaque attaque, chaque décision doctrinale ou royale, chaque persécution, la main de la perfide Compagnie. L’expulsion des jésuites de France et la suppression de la Compagnie, dans laquelle les avocats et magistrats jansénistes ont joué un rôle majeur, ainsi que l’ont démontré les travaux de Dale Van Kley3, ne suffit pas : pour les tenants de Port-Royal, l’ex-jésuite, rompu aux sombres menées, était encore actif et dangereux, susceptible de nuire, de corrompre et de se venger. Le magistrat Robert de Saint-Vincent n’a-t-il pas poussé l’obsession jusqu’à voir dans la forme des États-Généraux de 1789 la revanche des jésuites sur le Parlement4 ? N’ont-ils pas ouvert la voie à la Révolution en détruisant la religion ? N’ont-ils pas sourdement mené la lutte pour défendre la puissance papale attaquée de front par le serment de 1791 ? L’opposition du clergé à Napoléon n’a-t-elle pas été le fait de ce « clergé jésuite et sulpicien in mente » dont Rondeau dénonçait déjà les manœuvres clandestines en 1810 et qui – il l’affirme encore en 1819 – a reçu son rétablissement pour prix de sa participation à la lutte de Pie VII contre Napoléon5 ? Enfin, ne sont-ils pas derrière la persécution des assermentés depuis le rétablissement du culte ? Incontestablement, pour les jansénistes, la lutte pluriséculaire contre les jésuites ne s’est jamais arrêtée.
3Aussi le 7 août 1814, jour du rétablissement officiel de la Compagnie de Jésus, fut-il pour eux un jour funeste – les « ides d’août 18146 » selon la formule de Rondeau –, et marqua le retour immédiat des jansénistes dans l’arène. Pourtant, s’ils furent les premiers à dénoncer l’action pernicieuse des jésuites revenus clandestinement en France, ce fut l’opposition libérale qui mena la violente campagne antijésuite qui, commencée dès 1815 dans la presse, culmina entre 1826 et 1828. En réactivant l’arsenal polémique antijésuite étudié par Dale Van Kley sous l’Ancien Régime, les libéraux brandirent l’étendard de Port-Royal comme un symbole, au prix d’une transposition considérable de l’actualité et d’une reconstruction de l’histoire qui, en contribuant à la construction du mythe de Port-Royal, l’a peut-être vidé de sa substance.
4À partir de cette date, Rondeau scrute plus que jamais le moindre signe, chaque indice de l’action – fatalement funeste –, de la Compagnie ressuscitée. « Pères de la foi7 », « pieux disciples de Saint Ignace8 », « enfants de Loyola9 », « régicides10 », « jésuites déguisés11 », « jésuitesses12 », « jésuites de robe courte13 », « jésuites de toutes les couleurs14 », « fanatisme jésuitique », « associations jésuitiques », « journaux jésuitiques15 », « préjugés jésuitiques », « doctrine jésuitique », les formules fleurissent sous la plume de Rondeau, avec plus de 1 200 occurrences, concernant la France aussi bien que le reste du monde.
Premières alertes
5Les jansénistes sont donc les premiers à sonner l’alarme lorsque la Compagnie est officiellement rétablie. Les dissensions internes, politiques ou ecclésiologiques, passent au second plan : tous se retrouvent pour lutter contre l’ennemi de toujours. Il s’agit d’empêcher la reconnaissance officielle des jésuites en France, toujours soumise à autorisation gouvernementale. Les principaux acteurs de la campagne antijésuite précocement lancée par les jansénistes sont sans conteste Louis Silvy et l’inépuisable Mathieu-Mathurin Tabaraud. Dès 1814, juste après le rétablissement de la Compagnie de Jésus, Tabaraud – qui a déjà publié en 1805 De la philosophie de la Henriade ; ou Supplément nécessaire aux divers jugements qui en ont été portés, surtout à celui de M. de La Harpe. Par. M. T***, ancien supérieur de l’Oratoire16 –, publie une petite brochure de 14 pages, Réflexions d’un élève de l’Eglise gallicane, sur quelques événemens du pontificat de Pie VII, et particulièrement sur les jésuites. Après avoir accusé Pie VII d’avoir profité du Concordat pour briser « les barrières sacrées qui séparent les libertés de l’Église gallicanes des doctrines ultramontaines » et d’avoir abusé de son autorité spirituelle pour défendre ses intérêts temporels, il reproche au pape d’avoir rétabli une Société « véritablement anti-sociale17 ». Déjà, il rappelle qu’il ne s’est pas passé « un seul événement désastreux dans l’État », « un seul scandale dans l’Église », dont les jésuites « n’aient été dénoncés comme les auteurs ou les agens18 ». Certes, Tabaraud reconnaît qu’on a peut-être parfois « exagéré les circonstances », mais, ajoute-t-il, « on ne prête qu’aux riches »… Piètre justification, mais qui, par l’accumulation répétitive de griefs imaginaires ou fondés, a de l’avenir ! Il pose néanmoins les bases des deux principales accusations contre les jésuites : danger social et politique pour l’État ; instrument réactivé pour les besoins du pape dans l’affirmation abusive de son autorité dans l’Église. En novembre 1814, il développe l’argumentation ébauchée dans ladite brochure dans Du pape et des jésuites19, rapidement réédité en février 181520. Quant à Silvy, il publie en mars 1815 Les Jésuites tels qu’ils ont été dans l’ordre politique, religieux et moral21. Et comme au siècle précédent, leurs publications, dont les auteurs sont aussi bien parisiens que provinciaux, sont le fruit de tout un travail préparatoire pendant lequel les textes circulent entre la province et Paris, faisant éventuellement l’objet de commentaires ou de débats. Les textes et les idées voyagent donc d’un groupe à l’autre, par l’intermédiaire de personnages-clé comme Silvy, Jacquemont ou Agier, ainsi qu’en témoigne leur correspondance.
6La presse libérale rend compte favorablement de ces publications, par ailleurs violemment attaquées dans l’Ami du roi et de la religion. Elle est même fort disposée à apporter de l’eau au moulin janséniste. Ainsi, dès janvier 1815, le Journal des Arts relate l’histoire de l’expulsion des jésuites de France d’un ton moqueur :
« Le procureur du roi eut la cruauté de les accuser dans son rapport au Parlement (8 juillet 1761) de 22 conspirations, tant en France qu’en Angleterre, en Allemagne, en Russie, en Portugal et en Italie. Il eut la barbare patience d’analyser leurs ouvrages, et il prouva aux Chambres assemblées que 2 jésuites avaient fait l’apologie du crime, 34 celle du vol, 5 celle du parricide, 36 celle de l’homicide, 5 ont vanté la magie comme une science utile, 2 se sont fait les apôtres de l’idolâtrie, 17 ont professé que l’adultère, la prostitution, la pédé… n’ont rien qui offense les lois de la nature, 29 ont justifié le faux, le parjure, le faux témoignage. Enfin 75 ont écrit sur l’excellence du régicide et le plaçaient au rang des vertus sublimes22. »
7Et l’article de renvoyer à l’une des grandes références du procès contre la Compagnie au siècle précédent, véritable somme des accusations réelles et imaginaires avancées depuis près de deux siècles contre les jésuites : les Assertions soutenues, enseignées & publiées persevéramment & dans tous les temps par Les soi-disans Jésuites, extraites des auteurs de la Société mentionnée en l’arrêt du six août dernier & autres, & présentées au Roi le quatre septembre suivant, par M. Le premier président, en exécution de l’arrêté de la Cour. Arrêté du 31 août 1761 ! Rondeau, qui connaît ses classiques, ajoute qu’il a vérifié les faits cités dans le recueil des Extraits des Assertions23 et que les « nombres sont justes ». Mais, selon lui, « l’auteur aurait pu encore augmenter son récit, et citer le nombre de ceux qui ont préconisé la simonie et la confidence 14 ; le blasphème 5 ; le sacrilège 2 ; l’astrologie 2 ; l’irréligion 37 ; la prévarication des juges 5 ; le suicide 2. 53 ont soutenu le probabilisme, et 40 le péché philosophique &c24 ».
8En février 1815, c’est le Journal de Paris qui informe ses lecteurs qu’un « petit détachement de jésuites lancés en éclaireurs pour reconnaître et sonder le terrain » est arrivé à Paris, « pour observer si le temps est favorable à l’accomplissement de leur projet chéri, le rétablissement de la Société d’Ignace de Loyola ». Le rédacteur sarcastique s’en rapporte « à la perspicace activité de ces bons pères pour profiter de la moindre circonstance favorable ». Pour preuve de cette capacité à s’insinuer partout où cela peut leur être favorable, il raconte comment, dans les premières années du règne de Louis XVI, les jésuites avaient fait parler en leur faveur au roi : « Sire, dit d’une voix attendrie un seigneur connu par son esprit, V. M. ne fera-t-elle rien pour la famille de ce pauvre Damiens qui est dans la plus profonde misère25 ? » Brandir ainsi le souvenir d’accusations de régicide en février 1815 est à tout le moins osé, mais cela peut être efficace. Le même journal cite en mars 1815 un professeur d’Heidelberg qui annonce que « le jésuitisme commence à étendre ses ailes noires sur la France26 ».
9Pendant les Cent-Jours, les « pieux disciples de Saint Ignace, qui attendaient, rue des Postes, no 18, le moment où ils rentreraient dans les anciens collèges de leurs devanciers » disparaissent « avec leurs protecteurs », note Rondeau27. Mais c’est pour mieux revenir dans les « fourgons de l’étranger ». Les jansénistes repartent donc à l’attaque.
10En 1816, Silvy publie des Éclaircissements au sujet des dépêches du prince régent du Portugal concernant les jésuites, envoyées à son ministre à Rome, et relatées dans les journaux de la fin de mars dernier, avec un tableau abrégé de plusieurs faits très-importants relatifs à l’histoire de ces religieux, et deux mots de réponse aux lettres de M. D** insérées dans le « Mémorial religieux » par M. S**28, et Du Rétablissement des Jésuites en France (deux éditions la même année), « qui a été distribué aux membres des deux Chambres pour éclairer leur religion sur le projet de rétablir les jésuites29 ». En 1818, il publie un Avis important sur les nouveaux écrits des modernes ultramontains et des apologistes d’une société renaissante, par M. S**30, et surtout Henri IV et les jésuites. Puis, en 1819, une Réponse à « L’Ami de la religion » des Jésuites, où l’on expose les causes véritables de leur suppression d’après le bref de Clément XIV, qui les a abolis, et d’après une lettre officielle du cardinal de Bernis, que l’on oppose à la bulle de Pie VII, qui les a rétablis31. L’arsenal antijésuite du siècle précédent est martelé dans chaque ouvrage et redevient peu à peu d’actualité.
11Face à cette première campagne, qui déjà agite des questions délicates, le gouvernement réagit assez vite. En novembre 1815, nous raconte Rondeau, lorsqu’un journal se propose de publier plusieurs articles sur l’ouvrage de Silvy, la censure le contraint à n’en annoncer que le titre et l’éditeur32. Et quand Silvy se rend à la police pour protester, on lui déclare sans ambages qu’il n’est pas « dans les intentions du gouvernement qu’on écrivît contre les jésuites33 ». Si peu disposé qu’il soit à donner une existence légale aux jésuites, il n’entend pas nuire à la réconciliation des deux France en permettant de rallumer de vieilles cendres. C’est sans compter sur la culture antijésuite d’Ancien Régime encore active et sur l’intérêt bien compris des libéraux à s’emparer d’un sujet qui ouvre un angle d’attaque pratique et efficace contre l’ultracisme34. En dépit de la censure, le Journal général de France du 31 mars 1816 contourne l’interdiction de commenter les ouvrages de Silvy en précisant que la « matière [les jésuites] est digne d’être citée au tribunal de l’opinion publique35 ». Le processus de récupération est commencé.
12Pour Rondeau, qui note dès novembre 1814 qu’il y a à Paris « une association de fanatiques, qu’on pourrait nommer infernale, pour faire prévaloir leurs préjugés jésuitiques, pour déclarer la guerre ouverte à tous ceux qui ne pensent pas comme eux, surtout aux prétendus jansénistes et aux dits constitutionnels36 », il est important de prévenir l’opinion. Tout comme Tabaraud, il souligne le danger politique que les jésuites représentent selon lui :
« On fait sourdement entrer des jésuites dans la capitale, on leur laisse former clandestinement des noviciats, on laisse prêcher ouvertement le rétablissement de la dîme, on agite les consciences, on rappelle les dénominations oubliées, on ressuscite les partis, on ébranle toutes le bases de l’édifice social37. »
13Il semble être loin de partager les scrupules de Silvy, qui craint d’alimenter l’anticléricalisme « jacobin » en attaquant le clergé, fût-il jésuite, ainsi que le révèle sa correspondance avec François Jacquemont en décembre 1817. Celui-ci lui fait une réponse fort révélatrice de leur état d’esprit :
« Je ne crois pas, Monsieur, que la crainte d’exciter la rage des Jacobins contre le clergé doive vous arrêter. Cette rage est à son comble indépendamment de vos ouvrages. Et non seulement les impies, mais généralement tout le monde les déteste, excepté leurs dévots, qui ne sont pas le plus grand nombre. C’est plutôt pour vous que vous devriez craindre de la part de cette société que vous savez être éminemment vindicative, si vous n’aviez été visiblement choisi de Dieu pour signaler cette race hypocrite et empêcher la prescription des jugements qui pèsent sur sa tête. C’est pourquoi je suis fort d’avis que vous acheviez ce que vous avez commencé et que vous rendiez notre nation inexcusable touchant la maudite Société… il faut crier au loup quand il est dans la bergerie, et crier jusqu’à l’extinction, non seulement de la voix, mais de la vie. Trop heureux qui vous deveniez le martyr d’une si belle cause. C’est parce que Dieu me fait la grâce d’avoir quelque désir d’un si beau sort que je paye moi-même mon écot contre l’infernale compagnie, dans le petit ouvrage dont je vous ai parlé38. »
14Tout imprégnés de la culture de la persécution et d’antijésuitisme, c’est au martyre qu’ils se préparent. Les jésuites ont tué des rois, c’est bien connu ; que ne feront-ils pas à d’aussi modestes adversaires ? Mais il n’est pas nécessaire d’espérer gagner pour entreprendre : le témoignage de la Vérité est un devoir. Ils n’ont pourtant guère d’illusions sur la possibilité d’être entendus :
« Ce sont, commente Jacquemont à propos de leurs publications, autant de démonstrations qu’il serait à souhaiter que tout le monde voulût les lire ! Mais malheureusement on fait aujourd’hui si peu de cas de la vérité, on traite avec tant d’indifférence la religion que nos écrits demeurent pour notre compte, tandis que ceux de nos adversaires sont entre les mains de tout le monde. […] Il y a cent ans que l’on prenait intérêt aux disputes sur la religion. Aujourd’hui, les gens du monde ne s’occupent que de romans et de comédies ; et les dévotes ne lisent que les ouvrages des jésuites […] et si le roi et les chambres ne prennent enfin des mesures efficaces pour bannir l’ultramontanisme et la morale relâchée, c’en est fait, la France est perdue et la religion est renversée de fond en comble. Bon Dieu ! À quel temps nous avez-vous réservés39 ? »
15En se plaçant sur le champ de la défense de la religion, ils ont sans doute raison d’être défaitistes : depuis la Révolution, la défense de la religion est en quelque sorte monopolisée par leurs adversaires, qui ont plutôt tendance à défendre les jésuites, et ils subissent, en dépit de leurs convictions personnelles, les effets du rejet du jansénisme dans le camp révolutionnaire et libéral. Mais ils oublient, ou ne veulent pas prendre en compte – puisque Silvy comme Jacquemont sont royalistes –, l’intérêt politique que peuvent avoir leurs attaques contre les jésuites dans la dénonciation croissante de l’alliance du Trône et de l’Autel.
16Rondeau, s’il déteste autant qu’eux la théologie « moliniste », est libéral. Pour lui, le danger politique est aussi important. Dans son journal, nous avons vu les « hommes en noir » apparaître peu à peu dans les différents débats que nous avons évoqués : comme ennemis des constitutionnels, comme détracteurs de Tabaraud dans la polémique sur le mariage, comme acteurs de l’offensive du clergé dans l’enseignement, puis, de plus en plus, dans la dénonciation des missions : de l’engagement contre-révolutionnaire au pichonisme et aux cordicoles en passant par la morale liguorienne40, la vénalité ou les modes de prédication.
17Peu à peu, le mythe jésuite est réactivé dans les rangs des libéraux au fil des polémiques qui opposent les deux France et reprend forme dans un contexte postrévolutionnaire. Benjamin Constant a bien raison : « On a tort de s’embarrasser pour l’opposition. Quand on n’a rien de rien, il nous reste les jésuites41. » La figure du jésuite commence à apparaître dans le combat pour le contrôle de l’éducation sur laquelle portent les premiers articles mentionnés par Rondeau. C’est pour dénoncer les hommes « auxquels on voudrait confier l’éducation de nos enfants ! » que le Journal des Arts a repris la liste des crimes qui leur ont été imputés. En mars 1815, le Censeur, mentionnant l’installation d’une maison destinée à la formation des jeunes jésuites rue des Postes, rappelait que les jésuites n’avaient autrefois aucun scrupule d’enlever les enfants pour les faire entrer dans leur ordre et lance un « avis aux parents qui auraient perdu quelqu’un de leurs enfants42 ». À la Chambre des députés, Martin de Gray dénonce « les ignorantins, les jésuites, les petits séminaires déjà presque entièrement chargés de l’instruction de la jeunesse », dont « l’enseignement de l’obéissance passive » aurait pour but de « façonner les générations à la servitude, comme nous dressons pour notre usage les animaux domestiques43 ». Pour Rondeau, ils « empoisonnent les livres destinés à la jeunesse ». Il cite en exemple un dilemme proposé par l’abbé Proyart44, extrait de l’Abrégé de l’histoire ecclésiastique de Lhomond45 :
« Ou bien, ce qu’à Dieu ne plaise ! les trônes ou les gouvernements ne seront jamais affermis, ou les jésuites seront rétablis. Ils le seront parce que leur établissement n’est pas moins l’intérêt commun que la dette solidaire des puissances gouvernantes. »
18« Je répondrai, note Rondeau, que les jésuites, régicides par principe, sont les ennemis des rois et qu’il sied peu à l’humilité de religieux de se croire si nécessaires au soutien des trônes. C’est que partout ils veulent régner sur les peuples et les rois46. » On ne saurait adhérer davantage au mythe élaboré depuis plus de deux siècles.
19Les jésuites sont également désignés dans le Constitutionnel comme responsables en sous-main des refus de sacrement infligés aux jansénistes et aux constitutionnels :
« Sans les jésuites verrait-on se renouveler jusqu’aux querelles du jansénisme ? […] Évidemment le doigt des jésuites est là. Il se montre encore dans la persécution à laquelle plusieurs curés sont en butte. […] Leur prétendu crime, contre lequel on a commencé à sévir depuis 1814, est d’avoir, vers 1790, prêté le serment d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, serment que la loi et le roi exigèrent d’eux, et qui n’est condamné par aucune décision reçue en France. On veut, après trente ans, […] forcer ces curés à rétracter comme anti-catholique leur ancien serment légal, abandonné par eux à la demande du pape. […] On les persécute ainsi à Strasbourg et ailleurs, la force en main, pour les obliger à reconnaître des bulles non reçues en France ; ce qui est sévèrement défendu par nos lois. On veut aussi les forcer à signer que l’Église catholique est indépendante de toute puissance civile dans son enseignement, dans son gouvernement et dans sa discipline générale ; ce qui est en contradiction avec […] les libertés de l’Église gallicane. Les plaintes fort légitimes de ces curés destitués et de tant d’autres simples prêtres persécutés ne sont pas entendues. Ces malheureuses victimes de la réaction ne peuvent obtenir aujourd’hui en France aucune justice. De vénérables ecclésiastiques […] sont réduits à mander le pain de l’aumône ou à mourir de faim47. »
20Ici aussi, cet élément de la défense martelée depuis la Révolution dans les Nouvelles ecclésiastiques et reprise notamment par Grégoire et la Chronique religieuse est récupéré dans le discours libéral. Il donne corps et cohérence au complot contre la liberté en désignant l’ennemi qui, derrière les ultras et le clergé de France, agirait en sous-main contre les intérêts de la nation. Quant aux adversaires de Tabaraud dans les polémiques sur le mariage, ils sont également rejetés dans le camp des « jésuites et autres ultramontains », tandis qu’il est présenté, ainsi que nous l’avons vu, comme le champion des « traditions de Port-Royal ».
21Et parallèlement, la figure du jésuite est de plus en plus associée à celle des missionnaires. Tout d’abord parce qu’il y a des missions jésuites, notamment dans l’Ouest de la France, alors qu’ils n’ont aucune reconnaissance légale. C’est ce dont se plaint par exemple le maire de Sablé, en janvier 1819, lorsque l’évêque décide de confier la mission dans cette ville aux jésuites officieusement installés à Laval48. Tout en défendant la légitimité de son autorité, l’évêque suspend la mission en attendant l’avis du ministère : arrivés le 15 janvier, les missionnaires quittent Sablé le 19. Plus qu’un premier essai d’interdiction légale des missions49, cet épisode paraît davantage montrer la persistance des préventions à l’égard des jésuites, la profondeur du substrat antijésuite dans une partie de la société française et l’embarras du gouvernement sur le flou de leur statut en France, le roi lui-même considérant comme « souverainement impolitique » leur rétablissement officiel50. Le maire de Sablé cite ainsi, dans sa plainte au ministre de l’Intérieur, le décret impérial du 3 messidor an XII (22 juin 1804), conçu par Portalis, qui ordonnait entre autres la dissolution des Pères de la Foi convaincus de suivre « l’institut des jésuites »51. Les jésuites semblent de plus être parfois plus mal reçus que les autres missionnaires. À Brest, par exemple, la mission donnée en 1819 par les jésuites de Laval est sans doute l’une des plus controversées. Elle est arrêtée suite aux violentes manifestations qu’elle provoque52. La presse libérale donne un large écho aux événements et le Courrier s’empresse de rappeler le récit de la mission faite par les jésuites à Armes… en 1751, publié dans les Nouvelles ecclésiastiques53 ! La campagne de dénigrement semble fonctionner : d’après le témoignage, certes partial, de Jean Antoine René Édouard Corbière54, largement diffusé par le Constitutionnel et repris par la Chronique, les cris de À bas les missionnaires ! se mêlent aux Plus de jésuites !55.
22Par ailleurs, les jésuites pratiquent, plus que les autres missionnaires et comme au siècle précédent, les autodafés de « mauvais livres » au cours de leurs missions. Au moment où, devant l’affirmation de l’union organique du Trône et de l’Autel soutenue par les ultras, sont mises en place des campagnes de réédition des œuvres de Voltaire, Rousseau ou Helvétius56, ce geste hautement symbolique ramène à des temps que l’on voudrait révolus et attise contre eux l’animosité des libéraux. Mais les philosophes ne sont pas les seuls visés. De Pascal à Quesnel, les livres « jansénistes » sont aussi détruits. Des jésuites à Port-Royal, la liaison est pour ainsi dire naturelle et le Constitutionnel, évoquant en 1824 les « douceurs d’autres autodafés » à venir, cite en exemple les œuvres de Pascal « jadis brûlées par les mains du bourreau ». Ce Pascal « brillant de nouveauté et de force, jeune de circonstance et de génie, et [qui] semble sortir de sa tombe pour lancer sur Montrouge les foudres de sa dialectique et les traits acérés de sa piquante ironie57 ».
23Ce sont encore les mânes de Port-Royal que l’on invoque lorsque les jésuites, qui ont acheté un domaine à Saint-Acheul, détruisent un ancien cimetière au cours des travaux d’aménagement, au grand scandale des habitants d’Amiens :
« Les habitants de Chevreuse, écrit le Constitutionnel, auraient été moins surpris : ils ont sous les yeux les ruines de Port-Royal, et ces illustres débris leur rappellent encore les vengeances sacrilèges des enfants de Loyola. On ne laissa pas pierre sur pierre dans l’abbaye, et l’on exhuma les cadavres qui s’y trouvaient enterrés. Cette violence exercée contre une maison que rendaient si respectable les noms d’Arnauld, de Nicole et de Pascal, et contre de pauvres religieuses plus dignes de compassion que de haine, excita, sous Louis XIV même, les cris de toute la France58. »
24Et le rédacteur de rappeler le passé de régicides des jésuites et de conclure en toute mauvaise foi, après avoir rappelé la légende d’un portrait de saint Ignace, Je suis venu mettre le feu sur la terre ; je n’ai qu’un désir, c’est qu’il s’allume59 : « Les missions justifient fort bien de nos jours le sens de ces paroles, et nous ne voyons pas que les bons pères puissent attiser mieux le feu de la discorde, en attendant les bûchers de l’inquisition60. » Peu à peu, la dénonciation de l’engagement politique contre-révolutionnaire des missionnaires se confond avec les accusations contre les jésuites, jusqu’à substituer au « missionnaire le mot général de jésuite, qui ranime de vieilles haines et se rattache à de vieux souvenirs61 ». Si les missionnaires ne sont pas tous jésuites, « les principes des uns et des autres [sont] les mêmes62 ». Ils sont les « jésuites des campagnes », et de « vrais éclaireurs de la contre-révolution63 ».
25Régicides, habitués à prêcher la guerre civile, intolérants et persécuteurs, laxistes, hypocrites, manipulateurs, orgueilleux, ambitieux, aveuglément dévoués à un souverain étranger… Les libéraux puisent à pleines mains dans l’arsenal polémique antijésuite du xviiie siècle. Selon la formule du catholique libéral Paul Thureau-Dangin, les « armes les plus rouillées de l’Ancien Régime » sont ressorties64. Rondeau est en terrain connu.
26En mai 1816, il mentionne un long article du Constitutionnel qui « développe très bien l’esprit de domination du corps, et l’autorité absolue du général sur tous les membres65 ». La liaison entre jésuites et absolutisme s’affirme davantage lorsqu’en 1818 la Minerve dénonce des ultras qui, dans la région de Nîmes en août 1814, ont « invoqué le pouvoir absolu au lieu de la Charte » et « déposé chez un notaire une pétition pour solliciter le rétablissement des jésuites66 ». L’année 1819 voit la campagne s’intensifier. La Boussole, les Lettres normandes, la Minerve, le Constitutionnel et même le Courrier – que Rondeau qualifie de ministériel –, dénoncent leurs établissements à Montrouge et à Saint-Acheul, où « l’inquisition et la délation sont à l’ordre du jour », où les « puérilités monacales y remplacent d’utiles études » et où l’on « fanatise des jeunes têtes67 ». Ils sont non seulement « ennemis de la Charte », mais soumis à « l’autorité immédiate d’un étranger » et ne « professent pas de sentiment patriotique ». Fauteurs de despotisme, « ils prêchent aux sujets une obéissance sans réserve pour leurs souverains ; aux rois l’indépendance des lois et l’obéissance aveugle aux papes ; ils accordent au pape l’infaillibilité et la domination universelle, afin que maîtres d’un seul, ils soient maîtres de tous68 ». Diderot avait donc raison, qui prophétisait leur retour : le xixe siècle voit « se relever les sinistres drapeaux de cette milice papale, de ces Mameloucks à bonnet carré, instruments aussi actifs que dociles de la Cour romaine dont les prétentions aveugles sont plus redoutables aux progrès de l’esprit humain et des Lumières que le despotisme des sultans69 ». Et le conseiller d’État Narcisse de Salvandy peut s’écrier : « Le Moyen Âge est redevenu possible, car les jésuites sont ressuscités. Déjà la France est envahie par eux : la contre-révolution a ses missionnaires70. »
27La dénonciation du « péril jésuite » s’appuie de plus en plus sur le thème de la liaison entre jésuites et absolutisme. Ainsi que l’ont démontré les travaux de Monique Cottret et Dale Van Kley, la lutte contre les jésuites au xviiie siècle n’avait pas été gagnée sur le terrain doctrinal et théologique, d’où venait pourtant leur antagonisme fondamental avec les tenants de Port-Royal, mais bien sur le terrain politique. En construisant la campagne contre la Compagnie de Jésus sur l’accusation de despotisme, ces derniers avaient développé le parallèle entre despotisme papal et despotisme politique. Ils avaient ainsi contribué à l’élaboration de l’articulation jésuitisme/ultramontanisme/despotisme, justifiée et démontrée à leurs yeux par l’exaltation des principes ultramontains de la bulle Unigenitus, imposée aux consciences par la monarchie comme par Rome. Conviction renforcée pour les jansénistes révolutionnaires par la condamnation romaine de l’ensemble des principes de la Révolution.
28Sous la Restauration, au fils des polémiques dans lesquelles l’on implique, à tort ou à raison, les jésuites, cette articulation, reconstruite dans une lecture postrévolutionnaire, est réactivée. Dans le camp libéral, l’intégration de la légitimation de la politique religieuse de la Révolution promue par Grégoire et la Chronique religieuse, la dénonciation de l’arbitraire des refus de sacrements à l’encontre des anciens constitutionnels assimilés aux jansénistes, l’affirmation d’une compatibilité possible entre le catholicisme et les principes de la Révolution sous couvert de gallicanisme, l’opposition entre un vieux clergé gallican sage et éclairé et un jeune clergé ignorant, fanatisé et ultramontain, les prises de position de Tabaraud sur la législation matrimoniale, l’exhumation des hauts faits de Port-Royal opposés à la légende noire des jésuites : tous ces éléments participent à la construction d’un ensemble aux contours mouvants liant jansénisme, gallicanisme et libéralisme. Un article du Constitutionnel en offre une démonstration si exemplaire qu’il paraît utile de le citer dans sa quasi-intégralité :
« Cependant, les amis de l’indépendance nationale et des prérogatives du trône, de la vraie morale chrétienne, avaient constamment lutté contre leur doctrine relâchée, et combattu les principes destructeurs de l’ordre social que certains de leurs docteurs avaient publiés. De là cette guerre entre le molinisme et le jansénisme, qui a duré plus de cent ans en France, et dans laquelle les vainqueurs, au tribunal de la raison, allaient souvent coucher à la Bastille. Nos jeunes gens ne savent pas aujourd’hui la différence qu’il y avait entre le molinisme et le jansénisme ; on peut la leur faire connaitre en deux mots : l’un et l’autre étaient d’accord sur les principes fondamentaux de la religion catholique, mais ils expliquaient différemment sa morale. S’il était permis de comparer le sacré avec le profane, nous dirions que le moliniste était l’épicurien de la religion, tandis que le janséniste en était le stoïcien. Cette distinction explique comment les jésuites, malgré leurs moyens d’influence, trouvèrent tant de contradicteurs parmi nous. Les Français […] ne permettent pas que l’on corrompe par des doctrines complaisantes pour le vice, la pureté de la morale. […] Le peuple lui-même dit d’un homme cauteleux et familier avec les capitulations de conscience : « C’est un jésuite ». Ce mot français nous semble un arrêt.
Pendant que la société de Jésus cherchait à étendre son pouvoir par le dogme de l’obéissance passive à un prince étranger dont elle tirait sa force, par les doctrines relâchées qui lui donnaient des partisans parmi une certaine classe de la société, la Doctrine et l’Oratoire, marchant avec les sages de Port-Royal, défendaient de concert les principes d’une austère vertu et les droits du souverain ; de son côté l’université de Paris soutenait avec non moins d’assurance les liberté de l’Église gallicane. Fléchier […] Massillon, […] Bossuet, l’oracle de l’Église et le Démosthène de la chaire ; le bon Rollin […], furent autant d’adversaires de la morale des jésuites, qui tremblent encore au nom de Pascal.
À mesure que l’hypocrisie des jésuites était démasquée, les obstacles irritaient leur orgueil […]. Maîtres de l’encensoir, ils voulurent le devenir du sceptre […], ils conspirèrent contre tous ces princes.
Ils furent successivement expulsés du Portugal, de l’Espagne et de France. Enfin un souverain pontife, que son génie et ses vertus ont placé parmi les plus grands et les plus vertueux des successeurs de saint Pierre, n’ayant pu obtenir du général des jésuites une réforme devenue indispensable à la tranquillité de l’Europe et à la sûreté de ses rois, prononça la dissolution de l’ordre. Dans cette circonstance, cette société fit connaître au monde entier quel était son véritable génie. Elle avait fait serment d’obéissance passive aux volontés du pontife de Rome. Ce serment s’évanouit quand le pape voulut faire rentrer ces moines dans le cercle de leurs devoirs. […]
Pie VII vient de le rétablir. Autant cette société ambitieuse, dominatrice et superbe s’était montrée contraire aux rois au milieu du xviiie siècle, autant elle les adule aujourd’hui. Que les princes, que les peuples se méfient de leurs feintes caresses. Dans les palais des rois, ils prêcheront le pouvoir absolu ; au milieu des prolétaires, ils applaudiront au châtiment d’Ananie, parce qu’il n’avait pas apporté tous ses trésors dans la caisse commune. Ils attribueront à la suppression de leur société la Révolution ; ils laisseront tout ce qu’elle a opéré de juste, pour ne s’appesantir que sur les malheurs qui l’ont accompagnée.
L’esprit de la France les repousse. L’esprit des parlements en faveur de l’indépendance de la couronne, après avoir amené les jours de 1789, a survécu à ce grand corps, et se confond aujourd’hui dans l’esprit constitutionnel qui préside aux destinées de l’Europe. Il est à remarquer que les deux écrivains qui depuis un an nous ont successivement donné l’Essai sur l’histoire des jésuites, le Précis de l’histoire des jésuites que nous annonçons aujourd’hui, appartiennent à la magistrature. […] Ce précis est bien écrit, il est fort de choses, les amis de la vraie morale chrétienne, des libertés de l’Église gallicane, de l’indépendance nationale, le liront avec intérêt, et se feront un devoir de le placer dans leurs bibliothèques pour y avoir recours au besoin ; il forme une partie de l’histoire du xviiie siècle71. »
29Nourris par la « répétition obsédante des mêmes arguments et des mêmes images72 », tous les éléments sont en place pour le développement de la seconde phase de la campagne contre les jésuites, dans laquelle la théorie du complot va prendre sa pleine mesure.
30Le thème du complot, qu’il soit maçonnique, jacobin ou contre-révolutionnaire, monarchiste ou républicain, fait partie de la vie et des représentations politiques depuis la Révolution73. De Cadoudal à Malet, les conspirations ont également marqué l’Empire. Mais c’est particulièrement la rapidité du retour de Napoléon en mars 1815 qui a suscité une véritable psychose du complot sous la Restauration. Une psychose alimentée dans les premières années par un certain nombre de conspirations bonapartistes ou républicaines, réelles ou inventées, qui ont fait scandale74, et confortée par le « crime de Louvel75 », l’assassinat du duc de Berry le 13 février 1820. Alors que depuis des mois la presse ultra dénonce les progrès de la Révolution – dus à la persécution des « honnêtes gens » par le ministère Decazes –, et croit assister à la montée des jacobins – dont l’élection de Grégoire dans l’Isère en 1819 a paru être la confirmation –, beaucoup refusent l’idée d’un Louvel agissant seul. Il ne peut être que le fruit d’un vaste complot des militaires et des bonapartistes76. La politique libérale menée par Decazes depuis 1816 est discréditée. Le retournement politique vers l’ultracisme est entériné, aboutissant, après l’échec modérateur du second ministère Richelieu, à la formation du ministère Villèle en décembre 1821.
31Pourtant, si ce crime émeut toute la France, la mise en accusation générale des principes libéraux semble bien commode et fallacieuse. Elle est dénoncée comme telle, y compris par les libéraux du petit cénacle janséniste. Ainsi Agier publie-t-il en 1820 La France justifiée de complicité dans l’assassinat du duc de Berry, ouvrage dans lequel il s’indigne de la complicité qu’on veut faire porter à la France entière pour l’acte d’un seul. À la culpabilité générale et au complot libéral, il répond :
« Il ne faut pas se dissimuler ce qui frappe les moins clairvoyants. Une ligue s’est formée entre les anciens ordres privilégiés, pour s’aider réciproquement au recouvrement de leurs privilèges. L’attentat de Louvel a paru, dans ce complot, fournir une occasion favorable. On s’est hâté d’en profiter ; et de là le projet infernal de vouer à l’exécration publique la France entière. »
32Il conclut :
« Ce qui est très sûr, c’est que la religion n’y gagnera rien. On se plaint de son discrédit et des opprobres qui abreuvent ses ministres. Ils recueillent ce qu’ils ont semé. Comment veulent-ils être respectés, quand ils ne se respectent pas eux-mêmes ; lorsqu’on les voit tout occupés de leurs intérêts temporels […] lorsqu’ils justifient, par toute leur conduite, ce vieux propos des libertins : la religion n’est, pour les prêtres mêmes, et surtout pour les prêtres, qu’une affaire de politique77. »
33Rondeau dénonce lui aussi, en mars 1820, l’utilisation politique de ce crime et particulièrement la façon dont le clergé s’empare en chaire d’un sujet politique. Commentant l’introduction, dans un sermon de l’abbé Mac Carthy, d’« objets de politique contre les doctrines libérales, cause du crime de Louvel, très déplacés », il voit dans ce discours « un tocsin qui sonne l’alarme78 ».
34Et de fait, la réaction provoquée par l’assassinat du duc de Berry – avec notamment les lois d’exception sur la liberté de la presse et les libertés individuelles, ainsi que la nouvelle loi électorale79 –, radicalise et redistribue le paysage politique. Elle cristallise, selon la formule de Francis Démier, « un ensemble de tendances jusque-là désynchronisées80 ». Tandis que les conspirations successives de la Charbonnerie81 échouent lamentablement, permettant au ministère d’entretenir le climat de psychose et de conforter le régime, l’arrivée des ultras au pouvoir est marquée par un renforcement des mesures en faveur du clergé, qui « reconstruit ses forces82 » dans leur sillage.
Pour sceptre bientôt les monarques ne tiendront que des goupillons
35Déjà à l’œuvre depuis 1815, l’appui du gouvernement à la religion de l’État et au clergé s’accentue nettement et signe la volonté d’une politique renforcée d’union du Trône et de l’Autel. Financièrement, le gouvernement favorise la reconstruction matérielle de l’Église de France, comme en témoignent l’augmentation du budget du culte catholique83 et la souplesse du Conseil d’État pour autoriser les legs et donations à l’Église. Dans le domaine de l’Instruction publique, les écoles cléricales et les petits séminaires se multiplient, tout comme les grands séminaires, dont les effectifs sont doublés. L’ordonnance du 27 février 1821, qui affirme que la religion fait partie des bases de l’éducation dans les collèges, confie aux évêques un droit de surveillance sur les collèges de leurs diocèses. Et, comme nous l’avons vu, l’enseignement mutuel est privé de tout soutien gouvernemental. Mais surtout, la Commission de l’Instruction publique est remplacée en 1821 par le Conseil royal de l’Instruction publique, à la tête duquel Frayssinous, nommé Grand maître de l’Université, est placé en juin 182284.
36Cette nomination d’un ecclésiastique à la tête d’un ministère aussi sensible correspond, ainsi que Frayssinous le souligne dans son discours aux responsables de l’Université le 17 juin, à la volonté de faire élever de plus en plus la jeunesse « dans les sentiments religieux et monarchiques85 ». Le personnel de l’Université est frappé par une épuration sans précédent : enseignants, proviseurs et recteurs sont remplacés par des ecclésiastiques. Les cours de Guizot et Cousin sont suspendus ; l’École normale et la Faculté de médecine, considérées comme des viviers du libéralisme, sont fermées en 1822 ; les chaires libérales de droit naturel, d’histoire du droit et d’économie politique dans les écoles de droit sont également supprimées. L’offensive est générale et l’Université se cléricalise de plus en plus. En août 1824, une nouvelle étape est franchie avec la création du ministère de l’Instruction publique et des Cultes et la nomination de Frayssinous à sa tête, pour la plus grande satisfaction de Monsieur et des ultras qui le réclament depuis longtemps – et du pape Léon XII86. Parallèlement, les missions, déjà tant décriées par la presse libérale, reçoivent le soutien du gouvernement, ce qui accrédite encore l’impression d’engagement mutuel du politique et du religieux dans un projet de contrôle global de la société. La Société des missions de France est de plus protégée par le ministre Frayssinous et par l’abbé Liautard, à qui l’on prête une influence occulte87. Et à partir de 1822, des missions permanentes parcourent le pays, multipliant les conférences, les exercices pieux, les amendes honorables, les consécrations à la Vierge et la rénovation des vœux du baptême. Le pic est précisément atteint avec le jubilé de 1826.
37La place du clergé est également accrue dans la vie politique par le renforcement du groupe des pairs ecclésiastiques à la Chambre Haute. Entre 1822 et 1826, Villèle nomme 17 des 27 membres de l’épiscopat élevés à la pairie de 1814 à 1827. Si les nouveaux pairs sont dans la mouvance gallicane d’Ancien Régime, ils sont en revanche pour la plupart d’origine noble, proches de la Cour et franchement réactionnaires. Ils revendiquent à la fois l’indépendance du clergé et un rôle accru au cœur de l’État, notamment dans le domaine de l’éducation. L’accroissement de ce groupe inquiète, ainsi que le rapporte Pasquier :
« Cette longue liste de pairs ecclésiastiques, après la nomination de M. Frayssinous comme grand maître de l’Université, parut excessive. On y voyait l’influence de Monsieur et sa prétention à faire au clergé une très large part dans la gestion des affaires publiques. C’était méconnaître le cours général des idées ; il était impossible de n’être pas effrayé de pareilles prétentions ; on devait les regretter, surtout au point de vue des intérêts religieux88. »
38Le plan législatif n’est pas oublié et deux projets de lois, suivis avec attention par Rondeau et présentés tout d’abord à la Chambre des pairs par Mathieu de Montmorency, le chef des Chevaliers de la Foi en personne, vont déclencher de violentes polémiques et ouvrir la voie à la campagne de 1826.
39Le premier projet, en 1824, concerne les congrégations religieuses. Il s’agit de substituer à l’autorisation légale en vigueur une simple ordonnance administrative, ce qui donnerait beaucoup de latitude au ministère et ouvrirait la porte à la prolifération extra-législative des congrégations masculines. La proposition est rejetée par les pairs, qui, sans que leur nom soit prononcé, ont tous à l’esprit les jésuites89. Le projet de loi est finalement réduit aux seules communautés féminines ; il est adopté par les pairs le 8 février 1825 et par la Chambre des députés le 24 mai 1825. Les congrégations masculines non reconnues continuent à vivre en marge de la loi.
40Le second projet est celui, très emblématique, de « répression du sacrilège ». Une loi sur la « répression des délits qui se commettent dans les églises et autres édifices consacrés aux cultes » avait déjà été votée en 1824 et punissait le vol des vases sacrés dans une église de la peine de travaux forcés à perpétuité. Mais le nouveau projet présenté par le ministre de la Justice, Pierre-Denis de Peyronnet, ne parle plus de vol mais de profanation et prévoit des peines bien plus sévères90. Ce que le ministre présente comme une « expiation nécessaire après tant d’années d’indifférence ou d’impiété91 » revient en fait à faire entrer dans la loi le dogme et la reconnaissance de la présence réelle ! Ce qui est foncièrement antinomique avec l’égalité des cultes inscrite dans la loi mais satisfait les revendications d’un La Mennais, qui accuse la loi d’être athée en se voulant neutre. Lorsque les pairs ecclésiastiques, qui pensaient d’abord s’abstenir, décident de voter en sa faveur, les libéraux hurlent au retour de l’Inquisition :
« Ce n’était pas en 1204, s’écrie le duc de Broglie, à la veille de la croisade lancée par Innocent III contre les Albigeois, ce n’était pas en 1572 […] que de telles paroles étaient proférées ; c’était en plein xixe siècle, 35 ans après 1789, dans un pays libre, dans un pays où la liberté des cultes était ouvertement professée, sous le feu de la tribune et de la presse, dans une capitale où 20 ministres protestants, et ce payés par l’État, enseignaient chaque jour, publiquement, à leurs fidèles, que le dogme de la présence réelle était idolâtre […] c’était dans un tel temps, dans un tel pays, sous l’empire de telles idées et d’un tel régime qu’on replaçait une croyance théologique sous la garde du bourreau, et qu’on provoquait l’erreur au crime, en lui offrant la palme du martyre92. »
41Les pairs adoptent le projet après avoir obtenu deux amendements : la suppression de la peine du parricide et la condamnation à la peine de mort uniquement si le sacrilège a été commis en public… ce qui réduit fortement la possibilité d’appliquer la loi. Mais le principe en lui-même reste inacceptable pour beaucoup. À la Chambre des députés, les discussions sont marquées par l’un des plus célèbres discours de Royer-Collard, qui souligne que cette loi barbare – et aux antipodes des valeurs fondatrices de la chrétienté –, remet en question la religion et la société civile dans leur nature, leur fin et leur indépendance. Il affirme que les gouvernements n’ont pas pour mission de déclarer ce qui est vrai ou non en religion. Faire entrer le dogme dans la loi, c’est ouvrir la voie à la théocratie où le prêtre sera roi93. Le projet est donc adopté, mais les débats passionnés qu’il a suscités l’ont complètement déconsidéré. Bien que satyrique, une chanson résume l’impression que la loi pouvait réellement avoir fait dans une partie de l’opinion :
Enfin, la palme est au clergé,
L’agneau sans tache est enragé.
N’envions rien à nos ancêtres,
Ni la dîme, ni les fagots,
Le diable a, par la voix des prêtres,
Soufflé nos députés cagots.
On a su nous prouver en forme,
Qu’on avait tué le bon Dieu,
À commettre ce cas énorme,
On risque maintenant gros jeu.
À genoux ! Nation sublime !
Les chambres d’accord se trouvant,
On dit « Vite ! à la guillotine,
Les assassins du pain vivant.
On voit à ces notables marques,
Que nous marchons à reculons,
Pour sceptre bientôt les monarques,
Ne tiendront que des goupillons.
Aux ultramontains rien n’échappe,
Montrouge va toujours bon train,
Dans peu, les majestés en chape,
Chanteront gaiement au lutrin94.
42Quant à Rondeau, il voit dans l’adoption de la loi le signe du fléchissement de la puissance civile « devant les exigences de la puissance religieuse ». Selon lui :
« Les congrégations, les associations secrètes, les écrits ultramontains, la domination de Rome, avec une ardeur qui ne peut exister sans espérance, la censure des quatre propositions de Bossuet, qui ne se produit au grand jour qu’avec l’intention de renverser ce boulevard des libertés de l’Église de France, tout atteste son influence excentrique qui entraîne le goût et aspire à dominer la société par la législation. Cette vérité de sentiment, évidente pour tous les esprits attentifs aux impressions étrangères qu’éprouve le corps social, se manifeste jusque dans les agitations du pouvoir. Sa vaine résistance aux mouvements irréguliers qu’on lui communique démontre qu’il en est dominé. La défense se lit dans les accusations que lui intentent les écrivains prédicateurs de la suprématie du pouvoir religieux95. »
43Pour beaucoup, les lois religieuses, voulues et annoncées par Charles X dans le discours du trône du 22 décembre 1824, sont bien le signal d’une marche arrière, vers l’Ancien Régime, et de la mise en application du projet des ultras, qui se croient désormais en mesure d’imposer leurs convictions à la nation. Les cérémonies du sacre de Charles X, en dépit des précautions prises pour dissiper les inquiétudes96, renforcent ce sentiment de retour en arrière et l’idée d’un souverain soumis au clergé. La tonalité médiévale de la cérémonie, le toucher des écrouelles, suscitent incompréhension et moqueries. Mais surtout, la vision du roi vêtu en catéchumène, étendu par terre pour recevoir les sept onctions, dans la plus pure tradition certes, déplaît, ainsi qu’en témoigne la duchesse de Maillé :
« Le roi est trop souvent à genoux devant l’archevêque. Cela choque et paraît étrange dans un temps où le plus grand nombre ne voit pas Dieu représenté par l’archevêque mais un homme accomplissant son ministère97. »
44La chanson sur le sacre du terriblement efficace chansonnier Béranger, le Sacre de Charles le Simple, pour satyrique qu’elle soit, traduit elle aussi ce sentiment :
Charles s’étend sur la poussière.
Roi ! crie un soldat, levez-vous !
Non, dit l’évêque ; et, par saint Pierre,
Je te couronne, enrichis-nous.
Ce qui vient de Dieu vient des prêtres.
Vive la légitimité !
45Pour les tenants de l’Ancien Régime, le sacre lave la France de la macule révolutionnaire et la replace au sein de la catholicité98. Ainsi l’archevêque de Toulouse, Mgr de Clermont-Tonnerre – qui s’est déjà illustré en 1823 en réclamant la liberté totale de l’Église, le rétablissement des ordres du clergé et des juridictions ecclésiastiques, la suppression des Organiques, la restitution de l’état civil à l’Église, l’abolition du mariage civil et la remise de l’enseignement aux mains du clergé99 –, y voit le « triomphe de la religion ».
46Mais pour beaucoup, il matérialise l’alliance officielle entre le pouvoir et l’Église et accrédite l’idée d’un parti-prêtre agissant en sous-main. À partir de ce moment, ainsi que le souligne Guillaume de Bertier de Sauvigny, tout ce que le roi ou le gouvernement peuvent faire en faveur de la religion catholique devient signe de l’emprise « mystérieuse et écrasante de la société ecclésiastique sur la société civile100 ».
47Entrée en scène de la Congrégation… Fondée en 1801 par un ancien jésuite, Jean-Baptiste Bourdier-Delpuits101, supprimée en 1809, la Congrégation a été recréée en 1814 sous l’autorité du père Ronsin102, lui aussi jésuite. Institution laïque, elle a pour but de favoriser la rechristianisation, aussi bien en soutenant la Société des missions de France qu’en créant des filiales comme la Société des Bonnes Œuvres ou la Société des Bonnes Études103. Rien que de très louable somme toute, comme en convient Rondeau lui-même : « Cette congrégation s’est formée d’abord dans le dessein louable de relever l’empire de la religion104. » Mais, héritière du culte du secret des Aa (Associacio amirocum) de l’époque révolutionnaire, elle est organisée en un insaisissable réseau, qui fonctionne par affiliations, et se prête donc particulièrement bien aux soupçons complotistes105. D’autant que plusieurs de ses membres, dont le préfet qui la dirige Mathieu de Montmorency, Ferdinand de Bertier, ou le duc de Polignac, sont également membres des Chevaliers de la Foi et donc en mesure de la manipuler politiquement106. La société des Chevaliers de la Foi, créée en 1810 par Ferdinand de Bertier, est, elle, une entité à la fois secrète et politique, dirigée elle aussi par Mathieu de Montmorency. Son rôle politique n’est pas négligeable : réunissant plus de cent députés bien placés pour réclamer des mesures législatives en faveur du clergé, elle bénéficie du soutien de Charles X, dont la plupart des intimes en sont membres. Bernard Plongeron comme Jean-Noël Tardy soulignent l’ambiguïté et la porosité entre les deux sociétés107. La « connexité des buts » des deux sociétés reconnues par le duc de Polignac108, ajoutée à la culture du secret et à l’orientation politique depuis 1820, donnent corps au parti-prêtre. Et si, au sein même du ministère, Villèle ou Corbière tentent de résister à la poussée cléricale, cela ne suffit pas à nuancer ou à relativiser l’impression d’une action concertée et généralisée. Pour l’extérieur, cette division croissante dans le camp ultra n’est pas perceptible et le pays ne voit qu’une chose : entre clergé et ultras, la communauté de souvenirs se double d’une communauté d’intérêts. L’Église attend un appui matériel et moral de la dynastie et elle est en retour le principal soutien de la politique réactionnaire et le pilier du trône109. Après la psychose complotiste entretenue contre les libéraux depuis l’assassinat du duc de Berry, tout se prête à un retournement de la dénonciation de complot contre la mystérieuse Congrégation.
48Dès janvier 1823, Rondeau note, à la rubrique Comité ecclésiastique occulte, gouvernant l’État et l’Église, plus à craindre que les prétendues sociétés secrètes :
« Peut-on douter de l’existence d’un gouvernement occulte, et surtout de celle d’un comité d’ecclésiastiques et de jésuites qui dirigent le gouvernement et l’Église, d’après ce que rapporte M. Alexandre [sic] Dumesnil, l’un des rédacteurs de L’Album […], homme religieux mais ennemi de la fausse dévotion […] : “J’ai osé, dit. M. Dumesnil, attaquer une faction puissante, une cabale qui tend également à diviser l’État et la religion. […] Je sais ce que veut cette mystérieuse association ; je la connais et j’ai refusé d’en faire partie, parce qu’elle était sous l’influence de Rome et des jésuites110.” »
49Il conclut : « C’est ce comité directeur qui veut la guerre pour rétablir le pouvoir absolu et l’Inquisition en Espagne, comme s’exprime La Quotidienne, ou M. de Lamennais. »
50En mai 1824, il lit l’Appel d’intérêt public au gouvernement contre le ministère, de Jean-Raimond-Pascal Sarran111, royaliste intransigeant et rédacteur au Drapeau blanc, qui dénonce l’hypocrisie de la Congrégation gangrénée par la course aux places :
« Dans ce chapitre, il dévoile ce que c’est que cette fameuse congrégation établie dans le faubourg Saint-Germain, qui a une chapelle à son service et où les membres se réunissent pour le culte divin. Cette congrégation s’est formée d’abord dans le dessein louable de relever l’empire de la religion. Mais ses membres étant puissants, M. de Montmorency étant devenu ministre, ils se sont associés des ambitieux […], et cette congrégation est devenue une coterie hypocrite, intrigante, dont le ministère, dépourvu de l’appui de l’opinion, s’est servi pour se maintenir. Cette coterie, forte de cette alliance, s’est rendue la distributive des grandes faveurs, des places, des revenus, en faveur de ceux qui ont consenti à s’y incorporer112. »
51Reproches qui s’ancrent dans l’opinion et dont la comtesse de Boigne113, proche du chancelier Pasquier et de la famille d’Orléans, se fait écho en 1825 : la Congrégation « disposait de tous les emplois et de tous les grades114 ».
52Et rapidement, derrière la Congrégation et le parti-prêtre, apparaît de nouveau la figure du jésuite. Pour Rondeau, c’est une certitude, une évidence. En décembre 1824, dans une note sur l’agitation du parti de jésuites en Suisse, il précise qu’en France « on le désigne sous la nomination de la Congrégation115 ». Et lorsqu’il apprend que le monogramme de la Compagnie, IHS, figure au centre de la croix sur la chasuble du prélat qui a sacré le roi, il en tire les conséquences :
« On peut juger que ce dessin a été recommandé pour que le clergé français prouvât qu’il a arboré ce labarum de la Société, étant jésuite non seulement d’esprit et de doctrine, mais de fait par la robe longue, comme les laïcs le sont par la robe courte116. »
53En 1825, l’amalgame entre Congrégation et jésuites semble achevé. Ainsi que l’écrit Matthieu Brejon de Lavergnée, le mythe de la Congrégation est un avatar du mythe jésuite117. À partir de 1825, il l’alimente en retour. Le jésuite devient la figure mythique « de tout ce que le clergé peut exercer de puissance occulte, de négation de la liberté de conscience, de haine de l’héritage révolutionnaire, de l’intrusion en France d’un État étranger118 ».
Contre-Révolution, Congrégation et jésuites, gallicanisme et ultramontanisme : succès d’un amalgame
54Face à un roi ouvertement acquis à la Contre-Révolution et qui entend s’appuyer sur l’article 14 de la Charte de 1814119 pour imposer une politique dans laquelle il souhaite donner une plus grande place à l’Église, l’opposition va attaquer le ministère par le flanc le plus faible, celui de l’ingérence dans la politique – désormais mal acceptée –, d’un clergé nettement engagé à ses côtés. Les lois religieuses de 1825, les abus de pouvoir du clergé et les pressions administratives en matière de religion, qui se multiplient et donnent crédit au mythe de l’action occulte de la Congrégation120, les manifestations de dévotion ostentatoires du roi121 et les troubles provoqués par les missions, ont alimenté un anticléricalisme aussi bien populaire qu’intellectuel ou politique. Un anticléricalisme habilement utilisé et amplifié par la presse, qui se transforme en esprit de résistance à l’orientation du régime et qui va se cristalliser sur la figure du jésuite. Pour contourner la loi de tendance de 1822, qui permet de suspendre un journal ayant porté atteinte au respect de la religion, le jésuite, qui n’a pas d’existence légale en France et n’est donc pas protégé par ses lois, est une cible parfaite. Ainsi que l’écrit Michel Leroy, le « jésuite imaginaire » est livré à la vindicte populaire : il est le point faible du dispositif politico-religieux de la Restauration122. En 1832, le journaliste Armand Carrel reconnaîtra d’ailleurs l’artifice de ce choix :
« On savait bien que la Société de Jésus proprement dite n’offrait pas de bien grands dangers […]. On s’entendait à merveille sur la valeur du mot jésuitisme : il était synonyme de dévouement à la légitimité. On disait dans ce temps-là jésuite pour royaliste : il eût été dangereux de s’attaquer à la légitimité en l’appelant par son nom ; on la saisissait dans l’une de ses manières d’être, et la plus odieuse, qui était l’esprit jésuite123. »
55Bientôt jésuite – déjà symbole de l’absolutisme au xviiie siècle – et ultra sont synonymes. Et le Constitutionnel du 28 janvier 1824 brandit la menace la plus efficace sans doute, celle du retour à l’Ancien Régime :
« Les jésuites sont à nos portes […] l’aristocratie ne tardera guère à les leur ouvrir […]. Introduisez-les en France, on trouvera alors dans les archives de ces fabricateurs de la bulle Unigenitus, des bulles pour le rétablissement des dîmes, des officialités, des juridictions ecclésiastiques, des bulles pour la condamnation des ventes des biens nationaux, des bulles pour l’abolition de toutes les franchises, et la restauration de toutes les servitudes. »
56Le « parti ennemi de la Charte » se met à prêcher l’ultramontanisme124 et le procureur général Bourdeau de s’écrier : « Ce qu’on veut nous imposer, c’est l’Ancien Régime, avec les jésuites en plus et les libertés de l’Église gallicane en moins125 ! » La Contre-Révolution est à Montrouge126 !
57Passé à l’opposition, le Journal des Débats lui-même glose sur les « desseins d’un parti ennemi de la Charte et des libertés de l’Église gallicane127 ». Et le Constitutionnel fait remarquer l’identité de doctrine entre le Journal ecclésiastique de Rome et le Mémorial catholique, qui qualifie Louis XIV, fauteur des Quatre Articles, de « chef des démagogues modernes128 ». Voilà qui aurait intéressé le Grand roi ! En ces temps où le passé se réécrit par rapport à la Révolution, les libéraux n’ont décidément pas le monopole de la distorsion de l’histoire de France…
58Enfin, en 1826, le comte de Montlosier129 – qui avait déjà attaqué en 1824 l’ingérence du clergé dans les affaires de l’État130 et dénoncé la mystérieuse Congrégation131 en 1825 –, décrit dans son Mémoire à consulter une vaste conspiration dont le centre est Rome : un système politico-religieux inspiré par l’ultramontanisme, formé par la Congrégation et soutenu par les jésuites, dont l’influence occulte serait partout. Il dénonce l’empiètement du parti-prêtre, le non-respect de la tradition gallicane et l’existence illégale des jésuites dont il demande l’expulsion. Rondeau peut être satisfait.
59Bien que Montlosier confonde dans sa dénonciation la Congrégation et les jésuites, les Chevaliers de la Foi et les ultramontains, son royalisme incontestable donne un crédit important à son témoignage. Se faisant chef de file du gallicanisme, il se réclame des Quatre Articles et demande l’application de la loi. Si vagues que soient les accusations, elles déclenchent une véritable campagne d’opinion. Le succès du Mémoire à consulter est énorme et les éditions s’arrachent, attestant de la popularité de l’idée d’un parti-prêtre semi-clandestin manipulé par les jésuites et qui présiderait aux destinées du royaume en tenant Charles X sous sa coupe. Et surtout, cette dénonciation permet la coalition de courants hétérogènes132 qui, se revendiquant du gallicanisme, se rejoignent dans la défense des droits de l’État contre une congrégation religieuse qui, de longtemps dit-on, cherche à asservir les États et qui symbolise une politique ultramontaine d’empiètement de la papauté sur l’État. L’ultramontanisme et le gallicanisme, articulés avec l’enjeu de l’héritage révolutionnaire et la notion de patriotisme, sont ainsi politiquement redéfinis sous la Restauration autour de la question religieuse symbolisée par le jésuite.
60Bien évidemment, les vieux adversaires de la Compagnie ne peuvent rester étrangers à cette nouvelle offensive qu’ils ont en quelque sorte initiée dès 1814. Tout d’abord parce qu’ils sont aussitôt désignés par les ultras comme auteurs de ce nouveau complot contre leurs vieux ennemis. En effet, si dans les grands bouleversements des dernières décennies les jansénistes ont pu paraître relégués aux oubliettes de l’histoire, nous avons vu que Joseph de Maistre considère au contraire le jansénisme plus vivace que jamais. La récupération progressive de l’image de Port-Royal par les libéraux ne peut renforcer cette conviction.
61En 1824, le Drapeau blanc, toujours dans la dénonciation de la Révolution qu’il voit encore en action, identifie les oratoriens aux jansénistes, qui avaient pour mot d’ordre ni pape, ni roi, et affirme par conséquent « qu’on ne doit pas s’étonner du rôle qu’ils ont joué dans une révolution dirigée contre le trône et l’autel133 ».
62Complot contre complot. Beaucoup reconnaissent la patte d’une « faction dangereuse » dans l’offensive en cours. D’autant que l’arsenal polémique antijésuite que les jansénistes ont tant développé sous l’Ancien Régime est réactivé pour les besoins de la cause, et leur image brandie comme un symbole.
63Cependant, les jansénistes ne sont pas les acteurs de cette nouvelle campagne. Certes, Tabaraud a réédité en 1824 De la Philosophie de la Henriade et il publie encore en 1828 un Essai historique et critique sur l’état des Jésuites en France. Mais leur style n’a plus « la couleur du jour » ainsi que l’écrit Silvy à Jacquemont en 1826134. Certains, comme Jacquemont, sont même tout à fait défaitistes135. Ce sont les magistrats et les avocats libéraux, encore imprégnés de la tradition janséniste et gallicane des parlements d’Ancien Régime, ce que Dale Van Kley a appelé le jansénisme judiciaire, qui mènent l’assaut aux côtés des gallicans royalistes comme Montlosier – dont l’antijésuitisme ne doit rien au jansénisme –, et des libéraux, dont le gallicanisme n’est que « le paravent d’une hostilité foncière au catholicisme136 ». Pourtant, l’ombre de Port-Royal est bien présente.
64L’avocat André Dupin, plus gallican que janséniste, mais qui évoquait déjà dans sa défense de Béranger en 1821 les persécutions de la bulle Unigenitus137, se charge de réunir les avocats de Paris qui, reprenant les vieilles pratiques, rédigent une consultation envoyée aux barreaux de province qui y adhèrent138. C’est lui également qui réédite en 1826 les écrits du procureur général du parlement de Rennes La Chalotais139, au moment où les héritiers du magistrat font procès au journal l’Étoile pour avoir diffamé leur ancêtre140. Pierre-Paul-Alexandre Gilbert de Voisins, arrière-petit-fils de l’avocat général et lui-même magistrat libéral, publie dès 1823 la somme des arrêts, actes et discours des parlements du xviiie siècle dans la Procédure contre l’institut et les constitutions des jésuites. Dans la même ligne, la cour royale de Paris, présidée par un Séguier, affirme, dans son arrêt du 18 août 1826 sur la dénonciation de Montlosier que « l’état de la législation s’oppose formellement au rétablissement de la Compagnie de Jésus » et que les arrêts et édits « sont fondés sur l’incompatibilité reconnue entre les principes professés par ladite compagnie et l’indépendance de tous gouvernements, principes biens plus incompatibles encore avec la Charte constitutionnelle qui fait aujourd’hui le droit français ». Décision que Stendhal explique par le fait « qu’un tiers des membres de cette cour est janséniste141 ». Enfin, à la Chambre des pairs, quelques descendants de grandes familles jansénistes, les Molé, Pasquier ou Barante, soutiennent les juristes menant l’assaut. Lorsque l’avocat général de la cour royale de Rouen déclare, en novembre 1825, que « c’est au magistrat placé entre l’autel et le trône de veiller, comme un génie tutélaire, à la garde de ces bornes nécessaires et immuables qui séparent l’empire du sacerdoce ; heureux de trouver ce devoir rendu pour lui si facile par ces sages et vieilles maximes qui, en fondant les libertés de l’Église, se lient admirablement avec les libertés publiques », Rondeau note, satisfait, que « le barreau s’éclaire insensiblement sur ses devoirs142 ».
65C’est avec un enthousiasme certain qu’il suit les attaques contre les jésuites. Et cela à plusieurs titres.
66Tout d’abord parce qu’il est, comme tous les « amis », sincèrement convaincu de la nuisance pour l’Église que représente la Compagnie. Un passage d’une lettre de Jacquemont est à cet égard éloquent :
« C’est vraiment cette femme de l’Apocalypse, qui est assise sur une bête de couleur écarlate, qui est pleine de noms de blasphème, et qui porte sur son front : Mystère. Que la miséricorde du Seigneur nous préserve à jamais d’une séduction si effroyable. Vraiment Monsieur, la gentilité touche à sa fin, le mystère d’iniquité est à son comble, l’armée de prêtres qui doit frayer la voie à l’Antéchrist paraît de toute part et je serai bien trompé si le calcul de M. Agier ne se vérifie pas dans la dernière précision143. »
67Dans le « bagage de haine144 » dont les jésuites ont hérité, celle des jansénistes pèse d’autant plus lourd qu’elle n’est pas conjoncturelle et politique, mais fondamentalement ancrée dans leur foi, ainsi que nous l’avons vu précédemment. Mais chez Rondeau, il y a également la sincérité des convictions politiques et le traumatisme de la condamnation de son engagement constitutionnel, qui l’amènent à adhérer totalement à l’amalgame entre Contre-Révolution, aristocratie, ultramontanisme et jésuite. Pour lui, comme au début de la Révolution et comme sous l’Empire, il y a une fois de plus rupture entre les royalistes, le clergé et la nation. Et toujours agissent en sous-main les tenants de la Cour de Rome… ceux qui ont poussé Rome à condamner Port-Royal, à fulminer l’Unigenitus, à rejeter la Constitution civile du clergé, et qui, aujourd’hui, sont dénoncés comme ennemis de la Charte et des libertés de l’Église gallicane. Pour Rondeau, tout se tient, tout est parfaitement cohérent… comme chez la plupart des adeptes d’une théorie complotiste.
68Il se réjouit de voir Montlosier dévoiler « à toute la France la trop célèbre Congrégation, les jésuites, l’ultramontanisme, et les efforts du clergé pour envahir la puissance civile » et dénoncer « aux jurisconsultes les dangers de la France145 ». Il dresse la liste des Menées sourdes des jésuites en France146. Il relève toutes les rééditions qui dévident la litanie des « crimes » des jésuites, qui sort tout droit de l’argumentaire des jansénistes du xviiie siècle. Il reprend l’affirmation du Constitutionnel selon laquelle les jésuites, craignant la réédition de leurs Constitutions – déjà utilisées pour les condamner par les parlements au siècle précédent –, auraient obtenu que les archives royales en refusent la communication et consacreraient beaucoup d’argent pour racheter tous les exemplaires disponibles147. Il observe la lutte entre l’ultramontanisme, qui n’a jamais « osé lever la tête aussi audacieusement que depuis le xixe siècle », et le gallicanisme, à qui « Dieu qui protège la vérité a suscité de puissants défenseurs »148. Il affirme que le « pouvoir aussi absolu et despotique que celui du général » des jésuites et son « gouvernement d’espionnage » expliquent que la Compagnie n’ait pas produit – selon lui et le Constitutionnel – de grands hommes. Car « le génie n’a pu prendre un élan qui réclame la liberté de penser et d’écrire. Il s’est toujours senti comprimé et resserré dans les langes de la servitude149 ». Pour lui, absolutisme et despotisme sont totalement identifiés à l’ultramontanisme, tant dans l’Église et que dans le régime politique. L’organisation interne de la Compagnie en étant à la fois le moteur et la preuve. Il s’enthousiasme pour les plaidoiries de Dupin (qui durent jusqu’à trente heures !) et de Mérilhou dans le procès de tendance intenté, « par l’instigation du clergé ultramontain », contre le Constitutionnel et le Courrier français en 1825, « à raison qu’ils relataient fidèlement tous les actes de fanatisme et de superstition qui se multipliaient principalement depuis le règne de Charles X, et qu’ils combattaient toutes les doctrines ultramontaines qui pullulaient de toutes parts150 ». Les deux avocats construisent leur défense sur les jésuites, en arguant que la presse a le droit de signaler et de combattre des religieux qui s’introduisent et agissent dans le royaume « sans loi qui les institue, ni ordonnance qui les autorise », et ils dénoncent les excès de l’ultramontanisme. D’après Rondeau, Mérilhou « assomme les jésuites et la Congrégation » dans un « plaidoyer admirable ». L’arrêt de la cour royale de Paris le satisfait visiblement :
« La Cour a dit dans ses considérants que ce n’est ni manquer au respect dû à la religion de l’État, ni abuser de la liberté de la presse, que de discuter et combattre l’introduction et l’établissement dans le royaume de toute association non autorisée par les lois ; que de signaler, soit les actes notoirement constants qui offensent la religion même et les mœurs, soit les dangers et les excès non moins certains d’une doctrine qui menace à la fois l’indépendance de la monarchie, la souveraineté du roi et les libertés publiques, garanties par la Charte constitutionnelle et par la déclaration du clergé de France de 1682, déclaration toujours reconnue et proclamée LOI DE L’ÉTAT151. »
69Pour lui, les deux arrêts rendus dans ces procès suffisent à rendre l’année 1825 remarquable.
70Ces acquittements sont un véritable camouflet pour le ministère, comme pour le clergé qui pousse « les plus hauts cris ». Rondeau rapporte que dès le dimanche suivant, 6 décembre 1825, les arrêts ont été dénoncés en chaire et la magistrature injuriée. Les attaques contre la religion sont condamnées par le clergé dans les mandements pour le Carême et pour le jubilé de 1826, dans des instructions pastorales, dans des lettres adressées au roi152. Il semble même plaindre le procureur général Bellart, qui, bien que très hostile aux jésuites, « a été forcé par le roi de dresser son réquisitoire ». Mais le roi, ajoute Rondeau, « ne s’y sera déterminé que sur les instances de ses ministres, dont la conduite est continuellement censurée par ces deux journaux et plusieurs autres. Les ministres à leur tour sont sous la dépendance des jésuites et de la Congrégation, et tout le clergé français est malheureusement imbu de leur esprit et de leurs principes153 ». Et lorsque le malheureux procureur meurt quelques mois plus tard, les bruits les plus fous courent dans Paris : c’est en sortant d’un dîner au château qu’il serait tombé malade. « Aurait-on tenté de l’empoisonner ? Dieu seul le sait, on le craint154. » On raconte également que pendant sa longue agonie, il ne pensait qu’aux jésuites qu’il avait en horreur et que, croyant voir des hommes en noir, il se serait écrié : « Ils sont là ! Ils sont à ma porte ! Empêchez-les d’entrer ! » Impossible de s’y tromper, tout le monde connaît alors la chanson de Béranger :
Hommes noirs, d’où sortez-vous ?
Nous sortons de dessous terre.
Moitié renards, moitié loups,
Notre règle est un mystère.
Nous sommes fils de Loyola155.
71À tout prendre, d’après la longue liste de leurs crimes, répétée à l’envi, les jésuites n’en seraient pas à leur premier assassinat et Rondeau est toujours prêt à tout croire en ce qui les concerne, surtout le pire. C’est bien utile pour un bouc émissaire…
72Et lorsque Mgr Frayssinous, tentant, bien maladroitement, de calmer les esprits dans un grand discours en mai 1826, commet l’erreur de reconnaître la présence « tolérée » des jésuites en France, Montlosier saisit la cour royale de Paris, qui confirme l’illégalité de la Compagnie sur le territoire. Puis, le 19 juin 1827, la Chambre des pairs délibère sur la pétition contre les jésuites rédigée par Montlosier et décide, à la majorité, de sommer le gouvernement d’appliquer la loi d’expulsion en vigueur. Enfin, début 1828, après la chute du ministère Villèle, la question se cristallise sur l’éducation et le monopole universitaire.
73Face à une Chambre des députés très antijésuite, comme celle des pairs, et malgré les réticences du roi, deux ordonnances sont promulguées le 16 juin 1828. La première ordonne la fermeture de toutes les écoles ecclésiastiques se trouvant en dehors des règles de l’université ou leur intégration dans le régime de l’Université. Elle interdit également l’enseignement aux congrégations non autorisées, ce qui touche directement les jésuites. La seconde limite le nombre d’élèves admis dans les petits séminaires, ce qui les empêchera de devenir des collèges secondaires concurrents de l’Université. Le coup porté aux jésuites – et de manière indirecte au roi –, est important. Les jésuites ferment leurs huit petits séminaires, qui accueillaient 2 200 élèves. Des 456 jésuites qui officient en 1828, leur effectif se réduit au quart. Le noviciat de Montrouge est transféré à Avignon. S’ils ne disparaissent pas tout à fait du territoire – car beaucoup d’évêques leur offrent refuge dans des « résidences » –, la campagne contre eux a atteint son acmé… et son but. Elle a divisé la droite, permis de rassembler les oppositions et pris au piège les gouvernements qui ont voulu faire face aux accusations156. Le roi a été contraint d’abandonner Villèle après l’échec cinglant des élections de novembre 1827. Le ministère Martignac, qui s’est dégagé de l’influence du parti-prêtre157, a de nouveau divisé ses partisans avec les ordonnances de 1828. La défense des libertés garanties par la Charte revient au premier plan. Et notamment celle de la liberté de la presse, fortement réduite par la loi de 1822, mais dont l’application, ainsi que l’ont prouvé les deux procès de 1825 contre le Courrier et le Constitutionnel, dépend de la bonne volonté des magistrats. Dès décembre 1826, le projet de loi le plus répressif jamais proposé en la matière est présenté à la Chambre. C’est la fameuse « loi de justice et d’amour » défendue par Peyronnet, qui déclenche une levée de boucliers sans précédent et provoque l’alliance des deux opposés, les libéraux et les pointus, dans la défense de la liberté de la presse.
74Rondeau ne rend pas compte de ce basculement : il arrête son journal en octobre 1827 sur la condamnation d’un prêtre pour viol et sur les nombreux « Fléaux de la justice divine » qu’il a observés depuis avril 1827 et qu’un « chrétien qui se conduit par la foi » ne peut refuser de regarder « comme des suites des iniquités des peuples et surtout de la profanation scandaleuse des sacrements158 ». Mais son journal permet d’observer comment, dans cette nouvelle campagne antijésuite – où ont été invoqués les mânes de Pascal, ce « grand athlète du christianisme159 » qui avait si bien dénoncé et fustigé les jésuites dans les Provinciales160 –, s’est achevée la transformation de Port-Royal en symbole.
75Symbole du pouvoir de nuisance de la Compagnie bien sûr. L’illustre abbaye offre l’image parfaite d’une victime sacrifiée sur l’autel de l’ambition des jésuites. Celle d’un « champ d’asile des talents et de la sagesse », rasé « jusqu’aux ruines » par l’intolérance et la « basse jalousie qui, en 1709, détruisit Port-Royal des Champs, ouvrit les tombeaux des morts, dispersa les os de ces illustres solitaires, et renversa les murs qui avaient servi de retraite au grand Arnauld, à Pascal, à Racine et à leurs pieux amis161 ». Et, avertit Dupin, si on laissait revenir les jésuites, « la charrue qui passa sur les décombres de Port-Royal des Champs, ne tarderait pas à tracer d’autres sillons, pour effacer de nouvelles ruines162 ».
76Picot a beau dénoncer, depuis le début de la Restauration, les « misérables querelles » menées par Port-Royal et l’accuser d’avoir « levé l’étendard de l’opposition contre l’autorité ecclésiastique163 ». Il peut marteler à l’envi que l’Église constitutionnelle est l’« enfant débile du jansénisme et de la philosophie, nourri et caressé par la révolution » et railler les protestations des « enfants dégénérés de Port-Royal » frappés par les refus de sacrements. Claude Petitot164, dans sa Notice sur Port-Royal, peut, lui aussi, dénigrer Port-Royal en le présentant comme le nid de l’hérésie, le foyer d’une secte mue par l’ambition, l’orgueil, l’audace et l’esprit de révolte. Les religieuses y devenant des auxiliaires manipulatrices qui flattaient les jeunes filles qu’elles éduquaient « pour prendre sur la jeunesse de leur sexe une influence pareille à celle que les chefs du parti se flattent d’exercer par le moyen des écoles », promouvant sous les apparences de la plus austère réforme leurs vues ambitieuses165. En vain.
77Joseph de Maistre, lui-même, peut bien ironiser sur la « réputation mensongère de vertus et de talents construite par la secte » et affirmer que « Port-Royal a été constamment et irrémissiblement brouillé avec toutes les espèces de talents supérieurs166 ». Il peut présenter Port-Royal comme :
« Quelques sectaires mélancoliques [qui], aigris par les poursuites de l’autorité, imaginèrent de s’enfermer dans une solitude pour y bouder et y travailler à l’aise. Semblables aux lames d’un aimant artificiel dont la puissance résulte de l’assemblage, ces hommes, unis et serrés par un fanatisme commun, produisent une force totale capable de soulever les montagnes. L’orgueil, le ressentiment, la rancune religieuse, toutes les passions aigres et haineuses se déchaînent à la fois. L’esprit de parti concentré se transforme en rage incurable. Des ministres, des magistrats, des savants, des femmelettes du premier rang, des religieuses fanatiques, tous les ennemis du Saint-Siège, tous ceux de l’unité, tous ceux d’un ordre célèbre, leur antagoniste naturel, tous les parents, tous les amis, tous les clients des premiers personnages de l’association, s’allient au foyer commun de la révolte167. »
78Il peut accuser Port-Royal d’être « fils de Baïus, frère de Calvin, complice de Hobbes et père des convulsionnaires » et de n’avoir vécu « qu’un instant qu’il employa tout entier à fatiguer, à braver, à blesser l’Église et l’État ». Il peut surtout maudire la « secte janséniste », qui, « sans respect, des malheurs de la souveraineté esclave et profanée », a forcé Louis XVI à signer la Constitution civile du clergé, « comme un anathème éternel sur ce coupable parti qui la rendit nécessaire aux yeux de l’innocence168 ». En vain. Il n’est écouté que par ceux qui sont déjà convaincus.
79Pour tous les autres, il est lui-même, avec La Mennais, le symbole de l’ultra-royalisme et d’une école théocratique qui milite pour la soumission de l’autorité des rois à celle du pape. Les convictions de ses détracteurs ont en quelque sorte donné du crédit à Port-Royal, et une nouvelle forme d’actualité. Critiquer Port-Royal, c’est désormais s’inscrire dans un camp bien identifié : « Pour juger tout à la fois l’écrivain et les journaux qui lui accordent des louanges si magnifiques, il suffira de dire qu’il insulte aux ruines mêmes de Port-Royal, qu’il en représente les pieux solitaires comme des intrigans, et presque comme des hérétiques169. »
80Persécuté par Rome comme par le pouvoir absolutiste, Port-Royal devient aussi symbole de résistance et de liberté. L’esprit de rébellion à l’autorité – religieuse comme politique –, tant reproché aux tenants de Port-Royal par Rome et les théoriciens de la Contre-Révolution, devient l’esprit de résistance au despotisme et à l’arbitraire. Son insoumission, la défense de la liberté de conscience.
81Quant à la Constitution civile du clergé, imputée comme nous l’avons vu aux jansénistes, et intégrée par les libéraux à l’héritage constitutionnel de la Révolution, elle devient la recherche de l’accord entre Évangile et liberté. L’idée d’un autre possible. Les anciens assermentés, ces « vétérans du sacerdoce » qui ont « confessé J.-C. en présence des ennemis de ce nom170 » pendant la Révolution et qui sont depuis persécutés parce qu’ils refusent de rétracter un serment qui ne les déshonore pas, ne font que défendre leur liberté de conscience.
82Enfin, le gallicanisme, discrédité par la Constitution civile du clergé proclamée « au nom de nos libertés », et que les jansénistes défendent si ardemment, devient le rempart du patriotisme, de l’indépendance nationale et de la Charte. Il est le prétexte et l’arme des libéraux dans la dénonciation de l’alliance politique du Trône et de l’Autel porteuse d’un modèle politique et sociétal hostile à l’héritage de 1789, et dont l’ultramontanisme, redéfini politiquement par la condamnation de la Révolution par Rome, est également devenu un symbole.
83Et l’histoire du jansénisme peut être ainsi relue à l’aune de 1825 dans Le Tartuffe moderne :
« Nos dissensions religieuses, calmées seulement pendant quelques années, se sont ranimées plus violentes que jamais depuis 1791 […]. C’est toujours la vieille querelle, continuée sous des noms nouveaux […]. Il s’agit encore pour ceux-ci [insermentés] de faire prévaloir l’obéissance passive, même en matière de foi, à l’autorité du St Siège. Cette aveugle servilité fut de tout temps la religion des jésuites […] ; c’est pour elle qu’ils combattaient sous l’étendard de l’Unigenitus. Les jansénistes […] bataillaient contre l’infaillibilité, et en faveur des libertés de l’Église gallicane […]. Le pouvoir du pape était le véritable fond de la dispute […]. Or, en 1791, le fameux serment attaquait de front la puissance papale ; les jésuites armèrent pour la défendre ; les jansénistes déployèrent l’antique oriflamme de Port-Royal pour soutenir l’agression. La politique ne manqua pas de se mêler à ces débats qu’elle avait soulevés […] cachés sous d’autres noms, les jésuites […] se rangèrent du côté de l’aristocratie ; les jansénistes, inclinant naturellement à l’indépendance et au patriotisme, embrassèrent les intérêts de la révolution et de la démocratie. […] ralliés à l’aristocratie déjà triomphante et pouvant disposer des foudres du Vatican, leur forteresse, faut-il s’étonner qu’ils [les jésuites] poursuivent avec acharnement les faibles restes de l’armée janséniste vaincue171 ? »
84Belle reconstruction ! Mais en réalité, l’ensemble des accusations portées contre les jésuites, dont certaines datent du xvie siècle – Rondeau insiste beaucoup sur ce point, pour prouver que les jésuites étaient critiqués avant que n’existe Port-Royal, dédouanant ainsi les jansénistes d’être les « inventeurs » de l’antijésuitisme172 –, a été considérablement distordu. Et l’histoire réécrite dans la presse libérale, pour reprendre la formule d’Ephraïm Harpaz, a tiré sa force « d’une transposition considérable de l’actualité173 ». Le gallicanisme brandi comme étendard apparaît davantage comme le refus d’une influence étrangère en France, notamment en matière d’éducation, que comme la défense des règles d’organisation de l’Église de France. Il défend une vision nationaliste en formation et Montalembert souligne bien que l’on a moins reproché aux jésuites – en France comme dans le reste de l’Europe ainsi que nous le verrons ultérieurement – leurs tentations régicides ou leur morale que d’être « anti-nationaux soumis à un chef étranger » et « d’avoir pour patrie le monde174 ».
85Port-Royal est pourtant bien loin. Toute la dimension théologique de l’argumentaire antijésuite janséniste, toujours fondamentale pour Rondeau et les « vrais » jansénistes, a été effacée de la polémique. Plus de pélagianisme, de débat sur la grâce ou sur la fréquente communion, de ces « disputes surannées175 », de cette « antique théologie de basoche176 ». La double dénonciation des jésuites, jouant sur le spectre de la théocratie et de l’Ancien Régime, a permis l’alliance conjoncturelle de forces politiques et religieuses antagonistes dans une « solidarité commune faite de dissidence politico-religieuse anti-autoritaire177 ». Mais les incompatibilités doctrinales persistent et marquent les limites de ces engagements communs, qui se déferont une fois le but atteint. Et l’on peut se demander dans quelle mesure les jansénistes libéraux se sont laissé prendre, avec une « imprévoyance passionnée » selon l’expression de Paul Thureau-Dangin178, à un jeu qui les dépassait. Ainsi que le souligne Olivier Tort, la spécificité du message de Port-Royal s’est diluée dans un gallicanisme de combat au cours de la campagne antijésuite de 1826, puis dans un anticléricalisme sans nuances après la révolution de Juillet179.
86Cependant, par-delà l’usage circonstanciel et intéressé de la référence port-royaliste, c’est une nouvelle étape de la construction du mythe de Port-Royal qui a été franchie. Une étape importante, qui a entériné l’amalgame entre jansénisme, gallicanisme et Constitution civile du clergé, toujours dénoncé par Rome comme par Joseph de Maistre ou La Mennais, et qui, en reprenant à son compte l’argumentaire développé notamment par Grégoire, a fait entrer Port-Royal dans le champ interprétatif libéral de la Révolution. Certes, Pascal, Arnauld et Nicole auraient été bien étonnés – et sans doute outrés – d’apprendre qu’ils étaient à la fois des précurseurs de la République et les « stoïciens du christianisme », et qu’ils avaient défendu que « les formes extérieures et les intérêts temporels du culte […] étaient du ressort de l’autorité civile180 ». Ils auraient été horrifiés de voir leurs « querelles » théologiques sur la grâce qualifiées de « ridicules » ou « surannées » et leurs croyances de « peu intelligibles181 ». Et ils auraient vraisemblablement rejeté fortement la Constitution civile du clergé comme attentatoire aux droits du clergé. Mais leurs « infortunes », leur constance à défendre les droits de leur conscience, leur statut de résistants à l’oppression et de victimes de l’arbitraire, tout comme leur exigence morale et logique, en ont fait des références libérales dans le combat entre les deux France. Le temps des Arnauld, Pascal ou Le Paige était bien passé, mais la construction du mythe continuait et avait pris un tour qu’ils n’auraient pu imaginer.
Notes de bas de page
1 Poème attribué au général des jésuites par Le Mercure du xixe siècle en juillet 1826.
2 Fait remarquable, l’antijansénisme est né avant le jansénisme : les jésuites attaquèrent Jansénius et son Augustinus aux Pays-Bas espagnols avant que le conflit ne les oppose en France au Grand Arnauld, après la parution de la Fréquente communion en 1643. Voir Ceyssens L., « Que penser finalement de l’histoire du jansénisme et de l’antijansénisme ? », Revue d’histoire ecclésiastique, LXXXVIII, no 1, 1993, p. 108-130.
3 Voir notamment The jansenists and the Expulsion, op. cit. ; The Damiens affair, op. cit. et Les Origines religieuses, op. cit.
4 Cottret M., Guittienne-Mürger V., « Le journal d’un émigré… », art. cité.
5 Accusation qu’il reprend comme certaine dans le Constitutionnel, NE, cahier IV, octobre 1810, p. 5 ; cahier XII, octobre 1819, p. 11.
6 Ibid., cahier VII, 1814, p. 24.
7 Ibid., cahier VI, novembre 1814, p. 43 ; cahier X, septembre 1818, p. 30 ; cahier XI, mars 1819, p. 29-30, juillet 1819, p. 73 et 79, octobre 1819, p. 111 ; cahier XII, octobre 1819, p. 4, mars 1820, p. 35.
8 Ibid., avril 1815, p. 35.
9 Ibid., cahier XI, juillet 1818, p. 100 ; cahier XII, novembre 1819, p. 5. Une variante « fils de Loyola » en mars 1820, p. 38.
10 Ibid., cahier VIII, juillet 1816, p. 94 ; cahier XI, octobre 1819, p. 110 ; cahier XII, novembre 1819, p. 8, novembre 1819, p. 12 et 17.
11 Ibid., cahier XIV, août 1823, p. 11, à propos des missionnaires et de la congrégation du Sacré-Cœur.
12 Ibid., cahier XI, août 1819, p. 88 ; cahier XIV, août 1823, p. 11, septembre 1823, pièce volante insérée entre les p. 18-19 ; cahier XV, mars 1827, p. 99.
13 Ibid., cahier XIV, décembre 1823, p. 25 et 26 (sur Picot), avril 1824, p. 44 ; cahier XV, mai 1824, pièce volante insérée entre les p. 1 et 1bis, avril 1825, p. 30, mai 1828, 9e pièce volante insérée entre les p. 42 et 43, mai 1825, p. 50.
14 Ibid., cahier XV, novembre 1825, p. 75.
15 Notamment l’Étoile, NE, cahier XIV, avril-mai 1824, p. 44 ; cahier XV, mai 1825, p. 49.
16 Paris, chez Onfroi, An VIII.
17 Tabaraud M.-M., Réflexions d’un élève de l’Église gallicane, sur quelques événemens du pontificat de Pie VII, et particulièrement sur les jésuites, [s.l., s.n.], [1814], p. 8.
18 Ibid., p. 9.
19 Paris, A. Egron, 1814. Ouvrage parfois attribué à Louis Silvy (y compris à la BPR). Les indications sur l’auteur fournies par L’Ami de la religion, (t. III, no 64, 1815, p. 189-190) et les réponses que celui-ci lui fait dans la seconde édition de l’ouvrage en février 1815, ne laissent pas de doute.
20 Tabaraud M.-M., Du pape et des jésuites, ou exposé de quelques événemens du pontificat de Pie VII ; de la conduite des jésuites depuis leur introduction en France jusqu’à leur expulsion, des causes de leur suppression, et de celles qui s’opposent à leur rétablissement, seconde édition, corr. et aug., Paris, A. Egron, février 1815.
21 Silvy L., Les Jésuites, tels qu’ils ont été dans l’ordre politique, religieux et moral ; ou Exposé des causes de leur destruction, contre le système d’un livre intitulé : Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique pendant le dix-huitième siècle, ouvrage dont on prépare une nouvelle édition. Par M. S***, ancien magistrat, Paris, Adrien Egron, 1815.
22 NE., cahier VIII, 2e pièce volante insérée entre les p. 30 et 31.
23 Extraits des assertions dangereuses et pernicieuses en tout genre que les soi-disans Jésuites ont, dans tous les temps & persévéramment, soutenues, enseignées & publiées…, Paris, Chez P. G. Simon, 1762.
24 NE, cahier VIII, 2e pièce volante insérée entre les p. 30 et 31.
25 Ibid., 1re pièce volante insérée entre les p. 30 et 31.
26 Ibid., mars 1815, p. 27.
27 Ibid., avril 1815, p. 39.
28 Paris, Adrien Égron, 1816.
29 NE, cahier VIII, décembre 1815, p. 62.
30 Paris, A. Égron, 1818.
31 Paris, A. Égron, 1818.
32 Silvy L., Les Jésuites tels qu’ils ont été dans l’ordre politique, religieux et moral, Paris, A. Égron, 1815.
33 NE, cahier VIII., novembre 1815, p. 61.
34 Ainsi que le souligne Raoul Girardet, « les habiletés tactiques elles-mêmes, inséparables de tout engagement militant, ne témoignent en aucune façon, de la part de ceux qui les emploient, d’un manque quelconque de conviction à l’égard de la cause qu’ils entendent soutenir ». Les objectifs politiques qui sous-tendent la campagne contre les jésuites n’excluent pas que ses acteurs ne soient pas convaincus de la réelle perversité de la Compagnie. Raoul Girardet insiste surtout sur le fait « qu’aucune entreprise de manipulation ne peut espérer atteindre ses objectifs là où n’existe pas, dans les secteurs de l’opinion qu’elle s’efforce de conquérir, une certaine situation de disponibilité, un certain état préalable de réceptivité. Ce qui signifie, entre autres, que dans sa structure, dans sa forme comme dans son contenu, le message à transmettre doit, pour avoir quelque chance d’efficacité, correspondre à un certain code déjà inscrit dans les normes de l’imaginaire », Girardet R., Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986, p. 50-51.
35 NE, cahier VIII, p. 79.
36 Dont le « principal but est de rendre le clergé entièrement indépendant du gouvernement, pour mieux réussir dans leurs projets de destruction. » NE, cahier VII, p. 44.
37 Ibid., cahier VIII, mars 1815, p. 30.
38 Lettre de Jacquemont à Silvy, 18 décembre 1817, BPR, GR5510ms.
39 Lettre de Jacquemont à Silvy, 18 décembre 1817, GR5510ms.
40 Pour Rondeau, les Liguoriens sont une « espèce de corps franc au service des jésuites », NE, cahier XI, octobre 1818, p. 57.
41 Girardet R., Mythes et mythologies politiques, op. cit., p. 48.
42 NE, cahier VIII, p. 32.
43 A. P., t. XXVII, discours de Martin Gray (sur loi électorale), 17 mai 1820, p. 663-670 (ici p. 666). De l’éducation publique au système électoral et au concordat de 1817, c’est dans l’ensemble de l’organisation sociale et politique qu’il dénonce les risques de la « milice papale ».
44 Liévin-Bonaventure Proyart (1743-1808). Donné souvent pour ex-jésuite. Originaire du diocèse d’Arras, il fut sous-principal du collège Louis-le-Grand. Émigré en Belgique puis en Allemagne, il devint le conseiller du prince de Hohenlohe-Bartenstein et revint en France après le Concordat. Sur l’œuvre pédagogique de l’abbé Proyart, voir Hours B., « Moreau et Proyart, pédagogues en attente du prince et éducateurs de la nation », Histoire de l’éducation, 132, 2011, p. 153-176.
45 Proyart L.-B., Histoire abrégée de l’Église… par M. Lhomond…, 5e édition, augmentée d’un Tableau de la révolution religieuse du xviiie siècle, faisant continuation de l’Histoire de l’Église jusqu’au Concordat de Pie VII, par M. Proyart, Paris, Société typographique, 1806.
46 NE, cahier XI, octobre 1819, p. 110.
47 Le Constitutionnel, 11 juillet 1825, p. 2.
48 C’est en tant que prêtres, sous l’autorité des évêques qui les employaient selon les besoins (enseignement dans les séminaires ou missions), qu’ils pouvaient exercer leur ministère, Sevrin E., Les Missions religieuses, op. cit., t. I, p. 35.
49 C’est la thèse du chanoine Sevrin, ibid., t. II, p. 309-310.
50 Ibid., t. I, p. 35.
51 La Chronique religieuse publie le rapport de Portalis en août 1818 (t. I, p. 145-157), rendant ainsi, selon Rondeau, un « important service », NE, cahier XI, octobre 1819, p. 111.
52 Sur la mission de Brest, voir Sevrin E., Les Missions religieuses, op. cit., t. II, p. 429-454 ; Le Gallo Y., « Anticléricalisme et structures urbaines et militaires à Brest sous la monarchie constitutionnelle », in Actes du quatre-vingt-onzième congrès national des Sociétés savantes, Rennes, 1966, Paris, Bibliothèque nationale, 1969, t. III, p. 75-139 ; Dessoye A., Brest sous la Restauration : le parti libéral et les missions, 1817-1827, Brest, impr. de « La Dépêche », 1895 ; Le Gallo Y. (dir.), Clergé, religion et société en basse Bretagne de la fin de l’Ancien régime à 1840, [Paris], éditions ouvrières, 1991, t. II, p. 716-737.
53 NNEE, 1752, p. 190.
54 Jean Antoine René Édouard de Corbière (1793-1875). Originaire de Brest, ce marin et armateur fut également journaliste et romancier. Il est considéré comme le père du roman maritime en France. Son récit de la mission de Brest, Trois jours de mission à Brest, a des accents d’épopée guerrière. Corbière fut traduit devant la cour d’assises pour sa brochure, jugée séditieuse, et fut acquitté.
55 Chronique religieuse, t. III, p. 520 ; Corbière J.-A.-R.-E de, Trois jours de mission à Brest, Paris, chez Brissot-Thivars ; Brest, chez P. Anner, novembre 1819, p. 5.
56 Voir Bessire F., « “Un vaste incendie qui va dévorer des cités et des provinces” : les éditions d’œuvres complètes de Voltaire sous la Restauration », in Mollier J.-Y., Reid M., Yon J.-C. (dir.), Repenser la Restauration, [Paris], Nouveau monde éditions, 2005, p. 185-196.
57 Le Constitutionnel, 28 décembre 1824, p. 3. Cité par Rondeau, NE, cahier XV, p. 21.
58 Le Constitutionnel, 18 novembre 1819, p. 3.
59 Luc 12,49-53.
60 Le Constitutionnel, 18 novembre 1819, p. 3.
61 Discours du duc de Fitz-James à la Chambre des pairs, 14 février 1825 (sur la loi sur le sacrilège), A. P., t. XLIII, p. 150.
62 Écrit Rondeau, NE, cahier XI, juillet 1819, p. 73.
63 Le Constitutionnel, 13 décembre 1819, p. 2.
64 Thureau-Dangin P., Le Parti libéral sous la Restauration, Paris, E. Plon et cie, 1876, p. 363.
65 NE, cahier VIII., p. 91.
66 Ibid., cahier X, p. 28.
67 Ibid., cahier XI, p. 19, 20, 32, 35.
68 Ibid., pièce volante no 3, insérée entre les p. 66 et 67 (La Minerve, liv. 83, p. 201).
69 Ibid., avril 1819, p. 35.
70 Salvandy N. de, Les dangers de la situation présente, Paris, Mme Cellis, 1819, cité dans NE, cahier XII, décembre 1819, p. 14.
71 Le Constitutionnel, 5 août 1820, p. 4.
72 Leroy M., Le Mythe jésuite, op. cit., p. 13.
73 Thème qui se greffe sur ceux de l’Ancien Régime : complots des protestants ou des ligueurs au xvie siècle, complot de famine au xviiie siècle.
74 Voir Tardy J.-N., L’Âge des ombres : complots, conspirations et sociétés secrètes au xixe siècle, Paris, Belles Lettres, 2015.
75 Louis-Pierre Louvel (1783-1820). Sellier, né à Versailles. Admirateur de l’empereur, il assassine d’un coup de couteau le duc de Berry, seul membre de la famille royale susceptible d’assurer une descendance, devant l’Opéra, dans la nuit du 13 au 14 février 1820, par haine des Bourbons. Il est guillotiné le 7 juin 1820 en place de Grève.
76 Voir Malandain G., L’Introuvable complot. L’affaire Louvel : événement, enquête et rumeur dans la France de la Restauration, Paris, Éditions de l’EHESS, 2011.
77 Agier P.-J., La France justifiée de complicité dans l’assassinat du duc de Berry, ou réflexions sur le mandement de M. le cardinal-archevêque de Paris, relatif au service pour le repos de l’ame de ce prince, Paris, Baudouin Frères, 1820, p. 12-14. L’exemplaire conservé à la BPR est une épreuve corrigée de la main de Grégoire…
78 NE, cahier XII, mars 1820, p. 32.
79 Votées en mars-avril 1820. La loi de censure rétablit l’autorisation préalable et instaure une commission de censure composée de gens de lettres ; elle concerne les journaux périodiques de plus de 5 feuilles. Les procès contre la presse libérale se multiplient dès 1822 : contre le Constitutionnel, le Journal du Commerce, le Courrier français (poursuivi pour 182 articles en juin 1824). Et la petite presse de province est étouffée. La loi sur la suppression des libertés individuelles permet, sur la signature de trois ministres, l’arrestation arbitraire de toute personne prévenue d’attentat contre la sûreté de l’État pour une durée de 3 mois. Quant à la loi électorale (avril 1820), elle instaure le double vote si cher aux ultras : la grande majorité des électeurs à 300 fr, qui s’étaient vu ouvrir le vote en 1817, perd le droit de nommer directement les députés. Ce sont les plus imposés qui élisent seuls 172 députés, Démier F., La France de la Restauration, op. cit., p. 699 ; Waresquiel E. de, Yvert B., Histoire de la Restauration, op. cit., p. 284 et 302.
80 Érosion politique des constitutionnels, renaissance d’un catholicisme combattant proche des ultras, disparition du centre, recomposition de la gauche libérale, émergence d’une minorité néo-jacobine ou néo-républicaine, avènement politique de la jeunesse des écoles, Démier F., La France de la Restauration, op. cit., p. 337 ; Waresquiel E. de, Yvert B., Histoire de la Restauration, op. cit., p. 305-312.
81 Fondée en 1821 sur le modèle de la société secrète la Carbonaria, dans laquelle on retrouve des avocats célèbres comme Barthe et Mérilhou et la plupart des députés de l’extrême gauche. La Charbonnerie est dirigée par Voyer d’Argenson, La Fayette et Manuel. Voir Lambert P.-A., La Charbonnerie française, 1821-1823 : du secret en politique, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1995.
82 Démier F., La France de la Restauration, op. cit., p. 648.
83 Qui augmente de 10 millions entre 1818 et 1820, puis passe de 27 à 33 millions de 1820 à 1830, Bertier de Sauvigny G. de, La Restauration, op. cit., p. 308 ; Pouthas C., L’Église et les questions religieuses, op. cit., p. 171.
84 Roquette A., Monseigneur Frayssinous, op. cit., p. 135-149.
85 Ibid., p. 139.
86 Ibid., p. 191.
87 Claude-Rosalie Liautard (1774-1842). Fondateur en 1804 avec deux autres ecclésiastiques de la maison d’éducation de la rue Notre-Dame-des-Champs, déclarée collège de plein exercice en 1822 et rebaptisée à l’occasion collège de Stanislas en l’honneur du roi et de son ancêtre. On lira avec curiosité Le secret de Rome au xixe siècle : le peuple, la cour, l’Église (Paris, P. Boizard, 1845) d’Eugène Briffault, un petit chef d’œuvre d’antijésuitisme qui attribue à l’abbé Liautard une influence immense et occulte dans les affaires de l’État, dans la plus pure tradition antijésuite, et qui attribue au prince de Condé (et non de Conti) la paternité de l’abbé (p. 272). Cette attribution semble être la plus fréquente.
88 Pasquier É.-D., Mémoires, cité par Waresquiel E. de, Un groupe d’hommes, op. cit., p. 186. Sur les pairs ecclésiastiques, voir plus particulièrement les p. 183-188.
89 Ibid., p. 182 ; Bertier de Sauvigny G. de, La Restauration, op. cit., p. 376.
90 Pour le vol d’un vase sacré, les travaux forcés à perpétuité ; si le vase contenait des hosties consacrées, la mort ; et pour la profanation d’hosties, la peine du parricide : la mort précédée de la mutilation (poing coupé).
91 Cité par Guillaume de Bertier de Sauvigny qui rappelle que Bonald y voit l’accomplissement de sa prophétie : « La révolution qui a commencé par la déclaration des droits de l’homme finira par la déclaration des droits de Dieu. », La Restauration, op. cit., p. 378.
92 Cité par Waresquiel E. de, Yvert B., Histoire de la Restauration, op. cit., p. 378-379.
93 Bertier de Sauvigny G. de, La Restauration, op. cit., p. 379.
94 D’Arthenay V., Le Sacrilège, 1827, cité par Duprat A., « Le sacre de Charles X : justifications et critiques », in Mollier J.-Y., Reid M., Yon J.-C. (dir.), Repenser la Restauration, op. cit., p. 69-84 (ici p. 80).
95 NE, cahier XV, avril 1825, p. 33.
96 Amnistie des condamnés politiques, modification de la formule du sacre avec la suppression des mentions à l’extinction de l’hérésie, pour ne pas choquer les protestants, et ajout d’une mention de la Charte (mais reléguée à la fin du serment, comme le soulignent Emmanuel de Waresquiel et Benoît Yvert), introduction de représentants de la nouvelle France dans la cérémonie (Moncey, Soult, Mortier, Jourdan qui portent respectivement l’épée, le sceptre, la main de Justice et la couronne), Bertier de Sauvigny G. de, La Restauration, op. cit., p. 380 ; Waresquiel E. de, Yvert B, Histoire de la Restauration, op. cit., p. 379-380.
97 Cité par E. de Waresquiel, B. Yvert, ibid., p. 380.
98 Annie Duprat rappelle que la justification du sacre était la réparation : il s’agissait de refonder la dynastie des Bourbons et d’obtenir de Dieu la réparation des crimes de la Révolution et de l’Empire, Duprat A., « Le sacre de Charles X… », art. cité, p. 70-74.
99 Lettre pastorale du 15 octobre 1823. Vaste et significatif programme ! Sur avis du Conseil d’État, la lettre pastorale fut condamnée dans l’ordonnance du 10 janvier 1824 par un gouvernement craignant – du moins en ce qui concerne Villèle – la solidarité de corps du clergé, dont les assemblées délibérantes étaient interdites en vertu des Articles organiques 4 et 20. Cette affaire relança la polémique sur l’appel comme d’abus et souleva une tempête chez les libéraux qui y virent, à juste titre me semble-t-il, l’exposition d’un programme incompatible avec la Charte. Rien d’étonnant à ce que Mgr de Clermont-Tonnerre écrivît, en 1825, que le Conseil d’État était un « repère de jansénistes, de libéraux et d’impies », Démier F., La France de la Restauration, op. cit., p. 747 ; Hême de Lacotte R., « Logiques politiques… », art. cité, p. 48 ; Lafont J., Les prêtres, les fidèles et l’État : le ménage à trois au xixe siècle, Paris, Beauschesne, 1987, p. 124-132. Voir aussi Le Constitutionnel, mercredi 31 décembre 1823, p. 2-3 et mercredi 21 janvier 1824, p. 2-3.
100 Bertier de Sauvigny G. de, La Restauration, op. cit., p. 380.
101 Jean-Baptiste Bourdier-Delpuits (1734-1811). Chanoine de Paris, il réunit à Paris en février 1801 une organisation charitable, connue sous le nom de La Congrégation, héritière de la congrégation de la Sainte-Vierge fondée en 1560 par le jésuite Jean Leunis.
102 Pierre Ronsin (1771-1846). Entré dans la Compagnie de Jésus le 23 juillet 1814, il fut rapidement chargé de la direction de la Congrégation (août 1814), déployant une activité spirituelle importante à Paris. Il quitta la direction de la Congrégation en 1828, deux ans avant sa disparition définitive. Il fut l’un des grands promoteurs en France du culte des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie.
103 Fondée en 1822 (ou 1821 selon les auteurs), la Société des Bonnes Études était une filiale de la Société des Bonnes Œuvres créée par la Congrégation. Sise rue de l’Estrapade, avec bibliothèque, salon et amphithéâtre de 300 places, elle avait pour but de former une élite intellectuelle catholique et royaliste. Mais les étudiants se mirent rapidement à y lire en cachette la presse libérale et les conférences tournèrent au débat politique, Caron J.-C., « Maintenir l’ordre au pays latin », in Société d’Histoire de la Révolution de 1848 et des Révolutions du xixe siècle, Maintien de l’ordre et polices en France et en Europe au xixe siècle, Grane, Creaphis éditions, 1987, p. 329-346 (ici p. 337) ; Brejon de Lavergnée M., « Mythes politiques et analyse de réseaux », in Histoire & mesure, XXIV-1, 2009, [http://histoiremesure.revues.org/3892], consulté le 6 février 2017 ; Pierrard P., Les Laïcs dans l’Église de France : xixe-xxe siècles, Paris, Éditions de l’Atelier, 1988, p. 39-40.
104 NE, cahier XIV, avril-mai 1824, p. 44.
105 Associations religieuses secrètes existant déjà sous l’Ancien Régime (ex. : Saint Nicolas du Chardonnet). Elles ont joué un rôle important dans la lutte contre la Constitution civile du clergé. Les Pères de la Foi ont également été fondés par les restes d’une Aa. Elles forment une base possible de politisation, Tardy J.-N., L’Âge des ombres, op. cit., p. 31.
106 Démier F., La France de la Restauration, op. cit., p. 740.
107 Plongeron B. (dir.), Histoire du christianisme, t. X, op. cit., p. 701 ; Tardy J.-N., L’Âge des ombres, op. cit., p. 34.
108 « Il y a dans notre association deux buts qui ont, entre eux, une grande connexité […]. Car la royauté triomphante ne pourra jamais se maintenir sans la religion. D’un autre côté, le clergé a aussi besoin d’un gouvernement religieux, car, sans cela, le bien qu’il voudra faire sera empêché. » Cité par Jean-Noël Tardy qui souligne que « les liens étroits entre religion et politique sont au cœur de la culture du secret et de la conspiration des ultras », ibid., p. 29 et 34.
109 Waresquiel E. de, Yvert B., Histoire de la Restauration, op. cit., p. 383 et p. 385.
110 NE, cahier XIV, janvier 1823, p. 80-81.
111 Jean-Raimond-Pascal Sarran (1780 ?-1844). Rédacteur au Drapeau blanc de 1822 à 1839. Dans un ouvrage ultérieur (Du Ministère Villèle et de ses œuvres, 1825), il dénonce la tendance de Villèle à laisser détourner contre le clergé, le dogme et la religion les critiques politiques, tendance dont les libéraux ne sont que trop heureux de profiter.
112 NE, cahier XIV, avril-mai 1824, p. 44.
113 Très introduite dans les milieux diplomatiques et la haute-aristocratie, férue de politique et bien placée pour en connaître les arcanes, elle a laissé des Mémoires. Voir Osmond de Boigne A. d’, Rossi H. (éd.), Récits d’une tante, Paris, Honoré Champion, 2007 ; voir aussi Rossi H., « Madame de Boigne, entre écriture politique et émergence d’une sensibilité romanesque », Itinéraires, 2011-1, [http://itineraires.revues.org/1615], consulté le 20 mars 2017.
114 Cité par Leroy M., Le Mythe jésuite, op. cit., p. 36.
115 NE, cahier XV, décembre 1824, p. 20.
116 La France catholique, 10e livr., p. 161, citée dans NE, cahier XV, p. 50.
117 Brejon de Lavergnée M., « Mythes politiques et analyse de réseaux », art. cité, p. 157.
118 Jardin A., Tudesq A-J., La France des notables. 1. L’évolution générale. 1815-1848, Paris, Seuil, 1973, p. 80.
119 « Le roi est le chef suprême de l’État, il […] fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois et la sûreté de l’État. » Cet article, en opposition avec la théorisation du pouvoir royal comme pouvoir neutre dans un système parlementaire développée par Benjamin Constant, ouvrait la voie à une interprétation non parlementaire du régime que Charles X souhaitait imposer et qui aboutit aux fameuses ordonnances qui provoquèrent la chute du régime, voir Rosanvallon P., La Monarchie impossible, op. cit.
120 Guillaume de Bertier de Sauvigny écrit que l’on ferait des livres entiers en rassemblant les exemples d’abus et de pressions, La Restauration, op. cit., p. 323. Au sommet de l’État, Jean-Yves Mollier cite l’exemple de Lefebvre de Vatimesnil, futur ministre de l’Instruction, qui, en 1822, alors secrétaire général du ministère de la Justice, exige des billets de confession des candidats à l’accès à la magistrature !!! Mollier J.-Y., Louis Hachette, Paris, Fayard, 1999, p. 146.
121 Face aux attaques contre la religion, Charles X se sent obligé de la défendre en affichant davantage encore sa dévotion, notamment lors des cérémonies du jubilé en 1826, au cours desquelles il porte une tenue violette (couleur du deuil royal) qui fait dire qu’il s’est fait évêque, ibid., p. 386. Sheryl Kroen souligne que la participation du roi aux fêtes du jubilé a troublé beaucoup de Français, Politics and Theater, op. cit., p. 248.
122 Leroy M., Le Mythe jésuite, op. cit., p. 22 et 26.
123 Le National, 17 octobre 1832.
124 Le Constitutionnel, 5 octobre 1824, cité dans NE, cahier XV, p. 8.
125 Cité par Thureau-Dangin P., Le Parti libéral, op. cit., p. 293.
126 Tablettes universelles, 4 octobre 1823, p. 3, citées dans NE, cahier XIII, p. 20.
127 Journal des Débats, 11 novembre 1825, cité dans NE, cahier XV, p. 76.
128 Le Constitutionnel, 12 novembre 1825.
129 Stendhal l’appelle le Père Duchêne du jésuitisme.
130 Montlosier F.-D. de Reynaud de, De la monarchie française au 1er mars 1824, cité dans NE, cahier XIV, p. 39.
131 Dans une série de cinq articles publiés dans le Drapeau blanc en octobre 1825.
132 Cette coalition de forces politiques, religieuses et sociales antagonistes rassemble acquéreurs de biens nationaux, bourgeoisie voltairienne, protestants, clergé gallican, anciens assermentés, desservants mécontents de l’intrusion des missionnaires, fonctionnaires de l’Université, demi-soldes…
133 NE, cahier XV, septembre 1824, p. 6. Tabaraud venge l’Oratoire de ces accusations dans le Journal des Débats du 9 septembre en affirmant que cette congrégation a donné en 1791 des preuves de son attachement et de sa soumission au Saint-Siège et à la famille royale.
134 En novembre 1826, le janséniste forézien François Jacquemont écrit : « Je suis si convaincu que rien ne peut désormais arrêter leurs progrès que j’ai consenti sans peine à supprimer l’écrit que j’avais préparé contre eux […]. M. Silvy [me dit que] le style n’ayant pas la couleur du jour, on n’ose répondre du succès. » BPR, Lettre de Jacquemont à Mercier d’Inville (Pithiviers), du 2 novembre 1826, GR5505ms. Au moment où les jésuites sont les plus attaqués, Jacquemont ne semble plus croire à la victoire contre l’ennemi. Mais il est vrai qu’il a une vision moins politique que théologique… et les jésuites l’emportent incontestablement au point de vue théologique.
135 « Eh ! Comment espérerais-je faire quelque sensation lorsque je vois les écrits de M. de Montlosier, si supérieurs en toute matière, ne produire aucun fruit ? Leurs partisans ne lisent que ce qui les favorise et il me semble que plus on les attaque, plus ils s’étendent à droite et à gauche. » Ibid.
136 Leroy M., Le Mythe jésuite, op. cit., p. 360.
137 « Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il y a des missions, des jésuites et des missionnaires ! Du temps de la bulle Unigenitus, la France en fut couverte ; ils poursuivaient les pénitens, le formulaire à la main ; ils voulaient forcer les uns à se rétracter, les autres à se confesser ; ils ont persécuté tout le monde. » Dupin A.-M.-J.-J., Plaidoyer de M. Dupin, avocat, pour J.-P. de Béranger prononcé à l’audience de la Cour d’assises de Paris, le 8 décembre 1821, Paris, Baudouin Frères, 1821, p. 53.
138 Consultation sur le mémoire de Monsieur de Montlosier, Paris, [s.n.], 1826.
139 Il faut noter que le mémoire de La Chalotais avait déjà été réédité en 1818 à la demande des Fribourgeois opposés au rétablissement des jésuites dans leur canton en Suisse, voir NE, cahier X, novembre 1818, p. 69.
140 L’Étoile avait qualifié La Chalotais « d’obscur magistrat » (scandale !), de « magistrat félon qui, au mépris de ses devoirs et de son impartialité, poursuivit avec l’odieuse animosité d’une haine personnelle un corps respectable […] un homme qui, bientôt dégradé […] fut trainer son repentir dans l’exil et l’ignominie ». Les descendants du procureur-général intentèrent un procès en diffamation contre le journal. Et le Constitutionnel de commenter dans une admirable distorsion de l’histoire : « Les magistrats qui, sous l’ancienne monarchie, défendaient les droits des citoyens, le trône et les libertés publiques, étaient des félons. Sous la monarchie constitutionnelle, les électeurs qui ne vendent pas leur vote sont aussi des félons. » Le Constitutionnel, 3 février 1826.
141 Stendhal, Martineau H. (éd.), Courrier anglais, Paris, Le Divan, 1935, t. III, p. 51.
142 NE, cahier XV, p. 75.
143 Lettre de Jacquemont à Mercier d’Inville, du 2 novembre 1826, op. cit.
144 Leroy M., Le Mythe jésuite, op. cit., p. 26.
145 NE, cahier XV, 2e pièce insérée entre les p. 88 et 89.
146 Ibid., p. 87.
147 Le Constitutionnel, 6 mars 1826, p. 2. L’article affirme également que l’on projette de nommer un des principaux chefs de la Congrégation à la place de l’intendant général des Bibliothèques dans le but de faire disparaître tous les ouvrages contraires à la Société de Jésus.
148 NE, cahier XV, 2e pièce insérée entre les p. 88 et 89. Les défenseurs de l’ultramontanisme qu’il cite sont : Maistre, les La Mennais, Jean-Wendel Wurtz et Picot. Les défenseurs des libertés gallicanes sont : Barral, La Luzerne et Tabaraud. Rondeau forge, pour qualifier la pensée de Maistre et de La Mennais, l’expression d’« ultra-ultramontanisme », NE, cahier XII, juillet 1820, p. 54.
149 NE, cahier XV, décembre 1824, p. 20.
150 Ibid., pièce volante insérée entre les p. 90 et 91.
151 Ibid. C’est Rondeau qui écrit en majuscules.
152 Ibid., 2e pièce insérée entre les p. 88 et 89.
153 Ibid., pièce volante insérée entre les p. 90 et 91.
154 Ibid., juillet 1826, p. 92.
155 Béranger P.-J. de, Les Révérends Pères, 1819.
156 Ainsi que le souligne Michel Leroy, le ministère se retrouvait pris entre deux alternatives : passer pour un complice des jésuites, ou pour une victime impuissante. Dans les deux cas, il donnait l’image d’un pouvoir faible, manipulé par une puissance occulte, Le Mythe jésuite, op. cit., p. 377.
157 Martignac dégage l’Université de l’emprise du clergé et confie à Vatimesnil un ministère de l’Instruction publique séparé des Cultes, partie de l’administration relevant désormais d’un magistrat et non plus d’un évêque. Dès sa prise de fonction, Vatimesnil demande aux recteurs de respecter les règles de l’Université. Frayssinous est remplacé par Feutrier, un évêque gallican qui passe pour ennemi des jésuites. Une commission est mise en place pour examiner les éventuels abus de l’enseignement secondaire ecclésiastique. Enfin, la surveillance des écoles est retirée aux évêques et confiée à des comités départementaux, Démier F., La France de la Restauration, op. cit., p. 797.
158 NE, cahier XV, p. 101.
159 La Minerve, t. VI, mai 1819, p. 124.
160 Le Constitutionnel salue leur réédition en 1816, au moment où « les souples et habiles enfants de Loyola […] semblables à l’hydre de la fable » renaissent dans tous les pays. Cité par Henri-François Imbert qui qualifie les Provinciales de « plus puissante pièce d’artillerie » des libéraux, Stendhal et la tentation janséniste, op. cit., p. 114.
161 La Minerve française, t. VI, p. 124.
162 Discours de Charles Dupin, juin 1828, A. P., t. LIV, p. 469.
163 ARR, t. XIX, samedi 20 février 1819, no 473, p. 38.
164 Claude-Bernard Petitot (1772-1825). Traducteur d’Alfieri (1802) et de Cervantes (1809), éditeur des Œuvres de Molière, il est surtout connu pour sa Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France (à partir de 1819, 96 vol.). Mais il fut aussi l’éditeur de la Grammaire de Port-Royal, des Œuvres de Racine, des Mémoires d’Arnauld d’Andilly (1824), ce qui, eu égard au jugement négatif qu’il porte sur Port-Royal dans sa Notice sur Port-Royal (en introduction du t. I des Mémoires d’Arnauld d’Andilly), est plutôt curieux.
165 Voir NE, cahier XV, 1re pièce volante insérée entre les p. 1 et 1 bis.
166 Maistre J. de, De l’Église gallicane dans son rapport avec le Souverain pontife, op. cit., p. 26. Il a cependant l’honnêteté de dédouaner Pascal de toute médiocrité, mais c’est pour le séparer de Port-Royal : « Pascal ouvre toujours ces listes, et c’est en effet le seul écrivain de génie qu’ait, je ne dis pas produit, mais logé pendant quelques moments la trop fameuse maison de Port-Royal. » (p. 27). Il consacre néanmoins le chapitre VI à démontrer que les grands auteurs de Port-Royal étaient « des voleurs de profession excessivement habiles à effacer la marque du propriétaire sur les effets volés », bref ! des plagiaires (p. 43).
167 Ibid., p. 25.
168 Ibid., p. 82-83.
169 Le Constitutionnel, 18 juin 1821, p. 3, recension de De l’Église gallicane de Maistre.
170 La Minerve française, t. VI, p. 254. En 1824, dans sa novatrice Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu’en 1814 (Paris, F. Didot père et fils), François-Auguste Mignet, libéral proche de Thiers, affirmait que « durant la durée de la crise [la Révolution] en France, le catholicisme ultramontain fut représenté par le clergé réfractaire ; le jansénisme par le clergé constitutionnel », t. II, p. 33.
171 Mortonval [Alexandre Furcy Guesdon, dit], Le Tartuffe moderne, Paris, [s.n.], 1825, t. I, p. 249.
172 « La persécution contre les jésuites n’est pas l’ouvrage des jansénistes, puisque dans le 16e siècle, les hommes les plus distingués dans l’Église et l’État les ont dénoncés comme des perturbateurs. » NE, cahier XV, décembre 1824, p. 14.
173 Harpaz E., L’École libérale sous la Restauration, op. cit., p. 60.
174 Leroy M., Le Mythe jésuite, op. cit., p. 379.
175 Discours du duc de Choiseul à la Chambre des pairs, 18 janvier 1827, A. P., t. XLIX, p. 183-189.
176 Thureau-Dangin P., Le Parti libéral, op. cit., p. 377.
177 Tort O., « Usages polémiques de Port-Royal et du jansénisme », Chroniques de Port-Royal, 65, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2015, p. 125-136 (ici p. 136).
178 Thureau-Dangin P., Le Parti libéral, op. cit., p. 392.
179 Tort O., « Usages polémiques de Port-Royal… », art. cité, p. 136.
180 Plaidoyer de Mérilhou pour la Bibliothèque historique en 1825, reproduit dans la Chronique religieuse, t. IV, p. 238.
181 Discours d’Eusèbe de Salverte (1771-1839), 21 juin 1828, A. P., t. LV, p. 240.
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