Chapitre 5. Quelle science pour l’ingénieur civil ?
p. 149-186
Texte intégral
1En 1829, Benoit, Dumas, Lavallée, Ollivier et Péclet fondaient l’École Centrale des Arts et Manufactures en refusant qu’y soient enseignées « les théories mathématiques trop élevées, l’expérience ayant démontré que ces théories sont rarement utiles dans les applications, et que, dans le cas contraire, le simple exposé des résultats obtenus par une analyse transcendante peut suffire1 ». La réfutation qui distinguait presque jusqu’au clivage entre « théorie » et « applications », renvoyait à l’exigence positive d’un lieu d’enseignement propre à l’industrie envisagée, pensée comme un tout unifié et homogène, une matière à science dont la nouvelle école serait l’université : « les jeunes gens trouvent en France à leur sortie des collèges des écoles spécialisées pour le droit, la médecine, la théologie, le génie civil, militaire et maritime, les beaux-arts et même le commerce… mais ceux d’entre eux qui se destinent à l’industrie ne trouvent nulle part les éléments de l’instruction qui leur convient ». Les fondateurs faisaient peu de cas de la province.
2Mais ils faisaient acte de publicité en usant du débat intense qui se tenait autour des relations entre science et industrie. Les remaniements commerciaux, industriels, sociaux que connaissait le monde occidental influaient en retour sur les cultures technique et scientifique. Un vaste travail débuta en leur sein, de redéfinition des structures des énoncés, de détermination des limites assignables à chacun. Observant le domaine des mathématiques dans la première moitié du xixe siècle, J.-T. Desanti note qu’il se donna un fondement, c’est-à-dire « une théorie explicite du système des énoncés propres à assurer les démarches démonstratives dont l’enchaînement constitue le tissu de la mathématique2 ». Pour lui, il y eut une « rupture de style », qu’il attribue à Cauchy, Gauss, Abel et Bolzano. L’analyse fut touchée au premier chef qui connut alors – les termes importent – « un procès de réduction aux règles de la pure logique ». Un mouvement de pensée, voisin si ce n’est identique, mouvement de définition des domaines, tentative pour construire une architecture de pensée qui fasse système en soi, affecta la science de l’ingénieur. L’une de ses manifestations fut la tentative à théoriser la technologie en tant que science de la technique et/ou en tant que science des techniques industrielles dans les années 1820.
3Être ou se dire ingénieur entre les années 1780 et les années 1830, c’était se réclamer d’une culture professionnelle dont nous avons commencé à appréhender les particularités. La pensée de l’ingénieur est une pensée d’action, de remaniement de l’existant pris à un niveau global ; la production d’objet à quoi elle aboutit – une machine hydraulique, une machine de guerre, une route, un navire – s’inscrit dans cette globalité. L’ingénieur n’est pas l’homme d’un produit comme l’est le maître-fondeur, le maître-charpentier ou même le maître-mineur, il n’est pas l’homme d’une pratique ; il est l’homme du projet qui donne naissance à ce produit au prix d’un agencement technique qui inclut, fait entrer en ligne de compte le bénéfice que l’utilisateur peut en attendre, la débauche ou l’économie de moyens que cela représente. Il y a dans cette pensée technique une sorte de mouvement contradictoire, une évasion constante vers l’immatériel, un glissement de l’objet produit vers la situation que le fait de produire l’objet engendre, parce que l’objet construit (roue, machine de guerre, navire, route, pont, etc.) compte moins que le protocole qui en autorise la construction, compte moins que le couple économie de moyens/efficacité qui décide de ce protocole. Ainsi la pensée de l’ingénieur tend – et prétend – simultanément au conceptuel et au contextuel, en une approche expérimentale qui intègre l’économie y compris politique à des fins simultanés de vérification et d’anticipation.
4Et cette pensée connut, elle aussi, une rupture de style dans la première moitié du xixe siècle. Fut-ce, comme l’ont affirmé J. Dhombres et A. Picon par la force – et la vertu – de l’analyse mathématique ? Selon ces auteurs, c’est l’analyse mathématique, qui aurait fait « émerger de nouveaux thèmes qui en appellent à l’imaginaire technique » et serait venue « renforcer la sophistication et l’efficacité des procédures d’aides à la décision ». « Grâce à l’analyse, le savant et l’ingénieur peuvent se clamer d’un même esprit « positif » abandonnant la poursuite des causes pour ne plus rechercher que des lois vérifiables expérimentalement3 ». Ainsi, la pensée de l’ingénieur se serait « modernisée », en devenant scientifique, c’est-à-dire en se « mathématisant ». C’est là un point de vue intéressant, encore qu’il soit réducteur. L’usage croissant des mathématiques et de l’analyse en dépit de sa force – et du plaisir de pensée, voire la distinction qui en résultent – tient de l’effet plutôt que de la cause. Étudiant le mémoire de Coulomb intitulé Mémoire sur la force des hommes, dans lequel le grand ingénieur, formé à l’école de Mézières, invente le « concept de quantité d’action » en dissociant « l’effet produit » de la « fatigue dispensée », à partir de quoi Navier, Coriolis, Poncelet posèrent les concepts de « travail utile » et « travail total », J. Rousseau et C. Vatin, le premier mathématicien, le second économiste observent : « le cadre épistémologique de cette étude semble très proche de celui que Coulomb développa en électromagnétique, une construction fondée sur la modélisation de données expérimentales ». Le fond conceptuel sur lequel s’appuie Coulomb relève de la vieille physique pratique, dans laquelle l’économie est présente pas seulement comme contexte mais comme cadre théorique ; l’ingénieur prend appui conjointement sur les théories mécaniques de son époque et sur une économie politique implicite. Le concept de travail émerge de cette assise, comme un point d’articulation qui fut effectif et pas seulement métaphorique entre la théorie économique et la théorie physique. En conclusion de quoi, les auteurs « refusent » – c’est leur terme – cette conception épistémologique qui n’envisage pour toute dynamique, qu’un seul mouvement, celui allant des sciences « dures » vers les autres.
5La sévérité de ces auteurs à l’égard de ce topos épistémologique tient au fait qu’il néglige selon eux cette dimension importante de la physique classique qu’a été « la science pratique des ingénieurs4 ». Jusqu’à quel point et de quelle manière cette science de l’ingénieur fut le berceau des sciences expérimentales et pourquoi cela fut occulté, c’est ce qu’il conviendrait d’analyser. Jeter les linéaments de la réponse suppose de bien connaître la manière dont elle se posait. Tous, théoriciens et praticiens, s’accordaient sur la nécessité de bâtir une science industrielle. Mais la question était complexe. Il s’agissait à la fois de définir des sciences pour l’industrie et d’apprendre à penser l’industrie en tant qu’un objet de science. Le dilemme résulta de ce que nul alors n’était en mesure de traiter simultanément des deux questions, les écoles d’ingénieurs moins encore que les savants et les penseurs. Il n’était pas compatible de vouloir théoriser l’industrie comme un fait global et simultanément doter chacune des pratiques industrielles de son approche scientifique. C’est ce que montrera ce chapitre qui juxtaposera théories et enseignements, comme ils l’étaient à ce moment.
Technologie, la science de l’industrie ?
6Un même lieu unit symboliquement Borgnis l’ingénieur à Say l’économiste, ce Conservatoire des Arts et Métiers où le second enseignait, auquel le premier dédia en 1818 son Traité de mécanique appliquée aux Arts par le truchement de Christian son directeur, « que tous les amis des connaissances utiles vénèrent et chérissent ». Traité de Mécanique appliquée aux Arts : serait-ce donc un traité de science appliquée ? Borgnis, de fait, en discute. Son ouvrage consiste en l’Exposition méthodique des théories et des expériences les plus utiles pour diriger le choix, l’invention, la construction et l’emploi de toutes les espèces de machines. L’auteur dispose donc le savoir sur les machines et l’organise c’est-à-dire qu’il l’expose et le présente avec méthode dans l’esprit d’un temps qui pensait avec J.-B. Say « qu’une science ne fait de véritables progrès que lorsqu’on est parvenu à bien déterminer le champ où peuvent s’étendre ses recherches et l’objet qu’elles doivent se proposer ». Borgnis prend soin en effet de définir le champ et l’objet de son étude et s’y arrête même longuement.
7Le champ, c’est la mécanique, « branche importante des sciences physico-mathématiques » qu’il subdivise en deux parties : la mécanique rationnelle et la mécanique pratique « qu’il importe de ne pas confondre, car si elles ont une même origine, elles ont des directions différentes5 ». En d’autres termes, l’objet de leurs recherches diffère. La mécanique rationnelle « purement spéculative et théorique » a pour but de « déterminer en général toutes les lois de l’équilibre et du mouvement des corps » ; elle œuvre à « appliquer les lois à l’interprétation des principaux phénomènes de la nature. ». Tandis que la mécanique pratique travaille à « l’application immédiate de ces mêmes lois aux usages de la société » ; elle œuvre à diriger « le praticien dans le choix et l’emploi des méthodes convenables aux divers effets qu’il se propose de produire ; lui indiquer la marche qu’il doit suivre dans ses opérations ; [à] lui signaler les écueils à éviter ».
8L’ingénieur ne nie pas la hiérarchie qu’implique la différence entre les deux formes de mécanique. Il en joue au contraire pour asseoir sa démonstration. L’opposition entre le « rationnel » et la « pratique » maladroite a priori puisqu’elle ôte d’emblée toute rationalité à la mécanique pratique n’est rien de plus qu’une concession rhétorique, une manière de s’appuyer sur le sens commun pour rendre plus palpable la différence entre les deux domaines. La mécanique rationnelle est célébrée pour avoir produit « deux chefs d’œuvre immortels qui honorent l’esprit humain », la Mécanique analytique de Lagrange, la Mécanique céleste de Laplace ; la mécanique pratique elle « descend du vaste domaine des abstractions aux objets usuels ». Les voilà donc dos à dos, l’une parce que théorie pure, l’autre parce que pratique exclusivement. Or c’est cela, explique Borgnis, qui les rend également dangereuses. Tournés vers le « sublime », perdus dans la recherche de « succès éclatants » les savants « méconnaissent l’étude des détails… au premier abord minutieux et futiles… » qu’ils jugent « d’une classe trop vulgaire pour en faire un objet d’étude ». À l’inverse, les « praticiens », envahis par un « préjugé vulgaire », s’imaginent trop aisément que les « grandes découvertes », c’est-à-dire « celles qui dévoilent d’importants phénomènes et des effets utiles », sont le fruit du hasard. Trop de « personnes ignares […] [qui] ont la manie de se croire mécaniciens par inspiration, multiplient les inventions ridicules ou insignifiantes qui pullulent tous les jours ».
9Pour pallier ces défauts rédhibitoires, l’ingénieur en appelle, au nom du progrès, à la constitution de la « mécanique pratique », c’est-à-dire d’une science qui serait le lieu du mélange théorisé. Car ce n’est pas la connaissance de la règle que l’ingénieur pose comme source de l’avancée humaine, parce que dit-il, règle vaut routine et qu’est-ce que la routine, si ce n’est « l’usage aveugle d’une méthode sans savoir en apprécier les avantages et les inconvénients » ? Ce qu’il préconise donc, c’est la théorisation de la pratique. Il est nécessaire de théoriser au sens le plus ancien du terme, c’est-à-dire de « réunir, classer… les vastes connaissances qui la composent, en former un corps de doctrine méthodique et régulier » ; mais il est nécessaire aussi d’établir une « théorie », c’est-à-dire de « réunir régulièrement, enchaîner méthodiquement tous les faits relatifs à un effet quelconque naturel ou artificiel ». Cela requiert d’unir l’étude et l’expérience, ce que précisément ne parviennent pas à faire les sciences abstraites, en quoi elles manquent, en quoi elles ne suffisent pas. Borgnis insiste : les sciences abstraites ne sont pas inutiles, elles sont insuffisantes ; avec elles, on ne peut diriger les opérations pratiques et c’est leur défaut, ce pourquoi elles sont stériles. En mécanique, par exemple, il est impossible d’assimiler les effets produits aux mouvements qui les produisent ce qui fait qu’on ne peut déduire directement des lois générales du mouvement, les lois particulières définissant l’effet des machines. Sortir de l’impasse conceptuelle, c’est rendre fructueuses les sciences abstraites en les combinant avec les connaissances expérimentales. « C’est en réunissant intimement les unes et les autres qu’on peut se flatter d’obtenir des résultats réellement utiles et satisfaisants ». L’expérience, dans cette approche, féconde l’abstraction et l’épanouit, en définissant un domaine scientifique spécifique au nom de l’utilité et de la satisfaction, deux termes, deux exigences qui marquent la période et la caractérisent. Borgnis professe la nécessité d’une approche scientifique autonome, non science appliquée mais science expérimentale, telle qu’elle se détermine et opère en faisant dialoguer, dans le domaine qui est le sien, la connaissance des lois de l’équilibre et la connaissance des effets produits par les machines. Voilà, en définitive, ce que recouvre le terme « mécanique appliquée ». L’ingénieur, au demeurant « membre de nombreuses académies » fut aussi de ceux qui s’attachèrent à définir une science industrielle, entendons une approche scientifique de l’industrie. Car pour lui, « la mécanique appliquée aux arts n’est qu’une partie de la technologie, science immense qui renferme le domaine entier de l’industrie humaine…6 ».
10Le Normant saisit la balle au bond. Publié en 1819, le compte rendu qu’il fait de l’ouvrage délaisse l’exposé de Borgnis, sur lequel dit-il, il reviendra. Le but qu’il se fixe dans l’immédiat est de généraliser la leçon donnée par l’ingénieur. Lui aussi en appelle à la fondation d’une science nouvelle, qu’il dénomme lui aussi « technologie », en la qualifiant de « sciences des arts industriels ». Mais lui, légitime son existence en inscrivant la technique dans l’évolution historique, et place au fondement de sa pensée deux postulats complémentaires, en faisant de l’homme un être technique et en faisant des arts industriels le produit de la nature et de la science. L’homme s’est trouvé dans l’obligation d’imaginer, d’inventer, des instruments pour l’aider dans ses travaux, depuis la nuit des temps. Puis il s’est civilisé, et avec lui, les arts industriels. Ceux-ci désormais, sont fondés sur la chimie, la physique et la mécanique qui ont mis à jour dans l’étude de la matière, des lois immuables, des « règles invariables que suivent ces diverses substances ». Ainsi, grâce à ces sciences, ils sont « arrivés à la perfection vers laquelle ils tendent toujours7 ».
11Arrivé à ce point du discours, il élargit sa pensée vers l’entreprise et l’industrie en introduisant la technologie. Cette nouvelle science doit être à l’industrie, ce que la chimie, la physique et la mécanique sont aux matériaux. « Science d’observation et de faits », elle doit avoir pour champ les arts industriels et pour objet de « poser les règles qui servent de base aux arts industriels » parce que « ces règles qui ne sont pas en grand nombre, se reproduisent à chaque instant ». Mais également pédagogie, elle « enseigne ensuite à en faire l’application dans toutes les circonstances ». Le fantasme court dans cette pensée d’une codification absolue de l’action. Le Normant emprunte à Borgnis, la détermination de ce champ scientifique qui théorise l’action et le déporte de la mécanique vers l’industrie, envisagée métaphoriquement sous la forme d’une vaste mécanique, analysable scientifiquement donc, et donc sujette à perfectionnements8. Le point nodal de la pensée est là, dans cette rationalisation appliquée : il n’est de bonne industrie que perfectionnée ; ce qui perfectionne par définition, c’est le code, la méthode, l’ordonnancement. La science est l’outil de ce perfectionnement du fait qu’elle théorise, parce qu’au-delà du fouillis, des faits et des comportements, elle met à jour l’unité fondamentale qui fait loi. La technologie sera cette science-là qui, déterminant les lois fondamentales de son fonctionnement, donnera à l’industrie les moyens de son perfectionnement. Autrement dit, l’industrie, puisqu’elle est le fruit de la civilisation, tend au perfectionnement, et ce perfectionnement, elle peut l’atteindre puisqu’elle dispose d’un outil, la science. L’industrie est donc « en droit d’attendre des services importants de la science du xixe siècle » ; elle est en droit d’attendre de la science qu’elle lui donne les moyens de ce perfectionnement. Les « technologues » du xviiie siècle, Trudaine, Hellot, auraient apprécié le credo. Sauf que sous la plume de Le Normant l’injonction pédagogique s’est transformée en exigence de résultats. Ce n’est plus le savant qui se penche paternellement vers l’entrepreneur et l’aide à acquérir des compétences ; c’est l’entrepreneur qui exige de la science qu’elle lui fournisse des cadres, un mode de pensée, un guide pour l’action. Que la tâche revienne à l’ingénieur comme précédemment, c’est certain. Mais sa position dans le processus sort modifiée de ce retournement de pensée.
12L’objectif assigné à cette technologie est double et industriel au premier chef. Dans les manufactures, ces machines compliquées, ces « vastes établissements » dans lesquels « une prodigieuse quantité d’hommes ingénieurs trouvent leur existence et leur fortune », la technologie en tant que science qui analyse, décompose, réduit au plus simple, doit être l’outil de gestion des opérations. Le terme fait défaut, mais la réalité est présente dans les trois exemples qu’il donne. Tous se rapportent à la décomposition et à l’organisation du travail productif, dont on sait, par les travaux d’Edmonson, qu’elles furent la porte d’entrée de l’ingénieur dans l’entreprise et la raison de sa présence. Le Normant évoque tour à tour les opérations successives que nécessite la fabrication des draps, la « variété d’opérations dans la fabrication des aiguilles à coudre9 » et s’appesantit sur la réussite de Jappy, « horloger-mécanicien à Beaucourt », qui « d’après ces principes et à l’aide des instruments de son invention a fait construire dans ses ateliers des mouvements d’horlogerie… à des prix si bas que la somme qu’il en retire paraît à peine pouvoir couvrir les frais d’achat des matières qu’il emploie ». L’intérêt de l’exemple c’est de montrer que cette réussite, l’industriel l’a obtenue par les principes justement : « dans les arts mécaniques, diviser le travail, c’est l’abréger, multiplier les opérations, c’est les simplifier ; attacher exclusivement un ouvrier à chacune d’elle, c’est obtenir à la fois vitesse et économie ». À partir de quoi, se dresse le profil du manufacturier : « Obligé de diriger une multitude d’ouvriers qui, pour l’ordinaire, sont de pures machines, il doit réfléchir pour eux, chercher sans cesse des améliorations qui simplifient la main d’œuvre et amènent l’économie qui assure la prospérité des manufactures ».
13Mais, second objectif, la technologie rejaillit à l’horizon du social, en lui offrant des moyens d’ordonnancement. À l’instar de l’industrie qu’elle structure, « la technologie est utile à tout le monde », c’est-à-dire aux artistes, aux artisans, auxquels elle fournira « un code général qu’ils pourront à chaque instant consulter avec la certitude du succès ». Ainsi la science des arts industriels, en codifiant l’action, codifiera le groupe. Le souci d’un langage commun, récurrent à cette époque, se retrouve là, mais il déborde de la sphère professionnelle. C’est toute la société qui doit s’industrialiser, en somme. « La géométrie, la physique et la chimie sont devenues aujourd’hui des sciences d’atelier, il faut comprendre les éléments de ces sciences dans l’instruction des enfants des classes pauvres et industrielles ». La science des arts industriels est destinée à devenir culture commune, mode de pensée utile à tous. Le Normant en décline les motifs. Elle sera utile au propriétaire, car elle lui indiquera « les perfectionnements… la connaissance exacte des travaux qu’il est dans le cas de faire exécuter sous ses yeux ; […] les moyens de prévenir et d’éviter les accidents ». Elle sera utile aux administrateurs, parce qu’ils « cesseront d’être trompés par de vaines apparences d’utilité ». La « Technologie » telle que la définit l’auteur est l’expression de ce besoin d’unité qu’éprouve tout groupe professionnel émergent, ce pourquoi elle est à ce point globalisante. Dans ce groupe, que nous qualifierons d’industriel au sens large, le temps n’est pas encore venu de dissocier l’entrepreneur, l’ingénieur, le savant, il est celui d’un travail commun pour faire de la science industrielle, une science de l’administration des hommes et des opérations dans l’atelier, en utilisant pour matrice de pensée la métaphore de la machine, profondément structurante puisqu’elle matérialise l’approche théorico-pratique de l’ingénieur, d’où la réflexion est partie, rappelons-le. Sous la plume de Le Normant, l’industrie se revendique en tant qu’objet de sciences, en même temps qu’elle pense devoir être facteur d’ordonnancement social.
14Jean-Baptiste Say contribua aussi à édifier les représentations du monde industriel par ses théorisations et son enseignement. L’économiste autant que Borgnis use du vieux fonds théorico-pratique, au point que les « discours préliminaires » écrits par les deux hommes présentent de réelles similitudes. Say, comme Borgnis, se recommande de la méthode expérimentale « qui consiste essentiellement à n’admettre comme vrai que les faits dont l’observation, et l’expérience ont démontré la réalité, et comme vérités constantes que les conclusions qu’on peut en tirer naturellement ». Multipliant les mises au point, il qualifie soigneusement la science nouvelle qu’il enseigne. Ce n’est pas une science descriptive – comme la statistique, avec laquelle, dit-il, on l’a souvent confondue. C’est une « science expérimentale », de ces sciences « qui nous font connaître les actions réciproques que les choses exercent les unes sur les autres, ou en d’autres termes, la liaison des effets avec leurs causes », ce que font, précise-t-il, la chimie et la physique. Lui aussi réfute l’opposition « bien vaine » entre théorie et pratique : « Par le mot pratique, je n’entends pas ici l’habitude manuelle qui permet de faire plus aisément et mieux ce qu’on fait tous les jours. C’est le talent d’un ouvrier, d’un scribe : j’entends la méthode que celui qui dirige, qui administre la chose publique ou une chose particulière10 ». Un espace s’ouvrait pour une approche théorique des méthodes de commandement.
15Le but qu’il assigne à cette science est de comprendre l’industrie, à l’instar de ce que réclamait Le Normant. Mais l’économiste, d’un trait de plume, sépare son domaine de celui de l’exécution technique. « L’économie politique ne considère l’agriculture, le commerce et les arts, que sous les rapports qu’ils ont avec l’accroissement ou la diminution des richesses, et non dans leurs procédés d’exécution ». Ce faisant, il opère un clivage dans l’étude de l’entreprise industrielle (qu’il appelle l’industrie manufacturière), et la scinde entre approche économique et approche technique. Ce clivage lui était indispensable pour déborder Smith. Lui, en effet, posait comme source de richesses, non le travail comme l’Anglais, mais l’industrie, terme générique désignant toute activité donnant de la valeur aux choses, la manufacturière, l’agricole et la commerciale. Smith s’est trompé, dit-il en substance, en réservant le nom de richesses aux valeurs fixées dans des substances matérielles. « Il devait y comprendre aussi des valeurs qui bien qu’immatérielles n’en sont pas moins réelles, comme sont tous les talents naturels ou acquis ». Say, par différence, proposait qu’à partir des sciences expérimentales, deux discours s’engagent sur l’industrie manufacturière, l’un d’économie pure qui l’analyserait en tant qu’institution sociale, l’autre de technique pure qui l’analyserait en tant qu’institution productive. Discrètement, l’économiste rabattait la technologie vers les déterminations scientifiques de la technique11. Cette détermination des domaines – et le rétrécissement de fait de l’approche technologique – n’allait pas sans une attribution sociale, sans une désignation des acteurs les mieux à même de réaliser l’une et l’autre des approches scientifiques. Exaltant à la manière de Borgnis la pratique théorisée ou si l’on préfère, une maîtrise théorique de la pratique, il la refuse aux Grands et au peuple qui, pareillement, « n’ont pas le temps de méditer… n’adoptent les vérités que lorsqu’elles n’ont plus besoin de preuves ». À ses yeux, les porteurs de sciences étaient ailleurs, « dans la classe mitoyenne, également à l’abri de l’enivrement de la grandeur et des travaux forcés de l’indigence… où se rencontrent les fortunes honnêtes, les loisirs mêlés à l’habitude du travail, les libres communications de l’amitié, le goût de la lecture, et la possibilité de voyager12 ». Le point de vue fit doctrine dans les écoles d’ingénieurs civils, Saint-Étienne aussi bien que Centrale.
16Revenons donc vers Centrale, puisque ses fondateurs revendiquaient l’existence d’un domaine de compétences propre à l’ingénieur civil et lui attribuaient pour fondement théorique, la « science industrielle ». Cette manière de se recommander d’une science générale était le meilleur moyen de poser socialement l’ingénieur civil, « animal nouveau dans le zoo social, politique et culturel français », analyse J. H. Weiss qui étudie longuement dans son bel ouvrage la difficulté qu’eurent Dumas et Péclet à construire cette science industrielle, à élaborer une approche générale à des enseignements particuliers. L’analyse du contexte intellectuel, du débat qui courait autour de la notion de science industrielle, conduit à nuancer l’analyse : le désir de « science industrielle » était beaucoup trop général dans le monde industriel pour que son affirmation relève de la seule inscription dans le social. Le souci de répondre à un besoin, de donner matérialité à cette science que chacun appelait de ses vœux et à propos de laquelle tous, peu ou prou, théorisait, était réel. L’industriel le plus éclairé avait désormais à sa disposition, outre l’expérience et reposant sur elle, un jeu de représentations suffisamment riche pour l’aider à appréhender son entreprise à la fois dans le temps – sa manière de durer – et dans l’espace – son organisation. On imagine mal une École s’affichant école d’ingénieurs civils et ne cherchant pas à intégrer ces avancées théoriques et pratiques. Ceci dit, l’échec de cette « science industrielle » était inclus dans les prémisses, du fait que cette vision exagérément globalisante n’était pas opérante à l’échelle de l’industrie et qu’elle ne manquait pas de renvoyer au social. Dire de l’entreprise pédagogique qu’elle était seule à former des ingénieurs ; affirmer qu’elle était par excellence et par définition « l’anti-Polytechnique » – ou peut-être l’École Polytechnique régénérée, comme le suggère implicitement l’appellation – c’était endosser d’emblée tous les défauts, toutes les « passions » de la pensée scientifique française, depuis le goût excessif pour la centralité et la transcendance, jusqu’à la recherche excessive de légitimation sociale. Pire, c’était privilégier les limites, l’enfermement et la discrimination à un moment d’édification qui réclamait, à ce titre, l’ouverture, le dialogue, le débat13.
17Ceci dit, qu’en était-il dans les profondeurs de la province, où l’on apprenait aux futurs ingénieurs à se saisir scientifiquement de la pratique industrielle ?
La formation technique, entre sensible et intelligible
18Géologie, Exploitation des Mines, Préparation des minerais – mécanique et métallurgie, Construction : quatre cours, non datés, non signés, multigraphiés, nous éclairent sur l’enseignement que recevaient à Saint-Étienne les élèves mineurs14. Les références qu’ils contiennent : publications, inventions ou réalisations industrielles, se rapportent aux années 1827-1829. Et confirmant l’hypothèse selon laquelle ces cours furent réalisés en 1829, il y a qu’ils sont accompagnés de planches signées par Savignac, Bérard, Brochin, Deshaquets, Lapierre jeune et aîné, des élèves de la promotion 182915.
19Dresser une théorie du mode de production des énoncés techniques conduit à analyser la différence d’ancienneté de ces énoncés, à mesurer leur aptitude au renouvellement, leur réceptivité au changement, tout particulièrement à ce moment charnière de renouvellement des savoirs. Car, les matières enseignées en ce premier tiers de xixe siècle, n’avaient pas le même âge : certaines, l’exploitation des mines, la préparation mécanique, étaient fixées depuis plusieurs siècles ; d’autres, construction, géologie, émergeaient, certaines encore, comme la métallurgie étaient en plein renouvellement. Et l’aptitude au renouvellement de chaque matière différait en fonction à la fois de la matière elle-même et de la science annexe qui autorisait son expression. C’est un fait que le neuf n’invalide l’ancien ni automatiquement, ni immédiatement ; il le remplace progressivement en s’inscrivant progressivement dans les habitudes de pensée et en les renouvelant. Le vieux style technologique poursuit sa route tandis que le nouveau apparaît et prend une place plus ou moins grande sur un rythme plus ou moins rapide, selon l’aptitude de la matière qui fait matrice à inclure de nouvelles formes de raisonnement, selon l’aptitude de la théorie scientifique correspondante à fournir des outils de compréhension. Des strates de savoirs se forment alors dans la matière enseignée. Leur présence, analysable, repérable, légitime la notion d’archéologie du savoir technique en même temps qu’elle aide à comprendre combien la notion de science unifiée de l’industrie ne pouvait être à ce moment qu’un horizon de pensée.
20Pour être efficace, l’enseignement dans une école dédiée à la formation de cadres pour l’industrie ne pouvait faire l’économie des connaissances appartenant aux couches les plus anciennes du corpus technique. Je dis : anciennes et non archaïques, tant l’élaboration de ces savoirs est évidente, bien qu’ils ne reposent pas sur la mathématisation, tout juste sur le calcul et la géométrisation. Ce vieux style technologique, auquel nous avons la chance d’accéder par le biais de ces cours, se caractérise par trois grands procédés, trois manières de faire complémentaires : une description ordonnée autour du processus ; la constitution par sédimentation d’une bibliothèque de situations et de modes opératoires ; la validation a posteriori des procédés mis en œuvre. Nous les retrouvons à l’œuvre tout particulièrement dans les cours de préparation mécanique – encore appelée minéralurgie – et de métallurgie.
21Envisageons la description des processus d’abord. C’est un apport essentiel de l’œuvre d’Hélène Vérin d’avoir fait comprendre qu’à côté de la différence entre « empirisme » et « scientifique », antagonisme réifié par le positivisme, il existe une autre différence non moins structurante dans la constitution des savoirs de l’ingénieur – et de l’intelligence technique en général – entre « sensible » et « intelligible ». N’est-ce pas de la tension entre ces couples de forces qu’est née la science expérimentale ? Pour juger de la valeur du produit ou du bon fonctionnement des procédés et donc pour « agir dans l’intelligible », l’élève apprenait à « penser dans le sensible », c’est-à-dire à mettre en œuvre une sorte d’examen clinique du matériau ou du procédé, qui permettait de décider de sa qualité ou de son déroulement en faisant jouer les impressions procurées par le visible et/ou le palpable. Dans cette phénoménologie avant la lettre, un bon métallurgiste devait savoir palper, observer. Mais ne nous méprenons pas. L’approche, toute pragmatique qu’elle fût, prenait largement ses distances avec l’empirisme. Le souci de rationalité se dénote à l’emploi de termes consacrés, normés. Aucun mot n’est employé au hasard. Et le protocole de description était parfaitement fixé, qui allait de l’inerte au dynamique, qui partait des qualités apparentes inertes du matériau ou de l’outil, et s’achevait par ses qualités dans le travail. C’est ainsi qu’est défini le charbon de bois :
« le charbon de bonne qualité est léger, moins dense que l’eau, sonore, cassant sans être friable, à cassure brillante et conchoïde, peu tâchant, d’un noir parfait, il doit se consumer lentement sans flamme ni fumée. Les fumerons sont grisâtres, ils ont un aspect ligneux, brûlent avec flamme et fumée. Les charbons brûlés sont d’un noir mat, tachant, sans son, ressemblant à la braise de boulanger qui, à Paris, ne vaut que le 3/8 du bon charbon » (M, p. 10).
22Ou encore le coke :
« Le coke pour être bon est d’un gris métallique, il n’a pas d’aspect vitreux, il est peu tâchant, dur, sonore, poreux ordinairement. Celui qui provient de houilles grasses offre un aspect coulé, d’autres fois une apparence de choux-fleurs. Quelques uns sont pesants, sans porosité bien prononcées. Il brûle moins facilement que la houille, surtout celui qui provient des houilles maigres » (M, p. 17).
23Il en allait de même pour la métallurgie, encore que ce fût avec davantage de modernité parce que c’était une science en cours d’édification, marquée par sa double origine, intellectuelle du côté de la chimie, artisanale du côté du travail des métaux. De fait, le cours qui l’enseigne occupe une strate intermédiaire entre la pratique théorisée par la mise en situation telle qu’on la rencontre dans le cours d’exploitation des mines ou de préparation mécanique et la théorie des procédés telle qu’on la rencontre dans le cours de construction. Tantôt les énoncés y sont de type « culinaire » avec toutefois une insistance sur l’expérience qui éloigne et protège d’un excès d’empirisme :
« Le fer s’aigrit en général par le battage à froid. Mr. Culman rapporte à ce sujet des expériences d’où il conclut que 1° le fer nerveux […] battu à froid ou au rouge naissant dans le sens de la longueur de l’enclume devient aigre, perd tout son nerf… 2° ce fer écroui, chauffé au rouge naissant et battu ensuite, reprend son nerf si on le place en travers de la paume de l’enclume ; il le perd de nouveau si, pour le parer, on achève le forgeage dans la longueur de la paume. 3° le fer qui a perdu son nerf par le martelage à froid le reprend en partie par un fort recuit poussé au-delà du rouge cerise au rouge clair ; 4° enfin du fer très médiocre peut acquérir du nerf placé en travers de la Paume étroite de l’enclume à froid ou au rouge naissant, mais il perd ce nerf, puis devient très fragile. » (M, p. 35)16.
24Tantôt – c’est-à-dire dès que cela est possible – les matériaux sont présentés à partir de leurs qualités physico-chimiques. Ainsi, le fer :
« D’après Rinman, le fer se dilate de la température ordinaire au blanc de 1/560, l’acier de 16/560 et la fonte de 12/560 et pour arriver du rouge naissant au blanc 3/560, 4/560, 5/560. Le fer entre en fusion à la température la plus élevée de nos forges de laboratoire, 158° pyrométrique. Il est regardé comme infusible dans les arts » (M, p. 35).
25Ou les vents :
« La quantité de vent est aussi très variable, beaucoup plus faible pour les petits que pour les grands fourneaux […] dans les hauts-fourneaux au coke, on donne au moins 50 m3 par minute ; Mr. Karsten pense qu’on ne devrait jamais en donner moins de 62 ; à Terre-noire, on donne 60 m3 environ ; en Angleterre, dans les fourneaux ordinaires, donnant 60 tonnes de fonte par semaine (ce qui est la moyenne des productions ordinaires) on donne de 100 à 110 m3 par minute… » (M, p. 56)17.
26Signe de la jeunesse théorique, les deux sortes d’énoncés, celui se rapportant au sensible et celui se rapportant à l’intelligible, se surimposent sans véritablement interférer. On a là deux formes de savoirs juxtaposés, avec en leur centre un manque, ces outils intellectuels qui donneront au métallurgiste de la fin du siècle les moyens de fonder la métallographie. Le professeur, au fait du manque et obligé de composer avec lui, loin de détruire un énoncé par l’autre, travaille bien plutôt à les mettre en résonance en multipliant les preuves, les référents scientifiques.
27Constituer une bibliothèque de situation, c’était mémoriser les diverses sortes de procédés de manière à pouvoir les mobilier en temps utile, sur le terrain. Au cœur de ce processus, on trouve l’image. Matérielle ou mentale, elle domine dans l’énoncé des processus. Entendons bien image, et non figuration, si tant est que « figurer, c’est composer des formes symboliques dans un espace spécifique18 ». Il existe au demeurant une symbolisation des espaces productifs, mais en ce cas précis, elle est totalement absente, ce qui est logique au regard de l’histoire. Car la « rupture de style » comprend l’évacuation – il serait plus exact de dire le refoulement – de cette symbolisation aux termes d’un processus qui débuta dans le milieu du xviiie siècle. Par contre, l’invitation à l’observation, sur le terrain et par l’intermédiaire de la littérature technique, est très présente. Rechercher l’information, juger et apprécier, éventuellement modifier : la démarche est constamment rappelée. Les professeurs insistent de manière à ce qu’elle se fixe dans les esprits et les structure.
« Au reste, la préparation mécanique des minerais, l’une des parties les plus importantes de l’art des mines, doit être étudiée en voyant des établissements bien construits et des plans d’établissements. Le but de chaque opération étant bien apprécié, on pourra prévoir dans les nouveaux qui pourraient se présenter, ce qui sera le plus avantageux » (PM, p. 20).
28L’élève était introduit mentalement dans l’atelier et recevait la description directe de ce qui s’y trouvait, en même temps qu’il apprenait à porter le regard là où il convenait. Car entrer dans un atelier de cassage, c’était être submergé par le bruit, la poussière, la boue, le spectacle de l’eau coulant dans les rigoles, c’était voir des hommes et des enfants en nombre parfois important disposés un peu partout et cassant des pierres au marteau. Comment apprécier spontanément l’ordonnancement, juger de l’efficacité ? Invariablement dans les énoncés qui mettent en scène de tels ateliers, la description prend pour fil directeur, le trajet du minerai.
« Le minerai est classé d’abord suivant son espèce, quand la mine en fournit de plusieurs espèces différentes, comme cela arrive souvent. Les morceaux de chaque espèce sont ensuite classés suivant leur degré de richesse et aussi suivant la manière dont ils sont engagés dans la roche stérile » (PM, p. 1).
29L’élève apprenait ainsi que les gros morceaux étaient cassés par des hommes « qui se servent pour cet usage de masses ou marteaux munis d’un long manche semblable à ceux dont on se sert pour casser les pierres sur les grandes routes » ; que le minerai riche en matière précieuse, était envoyé au banc de cassage, où travaillaient les enfants : « habituellement adossé au mur de l’atelier, ce mur doit être percé de nombreuses fenêtres pour éclaire les enfants qui jettent ordinairement par là les morceaux tout à fait stériles ». On lui inculquait alors les modes de paiement que rien ne dissociait de la gestion et de la discipline : « Les casseurs doivent être payés à la tâche et non à la journée et surveillés avec soin pour qu’ils apportent à leur travail une attention qui n’est pas fort naturelle à leur âge ». Puis la description reprenait : « quand le minerai est moins précieux, l’opération se fait par terre […] ce dernier cassage est quelque fois exécuté par un martinet qui frappe sur une enclume posé à fleur de terre » (PM, p. 2.). Tout compte, y compris certains détails que nous jugerions triviaux : « Si les morceaux sont sales et couverts de boue, […] on jette le minerai avec une pelle contre des claies semblables à celles dont on se sert pour passer le sable et en séparer le gros graviers ».
30Nous sommes là aux sources du raisonnement qui amena Le Normant à proposer de faire de la technologie, la science des opérations industrielles. Cette succession d’immersions mentales dans les divers procédés autorisait une lecture immédiate de la pratique, la perception de sa dynamique, ce pourquoi d’ailleurs la mécanique pouvait être et fut l’outil de pensée adéquat, le pont conceptuel grâce auquel la science moderne pénétra dans l’atelier industriel19. Prenons pour exemple, le cours de préparation mécanique, de tous les savoirs le plus ancien et le plus fixé. La chaîne opératoire sert de structure d’appréhension au niveau d’ensemble, qui était, pour la préparation mécanique, la succession triage/cassage/débourbage/bocardage/lavage : c’est elle qui donne son plan au cours. Mais comment passer du général au particulier, de la dynamique d’ensemble à la succession des opérations particulières ? La complexité des opérations – et le fait que souvent elles se déroulaient en parallèle – rendait impossible une approche de l’élémentaire au complexe. L’énoncé s’en tient donc à la visualisation, et passe du statique au dynamique en prenant pour fil directeur le changement d’état du minerai, qui justifiait le passage d’une opération à l’autre, de manière à faire comprendre la « marche à suivre » (PM, p. 19).
31La description de chacune d’entre elles adopte majoritairement un protocole qui débute par la présentation de l’appareil. Ainsi, la présentation du crible cylindrique : « AB est un tonneau en fer dont les deux fonds A et B sont fermés, mais dont les douves latérales laissent entre elles des intervalles proportionnés à la grosseur du minerai à traiter (fig. 9) » ; celle du crible à gradin : « Les cribles inclinés en sens inverse AB, EF (fig. 11) sont suspendus à des chaînes de manière qu’on peut leur imprimer un mouvement d’oscillation » ; ou encore celle du bocard à sec : « Un bocard à sec se compose comme un bocard à eau, de batteries de pilons maintenus par des montants verticaux CD et des moises horizontales (fig. 15) ». La deuxième phase du protocole consiste en la présentation de la mise en fonctionnement de l’appareil : « Ce tonneau tournant sur un axe en fer, on peut imprimer ce mouvement de rotation soit par le moyen d’une manivelle, soit par une roue hydraulique » ceci pour le crible cylindrique ; « On lui imprime un mouvement d’oscillation qui agite le minerai que l’on charge sur le fond supérieur AB », ceci pour le crible à gradins. Le protocole poursuit avec la présentation des résultats : « Le menu passe à travers le crible tandis que les gros morceaux restent dans l’intérieur » (crible cylindrique) ; « On forme en général 3 classes, savoir : le stérile, qui est rejeté ; le massif propre à la fonderie ; le minerai très riche » (crible à gradins). L’énoncé s’achève par la présentation des référents lorsqu’ils existaient et par une discussion c’est-à-dire une appréciation portée sur le procédé et sur les procédés de substitution, à partir de quoi l’élève apprenait à employer l’outil avec raison et à juger de la qualité de l’opérateur. Ainsi le crible cylindrique : « Ce crible […] est assez bon quand on a peu d’eau à sa disposition, il est employé à Chessy pour le débourbage du minerai de cuivre carbonaté ». Et le crible à gradins : « À Poullaouen, département du Finistère, on débourbe le minerai […] en le plaçant sur une grille horizontale nommée grille anglaise […]. En Hongrie, on emploie plusieurs grilles de différentes grosseurs disposées en gradins » (PM, p. 3-5 pour les cribles, 5-7 pour le bocard).
32C’est donc par ce travail de présentation et de mise à disposition des modes opératoires en vigueur, que l’élève constituait sa bibliothèque mentale de situations, depuis les plus archaïques jusqu’au plus récentes. Inutile de chercher dans ces cours, quelque appréciation négative sur la « routine » des ouvriers ou des entrepreneurs, ils n’en contiennent pas. Les modes opératoires les plus anciens étaient montrés, décortiqués au même titre que les plus neufs, ils étaient parfois réfutés, mais en aucun cas, ils n’étaient brocardés ou gommés. Cela vaut pour la métallurgie, où le travail au bas-foyer est présenté et étudié ; cela vaut aussi pour le cours de préparation mécanique, où sont décrites les ancestrales « tables à toile » qui servaient à trier les sables aurifères. Donnons trois explications à cette manière de faire. En premier lieu, les méthodes les plus anciennes correspondaient assez souvent à des installations fixes relativement simples et peu coûteuses. Néfastes à grande échelle, elles faisaient figure de solutions possibles, transitoires, pour les exploitations débutantes ou temporaires ; il était donc de bonne économie de les connaître. Ensuite, si chacun des procédés est présenté en situation, s’il est repéré géographiquement, en Hongrie, en Piémont, en Corse, dans les Pyrénées, etc., c’est parce qu’ils existaient encore, qu’ils continuaient d’avoir cours. Les jeunes ingénieurs, directeurs ou gardes-mine, frais émoulus de l’école, étaient susceptibles de les rencontrer et ils devaient être en mesure de les apprécier, de les amender au besoin. D’où il résulte que les cours de préparation mécanique et de métallurgie offrent à l’historien et à l’archéologue un état des lieux, une photographie des techniques en vigueur à ce moment où l’industrialisation commençait seulement à recouvrir les vieux modes opératoires. Enfin, ces vieilles façons de procéder servaient de repoussoir. C’est à partir de leurs « vices » et de leurs défauts que l’amélioration était appréhendée et l’appareil nouveau présenté. Le cas est patent pour les « tables à toiles » dont la présentation sert à introduire les « tables à secousses » que le cours donne pour innovation importante, par opposition aux techniques anciennes et défectueuses.
« On se sert en Hongrie pour enrichir les sables aurifères de tables inclinées recouvertes de toiles. […] (fig. 30). […] Dans le nord de l’Italie, en Piémont, on a substitué aux tables à toile de la Hongrie des tables couvertes de rainures. Je crois que dans les lavages d’or, de platine, etc., […] les tables à secousses que je décrirai à la fin de la leçon auraient de l’avantage sur les tables à toile de la Hongrie et du Piémont » (PM, p. 12).
33La vérification a posteriori dominait le développement technique et scientifique. La science n’avait encore qu’une prise limitée sur le processus de production. Comment anticiper sans disposer d’une explication adéquate et pertinente des phénomènes physiques ? Les points aveugles étaient multiples et pour une bonne part répertoriés. Un exemple parmi d’autres, l’orpaillage : « un ouvrier exercé peut séparer des sables au 1/500 000 d’or. L’analyse chimique ne présente pas une aussi grande exactitude », est-il observé dans le cours de préparation mécanique (M, p. 37). Les plus impressionnants de ces vides théoriques – en tout cas les plus voyants – étaient la géologie des gisements, une hypothèque sur le devenir des exploitations qui commencera à se lever dans les années 1830-1840 ou encore la chimie de la fonte et de l’acier, un sujet qui sera travaillé tout le siècle et plus encore après la découverte du procédé Bessemer. Pour ce dernier point, le cours affirme clairement l’incertitude :
« Suivant M. Karsten, ce n’est pas dans la quantité de carbone seulement que les trois états du fer diffèrent entre eux, mais dans le mode de combinaison de ce carbone (voir pour plus de détails, son mémoire Annales des Mines, tome 9, p. 567) […] Il en conclut que dans ces derniers (fonte blanche et acier) le carbone est à l’état de carbure de fer combiné dans toute la masse, tandis que dans la fonte grise, il y est à l’état pur cristallisé et disséminé mécaniquement […]. L’expérience suivante paraît confirmer l’opinion de M. Karsten » (M, p. 37).
34Le doute était donc de l’apprentissage. Le terme « ordinairement », toujours présent, sans cesse répété, balise systématiquement les énoncés professoraux, relativise l’information et donne à l’interprétation toute la marge souhaitable. La tolérance aussi était de rigueur, au nom de l’indispensable pragmatisme et de la pédagogie. Ainsi, l’analyse chimique pouvait précéder l’étude morphologique ou la suivre en complément :
« Au reste les analyses d’une houille ne suffisent pas pour en constater le bon emploi : on y parvient surtout par les essais directs, calorifiques bien entendu. À ce sujet, Mr. Karsten, dans un mémoire intéressant sur les combustibles, a divisé les houilles en trois classes principales d’après leur coke qui se présente sous la forme pulvérulente ou frittée ou boursouflée. Il est parvenu à établir une relation entre les caractères physiques des houilles et de leur coke et la composition chimique de ces houilles. [et] Par suite, les usages auxquels elle est le plus ou moins propre dans les arts en général » (M, p. 14-15).
35Les métallurgistes, qu’ils fussent savants ou praticiens, ne hiérarchisaient qu’avec précaution. Hiérarchiser, exclure a priori, eut été dangereux en raison de l’incertitude qui environnait les produits et les modes d’analyse. L’essai préliminaire servait évidemment à réduire cette incertitude mais, à ce moment, on en usait en multipliant les protocoles car l’époque était au tâtonnement, non à l’imposition de formes prédéterminées. Faute d’une chimie industrielle performante à laquelle d’ailleurs ils travaillaient assidûment, les métallurgistes avaient pour seule validation l’analyse des résultats et pour lieu de cette analyse, l’économie. Ce pourquoi leur pensée était au premier chef, une pensée économique. Et c’est bien ainsi que Jabin débute son cours (c’est lui qui souligne) :
« La minéralurgie consiste à retirer en grand des productions du règne animal les diverses substances appropriées aux besoins de l’industrie. Ses procédés participent de la chimie pour la théorie et de la mécanique pour la pratique. La Métallurgie qui n’est qu’une branche de cette science a pour but d’extraire les métaux des diverses minerais et de préparer les composés métalliques. La Métallurgie est donc de la docimasie en grand ; celle-ci fait connaître l’analyse complète des minerais, opère sur une petite masse, emploie des appareils commodes, des réactifs sans s’occuper de l’économie des moyens qui donneraient une séparation moins parfaite. La métallurgie au contraire, doit toujours avoir en vue l’augmentation de la valeur commerciale de la matière traitée, il ne peut employer que les agents et procédés économiques et ne cherche à obtenir que les parties qui lui présentent quelque bénéfice ; aussi n’emploie-t-il le plus souvent que la voie sèche et ne se sert-il de la voie humide que pour s’éclairer sur la nature des matières » (PM, p. 1).
36Tout de fait s’ordonnait à partir de la dynamique économique, élément butoir de l’analyse pour juger de l’adéquation du procédé aux résultats. C’est ce qui donna naissance à la comptabilité technique dans les opérations de préparation mécanique :
« Les opérations de la laverie exigent une attention continue de la part du Directeur et du préposé qui en est directement chargé. Tous les produits doivent être soigneusement examinés afin de reconnaître si l’on perd du minerai et si ces pertes peuvent être évitées. Les registres des opérations doivent être tenus avec un soin extrême par le maître laveur, pour pouvoir se rendre compte avec précision de l’effet produit par les changements que l’on introduit quelquefois dans le système général de lavage » (PM, p. 20).
37L’obligation était porteuse de science, car elle légitimait par avance le recours à l’expérimentation. Il y eut donc, dans la métallurgie, passage de la vérification par le résultat produit, sa valeur économique à la vérification par l’expérience, qui autorisait le retour sur l’économie, après que soit intervenue la modification technique. La puissance heuristique de ce changement était certaine qui offrait l’énorme avantage de sortir l’analyse de l’approche locale. La vérification par l’expérience, même sous sa forme la plus élémentaire, savoir les tentatives réalisées « en grand » dans les divers sites et usines20 pour apprécier le comportement de nouvelles formes de combustibles, de nouvelles sortes de minerais, etc., impliquait cette approche plus abstraite, une amorce de modélisation, élargissait de fait la bibliothèque mentale de procédés, de situations, de protocoles. Partant, elle était facteur d’innovation. Voici, à titre d’exemple, comment est abordé le « choix du procédé métallurgique » :
« Il doit être basé sur le traitement qui a le mieux réussi dans d’autres usines sur des matières analogues. On aura donc autant que possible les dessins et données des divers appareils qu’on y emploie. Ce n’est que par la suite qu’on perfectionnera, modifiera, changera même tout à fait les procédés, et pour cela il faut bien connaître les diverses méthodes même médiocres : ce sont autant d’expériences dont on peut souvent trouver des applications partielles ; et comme les expériences en métallurgie sont coûteuses, il ne faut pas ignorer les essais déjà tentés » (M, p. 1-2).
38Travailler d’abord par la pensée, dans l’intelligible donc, enserrer de cette manière le sensible étaient les recommandations premières. On retrouve ici la manière de faire d’un Fourneyron. Mais au-delà, plus simplement et pour les moins doués, fréquenter les grands auteurs, apprendre à mettre en forme les énoncés, vocabulaire, tableau, mise en forme du discours, etc., était indispensable pour que s’accomplisse le passage du local au général.
Houille, cames et ponts suspendus
39Si l’on prend pour postulat que la pensée de l’ingénieur est par essence une pensée qui met en œuvre l’esprit scientifique pour agir et inférer sur l’action, alors la question n’est pas celle de l’introduction de la science dans la pratique ; elle est celle de la modification de son champ d’application, c’est-à-dire de l’application à l’atelier industriel et du renouvellement du discours et des pratiques à mesure que se renouvelait l’esprit scientifique, à mesure que progressait son efficacité à agir sur les matériaux et les procédés. Ce rendez-vous là n’a pas été raté par les ingénieurs-professeurs de l’École des Mineurs. Formés au meilleur de l’esprit scientifique, Jabin pour la métallurgie, Marrot pour la construction, Fénéon pour la géologie ont su distiller les nouveaux modes de pensée au sein de l’enveloppe traditionnelle qui vient d’être décrite. Pour cela, ils prirent appui sur les autorités : le Traité de métallurgie de Karsten que Jabin cite à l’envi ; le Résumé des cours donnés par Navier à l’École des Ponts et Chaussées que Marrot recopie sans prendre la peine de le signaler ; les travaux d’Elie de Beaumont, Brongniart et Fourrier que Fénéon donne pour référents essentiels de son cours de géologie.
40Mais c’était une manière de faire aussi. Excellent professeur de métallurgie, Jabin associe autant qu’il le peut science et expérimentation, et amène ainsi ses élèves à en user pour d’autres fins que pour le contrôle et l’expertise des procédés. Voici par exemple, comment il traite de l’« Évaluation et [de la] comparaison des divers effets des combustibles », point crucial, on s’en doute, de toute opération métallurgique. Son premier souci est de donner un socle à la pensée, en l’occurrence la présentation du procédé calorimétrique destiné à faire référence. L’énoncé s’en fait en trois étapes. D’abord, le procédé princeps est posé : « on prend pour unité de calorique celle qui fait varier d’une unité centigrade par poids d’eau égal au combustible employé […]. D’après les expériences faites dans un instrument très sensible appelé calorimètre, Lavoisier a trouvé les résultats suivants (suit le tableau) ». Juste après, deux contre-épreuves sont mises en scène, la première dans un autre calorimètre : « Mr. Clément au lieu de 95 a trouvé 70,50, mais dans un appareil différent. D’après cela, pour connaître l’effet utile qu’on en retire, il faudra le comparer à ces expériences calorimétriques […] », la seconde avec un fourneau de type industriel : « Dalton, dans un fourneau évaporatoire bien construit vaporisait par kilo de houille ou de charbon de bois 45,00 d’eau au lieu de 70,50 qu’indique la théorie. […] » (M, p. 17-18). Puis l’ingénieur établit des résultats, du moins lorsque cela est possible en prenant soin de relever le flou quand il existe. Car là était toute la difficulté du pédagogue, convaincre, persuader alors que la démarche ne fournissait pas encore de résultats assurés. L’expérience fait preuve à défaut de fournir des certitudes, et pose les bases d’une certitude à venir. Cela vaut pour chacun des combustibles susceptibles d’être employés, du bois sec jusqu’au coke :
« Ainsi Rumfort a trouvé que dans un foyer ordinaire, 1 de bois sec peut vaporiser 5 d’eau […]. Des expériences faites à Rheims avec beaucoup de soin, ont donné dans un fourneau évaporatoire les mêmes résultats avec 1 kilo de houille et 3 de tourbe mousseuse […]. Le charbon de bois, d’après les expériences du calorimètre équivaut en poids à l’effet de la houille […]. Le charbon de tourbe aux forges de Creutzbourg a obtenu les mêmes avantages que celui de bois en poids égal […]. Enfin, si on compare au charbon de bois le coke qui paraît n’en différer que par sa structure et ses cendres, d’après Karsten, on admettra que, etc. » (Ibidem).
41Mais il était un autre problème pédagogique. Dans ce flou, dans cette indétermination, comment être directif ? Jabin use sans hésiter de principes, de règles édictés, une manière qu’on ne trouve pas chez un Gabriel Jars, mais qu’un Bélidor réclamait dans son Architecture hydraulique et que les historiens anglo-saxons repèrent chez un Smeaton. Pour E. Layton, qui a observé de près la construction de la technologie aux États-Unis, ces règles et principes étaient le germe d’une nouvelle science technologique du fait que ce n’était ni des lois de nature, ni des lois obtenues d’une déduction logique à partir de la mécanique21. Ne rejoint-on pas par ce biais les soucis de théorisation d’un Borgnis ? L’établissement de ces maximes est une constante du cours. L’« Évolution et comparaison des divers effets des combustibles » en fournit donc, qui étaient autant d’aides à la prise de décision. Par exemple, à propos de l’équivalence houille/bois sec :
« […] Rumfort a trouvé que dans un foyer ordinaire 1 de bois sec peut vaporiser 5 d’eau. Mr Clément trouve que 1 K de houille en vaporise 10. Dans les verreries également, il faut un peu moins de 1 de houille pour remplacer 2 de bois sec en poids. Lorsque le bois est très sec (à l’étuve), 1 K de houille équivalant à 170 de bois dans les verreries et fourneaux à réverbères. Rumfort dans le cas de bois très sec trouve aussi 7 d’eau vaporisée au lieu de 5. Ainsi en général, 1 K de houille équivaut à 2 de bois sec » (Ibidem).
42Remarquons que le principe vient en conclusion, comme s’il s’agissait d’une démonstration, alors même que la collection d’expériences qui précède le contredit. C’est que l’accord se fait alors sur le terme « en général », le principe correspondant au moyen terme que fait émerger la succession d’expériences. L’équivalence houille/tourbe fonctionne de manière identique sauf que Lavoisier, cette fois, suffit à faire référence : « Ce rapport d’accord avec les expériences de Lavoisier peut être admis comme général bien qu’il soit variable avec les diverses natures de tourbe, car quelquefois il faut 6 K de tourbe médiocre dans quelques localités, au contraire, volume égal ». Il en va de même pour l’équivalence houille/charbon de bois : « Le charbon de bois, d’après les expériences du calorimètre, équivaut en poids à l’effet de la houille ; la pratique confirme pleinement ce résultat ». Et pour l’équivalence charbon de bois/coke, dont le référent, cette fois, est Hassenfratz :
« on admettra que pour les traitements des minerais et fontes de fer dans des fourneaux à cuve, il faut en général 1 de coke contre 2 de charbon de bois en volume et 3 de coke contre 2 de charbon de bois en poids. Cette différence tient sans doute aux cendres du coke plus abondantes et plus réfractaires et à la compacité du coke. M. Hassenfratz est parvenu aux mêmes conclusions en comparant les données de diverses usines à fer, toutefois ces résultats ne sont pas absolus » (Ibidem).
43La leçon donnée était double, en définitive. En insistant sur la nécessité de développer des procédures scientifiques, seules susceptibles d’aboutir à des principes fiables pour la pratique, c’est-à-dire, pour la prise de décision dans l’atelier, le professeur incitait ses élèves à produire des « théories locales ». Mais ce faisant, il leur montrait la manière d’arriver à ces principes, et par conséquence, il développait chez eux le besoin d’une pensée expérimentale, seule capable de leur donner l’autonomie de pensée nécessaire.
44L’approche des procédés de préparation mécanique se renouvelait aussi sur un mode scientifique, en prenant appui sur la géométrie et la physique, qui s’accordaient remarquablement avec la vieille matrice de pensée. L’expression géométrique, par exemple, est partout et ses vertus sont nombreuses. Elle sert à construire et à modifier, à comprendre le fonctionnement des engins. Ainsi, dans la « fondation du bocard » :
« On détermine par le procédé suivant la longueur du mentonnet ainsi que la forme de la came. Soit AC la section par un plan vertical de la face antérieure de la flèche ABCD. Soit O la trace de l’axe de l’arbre des cames sur le même plan et OK le rayon de l’arbre ; menant par le point O la ligne horizontale OLM on prend à partir du point M une longueur MG égale à la plus grande levée du pilon. Puis du point O comme centre et d’un rayon un peu plus petit que OM on décrit la circonférence SR, cette circonférence SR est celle que décrit l’extrémité de la came laquelle doit demeurer assez distante de la face antérieure de la flèche pour qu’elle ne vienne jamais frotter contre elle. Menant par le point Q la ligne horizontale QE jusqu’à la rencontre de la circonférence SR, QE est la longueur du mentonnet. (fig. 23) etc. » (PM, p. 922).
45Le calcul était à l’installation d’une machine ce que l’expérimentation était à la connaissance du comportement des matériaux. C’était le meilleur moyen de sortir l’enseignement de l’énoncé de situations et de procédés et de pousser l’élève-ingénieur à s’intéresser à la détermination d’engins dont la construction relevait traditionnellement de savoirs faire différents du sien. Ainsi, la détermination géométrique de la forme de la came. L’explication qui en est fournie tient en apparence du jeu de l’esprit, puisque cette pratique séculaire relevait de la compétence du charpentier hydraulique23 ; le mineur n’avait donc nul besoin de la connaître. À ceci près toutefois que la pratique s’en développait avec la multiplication des machines dans les ateliers de préparation mécanique, dont l’un des grands problèmes était le coût en main d’œuvre. À ceci près encore que les établir par le calcul libérait l’ingénieur du savoir-faire de l’artisan, et que cela autorisait le changement de matériau, le passage du bois à la fonte ou au fer :
« Les cames sont en fer, en fonte ou en bois. Le plus souvent en bois, on préfère le hêtre. […]. Les flèches de pilon sont faites en mélèze ou en hêtre ; elles doivent être très droites et absolument sans nœuds. Il est assez difficile d’avoir des pièces de bois droites. Aussi il est probable qu’on finira par remplacer les flèches en bois par des tiges rondes en fer forgé ce qui présenterait des avantages très marqués » (PM, p. 18-19).
46Dans le même ordre d’idées, Jabin s’appesantit sur l’installation des machines soufflantes, une des rares endroits en métallurgie où les compétences physiciennes de l’ingénieur étaient sollicitées. L’exemple était particulièrement probant pour prouver l’utilité du calcul, l’aptitude qu’il offrait de s’abstraire du contexte, des contraintes imposées par les situations locales :
« Problème. Les expériences faites sur ce genre de machines mettent à même de résoudre quelques problèmes sur leur établissement. 1°) étant donné un cours d’eau (h, hauteur de la chute N le nombre de mètres cubes par seconde) on demande quel volume de vent on peut se promettre ; la pression h à laquelle l’air doit sortir étant déterminée par le combustible et la nature de l’opération. On posera d’après les résultats précédents E = 1/6 NC et mettra à la place de E son expression e = buhd ou u : racine carrée de h (1+0,004t)/H + h. On en déduira la seule inconnue b qui portée dans l’expression de V répond à la question. 2°) déterminer le diamètre de la buse propre à chacun des feux de manière à ce qu’il lui revienne une quantité d’air voulue. On le déterminera en substituant à V, la valeur correspondant à la quantité d’air demandée ; on aura b pour chaque feu. 3°) la quantité d’air et sa densité connues ainsi que le nombre de feux à servir, déterminer les dimensions de la machine soufflante ; d’après les résultats ci-dessus d’expérience, il faudra que bln = 2V B, base du piston, n, nombre de coups par minute ; ordinairement, on admet 25 à 30 pour les pistons à liteaux, l levée du piston qu’on fixe ordinairement à 2 pieds 1/2, la hauteur du piston étant ordinairement 3 pieds ; B sera donc déterminé » (M, p. 25-28).
47Au total, le calcul déterminait l’installation. Pour arriver à ce résultat, Jabin s’appuie sur les connaissances acquises par les élèves tout particulièrement en « physique pratique des cames ». Non sans leur avoir auparavant expliqué comment calculer l’effet des machines soufflantes :
« […] Donc l’effet d’une machine soufflante est égal au poids de l’air lancé multiplié par la hauteur qui déterminent la vitesse par 1’’ de cette masse gravitant. Or cette hauteur h’= u2/2g (d’après u = racine carré de rgh’ (fixé précédemment par la démonstration) donc l’effet ou nombre de kilog. élevés à 1 m par seconde est représenté par… E = u2/2g. C’est-à-dire est proportionnel à la masse d’air mise en mouvement et au carré de la vitesse, ce sera donc une force vive. Ce résultat étant indépendant de la capacité et de la forme des machines soufflantes, convient donc à toutes » (Ibidem).
48Non sans avoir discuté la notion d’effet utile : « Cet effet serait l’effet utile, si dans la machine, il n’y avait aucune perte et si cet air n’éprouvait point de résistance en passant par le porte-vent ; il en est autrement, de sorte que l’effet utile exprimé par la formule précédente se rapporte à l’air sortant réellement par la buse ». À partir de quoi, il déduit une série de principes, où il apparaît que le calcul sert aussi à rendre l’énoncé irréfutable (c’est l’auteur qui souligne) :
« Ainsi l’examen complet d’une machine soufflante consiste : 1° à déterminer la force employée à la mettre et maintenir en mouvement ; 2° exprimer les quantités d’air aspirées en mètres cubes par seconde ; 3° exprimer de la même manière en air atmosphérique celui expiré réellement par la buse. La différence de ce résultat avec le précédent donnera l’air perdu, ainsi que celui non réellement aspiré. 4° trouver l’effet ou effort pour conduire l’air aspiré et le forcer à passer par les porte-vent et par les diverses ouvertures nuisibles qui lui livrent passage. La différence de ce résultat avec 1° donnera la partie de moteur employée à vaincre les résistances autres que celle d’air24 à l’expulsion de l’air ; 5° enfin, l’Effet utile ou l’effort à faire pour faire sortir uniquement par l’orifice de la buse d’air qui réellement y passe la différence de ces deux derniers effets donne l’effet dynamique perdu du passage du réservoir au fourneau » (Ibidem).
49Bien évidemment, le calcul sert aussi à comparer les effets des machines soufflantes. Son rôle, en définitive, dans ces matières dont l’assise était la physique, est identique à celui joué par la multiplication des expériences en chimie : légitimer le principe, donner des outils pour rendre l’ingénieur autonome dans sa pratique. Il résultait de ce renouvellement par l’intérieur de l’intellection technique, une maîtrise plus grande des contingences spatiales et matérielles. À la question : que mettre dans son fourneau, quel combustible, quel fondant ? La réponse n’était plus inévitablement : le plus proche, ou le mieux connu localement. Elle était aussi : celui dont l’efficacité avait été prouvé par les expériences faites dans des conditions analogues aux conditions présentes. Ceci dit, l’idée selon laquelle il était possible, et même important, de penser en termes de combustible approprié au type de matériau à produire et pas seulement de combustible disponible, précéda la réalité. Il manquait au pays, pour sa réalisation effective, un réseau de transport adéquat. Indiscutablement, l’enseignement contribua, par un effet retour, à en accroître le besoin.
50L’abstraction par rapport aux conditions imposées par le terrain était en route, c’est-à-dire qu’elle était enseignée, instillée dans les esprits. Ce fut le cas aussi pour l’abstraction par rapport au temps, ce qui démontrait à sa manière le cours de construction. Car l’exemple éponyme de cette libération était en ces années le pont suspendu, et ce n’est pas la moindre des leçons que recevaient les élèves. Elle s’en effectuait à partir de trois exemples qu’on leur donnait avec détail : le pont de Jarnac, le pont d’Argentat en Corrèze, le pont de la Feuillée, construit à Lyon en 182725. Les élèves pouvaient en vérifier de visu l’élégance, après avoir appris ce qu’il en avait été du chantier : la facilité de la pose, la simplicité et la brièveté des travaux, tout cela parce que les calculs avaient été posés et bien posés. De fait, les récits de construction sont entièrement placés dans le registre de la facilité.
« Au pont de Jarnac, composé d’une seule travée de 70 m d’ouverture et destiné au passage des voitures, on put aisément établir au milieu de la rivière un échafaud […]. Il fut alors facile de pousser… des révolutions de fils de fer égales aux brins dont les cables sont composés […] ; les points où l’on devait placer les suspensoirs ayant été marqué d’avance, […], et ces faisceaux ayant la première des deux formes que nous avons indiquées ; des hommes marchant alors sur les grands câbles les placèrent aisément » (C, § 396).
51L’indication est capitale pour l’ingénieur : le temps passé l’est moins sur le chantier que dans le bureau, à la table de calcul. À Lyon, à en croire l’auteur, ce fut encore plus simple : « par ce procédé fort simple, huit ouvriers ont pu en deux jours, poser les six chaînes qui composent la suspension du pont ». Le travail d’ingénierie est souligné, dont on exalte la scientificité :
« Il est peu de constructions dont les dimensions soient susceptibles d’être calculées avec autant de précision que celles des diverses parties d’un pont suspendu. Il est d’ailleurs absolument nécessaire d’effectuer ces calculs dans chaque cas, si à la solidité qui est une condition indispensable dans tout édifice, on vent réunir l’économie qui est des principaux mérites de ces sortes de construction. Nous ne considérerons d’abord que les ponts suspendus, dans lesquels les points d’attache des chaînes de suspension sont au même niveau, les autres cas se résumant à celui-là comme nous le montrerons. Nous nous bornerons aussi à examiner ceux qui sont formés d’une seule arche ou travées car il est évident que ceux qui offriraient plusieurs appuis résultants de piles élevées dans la rivière ne présenteraient pas de plus grandes difficultés et que chaque travée pourrait être calculée isolément sauf quelques considérations relatives aux supports que nous indiquerons » (Ibidem).
52Par contre, rien n’est dit du coût de l’opération, la référence à l’économie tenant ici du discours convenu. La notion instillée, celle qu’on cherche à rendre accessible, à banaliser, est l’anticipation, à partir d’un exemple limité peut-être, mais spectaculaire et de ce fait susceptible de donner des idées, d’ouvrir la voie. Dans le même temps, l’élève était conforté dans l’habitude qu’il devait prendre de l’expérience de pensée, sans conteste, l’un des arts de l’ingénieur :
« Pour calculer la tension des chaînes, on imagine que toutes les courbes parallèles, quelque soit leur nombre, sont réunies en un faisceau unique qui supporte tout le poids du Pont au moyen de tiges verticales équidistantes horizontalement. Une telle courbe supporterait une tension égale à la somme des tensions des courbes parallèles et par conséquent la section devrait égaler la somme de leurs sections. Cela posé, on peut, sans inconvénients dans la pratique, considérer la chaîne unique comme formant une courbe continue ou comme constituant un polygone aux sommets duquel sont attachées les suspensoirs. L’une ou l’autre hypothèse, bien qu’inexacte, n’entraîne pas d’erreur sensible. Ainsi pour établir la forme du faisceau de suspension, nous pourrons le regarder d’abord comme un polygone. […] » (C, § 397).
53L’anticipation est présente dans les autres cours, celui de Jabin, au premier chef, mais, contrairement au cours de construction, c’est sous forme de traces, d’ébauche, avec de multiples précautions oratoires : « l’on a fait à ce sujet de vains efforts », « c’est ce qu’au reste, on aurait dû prévoir ». Car pour ce qui était de la prévisibilité, les sciences n’en étaient pas au même point.
Comment apprenait-on à innover ?
54La nouveauté… Elle est largement présente dans chacun des cours. À l’exception notable du chemin de fer, toutes les innovations qui ont marqué les années 1820, c’est-à-dire, dans le désordre, la chaux hydraulique, les ponts suspendus, la théorie analytique de la chaleur, la fonte au coke, les débats sur la nature de l’acier entre Karsten et Muller, le mémoire de Cordier sur la chaleur centrale, la théorie géologique de Elie de Beaumont sur le système des montagnes, l’éclairage au gaz, et d’autres encore, sont présentées, analysées, décortiquées, mises à disposition, proposées à l’étude et à l’imaginaire technique. Pour autant, rien n’est donné pour révolutionnaire. Ce qui frappe au contraire, c’est que tout est posé, tout est donné pour naturel, comme allant de soi, y compris les techniques les plus neuves, et donc les plus difficiles à maîtriser. La fonte au coke, par exemple : combien étaient-ils de hauts-fourneaux à fonctionner à ce moment en France – ou à avoir fonctionné, car la crise de 1827-1829 avait été cruelle à la jeune sidérurgie – ? À peine une dizaine, la plupart il est vrai dans les environs de l’École, à Terrenoire, Vienne, ou à La Voulte en Ardèche. Or, tout de leur fonctionnement est énoncé comme allant de soi. Comme si l’innovation n’avait de valeur qu’à condition de disparaître dans le paysage technique, de s’y intégrer sans déranger.
55Il y a là quelque chose d’artificiel, que l’enseignement ordonne parfaitement. L’innovation est enserrée dans un discours, dans une rhétorique qui tend à neutraliser son côté dépaysant, à réduire l’inquiétude qu’elle est susceptible d’engendrer. Le registre scientifique est en la matière un allié précieux ; parfaitement maîtrisé par le professeur et pleinement accepté par les élèves qui n’en attendent pas moins de l’enseignement, il engendre aisément l’évidence. Mais l’énoncé professoral mobilise d’autres modes d’acceptation ou si l’on préfère de facilitation : la narrativité, cette mise en discours, presque une mise en scène, dont nous avons eu un premier aperçu dans l’énoncé sur les ponts suspendus ; et même à certain moment, l’usage du registre esthétique.
56Ce dernier est le plus ténu à percevoir. La présentation des tables à secousses, dans le cours de préparation mécanique, en constitue un exemple parmi les plus tangibles. Dans cet ensemble d’ateliers savamment agencés, de procédés coûteux en main d’œuvre, l’engin faisait figure de nouveauté, parce qu’il autorisait la mécanisation du lavage des boues qu’effectuaient les femmes traditionnellement. C’est une innovation donc, présentée avec toute la discrétion souhaitée, mais avec ce qu’il fallait de référents géographiques pour certifier de la qualité de l’engin et de son adéquation à la tâche :
« Les tables à secousses (Stossheerde) que nous allons décrire ont été employées pour la 1re fois en Hongrie, pour le lavage de schlamms très ténus contenant en fort petites quantité des parcelles de métaux précieux. Elles furent par la suite établies à Freiberg en Saxe où elles remplacent maintenant les tables dormantes ; elles se sont de là répandues presque partout et elles servent avec un très gros avantage pour toute espèce de sable. On estime qu’une table à percussion économise les 4/5 de la main d’œuvre et il est probable que l’économie de main d’œuvre est plus considérable encore pour les schlamms ténus et visqueux que l’on ne parvient que très difficilement à laver sur les tables dormantes. Le lavage se fait mieux et l’on perd moins de schlich, quand la table est bien construite et le travail bien dirigé » (PM, p. 15-20).
57On ne saurait être plus clair.
58Aucune exploitation ne les utilisait en France, où elles n’étaient pas connues. En conséquence, le professeur ne ménage pas sa peine pour les mettre en scène, pour leur donner matérialité dans l’esprit de ses élèves. Les figures abondent. Et le texte occupe les quatre dernières pages des vingt que comprend le cours, manière d’indiquer que la mécanisation était le futur de la préparation mécanique. Mais cela se fait en toute discrétion. Le sujet arrive en incise, presque par association, lors de la description de la préparation mécanique à Poullaouen. Le développement suit, après ce début venu comme par surprise, et le professeur subdivise son énoncé en deux grandes parties intitulées : « description des tables à percussion » ; « description du lavage sur la table à secousses et théorie du lavage ». Venu aussi par association, comme si le recours à la métonymie aidait à créer l’évidence, ce dernier point fait valoir deux séries de grands principes nécessaires à la bonne tenue de l’ensemble, ceux présidant à l’institution de la laverie d’une part, savoir vigilance du directeur et du préposé, examen des produits, tenu du registre ; ceux présidant à l’ordonnancement de l’atelier d’autre part : ordre, fluidité, transports, grande taille, lumière. Le cours s’achève là, sur ces réflexions générales.
59Auparavant, l’ingénieur-professeur a longuement discuté de leur construction et de leur disposition dans l’atelier. Puis, selon la règle, il s’est lancé dans la description de l’opération :
« Pendant que l’eau chargée de sables arrive sur la table, celle-ci est poussée en avant à des intervalles réguliers par le mécanisme décrit. Lorsque la table est poussée en avant, son inclinaison augmente parce que les chaînes de la tête sont plus courtes que celles de l’extrémité, et le centre de gravité de la table s’élève. Quand la came cesse d’agir, la table retombe par son poids contre le bloc (stanchklotz) ; mais l’eau qui couvre la table et qui tient en suspension les molécules les plus légères ne participe pas de suite à ce mouvement rétrograde. Elle continue encore à descendre quoique sa vitesse qui a augmenté pendant que la came agissait, aille en diminuant à partir du moment où elle cesse d’agir ».
60On est là en présence d’un énoncé technique, tout à fait classique. D’un coup pourtant, l’énoncé se brise. L’ingénieur s’arrête, et pour décrire le mouvement de l’eau sur la table, il glisse du registre technique vers le registre esthétique. Le ton devient presque poétique : « Au moment du choc de la tête […] toute la table est ébranlée et entre, si l’on peut exprimer ainsi, en vibration. On voit les molécules qui étaient en repos se soulever, se détacher les unes des autres, la surface de l’eau se ride. Il y a un moment d’arrêt, d’indécision qui dure pendant presque tout le temps qui s’écoule… ». Ce moment passé, le discours retrouve son cours habituel : « … jusqu’à ce qu’une seconde came vienne à agir sur la table ; en effet, la table rebondit contre le bloc de bois en vertu de son élasticité et cet état de frémissement dans lequel se trouve tout le système produit » (PM, p. 18).
61Pourquoi cette rupture stylistique placée exactement au centre de l’exposé ? Pourquoi porter l’intérêt des élèves sur la surface de l’eau alors que ce qui compte, c’est le choc de la table, et la qualité de son mouvement ? Pour marquer cette qualité précisément, pour la matérialiser avec cet autre avantage pour le professeur, d’indiquer discrètement qu’il a vu la machine en fonctionnement, qu’il parle en connaissance de cause. Si l’engin avait été classique, connu, d’utilisation courante en France, l’ingénieur se serait contenté du registre de la description. Mais là, puisqu’il s’agit d’initier dans tous les sens du terme, il recourt au registre esthétique, et fait intéressant, il le fait suivre immédiatement du registre scientifique :
« Le soulèvement de toutes les molécules et la séparation de celles qui, par l’effet de leur viscosité, adhéraient les unes aux autres. Une fois séparées, les molécules de la plus grande pesanteur spécifique retombent promptement sur le sol de la table, tandis que les molécules de gangue plus légères sont entraînées au bas de la table ou hors de la table, lorsqu’une nouvelle came vient à agir » (Ibidem).
62Le retour sur terre est franchement économique : « Ces réflexions font voir combien la table à secousses est favorable au lavage des schlamms visqueux et tenaces que l’on ne pourrait parvenir à laver sur des tables dormantes qu’à grands frais et en subissant des pertes considérables ».
63Ce bref recours à l’esthétique, cette manière de varier les registres, de chercher à ce que le point crucial d’une technique s’inscrive dans la mémoire par le mélange de deux plaisirs, celui de l’énoncé et celui de l’effet obtenu, se rencontrent dans d’autres endroits de la littérature technique, à cette époque comme à la nôtre. À quoi cela tient-il ? Rappelons l’importance de l’usage des sens, de la sensorialité, dans la relation à la technique que ne peuvent éteindre ni l’approfondissement du processus de mise en science de la pensée technique, ni même le développement du processus de mécanisation. J.-P. Darré en des pages remarquables sur le langage technique des agriculteurs a montré le rôle de ce recours à l’esthétique qui d’une part transforme l’opération productive banale en « expérience intime » et d’autre part favorise la connivence entre interlocuteurs26. Et, en ce cas précis, ne fallait-il pas, à la fois inciter à l’introduction d’une nouveauté, et faire oublier qu’introduire cette nouveauté-là n’était pas sans conséquences puisqu’elle avait pour effet une diminution de l’offre de travail ?
64La narration a son rôle aussi, que donne à voir l’enseignement dispensé en géologie. C’est de tous, le plus imparfait, le plus confus aussi. Certes Fénéon, son auteur y incorpore, à l’instar de ses collègues, ce qui se fait de mieux à ce moment, mentionne : Fourrier, Cordier, Elie de Beaumont, Brongniart et n’hésite pas à se mettre en scène, visitant les Alpes en compagnie des deux grands savants, Elie de Beaumont et Léopold de Buch. Werner est cité aussi. Et quelque chose de l’esprit de Pesey souffle indubitablement lorsqu’il décrit les Alpes et informe son auditoire sur les derniers états de la science géologique. Sa volonté de théorisation est certaine, affichée même, et il use de l’analyse mathématique aux moments cruciaux, par exemple lors de l’énoncé de la théorie de la chaleur, afin de rendre le discours irréfutable. Mais hésitant quant à la querelle entre neptunisme et plutonisme27, illogique parfois, il présente, sans trancher, des énoncés très contradictoires. À sa décharge, il y avait l’extrême complication des faits, un hétéroclite naturel, à l’image de cette série plaisante par son aspect fourre-tout (c’est Fénéon qui souligne) :
« Fossiles des grandes alluvions : les grandes alluvions contiennent : deux Crocodiles, un Tryonis, les ossements d’un Dauphin voisin de notre Epaulard, une Baleine analogue aux Rorquals et un genre nouveau très rapproché des Cachalots, et qui se compose de trois espèces. Avec eux des Pachydermes gigantesques, des Eléphants, des Rhinocéros, des Hippopotames, des Tapirs, un Sanglier, un grands nombres de très petits chevaux et quelques ruminants » (G, p. 9128).
65Le cours vaut davantage pour le récit global qu’il propose que pour ses prétentions scientifiques. Fénéon y instaure une ambiance, proche du sublime montagneux et évoquant à l’envi les « prodigieuses abondances », les matériaux « charriés », « arrachés » ; les « commotion violente », le « déchirement », les « dépouilles », les « révolutions nombreuses et subites » (G, p. 1-2). Il parle de « couches culbutées, contournées », de « masses arrachées, violemment déchirées », où l’on reconnaîtra la marque de Cuvier et de son catastrophisme, bien que le grand homme ne soit pas mentionné. Mais ce discours fortement métaphorique donnait sens à l’histoire, depuis celle des roches jusqu’à celles des hommes, parce qu’il théorisait crises et ruptures en les incluant dans l’évolution, et minorait les deux impacts de la disparition et du renouvellement en introduisant le recul historique. Dans le cadre d’une science qui posait « l’ordre des phénomènes pour arriver si possible à leur cause réelle » (G, p. 15) d’une science qui disposait de faits tangibles qui étaient les fossiles, l’élève apprenait que la terre était passée par une série de vicissitudes avant de parvenir en son état de tranquillité ; que le « globe a éprouvé des révolutions nombreuses et subites » dont la dernière « a totalement anéanti la race des mastodontes » (G, p. 1-2), propos où fait plus qu’effleurer l’arrière-pensée politique.
66Mais le professeur développait deux idées essentielles à partir de quoi, il était possible de penser le dépassement des crises : 1°) l’évolution prend la forme d’un processus de re-création, sur le mode naissance, développement d’espèces, anéantissement et « nouvelle création » ; 2°) ce processus d’anéantissement/résurgence/nouvelle création est un processus de perfectionnement, dans la logique d’une pensée empruntée à Lamarck : « la progression des êtres vers l’organisation actuelle se fait sentir aussi clairement que nous l’avons aperçue pour les mollusques […] » ; « les premiers animaux sont des êtres très simples… en avançant vers l’époque actuelle, les conditions d’existence deviennent plus compliquées ; l’organisation est plus parfaite… Enfin paraît l’homme qui est sans doute postérieur à tous les accidents du globe » (G, p. 90 et 94). Synonyme de progrès, celui réalisé par la nature sans rien devoir au divin, l’ère humaine signe aussi la fin de commotions qui ne tiennent en rien du divin : « en se bornant uniquement aux quadrupèdes, on remarque au moins sur la terre quatre créations distinctes… la quatrième a fait naître les hommes et les animaux qui vivent avec lui. Depuis cette époque, tout paraît stable, ou du moins le globe n’a point ressenti d’accident général » (G, p. 97). La géologie était de loin la discipline scientifique dominante de l’époque29, un engouement qui tenait pour grande part à son remarquable pouvoir métaphorique. Loin d’effacer le désordre dont le globe portait les stigmates, elle le théorisait, elle introduisait une théorie du cycle, suggérait la fécondité de la rupture, exaltait le présent en montrant qu’il bénéficiait de l’assagissement, que la durée lui appartenait égale au moins à l’ampleur des temps qui l’avait précédé. Cette science indispensable à l’ingénieur des mines pour exercer son métier, lui donnait de surcroît, en arrière-plan, une réflexion quasi-philosophique susceptible d’être mobilisée lorsqu’il affrontait la crise, l’erreur, et les affres de la nouveauté.
67Rien de semblable pour le coke. Son introduction dans le cours de métallurgie est presque anodine, ce qui ne veut pas dire, loin s’en faut, qu’elle est inexistante ou insuffisante. Le coke imprègne de sa présence tout l’exposé, mais cela se fait sur le mode de la confidentialité. Aucun chapitre spécifique ne lui est consacré à la différence, par exemple, de l’acier. Le nouveau combustible est totalement intégré dans l’énoncé des procédés métallurgiques, à l’instar de ce qui se passe dans la définition préliminaire : « Les combustibles employés en métallurgie, sont : le bois, la houille, la tourbe et le lignite. Enfin le charbon qui provient de chacun d’eux. Le soufre et le bitume jouent comme combustibles un rôle important dans les grillages » (M, p. 3). Par contre, à chacune des phases décrites, il est là sans que sa présence soit soulignée, encore moins mise en exergue. Le pragmatisme prime, qui peut se comprendre comme une sorte de libéralisme technique, le choix laissé à l’industriel d’opter pour le meilleur des combustibles en fonction du temps dont il dispose, du lieu et des conditions dans lequel il se trouve, en fonction aussi du produit qu’il veut obtenir. L’idée dominante est celle de présenter, de proposer, non d’imposer.
68De la même manière, le haut-fourneau n’est pas donné comme étant en soi porteur de progrès. C’est un moyen, sans plus, de traiter certains types de minerai. Ce qu’indique là aussi l’énoncé premier : « Le traitement des minerais de fer se divise naturellement en deux : 1° celui au bas foyer donnant du fer et applicables aux minerais riches ; 2° celui aux fourneaux élevés qui produisent de la fonte qu’on utilise à cet état, qu’on réduit ensuite, si on veut, en fer, par des procédés qui seront décrits plus loin. Ces fourneaux élevés sont applicables aux minerais moins riches et aux pauvres » (M, p. 43). Tout juste est mentionnée la forte impression qu’ils donnaient du fait de leurs dimensions : « À l’extérieur, les hauts-fourneaux frappent ordinairement par leur masse et leur élévation », mais c’est pour introduire immédiatement un commentaire technique, si tant est que le regard de l’homme de métier ne se confond pas avec celui du chaland : « leur hauteur varie avec le minerai et surtout le combustible. Ils sont d’autant plus grands que les minerais sont plus réfractaires et le combustible plus dense ». Par contre le professeur décrit avec un soin minutieux le procédé à la catalane, un procédé d’obtention directe du fer au bas-foyer qui était encore très pratiqué. Seule différence, s’il définit le « masset » obtenu dans ce type de four, qui était un mélange de trois produits : « le fer pur à l’intérieur, le fer fort ou mélange de fer et d’acier à la surface, le fer cédat ou acier pur naturel dans les gerçures », il ne tente à son égard aucune théorie, comme il le fait pour la fonte.
69L’innovation disparaît de toutes les manières, alors qu’elle est partout présente. Mieux, le cours donne l’image d’une maîtrise identique de la sidérurgie au bois et de la sidérurgie au coke : il n’y a dans les énoncés, aucune différence de traitement entre les deux procédés. Ainsi, on peut relever dans l’exposé du processus d’obtention de la fonte, au moins trois phases capitales, trois moments techniques stratégiques, où le coke, présent en tant qu’outil disponible, disparaît en tant qu’innovation : lors de la carbonisation, étudié sous un intitulé très sobre, « de la houille et du coke », lors de la discussion sur la taille des hauts-fourneaux ; enfin quand est décrit le travail du fourneau, à proprement parler.
70Pour la carbonisation, qui le moment essentiel et initial, celui de la fabrication du produit, le cours commence en bonne logique par discuter des types de houilles, maréchale, houille de grille, houille maigre, en fonction des emplois possibles, avec en accompagnement l’énoncé de « deux principes essentiels à considérer pour le métallurgiste, « 1°) les pyrites qui rongent rapidement les barreaux des grilles… quelquefois elles influent sur la bonté de produits et surtout sur celle du coke, ce qui en limite l’emploi ; 2°) la quantité et la nature du coke que les houilles fournissent… » (M, p. 14). Puis, le professeur énonce les motifs :
« Les motifs qui font carboniser le bois, déterminent aussi la carbonisation de la houille, bien que par cette opération, on perde plus de la moitié de son effet calorifique. Pour être carbonisée avantageusement, la houille doit contenir peu de cendres ou de pyrites, car la carbonisation n’enlève pas à la houille tout le soufre qu’il contient » (M, p. 15).
71Et conclut :
« En France, ce sont les houilles grasses ou maréchales qui donnent le meilleur coke, léger, brûlant facilement, laissant le moins de cendres. En Angleterre, on préfère celui de houille moins collantes, donnant un coke plus dense, pur et sans cendres. C’est sans doute à la moindre quantité de cendres du coke des Anglais qu’on doit attribuer en partie leur supériorité dans la fabrication de la fonte » (Ibidem).
72Le professeur expose ensuite les différentes manières de carboniser : « en tas allongés, en tas circulaires, la houille menue » et là, vient la recommandation, posée avec beaucoup de naturel, comme si cela allait de soi : « Dans tous les cas, il n’y a que le menu des houilles grasses qu’on convertit en coke ; le plus souvent même, c’est sur ce menu que la carbonisation s’effectue, à cause de son moindre prix pour le commerce ». Suit l’énumération des procédés, tels qu’on les exécute, « à Terrenoire, et sur la plupart des mines de Saint-Étienne », en plein air ou dans des fours « analogues à ceux du boulanger ». La partie s’achève par la présentation des qualités de coke obtenues et leur usage.
73Le second moment de cette disparition, qui est en fait, intégration du nouveau produit aux procédés en cours, est la discussion sur la dimension à donner aux hauts-fourneaux. Selon l’usage, le professeur part du minerai pour aller au produit. Il passe donc en revue d’abord les minerais riches et fusibles ; ensuite les minerais réfractaires et là, énonce un principe : « Des minerais réfractaires, de faibles machines soufflantes, des charbons légers demandent des ouvrages étroits et élevés. […] Un ouvrage étroit et élevé donne de la fonte grise ». Mais dans la discussion qui suit, il pondère, en se polarisant sur la fonte au coke, comme s’il voulait éviter que se crée dans l’esprit des élèves des associations fausses ou dangereuses :
« Il ne faut pas cependant dépasser certaines bornes afin de ne pas réduire la silice et rendre la fonte impure. Cet inconvénient des ouvrages élevés a lieu plutôt dans les hauts-fourneaux au charbon de bois que dans ceux au coke. On a en outre remarqué que ce n’est pas la hauteur de l’ouvrage, mais sa section à la tuyère et la quantité de vent qu’il doit y recevoir en raison des dimensions de celle-ci qui augmente la production journalière. Au contraire des ouvrages très élevés diminuent beaucoup cette production, ainsi Mr Cullmann a vu dans un fourneau à coke de très grandes dimensions, la production réduite de moitié parce que voulant obtenir de la fonte grise pour moulage, on avait donné à l’ouvrage 3 mètres de hauteur. […] » (M, p. 51).
74Au total, rien dans ce parcours ne vient souligner la présence du nouveau combustible. Mais c’est autour de lui que s’organise chacun des exemples donnés.
75De même, pour « le travail des hauts-fourneaux », troisième moment de la normalisation de l’usage d’un produit innovant, troisième moment d’une présence que l’on efface autant que faire se peut, ou plutôt que l’on banalise. Chaque phase du travail : mise à feu/chargement/laitier et travail/ coulée est traité à chaque fois en distinguant : charbon de bois/coke, comme si l’emploi des deux combustibles était également évident et banal. L’innovation transparaît pourtant dans la manière de faire des ouvriers :
« Il est essentiel que les charges se fassent régulièrement […]. La charge en combustible reste invariable dans les hauts-fourneaux. On ne fait jamais varier que les minerais, les fondants et le vent. Le coke est mesuré au volume dans un cylindre à roulettes à fond mobile que l’on fait arriver sur un châssis en fer immédiatement au dessus du gueulard. Cette méthode est bien préférable à celle des paniers ou rasses, car leur volume n’est pas constant. […] Le volume de charbon introduit à la fois doit être d’autant plus grand que le charbon est plus léger et par suite plus facile à déplacer, que le minerai est plus friable, plus pesant et moins anguleux. C’est pour cela que les charges en coke sont plus faibles que celle au charbon de bois. […] » (M, p. 57-58).
76Les faits d’observations s’accumulent, comme autant d’évidences. Dans la manière de charger :
« Quand le coke est dur et difficile à brûler, on jette le minerai mélangé le 1er le coke par-dessus, il a le temps de s’échauffer avant de recevoir la charge suivante. L’ouvrier doit prévenir par une cloche qu’il fait sa charge, ce qui sert à contrôler son exactitude, il marque sur un tableau le n° de la charge. Le nombre de charges en 22 heures dépend principalement de la quantité de vents qu’on donne au hauts-fourneaux dans les petites, on charge à peu près 15 à 18 fois par 24 h., dans les grands, de 25 à 30 fois, ce qui a lieu en Angleterre » (Ibidem).
77Dans la manière de donner les vents :
« La quantité de vent est aussi très variable, beaucoup plus faible pour les petits que pour les grands fourneaux […] dans les hauts-fourneaux au coke, on donne au moins 50 m3 par minute ; Mr Karsten pense qu’on ne devrait jamais en donner moins de 62 ; à Terrenoire, on donne 60 m3 environ ; en Angleterre, dans les fourneaux ordinaires, donnant 60 tonnes de fonte par semaine (ce qui est la moyenne des productions ordinaires) on donne de 100 à 110 m3 par minute on y estime que la force nécessaire pour souffler un hauts-fourneaux est de 30 chevaux de vapeur (1 cheval de vapeur élève 4 500 K à 1 M. par minute) » (Ibidem).
78Dans l’observation des laitiers :
« En général, les laitiers des hauts-fourneaux au coke contiennent une bien plus forte proportion de chaux, ce qui les rend plus fusible que les laitiers au charbon de bois […]. Le laitier des fourneaux au charbon de bois est toujours vitreux… les laitiers des hauts-fourneaux au coke […] sont presque toujours opaques, du moins la translucidité n’est pas une condition essentielle de leur fonctionnement […], etc. » (M, p. 59-60).
79Et le réemploi des gaz du gueulard, innovation majeure s’il en fut, est présente déjà (« Dans quelques hauts-fourneaux (du Cher, du Berry, de la Russie, etc.) on utilise cette flamme, […] c’est de cette manière qu’on peut cuire la chaux, la brique, griller le minerai, chauffer des chaudières à vapeur pour la machine soufflante, chauffer le fer, etc.). Mais l’énoncé reste discret là encore, sur le ton de l’offre proposée, une nouveauté à peine soulignée, hors la mention faite que l’usage du coke la rend franchement possible :
« Dans presque toutes les usines au charbon de bois on a reconnu que ces fourneaux accessoires déterminaient un trop grand tirage, […] et dérangeaient souvent le fourneau, aussi y a-t-on renoncé presque partout ; mais Mr Cullmann assure qu’ils produisent au contraire l’effet le plus avantageux lorsqu’on brûle dans le fourneau du coke compacte et qu’ils ne peuvent inspirer aucune inquiétude, même lorsque le coke est très léger » (M, p. 62).
80L’ensemble ne laisse d’être efficace. Le cours dotait les élèves de l’ensemble des compétences disponibles à l’horizon européen en se gardant bien d’imposer l’une ou l’autre des techniques. Les professeurs savaient y compris par leur propre expérience que le volontarisme technique avait de fortes chances d’être contre-productif30. L’important était l’efficacité, ce pourquoi le pédagogue devait aussi endiguer, inhiber, inquiéter. La formation à la novation devait se faire sans provoquer une dévalorisation des autres méthodes, sans induire chez les élèves sortants des attitudes intempestives contraires à l’état d’esprit du métallurgiste. Eu égard au « parc » de hauts-fourneaux existant, c’était préférable. La principale leçon que les élèves recevaient était une leçon d’économie, presque politique (c’est Jabin qui souligne) :
« On appelle Usine les ateliers de fabrication de produits métalliques et Particulièrement fonderie ceux où s’opère la fusion soit des minerais soit des métaux. On entend par Produit résultat d’une opération quelconque ; par Richesse ou Teneur la quantité du Produit qu’on peut livrer au commerce ; par Recette brute, le résultat de la vente, Produit net la différence de la recette avec la dépense et enfin bénéfice net cette différence diminuée de l’intérêt commercial des fonds engagés et circulant. La meilleure opération est celle qui doit amortir par des produits, au bout d’un temps limité, le capital engagé et ses intérêts » (M, p. 1).
81Jabin qui était un libéral, insistait sur ce fait que la décision finale devait revenir à la concurrence. C’est à propos des laminoirs – autre innovation à l’entrée discrète – qu’il exprime en totale clarté son credo, par quoi s’achève la partie du cours consacrée à la métallurgie du fer :
« Quant au fer, on voit que le prix de la fabrication en France y est plus du double de celui de la fonte, tandis qu’en Angleterre, il n’est pas le double. L’emploi de la houille et surtout des fours à réverbères et des cylindres prouvent donc cet avantage ; d’après cela, il conviendrait suivant MM. Dufrénoy et Beaumont de réserver le charbon de bois pour les hauts-fourneaux et employer la houille et la méthode anglaise pour la fabrication du fer, ce qui est au reste d’accord avec les positions des hauts-fourneaux qui doivent être près des minerais et des forêts, tandis que la fabrication de fer peut être plus près des lieux de consommation. […]. En France, la fabrication au combustible minéral a pris depuis plusieurs années surtout un grand accroissement. Les prix de fabrication ont été constamment en diminuant et ils peuvent encore subir des réductions notables. Sur plusieurs points les usines à fer soutiennent la concurrence anglaise, et lors mêmes de la diminution si désirée par les consommateurs des droits d’entrée sur les produits anglais, plusieurs n’auront pas à craindre la concurrence étrangère dans un rayon considérable » (M, p. 96).
82L’ingénieur parlait en homme d’industrie.
En conclusion : culture technique, science d’industrie
83Les constantes qui apparaissent à l’analyse des écrits se rapportant à la technologie et à la maîtrise du métier d’ingénieur d’industrie, indiquent qu’une culture se constitue autour de ce secteur naissant. La revendication – ou si l’on veut le désir – de voir se constituer une « science industrielle », telle qu’elle se développe entre les années 1820 et les années 1840, puise son origine dans la volonté de l’industrie de se donner des moyens généraux pour progresser en toute autonomie. L’industrie en appelle à la science, lui propose un programme, allant jusqu’à considérer qu’il n’est de sciences utiles que celles susceptibles de remplir ce programme. Le temps n’était plus à former l’entrepreneur pour le transformer en industriel mais à constituer l’industrie en objet de science, à développer à son propos un mode de pensée qui fût scientifique. Le moins que l’on puisse dire est que l’éventail des tentatives fut large et qu’elles furent plus ou moins heureuses, depuis la tentative technologique proprement dite représentée par un Borgnis, jusqu’à l’économie industrielle de J.-B. Say.
84La métaphore dominante pour donner corps à cette idée a été celle de la machine, et au-delà la mécanique. Penser l’industrie comme une machine à faire fonctionner, penser son ordonnancement comme s’il s’agissait d’une mécanique, écrire la mécanique du fonctionnement industriel, tel est bien le souci dominant, et cela conduit à cette idée que nous sommes dans l’archéologie de l’organisation scientifique du travail. À ceci près toutefois, que le moment est moins celui de l’ordonnancement de la main d’œuvre, que celui d’une recherche de normes et de spécifications techniques. Cela faisait de l’ingénieur l’homme de la situation. « Un chef ne peut être continuellement à côté d’un homme occupé à exécuter la pièce d’une machine qu’il lui a commandé », faisait observer Le Normant qui recommandait la généralisation de la culture industrielle. Et, dans la matérialité des réalisations industrielles, le travail de conceptualisation global, la définition d’une approche préalable au bureau s’affirma dans les secteurs vitrines de la modernisation, la construction des ponts suspendus, la chimie industrielle, et très rapidement, la construction des chemins de fer.
85Tout était près pour que l’ingénieur réalise le passage à l’industrie. Le vieux style technologique, avec ses bibliothèques de situation et sa vérification a posteriori s’avéra un support idéal, une matrice adéquate pour que se réalise la transformation industrielle. Le lieu primordial de l’évolution fut l’expérimentation, dont le lit naturel était la « situation » justement. Les progrès de la physique et de la chimie industrielle autorisèrent une approche scientifique de l’essai, en même temps qu’une comparaison entre faciès techniques locaux, c’est-à-dire entre variantes d’un même procédé d’un lieu à l’autre, une comparaison entre procédés à partir de l’analyse des produits obtenus. Car le temps n’était pas à la normalisation des protocoles, il était à leur détermination. Et pour cela, le dialogue technique – et pas seulement l’observation – devait se développer, il était même urgent qu’il se développât. Les jeunes ingénieurs découvrirent la puissance de l’écrit, apprirent à manier la plume, à rédiger des rapports, des comptes rendus, des énoncés techniques, en premier lieu à titre d’entraînement, pour que l’emprise intellectuelle du processus de production précédât l’emprise physique ; ensuite, pour éviter l’isolement dans une situation de constant renouvellement des sciences et des techniques.
Notes de bas de page
1 AN F 14 6770, cité par A. Picon, L’invention., op. cit., p. 600. On trouvera dans J. H. Weiss, The making of Technological Man. The Social Origins of French Engineering Education, 1982, passim, de longs développements sur cette question.
2 J.-T. Desanti, article « fondement des mathématiques », Encyclopedia Universalis.
3 A. Picon, L’invention., op. cit., p. 500-503.
4 J. Rousseau, F. Vatin, « Charles-Auguste Coulomb et le concept de travail », Économie et Humanisme, 1991, p. 71-80.
5 J.-A. L. Borgnis Traité complet de mécanique appliquée aux Arts, 1818. J.-B. Say, Traité d’économie politique ou simple exposition de la manière dont se forment, se distribuent et se consomment les Richesses, 1826 (5e édition), Livre premier, discours préliminaire, p. xj.
6 J.-A. L. Borgnis, op. cit., t. III, p. i, cité par H. Vérin, « Technique, technologie, application », in J. Perrin (dir.), Construire une Science des Techniques, 1990, p. 59.
7 Le Normant, « Traité complet de mécanique appliqué aux arts par M. J.-A. Borgnis, ingénieur, membre de plusieurs académies ; et Considérations sur les avantages que présente la Technologie, et sur les moyens propres à faciliter l’étude de cette science » Revue encyclopédique, t. 1, 1819, 227-249 et t. 2, p. 215 sqq.
8 La métaphore de la mécanique se retrouve chez un Courcelles-Seneuil lorsqu’il cherche à fonder les sciences de gestion. G. Ribeill, « Un pionnier oublié de la gestion des entreprises, Courcelles-Seneuil », Annales des Mines. Gérer et Comprendre, 1996, p. 44-53. Voir infra, ce qu’en pensait Lavoisier.
9 Sur le problème des aiguilles, et la différence d’analyse qu’en firent Smith, Perronet, et l’Encyclopédie, on lira l’excellente analyse de J.-B. Peaucelle, « La division du travail. Adam Smith et les Encyclopédistes observant la fabrication des épingles en Normandie », Annales des Mines. Gérer et comprendre, 1999, p. 35-51.
10 J.-B. Say, Traité…, op. cit., p. xij et p. xix, n. 1.
11 « Comme on peut transformer, mêler ou séparer des matières que par des moyens mécaniques ou par des moyens physico-chimiques, tous les arts manufacturiers peuvent se ranger en deux classes, les arts mécaniques et les arts physico-chimiques suivant que l’un ou l’autre de ces procédés domine dans les préparations », Ibidem, vol 1, chap. II, p. 10, n. 1.
12 Ibidem, p. viij, lxiij et Xiv pour la dernière citation. Le propos sur les classes moyennes est très proche, par son ton et ses idées, de l’essai de David Hume, « De la condition moyenne », paru en 1742.
13 J. H. Weiss, The making., op. cit., p. 89, p. 104-111 pour l’analyse de la chaire de physique (Péclet) et 113-120 pour la chaire de chimie (Dumas). Seul, le cours de Coriolis donna satisfaction aux fondateurs. Il y formula ses recherches pionnières sur la théorie du travail. « La science industrielle est une, et chaque industriel doit la connaître dans son intégralité », était-il écrit en maxime sur les prospectus de l’École.
14 École des Mineurs de Saint-Étienne, Préparation mécanique des minerais, 20 p. [Jabin] ; École des Mineurs de Saint-Étienne, Résumé des leçons sur la métallurgie, 150 p. [Jabin] ; École des Mineurs de Saint-Étienne, cours de géologie, 115 p. [Fénéon] ; École des Mineurs de Saint-Étienne, résumé des leçons sur la construction, non paginé, [Marrot]. Tous sont polygraphiés, s. n., s. d.. Nous les citons avec les abréviations respectives dans le texte : PM, M, G et C, suivi de l’indication des pages ou des paragraphes. Jabin disparut accidentellement d’une chute dans un puits. Pour son approche de la métallurgie alors qu’il était élève-ingénieur des Mines, A.-F. Garçon, « Fours couchés, fours debout. L’horizontalité et son apport en métallurgie », Revue internationale des sciences, 1999, p. 302-330.
15 Sauf Savignac, venu de l’Aveyron, qui entra à l’École en 1828. Au mieux de sa carrière, il fut conducteur des Ponts et Chaussées. Théodore Brochin devint directeur des mines de la Péronnière à Saint-Étienne ; Bérard, connu pour être l’inventeur d’un lavoir à houille, fut aussi administrateur des mines de Champagnac. Les trois autres devinrent et restèrent ingénieurs : Deshaquets aux mines du Creusot, les Lapierre aux mines de Fyrmia, en Aveyron.
16 Le fer écroui est un fer qui été battu à une température inférieure à sa température de fusion (le laminage est une forme d’écrouissage) pour le rendre résistant à la déformation.
17 « Donner le vent au fourneau » c’est insuffler de l’air au moyen de soufflets, de trompes ou de machines soufflantes.
18 J. Guillerme, article « Arts figuratif », Encyclopedia Universalis. Insistons sur ce fait que ce qui est décrit ici est une approche seconde de la technique, une intellectuation. L’approche première, encore qu’il serait préférable de la qualifier de primordiale, est orale dans son essence et met en œuvre les deux registres symbolique et mythique, c’est-à-dire précisément, la figuration…
19 Lavoisier en eut parfaitement conscience : « Les cours relatifs aux arts chimiques devront commencer par une exposition des corps naturels qui sont en usage dans les arts, par une description de leurs qualités extérieures, par quelques explications sur leur origine. Passant ensuite à l’emploi de ces substances simples, le professeur fera voir que les opérations chimiques relatives aux arts peuvent se classer, se décomposer comme les machines, que ces opérations se rapportent toutes à des combustions, à des décombustions, à des dissolutions, à des cristallisations, à des précipitations, à des fermentations. Il aura, comme dans les cours de mécaniques, l’attention de commencer par les généralités qui sont communes à un grand nombre d’arts et de réserver pour la fin de son cours les instructions relatives aux arts qui exigent des développements particuliers ». « Réflexions sur l’instruction publique présentées à la Convention nationale par le bureau de Consultation des Arts et Métiers », Œuvres, 1893, tome VI, p. 525.
20 Il est clairement dit dans le cours qu’elles devaient avoir lieu en fin de campagne : « c’est seulement vers la fin qu’on fait des essais sur de nouveaux mélanges, et bien que l’allure du fourneau ne donne pas à cette époque de résultats décisifs, ils peuvent éclairer et dans tous les cas ne compromettent rien ». Métallurgie… p. 62.
21 Au début de son ouvrage, Bélidor reproche aux premiers physiciens qui s’intéressèrent au problème du frottement de s’être contentés de « calculs algébriques à perte de vue » au lieu d’en avoir déduit « des conséquences en forme de maximes » que l’on aurait suivies « avec la confiance que l’on a ordinairement pour tout ce que l’on sait être établi sur des principes de mathématiques, quoique l’on ignore la voie par laquelle on y est arrivé ». A. Picon, L’invention, op. cit., p. 53-54 ; J. H. Weiss, The Making, op. cit., p. 92 et E. Layton, « Mirror-Image Twins : the Communities of Science and Technology in 19th Century America », Technology and Culture, 1971, p. 562-580.
22 Saillant sur la flèche du pilon, le mentonnet est saisi par la came placée sur l’arbre de la roue hydraulique, ce qui soulève le pilon. Un calcul rigoureux des cames et de leurs positions sur l’arbre et de la longueur du mentonnet autorisait un fonctionnement régulier du bocard qui fonctionnait généralement à 9 pilons.
23 Le charpentier hydraulique, qu’on ne confondra pas avec le charpentier de marine, était spécialisé dans la construction des roues et de leurs appareils.
24 ? ? ? est-il indiqué en marge au crayon, à cet endroit, n. d. a.
25 Le Pont de Jarnac sur la Charente, construit par Quénot en 1826, fut le quatrième pont suspendu donné en adjudication. Le chantier du pont d’Argentat sur la Corrèze, date de 1827 et fut pris en charge par Vicat. Le Pont de la Feuillée à Lyon fut érigé à la fin de l’année 1827. M. Cotte, Innovation…, op. cit., p. 388, 374 et 394.
26 J.-P. Darré, La parole et la technique., op. cit., p. 106-122 et passim. B. Lefebvre décrit le même phénomène dans La transformation des cultures techniques. Merlin Gerin, 1920/1996, 1998, p. 66-67. On en jugera également par les illustrations de l’article de L. Deschamps, « Les centrales solaires spatiales des années 1900 à demain », Bulletin d’histoire de l’électricité, 2000, p. 79-100.
27 Cette querelle opposait les partisans du feu central (plutonisme) aux partisans du déluge (neptunisme), pour expliquer la formation du globe. Werner était le chef de file des premiers, J. Hutton des seconds, G. Gohau, Histoire de la géologie, 1987, p. 119-130.
28 La liste n’est pas sans rappeler le texte de J. L. Borges que cite M. Foucault en préface de Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, 1966, p. 7.
29 G. Bowker, « Les origines de l’uniformitarisme de Lyell. Pour une nouvelle géologie », in M. Serres (dir), Éléments d’histoire des sciences, 1989, p. 397.
30 Dès 1823, Gallois avait tiré un bilan lucide de son échec à Janon, et en parle comme de l’impossible résolution d’une équation à x inconnues : « Avec d’autres circonstances, j’aurais fait mieux et plus vite… L’éducation des hommes et la disposition des choses qui se rattachent à une industrie nouvelle, forment un problème très compliqué dont les éléments inconnus ne peuvent se résoudre à la fois. Il a fallu un certain courage pour, le premier, oser le tenter seul, et c’est tout le mérite que je prétends avoir eu » in L.-J. Gras, Métallurgie…, op. cit., p. 41.
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