Chapitre 1. Mines et Ponts
p. 21-53
Texte intégral
1L’arrêté du 14 février 1747 conféra pour mission à Perronet, architecte de formation qui avait rejoint le Corps des Ponts et Chaussées en 1735, « la conduite et inspection des géographes et dessinateurs des plans et cartes » afin de les instruire aux sciences et pratiques nécessaires « pour parvenir à remplir avec capacité les différents emplois des dits Ponts et Chaussées », sous les ordres « du sieur contrôleur général des Finances et sous ceux du sieur intendant des Finances chargé du détail des Ponts et Chaussées », en l’occurrence Daniel Trudaine. Ainsi furent jetés les linéaments de la première école d’ingénieurs en France, qui fut donc une école d’ingénieurs civils, destinée à soutenir l’État dans sa politique routière en lui donnant les moyens techniques de dresser « des plans des grandes routes et chemins », de faire construire et d’entretenir les routes dans le but de transmettre les ordres civils et militaires et de faciliter le grand commerce. Pour la première fois « on se préoccupa d’apporter une réponse spécifique aux besoins en formation d’un corps d’ingénieurs régulièrement appointés1 ».
2Le Bureau des dessinateurs n’était pas une école à proprement parler. « On demande que les élèves qui se présentent pour y être admis soient au moins nés de familles honnêtes dans la bourgeoisie, qu’ils aient faits leurs humanités, aient une éducation sortable, soient de constitution assez forte pour résister à la fatigue et aient des mœurs et des dispositions pour l’étude des mathématiques, de l’architecture et du dessin et même quelques commencements d’étude dans ces différentes connaissances. C’est ordinairement à 16 ou 18 ans qu’il convient de se présenter à l’École », précisait Perronet en 1769. Pour y entrer, les élèves devaient être célibataires, avoir poussé leurs études jusqu’à la huitième inclusivement, avoir des connaissances élémentaires en géométrie et en dessin, être bien élevés et de bonne conduite. Les candidats étaient présentés par des personnes honorablement connues, ou par des ingénieurs de province. Une fois admis, ils étaient formés par leurs congénères, élèves et employés. Le Bureau des dessinateurs se composait en effet de trois classes, la première comprenant les sous-inspecteurs ou sous-ingénieurs, la seconde les élèves, la troisième les géographes, et c’est en fonction du mérite que l’on passait du statut de géographe à celui d’élève puis à celui de sous-ingénieur ou de sous-inspecteur. Il incombait aux trois premiers de chaque classe qu’on appelait les « gradués », ou tout simplement à ceux qui possédaient un talent exceptionnel dans la matière considérée, de former les autres élèves à la géométrie, l’algèbre et la mécanique, en s’appuyant sur les cours professés à l’extérieur de l’École qu’ils devaient redonner à leurs camarades, ou plus simplement en lisant des manuels et en les commentant. En mathématiques, on enseignait, « les éléments de géométrie et d’algèbre, l’application de l’algèbre à la géométrie, les coniques, la mécanique et l’hydraulique, la coupe de pierre et le trait de charpente, à un moindre degré le calcul différentiel et le calcul intégral ». Les élèves recevaient aussi des cours de levers de plan, de nivellement et de dessin de la carte. En dehors de l’École, chez des professeurs particuliers, étaient dispensés des cours de physique, de chimie, d’histoire naturelle, d’architecture, qui étaient facultatifs et payants.
3Si j’évoque ainsi le Bureau des dessinateurs, c’est parce qu’il fut le lieu premier de l’enseignement minier. Sur les conseils de Jean Hellot, membre de la classe de chimie à l’Académie des Sciences et son secrétaire, mais aussi inspecteur général des manufactures attaché au Contrôle général pour les arts et métiers, quelques « sujets », candidats futurs à la direction d’entreprise et/ou à leur surveillance furent repérés au travers du royaume et agrégés à la jeune école d’ingénieurs2. Ce souci de formation s’inscrivait dans un souci plus vaste de réorganisation, disons même de modernisation, de l’administration des Mines. Déjà l’arrêt du 14 janvier 1741 avait transféré la compétence en matière de mines aux intendants de provinces, et donné la haute main sur ce domaine à Trudaine et Hellot. Baron, également de la classe de chimie, fut chargé de visiter les principales mines de charbon du royaume, à la suite de quoi il établit un projet de règlement qui devint à l’arrêt du Conseil du 14 janvier 1744, portant règlement sur l’exploitation des mines de houille. Quatre élèves entrèrent aux Ponts et Chaussées en 1751, dont Gabriel Jars, fils de l’entrepreneur des mines de cuivre de Chessy-Sainbel près de Lyon, le plus doué d’entre tous. Il y reçut de concert avec ses congénères de l’école de Perronet, l’enseignement adéquat en dessin et lever de plans. Déjà, il possédait de son passage chez les Jésuites à Lyon, la culture mathématique et l’ouverture scientifique qui sont les deux autres fondements de la pensée de l’ingénieur3. Puis, muni de 400 livres d’appointements, il partit vers les mines des Compagnies de Basse-Bretagne, pour y acquérir une formation pratique ; quelques deux années après, il réintégra dans l’exploitation familiale, après avoir visité les houillères d’Ingrandes, non loin de Nantes, et les travaux de Sainte-Marie-aux-Mines.
4L’on trouve dans ce moment fondateur, quelques-uns des traits qui caractérisèrent le Corps des Mines dans le temps de la première industrialisation : la diversité d’un recrutement qui concernait les jeunes gens issus du secteur minier ou tout simplement instruits à la chimie ou à quelque autre science ; son lien avec l’administration des Ponts elle-même en cours de constitution ; enfin la nature plurielle de sa mission, surveillance et direction d’entreprise. Car la destination des élèves pouvait être l’administration publique mais cela n’était pas obligatoire. Le but n’était pas de distinguer entre la formation des administrateurs publics et celle des entrepreneurs, il était d’« administrer » au sens où on l’entendait au xviiie siècle, c’est-à-dire de former des hommes capables de dispenser un savoir à une entreprise en même temps que de la gérer. Pour Trudaine et Hellot, l’important était qu’il existât des experts techniques capables d’enseigner et de faire progresser le métier d’entrepreneur minier. La volonté des fondateurs était d’accroître la compétence des entrepreneurs en mettant à leur disposition le plus grand nombre de techniques possibles4.
5C’est sciemment que Jean Hellot et ses amis décidèrent de placer le savoir minier dans la catégorie du Génie civil, parce qu’ils savaient pouvoir y trouver une forme de pensée habituée depuis le xvie siècle à mêler science et pratique, une forme de pensée qui travaillait à rendre reproductibles, prévisibles, l’action sur le matériau et le fonctionnement de l’objet, parce que fondée sur la mise au point de protocoles destinés à affronter les contraintes repérées ou simplement ressenties. Ils savaient encore que le problème était moins de disposer d’ouvriers et de maîtres mineurs toujours susceptibles moyennant finances d’être débauchés de leurs exploitations habituelles que de limiter la dépendance des chefs d’entreprise à leur égard. Il était clair enfin que le mode de diffusion des savoirs ainsi mobilisés ou constitués ne pouvait emprunter les formes traditionnelles, manuelles ou orales, qu’il requérait au contraire une transcription écrite de l’habileté et donc la mise au point d’énoncés techniques aptes à emporter la conviction, à convaincre dans les deux domaines de l’art et de l’entreprise. Or l’un des fondements du métier d’ingénieur, déjà bien fixé à ce moment, était précisément de trouver ce point d’entente entre le manuel et l’intellectuel qui autorisât l’inscription dans la durée des procédés de production5.
6« L’esprit Mines », j’entends par là le mode de pensée propre à l’ingénieur des Mines en France qu’il fut ingénieur d’État ou ingénieur civil, naquit autour de ce projet pédagogique que sous-tendait la volonté de l’Académie des Sciences d’être utile au pays. Parmi les traits qui le rapprochent des autres catégories d’ingénieurs qui existaient alors dans le royaume, ingénieurs-géographes, de marine, militaires et des Ponts et Chaussées, relevons l’étroitesse du lien établi dans le cours de leur formation et de leur expérience professionnelle, entre science, pratique et administration. Et relevons, parmi les traits qui le distinguent, l’application à l’entreprise industrielle ; un goût prononcé pour l’innovation dont la traduction fut une admiration profonde pour les réalisations techniques anglaises, tout particulièrement en matière de charbon de terre et de métallurgie du fer ; une admiration profonde pour les réalisations allemandes – terme pris ici dans le sens d’espace linguistique et technique sans préjuger de l’organisation politique ; une histoire chaotique enfin, provoquée par le manque d’argent qui amena chacun à évoluer entre administration et entreprise privée, qui amena l’administration à hésiter entre formation sur le tas et formation en École. Il en résulta la constitution d’une identité professionnelle qui fut technique avant que d’être sociale.
La technique, au fondement de « l’esprit Mines »
7« Il ne suffit pas d’être bon mineur et bon métallurgiste, d’avoir la théorie et la pratique d’une seule mine ; il faut avoir beaucoup vu, observé et pratiqué dans chaque pays », observait Gabriel Jars. De fait, les exploitations susceptibles de constituer des lieux d’enseignement étaient rares en France, moins d’une dizaine et toutes n’étaient pas en bonne santé. Mais les plus réputées, Sainte-Marie-aux-Mines entre Alsace et Lorraine, Chessy-Sainbel près de Lyon, le Huelgoat-Poullaouen près de Carhaix en Bretagne, offraient à l’apprenti mineur une synthèse des pratiques en vigueur à cette date du fait qu’elles étaient, les deux dernières surtout, des lieux d’acclimatation et d’hybridation des techniques venues d’Allemagne et d’Angleterre. Le royaume disposait par ailleurs de quelques compétences : C. F. Schreiber, le bouillant directeur de Sainte-Marie-aux-Mines6 ; la famille Blumenstein qui détenait d’importantes concessions dans le Beaujolais et le Lyonnais, dans le Dauphiné et en Auvergne ; les Gensanne père et fils, qui œuvraient en Languedoc ; Kœnig, ingénieur venu de Saxe pour diriger les mines bretonnes, le baron de Dietrich en Lorraine, et quelques autres. C’est autour de ce noyau d’hommes et d’entreprises que s’accomplit le travail de diffusion et d’implantation des techniques minières et métallurgiques dans le pays.
8Entrepreneurs, savants, ingénieurs étaient également avides de savoirs neufs et d’expérimentations, à la recherche d’un savoir théorico-pratique qu’ils espéraient pouvoir décliner sur le mode de l’efficacité. « Il ne faut ignorer aucune des opérations de métallurgie dont l’application peut guider un chymiste, lui fournir des ressources contre les obstacles imprévus, augmenter les lumières et lui assurer ses succès », recommandait encore Gabriel Jars dans la préface de ses Voyages métallurgiques7. C’est dire qu’aucun de ces hommes ne fut un pur praticien ou à l’opposé un pur savant. Leur projet intellectuel était d’agir en même temps que de comprendre, d’enseigner en même temps que d’agir. La plupart de ce fait œuvrèrent simultanément dans les domaines qu’ils jugeaient complémentaires de l’action et de la conceptualisation. C’est ainsi que Jean Hellot, que l’on qualifia de « technologue », travailla avec Kœnig à la traduction du Traité des fonderies de Schlutter, la bible des fondeurs au xviiie siècle, qu’il la transforma en une œuvre originale, et proposa en préface une géographie des gîtes répertoriés dans le pays accompagnée des recommandations qu’il jugeait indispensables pour assurer une mise en valeur durable8. En quoi il constitua la première théorie administrative de la concession minière. Kœnig, ingénieur et directeur des grandes exploitations minières de Poullaouen et du Huelgoat, fut le maître à penser des jeunes ingénieurs français, et leur enseigna, outre les savoirs-faire hydrauliques, la géométrie souterraine qu’il contribua à fixer dans sa version française. Gensanne publia un Traité des fontes, dans lequel il expliquait, en plus des grands principes de l’économie industrielle, en quoi consistait le four à réverbère dont l’intérêt était de permettre l’usage de la houille pour les fontes de réduction9. J.-G. Schreiber, qui dirigeait les mines d’Allemond en Dauphiné et qui avait été formé à l’Académie des Mines de Freiberg en Saxe, propagea in situ l’enseignement de son maître, Werner, le père du plutonisme et l’un des fondateurs de la minéralogie. Quoiqu’elle semblât en décalage puisqu’elle privilégiait l’esprit d’invention et refusait au premier chef le renouvellement des normes, la pensée des Encyclopédistes servit d’horizon, de point d’appui à ce groupe d’ingénieurs, qui étaient aussi des administrateurs et des entrepreneurs, du fait qu’elle préconisait l’ouverture de nouveaux chemins, l’élargissement de la carte du savoir par l’établissement de liens entre les disciplines intellectuelles et les pratiques d’atelier, du fait aussi qu’elle donnait à voir par ses planches et ses explications le mode de fonctionnement des exploitations et les procédés dont elle assurait en quelque sorte la publicité10.
9Le goût pour la nouveauté s’établit d’emblée. La minéro-métallurgie, ce monde de l’exploitation minière et de la production de cuivre, de plomb et d’argent, tous métaux alors monétaires et/ou militaires, était en France dénuée de tradition et de normes techniques. À la différence des grosses forges, le secteur était tombé en déshérence au xvie siècle et n’avait connu aucune véritable relance en dépit de nombreuses tentatives. Cela en faisait un terrain idéal pour l’innovation. On prendra ici l’exemple des fours de réduction, qui transformaient le minerai en métal. Guillotou de Kerever, négociant de Morlaix, lorsqu’il décida de relancer à son profit les mines de Poullaouen en Centre Bretagne dans les années 1710, se tourna tout naturellement vers les fondeurs anglais dont il savait qu’ils avaient mis au point un type de four nouveau et performant, le four à réverbère. La plupart des exploitants procédèrent de même soit qu’ils reprirent des sites délaissés, soit qu’ils tentèrent d’en ouvrir de nouveaux, et n’hésitèrent pas à correspondre entre eux pour obtenir les renseignements adéquats et faire marcher les fourneaux en question. Tous ces investissements étaient risqués. Pour aider à y faire face, il y avait l’État, qui encouragea ce type de démarche peut-être par souci du bien public, surtout parce qu’il était directement intéressé par des entreprises susceptibles de lui fournir les métaux monétaires et stratégiques, argent, cuivre, plomb dont il avait besoin. Retenons ceci car c’est capital : l’État était le client incontournable de cette industrie minéro-métallurgique, un débouché majeur.
10Le lien entre savants, administrateurs, praticiens et entrepreneurs s’établit sur cette base. Les plus avisés des entrepreneurs qui n’avaient à leur disposition aucune technique traditionnelle cherchèrent en priorité à se procurer à l’étranger les techniques qu’ils pensaient être les plus performantes. L’État, qui manquait de subsides et pensait pouvoir les trouver dans le développement des mines métalliques, chercha par l’intermédiaire du Contrôle général des finances, à procurer à ces entrepreneurs un encadrement juridique et technique convenable. Enfin, la chimie et la physique, qui étaient les sciences-mères et firent office de matrice de pensée, étaient elles-mêmes en cours de constitution. Non sans une certaine élégance qui devint culture, ce goût conjoint pour l’innovation et la théorisation scientifique se conjugua avec une admiration profonde, sans cesse réitérée, pour l’organisation juridique et technique du monde minier allemand. Les Français étaient sensibles à l’homogénéité de langue et de structures qui marquait l’espace allemand et autorisait, en brisant les distances, l’échange des outils et des idées, la circulation des savoirs et jusqu’à leur classification ; ils appréciaient le rôle joué par le souverain, qu’il fut empereur, prince, duc, évêque ou ville, en matière de formation et d’incitation à l’entreprise11. Le modèle allemand fut abondamment observé et discuté, adapté autant qu’adopté, et il se propagea de toutes les manières : Kœnig, nommé inspecteur des mines du Royaume, initia Gabriel Jars et Guillot-Duhamel, autre grand ingénieur qui accompagna Jars dans ses voyages, à la langue de son pays, et leur enseigna l’art de diriger une exploitation minière. Les voyages miniers et métallurgiques, encore qu’il serait plus juste de parler de missions commandées par le Contrôle général, se multiplièrent, ceux des experts reconnus sur les divers sites du royaume, ceux des ingénieurs sur les sites allemands. Les techniques allemandes devinrent les techniques de référence pour l’hydraulique, l’organisation des espaces souterrains et le traitement des minerais, minéralurgie et métallurgie comprise. Enfin, puisqu’il était nécessaire de trouver un moyen de fixer ces compétences, de faire qu’elles se propagent au-delà du lieu et de la durée de vie, toujours aléatoire, des entreprises, le débat s’engagea dans le milieu des années 1760, sur l’intérêt qu’il y aurait à fonder une Académie des Mines à l’instar des Académies de Freiberg ou de Schemnitz, en Autriche12.
11Ainsi les représentations s’accordèrent, celle du projet technique avec l’ordre scientifique, celle de l’ordre scientifique avec le projet administratif. Il s’élabora, à l’endroit de l’entreprise minéro-métallurgique, une relation d’ordre déterminée à la fois par son but, produire, et par le choix des moyens, la science et l’administration, une relation empruntée à la compréhension allemande de la technologie. La différence de contexte joua cependant entre les pays et elle joua suffisamment pour que le passage s’effectuât de l’emprunt à l’hybridation, à partir de quoi émergèrent des structures et des manières de faire spécifiques qui masquent l’emprunt aux yeux de l’historien, l’atténuent jusqu’à le rendre difficilement discernable. En l’occurrence, le contexte fut le suivant : la France devait composer avec une difficulté structurelle, savoir le faible dynamisme du marché intérieur, entendons du marché concurrentiel et cette atonie la démarquait des Îles britanniques dans ce domaine de production du moins. Qui plus est, établi depuis le xvie siècle au niveau européen, le commerce des métaux non ferreux, cuivre, plomb, laiton, échappait totalement au royaume. C’est donc faute de marchés intérieur et extérieur, en l’absence de cette incitation par définition porteuse de désordre, que la pensée technique s’organisa, qu’elle s’installa dans une relation d’ordre que rien ne semblait devoir perturber en s’appuyant sur les deux figures complémentaires de l’ingénieur garant de l’ordre techno-scientifique et de l’administrateur garant de l’ordre économique et politique. Qui voudra en conclure à une forme de Colbertisme, à la projection de l’absolutisme éclairé dans le monde de l’économie et de la technique, voire à une archéologie de la technocratie, devra auparavant apprécier cette singularité économique et l’obligation dans laquelle se trouvaient les entrepreneurs désireux de prendre des distances avec leur client privilégié de s’insérer dans un secteur monopolisé par quelques grands pays producteurs qui imposaient leurs produits en dépit des mesures de protection.
L’entreprise, berceau du Corps
12Dans les années 1770, le lien qui s’était tissé entre l’Académie des sciences, l’administration et les entrepreneurs se desserra. Le marasme qui saisit le royaume après la guerre de Sept ans ralentit un mouvement qu’avait déjà contrecarré la médiocrité des gîtes, plus rares qu’on ne l’avait supposé à l’origine et bien souvent malaisés à exploiter. La structure administrative du royaume et la médiocrité de ses finances furent aussi pour beaucoup dans le ralentissement des affaires minières, ce qu’illustre l’échec du « département Bertin ». En 1763 en effet, Bertin, Contrôleur général des finances depuis 1759, avait abandonné la charge pour recevoir celle d’un département nouveau dans l’organisation monarchique, une sorte de ministère technique créé à son intention qui devait assurer la gestion des mines, de l’agriculture, des canaux, du roulage, des petites postes, la préfiguration d’un ministère des Travaux publics en quelque sorte. Ce « cinquième département » dura jusqu’en 1780, près de vingt ans donc, ce qui est en soi un facteur favorable pour définir une politique économique et l’imposer. En fait, de multiples raisons empêchèrent qu’il en fut ainsi : le Contrôle général avait gardé l’inspection des forges et des usines, c’est-à-dire tout ce qui relevait du fer. Le Bureau du commerce n’avait pas été dessaisi de ses prérogatives sur le commerce des matières métalliques et pour cette raison, il continua à examiner une partie des concessions minières. L’argent manquait dans les caisses du département, ce qui obligea Bertin à congédier certains des ingénieurs mis à sa disposition13. Sur le terrain enfin, la volonté affichée de transformer la concession, d’en faire un outil de surveillance de l’entrepreneur et de l’entreprise se heurta à la persistance des droits seigneuriaux et coutumiers. L’administration pouvait juger de la valeur économique d’un terrain, elle pouvait apprécier la capacité à entreprendre d’une compagnie grâce aux ingénieurs et entrepreneurs qui effectuaient régulièrement des missions pour vérifier de la qualité des techniques utilisées, elle ne disposait d’aucuns moyens pour contraindre les récalcitrants à suivre la réglementation qu’elle avait fixée. Régulièrement, elle dut céder aux prétentions des seigneurs surtout quand ils étaient hauts justiciers, a fortiori de sang royal, comme les mines d’Allemond en Dauphiné ou de Saint-Sauveur dans les Cévennes, qu’exploitait le comte de Provence, futur Louis XVIII.
13La tâche se révéla tout aussi ardue à l’endroit du charbon de terre, dont l’exploitation était libre et régie par le droit coutumier. L’administration ne parvint qu’exceptionnellement à imposer le cadre juridique de la concession aux propriétaires-exploitants. L’exemple stéphanois jette quelques lumières sur les raisons complexes de cet autre échec. On exploitait le charbon à Saint-Étienne depuis « des temps immémoriaux » : « est merveille de voir les habitants de ce pays qui en sont tous noircis et parfumés par l’usage ordinaire qu’ils en font en leur chauffage au lieu de bois », écrivait déjà N. de Nicolay en 157314. La région, ce qu’on appelle aujourd’hui le bassin houiller stéphanois, comportait deux ensembles miniers distincts. Les chroniqueurs et experts de l’époque lorsqu’ils décrivent ces exploitations, font toujours la différence entre les mines du Lyonnais c’est-à-dire Rive-de-Gier, et les mines du Forez c’est-à-dire les mines stéphanoises à proprement parler. Cette distinction reposait sur une réalité : l’économie des deux ensembles n’était pas la même. Les exploitants de Rive-de-Gier écoulaient leurs produits vers Lyon en suivant les chemins muletiers du Pilat pour échapper aux péages puis le canal de Givors ; les mines stéphanoises, organisées autour de « la Réserve15 », cette zone d’extraction dans laquelle le charbon de terre était destiné à l’usage exclusif de la ville à des prix qui convenaient à ses habitants, alimentaient les fourneaux de la ville, soit pour les besoins domestiques, soit pour les besoins de l’économie, manufacture d’armes, quincaillerie, rubaniers. Cet ensemble-là, composé dans les années 1780 de quarante-sept mines exploitées par trente-neuf propriétaires, de grandes familles pour la plupart, les Neyron, les Jovin, le comte de Feugerolles, le marquis de Cunieu, les Thiollière, Peyron n’était pas sans prospérité. C’était certes, une activité saisonnière, avec une baisse de la consommation d’un tiers en été, ce qui n’incitait pas à l’investissement technique. Mais, le niveau de production était loin d’être négligeable, entre 4 2000 et 5 0000 tonnes, selon Jean Merley. Dans une économie locale ainsi structurée depuis des siècles, quelle pouvait être la place du nouveau régime administratif, où trouver les raisons de l’imposer ? L’échec était en quelque sorte inclus dans les prémisses. L’obtention en 1767 de la concession de Firminy et Roche-la-Molière par le duc de Charost qui était seigneur du lieu, provoqua une levée de boucliers. Ne voyant en cette forme juridique nouvelle qu’une variante du droit de propriété éminente, les exploitants-propriétaires du sol, se liguèrent contre l’intrus et lui opposèrent une résistance opiniâtre. De guerre lasse, Charost abandonna ses prétentions non sans semer les graines de conflits futurs, puisqu’il revendit sa propriété à Neyron en en omettant de mentionner le droit de concession qu’il céda quelques années plus tard au marquis d’Osmond. Le procès qui en résulta courait encore lorsque la révolution éclata.
14Le sort des ingénieurs des Mines, qui étaient à ce moment une petite dizaine, dépendait en grande partie de ce débat entre concession et propriété, entre droits positifs et droits naturels, en somme. Or, au sein même de l’Administration, l’idée d’exploitations placées entre les mains de concessionnaires non résidants choisis pour leurs capacités financières et techniques et susceptibles de perdre leurs droits en cas de trop grande incompétence, était fortement controversée. De son intendance du Limousin, Turgot avait pris fait et cause pour le droit du propriétaire, refusant de considérer que les matières présentes dans le sous-sol aient quelques raisons d’appartenir à l’État et insistant, au nom de l’équité naturelle, sur le droit du premier occupant à fouiller le sous-sol. Les moyens habituels de régulation conventions entre entrepreneurs et propriétaires, dédommagements, arbitrage par la justice suffisaient bien à ses yeux pour assurer le fonctionnement de l’ensemble. L’argument n’était pas sans fondement et même semblait d’un bon sens irréfutable au vue de la réalité, puisque la plupart des concessions nouvellement accordées peinaient à se mettre en place tandis que les exploitations traditionnelles au Creusot, à Rive-de-Gier, à Saint-Étienne foisonnaient, encore que ce fût dans le plus parfait désordre et non sans risque pour l’avenir, observaient les ingénieurs. Devenu Contrôleur général en 1774, Turgot se préoccupa avant tout de la formation des ingénieurs des Ponts, qu’il réorganisa par son Instruction de 1775. La querelle continua autour des mines. Dans le milieu des années 1780, Terray, alors intendant de la généralité de Lyon, soulignait combien il lui semblait difficile de dissocier la concession du foncier et qui plus est, du foncier aisé :
« Il est à désirer que les propriétaires aisés soient principalement chargés des concessions ; ce moyen plus doux est en même temps plus certain. Il multiplie le nombre de personnes qui peuvent se charger des exploitations ; il débarrasse l’administration d’une partie des querelles qu’occasionnent toujours les privilèges donnés aux étrangers. Ce motif acquiert plus de force lorsque les mines sont déjà en exploitation depuis plusieurs siècles, que le pays où elles sont situées n’a pas d’autre production que le sol détérioré par des tentatives faites par de petites exploitations n’a aucune valeur, où l’habitant propriétaire n’a d’autre revenus que le charbon qu’il tire de son champ et où l’habitant journalier n’a, pour gagner sa substance que le travail que lui procure le propriétaire pour extraire son charbon16 ».
15L’administrateur, pragmatique et réaliste, n’imaginait pas qu’on puisse retirer le doit à concéder en cas d’incapacité financière ou technique.
16On fut néanmoins assez près de s’accorder sur la nécessité d’améliorer les techniques en vigueur et de contrôler les pratiques dans ces années 1780. Le pays était durement sollicité par la guerre d’Indépendance américaine, l’usage de la houille allait croissant tandis qu’en parallèle, l’idée – le fantasme – apparut et se développa que le pays allait manquer de combustible sous toutes ses formes, bois, charbon de bois, charbon de terre. Pour le compte, la nécessité d’user de techniques correctes, qu’on supposait aptes à garantir des exploitations au meilleur coût et dans la durée, fit de plus en plus d’adeptes. Les États du Languedoc mandèrent les Gensanne père et fils pour expertiser les richesses du sous-sol de la province. À Saint-Étienne, les exploitants les plus dynamiques réfléchirent à l’idée de donner une destination plus lucrative à leur charbon, en lui faisant rejoindre Paris par la Loire, à la suite de quoi ils convinrent – nous sommes en janvier 1783 – qu’« à la vérité, jusqu’à présent, leurs mines n’ont pas été travaillées d’une manière exacte et avantageuse ». Et cela les amena à accepter de « s’assujettir aux règles de l’art pour qu’à l’avenir elles soient mieux exploitées ». L’élargissement de l’horizon économique des propriétaires-exploitants, le désir d’accroître les débouchés, en obligeant à une économie plus dynamique, moins régionale, conduisait à la nécessité d’investissement en techniques, en outils, en procédés. Jars le cadet, frère de l’ingénieur, fut dépêché sur les « carrières de charbon » et tenta de « montrer que l’intérêt du public exige que la Réserve soit réduite17 ». Telles sont les circonstances qui incitèrent l’État à considérer avec un peu plus d’intérêt et de fermeté les questions de la remise en ordre administrative et de la formation de spécialistes. La création en 1778 de la chaire de minéralogie docimastique à l’Hôtel des Monnaies que l’on confia à Sage fut un premier pas vers un enseignement autonome, reconnu comme tel. La nomination en mai 1781 de quatre inspecteurs – Guillot-Duhamel, Jars le cadet, frère de l’Académicien, Monnet, Pourcher de Bellejean – en fut un second.
17La question qui se posait était toujours, était encore, celle de la mise en place d’une administration adéquate, autonome, compétente et efficace. Recrutement et Formation paraissaient liés. Quelle structure utiliser ? L’École des Ponts ne pouvait plus jouer le rôle qu’elle avait joué dans les années 1740, elle ne pouvait plus servir de support. Le caractère scolaire de la formation dispensée au Bureau des dessinateurs s’était rapidement renforcé jusqu’à devenir une école véritablement à partir du milieu des années 1750. L’enseignement dispensé avait évolué dans le sens d’une codification plus étroitement liée à la finalité professionnelle – former des ingénieurs des Ponts – en même temps qu’il cultiva davantage l’idéal académique, compositions littéraires, exercices de dessin de la figure, de l’ornement et du paysage, toutes choses que conforta l’Instruction de Turgot en 1755. C’est dire qu’il s’était éloigné de la réalité industrielle – ou tout simplement productive – alors que l’exigence technique, la compétence commandaient davantage l’industrie. Où donc et comment former les futurs ingénieurs des mines ? Le débat fut vif entre les spécialistes mandés par le gouvernement pour répondre à la question18. Sage plaida pour l’ouverture d’une école des Mines et, abondant en ce sens, Jars le cadet publia les Voyages métallurgiques qu’avait composés son frère, dans lequel il défendait vigoureusement « l’établissement d’une École des Mines, à l’imitation de celle de Freiberg, où l’on professerait toutes les sciences utiles et nécessaires à l’Art de la Minéralogie et de la Métallurgie19 ». Monnet, autre personnalité consultée, s’opposa farouchement à l’idée en recommandant une formation sur le tas, dans les entreprises. Doit-on considérer que les termes du débat exprimaient la différence entre ce qu’on appellera plus tard la formation « à l’anglo-saxonne », connue pour privilégier le terrain et la formation « à la française », connue pour privilégier l’école ? La réalité, prosaïque, montre des protagonistes agités par des questions de statut et de reconnaissance. Sage était un professeur, de la catégorie des savants. Et, Monnet, son opposant, était de ces « administrateurs purs » qui pratiquaient l’Art des Mines dans leurs écrits, un « intellectuel » à défaut d’être officiellement un savant, qui passa sa vie à jauger, à évaluer, à user de la critique technique avec un art inégalé il faut l’avouer. Sa formation, il l’avait acquise à Paris, en suivant les cours de chimie, par la fréquentation assidue de la collection de minéraux, et en traduisant des traités allemands Il suffisait bien, disait-il, que les futurs inspecteurs suivent les « cours libres et gratuits » nombreux dans la capitale et qu’ils les complètent d’une formation sur le terrain dans les diverses exploitations20. Sage, à l’opposé, réclamait l’ouverture d’une école au nom précisément de la multiplicité des savoirs à acquérir, à étreindre ; au nom, peut-être plus finement, de la nécessité d’être en mesure d’apprécier, d’inspecter la multiplicité des métiers concernés par les entreprises minières et métallurgiques ; au nom aussi de la prébende qu’il espérait pouvoir y gagner…
18Sage l’emporta. Le 19 mars 1783, fut promulgué un ensemble législatif cohérent, le premier du genre à conjuguer la surveillance des mines, administration et formation. Trois arrêts en conseil portèrent, le premier, création de l’École des Mines de Paris ; le second, règlement pour l’exploitation des mines métalliques ; le troisième, règlement pour l’exploitation des mines de houille21. Pour rapprocher positivement l’administration de l’entreprise, il était prévu de créer douze bourses « en faveur des enfants de directeurs et des principaux ouvriers des mines qui n’auraient pas assez de fortune pour les envoyer étudier à Paris » (art. 12). Mettons du côté de ce qui fit pencher la balance en faveur d’une formation spécifique assurée par le gouvernement et offerte conjointement aux administrateurs et aux entrepreneurs, d’abord la nature de l’objet, savoir le contrôle et la gestion d’entreprises industrielles, privées, destinées à durer ; la personnalité des grands responsables des Finances ensuite. Genevois et « de la religion » comme chacun sait, banquier surtout, Necker pouvait espérer du développement de l’économie minière la régularisation des rentrées d’argent. Calonne qui lui succéda, était quant à lui directement impliqué dans les affaires industrielles, métallurgiques mêmes, puisqu’il avait investi dans une affaire de production de tôle, à Blandecques, dans le Nord de la France, très innovante pour l’époque. C’est qu’en arrière-plan, le marché s’emballait enfin, sous les coups de la Guerre d’indépendance. Les prix du plomb s’envolèrent de même que ceux de l’argent dont Calonne, faut-il le rappeler, consolida la valeur monétaire22. Le secteur bougeait, les demandes en concession se multipliaient pour toutes sortes de mines, de métal comme de houille, et le mouvement ne faiblissait pas.
19Mais l’heure n’était pas à l’accroissement des dépenses publiques. Terriblement dispendieuse, parce que Sage avait décidé de la mener sur un grand pied, l’École ne fonctionna que quatre ans. En 1787, moment de l’arrivée de Loménie de Brienne au Contrôle général, elle cessa d’accueillir des élèves ; l’année suivante elle était fermée23. Le mal était fait néanmoins, entendons : le Corps était là. À force de tentatives, de voyages, de placements plus ou moins prolongés dans l’industrie, à force d’épisodes scolaires même brefs, de missions, d’expertises sur tout le territoire, une compétence était née, un esprit s’était forgé. Ces hommes étaient divers, par leurs personnalités, leurs aptitudes, leur formation : Guillot-Duhamel, qui avait été le compagnon de Jars l’Académicien dans ses voyages, était passé par l’École des Ponts ; Jars le cadet était entrepreneur et dirigeait l’exploitation familiale à Chessy ; Monnet, déjà nommé, avait débuté dans la vie professionnelle comme apothicaire, Gillet de Laumont, nommé cinquième inspecteur en 1784, sortait de l’école du Génie de Mézières, etc. Mais cette hétérogénéité, ajoutée à l’indécision d’un gouvernement qui tantôt les appelait à la rescousse, tantôt les délaissait, les poussa à faire corps. Convaincus du bien-fondé et même de la nécessité de leur mission, ces hommes ressentirent le besoin de se regrouper, de se constituer collectivement autour de la technique qui faisait leur compétence24. C’est ce qu’exprime le plaidoyer de Sage pour la constitution d’une école spéciale, d’une école destinée à cultiver cette spécificité technique. Et, en la matière, son existence fut une réussite, car elle fut fondatrice.
20L’idée peut choquer, eu égard à la très courte durée de vie de l’institution, pas même une demie décennie. Mais l’impact de l’École de Sage est moins à appréhender en termes de durée que de qualité, qui fut celle de l’enseignement dispensé. Une vingtaine d’élèves suivirent les cours, dont quelques-uns jouèrent par la suite un rôle majeur au sein du Corps des Mines : Hassenfratz qui avait fait ses classes à l’école de charpenterie de Nicolas Fourneau, Duhamel le fils, Lelièvre, Lefebvre d’Hellancourt (promotion 1783) ; Baillet (élève surnuméraire, promotion 1785) ; Brochant, Cormier (élèves surnuméraires en 1788), Alexandre Brongniart (auditeur libre, 1786), pour donner quelques grands noms25. L’histoire de cette école des Mines première manière s’arrête souvent à l’évocation de Sage, personnalité haute en couleur, contestée autant que contestable. Autrement discrète, la présence de Guillot-Duhamel fut autrement cruciale. L’arrêt du 19 mars 1783 avait décidé de l’existence de deux chaires, l’une pour l’enseignement de « la chimie, la minéralogie et la docimasie », tâche qui incomba à Sage ; l’autre pour l’enseignement de « la physique, la géométrie souterraine, l’hydraulique et la manière de faire avec le plus de sûreté et d’économie les percements et de renouveler l’air dans les mines pour y entretenir la salubrité, enfin les machines nécessaires à leur exploitation et à la construction des fourneaux », tâche qui incomba à Duhamel. Nous savons ce qu’en fit l’ingénieur par ses écrits, une Géométrie souterraine en deux volumes publié en 1787, « le premier traité sérieux paru en France sur les levers de plans et tracés souterrains » qui, selon A. Birembaut, périma « dès sa parution la Géométrie souterraine, ou Traité de géométrie pratique appliquée à l’usage des Mines publié en 1776 par Gensanne » ; un Art du Mineur et un Art du métallurgiste, restés quant à eux sous forme manuscrite26.
21Mobilisant la pratique qu’il avait acquise en tant que maître de forges, les connaissances recueillies dans les multiples voyages et expertises dont il avait été chargé, Duhamel proposa à ses élèves une appréhension globale de l’exploitation minière et métallurgique. Son cours débutait par la présentation du terrain, c’est-à-dire les travaux de recherches, et s’achevait par le traitement des boues argentifères, c’est-à-dire le traitement ultime des matériaux avant leur passage à la fonderie. Entre ces deux bornes, venaient successivement la préparation du souterrain (boisages, muraillements), les méthodes d’exploitation du filon, la circulation de l’air et des matériaux, la description des machines d’épuisement, des plus élémentaires au plus modernes : épuisement par hommes, par chevaux, par roue hydraulique, par machine à colonne d’eau, par machine à feu enfin, avec la présentation de la machine établie à Montcenis au Creusot. Cette manière d’approcher l’entreprise était indispensable parce qu’elle conférait au futur ingénieur, un cadre de pensée, une lecture de l’exploitation centrée sur son objet, la production à moindre frais de minerai et de métal. Mais l’intellectuation ne se confond pas avec l’abstraction. Duhamel n’oublia de compléter son enseignement une approche visuelle, de lui donner toute la matérialité souhaitable. Le professeur accompagnait donc ses explications de démonstrations en présentant des modèles de machines et d’appareils utilisés dans les mines, réalisés à partir de ses propres dessins. Les élèves, qui recevaient en complément des cours de dessin et d’architecture pratique, des leçons de physique expérimentale et de langues étrangères (allemand et anglais) avaient obligation d’effectuer un stage dans les principales exploitations « de manière à s’initier à la pratique des travaux » (art. 7). Au bout de trois ans d’études, ceux qui avaient satisfait aux examens et aux conditions de stage effectués le plus souvent dans les grandes concessions, le Huelgoat-Poullaouen au premier chef, recevaient le brevet de sous-ingénieur des mines. Ainsi, l’approche théorique se constituait en prenant pour socle la pratique, du voyage à l’école qui était le trajet du professeur, de l’école au voyage qui était le trajet de l’élève, en passant par la pratique dans l’entreprise.
22Il fut loisible aux Constituants de délaisser cette administration embryonnaire autant qu’hétéroclite, de l’identifier aux excroissances bureaucratiques contre quoi ils s’étaient insurgés. Il fut loisible au comité des Finances de l’Assemblée de souligner le coût de fonctionnement de l’École, les dépenses somptuaires engagées par Sage et de plaider, au nom de l’économie de moyens, en faveur d’une intégration du service des Mines dans l’administration des Ponts et Chaussées que tenait fermement en main Chaumont de la Millière27. C’est alors qu’apparut l’expression « Corps des Mines » : elle fut prononcée publiquement pour la première fois le 2 juin 1790 dans le mémoire adressé par les ingénieurs à l’Assemblée Nationale pour se défendre contre la menace qui planait de verser les ingénieurs et sous-ingénieurs des Mines dans l’administration des Ponts, de mettre sur pied une sorte de « Génie civil » public constitué d’inspecteurs de manufactures voués à la surveillance de tous les travaux industriels, sans distinction de compétences. Par opposition, les ingénieurs des Mines brandirent cette compétence technique qui faisait d’eux des spécialistes de l’organisation souterraine ; des hommes de l’entreprise industrielle dans la durée et le long terme, et réclamèrent une neutralisation du sous-sol par la remise de sa propriété entre les mains de l’État, garant du bien public. La vivacité de la riposte témoigne de la cohésion qui s’était faite autour de l’identité technique.
23Arrêtons-nous quelque peu sur un texte qui résume l’expérience acquise durant un demi-siècle de tentatives, de débats et de pratiques sur le terrain, en même temps qu’il la cristallise, qu’il fonde la spécificité d’une administration réservée aux mines, justifie, légitime son existence. La rhétorique en est grandiloquente, à forte teneur fantasmagorique avec une définition de l’exploitation minière qui tient de l’épopée, du titanesque. Qu’est-ce donc que le travail minier ? « Extraire et élever des couches inférieures de la Terre, les matières métalliques […] ; porter à 12 ou 15 000 pieds de profondeur une somme d’activité et de force capables de résister à des pressions énormes, à des amas de liquide qui tendent continuellement à y pénétrer avec une rapidité destructrice, et aux difficultés d’y entretenir un air respirable ». Le mémoire fait écho à l’épopée politique en cours, à l’énorme travail de reconstruction de « régénération » du pays entrepris par la Constituante depuis juin 1789, et renvoie à l’ignorance, thème auquel l’assemblée était sensible. Pleinement mobilisée, la métaphore cyclopéenne donne une vision élargie de l’exploitation minière dans l’espace et dans le temps, et sert à faire comprendre aux Constituants la véritable dimension de cette sorte d’entreprise, à contrer la représentation qu’ils en avaient à l’échelle ordinaire des temps. Ouvrir une mine et l’exploiter convenablement, c’est organiser « une somme d’activités et de forces » de manière à résister aux forces naturelles. Et mener une telle œuvre à bien requiert un collectif, de la technique, que peut inventer, déterminer, définir « [non] pas l’homme seul, mais la réunion du génie, des forces de plusieurs ». Génie : le mot est lancé avec tout le contenu qu’on peut lui supposer. En face, on suppose le propriétaire, esseulé.
24« Chez un peuple agricole, les mines ne peuvent être qu’objet de police ou d’inspection. On doit à cette partie protection, encouragement, instruction sans faste et manificence : l’intérêt particulier fera le reste », avait affirmé Lebrun. En réponse, l’idée court qu’il y a erreur d’attribution, que l’exploitation minière relève certes de l’organisation sociale, mais qu’elle n’est ni « agricole », ni « naturelle », qu’elle exige au contraire un ordonnancement positivement réfléchi, mûrement construit. L’adresse réfute à l’endroit du sous-sol l’idéal de propriété défendu par l’Assemblée. C’est une erreur, observent les ingénieurs de vouloir faire entrer les mines dans l’ordre « des terrains superficiels ». Le sous-sol ne peut « être compris dans le partage ordinairement fait des surfaces » parce que le produit qui en résulte « n’a pu résulter pour l’homme de son travail qui n’a été appliqué qu’à cette surface ». En d’autres termes, l’exploitation ne peut exister « sans le concours de plusieurs ou de la société ». Mais cette exploitation qui échappe à l’espace individuel, échappe aussi au temps. Si la mine relève de l’exorbitant, si sa gestion ne relève pas du droit ordinaire, si elle doit être placée en dehors de son orbite, c’est parce qu’on trouve, en son fondement, la nécessité de durer. L’affirmation se veut évidence : le temps de l’exploitation minière n’est ni celui de la Nature, ni celui de l’exploitant ; c’est un temps artificiel, qui déborde la durée d’une vie humaine, en une continuité que seule la technique peut assurer, à condition qu’elle soit collective et transmissible. Et qui d’autre que le Génie, c’est-à-dire cette connaissance du souterrain que l’ingénieur acquiert par la science et l’expérience, peut assurer une vision à long terme, autoriser une projection dans les temps futurs ? « Il arrivera que dans trente ans, la plupart des mines ayant été exploitées jusqu’à 40 ou 50 toises seront alors abandonnées ou trop coûteuses à exploiter ». Le profit aura été immédiat, mais la nation appauvrie définitivement. Il était aisé de renvoyer la Constituante à ses obligations, à ses devoirs de préservation. Minerais et métaux n’étaient-il pas d’une absolue nécessité ?
25Exploiter à l’horizon séculaire, c’était se placer à l’échelle séculaire de la Technique et du Droit, ce pourquoi il revenait à « la Nation française de déclarer les mines nationales ». Mais le jeune Corps des Mines ne déduisait pas de cette neutralisation du sous-sol – ou si l’on préfère de sa sacralisation – une automaticité quant au mode de propriété. Décréter les mines objet national, c’était placer la nation devant ses devoirs de protection des richesses nationales et de technicité pour en user. Quant à en définir les modalités précises d’attribution, c’était à l’Assemblée, au droit positif d’en juger. Plusieurs choix étaient possibles, deux modèles au moins étaient présents, le modèle allemand, avec direction de l’exploitation par les agents de la Nation, le modèle anglais, avec surveillance de concessions attribuées à des compagnies privées. L’argument était habile, qui évitait de prendre totalement à rebours les susceptibilités de l’Assemblée à l’égard du droit de propriété. De surcroît, il traduisait une belle maturité. Car, ne pas opter, ou mieux refuser d’opter, signifiait une prise de distance vis-à-vis des modèles, l’acceptation de l’idée d’adaptation. Rien donc n’est dit sur les modalités du choix, mais puisqu’il faudra, quoiqu’il arrive, « soit conduire les exploitations dans les divers départements », soit « surveiller les mines concédées à des compagnies », c’est-à-dire apprécier l’utilité des travaux des concessionnaires, les éclaircir, les diriger de la manière la plus avantageuse pour eux, et « les mettre à l’abri des tentatives et des propositions insidieuses des charlatans qui ont nuit d’une manière effrayante et incalculable à l’exploitation des Mines en France », l’évidence court que ce débat-là se devra d’être technique ou qu’il ne sera pas. La démonstration, in fine, légitimait l’existence du Corps des Mines.
26Et parce qu’elle touchait à la fois l’ingénieur, et son partenaire, l’entrepreneur, elle obligeait à distinguer entre Mines et Ponts. Il était impossible que les deux Corps aient la même approche du rapport à l’entrepreneur, à l’entreprise. Certes, il y avait l’image commune de l’entrepreneur frivole, dépensier, soucieux de son profit immédiat, méprisant ou plus exactement oublieux voire ignorant du bien public et de l’intérêt général, qu’il fallait donc encadrer, moraliser. Cette vision de l’entrepreneur immature, au fondement de l’action des technologues, fut le ciment idéologique de la relation public/privé telle qu’elle s’est construite en France. Pour autant, entrepreneur des Mines et entrepreneurs des Ponts ne pouvaient se confondre. Il y avait, au principal de la différence, la relation entre durée et économie. L’ingénieur des Mines se devait de faire durer, là où celui des Ponts se devait d’aller au plus vite. Au nom de l’économie et du bien public, les approches étaient inverses. Économiser pour l’ingénieur des Ponts (comme d’ailleurs pour le Génie maritime), c’était faire que le chantier se mène vite et bien28 ; économiser pour l’ingénieur des Mines, c’était faire que l’exploitation avec sa multiplicité de chantiers dure, et qu’elle dure longtemps. Exploiter les gîtes sur le mode de l’appel d’offres comme il était habituel pour un chantier public ou la réalisation d’un navire, n’était pas approprié. Non pas que l’appel d’offres éliminât en soi la compétence. Mais il la mettait en concurrence par la négative, au « moins disant », et il engageait l’entrepreneur désigné dans la spirale de la rapidité d’exécution. Or la mine était un objet inconstant, sujet à changement de faciès, ce qui entraînait une modification constante des conditions d’exploitation. Comment juger par anticipation de la capacité de tel ou tel entrepreneur à faire face à des difficultés dont nul ne pouvait savoir au départ ce qu’elles seraient par la suite ? L’anticipation se devait d’être ailleurs, dans une approche spatiale, géométrisée, quantifiée, calculée, tout savoir inhérent au métier d’ingénieur. Plaider pour l’existence du Génie minier, revenait donc à plaider pour la transformation de l’entreprise, pour la modification de la relation de l’entrepreneur au temps, à la durée.
Mines, au risque de Polytechnique
27Le mémoire frappait juste. Il touchait l’assemblée en ce point de tension incomplètement résolu qu’était la relation entre propriété et bien public. Par défaut comme ils savaient le faire, les Constituants traitèrent l’affaire à demi et laissèrent le reste en suspens. Le 15 août 1790, ils refusèrent ce que Lebrun avait proposé le 5 juin, savoir la fusion des deux corps, celui des Mines avec celui des Ponts. C’était reconnaître par la négative l’utilité d’un service dont, pourtant, on suspendit provisoirement l’activité. La question fut renvoyée aux comités réunis d’agriculture, de commerce et d’industrie.
28Car, en parallèle, une loi minière se préparait, dont les dispositions dépendaient du rapport de forces entre partisans du régime de concession et partisans du régime de propriété. Les députés de Rhône et Loire ne furent pas les moins ardents, on s’en doute, à défendre les intérêts des propriétaires-exploitants des bassins houillers. Mais côté concession, il y avait les grandes compagnies exploitantes, la Compagnie des Mines de Basse-Bretagne, Vialas, Montrelais, Carmaux, Anzin, Aniche. Ces deux réalités de terrain, ces deux logiques productives s’opposèrent sans que l’Assemblée parvînt à trancher. La loi du 28 juillet 1791 sur les mines et minières du royaume prétendit fonder le droit minier en reconnaissant en son article premier, « le droit exclusif des propriétaires de surface à la jouissance libre des mines, soit à tranchée ouverte, soit même avec fosse et lumière jusqu’à cent pieds de profondeur29 ». Ce faisant, elle s’inscrivait dans la ligne défendue en son temps par Turgot, en faisant de la propriété, le fondement du Droit, en considérant que là résidait le dynamisme essentiel, la motivation primordiale, l’impulsion à exploiter. Mais la propriété terrienne pouvait-elle suffire à bâtir cette moralité que semblait devoir exiger la conduite dans le long terme d’une exploitation minière ? L’assemblée hésita à considérer qu’il pouvait en être ainsi. La demande en concession fut maintenue et les élites locales convoquées en manière de garantie. La loi confia au directoire des départements le droit et devoir d’octroyer les concessions, au-delà des cent pieds de profondeur (quarante mètres environ).
29L’Assemblée, sur ce point, atteignait ses limites. Ayant mis à bas un monde d’arbitraire, d’autorité mal venue, elle craignait plus que tout de le reconstituer. Ce pourquoi elle négligea (ou refusa) de structurer la nouvelle organisation administrative dans le sens d’une centralité qui pouvait restaurer les anciens cadres, légitimer les anciennes habitudes. Ce refus fonde la loi du 28 juillet 1791 au même titre que l’appréciation positive portée sur la propriété. On en vint à la quadrature du cercle : jusqu’à cent pieds de profondeur, le propriétaire était maître chez lui, mais au-delà, les départements se devaient d’intervenir ; il revenait au ministre de l’Intérieur d’opérer une surveillance, mais aucun intermédiaire, aucun rouage administratif n’était placé entre l’Exécutif et les départements. Pour couronner cette chimère, le service des Mines fut maintenu avec sa technicité, sa culture de concession, de centralité, d’ordonnancement des espaces souterrains au nom du bien public, sans recevoir de mission précise. « Messieurs, avait fait observer Regnault d’Epercy », en ce même juillet 1791, « vous pourrez employer utilement pour l’intérêt public ces hommes éclairés et instruits qui faisaient partie de l’ancienne administration. Vos comités se plaisent à leur rendre justice : c’est à eux principalement qu’ils doivent tous les renseignements qui leur sont parvenus sur l’exploitation des Mines30 ». Par décret du 27 janvier 1792, la Législative décida de conserver leur solde aux inspecteurs, sous-inspecteurs, ingénieurs et élèves des Mines, et leur accorda rétroactivement une indemnité pour les années 1790 et 1791 durant lesquelles ils n’avaient pas été rétribués. La loi ouvrait la porte à toutes les disputes ; la contestation s’y engouffra. Et cela eut pour effet de renforcer le Corps dans ses convictions quant à sa mission pédagogique, quant à son esprit de centralité, quant aux moyens à prendre pour que se développe une grande industrie minière et métallurgique dans le royaume.
30Interrogée à son tour sur la création d’un corps unique d’« ingénieurs nationaux », la Convention refusa31. L’urgence était ailleurs, dans la mobilisation des spécialistes pour fabriquer armes, matériels, et pour accroître son potentiel en cadres techniques. L’assemblée souveraine rappela qu’il y avait nécessité « à employer tous les artistes qui peuvent avoir les connaissances et les talents nécessaires pour la défense des places ». Entre les deux étés 1793 et 1794, Paris devint l’arsenal de la France : Hassenfratz organisa la manufacture d’armes ; Monge, Vandermonde, Berthollet publièrent en brumaire an II (novembre 1793), l’avis aux ouvriers en fer sur la fabrication de l’acier qui fut diffusé à 15 000 exemplaires ; en mars 1794, l’École des armes prodigua des cours révolutionnaires sur la fabrication des poudres et les canons qui furent suivis en avril d’un atelier d’apprentissage pour la fabrication des faux et autres instruments aratoires. La formation technique était à l’ordre du jour de la République. Et dans le fil de cette conjoncture, le Comité de Salut Public exigea, le 24 ventôse an II (15 mars 1794), que lui fût présentée « le plus tôt possible une nouvelle organisation de l’école des Mines ».
31Il en résulta le projet du 19 Germinal an II (8 avril 1794), préparé par Hassenfratz et que discutèrent Fourcroy, Lefebvre-Hellancourt et Guillot-Duhamel. Détaillons-le quelque peu, car il plane sur la suite comme un ombre. Dans un esprit très républicain imprégné de cette foucade idéologique qui prévalait alors et avait transformé les ministres en « agents », on y voit, les ingénieurs devenir des « instituteurs » et des « employés des Mines ». L’essentiel est ailleurs cependant, dans le souci clairement affiché d’établir un lien dynamique d’apprentissage réciproque et de diffusion des connaissances entre les praticiens de l’industrie et les savants, par le moyen d’une École centrale des mines. L’intention était d’organiser l’enseignement en deux niveaux, en organisant des écoles primaires sur chaque site minier et une école centrale à Paris. Admis à partir de quatorze ans, les élèves auraient dû acquérir à l’école primaire « quelques rudiments de mathématiques » et « toutes les branches du travail des mines ». Trois ans plus tard, les meilleurs d’entr’eux auraient été proposés au concours de recrutement de l’école centrale des Mines, où ils auraient reçu un enseignement en deux paliers : au sortir d’une première phase de scolarité de deux ans, la majorité aurait pu « postuler des places dans les mines » en tant qu’« employés des mines » ; tandis que les plus doués auraient pu devenir « instituteurs » dans les écoles primaires des mines après avoir étudié deux autres années.
32L’influence de Condorcet est patente dans cette manière de faire émerger l’élite à partir du peuple, comme est patente l’influence des Réflexions sur l’instruction publique que Lavoisier avait mises en chantier à l’automne 179332. Mais le projet n’en possédait pas moins sa personnalité propre : du fait qu’il prétendait mêler théorie et pratique, il était profondément technologique. Les maladresses d’écriture témoignent de la difficulté qu’il y avait à mettre sur pied, au-delà de la discussion philosophique, une structure d’enseignement articulant correctement sciences et arts. Là pourtant réside la nouveauté, en quoi il marque historiquement une étape. Appelés « instituteurs-agents », les enseignants de l’école centrale devaient être au nombre de douze, moitié plus que le nombre de matières enseignées, un surnombre voulu pour organiser l’alternance entre les tâches d’inspection et les tâches d’enseignement. Recrutés parmi les instituteurs d’école primaire après deux ans minimum d’ancienneté, ils auraient été dans l’obligation, une année d’enseigner, et l’autre année de se consacrer aux tournées en province, « pour tout ce qui est relatif à la partie des mines, sur les matières de son enseignement » afin de « dénoncer les abus, améliorer, faire les rapports ». Le but premier de ce lien constant avec la réalité de terrain était d’empêcher que les instituteurs-agents donnent « machinalement leur cours », de les empêcher aussi de « s’endormir dans leur chaire académique ». C’était plus encore le moyen envisagé pour accélérer la circulation des savoirs : en contact direct avec l’exploitant, les instituteurs-agents devaient en recevoir les lumières autant qu’ils lui en apportaient. Car, était-il précisé, sans ce contact « non seulement ils n’étendraient pas la science, mais n’en suivraient pas le progrès ».
33On s’amusera de la méfiance manifestée vis-à-vis d’un corps professoral supposé s’endormir sur ses lauriers et s’écarter irrésistiblement de la réalité industrielle. Mais, au-delà, il est frappant de constater combien l’idée d’une science transcendantale, apportant sa raison au monde de la production, est étrangère au projet. Deux réflexions s’imposent à cet égard, qui concernent la technologie et le rapport théorie/pratique. Le projet a beau s’en défendre, il met en œuvre, pour la première fois peut-être, la distinction entre école pratique et école théorique. Et parce qu’il s’en défend, il fait apparaître la complexité de ce débat qui débutait. Comment, dans ce métier-là, assurer la nécessaire cohabitation entre les trois composantes de l’acquisition : la science, c’est-à-dire la connaissance théorique de la matière et des matériaux ; la technique, c’est-à-dire le savoir-faire intellectualisé, formalisé et projeté ; et la pratique, c’est-à-dire les gestes et les mots du métier ? Qui former et pourquoi ? Le projet y répondait en organisant le dialogue direct entre instituteurs, exploitants, mineurs et élèves, pour « établir une continuelle circulation des Lumières entre les divers établissements des Mines », en donnant pour lieu du dialogue, l’établissement, d’un terme qui désignait conjointement l’exploitation et l’école et, de ce fait, leur conférait une unité dans la manière de les entendre, de les conduire et de les perfectionner. Là se dévoile l’arrière-plan technologique. Hassenfratz fut le seul, dans toute cette période, à s’en réclamer nommément, à l’enseigner en tant que telle. Et il fut sans conteste l’un de ceux qui assurèrent le passage entre la « technologie » à dominante pédagogique telle qu’elle fut pensée, réfléchie par l’Académie des Sciences et les efforts faits dans les premières décennies du xixe siècle par les ingénieurs et les savants pour construire une technologie comprise comme une science de l’industrie. Car le projet d’Écoles des Mines tel qu’il fut élaboré en 1793, marque un tournant dans l’histoire de la notion. Sous la pression des événements, avec la nécessité proclamée – et bien réelle – d’aller vite et d’être efficace, qui était rappelons-le la philosophie politique du Gouvernement révolutionnaire, une étape fut franchie au cours de laquelle on se détourna définitivement du souci de théoriser l’industrie dans le seul but de l’administrer, conception qui prévalait en Allemagne. À cent lieux du but que lui avait assigné Beckermann d’ordonner la production, d’en construire une image standardisée, pour permettre à l’homme de l’administration publique d’y voir plus clair et lui donner les moyens de la surveillance et du contrôle, la technologie devenait proprement industrielle, le résultat d’un travail conjoint entre toutes les parties pour conférer à la production industrielle toute l’efficacité souhaitable33.
34Théoriquement du moins – car dans les faits, la situation fut autrement compliquée – l’effort industriel se trouvait légitimé, exalté même parce qu’il était l’un des piliers de la mobilisation et donc de la construction de la République. L’institution d’un Agence des Mines sanctionna l’intention. Par décret du 24 messidor (12 juillet 1794), la nouvelle structure reçut en partage les hôtels de Périgord et de Mouchy pour y installer ses bureaux, sa bibliothèque et son laboratoire et y organiser les cours publics que les ingénieurs étaient tenus de faire34. Telle avait été la décision finale en effet : être élève-ingénieur signifiait que l’on avait intégré le Corps et que l’on en occupait la position la plus basse, le grade inférieur. Ils devaient être quarante, recrutés chaque année sur concours. L’organisation de la formation, tout en s’inspirant de la philosophie générale du projet présenté par Hassenfratz quant au rapport théorie/pratique, s’en était éloignée par force, eu égard à la réalité. Comment en effet demander aux exploitations, fermées pour la plupart, ou en bute aux pires difficultés pour se procurer matières premières, machines et numéraires, d’être le siège d’écoles primaires ? Il était sage de s’en tenir à la manière traditionnelle des formations professionnelles, c’est-à-dire que dans l’agencement tel qu’il fut décidé, il n’y eut pas d’école à proprement parler. Les ingénieurs, qui pouvaient être « choisis parmi les anciens inspecteurs ou ingénieurs ou parmi les directeurs des travaux des mines ou autres personnes ayant les connaissances pour en remplir les fonctions » (art. 2), avaient pour mission d’opérer des tournées huit mois de l’année entre printemps et automne en compagnie de deux élèves dont ils assuraient la formation, et pour les quatre mois d’hiver, entre brumaire et pluviôse, d’assurer les cours publics à Paris à l’intention des jeunes gens qui se préparaient à devenir élèves-ingénieurs. Les élèves recevaient donc leur formation théorique avant d’intégrer le Corps. Et c’est après avoir réussi le concours d’entrée, qu’il recevait une formation de terrain, huit mois de l’année en suivant les ingénieurs dans leur tournée, et les quatre mois restant, en allant exercer leurs talents dans les exploitations. On reconnaît à côté de la politique de terrain chère au projet de Germinal, l’hétérogénéité d’origine, cette mixité privé/public, décidément caractéristique du corps des Mines à ce moment.
35Ce fut une période étonnante et indubitablement elle fit date dans l’histoire du Corps, dont nous pouvons juger en délaissant brièvement l’histoire pour l’historiographie. Il est singulier en effet de voir Louis Aguillon, un grand du Corps, décrire avec complaisance cette période dans la Notice historique sur l’École des Mines de Paris qu’il publia en 1889. L’écriture bien sûr relève de l’officialité. Mais l’ingénieur s’appesantit sur la période, multiplie les louanges, déploie une expression proche de celle des éloges funèbres. Tandis que les termes abondent, de « mission », de « modestie », de « bien public », etc., rien n’est dit de la Terreur, rien ne transparaît des difficultés du temps. L’auteur s’attarde sur les dénominations symboliques, sur cette école des Mines qui demeurait rue de l’Université et s’appelait maison d’Instruction ; il évoque le moment à la manière d’un « tempus amoenus », d’un temps idyllique. Délaissant Sage et l’Hôtel de la Monnaie, épisode par trop sujet à caution, L. Aguillon fait de la Maison d’Instruction à l’Hôtel de Mouchy le lieu mythique, le moment fondateur du Corps des Mines. L’ouvrage qui venait en accompagnement obligé des célébrations en cours, centenaires de la Révolution et de l’École Polytechnique et répondait à une commande, concédait aux nécessités du temps et à celle du Corps en représentation. L’auteur cependant dissimule difficilement des sentiments contradictoires lorsqu’il évoque l’École Polytechnique et le débat entre écoles d’application et les écoles pratiques. Alors l’écriture se contourne ; l’ambiguïté l’emporte ; l’insistance révérencieuse sonne faux. Le discours, officiel et compassé, ne recouvre qu’imparfaitement une appréciation divergente, subtilement critique. Jouant avec les faits, et même les détournant, il laisse entrevoir la nostalgie d’un temps où le Corps et l’administration des Mines agissaient en toute autonomie35.
36Car, c’est un fait, l’autonomie exista. Durant huit années, de 1794 et 1802, le fonctionnement de l’administration fut totalement collectif et indépendant. Les ingénieurs, inspecteurs, élèves présents à Paris se réunissaient chaque mercredi et chaque dimanche. « Dans ces conférences, on devait lire des mémoires et disserter sur le fait des mines, présenter tous les cas difficiles et les machines qui peuvent s’y trouver utiles », indique Monnet qui attribue à Hassenfratz, le caractère d’obligation de ses conférences, en quoi il se trompait : c’était reprendre une habitude instaurée aux Ponts, par Trudaine dès 1747. La nouveauté, si nouveauté il y eut, fut la publicité donnée à ces travaux par l’intermédiaire du Journal des Mines où ils paraissaient régulièrement36. « C’est encore là le fruit de l’imagination de cet Hassenfratz » glose notre homme qui, une fois n’est pas coutume, reconnaît le bien-fondé et la réussite de l’entreprise. « Dans ce journal, assez volumineux, et qui ne paraissait qu’une fois tous les mois, parmi des choses très connues parmi les mineurs, on insérait de fort bonnes pièces, des observations très importantes ». L’analyse des index qui complètent la publication confirment l’appréciation. On y dénombre cent trente articles ou notes consacrés à la houille sur l’ensemble de la période de publication entre 1794 et 1815, soit six à sept articles par année, presque un par mois. Une telle régularité révèle un intérêt fort et soutenu. Parallèlement, suivant une évolution analogue à celle qu’avait connue le Bureau des dessinateurs en son temps, la Maison d’instruction se transforma en école. Il était prévu que les cours publics dispensés portent « sur la minéralogie et la géographie physique, l’extraction des mines, la docimasie ou l’essai des Mines, la métallurgie ou le travail des Mines en grand ». En fait, les plus grands y firent cours, et pas seulement les ingénieurs, ce qui fut un effet indirect de la disparition de l’Académie des sciences37. Le lien se fit naturellement avec Mouchy qui recueillit les personnalités les plus marquantes de la classe de chimie et servit d’abri en échange de conférences. Haüy, membre de l’Académie depuis 1783 y trouva le public compétent pour asseoir et propager ses recherches en cristallographie. Vauquelin y fonda l’enseignement de la docimasie38. Enfin, pour la première fois, une chaire fut ouverte pour la géographie physique, qu’on n’appelait pas encore géologie ; Dolomieu et Alexandre Brongniart y développèrent leurs théories l’un sur les terrains éruptifs, l’autre sur les terrains sédimentaires. On comprend qu’entre pratique et conférences, les élèves balancèrent peu, et l’hiver, plutôt que de rester sur les exploitations, ils prirent l’habitude de revenir sur Paris pour recevoir un complément d’enseignement.
37C’est alors que Polytechnique fit irruption. Sous le coup des arguments qu’avait déployés Monge dans son Institution de l’École centrale des Travaux publics à l’été 1794, le débat qui courait depuis septembre 1793 sur la nécessité d’une formation unique pour les ingénieurs de l’État, finit par aboutir. Un premier jalon avait été posé par le décret 21 ventôse an II (11 mars 1794) qui avait décidé de la fusion entre deux Corps, celui du Génie militaire et celui des Ponts, dans le but d’affaiblir et de moraliser le premier. Allant au delà, le décret du 7 vendémiaire an III (28 septembre 1794) décida de la naissance de l’École centrale des Travaux publics. Il faut « répondre aux besoins de l’État, dans les cinq sortes d’ingénieurs, et en même temps rétablir l’enseignement des sciences exactes qui avait été suspendu pendant les Crises et la Révolution » proclama Fourcroy dans son rapport39. C’était, subsumé sous la géométrie analytique de Monge, le retour et la victoire du projet d’ingénieur national proposé par deux fois, et par deux fois repoussé. La décision était potentiellement régressive eu égard au renouvellement en cours de l’industrie, des sciences expérimentales, et du métier d’ingénieur. Parmi les risques encourus, il y avait celui d’enclore, de réduire la figure de l’ingénieur au seul ingénieur d’État aux dépens de l’ingénieur d’industrie, un risque majeur puisque l’un existait de longue date et l’autre n’était qu’en émergence. Il y avait cet autre de diviniser les sciences exactes, (ou si l’on préfère d’invalider la légitimé des autres sciences) du fait du lien institué entre le « rétablissement » de leur enseignement et l’État. Le risque ultime était de brouiller la notion d’application, de la réifier, de la figer dans une relation hiérarchique avec les sciences exactes, alors que cette notion était aussi en cours d’émergence.
38Nul certainement n’eut conscience de ces dangers que masquaient d’ailleurs la force du projet de Monge et l’épithète de Polytechnique qui fut conféré à la nouvelle école en fructidor an III (septembre 1795). Mais le conseil des Mines se sentit menacé : le décret du 7 vendémiaire ne disposait-il pas que « les écoles d’ingénieurs continueront d’instruire ceux des élèves n’ayant pas réussi le concours à l’École Centrale des Travaux publics » ? Cela plaçait l’école de Mouchy en position d’infériorité. Habitué à défendre sa personnalité technique, et fort de ses prérogatives, le Corps porta la résistance sur les deux fronts de la théorie et de la pratique, revendiquant le rôle de pédagogue que l’ingénieur se devait d’exercer vis-à-vis de l’industriel, et veillant en parallèle à conserver un enseignement des sciences spécifiques au domaine minier et métallurgique. « Nous considérons l’établissement d’une école pratique comme le principe régénérateur de l’exploitation des Mines ». Lancé en germinal an III, l’avertissement réaffirmait les grands principes en s’inscrivant tactiquement dans un registre cher aux Thermidoriens. Le gouvernement le prit en compte, mais ce fut dans un sens différent du sens souhaité. La loi du 30 vendémiaire an IV régla les relations entre l’École Polytechnique et « les écoles du service public » qui devenaient des écoles d’application. Et, en son titre VI, elle réduisait les prérogatives de l’Agence qu’elle transformait en conseil des Mines, placé auprès du Ministre de l’Intérieur « pour donner son avis sur toutes les questions relatives aux mines » (art. 1). En complément, et ce fut la grande nouveauté, elle imposait l’établissement d’une « école pratique pour l’exploitation et le traitement des substances minérales près d’une mine appartenant à la République et déjà en activité ou dont on pût commercer et suivre l’exploitation avec avantage » (art. 2), école qu’elle destinait à deux sortes d’élèves :
- « les élèves du gouvernement ayant passé par l’École Polytechnique, déjà classés dans le Corps venant y prendre l’instruction et l’habitude du métier » ;
- « les élèves externes […] admis à suivre l’instruction de l’École, à leurs frais pendant un an ». Reconnu dans sa spécificité, le Corps était conforté dans son droit à assurer la formation pratique des ingénieurs du gouvernement et dans son aptitude à former l’entrepreneur. Mais en contrepartie, il perdait Mouchy.
39Aux yeux du gouvernement, en effet, l’établissement n’avait plus de raisons d’exister. La porte d’entrée des élèves-ingénieurs du gouvernement n’était-elle pas désormais Polytechnique ? Et les savants avaient retrouvé une demeure grâce à la loi Daunou, qui avait créé l’Institut national des Sciences et des Arts. Un nouveau partage des savoirs s’instaurait, avec ses légitimations assignées : aux savants, l’Institut ; aux ingénieurs du gouvernement, Polytechnique ; aux exploitants, une formation limitée aux besoins de la profession, exploitation et métallurgie. Mais, par contre-coup, le Corps perdait le contact direct, constitutif qu’il avait établi avec ces sciences qu’il considérait comme siennes, la chimie, la jeune géologie et la minéralogie. Pour le compte, il s’installa avec opiniâtreté dans une sorte de résistance passive. Il était évident que Mouchy durerait jusqu’à l’ouverture de l’école pratique, ne serait-ce que pour héberger les élèves venus de Polytechnique40. Par une malédiction difficile à comprendre au premier abord, ces spécialistes de la géographie et de l’économie minière échouèrent à trouver ce lieu adéquat qu’on leur demandait. Les propositions avortèrent l’une après l’autre, celle qui s’était portée sur Ste-Marie-aux-Mines d’abord en frimaire an IV (décembre 1795), puis celle qui concerna Giromagny.
40Le gouvernement s’opposa avec force à la théorie des « arrondissements minéralogiques », qui fondait ces projets, et en vertu de laquelle les districts miniers composés par l’administration de manière à regrouper des entreprises complémentaires, devaient être dirigés par des ingénieurs du Corps. Il avait pour cela de bonnes raisons : la plupart des expériences de régie directe, de direction d’entreprises par des ingénieurs du gouvernement avaient tourné au désastre, ce qu’au demeurant les inspecteurs des Mines savaient pour l’avoir vécu à leurs dépens, dans les territoires occupés tout particulièrement41. Aussi bien, jusqu’à quel point faut-il être dupe ? Jusqu’à quel point faut-il prendre au sérieux ces propositions de sites prestigieux dont tout professionnel connaissait le délabrement42 ? À l’évidence, tant que la quête durait, tant que se multipliaient les rapports, les pétitions, les enquêtes et les atermoiements, Mouchy durait aussi, l’École des Mines continuait d’exister, les cours publics se poursuivaient donnés par Tonnelier, Haüy, Miché, Vauquelin, Duhamel en l’an IV, Brongniart, Baillet, Coquebert de Montbret et d’autres. Et lorsqu’en l’an VI, Mouchy reçut ses cinq premiers élèves de Polytechnique, le conseil, tout à son désir d’entériner l’existence de son école, décida d’afficher son existence espérant ainsi provoquer son officialisation et gagner par l’usure. La rentrée de l’an VII fut chargée de solennité, avec la présence du ministre de l’Intérieur, avec une allocution du conseil des Mines, et la présentation de leur programme par les quatre principaux professeurs : Brongniart pour la minéralogie, Baillet pour l’exploitation des mines, Vauquelin pour la docimasie et Hassenfratz pour la minéralurgie43.
41Le conseil des Mines pensa la partie gagnée lorsque la loi du 25 frimaire an VIII (16 décembre 1799) réorganisa l’École Polytechnique en plaçant au rang des écoles d’application « les Écoles de Paris pour les Ponts et Chaussées, les Mines et les Géographes », et il se crut en droit de conclure à l’existence d’un système pyramidal avec Polytechnique pour lieu initial de formation, l’école des Mines pour lieu d’une spécialisation théorique, et une école de terrain pour l’apprentissage pratique, la connaissance concrète du métier. Mais Chaptal, arrivé aux affaires, l’entendit d’une autre manière44. En septembre 1800, lorsque le ministre comprit que le choix de Giromagny ne convenait pas, il exigea une nouvelle proposition, en réponse de quoi le conseil se décida à proposer des choix raisonnables, viables, autour de sites en fonctionnement dont l’appropriation par l’État ou le maintien entre ses mains ne soulevaient pas trop de difficultés. Réfléchissant à partir de la distinction qu’il pensait établie entre école des Mines et école pratique, les ingénieurs pensèrent ordonner la formation de terrain autour de l’idée neuve d’entreprises-pilotes. En prairial an IX (mai 1801), ils proposèrent un projet d’école pratique composée de quatre sections réparties sur quatre lieux différents : Rolduc (Meuse Inférieure) pour les mines de houille, Long-le-Saunier (Jura) pour le sel, Geislautern (Sarre) pour le traitement du fer, Pesey-Allemond (Savoie) pour le traitement du plomb. La mission assignée à ces nouveaux établissements aurait été de recevoir conjointement les particuliers venus s’instruire et les élèves du gouvernement après un passage pour l’instruction théorique spécifique aux mines à l’école de Mouchy. Ce stage, était-il spécifié, aurait été non seulement obligé, mais aussi sanctionné : l’avancement comme ingénieur n’aurait eu lieu qu’après constatation des connaissances pratiques45.
42Le projet déplut, parce qu’il présentait l’inconvénient majeur de retarder considérablement l’entrée en fonction des ingénieurs d’État. Pire, sa conséquence implicite était de faire de l’École Polytechnique une sorte de propédeutique à l’École de Mouchy. Irrité, Chaptal trancha dans le vif. En février 1802, il ordonna la fermeture de Mouchy et son remplacement par deux écoles pratiques, l’une à Geislautern en Sarre, pour le fer ; l’autre à Pesey en Savoie, pour les minerais métalliques. Décidé à en terminer rapidement, il mit définitivement fin à la résidence générale des ingénieurs à Paris, et les obligea à « stationner » dans leurs circonscriptions de service46. Seuls, les membres du Conseil restèrent à Paris, et avec eux, à titre de cabinet, la bibliothèque, la collection de modèles, la collection de roches et de minéraux, dont l’ingénieur Daubuisson, aidé de Collet-Descotils devenait le conservateur.
43En agissant ainsi, Chaptal se préoccupa certainement moins de Polytechnique47 que de mettre en œuvre ses idées sur l’instruction pratique. Deux ans auparavant, en effet, dans son Essai sur le perfectionnement des arts chimiques en France, il avait proclamé et défendu l’utilité de cette sorte d’instruction, et affirmé qu’elle devait être dispensée sur l’ensemble du territoire. « Le seul moyen qu’a le gouvernement de s’acquitter envers les artistes de la dette sacrée de leur éducation, c’est de former pour eux des écoles d’instruction pratique qui répondent grandement à l’intérêt de l’objet48 ». On s’amusera de savoir que dans cet écrit, il proposait de créer quatre écoles d’instruction, chacune avec sa spécialité sur quatre endroits du territoire, schéma dont à l’évidence le Conseil de mines s’inspira. Lefebvre-Hellancourt, Lelièvre, Gillet-Laumont pensèrent bien faire, sans nul doute, en appliquant aux mines ce dont Chaptal rêvait pour la chimie. Mais l’allégeance ne suffit pas à protéger Mouchy. L’opinion que se faisait le ministre des écoles parisiennes en général, de celle des Mines en particulier était par trop mauvaise, dont il s’expliqua ultérieurement :
« […] L’école des Mines n’était pas organisée de manière à produire tout le bien que l’on s’en était promis : elle portait avec elle les vices de première institution dont presque tous les établissements français de ce genre sont entachés : partout l’état-major chargé de l’administration est très nombreux et fortement salarié ; l’instruction donnée à grand frais y est purement théorique, et les élèves qui sortent de ces écoles sont hors d’état ni de former des établissements, ni de diriger les travaux de ceux qui existent ».
44En définitive, c’est bien le refus de dispenser un enseignement purement théorique à de futurs praticiens, le souci en contrepartie de lier indissociablement l’enseignement pratique à son terrain d’application, qui amena Chaptal à fermer l’École des Mines de Paris. Entre théorie et pratique, le malentendu décidément s’instaurait.
En conclusion : l’État et l’ingénieur d’industrie
45Nous conclurons de ceci que le lien entre le Génie Minier et l’État mérite un examen attentif. En tout état de cause, il ne présente pas l’automaticité et le caractère univoque qu’on lui suppose si aisément et que contient exagérément le terme de colbertisme. L’État, certes contribua à l’institution du Corps, et son intervention fut cruciale, en positif aussi bien qu’en négatif. Ses décisions scandent l’évolution du service des Mines. Mais d’une part, il advint aussi à des moments cruciaux que le Corps se constitua à côté du gouvernement ou contre lui. Ni les difficultés de la décennie 1770, ni celles de la période 1788-1794, ni les soucis causés par la période thermidorienne ne vinrent à bout de la vitalité que lui conférait son caractère hybride, entre administration, science et industrie. Insistons sur cet autre fait, que la présence de l’État dans ce secteur de l’économie n’est pas une spécificité française, ce dont témoigne d’ailleurs l’origine allemande du terme « technologie ». L’intervention puissante, massive de l’État dans la production et dans la formation est une constante de l’histoire minéro-métallurgique en Europe continentale ; c’est là une des particularités de ce secteur industriel. En la matière, la monarchie française a moins inventé qu’elle n’a copié. Le modèle était allemand, c’est-à-dire qu’il prévalait dans l’espace technique de langue allemande, et l’administration, en France, n’eut de cesse de s’en inspirer. Il le fit en l’adaptant. Le gouvernement laissa aux compagnies la construction des infrastructures nécessaires à la production, et axa précocement et à peu près exclusivement son intervention sur l’immatériel, l’acquisition et la transmission des savoir-faire et des compétences, la mise au point d’un droit approprié. En quoi, l’ingénieur en France naquit pédagogue. En quoi, la technique suppléa souvent un encadrement juridique défaillant. En quoi aussi, l’idée d’une technologie, science d’industrie et non d’administration, put émerger.
46Le fait renvoie inévitablement à la formation pratique, qui apparut indispensable, tant pour le Corps que pour les exploitations, les deux étroitement mêlés. On ne cessa d’en débattre. La notion est obscure à ce moment, et à tout le moins incomplètement élaborée. L’École pratique devait-elle être comme le recommandait l’instruction de ventôse an IV, un lieu où « les élèves seront obligés de pratiquer eux-mêmes les fonctions de forgerons, mineurs, boiseurs, laveurs, essayeurs, fondeurs, affineurs et maîtres, et ne seront avancés que suivant leur degré de capacité dans chacune des parties49 » ? Ou comme le préconisait Hassenfratz dans son cours de minéralurgie cet endroit « où les élèves puissent appliquer et voir appliquer les principes qu’ils ont puisés dans les leçons données à l’école théorique50 » ? Avec Chaptal, la notion s’obscurcit encore, c’est-à-dire qu’elle s’enrichit. Pour lui, participer à une école pratique, c’était pratiquer l’art et « les travaux en grand » mais aussi les expériences de laboratoire. Ainsi, dans cette période de construction du concept, le vocable recouvrait trois acceptions différentes, pratique du métier, école de sciences appliquées, école technologique, qu’il restait à débrouiller.
47Dans ce débat, l’ingénieur, entendons l’ingénieur d’industrie, avait-il place et de quelle manière ? À supposer que Chaptal n’en ignore pas l’existence, du moins la méconnaît-il quand il envisage la formation pratique. Déjà, le projet de 19 germinal en avait gommé le nom, pour ne plus évoquer que la fonction : instituteur, entendons pédagogue de l’industriel. C’est là le type même de l’excès jacobin dira-t-on avec justesse. La disparition est révélatrice, pourtant, d’un déficit de représentation et ce constat reviendra souvent autour de l’application de ce métier à l’industrie. Sans doute, on atteint là les limites de l’emprunt à l’Allemagne, où les ingénieurs travaillaient dans la grande industrie d’extraction après avoir été formés dans les Bergakademie, situées dans de vastes complexes miniers. La France n’avait rien de tel à sa disposition. L’esprit Mines qui s’était formé dans la première moitié du xviiie siècle au sein de la classe de chimie de l’Académie des Sciences en lien avec le Contrôle général et l’École des Ponts, personnalisé par Gabriel Jars et son frère, par Guillot-Duhamel et son fils, puis par Brochant de Villiers, Héricart de Thury, Beaunier, etc., prit racine malgré tout. On trouve en son fondement un esprit d’aventure, un goût prononcé pour la nouveauté scientifique et technique, la volonté affirmée d’analyser la technique en usant de la pensée scientifique, de produire de la science à partir de la pratique minière et métallurgique, la volonté d’initier l’exploitant à cette conception de la technique, posée à juste titre comme facteur de progrès. Cela s’exprima autour de quelques blocs de réflexion où s’intriquèrent étroitement connaissances savantes et compétences techniques, autour de la chimie, la minéralogie, la géologie, l’hydraulique et la géométrie, cette dernière rapportée à la géométrisation des espaces souterrains. Une telle approche s’inscrivait pleinement dans la culture de l’ingénieur. Mais elle s’en distinguait du fait qu’elle s’appliquait à l’industrie, sous la forme de l’industrie extractive. C’est-à-dire que du rameau initial qui avait donné le Génie militaire, le Génie maritime, et les Ponts, un rameau se détachait, une nouvelle filiation émergeait, le Génie minier, prélude au Génie industriel. Outre les sciences nouvelles, un autre rapport au temps s’élabora de même qu’une conception nouvelle de l’entrepreneur. Parallèlement, un long travail d’élaboration des nouvelles sciences débuta qui concernait sans distinction les sciences elles-mêmes et leurs applications de terrain, applications industrielles comprises. Le contexte révolutionnaire se prêtait-il à cette émergence ? L’époque était moins à la patience qu’à la recherche éperdue de normes et de nomenclature.
Notes de bas de page
1 A. Picon, L’invention de l’ingénieur moderne. L’École des Ponts et Chaussées, 1747-1851, Paris, 1992, p. 91, 37-38 et passim.
2 Voir à ce propos notre article, « Gabriel Jars, un ingénieur à l’Académie », in Règlements, usages et science dans la France de l’Absolutisme, Actes du Colloque international, Paris 8-10 juin 1999, Christiane Demeulenaere-Douyere, Eric Brian (dir.), Académie des Sciences, Éditions Tec & Doc, Londres-Paris-New York, 2002, p. 237-253.
3 P.-O. Ducreux, Gabriel Jars, métallurgiste (1732-1769), mémoire de maîtrise, Université Paris 1 (Dir. Paul Benoît), 1997, p. 37-38. Pour l’analyse des relations entre le génie minier et l’Académie des Sciences, voir l’article précédemment cité.
4 Pour apprécier la validité de cette remarque dans la durée, voir infra, chap. 10.
5 H. Vérin, La gloire des ingénieurs. L’intelligence technique du xvie au xviiie siècle, 1993, p. 314-318 et passim, et du même auteur, « La réduction en art et la science pratique au xvie siècle », Raisons pratiques, 9, 1998, p. 119-144.
6 C.-F. Schreiber est souvent confondu avec son homonyme, J. G. Schreiber qui dirigea les mines du compte de Provence, le futur Louis XVIII, à Allemond (Isère).
7 G. Jars, Voyages métallurgiques, 1774-1784, vol. 2, p. ix.
8 J. Hellot, « État des mines du Royaume, distribué par provinces », in C.-A. Schlutter, De la fonte des mines…, vol. 1, préface, 1750 ; C.-A. Schlutter, De la fonte des mines, des fonderies, etc. le tout augmenté de plusieurs procédés et observations et publié par M. Hellot, 1750-1753, 2 vol. (Titre original de l’ouvrage : Instructions fondamentales des fonderies et fontes, 1738).
9 Gensanne, Traité de la fonte des mines par le feu du charbon de terre ou Traité de la construction & usage des fourneaux propres à la fonte & affinage des Métaux et des minéraux par le feu du charbon de terre, avec la manière de rendre le charbon propre aux mêmes usages auxquels on emploie le charbon de bois, 2 vol., 1770.
10 H. Vérin, « Les arts, l’homme et la matière dans l’Encyclopédie » in La Matière et l’Homme dans l’Encyclopédie (Actes du colloque de Joinville, juillet 1995), 1998, p. 275-287. Sur Werner, voir Gabriel Gohau, Histoire de la géologie, p. 109-115 et passim.
11 Minéralurgie : terme technique désignant la préparation du minerai après sa sortie de la mine et avant son traitement métallurgique, à but de retirer le stérile (la gangue) par une succession de cassages, de tris et de lavages.
12 La Bergakademie de Schemnitz, ville située dans l’actuelle Slovaquie, fut fondée en 1764, après une première expérience à Miskolc ville voisine située dans l’actuelle Hongrie. L’École de Freiberg en ancienne Saxe, fut fondée peu après en 1765.
13 C’est ainsi que Guillot-Duhamel passa au service du duc de Broglie et dirigea des forges dans le Limousin entre 1764 et 1775, L. Aguillon, Notice historique sur l’École des Mines de Paris, 1889, p. 30.
14 N. de Nicolay, Description générale de la ville de Lyon et des anciennes provinces du Lyonnais et du Beaujolais, 1573, cité par C. Chaut-Morel Journel, De la construction du bassin aux enjeux de la mémoire minière : les territoires du charbon en région stéphanoise (xixe-xxe siècle), Saint-Étienne, 1999, p. 18 et 45-46 pour les références suivantes (réf. aimable : Guy Baudelle). La première mention juridique de l’exploitation du charbon de terre à Saint-Étienne date de 1321.
15 C’était le terme consacré. L’emploi de la majuscule s’est imposé dans l’usage pour distinguer cette Réserve des réserves qui furent momentanément constituées pour sauvegarder les droits anciens des exploitants lors de l’établissement des concessions (voir infra, chapitre 4, p. 123-124).
16 Lettre de Terray à La Boullaye. C. Chaut-Morel Journel, De la construction…, op. cit., p. 43 et p. 31 : Gabriel Jars, « Mémoire. Réflexions sur les mines de charbon de terre de Saint-Étienne en Forez et de ses environs », s. d., [1783]. A. R. J. Turgot, « Mémoire sur les mines et les carrières », in Œuvres, Tome 1, nouv. éd. par E. Daire et H. Dussard, 1844, p. 130-164.
17 Décédé en 1769, Gabriel Jars avait deux frères aînés prénommés Antoine-Gabriel et Gabriel comme lui. Jars le cadet dirigea les mines familiales de Chessy-Sainbel en même temps qu’il fut un expert réputé.
18 Débat relaté par L. Aguillon, Notice…, op. cit., p. 17-19 et 22 et par A. Birembaut, « Enseignement de la minéralogie et des techniques minières » in R. Taton (dir.) Enseignement et diffusion des sciences en France au xviiie siècle, 1964, p. 388-389. Cet embryon d’administration fut confié à Douet de la Boullaye. Auparavant, juste après la suppression du département Bertin, les mines avaient été placées entre les mains des quatre intendants du Commerce. B. Gille, « L’administration des mines en France sous l’Ancien régime », Revue d’Histoire des Mines et de la métallurgie, 1969, p. 3-35.
19 En ajoutant : « un pareil établissement, dis-je, réuni à tant d’autres qui immortaliseront en France, ceux qui en ont été les Instituteurs, serait bien digne de la grandeur de notre Nation. La gloire et l’intérêt de l’État, y gagnerait également… ». G. Jars, op. cit., p. xx.
20 « Je ne serais point d’avis de ceux qui veulent une école des mines. Toutes ces écoles particulières sont des charges pour l’État, et ne sont pas d’une grande utilité. L’industrie peut se ranimer sans cela. D’ailleurs Paris contient assez d’écoles pour les jeunes gens qui se destinent à l’art des mines ; ils peuvent s’y instruire et après y avoir pris des principes généraux, ils peuvent aller les mettre en pratique sur les exploitations » cité par A. Birembaut, ibidem.
21 L. Aguillon, Notice…, op. cit., p. 26-28. Cette référence vaut pour tout ce qui concerne la législation de 1783.
22 En 1786. C. Ballot, L’introduction du machinisme dans l’industrie française, 1923, p. 11. À propos de Blandecques (Pas-de-Calais), on consultera D. Woronoff, L’industrie sidérurgique en France sous la Révolution et l’Empire, 1984, et à propos de Calonne, L. Hilaire-Pérez, L’invention technique au siècle des Lumières, p. 276-278.
23 Et Douet de la Boullaye fut remercié.
24 Ils étaient 27 répertoriés dans l’Almanach royal au titre du Services des Mines, A. Thépot, Les ingénieurs des Mines au xixe siècle, 1998, p. 23-24 et 43-45. La traduction de cette volonté d’association fut la fondation, d’une « Société des sciences minières » européenne qui publia deux recueils en 1789 et 1790 et à laquelle participèrent Lavoisier et de Dietrich Ce dernier a fait dans les Annales de Chimie le compte-rendu d’un Congrès de la Société, qui avait eu lieu à Sklené Teplice, Annales de chimie ou Recueil de Mémoires concernant la chimie et les arts qui en dépendent, 1789, I, 116 sqq. (Réf. aimable : Jozef Melis).
25 D’après A. Birembaut, « Enseignement… », op. cit., p. 397-402. Pour Hassenfratz, voir E. Grison, Du faubourg Montmartre au Corps des Mines. L’étonnant parcours du Républicain J. H. Hassenfratz (1755-1827), 1996, p. 19-20.
26 Le premier manuscrit, conservé à l’École des Mines de Paris a été étudié par L. Aguillon qui admire sans réserve ce qu’il appelle son « étonnante modernité », L. Aguillon, ibidem.
27 Propos de Charles-François Lebrun chargé de rapporter sur la question à la Constituante, les 29 janvier et 5 juin 1790. et pour la réponse : « Mémoire adressé à l’Assemblée Nationale par le Corps des Mines, le 2 juin 1790 », A. Birembaut, « Enseignement… », op. cit., p. 406-407. Sauf mention contraire, cette référence vaut pour les citations suivantes.
28 H. Vérin, « L’épreuve du vaisseau qui a esté fait à Toulon en sept heures », Gérer et comprendre, 1996, p. 23-35.
29 E. Lamé-Fleury, Recueil méthodologique et chronologique des lois, décrets, ordonnances, arrêtés, circulaires, etc. concernant le service des ingénieurs au corps impérial des mines, tome 1, 1866, p. 3 sqq. Cette référence vaut pour tout ce qui concerne la loi du 28 juillet 1791.
30 A. Birembaut, ibidem. La loi de dépenses des 18 et 25 février 1791 fait mention d’une allocation de 7000 livres pour l’École des Mines (Aguillon, Notice…, op. cit., p. 35, note 2 et 3) sans doute pour l’entretien du matériel et du personnel qui en avait la charge.
31 Quelques jours après la proclamation du gouvernement révolutionnaire, le 23 vendémiaire an II (14 octobre 1793), « Citoyens, il existe encore dans la République deux corps qui n’ont point reçu l’impulsion révolutionnaire ; je viens, au nom de vos comités de la Guerre et des Ponts et Chaussées, vous proposer leur régénération », rapporte le député Lecointe-Puyraveau à la Convention, cité par A. Picon, L’invention de l’ingénieur moderne : l’École des Ponts & Chaussées (1747-1851), 1992, p. 262. Le projet de fusion des deux corps avaient été préparés par Edme Victor Dupin à la Guerre et Le Camus à l’Intérieur (réf. aim. : H. Vérin).
32 Ces Réflexions s’inscrivent elles-mêmes dans la lignée du projet de Condorcet (Rapport sur l’organisation générale de l’Instruction publique) présenté le 20 avril 1792 alors qu’il était le président du Comité d’Instruction publique et de la Pétition sur l’instruction publique, présentée par le Lycée des Arts à la Convention en juillet 1793. F. Soulard, L’instruction chimique des manufacturiers au début du xixe siècle. La Chimie appliquée aux arts de J.-A. Chaptal, vers un enseignement technique ?, DEA, Nantes, 1998, p. 30 et 32. Pour le détail du projet, voir E. Grison, Du faubourg…, op. cit., p. 236-239, d’après AN F14 1302 et d’après Aulard (pour la décision de ventôse).
33 Beckermann, Anleitung Zur technologie I et II, 1777-1806. Voir J.-L. Le Moigne et H. Vérin, « Sur le processus d’autonomisation des sciences du Génie » in De la technique à la technologie, Cahiers STS n° 2, 1984, éd. du CNRS, p. 42-55.
34 E. Lamé-Fleury, Recueil…, tome 2, 1857, p. 215 et 219. La référence vaut pour tout ce qui concerne ces décrets.
35 L. Aguillon, Notice…, op. cit., p. 52 sqq. C’était au sein du Corps des Mines un sentiment partagé. « L’on sent, en 1845, dans la “Notice nécrologique sur M. Lelièvre” – qui est aussi la nécrologie du Conseil – comme l’amertume d’un regret », remarque Denis Woronoff, dans L’industrie sidérurgique…, op. cit., p. 42.
36 Citons, par exemple, le « Rapport détaillé sur les inconvénients d’une exploitations grossière des mines en masse », rédigé par Blavier, Duhamel, Laverrière et Baillet, et publié dans le Journal des Mines en Germinal an V, D. Woronoff, L’industrie sidérurgique…, op. cit. p. 219, ou encore : Lefebvre D’hellancourt, « Aperçu général des mines de houille exploitées en France, de leurs produits et des moyens de circulations de ces produits », Journal des Mines, vol. XII, 71, p. 325 sqq., et p. 413 sqq. Pour les rencontres du dimanche aux Ponts, A. Picon, L’invention…, op. cit., p. 38.
37 La Convention avait voté l’abolition de « toutes les académies et sociétés littéraires subventionnées par la Nation ». Grégoire, rapporteur du projet de loi, avait souhaité le maintien de l’Académie des sciences.
38 L. Aguillon présente la docimasie en l’assimilant à la chimie analytique minérale.
39 Rapport du 3 vendémiaire an III, cité par J. Langins, « La préhistoire de l’École Polytechnique », Revue d’Histoire des Sciences, 1991, p. 61-89. Le texte de G. Monge est reproduit dans B. Belhoste, « De l’École des Ponts et Chaussées à l’École centrale des Travaux publics », Bulletin Sabix, 1994, p. 1-69. La présente étude a été rédigée avant la parution de l’ouvrage du même auteur, intitulé La formation d’une technocratie. l’École Polytechnique et ses élèves de la Révolution au Second Empire.
40 Il fut décidé de faire passer le nombre des élèves déjà recrutés de 40 à 20. Les élèves furent contraints de passer un nouveau concours en janvier 1796. Beaunier, Brochant de Villiers, Collet-Descotils, Cordier, Lefroy, Brochin, de Champeaux, de Cressac, Héricart de Thury, de Rozières, Trémery furent de ceux qui franchirent le barrage. Ils formèrent cette génération d’ingénieurs des Mines qui ne passa pas par Polytechnique. Cordier devint le vice-président du Conseil général des Mines, et Lefroy inspecteur de l’École des Mines de Paris.
41 « … beaucoup d’officiers ne sont pas très fidèles quoiqu’ils tirent beaucoup de gages et que l’on est fort souvent trompé au lieu qu’un particulier qui travaille pour son compte y apporte beaucoup plus de soins, plus de vigilance et plus d’économie » Watremetz, « Rapport sur la forge de Schoenau (Sarre) », an VI, AN F 14 1175.
42 Sainte-Marie-aux-Mines était aux abois et tous travaux avaient cessé à Giromagny depuis des décennies.
43 Ces textes furent publiés dans le Journal des Mines.
44 Chaptal devint conseiller d’État affecté à la section de l’Intérieur en nivôse an VIII (décembre 1799), ministre de l’intérieur par intérim le 15 brumaire an IX (novembre 1800) et ministre de l’Intérieur en pluviôse an X (janvier 1801). Il démissionna en thermidor an XII (août 1804).
45 L. Aguillon, Notice…, op. cit., p. 79.
46 Arrêté du consul en date du 23 pluviôse an X (12 février 1802) et du 18 ventôse an X (9 mars 1802).
47 Il y avait enseigné en 1798, en remplacement de Berthollet parti en Égypte, mais sans s’y investir.
48 J.-A. Chaptal, Essai sur le perfectionnement des arts chimiques en France, an VIII, p. 19, cité par F. Soulard, L’instruction chimique…, op. cit., p. 40 et pour la citation suivante : Mes souvenirs, p. 93-94, ibidem, p. 48.
49 Art. 5 de l’instruction sur l’École pratique en date du 19 ventôse an IV-9 mars 1796.
50 J.-H. Hassenfratz, « Discours prononcé à l’ouverture des cours de l’École des Mines pour l’an VII », Journal des Mines, vol. IX, 51 (1798), p. 202-208, cité par E. Grison, Du faubourg…, op. cit., p. 323.
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