Chapitre VI. Rénover les lettres et les arts
p. 137-171
Texte intégral
1Denis Richet a attiré l’attention sur le fait que la Ligue parisienne n’avait pas constitué un simple épisode. « Incontestablement, notait-il, la Ligue parisienne traduit une volonté de réforme des mœurs et des conduites qui survivra à son échec sur le plan politique1. » Le travail mené par les jésuites avec leurs élèves entre 1590 et 1592 témoigne précisément de ce souci. Il participe à ce contexte qui fait l’objet d’études depuis quelques années et qui dessine un nouveau visage du Paris ligueur, celui d’un laboratoire de la culture catholique du siècle suivant.
« L’œil, le mirouer et la torche ». Rome et Paris
2À côté du thème guerrier évident, les compositions des élèves du collège de Clermont sont traversées par un motif moins attendu, celui, humaniste, de la renaissance des lettres et des arts. Ceci est plus visible dans l’affichage de 1592 que dans celui de 1590, mais il est déjà présent dans les planches offertes à Henri Cajetan2. Ce dernier ne pouvait manquer d’y être sensible puisque, comme on l’a rappelé, il faisait partie de la commission cardinalice pour la rénovation des études universitaires, depuis 1588. Par exemple, Jean Myndorge, dans une anagramme française, désigne Cajetan comme ange de paix, dont la venue promet de changer les armes en instruments de musique
Henry Caïetani, légat du Saint-Père ; ry, car l’ange de pais vient en hâte.
Entre dans tes cachets, ö Bellonne guerrière,
Tu as assez joué sur l’échafaud gaulois,
Tes jeux ensenglantés par mille et mille fois
Esgorgeant les enfans au giron de leur mère.
Qu’ores tout chante paix : que la rude visière
Soit changée en castor, le mousquet en hault-bois,
Le coutelas en soc, en harpe le pavois,
Et le genest bardé en la douce litière
Et toy France, à ce coup cessant de te douloir,
Ry, car l’ange de paix vient en hâte te veoir3.
3On a vu que Paris occupait une place importante dans l’ensemble des manuscrits. Assimilée à la fois à la Ligue et au royaume entier, Paris est et doit être, comme le disait un Advis de 1589, « l’œil, le miroir et la torche de la France4 ». Mais à l’heure du siège et des guerres civiles, la capitale française a perdu de sa splendeur.
Paris, toi qui es la première et la mère, et la reine
Des villes que la terre porte en son sein fertile,
Celle où siègent les Muses,
Et qui fus jadis tant chérie,
Te voilà à présent caverne des Cyclopes,
Donjon de Polyphème et refuge d’Antée,
Repaire d’Antiphate, antre de Lestrygon,
Et grotte d’Amycus le Bébryce.
[…]
Tu regorges de tant de biens, mais tes mœurs corrompues
Te font gâcher ces dons de Dieu
Et le crime que tu as perpétré
T’oblige à une expiation sévère5.
4Ainsi le président De Thou déplore-t-il la chute de Paris autrefois siège des Muses. Or, depuis plusieurs siècles, Paris se voulait nouvelle Rome. Dans le contexte du Paris ligueur, on voit une recomposition très particulière de la géographie idéale des lettres et des arts.
5Le thème de la translatio studii, ce mythique transfert de la production du savoir d’Athènes à Rome et de Rome à Paris – ou de la Grèce à la France directement – est très ancien6. Dès le xiie siècle Chrétien de Troyes l’évoque. Entre revendiquer que la France aussi soit terre de clergie et polémiquer contre Rome pour la primauté des études, il n’a fallu que quelques pas et un lieu de confrontation, Avignon, où Ansel Choquart, ambassadeur du roi très chrétien, soutient devant le pape la thèse de la translatio de Rome à Paris en arguant de la volonté de Charlemagne, fondateur supposé de l’université de Paris7. Jean de Hesdin reprend le thème dan son Invective en 1369-13708. On retrouve les arguments de Choquart chez Nicolas de Clamanges dans sa polémique avec Pétrarque, puis dans le Songe du Vergier d’Evrart de Trémaugon qui le popularise9. La translatio studii va de pair avec la translatio imperii10. Le règne de François Ier, qui briguait l’empire, a remis cette idée au programme des lettrés français. Si la langue française est alors mise à l’honneur, le latin, langue de la « république des humanistes », est aussi cultivé tandis que la fondation du collège royal insiste pareillement sur l’excellence du grec et de l’hébreu. Pour reprendre les mots de Marc Fumaroli, Guillaume Budé, en construisant un hellénisme français qui « court-circuite l’humanisme cicéronien », élabore une « stratégie anti-italienne ». Le « culte mystique pour la royauté » de Budé lui fait assigner au roi un rôle providentiel de régénération de la foi par les belles lettres11.
6Revenant de Gascogne vers Paris, Ronsard peut ainsi s’écrier :
Deux et trois fois heureux ce mien regard,
Duquel je vois la ville où sont infuses
La discipline et la gloire des Muses,
C’est toi Paris, que Dieu conserve et gard12 !
7Malgré le basculement de la France dans les guerres de Religion, l’humaniste allemand Paul Schede (dit Melissus) désigne encore Paris comme « alteras Athenas13 ». En 1584, près d’arriver dans la capitale, il écrit son enthousiasme à Henri Estienne :
… Ipsa LUTETIA,
Qua nulla magno clarior urbs viget
In orbe (vestra pace dictum
Sit, Veneti, veniaque Romae)14.
8Dorat, lui-même s’écrie en 1573, à l’occasion de la visite des ambassadeurs polonais, à l’adresse de Paris :
Artibus ingenuis celebres tu vincis Athenas
Et sylvas Academi et amoeni culta Lycaei15.
9Il considère la bibliothèque royale de Fontainebleau comme le temple des Muses qui, consacré par François Ier, récupère ainsi l’héritage d’Alexandrie ; à la fin de sa vie Dorat se souvient du rayonnement international du collège royal, dont l’assistance comme les professeurs se recrutaient dans toute l’Europe16. Durant le règne de Charles IX, il devient d’autant plus intéressant de rappeler aussi un autre fondateur, même mythique, Charlemagne, considéré comme le père de l’université de Paris et dont le prénom, commun à celui du jeune roi, semble annoncer un renouveau comparable des études.
10La prise de contrôle de Paris par les ligueurs et la mort d’Henri III ne manquent pas de changer le portrait d’un Paris capitale royale voire impériale des lettres. Les royalistes et les « politiques » se lamentent sur sa déchéance. En revanche, les affichages des jésuites au collège de Clermont montrent que certains partisans de la Ligue ont cherché à esquisser un autre schéma. Pour eux, c’est de Rome que Paris doit attendre la lumière de la foi, mais aussi le retour des lettres dans tout leur éclat. Ainsi, dans un logogryphe imaginé par Claude Guilain, toujours en 1590, le Sphinx pose une charade dont la solution (notée en titre courant dans la marge gauche du manuscrit de la Casanatense) est romanus (fig. 4, p. 48).
« SPHINX. – Il y a dans ce corps présent autant de parties à examiner que dit-on, il y avait de dents au sceptre du roi17 et autant de membres répugnants que transporte le serpent en s’enroulant sept fois sur lui-même : à savoir la queue, le tronc et la tête. Ma queue, coupée du corps, est inutile. Même si tu l’enlevais je pourrais encore diriger le monde entier18. Bien plus, si alors tu me lis dans un sens comme dans l’autre, le Tout Puissant ne pourra nier que je me confonds avec lui19.
Cette fois, coupe la tête, mais en laissant un corps sain20. Alors, grâce à cette dextre21, j’ai placé, de part et d’autre, le nom de la vaillante Aédé22.
Il faut poursuivre, il faut même enlever au tronc la première partie23. Quand, venu du ciel, m’aura été donné le pouvoir d’enfanter, je crains qu’un rire ne surprenne de nouveau la Juive24. Mais si tu veux, ajoute un chapeau, et il m’entourera alors du double enchaînement des six pieds25. Mais puisque ce chapeau n’est pas à moi, il est à toi, Phoebus.
Mais pendant ce temps, quel destin [attend] la tête que nous avons ôtée ? Aucun. Cependant en la renversant, le Français qui en est avide, me cherchera jour et nuit, conduit par un amour aveugle26.
Rends la tête et remets sur le tronc les pieds et la queue. C’est ainsi que se présentait autrefois l’apôtre Paul27. Il force les injustes Dynastes à trembler. Nous aussi, Illustre prince, nous te vénérons du même nom qui resplendit sur la terre comme au ciel28. »
11Le nom de « Romain » resplendit sur la terre et au ciel. Il contient deux noms cachés du Tout-Puissant (Rome et Amour), il qualifie aussi l’apôtre Paul qui est au-dessus des souverains injustes. L’ensemble de l’énigme semble partir de la métaphore de la Lettre aux Romains (XII, 4-8) sur les différentes parties dont est constitué le corps du Christ29. Il s’agit d’indiquer que, malgré son ancienneté, Rome est toujours capable d’enfanter, grâce à la protection divine, et en dépit des incrédules, et cette capacité est liée à la création littéraire et artistique. Cette composition très subtile – et difficile à déchiffrer – est particulièrement mise en valeur dans le recueil qui la conserve, sur une feuille beaucoup plus grande que les autres, avec la décoration monumentale réservée à certaines têtes de section du volume30. Elle porte donc un message clef de l’affichage de 1590.
12Paris attend les lumières de Rome pour redonner vie à ses Muses. Certes, comme le souligne Barnabé Brisson dans le manuscrit Casanatense, les destins de Rome et de Paris sont étroitement liés : en défendant Paris, Rome se protège31. Mais les deux villes ne sont pas sur un pied d’égalité. Le légat Cajetan, puissant personnage de la Curie, est présenté comme l’agent attendu de ce renouveau. Ainsi, dans un dialogue entre Lutetia et Roma :
Lutèce : Pourquoi, Rome, permets-tu que Cajetan quitte sa patrie
Et la demeure splendide de ses ancêtres ?
Rome : Il n’est pas parti ; sa puissance est intacte et ses bienfaits s’étendent sur la Ville,
Parce qu’ici est bien vivante son image, même en son absence
Lutèce : Pourtant, il est arrivé sur nos terres, où, tel un astre
Il a repoussé l’étoile de la nuit pour laisser entrer le jour
Rome : Cela ne s’est pas fait sans la volonté divine : une si grande vertu
Ne pouvait demeurer en un seul lieu32.
13Ce dialogue qui répond si bien aux inquiétudes de Cajetan sur le mécontentement du pape à son égard, en ce début de l’année 1590, est assurément inspiré par le souhait de flatter leur hôte. Mais il n’est pas isolé et l’idée des lumières venues Rome revient à plusieurs reprises. La Ville apparaît dans les compositions des élèves parée de tous ses trésors antiques et modernes. Alors que l’image de Lutetia se réduit à son dispositif de défense, menacé par les canons royalistes, et aux tours de Notre-Dame – quelquefois fumantes –, Rome est désignée par ses monuments. On voit par exemple un imposant Colisée qui écrase tout le f° 34 v° du NAL 2636. Alors que l’épigramme, qui joue sur l’histoire d’Androclès jeté aux lions, n’appelle pas un tel dessin d’architecture, le peintre représente l’amphithéâtre à la fois en coupe, en plan et en élévation comme dans les gravures archéologiques de recueils savants, tel celui d’Ambroise Brambilla33. Les réalisations urbanistiques les plus récentes des pontifes sont montrées et rapportées complaisamment. On discerne la nouvelle basilique Saint-Pierre. La coupole projetée par Michel-Ange est achevée au printemps 1590 et au même moment est détruit ce qui restait de l’antique basilique de Constantin34. Le dessin du manuscrit de la BnF35, réalisé au début de l’année, anticipe un peu cet achèvement et donne une image schématique du grandiose projet. Dès le deuxième folio du manuscrit NAL 2637, l’aménagement du Quirinal, avec la mise en valeur des statues des Dioscures et les travaux de l’Aqua Felix, font l’objet même de l’emblème, intitulé « Un ruisseau a pris sa source dans la haute montagne » (fig. 30, p. 293).
« Sixte, tandis que tu te promènes sur le Monte Cavallo et que tu baignes d’une fontaine les sommets voués à la soif, imagine les plaines desséchées et les étendues incultes de la France dépeuplée, hélas ! de leurs laboureurs.
Il a entendu nos prières : ne vois-tu pas ce liquide transparent jaillir de la haute montagne vers les cieux ? Cette eau-là (s’il est une eau capable de soulager les mortels malades) est capable d’apaiser ta soif36. »
14Gérard Labrot a bien montré l’importance des travaux hydrauliques dans la construction d’une nouvelle image de Rome par la papauté de la fin du xvie siècle et au début du xviie 37. La constitution de Sixte V pour l’Aqua Felix en 158938 contient déjà « toute la vibration future » de Rome39 : destinés au plus grand nombre, ces aménagements hydrauliques démontrent la santé débordante de Rome et de ses habitants, signe de la sainteté de la ville et attribut de puissance.
15Dès 1590 donc, les jésuites de Clermont indiquent que la rénovation, spirituelle et artistique, autant que politique et religieuse, vient de Rome, capitale moderne, qui envoie son légat en éclaireur dans les ténèbres françaises40. Ce thème des lumières de Rome est repris de manière insistante en 1592, alors que le nombre d’affiches conservées est moins grand. L’envoyé du pape est montré porteur de tous les arts qui, avec Apollon, ont élu domicile à Rome. Jean Langlois célèbre la fête des Muses, qui résident à Rome et que le pape envoie vers Paris avec son légat (fig. 6, p. 59) :
« Pourquoi la joyeuse troupe des Sœurs41 s’est-elle libérée du chagrin / Comme Apollon lui-même, qui auparavant baignait ses joues / Et dont tous les gestes étaient porteurs d’une pluie de larmes ? Pourquoi se sont-ils emparés des instruments de musique / Auparavant accrochés aux branches souples du saule verdissant, / Après avoir, tout à l’heure, quitté leurs sombres vêtements ? / Sans doute parce que voici Sega, qui à lui seul / Détient tout, qui possède à lui seul les trois fois trois dons supérieurs des Sœurs. /
“Lui seul, dit Clio, note tout avec justesse d’esprit.”
Que dit Melpomène ? – S’il le veut, il peut rendre compte des événements les plus fâcheux.
“Comme il sait choisir les mots justes pour rapporter les événements heureux !”, dit Thalie
“Il sait mettre en musique les louanges dus aux Dieux”, dit Euterpe.
Erato ajoute : “Avec des mots aussi il chante, mais il sait garder en son cœur les cris de joie.”
Terpsichore : “Il met en mesure ses propres sentiments et ceux des autres.”
Calliope : “Il peut lui-même se servir de vers pour décrire les actions héroïques42.”
Uranie : “Que ne voit-il pas clairement dans les astres ?”
Polymnie : “Montre ta valeur par le geste et l’éloquence !”
Mon esprit, dit Apollon, englobe l’ensemble des arts, / Mais ce grand homme, Sega, détient mon esprit dans son propre cœur. / De plus, il détient ce qui nous est le plus précieux, / Les dons que le Père Tout Puissant a faits au Christ, et Jésus le Christ / à Pierre, et Pierre à Clément43, / et ces dons le pieux Clément les a faits à Philippe. Afin qu’il éloigne des champs de France et mette en fuite les fléaux, et qu’il soigne les coeurs malades, et que la sainte Religion et que les lois du Ciel s’épanouissent, que la guerre soit abolie et que soit couronné le roi qui se consacrera à des actions pieuses et courageuses.
Allez SEGA, AGIS ! Ce que tu feras, SEGA, prouvera la justesse de ces vers44. »
16Claude Charpentier propose une composition particulièrement explicite, intitulée « Caligo lumine victa fugit » (les ténèbres vaincues par la lumière se dispersent45), habilement aidé par le dessinateur, Langlois (fig. 18).
17Des personnages conversent devant un paysage où s’étendent deux villes, selon un dispositif commun dans les atlas et les séries de vues urbaines, notamment nordiques46. Leurs gestes sont explicites : le couple à gauche, plus grand, désigne la ville de gauche d’un geste ample. Les deux autres personnages, à droite, tournent un visage triste vers la ville opposée : l’un croise même ses bras sur sa poitrine en signe d’attrition. Les deux villes rapprochées ici le long d’un même fleuve sont Rome, à gauche, en position éminente et Paris, au premier plan à droite. Alors que les murailles de Paris, semées de canons, sont massives, les murs de Rome sont bas et laissent largement voir ses édifices remarquables (flèches, coupoles). Ces remparts semblent avoir pour fonction de signifier l’importance de la cité plutôt que de procéder de nécessités défensives. Rome exhibe plusieurs signes de sa splendeur antique et moderne : on distingue bien les deux colonnes historiées, par exemple. L’accent est mis surtout sur le dôme de la nouvelle basilique Saint-Pierre, qui abrite le soleil d’où partent les rayons qui vont, grâce au relais de l’étoile placée à mi-chemin entre les deux cités (le légat), combattre les ténèbres épaisses qui environnent Paris. Dans une très belle planche signée (fig. 24, p. 255)47, Jean Rabel revêt d’une armure tout impériale le buste qui personnifie l’Urbs, tandis que l’épigramme de Jacob Foule évoque le sénat de Rome (la Curie), et la « vertu, utile et puissante » du romain légat48.
18Rome, comme le voulait le cardinal Borromée, est bien ici le « soleil plus brillant que le soleil matériel49 », nova lux selon l’épigramme de l’enfant50. Gérard Labrot a souligné l’importance de cette métaphore qui, à côté de la « stratégie de l’eau », constitue le deuxième pôle du discours sur Rome à cette période. Cette métaphore « ne comparaît jamais seule. À ses côtés, la redoublant, et comme précisant la direction de son éclat, voici la métaphore de l’œil51 ». Les soleils romains peuvent, au cas où le message ne serait pas clair, prendre le costume du pape lui-même, qui se confond avec l’iconographie de Dieu. Louis Varelet, aidé du dessinateur Langlois, montre ce soleil-pontife romain meilleur soleil que le soleil naturel (pl. G, p. 22252).
19Le manuscrit conservé dans le fonds Chigi, souvenir de l’affixio de 1592, est sans conteste le plus beau de l’ensemble, le plus complexe et le plus novateur. C’est celui où le propos des jésuites semble aller au-delà de la situation critique contemporaine et esquisser une sorte d’idéal politique, moral et littéraire. Plusieurs feuilles montrent le Parnasse et Apollon, accompagné des Muses, est parmi les personnages les plus récurrents du volume53. Les f° 22 r° et 23 r° par exemple, qui montrent tous deux le légat devant un concert de Phoebus et des Piérides, s’éloignent de la dénonciation d’Henri IV ou de la noblesse corrompue pour célébrer le pouvoir des lettres et des arts au service d’un idéal chrétien (fig. 6, p. 59).
20Une énigme complexe, déjà évoquée (fig. 16, p. 123) exprime plus explicitement le souhait d’une restauration et d’une réformation de l’université de Paris. Pierre Bouguier y propose un tableau de l’« académie parisienne » où les Muses gisent renversées sous les sabots d’un cavalier en armure caracolant l’épée à la main54.
« Cette page qui est la nôtre peut se comprendre comme le schéma de l’Académie de Paris, Illustre Cardinal. En effet, tu peux voir sept jeunes filles étendues à terre, leur maison étant sens dessus dessous. Pour quelle raison faudrait-il que les Muses ne fleurissent que dans des intérieurs adéquats ? Il faut entendre par là les sacrés lycées. Tu désires savoir qui est responsable d’un si grand désastre ou qui a arraché à ces sept bouches leur voix suave ? Le chevalier armé indique qui a été à l’origine de ce malheur. Deux ou trois seulement de ces collèges ont échappé à un si grand désastre, par miracle ; cependant ils ne forment pas des sources jaillissantes d’un cratère plein, mais ils ne coulent qu’en un ruisselet presque asséché. Deux d’entre-elles [les Muses] aident la Mère Académie qui prie pour elle et le salut des autres sœurs [les Muses] ; ce sont ces deux-là seulement qui sont à ses côtés qui ont échappé au naufrage. L’autre, cette noble Matrone, représente l’Académie qui est en compagnie d’Apollon. Elles sont à tes pieds, Illustre Cardinal ; elles te demandent, par leurs prières, que tu les gardes saines et sauves et que tu les rendes à leur éclat et dignité anciens. Mais pour qui la mère ne s’inquiète-t-elle pas de voir une mort éternelle lui fermer les yeux ? C’est pour Thalie, dite απο τυ θαλλ (?) ο, ce qui signifie germer ou fleurir ; elle est bien trop l’amie des jeunes gens et nous, les élèves, elle nous a plongés dans bien des malheurs. Mais toi, en raison de la singulière humanité qui te caractérise, tu sauras consoler par de douces paroles leur très grande douleur, promettant de t’attacher à ce que, aussi vite que tu le pourras, les lys repoussent dans les jardins royaux de la Gaule. Que cette académie en deuil soit restituée à son lustre ancien, si tu l’emportes. Cet aigle qui semble descendre du ciel vers la terre porte dans son bec un papier enroulé. Il désigne tous les bienfaits que nous accorde la bonté divine55. »
21Certes, en 1590 et plus encore en 1592, le collège de Clermont cherche à attirer l’attention du légat et de sa suite sur ses problèmes matériels. Avec succès d’ailleurs. On se souvient par exemple que Bellarmin donne au collège les 600 écus qu’Aquaviva lui avait fait parvenir. Cependant, le propos ne se limite pas à cela, mais plaide pour une restauration plus générale de l’enseignement supérieur en France, comme l’explicitent les vers qui viennent clore l’enodatio :
Ce que l’Académie proclame avoir fait par elle-même pour les Muses Parisiennes,
Est en fait le fruit de ton mérite, Touteville.
C’est lui qui, légat de la Ville, a apporté lumière et soutien aux Muses françaises.
Il ne t’a cependant pas privé d’une égale louange.
Sega, vois comment nos lycées sont aujourd’hui abattus !
Tu demandes si on peut leur porter secours ? Protège le Royaume et les Lycées.
Ainsi, Sega, tu dépasseras Touteville56.
22Guillaume d’Estouteville avait été envoyé de Rome pour réformer l’université de Paris en 1452. Le contexte de cette mission mérite d’être rappelé. Le roi de France avait profité de la crise conciliaire pour remettre en question les privilèges de l’Université de Paris, soustraite à la justice de l’Église et placée en 1446 sous la juridiction du parlement de Paris, avec l’idée que « au roy en son royaume appartient seul, et non à pape, ne autre, créer corps ne commune57 ». Cependant, après la clôture du concile de Bâle et le rapprochement de Charles VII et de Rome, le roi fait appel au pape pour réformer l’université. Le légat envoyé à cet effet est chargé de deux missions par Rome : l’abolition de la pragmatique sanction58 et la participation de la France à la croisade. Si le légat a bien réformé l’niversité, prenant acte notamment de l’introduction de l’enseignement dans les collèges59, il a aussi complètement échoué dans ces deux dernières missions. Il est possible que la composition de Bouguier fasse allusion à cet échec politique et augure à Sega de réussir davantage à réaffirmer le pouvoir pontifical dans le royaume de France.
23Dans les expositions organisées au collège de Clermont, Rome reprend donc toute sa place de magister mundi, prodiguant ses lumières à Paris. Les affichages de 1590 et 1592 sont réalisés au moment où s’élabore une nouvelle synthèse culturelle qui, comme l’a analysé Gérard Labrot, fait de Rome la « pointe de diamant de la création60 ». Au moment où le père Possevino compose sa Bibliotheca selecta (parue en 1593) et organise une relecture générale de l’héritage antique61, les affiches et leur recueil en manuscrits ne disent pas autre chose.
« Depuis ses origines mythiques jusqu’au présent le plus présent, la ville devient le fondement, la référence obligée et surtout la mise en scène permanente de cette culture (catholique). Dès lors la réconciliation du chrétien et du profane est prononcée, Rome ne fonctionne plus seulement comme centre, mais aussi comme objet de civilisation tout à fait extraordinaire, puisque, telles des ondes propagées au loin, Rome diffuse sa propre substance en s’imposant comme l’aliment primordial de l’éducation moderne62. »
24Alors que les conditions de vie du collège se sont beaucoup dégradées, le manuscrit et le programme dont il garde trace montrent en 1592 un propos beaucoup plus cohérent et ambitieux que celui tenu deux ans plus tôt. En particulier le choix de placer ce programme entièrement sous le signe de l’énigme constitue un point original et donne la clef de la manière dont cette rénovation romaine doit opérer sur les Français.
1592 : une rénovation par l’énigme
25Dans le manuscrit conservé au Vatican, on repère les interventions d’artistes et de lettrés qui en font un projet beaucoup plus concerté et qui nous laissent un recueil beaucoup plus soigné dans sa réalisation que l’ensemble des recueils de 1590. Il s’agit d’une entreprise que l’on peut situer dans un monde d’érudits fortement intéressés par l’énigme.
26Une première indication sur la conception du programme est fournie dans les Lettres annuelles. En effet, il y est rapporté que Clément Dupuy « a œuvré pour cette réception et pour qu’elle soit digne, et il l’a dirigée avec autorité63 ». C’est donc à lui qu’on doit la cohérence du programme de 1592. Né à Paris vers 1552, Clément Dupuy est le frère de l’humaniste et philologue Claude Dupuy, dont la bibliothèque est restée fameuse64. Leur père Clément Dupuy (1506-1554) était un avocat célèbre du parlement de Paris65. L’entrée de Clément dans l’ordre des jésuites a été fortement contrariée par sa mère, Philippe Poncet, à laquelle il finit par désobéir avec une grande détermination66. Il enseigne à Pont-à-Mousson, où, en 1574, il prononce le discours d’ouverture du collège, tandis qu’une pièce de théâtre de sa composition est jouée dans les appartements des princes lorrains. C’est lui encore qui ouvre l’Université de Pont-à-Mousson, confiée aux jésuites, l’année suivante. Après avoir été recteur du collège de Bourges, il est le supérieur de la maison professe de Paris, en 1585. Il accompagne Odon Pigenat auprès d’Henri III, en 1586, pour lui porter la lettre du Général sur Edmond Auger. La même année il devient vice-provincial de France, puis provincial d’Aquitaine en 1588. Enfin il remplace le provincial de France, malade, en mars 1592. En 1590, son frère Claude Dupuy a quitté Paris, après avoir été embastillé durant plusieurs mois par les Seize au printemps précédent, avec d’autres parlementaires. Sa bibliothèque est mise en sûreté par Pierre Pithou et Nicolas Le Fèvre, restés dans la capitale67. Florimond de Rémond considérait Clément Dupuy comme l’un des deux plus grands prédicateurs de France68. La réputation de Claude a un peu effacé celle de son frère, mais l’éloquence et l’érudition de Clément dépassaient la mesure commune. Selon le président De Thou, qui cherche à le défendre au moment de l’expulsion des jésuites, Clément Dupuy « avait beaucoup d’éloquence, un jugement très-solide, & une profonde érudition ; d’ailleurs il témoignoit en toutes rencontres n’avoir que de bonnes intentions pour le repos de l’État69 »…
27Les quelques lettres adressées à son frère, conservées à la Bibliothèque nationale, montrent que Clément Dupuy partageait ses goûts érudits70. Exclusivement en latin, cette correspondance est émaillée de citations grecques et quelquefois entièrement versifiée.
28Une lettre à ses neveux Christolphe et Augustin Dupuy lui donne l’occasion de louer la science qui doit être au service d’une action juste :
« Si vous vous consacrez à la Rhétorique, l’orateur est un homme de bien qui sait manier la parole71. Si c’est à la poésie, rien de plus divin que les Muses. Si c’est à la Philosophie, même païenne sa part n’est pas sans importance. Si c’est à la connaissance du droit, les jurisconsultes définissent plus souvent la justice comme la volonté que comme la science de rendre à chacun son dû. Et même si le juste ne peut se passer de science, on arrive à plus de justice – ou pour mieux dire, on s’éloigne moins de la justice – par une probité sans érudition, que par une malhonnêteté érudite.
C’est pourquoi, ayant acquis tous deux peu à peu tout cela, depuis votre enfance, vous en tirez une richesse qu’aucune jalousie humaine, aucun hasard, aucune atteinte du temps ne vous arrachera, au contraire de ce que tout un chacun, à tort, nomme richesse72. »
29En 1575, il exhorte Claude à mettre son érudition au service de « l’utilité de notre siècle73 ». Mettre toute l’activité du collège dans la réalisation de cette affixio politique, destinée à mobiliser les élèves et les spectateurs dans la défense d’un royaume catholique, sous l’aile protectrice de la papauté, correspondait assez à cet idéal de mobilisation des savoirs au profit de l’utilitas publica. On peut cependant s’interroger sur son apport exact à cet événement, dont on dit qu’il l’a « dirigé avec autorité ». L’accrochage des affiches et le déroulement général apparaissent, on l’a vu, calqués sur ceux de 1590. Son intervention ne résiderait-elle pas plutôt dans la direction énigmatique du programme ?
30Si en 1592, comme en 1590, on ne voit pas de thème général imposé explicitement aux compositions, on peut dire que c’est l’énigme qui est, plus encore qu’une forme privilégiée, un thème en soi. Le volume gardant mémoire des compositions porte d’ailleurs le titre Aenigmata varia, et les quatorze premiers feuillets reprennent ce titre d’aenigma74 en lieu et place du titulus de l’emblème. Ils sont accompagnés d’une solution au verso. On voit cependant plusieurs types d’énigmes proposées dans ces quinze premiers feuillets. Certaines sont des devinettes qui s’éloignent à la fois du langage emblématique et de l’actualité politique et pour lesquelles l’explication du verso est indispensable. Ainsi les f° 5 r° et 6 r° présentent une série de questions, proposées ou résolues par un philosophe. Prenons par exemple le f° 6 r°75. Si la page présente toujours sous le titre (« Aenigma varium ») un très beau dessin signé Jean Rabel, ce dessin ne joue pas d’autre rôle que de montrer la situation de communication de l’énigme : devant un magnifique palais, un gentilhomme élégant s’approche d’un vieux sage et l’interpelle.
« Toi qui passes ta vie à la cour des Grands et dont l’entendement fait un habile Œdipe, dis[-moi] où sur la terre les lys, dépourvus de couleur, sont blancs ; sur la tête de quelle bête sauvage pousse une plante. Dis où sur la terre, le roi, et les courtisans, déteste[nt] les parfums et s’écartent de ceux qui en sont imprégnés. Dis-moi ce qui entre dans le sein de la mère tout en en sortant. Dis comment en te regardant, je ne te vois pas, tout en te voyant. Dis ce que la Gaule aura fait entrevoir au Légat, et tu seras pour nous un nouvel Œdipe76. »
31Au verso, Louis Henriot donne la solution de ce qu’il appelle son « énigme philosophique ».
« Je te fais découvrir, Illustre Cardinal, le véritable sens de cette énigme philosophique.
1. Les lys qu’on voit blancs dans le miroir exhibent une couleur blanche ; et pourtant, pour moi ils ne sont pas de couleur blanche mais semblent l’être. Ceci est la première explication de la question ici posée77.
2. Aristote, dans le livre V du De Admirandis auditionibus, écrit qu’on a vu plusieurs biches qui portaient une guirlande de lierre sortant de leurs cornes. De même, l’auteur, au chapitre cinq du [livre] neuvième de l’Histoire des animaux raconte comment on avait pris un cerf qui portait sur ses cornes un lierre vert qui s’était enté par hasard dans cette corne et s’en nourrissait comme de bois vert78.
3. J’apprends par le même livre neuf de l’Histoire des animaux, chapitre quarante, et du De admirandis auditionibus numéro vingt, que les abeilles, qui ont leur propre roi et royaume, détestent les odeurs désagréables tout autant que les effluves des onguents, au point de piquer les hommes qui se parfument.
4. Et ce philosophe, qui est représenté sur cette page, n’a pas pu demeurer à la cour, sans parler de la matière première et des formes. En effet la forme d’une chose naturelle qui sort de la matière comme du sein de la mère, entre dans la matière et est placée dans la matière dès qu’elle en sort. Elle entre donc dans le sein de la mère dès qu’elle en sort.
5. Et peut-être cet homme de cour, qui a soin de ses yeux tous les jours, ne saura pas que le philosophe qui l’aperçoit en même temps le voit et ne le voit pas. Pourtant chacun d’entre nous, en présence de l’autre, reçoit dans les yeux une image, image qu’il ne voit pas être, tout en voyant celui dont l’image est. Je passerai sous silence que les âmes de ceux dont on voit les corps sont cachées.
6. À toi, Illustre Cardinal, la Gaule et tous ceux qu’elle compte de bons veulent par dessus tout faire part de leur amour. Pour lui répondre par un amour réciproque, redonne à la Gaule qui te souhaite un salut durable, pour le bien public, santé inébranlable et délivrance. Nous t’en prions et t’en conjurons79. »
32La cascade de devinettes est ainsi l’occasion de déployer le savoir du collégien, dans différents domaines. On retrouve en particulier le goût pour l’optique et ses paradoxes. Il est intéressant de noter que les jésuites ne se contentent pas d’utiliser les pouvoirs de l’image : ils enseignent aussi les ressorts de sa formation. Ils cherchent à la fois à conditionner les élèves par l’image et à leur enseigner comment se méfier de ses séductions et de ses pièges.
33À l’inverse, Nicolas Rigault choisit de poser une image-devinette. Son épigramme ne sert qu’à en dérouler le bric-à-brac étrange, puisque, comme il le dit, c’est la picta tabella qui parle et défie « l’esprit apollinien » de l’illustre spectateur.
Il y a une pierre et une femme, une lanière de cuir, des enfants, une roue, des mouches,
Une flamme, Thétis, et d’épais buissons d’épines retiennent un jeune homme :
Une clepshydre, un homme, une main tendue, un livre dont sort une flèche
Et une roue est reliée à une autre roue.
Si tu cherches autre chose, le tableau te le dira :
Il te suffit d’avoir la force de l’esprit d’Apollon80.
34Les auteurs des énigmes se présentent comme les membres d’une académie, les socii aenigmatis, selon l’expression d’un étudiant81. Si les emblèmes, imprese, anagrammes et autres jeux littéraires sont des incontournables de l’activité académique, est-ce que cette expression peut signifier davantage, et se peut-il que certains élèves aient été appelés à former un cercle littéraire dans le collège de Clermont ? Les Lettres annuelles n’en parlent pas. On sait que des congrégations de la Vierge s’étaient formées dans les collèges : dans celui de la Trinité il y en avait deux, une pour les plus grands dont pouvaient être membres les étudiants de plus de 18 ans et des hommes extérieurs au collège et une pour les plus petits qui ne comprenait que des élèves82. De tels engagements se retrouveraient-ils dans la formation de cercles littéraires ? Dans ce sens, il est intéressant de noter que malgré des références multiples, l’essentiel de l’inspiration du manuscrit Chigi provient des Hieroglyphica de Pierio Valeriano. Stéphane Rolet a récemment souligné combien les livres composant les Hieroglyphica sont le produit de cinquante ans de pratiques académiques (banquets, visites de collections, jeux sur les noms…) de la part d’un auteur qui a appartenu à de nombreux cercles, à Rome et à Padoue notamment. Bien plus, avec ses cinquante-huit dédicataires, l’ouvrage lui-même est une « académie uchronique », composée, au moment de la parution, de morts et de vivants. Pierio Valeriano a ainsi rassemblé une académie idéale pour un projet encyclopédique83. Cette inspiration principale puisée dans les Hieroglyphica s’explique peut-être non seulement par sa richesse pour composer les énigmes et emblèmes, mais aussi par cette dimension à la fois académique et encyclopédique. C’est d’ailleurs le signe de l’encyclopedia tirée de Pierio Valeriano que brandit la Théologie, ultime but des efforts des classes dépeintes dans le dessin du f° 15 r° (fig. 1, p. 36), qui clôt la série des planches intitulées « énigmes », tout en proposant un portrait du collège, comme on l’a déjà signalé. Comme les dédicataires des Hieroglyphica, les élèves qui ont pris part à l’affixio du collège de Clermont forment une sorte d’académie, l’académie de l’énigme, et le recueil qui conserve leurs compositions est comme la trace d’une séance d’académie. On peut se demander si ces premiers feuillets ne sont pas le fait des élèves les plus avancés, qui se trouveraient ainsi mis en valeur au début du volume, avec une contrainte plus grande, l’enodatio demandant un surcroît de travail pour les jeunes latinistes. Cette explication disparaît en effet avec la fin de la série des planches intitulées « énigmes ». Cependant, Pierio Valeriano reste la source essentielle des autres compositions qui usent aussi abondamment des mêmes procédés, en particulier l’anagramme.
35Il me semble que l’on peut rapprocher ce goût de l’énigme des recherches de Jean Dorat (1508 ?84-1588), dont on sait qu’il fut, outre le professeur de Ronsard, Du Bellay ou encore Baïf, un des maîtres de Claude Dupuy85. Lecteur royal de grec de 1556 à 156786, il devient alors officiellement poeta regius, mais il est dit aussi interpres Regius. C’est à ce titre de « poète et interprète du roi », comme l’appelle par exemple Aernoult Van Buchell, qui lui rend visite en 1585, que Dorat reçoit une pension annuelle de 2000 livres87. Sont ainsi désignées ses capacités de traducteur des textes anciens, travail qui consistait aussi à les rendre intelligibles. Ronsard le disait très fort
Pour denouer aus plus sages
Les plus ennoués passages
Des livres laborieus88
36Mais le goût de Dorat pour la recherche du texte sous le texte et pour l’allégorie l’ont conduit « à l’interprétation de signes d’une tout autre nature, et à faire de lui un devin presque officiel89 ».
37En 1593, Frédéric Jamot, avocat, évoquait les « paroles d’or » de son ancien professeur
Soit que, pour nous, des nobles chants de Dircé
Tu remettes à jour les secrets enfouis, obscurcis par la rouille,
Soit que tu tranches les noeuds, les énigmes de la voyante Phrygie90.
38Sa plume ne restera pas étrangère aux conflits religieux. Très lié aux princes de la maison de Lorraine, Dorat se convertit en 1571 à un catholicisme combattant91. Il commettra l’année suivante des vers bien connus pour célébrer la mort de Coligny et les massacres de la Saint-Barthélémy92. Les jeux de mots douteux qui les émaillent rappellent les compositions des élèves du collège de Clermont ; il évoque ainsi les chefs protestants, heureusement éliminés, tels les prétendants de Pénélope, qui ont été tués comme les porcs qu’ils étaient, ce que révélerait la proximité des mots procus (prétendant) et porcus (porc) :
Omnes, ut porci, sic cecidere proci93.
39Dorat est aussi un défenseur passionné de l’autorité royale contre la noxia turma (la troupe nuisible) des séditieux. À la fin de sa vie, après avoir tenté de suivre les développements confus des guerres de Religion, il lui restera à maudire tous ceux qui troublent le repos public.
[…] male dispereat quisquis malus otia pacis
Disturbans populos ciuica ad arma uocant94.
40Entre-temps, il formule de nombreuses vaticinations flatteuses pour ses souverains. Ainsi ce « Sonnet sur l’oracle de Pan », adressé en 1578 à Henri III :
Tous nombres sont divins, mais Christ pour sa personne
Le huict s’est reservé ; et la sibylle autheur,
Huict cens octante huict faict en grec le SAUVEUR
Comme le nombre et nom qui tout salut nous donne
[…]
Si le sept votre sort si bien vous a conduit
A grand victoire et paix, le salutaire huict,
D’un beau lis couronné verra France fleurie95.
41C’est d’ailleurs, selon Geneviève Demerson, à partir de sa nomination comme poète royal que Dorat se livre à la vaticination96. « Chaque signe est pour lui, si l’on peut dire, ultra-signifiant97. » Il applique ainsi plusieurs méthodes pour percer le secret des mots qu’il « interroge ». Geneviève Demerson distingue trois modes liés les uns aux autres : l’« étymologie », l’anagrammatisme et la méthode cabbalistique que l’on voit à l’œuvre dans le sonnet cité ci-dessus. Les anagrammes sont particulièrement prophétiques et donc intéressent particulièrement Dorat, au point que plusieurs contemporains lui attribuent – à tort – la vogue de l’anagramme en France98. Mais ce qui est plus propre à Dorat c’est, selon Fernand Hallyn, la dénomination du procédé, avant lui pratiqué sans une désignation précise, et surtout son utilisation pour résoudre les énigmes du texte du monde. Au-delà des secrets des mots, Dorat porte en effet son interrogation sur le monde dans son ensemble, interrogé à travers diverses méthodes divinatoires : arithmomancie, astrologie, oniromancies… Les énigmes saturent l’univers du poète prophète, grand lecteur des centuries de Nostradamus99. Herméneutique et prophétique, la lecture des énigmes s’offre comme une méthode pour découvrir partout la vérité.
42Un autre élément essentiel de l’esthétique de Dorat est l’union des arts, de la théologie à la médecine : « tous estudes sont joints d’une forte amitié100 » et Apollon est le patron des médecins comme des poètes. Geneviève Demerson souligne que « Dorat s’est plus précisément intéressé aux rapports privilégiés, selon lui, de la poésie, art du verbe et du son, avec les arts plastiques, et, en premier lieu, avec la peinture101 ». Il écrit en effet :
[…] pictoribus apta cum poetis
Est concordia.
43Elle insiste sur l’importance du terme concordia : les arts, avec des moyens divers, se soutiennent mutuellement. Dans une louange à la peinture (In laudem picturae) il montre l’unité du travail du peintre et du poète en confondant le support de leur création, les tabellae, désignant à la fois les tableaux et les tablettes à écrire102. Ce terme de tabella revient souvent dans nos manuscrits pour désigner la composition, mêlant texte et image, des élèves103. L’ensemble du manuscrit Chigi, on l’a dit, célèbre Apollon et l’union des arts. En 1571, Dorat collabore avec Niccolò dell’Abate pour la décoration de la salle du banquet offert par la ville de Paris à Élisabeth d’Autriche, lors de son entrée104. Au seuil des Sibyllarum duodecim oracula, dont Dorat a composé le texte latin, Binet une traduction française et Jean Rabel les dessins, Jean Clouet note que Rabel et Dorat ont donné l’un le corps, l’autre l’âme, aux sibylles, tout en méritant tous trois la même couronne105.
44Or, si l’on peut se permettre de penser que l’affichage de 1592 est d’abord placé sous le signe de l’énigme, dans le sens herméneutique et prophétique que lui donnait Dorat, c’est parce qu’un intervenant essentiel de ce programme est justement Jean Rabel, qui est l’auteur d’une grande partie des dessins106. Il est né vers 1545. C’est alors un artiste mature, célèbre. Il est le fils de Jean Rabel (mort en 1586), avec lequel il a souvent été confondu. Né à Fleury, dans le diocèse de Beauvais, Jean l’aîné a d’abord exercé la profession de marchand orfèvre à Anvers. La carrière parisienne des deux Rabel, père et fils, « semble commencer à la même époque, la fin du règne de Charles IX ; mais, dès ce moment, ils n’eurent pas d’adresse commune. Tous deux eurent cependant des intérêts, à commencer par l’estampe, et des commanditaires communs107 ». Ils sont tous les deux éditeurs. Jean I était un peintre savant. Dans son inventaire après décès on note la présence de quelque « cinquante cinq livres petitz, de plusieurs auteurs, partye d’iceulx couvertz les uns de cuir et les autres de parchemins », outre les « vingt deulx livres de portrectures et autres pièces ramassées108 ». Jean II semble avoir eu du succès assez rapidement et fréquente les peintres de la cour, en particulier Antoine Caron, le peintre de Catherine de Médicis, originaire comme lui de Beauvais109. En 1583, il est témoin du contrat de mariage de sa fille Marie avec Thomas de Leu110.
45La même année, il se dit peintre et valet de chambre de la reine de Navarre111. Jean le jeune est, selon le mot de L’Estoile, un « bel esprit », lettré, comme son père, proche de poètes et de savants qui célèbrent son art. Jean-Édouard Du Monin dédie des « catastrophes » (renversements de fortune) à Rabel, le reconnaissant son frère en poésie, puisque le Poète et le Peintre ont tous deux Apollon pour père :
Au sieur Rabel parangon de la portraiture.
Mon zeuxe, mon Timant, mon Parras, mon Apelle,
Bref mon accort Rabel pour tout dire en entier :
Puisque tu m’as offert un plat de ton metier,
Ta Grace me serrant au noeud de ta cordelle ;
Ce mien vers t’apprendra qu’en la croupe iumelle
Les trois et les neufs sœurs tracent meme sentier,
Et que toujour la Grace a la Grace aupres d’elle.
Il est vray, mon Rabel, qu’au change tu perdras
Et qu’aus armes d’airain, ton or tu changeras :
Mais aveugle est l’Amour, l’amour de frere à frere,
Comme est le Poëte au Paintre, est chef de tout amour ;
Ne voit donc de si pres lequel doit de retour,
Car tout est d’Apollon des deus le commun pere112.
46Ce fils d’Apollon se distingue par des productions variées : il grave vingt-deux estampes de dieux ou de personnages mythologiques, de Saturne à Psyché113, grave et édite les Oracles des douze Sibylles, extraicts d’un livre antique, mis en vers Latins par Jean Dorat Poëte & interprete du Roy, & en vers François par Claude Binet. Avec les ffgures dedites Sibylles pourtraictes au vif, & tirées des vieux exemplaires par Jean Rabel114. Il revendique haut et fort dans ce projet le statut de peintre savant115. Il illustre aussi les Antiquitez et singularitez de Paris de Gilles Corrozet116. Il est également l’auteur, en 1586, des gravures de L’Office de la Vierge à l’usage de l’Eglise catholique, Apostolique et romaine…, chez Jamet Mettayer. Il grave un portrait d’Henri III en 1585, que l’on trouve au frontispice des Premières oeuvres poétiques de Flaminio de Birague (Paris, Th. Périer, 1585). En 1588, il se lance avec Jacques Granthomme, graveur qui réside sous son toit, sans doute son apprenti, dans une série de « trente portrais de princes et princesses telz que bon semblera aud. Rabel, de la grandeur et façon du portraict et modelle qui a esté monstré par led. Rabel aud. Grandhome » comme le précise le contrat qui les lie. Rabel y est dit « maître peintre et bourgeois de Paris117 ».
47Marianne Grivel a noté qu’il restait bien peu d’œuvres peintes et de dessins de cet artiste, alors qu’il a dirigé un atelier important et qu’il était célèbre parmi ses contemporains pour ses portraits au crayon et en taille-douce. Son activité la plus documentée reste aujourd’hui celle d’éditeur, plus encore que celle de graveur, comme son père118. Le manuscrit Chigi peut ainsi fournir une base de travail importante pour de futures attributions. En tout cas, un des très rares vestiges de son œuvre dessiné nous ramène aux signes prophétiques et au langage de l’énigme. Il s’agit du dessin d’une mouche, conservé à la Bibliothèque nationale (fig. 19)119. Ce dessin aquarellé, à la plume, sur une esquisse à la pierre noire (comme les dessins du manuscrit Chigi) démontre moins un « intérêt pour les sciences naturelles120 » qu’un intérêt pour les portenta, les signes et les prodiges. Le commentaire qui accompagne le dessin indique en effet qu’il s’agit d’une
« sorte de Mouches descendues des Montagnes d’Allemagne de Montbeliar et Lieux circonvoisons a grande quantité Desquelles Un Beuf estant picqué ou une vache ou un cheval meurt dans 24 heures picqueroit un homme encore quil eust un colet de Buffle, lesquelles estoit (sic) de mesme Grandeur grosseur quil sont (sic) icy représenté et mesme couleur et furent veues en l’an de grace 1591. Portraict par Jean Rabel ».
48La taille de la bête et sa couleur verte inhabituelle la rangeraient déjà du côté des monstres. Mais ce fléau qu’on dit venir d’Allemagne et du comté de Montbéliard, célèbre refuge de nombreux huguenots, ne peut pas, en 1591, être une simple curiosité naturelle121. L’année 1591 est marquée par le siège tragique et la radicalisation de la Ligue parisienne. Paranoïa et espoirs fous suscitent de multiples apparitions et visions. On se souvient de l’épidémie de croix dont fait état Filippo Sega en mai de cette même année122. Ces petites croix rouges qui se répandent d’Amiens à Paris depuis le lit de mort d’un bon catholique sont un reflet inversé de ces mouches monstrueuses descendues d’Allemagne. Les mouches sont d’ailleurs un motif récurrent des discours polémiques du temps123. En 1589 et 1590, plusieurs pamphlets dénoncent la « mouche de Lorraine qui est la Ligue124 ». On peut très bien imaginer que Rabel, par cette mouche montbéliardaise, réponde aussi à cette désignation hostile à la Ligue. Ce dessin s’inscrit donc très bien dans cet engagement de Rabel pour la Ligue, qui le verra l’année suivante réaliser une bonne partie des affiches du collège de Clermont célébrant l’arrivée du légat Sega et la poursuite du combat contre le « sanglier navarrais ».
49Pour mieux le comprendre il faut revenir au projet des Oracles des Douze Sibylles, qui combine gravures et compositions poétiques, marqué par ce prophétisme politico-religieux dont on retrouve des accents dans l’affichage des jésuites, six ans plus tard. Le thème des sibylles nous ramène à Catherine de Médicis, qui le goûtait125, et à son peintre Caron, proche on l’a dit de Rabel, qui peint la Sibylle de Tibur vers 1580126. L’ouvrage est un in folio dédié, dans une ouverture rédigée par Rabel, à la reine, Louise de Lorraine
« Et d’autant que l’un des signalez tesmoignages que nous ayons point au rapport des gens doctes tant anciens que modernes pour l’exaltation de nostre saincte foy, est celuiy que nous avons des oracles et carmes de ces Sibylles, je me suis advisé de graver les pourtraicts desdictes Sibylles au plus pres de la naifve representation, que l’antiquité m’ait donnée avec un sommaire de leurs predictions appropriees à une chacune d’icelles, que je presente à vostre Majesté, comme les premices de mes labeurs127. »
50Après quelques poèmes liminaires se déploie la série des sibylles et de leurs oracles en doubles pages : page de droite, la gravure de Rabel avec au-dessous les vers latins de Dorat ; page de gauche, la transposition française de ces mêmes vers par Claude Binet. L’ouvrage se clôt sur une gravure de la Vierge à l’enfant « qui fait pendant au médaillon de Louise de Lorraine qui précédait l’énumération des douze oracles128 ». Le tout présage à la reine « un enfant, capable de tenir, apres un si sage et bon Roy, le Royaume de France129 ».
51Prenons par exemple la quatrième sibylle, la Sibylle Érythréenne.
52À gauche de la gravure de Rabel (fig. 20), on lit l’adaptation libre des vers de Dorat par Binet :
La quatrième a son nom du peuple Erythrean
Qui chantoit se dit-on, lors que le champ Troien
Fut envahi des Grecs, ausquels elle devine
Par eux des murs Troiens la superbe ruine,
(Matiere au grand Homere à faire un carme faint)
Son corps estoit vestu d’un habillement sainct,
Jusqu’aux tempes estoit d’un noir bandeau voilee,
Tenant en sa main dextre une dague afilee :
N’estant jeune pas trop, ni par trop vieille aussi,
Mais ayant quelque peu le visage obscurci,
Pressant dessous ses pieds un grand cercle en figure
Du ciel, d’astres rempli en luisante dorure,
Voici ce qu’elle disoit. LE dernier temps viendra
Auquel Dieu tout puissant s’humiliant prendra
Corps humain & mortel, & gisant dans l’estable
Comme un tendre agnelet aura pour delectable
La tette d’une vierge, & pour tous compagnons
Douze il appellera, tous pauvres vagabonds
Sur les flots de la mer, qui pour gaigner leur vie
Employent à pescher leur penible industrie.
53On voit, dans cet exemple, que l’épigramme ne décrit pas plus la gravure que la gravure n’illustre l’épigramme. Le rapport entre texte et image a souvent fait l’objet de commentaires peu élogieux pour le volume. Isabelle Cirolo en a bien analysé les ressorts. À la fois « redondants et contradictoires » texte et image « évoluent parallèlement ». S’il n’y a pas la tension entre les deux qui caractérise le livre d’emblèmes et produit un « effet d’énigme qui peut se résoudre par le rapport entre les deux130 », c’est bien un autre effet d’énigme qui est recherché dans cet ouvrage qui se veut « oraculaire ». Dans le va-et-vient ente le texte et la gravure, « aussi visuels et allusifs l’un que l’autre », le lecteur est invité à « croire, mediter & admirer » comme le dit Rabel dans son introduction131. Rabel n’est pas, on le voit, un simple illustrateur. Il est sans doute l’initiateur et le concepteur du projet, dans lequel il a impliqué son ami et voisin Dorat132 ainsi que Claude Binet qui est peut-être parent de la femme de Rabel, Denise. On peut d’autant plus le penser que Claude, né au milieu du siècle, disciple de Ronsard, est originaire de Beauvais, comme le peintre lui-même133. Ce qui est intéressant aussi c’est que Binet, Rabel et Dorat travaillent tous les trois pour et autour de la mystique royale. La série des Sibylles parlait déjà de la succession dynastique et du salut du royaume, comme l’affichage des jésuites en 1592. Il n’est donc pas très étonnant que les Pères aient eu l’idée de s’adresser à ce peintre pour travailler aux compositions de leurs élèves. Et peut-être que cette idée a été suggérée par Clément Dupuy.
54L’affichage de 1592 n’est pas le premier lien documenté de Rabel avec les jésuites. Plusieurs commandes le concernent de près dans les années 1580. Parmi les gravures qui reviennent certainement à Jean Rabel le jeune, on remarque, daté de 1583, le portrait de Jean des Caurres, principal du collège d’Amiens, utilisé au frontispice de ses Œuvres morales diversiffées en histoires pleines de beaux exemples134… En 1584, le graveur Gilles de Hoorbeke, originaire de Gand et habitant chez Jean Rabel, rue des Carmes, s’engage auprès du procureur général de la Compagnie de Jésus, Jacques Ximenez, pour aller graver les planches d’un ouvrage au Collegio Romano, à Rome135. En 1586, Rabel lui-même grave la Sainte Face « Cum privilegio Regis » et la dédie au confesseur du roi, le célèbre Père Edmond Auger136. L’adresse indiquée sur les Oracula (« chez Jean Rabel, demourant a la rue S. Iean de Latran, a la Rose rouge ») indique qu’il n’est pas seulement voisin de Dorat, mais aussi du collège de Clermont.
55On n’avait jusqu’ici aucune idée de l’engagement ligueur de Jean Rabel. Certes, le portrait du cardinal Cajetan gravé par Léonard Gaultier d’après son propre dessin, qu’il édite en 1590, est bien connu137. On avait aussi relevé la possible parenté de sa femme avec Denis Binet, imprimeur puis libraire-juré favorable à la Ligue et qui se fait remarquer pendant le siège de 1590138. Cependant, pour Alexandra Zvereva, Jean Rabel, « pendant les troubles, resta à Paris et ne cessa guère son activité, sans pour autant se déclarer ouvertement pour la Ligue. Vers 1600-1602, il semble même entré au service d’Henri IV139 ». Il manquait évidemment les documents présentés ici pour montrer le contraire. En se mettant au service de la pédagogie militante des jésuites, Jean II Rabel prend part activement à la mobilisation ligueuse. Et en signant plusieurs de ses dessins offerts au légat, il montre son zèle dans ce qui est compris, on l’a vu, comme une oeuvre de dévotion140.
56Rabel, et Dorat en arrière-plan, placent l’exposition et le recueil de 1592, plus que les précédents, du côté de ce qu’on pourrait appeler les ultra-catholiques divinisants, attachés à la mystique royale. Le choix de l’aenigma (ou en tout cas la tentative de placer toute la production sous le titre d’Aenigmata) n’est pas seulement une volonté de répondre au discours royaliste sur un terrain qu’il prise fort, mais aussi le choix d’une image dont le pouvoir est particulièrement fort. Si les ressorts des compositions de 1592, en dehors des premiers feuillets, ne sont guère différents de celles de 1590, le terme même d’énigme désigne l’ambition prophétique d’une manifestation et d’un recueil dont on a vu qu’ils mettaient au cœur du travail des élèves l’attente d’un roi de France dévoilé grâce au légat, désigné à la lumière de Rome, porteur d’une rénovation.
57On a beaucoup souligné le thème du renouveau, de l’âge d’or retrouvé, à Henri IV victorieux. On a un peu oublié, parce qu’elle a perdu, que la Ligue s’était aussi voulue porteuse de cette dimension. Et cela n’est pas resté sans conséquence ni sans fruits, qu’on le veuille ou non, pour l’histoire littéraire et artistique de la France du xviie siècle.
La Ligue, laboratoire de la culture catholique du premier XVIIe siècle
58Longtemps, une historiographie à charge, dépendante du discours royaliste vainqueur, a présenté la Ligue comme un moment d’anti-culture, une parenthèse présentant des caractéristiques de « révolution culturelle » vouée à l’échec. Dès 1977, Denis Richet observait que « c’est sur son échec qu’insistent presque tous les historiens », alors qu’« on ne doit pas négliger une dimension essentielle de l’action ligueuse ; les débuts d’une pénétration en profondeur des institutions et des méthodes introduites par le Concile de Trente141 ». Il cite comme legs directs de l’expérience ligueuse, aussi bien les compagnies et confréries de laïcs, les pénitents, que le développement des processions ou la dévotion au Saint Sacrement. Des travaux récents ont poursuivi dans cette direction, relisant la Ligue comme « un événement culturel clef142 ». On pense par exemple au travail d’Ann W. Ramsey sur la piété des ligueurs parisiens143. Aux côtés des innovations liturgiques et dévotionnelles, il me semble que les documents ici présentés montrent aussi la dimension littéraire et artistique du laboratoire culturel du Paris ligueur. Ils permettent de faire le lien avec la « révolution silencieuse » qui s’opère en ces années. « Dans les nouvelles générations de robins ou de marchands l’action tridentine se fait sentir, notamment grâce aux collèges de jésuites. L’ouverture à Paris du collège de Clermont en 1564 permit aux fils de nombreux officiers des cours souveraines de se préparer à encadrer les masses dans les formes rénovées de piété, de dévotion et finalement de culture144. » Denis Richet estimait que les jésuites, divisés dans leurs choix politiques, n’avaient pas joué un si grand rôle que les mendiants dans la Ligue parisienne, malgré les accusations des gallicans. Il est possible de rendre désormais aux jésuites une place importante dans la mobilisation pro-ligueuse, justement dans le cadre de leur collège. En tout cas, Denis Richet insiste avec raison sur l’expérience spectaculaire de la Ligue pour ceux qui étaient enfants ou adolescents alors : « après le meurtre des Guise, dans les premiers mois de 1589, Paris connut des scènes extraordinaires qui ont dû marquer durablement la génération qui avait de 10 à 15 ans à cette date145 », et parmi laquelle se trouvent les acteurs de la Contre-Réforme des règnes d’Henri IV et de Louis XIII. « Dans tous les quartiers de Paris des foules enfantines se rendirent, pieds nus, jusqu’aux églises paroissiales où étaient dites des prières pour les “martyrs”146. » Ces scènes extraordinaires ne se limitent d’ailleurs pas au début de l’année 1589, ni à l’initiative de la municipalité. On peut essayer d’esquisser quelques traits de la ville-spectacle qu’est Paris pendant ces années.
59On a beaucoup insisté sur les processions et autres formes de dévotion collectives spectaculaires. Pierre Deyon a noté que la Ligue « déploie une propagande multiforme qui lui permet d’encadrer et de contrôler la population. Elle imagine et organise des manifestations collectives spectaculaires pour entretenir l’émotion et la combativité de ses militants : exécrations publiques, processions, pèlerinages147 ». Cependant, Denis Crouzet a montré que cette « dévotion hiérosolymite » dans laquelle Paris plonge en 1589 n’est pas née subitement et qu’elle relève d’un mouvement de fond plus que d’une opération de propagande univoque148. Les processions blanches des années 1583-1584 sont un jalon essentiel de cette « pulsion d’adorer » (Alphonse Dupront) qui saisit aussi Paris après l’assassinat des Guise. Sans reprendre son travail sur ces « processions baroquisantes », relevons leur dimension spectaculaire : le vêtement et sa couleur, la « grande magnificence de luminaire et musique excellente149 » suscitent l’étonnement, l’émotion, et un très grand concours. La Ligue fait beaucoup marcher les Parisiens. Prenons l’année 1590, année de la première affixio au collège ; on note que dès le 9 janvier l’université organise une procession « à laquelle, par le commandement du sieur recteur, assistèrent, outre la coustume, de chascun collège de ladite Université, dix des plus petitz escolliers d’iceulx, qui avoient avec tous les assistans en ladite procession chacun un cierge jaulne allumé en la main150 ». Le lendemain, une procession générale des enfants de Paris, du cimetière des Innocents à l’église Sainte-Geneviève du Mont151, paroisse par paroisse, les emmène « presque tous vestus de blanc, conduis par le clergé de leur paroisse » jusque devant l’église, où ils « jectoient leur chandelle à leurs pieds et marchoient dessus en signe que ce maudict tirand estoit excommunié152 » ; à l’intérieur, « agenouillez devant le crucifix, ils crioient trois fois à haute voix “Miséricorde”153 ». Jusqu’à Pâques se multiplient les processions qui font marcher des enfants vers la Passion. Le 24 février, deux jours après l’exposition au collège en l’honneur de Cajetan, le même bourgeois de Paris note que
« tout au long du jour, l’on ne cessa de veoir les processions et esquelles il y avoient beaucoupt de personnes, tant enfans que femmes et hommes, qui estoient toutz nus, lesquels portoient et representoient tous les engins et instrumens desquelz nostre Seigneur avoit esté affligé en sa passion, et entre autres les enffans des Jésuites, je dictz ceulx qui y vont à la leçon, lesquelz estoient tout nudz et estoient plus de troys cens, deux desquelz portoient une grosse croix de boys poisant plus de cinquante, voire soixante livres, et y avoient troys coeurs de musicque154 ».
60On remarque que les jésuites, dont les escolliers parisiens processionnent « en bel ordre » encore le 9 mars155, sont aussi à l’initiative ailleurs. Le 25 mars, à Bourges, ils lancent le mouvement par « une procession d’écoliers et autres enfans, au nombre de 300 ; [qui] sortirent des Jesuites nus-pieds, vêtus de blanc156 ». Et l’« influence du théâtre processionnel » jésuite va au-delà de la poussée pénitentielle du Carême 1589157. Le 28 décembre, jour des Innocents, un prédicateur de la Compagnie, Antoine Tholozan, organise à Laon
« une procession generalle des petitz enffans de la ville de Laon bien jusques au nombre de VI a VIIc qui estoient accomodez et vestuz de linge blanc une partie à piedz nus encores que lors il feist bien froid pour la gellee et la neige. Les petitz enffans furent conduitz (par deux personnaiges nouveaux arrivez se disans Jesuites de la petite observance qui instruisoient les petitz enffans de la ville par la permission de Tholozan et les catechisoient) […] nonobstant toute froidure et vent de bize qui causa maladies a plusieurs dentre eulx. Ceste procession ainsy bien menée et dressée fut trouvée belle par les ypocrites, qui fut cause den faire continuer des pareilles assez longtemps158 ».
61Les processions peuvent être liées à des vœux ou des serments, qui eux aussi mettent en scène toute la ville dans des démonstrations d’unanimité. Le 11 mars 1590, trois semaines après le premier affichage jésuite, le serment de l’union avait déjà été renouvelé en grande pompe159. Prévôt et échevins font voeu d’offrandes à Notre-Dame de Lorette en Italie s’il plaît à Dieu de les « délivrer de la calamité où nous sommes réduicts160 ». La procession gigantesque vers Notre-Dame du 31 mai 1590 est suivie par un serment de poursuivre la lutte161 ; trois jours plus tard, « 1300 moines, prêtres et étudiants qui ont passé cuirasses et casques sur les robes et capuchons » forment une procession à laquelle participe le légat Cajetan. C’est peut-être cette procession qui est représentée sur le tableau conservé au musée Carnavalet162. Comme dans le mouvement des processions blanches de 1583-1584, l’implication des enfants est importante. Le 18 avril 1591 ce sont encore quelque 500 garçons et filles qui processionnent pour implorer la victoire163…
62Mais si les processions, les pèlerinages, les vœux et les serments ont concentré l’attention, ils n’épuisent pas les mises en scène spectaculaires dans le Paris ligueur. On peut y ajouter les entrées dans la ville de personnages prestigieux. L’entrée de Cajetan a déjà été évoquée et on en a vu quelques évocations graphiques dans nos manuscrits. L’entrée du duc de Feria164 donne également lieu, en 1593, à un « gran rescivimiento165 ». Le légat, Filippo Sega, le gouverneur de Rouen, Villars et le fils cadet de Mayenne se portent à la rencontre des troupes du duc. Ils entrent dans l’« hermossa ciudad » accompagnés de volées de cloches et de salves d’artillerie, tandis qu’« une foule de gens venait à nous comme je n’en avais jamais vu de ma vie » rapporte Damian Armenta y Cordoba, qui fait partie de la suite de Feria. Paris est aussi le théâtre de pompes funèbres impressionnantes. Après celles réservées aux Guise en 1589, des services magnifiques accompagnent les obsèques d’Alexandre Farnèse et de la duchesse de Feria, dans lesquelles la garnison espagnole est très impliquée166.
63Cette même garnison contribue à la ville-spectacle par des initiatives propres. Ainsi L’Estoile rapporte qu’à l’occasion de la Saint-Jean de 1591 « les Néapolitains dressèrent, par plaisir et pour donner recréation aux dames et damoiselles de Paris, une forme d’escarmouche sur le quay des Augustins167 ». À peine deux mois plus tard, pour fêter l’évasion du jeune duc de Guise (15 août), les
« Néapolitains et Hespagnols dressèrent au soir, en signe de resjouissance de ceste bonne nouvelle une forme de combat et bataille sur le quai des Augustins, à Paris. Après laquelle, se retirans tous en bonne conche et ordre, donnèrent la salvade à l’hostel de Nemoux, où Madame estoit malade au lit, mais resjouie par dessus tous les autres de ces bonnes nouvelles168. »
64En effet, cette garnison envoyée par Philippe II est cosmopolite ; composée à la fois d’Espagnols, d’Italiens et de Flamands, elle véhicule des traditions différentes. Comme le souligne José Javier Ruiz Ibañez, elle « constitue un microcosme religieux, avec ses propres chapelains et confraternités », qui regarde volontiers les Français comme des « pré-tridentins arriérés169 ». L’incompréhension peut d’ailleurs être réciproque. L’Estoile rapporte que
« le vendredi 10e dudit mois de may [1591], jour et feste de Saint Job, les Walons firent à Paris une mascarade de la Patience dudit Job, se promenans, par les rues de Paris, avec force gens à moictié nuds, qui avoient les bras tous sanglans et les corps peints, et, marchans en ce bel équippage, accompagnoient avec des violons un homme monté sur un asne à reculons, qui représentoit le bon homme Job, qui, monté sur ledit asne à reculons, donnoit de la queue dudit asne la bénédiction aux passans, aiant à ses costés un diable et une femme qui se moquoient de lui. Et encores ceste farce fust assez plaisante et selon la mode de leur pays, si ne fust-elle point bien goustée de ce peuple parisien (encores qu’il ne faille pas grande chose pour l’amuser), ains si mal receue, à cause de ceste bénédiction de la queue de l’asne, que, passant le pont Nostre-Dame, ils furent contraints de se retirer plus vite que le pas, la populasse les menassant de traisner à la rivière, comme se moquans de Dieu et de la Religion catholique170 ».
65Les expositions (affixiones) organisées par le collège de Clermont et qui, on l’a vu, s’accompagnent de chants et de représentations théâtrales, s’inscrivent donc dans un ensemble dense de manifestations spectaculaires qui marquent la capitale assiégée et qui supposent une activité littéraire et artistique pendant la Ligue.
66Les artistes prennent parti avec les moyens de leur art, comme le témoignage de Sighiulli cité plus haut le souligne. Ce membre de la suite du légat Cajetan montre que des peintres exposaient des toiles politiques dans l’espace public, commentant l’actualité. Le tableau qu’il décrit n’est pas particulièrement flatteur pour les principaux acteurs du Paris ligueur : on y voit Mayenne et le légat embarqués dans un carrosse dont le cocher est l’ambassadeur d’Espagne, carrosse immobilisé dans la boue malgré les efforts de la duchesse de Montpensier et du père Folignano pour le tirer de la fange171. Il faut imaginer les affichages des jésuites en dialogue non seulement avec les gravures et les épigrammes royales de l’extérieur, mais aussi avec ces expressions divergentes dans la ville même. Il pouvait s’agir de peintures exécutées rapidement d’après une gravure, afin de la diffuser à peu de frais172, mais on peut voir aussi une production artistique politique. Ainsi en est-il de l’Abraham et Melchisédech d’Antoine Caron, daté généralement de 1590173.
67On y voit Abraham recevant de Melchisédech, grand-prêtre et roi de Salem, le pain et le vin, en échange du butin, qui s’étale au premier plan à droite. Roger Trinquet s’est attaché à décrypter les allusions contemporaines sous le masque de la fable biblique174. La clef lui semble être la mouche survolant la forteresse au fond du tableau. Selon lui, cette mouche désigne – négativement – la Ligue. Mais on a vu que des mouches monstrueuses venues d’Allemagne pouvaient signifier l’hérésie. Comme la peinture du musée Carnavalet citée plus haut, il n’est pas toujours facile d’identifier le parti de ces tableaux. Dans le cas de la procession de la Ligue, qu’est-ce qui indiquerait un tableau satirique ? On y voit des religieux armés, mais le port d’armes par les prêtres et les moines, brocardé par les royalistes, était tout à fait revendiqué du côté ligueur. Pour Abraham et Melchisédech, est-on sûr de bien déchiffrer le parti de son auteur ? Roger Trinquet voit en Melchisédech le légat Cajetan et en Abraham le cardinal de Bourbon, Charles X, roi de la Ligue, avec, au milieu d’eux Alexandre Farnèse, le général espagnol dont la Ligue attend des secours. Si l’on compare avec les compositions du collège, strictement contemporaines, on pourrait plutôt y voir Cajetan et Mayenne qui apporterait ses armes dans le butin (on reconnaît son pourpoint rouge). On pourrait aussi imaginer que le roi-prêtre Melchisédech cache le cardinal de Bourbon, plus sûrement que dans la figure d’Abraham chef d’armées. Quoi qu’il en soit, ces personnages sont-ils tournés en dérision, comme le suppose Roger Trinquet ? Ce serait bien étrange qu’Abraham, le « père spirituel des chrétiens », « modèle de foi et d’obéissance », désigne un traître ou un rebelle175. Loth, que l’auteur identifie à Philippe II, est-il si négatif ? Le « juste Loth » dont parle la seconde épître de Pierre176 est le neveu fidèle d’Abraham, et s’il a été faible devant l’ivresse, on souligne volontiers qu’il n’a jamais consenti au péché177. Le bœuf béarnais est-il un portrait flatteur d’Henri de Navarre ? Trinquet part du principe (non explicité) que Caron est royaliste en 1590, parce qu’il sera au service d’Henri IV quelques années plus tard, ce qui, en ces temps troublés, n’est guère probant. Les informations n’abondent pas sur Caron à cette période. En tout cas, Caron peint quelques années plus tard un Carrousel à l’éléphant qui ne semble guère à la gloire d’Henri IV178. Mieux, dans un tableau qu’Ehrmann situe aux alentours de 1590, le peintre exalte le martyre de Thomas More, héros catholique souvent mis en avant par les ligueurs dans leurs campagnes contre l’Angleterre, alliée d’Henri de Navarre179. Quelle que soit l’interprétation exacte du Melchisédech, on voit combien le vocabulaire utilisé par Caron est proche de celui des affichages des jésuites. Il s’agit bien, comme le dit Roger Trinquet, d’une « énigme ». La circulation intense des motifs et leur emploi consciemment en miroir entre les partis, puisque ces motifs sont destinés à se répondre point par point, rendent difficile une lecture certaine en l’absence d’épigrammes ou d’enodatio explicative. Ces exemples témoignent cependant d’une effervescence artistique et discursive dans le Paris ligueur beaucoup plus subtile et érudite que celle déployée dans les sermons des prédicateurs les plus populaires. Elle se déploie de manière privilégiée sur le mode énigmatique.
68Marc Fumaroli a remarqué combien Paris, à partir de 1585, devient un champ de bataille « où se livre un combat décisif entre orthodoxie et hérésie protestante » :
« les traités d’éloquence qu’Italiens ou Espagnols y publient sont manifestement destinés à pourvoir les prédicateurs de la Ligue d’une méthode efficace pour haranguer le peuple selon les prescriptions du concile de Trente ».
69Ces traités latins sont d’une « qualité trop haute pour influencer curés et moines démagogues180 » mais on a vu dans ces pages qu’il n’y a pas dans le Paris ligueur qu’une éloquence « populaire et diatribique » pour reprendre les termes de Marc Fumaroli. En tout cas, c’est là qu’on publie le De praedicatore verbi dei de Jean Botero (1585), qui définit le Christ comme l’orator perfectissimus, ou encore l’Epistolica institutio de Juste Lipse (1591)181. Selon l’auteur de L’Âge de l’éloquence, ces ouvrages posent, avec d’autres, un nouvel idéal de rhétorique sacrée, renouant avec les modèles des pères de l’Église, « qui ne sera pleinement réalisé en France, et même en Italie, que dans la deuxième moitié du xviie siècle182 ». Le Paris de la Ligue serait un de ces laboratoires du « triomphe de l’éloquence, élevée à la dignité d’office sacerdotal et apostolique183 », qui remet à l’ordre du jour l’ambition antique de gouvernement des hommes – ici plus encore des âmes – par la parole.
70Comme Denis Crouzet l’a souligné, la Ligue parisienne « n’est pas seulement ce en quoi l’historiographie “politique” l’a figée dans la mémoire, un lieu de violences verbales et physiques. Elle l’est bien moins qu’elle n’est un espace pénitentiel total184 ». Avec Denis Richet, il insiste sur le sens profond de réformation collective que portent les processions de la Ligue. C’est ce même souci qui se fait jour dans les affiches des jésuites en 1590 et plus encore en 1592 : souci de réformation, à travers les lettres et les arts, exprimé dans des exercices poétiques qui sont aussi des exercices de méditation et dont la fabrication, comme la vision et la lecture, doivent re-former les âmes.
Notes de bas de page
1 Richet Denis, « Aspects socio-culturels des conflits religieux à Paris », art. cité, p. 764.
2 Georges Critton, professeur au Collège royal, dédie à Sega un éloge au moment de la levée du siège de Paris : Feorgii Crittoni, Scoti, de liberata Parisiorum urbe gratulatio, ad illustrissimum cardinalem D. Henricum Caetanum…, Paris, A. Drouart, 1590.
3 NAL 2636, f° 18 r°.
4 « Paris, qui est l’oeil, le mirouer et la torche de la France », Advis et exhortation (1589), p. 17-18 cité par Martin Martial, « Portrait de l’orateur en alchimiste. Le discours des sciences occultes et l’écriture “satyrique” sous la Ligue », Nouvelle revue du xvie siècle, 21/2-2003, p. 71-84, ici p. 76.
5 Thou Jacques Auguste de, La Vie de Jacques-Auguste de Thou, éd. et trad. de Anne Teissier-Ensminger, Paris, Honoré Champion, 2007, p. 763, L’Oracle de la Seine.
6 Gassman David Louis, Translatio studii. A study of intellectual history, 2 vol., Londres, Ann Arbor, 1973.
7 Encore dans Boulay César Égasse du, Historia universitatis parisiensis, Paris, Apud Franciscum Noël, vol. 1, 1665. Selon André Tuilier, Paris avait sans doute depuis Charlemagne un écolâtre qui siégeait au cloître de la cathédrale. Tuilier André, Histoire de l’Université de Paris et de la Sorbonne, t. I, Paris, Nouvelle Librairie de France, 1994, p. 32.
8 Lusignan Serge, La construction d’une identité universitaire en France, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999.
9 Simone Franco, Il Rinascimento francese. Studi e ricerche, Turin, Società Editrice Internazionale, 1961, p. 48 et suiv.
10 Id., « Influenze italiane nella formazione dei primi schemi della storiografia letteraria francese », Lettere italiane, XVII (1965), p. 275-298.
11 Fumaroli Marc, Rome dans la mémoire et l’imagination de l’Europe, Rome, Unione internazionale degli Istituti di archeologia, storia e storia dell’arte in Roma, 1997, p. 21 et 38.
12 Ronsard Pierre, Poésies choisies, éd. Françoise Joukovsky, Paris, Bordas, 1989, p. 588. Ronsard estime avoir d’ailleurs contribué grandement à l’acclimatation des Muses à Paris. Voir ibid., p. 590 :
Car tous ceux qu’en mon art les meilleurs on estime
(S’ils ne portent au cœur une envieuse lime)
Justes confesseront (écrire je le puis)
Qu’indompté du travail tout le premier je suis
Qui de Grèce ai conduit les Muses en la France,
Et premier mesuré leur pas à ma cadence ;
Si qu’en lieu du langage et romain et grégeois
Premier les fis parler le langage françois.
13 Nolhac Pierre de, Un poète rhénan ami de la pléiade. Paul Melissus, Paris, Champion, 1923, p. 12-13, poème à Dorat où il s’écrie qu’à Paris il a l’impression de vivre au milieu des Grecs :
Heic me viuere ? non Lutetiam
Urbem mirer ut alteras Athenas ?
14 Demerson Geneviève, Dorat en son temps : culture classique et présence au monde, Clermont-Ferrand, Adosa, 1983, p. 50.
15 Ibid., p. 50 : « Grâce aux arts nés sur ton sol, tu dépasses Athènes la fameuse, et les bosquets d’Académos et les jardins du délicieux Lycée. »
16 « Musaeumque novum Musis sacravit », cité dans Demerson Geneviève, op. cit., p. 25.
17 Le mot flumivomi est incompréhensible. Comme le sceptre en question est un trident, le roi qui le porte serait-il Neptune ?
18 NUS ne signifie rien. On peut le couper. Il reste ROMA.
19 ROMA/AMOR.
20 C’est-à-dire qui a du sens : en retirant RO, il reste MANUS.
21 Avec la double idée de main droite et d’habileté.
22 MUSA, obtenue en prenant les deux lettres de chaque côté du N.
23 Nous en étions à MANUS, en enlevant le M, nous trouvons ANUS.
24 Il s’agit de Sarah, qui (comme son époux, Abraham) a ri quand lui a été annoncé qu’elle enfanterait, alors qu’elle était âgée de 90 ans.
25 Le jeu est ici entre ănus, la vieille femme (a bref), et ānus, l’anneau (a long). La brève n’étant pas notée en général, seule la longue porte un accent, un « chapeau », puisqu’il est noté « ˆ » dans les poèmes des élèves. Les seni pedes désignent les hexamètres. Le complexus désigne « l’enchaînement » dans le discours.
26 On se souvient que la tête était RO, donc à l’envers, c’est l’OR, en français. Les Français, les mauvais en tout cas, sont corrompus. Thème récurrent contre les « vendus » à Henri de Navarre. Notons ce rare cas où les jeux de mots impliquent à la fois une langue moderne et une langue ancienne.
27 RO-M-ANUS.
28 Casanatense, f° 221 r° :
Volvendas tot habe praesenti in corpore partes
Quot dentes in flumivomi (sic) sceptro esse feruntur
Regis : quotque, rotans septena volumina serpens
Horrida membra vehit, caudam, truncumque caputque
Nil me cauda juvat mea corpore caesa seorsim [=seorsum] :
Hanc tamen amoveas, immensum dirigere orbem
Jactabor. Sin me sursum potes atque deorsum
Vertere, caelipotens se me non esse negabit.
Verum abscinde caput, reliquo mihi corpore sano :
Dextera utrinque, dedi forti cognomen Aödo [=Aoede].
Pergendum est, truncoque etiam demenda prior pars :
Caelitus effectae pariendi tum mihi virtus
Si fuerit, vereor dominae ne rursus Hebreae
Obrepat risus sed sis, superadde galerum :
Et me bis senis complexibus ambiet ultro
Phoebe, sed quia non meus est, tuus esto galerus
At caput interea abscissum quae fata [lacune]ebunt ?
Nulla sed invertas, caeco me Gallus amore
Si quis avarus erit, quaeret noctesque diesque.
Redde caput truncoque pedes caudamve repone :
Olim se talem cum Paulus apostolus esse
Praedicat, iniustos cogit trepidare Dynastas.
Nos quoque te illustris princeps veneramur eodem
Nomine, quod dudum fulget caeloque soloque.
29 Tout en étant un clin d’œil à l’énigme posée par la Sphinge à Œdipe, qui portait aussi sur les membres de l’animal « homme ». Voir Vernant Jean-Pierre, « Ambiguïté et renversement. Sur la structure énigmatique d’Œdipe Roi », dans Mythe et tragédie en Grèce ancienne, en collaboration avec Pierre Vidal-Naquet, Paris, Maspero, 1972, p. 101-131.
30 42,6 × 60,4 cm dont un rabat de 20,6 cm. Cette feuille introduit la 5e section, « Vulgaria idiomata », comme un feuillet plus grand distingue le début du volume f° 1 r°) et le début de la 4e section f° 82 r°).
31 Casanatense, f° 148 v°. Épigramme.
O Galli ! ô Galli ! Romani defenditis olim.
Quo sibi, quo vobis Gallia vesta perit ?
Roma nisi occurris tibi Gallia nostra peribit,
Quae sibi, quae nobis, quae ffdeique perit
Roma virum mittes Christo, Sixtoque probatum ;
Hunc te Henrice virum, Gallia, Roma, sonant.
Venisti ô gallia, venisti Henrice secundus :
Sic prece, consiliis, imperiisque juva !
On s’attendrait à Romanos pour pouvoir traduire : « ô Gaulois ! Vous défendez depuis longtemps les Romains » ou romane pour dire qu’ils se défendent en romains. En supposant que romani n’est pas une erreur, on peut proposer la traduction suivante :
Ô Gaulois, ô Gaulois ! Romains depuis longtemps vous vous défendez.
Est-ce pour vous ou pour elle que votre Gaule périt ?
Rome, à moins que tu ne t’y opposes, notre Gaule sera perdue pour toi.
Notre Gaule qui se perd pour elle, pour nous et pour la foi.
Rome, tu enverras un homme, approuvé par le Christ et par Sixte ;
C’est toi, Henri, l’homme que la Gaule et Rome célèbrent.
Tu es venue, ô Gaule, tu es venu, Henri l’auxiliaire :
Alors seconde-nous par tes prières, tes conseils et tes pouvoirs !
D’autres feuilles mettent en avant le secours mutuel que la France et le Pape se sont porté. Ainsi NAL2636, f° 19 r° (Stéphane de la Bistrate) : « Quod debet princeps redhibet principats »
Gallia Pipinum Stephano, dat Sixtus eidem
Henricum : officii par utriusque modus.
Pergite Pontiffces meritis obstringere, Galli.
Quam datis uni, alter tempore reddet opem. »
Trad. Rémi Mathieu, ms. cité, f° 24 r° : « Ce qu’un prince doit, les autres le rendent » : « La France envoie Pépin à Étienne, Sixte envoie Henri à la France ; double service rendu de la même façon. Continuez, Français, à accorder vos bienfaits aux souverains pontifes ; l’assistance que vous prêtez à l’un, un autre vous la rendra en temps utile. » Allusion à l’aide apportée par Pépin à Étienne II contre Aistulf, roi des Lombards, en 754 et 756.
32 Casanatense, f° 142 r°, épigramme de « Lamy parisiensis » :
Lutetia Cur Caietanum patrias sic linquere sedes
Tectaque majorum splendida Roma sinis ?
Roma Non abiit latiae felix viget integer urbi,
Absentis namque hic vivit imago viri.
Lutetia At nostras adiit terras, ubi luminis instar
Recludit pulsa sidere nocte diem ?
Roma Nec sine divino factum est hoc numine ; virtus
Non uno poterat tanta manere loco
33 Theatrum sive Coliseum romanum, édition Claude Ducheti, 1581, École des beaux-arts, Est 2334. Voir Florence Buttay, « Le sanglier… », art. cité, p. 334.
NAL 2636, f° 34 v° : « Opportuna remuneratio »
Androclus ille, cava leo quem tutatur arena,
Symbola dat sortis, Gallia, certa tuae.
Pontiffces olim, Roma nutante, tuorum
Arma ducum et ffdas expetiere manus.
Nunc vice mutata dum Gallica sceptra laborant,
Servat, et acceptam Roma rependit opem.
At tanto uberior redit ad te gratia, quanto
Grandior est tenui vulnere summa salus.
Rémi Mathieu, ms. cité, f° 39 r°, traduit ainsi l’épigramme :
« Une utile récompense.
Androclès, qu’un lion protège dans l’arène, constitue le véritable symbole de ta destinée, ô France. Jadis, les souverains pontifes, Rome étant chancelante, recherchèrent l’appui des armes de tes chefs et de leurs bras fidèles. Maintenant, par un changement du destin, alors que le sceptre de la France est en danger, Rome se souvient de l’aide reçue et elle la rend. La reconnaissance qui t’est rendue est d’autant plus grande qu’est importante la guérison d’une petite blessure. »
Il s’agit de l’histoire de cet esclave maltraité qui s’était enfui pendant un voyage de son maître en Afrique. Il se réfugie dans une caverne où il a l’occasion, comme dans la légende de saint Jérôme d’ôter une épine de la patte d’un lion qui devient son compagnon. Quand il est capturé et ramené à Rome, il est livré aux bêtes dans le Colisée. Mais parmi elles se trouve son vieux lion qui lui lèche les mains devant l’empereur et le peuple ébahis, ce qui lui vaut d’obtenir son salut. Le reste de l’épigramme fait allusion, comme plusieurs autres pages du recueil, à Pépin volant au secours du pape Étienne II en 754 et 756.
34 Simoncini Giorgio, Roma. Le trasformazioni urbane nel Cinquecento, t. I : Topograffa e urbanistica da Giulio II a Clemente VIII, Florence, L. S. Olschki, 2008, p. 383. Un Avviso di Roma du 19 mai 1590 indique la fin de la construction de la coupole : « Nostro Signore… ha ultimato la gran fabbrica della cupola di San Pietro » (ibid.). Voir aussi Pinelli Antonio (éd.), San Pietro in Vaticano, Modena, Franco Cosimo Panini, 2000.
35 NAL 2636, f° 10 v°.
36 NAL 2637 f° 2 v° (Charles Ménart, d’Angers) « Rivus defluxit ab alto monte » :
Sixte Caballinum montem dum forte pererras
Et damnata siti culmina fonte rigas :
Cerne animo arentes campos, incultasque tesqua
Gallorum, agricolis heu ! viduata suis.
Audiit ille preces nostras : en cernis ab ALTO
MONTE ut in astra latex vitreus ille salit ?
Illa tibi (si qua tamen mortalibus aegris
Unda levare potest) unda levare potest.
37 Labrot Gérard, Un instrument polémique : l’image de Rome au temps du Schisme (1534-1667), Lille, Atelier de reproduction des thèses, 1978.
38 De Aquae Felicis mox ad Urbem conductae. Voir Simoncini Giorgio ncini, op. cit., p. 342. L’Aqua Felix commence à fournir de l’eau en septembre 1589 : « Hieri per il giorno della Madonna fu data l’acqua Felice a tutte le fontane di Roma, che erano preparate per riceverla, facendo bellissima riuscita per la gran calata che ha… » (Avvisi di Roma, 9 septembre 1589) et id., p. 347 : l’aménagement de la place et la nouvelle orientation donnée aux statues des Dioscures sont achevés en 1590.
39 Cité dans Labrot Gérard, op. cit., p. 449 : « toutes ensemble (les eaux) offrent à la vue un magnifique spectacle et à la soif un agrément infini ». La mise en scène de la fontaine sculptée doit renforcer l’image de déferlante « en trois cataractes abondantes et sonores ». Gérard Labrot note que ces eaux promettent « la santé du corps pour qui vient ici sauver son âme ».
40 Sur le redressement spectaculaire de l’État pontifical après le sac de 1527 et sa modernisation, voir Prodi Paolo, Il Sovrano ponteffce : un corpo e due anime, la monarchia papale nella prima età moderna, Bologne, Il Mulino, 1982.
41 Les muses.
42 Le versus heroïcus désigne le vers épique, l’hexamètre. Mais ici l’accord ne peut se faire entre versus (masc.) et heroica (fém.). Éventuellement, il y aurait ici une faute d’accord.
43 Le pape Clément VIII, Hippolyte Aldobrandini, élu au début de l’année.
44 Chigi, f° 23 r°, Jean Langlois. La composition débouche sur une anagramme : Sega/ages (tu agiras)
Cur alacris luctu se solvit turba : Sororum,
Phoebus et ipse, genas qui multis ante rigabat
Aetibus imbriferis ? cur organa musica molli
Ante virescentis pendentia fronde salicti
Assumpsere sibi, positis modo vestibus atris ?
Nempe quod hic Sega est : qui continet omnia solus.
Solus habet tria ter praestantia dona sororum.
Unus ait Clio : propria notat omnia mente.
Melpomene ? graviter, si cordi est, tristia pandit.
Quam bene laeta refert, inquit sermone Thalia.
Euterpe modulatur, ait, praeconia Divum.
Terpischore, affectus proprios regit, atque alienos
Ast Erato, ore canit, premit imo jubila corde
Calliope, ipse potest heroica scribere versu.
Uranie, celsis quid ei non clare in astris ?
Eloquio, et gestu, dicit Polyhymnia, polle
Phoebus ait, mea mens cunctas complectitur artes :
Ille meam proprio sed claudit pectore mentem ;
Imo tenet multo quae sunt gratissima nobis
Quae Christo pater omnipotens, et Christus Jesus
Petro. Clementi Petrus, dedit illa Philippo
Dona, pius Clemens, francis ut dividat arvis,
Utque fuget pestes, et languida pectora curet :
Ut sacra Relligio. et Coelestia jura virescant :
Ut dirimat bellum poenitus, Regemque Coronet,
Qui pia facta colat, qui fortia facta sequatur
Eia AGE SEGA id AGES versum SEGA probabit.
45 Chigi, f° 60 r°.
46 Procédé popularisé par les vues des Civitates orbis terrarum de Braun et Hogenberg (1572) voir Pelletier Monique, Cartographie de la France et du monde de la Renaissance au siècle des Lumières, Paris, BnF, 2001.
47 Chigi, f° 71 r°.
48 Ibid :
[…]
Gallia legato, pastore Placentia gaudet :
Roma Senatorem te facit esse sibi.
Una tribus virtus placuit, virtutis et ergo.
Roma, Placentia, te, Gallia, praesul amant.
His tribus (o praesul) quantum virtute probaris ;
Tuam tua sit virtus utilis, atque potens.
49 Labrot Gérard, op. cit., p. 458.
50 Chigi, f° 55 r° également, un soleil se lève pour dissiper les ténèbres, mais le soleil de Rome, apporté par le légat, chasse aussi la nuit aux f° 17 r° et 44 r°.
51 Ibid.
52 Chigi, f° 13 r°. Voir « Topique des énigmes », entrée « Corde ».
53 On a déjà évoqué le Parnasse du f° 15 r° qui représente toutes les classes du collège, Apollon apparaît entouré des muses aux f° 22 r° et 23 r°, les muses seules apparaissent au f° 4 r°, etc.
54 Chigi, f° 3 r° : « Aenigma ».
55 Chigi, f° 3 v° : « Hac nostra pagina typus et schema Parisiensis hujus Academiae declaratur, Illustrissime Cardinalis/Nam hic septem jacentes puellas funditus eversis earum domiciliis intueris. Qua enim ratione fferi posset, ut florerent Musae solo propemodum adaequatis earum domiciliis ? Quae sacra Lycea intelliguntur. Si autem scire aves cujus nefando facinore tanta sit strages edita quisve gratissimam his septem bucis usuram eripuerit ; en satis quis ejus modi occasionis auctor fuerit armatus eques indicat. Cum vero tantam rerum vastitatem divino quodam munere duo tantum vel tria hac gymnasia fugerint non pleno tamen alveo qui ex illis scaturiunt fontes seu arenti potius fluunt rivulo. Duae illae quae Academiae matri pro sua aliarumque sororum salute oranti adsunt ex novem sororibus quas Musas poetae digere ; duas tantum utrimque e tanto eversisse naufragio signiffcant. Altera haec nobilis matrona eadem Academia cum suo Apolline censetur. Provolutae autem tuis sunt pedibus Illustrissime Cardinalis ut summis a te contendant precibus ut has incolumes serves illas pristino nitori veterique dignitati redintegres una tantum est de qua non admodum sollicita mater haec erit si in aeternam illi claudantur lumina mortem. Nam haec Thalia a lasciva cantus nuncupata απο τυ θαλλ (?) ο quod germinare seu florere est nimium adulescentium hominum amica in tantas nos alumnos calamitatesque demersit. Tu vero pro ea qua praeditus es singulari humanitate earum dolorem gravissimum verbis demulces suavibus. Asserturum te recipiens ut quam citissime poteris in regiis Galliae hortis lilia revirescant. Quod si praestiteris certo futurum ut pristino luctuosa haec Academia restituatur splenderi. Haec vero quae ex coelo in terras delabi videtur aquila rostro involutam chartam deferens concessa nobis tot tantaque beneffcia divino quodam munere fuisse signiffcat. »
56 Ibid. :
Quod sua Parrisiis Musis Academia claret
Virtute id factum, Tontenilae tua est
Hic Roma huc Gallis, prima, Legatus ab urbe,
Et lumen Musis, contulit et columen
Non tibi praeripuit similis praeconia laudis
Sega, vides, ut nunc, nostra Lycaea jacent
Si quid opis quaeris ? Regnumque Lycaeaque serva,
Sic te, Sega, minor Tontenilaeus erit.
57 Selon le réquisitoire du procureur du roi devant le parlement, lors du procès des maîtres et étudiants arrêtés par la police royale et qui réclamaient d’être déférés à la justice ecclésiastique. Cet incident précipite l’ordonnance du 26 mars 1446, plaçant l’université sous la juridiction directe du parlement (privilège du committimus). Voir Tuilier André, op. cit., p. 240.
58 Adoptée par le concile de Bourges en 1438, proclamant la supériorité du concile général sur le pape mais aussi la compétence exclusive du roi en son royaume pour appliquer ses décisions.
59 On sait qu’à l’origine les collèges n’étaient pas des lieux d’enseignement, voir Verger Jacques, Les universités au Moyen Âge, Paris, PUF, 2013.
60 Labrot Gérard, op. cit., p. 432.
61 « Jam libri corriguntur, emendantur, purgantur. Correctio & emendatio adhibetur potissimum, ubi contextus male vel descriptus, vel excusus est ; purgatio ad sensus inversionem, ad haereses, ad foeditates tollendas », cité dans Labrot Gérard, op. cit., p. 56, qui note qu’à l’issue, toute matière antique peut être intégrée au programme scolaire, une fois déterminé son rectus usus.
62 Labrot Gérard, op. cit., p. 298.
63 ARSI, doc. cité, f° 193 r°.
64 Delatour Jérôme, « Une bibliothèque humaniste au temps des guerres de Religion. Les livres de Claude Dupuy », Mémoires et documents de l’École des Chartes, 53 (1998).
65 Solente Suzanne, « Les manuscrits des Dupuy à la Bibliothèque nationale », Bibliothèque de l’École des Chartes, t. LXXXVIII (1927), p. 177-250, ici p. 178.
66 BnF, Dupuy, ms. 699, f° 46bis, lettre de Clément Dupuy à « Mademoiselle sa mère », non datée : « l’instance que je vous ay faict pour pouvoir entrer en la Relligion des Jesuittes… »
67 Voir Delatour Jérôme, op. cit.
68 Cité dans Solente Suzanne, art. cité, p. 177-250.
69 Mémoires de la Vie de l’Auteur, l. VI, p. 181, dans Thou Jacques-Auguste de, Histoire universelle, t. XI, éd. Casaubon et alii, La Haye, 1740, à propos de l’expulsion des jésuites, que De Thou considère injuste, surtout dit-il pour Dupuy. Dupuy venait souvent le voir avec Pierre Pithou et Nicolas Le Fèvre.
70 BnF, Dupuy, ms. 699, f° 46 v° sq.
71 Définition de Caton qu’on trouve chez Cicéron et Quintilien. Voir par exemple Taisne Anne-Marie, « L’orateur idéal de Cicéron à Quintilien », Vita latina, n° 146, p. 35-43.
72 BnF, Dupuy, ms. 699, f° 60 r°, Pont-à-Mousson, 15 avril 1597 : « Si Rhetorica operam datis, Orator vir est bonus dicendi positus : Si poeticae, nihil Musis castius : si philosophiae, ejus pars non modica est Ethnice : si Juris prudentiae, Justitiam libentius. Jure consulti voluntatem, quam scientiam suum cuique tribuendi deffniunt. Et quamquam scientia Justus carere non possit, plus tamen ad Justitiam accidit, aut, ut limatius loquar, minus a Justitia necedit inerudita probitas, quam improbitas erudita. Haec itaque duo si rebus ab inueunte hac vostra aetate sensim adepti eritis, nec magnas opes adepti estis, quas nulla vobis hominum invidia, nullus rerum casu, nulla temporum injuria unquam eripiet. Sed et hae alias, quas vulgo, quamquam perperam, opes vocamus, vobis afferent. »
73 BnF, Dupuy, ms. 699, f° 47 r°, Pont-à-Mousson, 13 février 1575 : « te debet movere seculi nostri utilitas ».
74 Même si, de même que dans les recueils de 1590 on voit déjà apparaître le thème de la rénovation venue de Rome, de même apparaît déjà en 1590 la référence à l’énigme. Aenigma est un personnage qui comparaît dans un dialogue en tête d’une des sections du grand manuscrit de la Casanatense, qui contient les compositions les plus ambitieuses du point de vue poétique.
75 Voir le f° 5 r° plus bas, « Topique des énigmes », entrée « Philosophe ».
76 Chigi, f° 6 r° :
Tu qui Magnatum vitam traducis in aula ;
Esque tuo solers Œdipus arbitrio.
Dic ubi terrarum, Nullo, sunt alba, colore
Lilia ; cui surgat vertice planta ferae.
Dic ubi terrarum, Rex, et Gens aulica, odores
horret, et his madidos, quam valet, ab se abigit.
Dic quid init matris gremium, dum prodit ab illo ;
Dic ut te aspiciens, non videam, videam.
Dic quid Legato, si possit, Gallia, apertum
fecerit ; et nobis Œdipus alter eris.
77 Là où les lys sont blancs, c’est dans l’œil de celui qui les regarde, dans le miroir de son âme. Mais si l’œil voit du blanc, c’est l’âme qui conclut que ce sont des lys qui sont blancs, en quoi elle peut être trompée. Référence à Aristote, De l’âme, livre III, 427b7-429a10, trad. R. Bodéüs, Paris, Flammarion, 1993, p. 221 : « Le sens, lorsqu’il porte sur ses objets propres, est vrai ou ne contient qu’infiniment peu d’erreur. Mais il porte, à titre second, sur le sujet auquel appartiennent accidentellement les sensibles en question et, sur ce point, il est déjà sujet à se fourvoyer. Quant à dire en effet, qu’il y a du blanc, pas d’erreur, mais quant à dire si c’est cela ou autre chose qui est blanc, il y a place pour l’erreur. »
78 Histoire des animaux, l. IX, chap. v : « Les Cerfs », dans Œuvres complètes, dir. Pierre Pellegrin, Paris, Flammarion, 2014, p. 1371 : « On a capturé un cerf d’Achaïe avec une grande quantité de lierre vert qui avait poussé sur ses cornes montrant bien que c’est quand les cornes étaient tendres qu’il a poussé comme sur du bois vert. »
79 Chigi, f° 6 v° :
Aperio tibi Illustrissimo Cardinalis, philosophici huius Aenigmatis veram mentem.
Spectata alba lilia in speculo, colorum album ostendunt ; at non tamen mihi colore alba sunt, sed similitudine coloris. Ea est prima hic positae questionis explicatio
2ae. Aristoteles libro de admirandis auditionibus numero quinto, cervas plurimas visas esse scribit quae cornibus enatam hederum gererent. Idem, auctor nono historiae animalium capite quinto, captum esse cervum gerentem enata[m] suis cornibus virentem hederam, quae cornu et hac bella sorte inserta, quasi ligno viridi coaluisset.
3a Disco ab eodem, libro nono historiae animalium capite quadragesimo, et de admirandis auditionibus numero vigesimo ; apes quibus suus rex et regnum est, non solum foedos odores, sed etiam unguentorum delicias odisse, usque eo ut his delibutos homines percutiant.
4ae Nec philosophus iste, qui effigiatus in hac membrana, tenere se aulicum potuit, quin de materia prima et de formis loqueretur. forma enim rei naturalis quae ex materia tanquam ex matris utero educitur ; inducitur in materiam, in eamque primum imponitur cum ab illa prodit. eaque est quae init matris gremium dum ab eo exilit.
5ae fortasse neque Aulicus iste, cui oculi quotidie bene curantur, satis noverit ut aspiciens eum Philosophus videat simul nec videat. At unus quisque nostrum cum alterum praesentem inspicit, imaginem ejus suis in oculis accipit quam ipse videat : ut ffleam latere eorum animos, quorum corpora videantur.
6ae Tibi Vero Illustrissime Cardinalis, nihil est quod Galli[a] et omnes in ea boni, tibi, de se erga te, apertum facere [rature] malint, quam intentum amorem in te suum. Cui tui amanti Galliae, ut mutuo amore respondes, ita illi diuturnam tibi incolumitatem bono publico optanti, bene ffrmam valetudinem et sospitatem repone ; oramus te omnes atque obtestamur.
80 Voir, pour le texte latin, « Topique des énigmes », entrée « Roue ».
81 Chigi, f° 7 v°. Jean Herbin présente ainsi son travail dans l’enodatio : « Est hoc Aenigma a sociorum Aenigmatis. »
82 Fouqueray Henri, op. cit., p. 215.
83 Rolet Stéphane, « Pierio Valeriano ou la tentation de l’académie », dans Marc Deramaix, Perrine Galand-Hallyn, Ginette Vagenheim et Jean Vignes (éd.), Les Académies dans l’Europe humaniste. Idéaux et pratiques, Genève, Droz, 2008, p. 369-390.
84 Dupèbe Jean, « Documents sur Jean Dorat », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, L (1988), p. 707-714, pense qu’il est plus vraisemblable qu’il soit né vers 1517.
85 Sur Dorat voir récemment Buzon Christine de et Girot Jean-Eudes (éd.), Jean Dorat, poète humaniste de la Renaissance, actes du Colloque international, Limoges, 6-8 juin 2001, Genève, Droz, 2007.
86 Sur l’enseignement de Dorat, voir les notes prises par un de ses élèves et publiées par Ford Philipp, Mythologicum ou Interprétation allégorique de L’Odyssée X-XII et de L’Hymne à Aphrodite, Genève, Droz, 2000.
87 Le texte de la visite d’Aernoult Van Buchell tirée de son « Commentarius rerum quotidianarum » (ms. Utrecht, Bibl. Rijksuniversiteit, ms. 798, f° 187 v°-188 r°) est reproduit et traduit dans Juren Vladimir, « Jean Dorat et les jetons des derniers Valois », Revue numismatique, 6e série, vol. 21 (1979), p. 194-210, Appendice, p. 203-210.
88 Demerson Geneviève, op. cit., p. 175. Ronsard dit lui devoir de savoir revêtir les choses du « fabuleux manteau » : Dorat…
M’apprist la Poësie, et me montra comment
On doit feindre et cacher les fables proprement
Et à bien déguiser la vérité des choses
D’un fabuleux manteau dont elles sont encloses
(Hymne de l’automne [1564], dans Ronsard Pierre, Œuvres complètes, II, éd. Jean Céard, Daniel Ménager et Michel Simonin, Paris, Gallimard, 1994, p. 561).
89 Demerson Geneviève, op. cit., p. 170.
90 Jamot Frédéric, Varia Poemata graeca et latina, Anvers, Plantin, 1593, p. 114, cité dans Hallyn Fernand, « Le thème de l’anamorphose », dans G. Mathieu-Castellani (dir.), La Métamorphose dans la poésie baroque française et anglaise : variations et résurgences, Tubingen/Paris, Gunter Narr/J.-M. Place, 1980, p. 264.
91 Demerson Geneviève, « Dorat et la famille de Lorraine-Guise », dans Jean Dorat, poète humaniste…, op. cit., p. 1-17 : « Jure igitur memori semper, mea carmina, Musa/Per Lotharenigenas ibit amica suos » (c’est donc à bon droit, ô mes vers, que ma Muse / dans la durée, marchera amicalement d’un Lorrain à l’autre). Voir sur cette conversion Engammare Max, « “Que fais-tu Dorat… en bas d’une haute fenestre ?” La religion de Jean Dorat. D’une piété convenue à une spiritualité engagée », dans Jean Dorat, poète humaniste…, op. cit., p. 65 et suiv.
92 In Gasparem Colineum dum viveret Galliae thalassarchiam. Il est d’ailleurs récompensé par le roi en octobre 1572 pour « services et bon debvoir ». Voir Demerson Geneviève, Dorat, op. cit., p. 291.
93 Cité ibid. La permutation des lettres est une manière de dévoilement, plus qu’un jeu de mots.
94 Ibid., p. 500. Il écrit cela en 1584 à Claude Gauchet. Il a alors 76 ans et la mort de François d’Alençon rallume une fois de plus le conflit…
95 Dans Eglogue latine et française, avec autres vers recitez devan le Roy…, Paris, F. Morel, 1578, cité par Engammare Max, art. cité, p. 72. Issue de la cabbale, qui attribue une valeur numérique aux lettres hébraïques, la méthode de Dorat en est une adaptation aux lettres grecques.
96 Demerson Geneviève, op. cit., p. 250.
97 Ibid., p. 204.
98 Voir Demerson Geneviève, op. cit., p. 214. Hallyn Fernand, « Jean Dorat et l’anagramme : ressource poétique et problème herméneutique », dans Jean Dorat, poète humaniste, op. cit., p. 257-277. Il note qu’on en trouve chez les Rhétoriqueurs, qui anagrammatisent volontiers leur nom. Par exemple Jehan d’Ivry (Riand jhe vy), Jean Molinet (Je n’ay lit mol). Ce jeu ne semble pas disconvenir dans un cadre sérieux puisque « Calvin est présenté comme Alcuinus en tête des Institutions publiées à Strasbourg en 1539 » (ibid., p. 259).
99 Céard Jean, La nature et les prodiges. L’insolite au xvie siècle, Genève, Droz, 1996, p. 215-218.
100 Demerson Geneviève, op. cit., p. 51. Elle le cite : « Ars divina quidem est, qua sacra Deusque docentur, / Nec minus humanis annumeranda tamen. » La citation française est tirée de Version de la précédente élégie, cité ibid.
101 Ibid., p. 52.
102 « Pictorumque poetarumque tabellae » (cité ibid., p. 53).
103 Voir, par exemple, « Topique des énigmes », entrée « Maladie ».
104 Sur cette entrée voir Yates Frances A., « Poètes et artistes dans les Entrées de Charles IX et de sa reine à Paris en 1571 », dans Jean Jacquot (éd.), Les Fêtes de la Renaissance, Paris, CNRS Éditions, 1956, p. 61-84 et plus récemment, Baudouin-Mantuszek Marie-Noëlle, « L’entrata di Carlo IX e di Elisabetta a Parigi », dans Sylvie Béguin et Francesca Piccinini (éd.), Niccolò dell’Abate. Storie dipinte nella pittura del Cinquecento tra Modena e Fontainebleau, catalogue de l’exposition Modène, Foro Boario, 20 mars-19 juin 2005, Milan, SilvanaEditoriale, 2005, p. 177-186. Sur le texte de Dorat, inspiré de Nonnos : Tissoni Francesco, « Jean Dorat lecteur des Dionysiaques de Nonnos de Panopolis », dans Jean Dorat, poète humaniste, op. cit., p. 167-183.
105 « Auratus versu, […] Rabellus/Pictura, dant hic corpus, at ille animam », ibid., p. 53. Dorat a lui aussi usé de cette image : dans une épigramme citée par Demerson, où il le recommande au président de la Guesle Dorat dit que si Rabel pourra peindre ses traits « avec la couleur », lui, Dorat, « peindra » son esprit. « Si facis hoc, vivo tua pinget is ora colore / Mentem ego […] » Demerson Geneviève, Dorat…, op. cit., p. 63.
106 Voir la première partie pour les planches qui peuvent lui être attribuées.
107 Grivel Marianne, « “Au sieur Rabel, parangon de la pourtraicture.” Nouvelles recherches sur les peintres-graveurs français de la fin du xvie siècle : l’exemple de Jean Rabel », dans Henri Zerner (dir.), Renaissance en France, renaissance française ?, Rome, Académie de France, 2009, p. 227-292, ici p. 250.
108 Archives nationales, Minutier central, XVIII-202, 31 juillet 1586, cité par Grivel Marianne, ibid., p. 252-254.
109 Ibid., p. 235.
110 Document reproduit dans Ehrmann Jean, Antoine Caron, peintre des fêtes et des massacres, Paris, Flammarion, 1986, p. 149.
111 On ne croit plus qu’il aurait été au service de Louise de Lorraine. Voir Zvereva Alexandra, Portraits dessinés de la cour des Valois. Les Clouet de Catherine de Médicis, Paris, Arthéna, 2011, p. 407 : « Contrairement à ce qu’affirma Adhémar et bien qu’aucun compte original de la maison de Louise de Lorraine n’ait été conservé, il est évident que Rabel ne fut alors ni le peintre de la reine, ni même officier royal. Toutefois, il eut peut-être l’occasion de travailler pour Louise de Lorraine, à en croire la dédicace rédigée par le peintre et accompagnée d’un petit portrait de la reine, qui ouvre le livre édité par Rabel en 1586 : Les oracles des douze Sibylles, extraicts d’un livre antique […]. Mais rien ne permet d’attribuer à Rabel le crayon représentant Louise de Lorraine du cabinet des Estampes (Na 22 rés., boîte 16, n° 1), l’œuvre peut être d’Étienne Dumonstier, ni celui d’une veuve inconnue, dite à tort Louise de Lorraine, l’œuvre de Jean Decourt (boîte 16, n° 3). »
112 Juvenilium Catastrophe dans Jean-Édouard Du Monin, Le Phoenix de Jan Edouard Du Monin, PP. A Monseigneur l’Illustrissime Phoenix de France, Charles de Bourbon, Cardinal de Vandome & Archevêque de Roüen, Paris, Chez Guillaume Bichon ruë S. Jaques, 1585, f° 135 v°.
Autre exemple, vers 1602-1603, le sonnet de François Malherbe, « A Jean Rabel, sur un livre de fleurs qu’il avoit peintes » :
Quelques louanges nonpareiIles
Qu’ait Apelle encor aujourd’hui,
Cet ouvrage plein de merveilles
Met Rabel au-dessus de lui.
L’art y surmonte la nature,
Et si mon jugement n’est vain,
Flore lui conduisait la main
Quand il faisait cette peinture.
Certes il a privé mes yeux
De l’objet qu’ils aiment le mieux,
N’y mettant point de marguerite
Mais pouvait-il être ignorant
Qu’une fleur de tant de mérite
Aurait terni le demeurant.
113 Grivel Marianne, art. cité.
114 À Paris, chez Jean Rabel, demourant a la rue S. Iean de Latran, a la Rose rouge, 1586.
115 Cirolo Isabelle, art. cité, p. 116-130. Voir aussi Buron Emmanuel, « Oracles humanistes et rumeurs de la cour. Sibyllarum duodecim oracula de Jean Rabel, Jean Dorat et Claude Binet (1586) », dans Monique Bouquet et Françoise Morzadec (dir.), La sibylle, parole et représentation, actes du colloque de Rennes, 2001, Rennes, PUR, 2004, p. 241-254. Un article qui malgré son intérêt se termine de façon peu convaincante, en suggérant « une lecture plus crue, et donc plus indirecte, du volume » : Rabel, Dorat et Binet auraient voulu par cette belle publication inciter la reine à se faire engrosser par quelqu’un d’autre que le roi…
116 Paris, Bonfons, 1588.
117 Zvereva Alexandra, op. cit., p. 406-407, avec toutes les références aux archives.
118 Grivel Marianne, art. cité, p. 247.
119 BnF, cabinet des Estampes et photographies, Ed. 10. a. rés.
120 Selon les mots de Grivel Marianne, art. cité.
121 Le culte catholique a cessé à Montbéliard depuis 1538. Le duc de Wurtemberg y avait envoyé prêcher avec succès Guillaume Farel et jusqu’au rattachement à la France, en 1676, le comté reste complètement protestant, avec cependant des divergences entre les ducs de Wurtemberg, luthériens, et la population attachée à l’héritage de Farel et de Toussaint, son successeur. L’accueil qu’elle réserve aux exilés français vaut à la ville de Montbéliard d’être attaquée par les Guise en 1587-88, voir Raitt Jill, The Colloquy of Montbéliard. Religion and politics in the sixteenth century, New York/Oxford, Oxford University Press, 1993.
122 Voir plus haut. Sur cette atmosphère voir notamment Yardeni Myriam, « Propagande et signes de Dieu à l’époque de la Ligue », dans Geneviève Demerson et Bernard Dompnier (éd.), Les signes de Dieu aux xvie et xviie siècles, actes du colloque de Clermont-Ferrand, Clermont-Ferrand, Association des publications de la faculté des lettres et sciences humaines de Clermont-Ferrand, 1993, p. 103-112.
123 On les retrouve dans nos manuscrits, par exemple dans le Chigi, f° 11 r°-11 v°, voir « Topique des énigmes », entrée « Roue ». Notons que la précision sur les victimes de la piqûre de cette mouche allemande rappelle le passage de la Mouche de Lucian. Et. La maniere de Parler / & de se Taire. La Mousche est translatée de grec et latin en langaige françois. La Manière de parler et se taire est translatée seullement de latin en françois. Le tout par maistre Geofroy Tory de Bourges…, s. n., (Paris), 1533, f° a iiii : « Que de sa morseure, elle ne blece le Cuyr de L’homme seullement, Mais aussi bien celluy du Beuf, & du Cheval. »
124 Manifeste de la France aux parisiens…, favorable à Navarre, auquel répond la Lettre envoyée par un Catholique à un du parti contraire… Voir Trinquet Roger, « L’allégorie politique dans l’œuvre d’Antoine Caron. Le Carrousel à l’éléphant », CRAIBI, juillet 1965, p. 280-306.
125 Parmi ses livres de chevet on trouvait le Livre des Sibylles, voir Crouzet Denis, Le Haut cœur de Catherine de Médicis, Paris, Albin Michel, 2005, p. 49.
126 L’empereur Auguste et la sibylle de Tibur, huile sur toile, 125 × 170 cm, Paris, musée du Louvre, voir Ehrmann Jean, op. cit., p. 124-125.
127 Sibyllarum duodecim oracula ex antiquo libro latine. / per Joan. Auratum, … ; et gallice per Claud. Binetum edita…, Paris, Jean Rabel, 1586, f° Ai (v°).
128 Cirolo Isabelle, art. cité, p. 118.
129 Selon les mots de Rabel, préface, f° Aii (v°).
130 Cirolo Isabelle, art. cité, p. 126.
131 Ibid., p. 129.
132 Dorat habite l’enclos Saint-Jean de Latran, voir Grivel Marianne, art. cité, p. 242.
133 Buron Emmanuel, art. cité, p. 252.
134 Paris, La Nous, 1584.
135 Grivel Marianne, art. cité, p. 287
136 Ibid, p. 272. « Admodum Rdo in CHRISTO Patri P : Edmundo Augero Soctis JESU, Ioannes Rabellius S. P. D.1586 ». BnF Estampes Ed 14, f° 1 r° (Coll. Marolles ; 5E045920).
137 BnF, cabinet des Estampes, Ed 12b rés., Ed 12d ; N2 Cajetan D 102273.
138 Pallier Denis, Recherches…, op. cit., p. 480.
139 Zvereva Alexandra, op. cit., p. 407. Dans le contrat d’apprentissage d’Olivier Girard, en décembre 1602, il est dit « valet de chambre du roi, maître peintre et bourgeois de Paris, demeurant quai des Augustins, paroisse Saint-André-des-Arts » (Archives nationales, mc, I, 58 [2 décembre 1602]). Voir aussi Grivel Marianne, art. cité, p. 236 : « On ne sait pas s’il suivit le roi (Henri III) et quitta Paris, comme le fit, par exemple Jean Leclerc, réfugié à Tours. »
140 Chastel André, « Signature et signe », Revue de l’art, n° 26 (1974), p. 8-14, rappelle que « la signature engage au moins autant l’honneur professionnel ou les intentions pieuses que les préoccupations économiques » de l’artiste.
141 Richet Denis, art. cité, p. 781.
142 Willem Frijhoff à propos de l’ouvrage de Ramsey Ann W., Liturgy, Politics and Salvation : The Catholic League in Paris and the Nature of Cathlic Reform 1540-1630, Rochester, University Press, 1999, dans Archives de sciences sociales des religions, 114, avril-juin 2001, p. 108-109.
143 Ramsey Ann W., op. cit.
144 Richet Denis, art. cité, p. 778.
145 Ibid., p. 782.
146 Ibid.
147 Deyon Pierre, « La Propagande religieuse au xvie siècle », Annales ESC, n° 1, janvier-février 1981, p. 20.
148 Crouzet Denis, « Recherches sur les processions blanches 1583-1584 », HES, 1982, n° 4, p. 511-563.
149 Cité ibid., p. 533.
150 Journal de François…, op. cit.
151 La ville avait été placée dès le 3 janvier sous l’intercession de sainte Geneviève (dont c’est le jour onomastique), avec une grande procession, voir Crouzet Denis, op. cit., II, p. 380.
152 Journal de François…, op. cit., p. 56.
153 BnF, ms. fr. 23295, « Histoire anonyme de la Ligue » : « On advisa de faire implorer la grâce de Dieu par les petits enfans espérant que Dieu auroit agréable les prières qui luy estoient faites par la bouche de ces innocentes créatures » (Richet Denis, art. cité, p. 625).
154 Journal de François…, op. cit., p. 63. Ces mouvements spectaculaires impressionnent même les opposants à la Ligue. Pierre de L’Estoile, catholique modéré, « politique », admire, le jour du mardi gras, les « belles et devotes processions » qui se font en lieu et place des habituelles réjouissances, dont « une d’environ 600 escoliers […] desquels la pluspart n’avoient attaint l’aage de dix à douze ans au plus » (cité par Richet Denis, art. cité, p. 627).
155 Journal de François…, op. cit., p. 74.
156 Crouzet Denis, Les guerriers, op. cit., p. 385. De la même manière, à Rennes, début mars, leur prédication entraîne jeûnes et prières, puis processions « nuds pieds » avec « cierges et flambeaux ardens » (ibid.).
157 Expression de Denis Crouzet. Les autorités ecclésiastiques finissent par décider de réguler les processions et d’interdire les processions nocturnes, remplacées par des prières. La décrue avait de toute façon commencé après Pâques, voir Richet Denis, art. cité.
158 Richart Antoine, Mémoires sur la Ligue dans le Laonnais, Laon, Société académique de Laon, 1869, cité par Crouzet Denis, op. cit., p. 415.
159 Voir L’Estoile Pierre de, Mémoires-journaux 1574-1611, Paris, Librairie des bibliophiles, 1875-1896, t. V, p. 18.
160 Lebigre Arlette, La révolution des curés, Paris, 1980, p. 207.
161 Ibid., p. 204.
162 Selon le Guide explicatif du Musée Carnavalet par MM. Charles Sellier et Prosper Dorbec, sous la direction de M. Georges Cain, Paris, Librairie centrale des Beaux-Arts, 1903, p. 77, n° 5. Il s’agit pour les auteurs d’une caricature « telle que les protestants continuaient encore à en faire peindre ou dessiner à la veille de la défaite de leur parti, peu avant la révocation de l’Édit de Nantes ». Dernière description dans Bruson Jean-Marie et Leribault Christophe (éd.), Peintures du musée Carnavalet. Catalogue sommaire, Paris, Paris Musées, 1999, p. 470, n° P262 : « Procession de la Ligue, sortant de l’arcade Saint-Jean de l’Hôtel de Ville en 1590 ou 1593, huile sur toile, 100 × 212 cm, signature apocryphe en bas à droite Porbus ; 1899, achat en vente publique (vente Talleyrand-Valençay, 2 déc. N° 46) ».
163 Lebigre Arlette, op. cit., p. 217.
164 Lorenzo Suàrez de Figuera y Còrdoba (1559 ?-1607) duc de Feria en 1571. Ambassadeur extraordinaire en France, voir Cloulas Ivan, « Un témoignage espagnol sur la Ligue : « Los Tres libros de guerra de Francia » de Damiàn de Armenta y Còrdoba (1596), Mélanges de la Casa de Velàzquez, t. II, 1966, p. 129-161.
165 Armenta y Cordoba Damiàn, « Los tres libros de de la Guerra de Francia » (1596), Bibliothèque nationale de Madrid, ms. 2126, f° 38 r° (82) sq. : « subiendo la cuesta descubrimos aquella hermossa Ciudad con sus ediffcios y burgos y el camino qui estava todo nigro de la Gente que salio aresçivirnos Un quarto de legua de la çiudad salio a resçivir al duque el Almirante de françia Monsier de Villares Gobernador de Ruan y con el el hijo menor de el duque de Umena llamado Emanuel con este Acompañamiento entramos enparis con tanto concurso de Gente que salian a vernos que no le evisto mayor en mi vida, el Cardenal Legado desu Santida llamado Sega y el Buen Cardenal Peleve estaban a la puerta de sant Anton por donde entramos en la çiudad. aguardando al duque y assi entramos por la tierra con mucha salva de Artilleria y sonido de Campanas dia bien diferente del que nos echaron de ella aquella noche se fue el duque de feria a cassa de don diego de Ibarra que era enel quartel de los españoles por que la suya se estaba adrescando muy ricamente qui era un rico palaçio çerca del ubre que es uno de dos palaçios de los reyes de françia por la commodidad de la juntas de los estados que alli se haçian ».
166 La duchesse de Feria est Isabella de Mendoza y Enrìquez, fille de Iñigo Lòpez de Mendoza, cinquième duc de l’Infantado. Voir Ruiz Ibáñez José Javier, « “A Thing not seen in Paris since its founding”… », art. cité, p. 204. Voir pour ces pompes funèbres Pietromarchi Antonello, Alessandro Farnese : l’eroe italiano delle Fiandre, Rome, Gangemi, 2008 ainsi que « Los Tres libros de la guerra de Francia » de Damián de Armenta y Córdoba, ms. cité, 10 décembre 1592, service funèbre pour lui à l’église Saint-Merry.
167 L’Estoile Pierre de, op. cit., p. 104.
168 Ibid., p. 112. Catherine de Clèves, duchesse et veuve d’Henri de Guise.
169 Ruiz Ibáñez José Javier, « “A thing not seen in Paris… », art. cité.
170 L’Estoile Pierre de, op. cit., p. 112.
171 Catherine de Guise, duchesse de Montpensier.
172 Voir Benedict Philipp, « Des marmites et des martyrs. Images et polémiques pendant les guerres de Religion », dans La Gravure française de la Renaissance à la Bibliothèque nationale, catalogue de l’exposition, Paris, 1994-1995, p. 109-137, ici p. 116 : « l’imprimerie ne supplante pas les moyens plus anciens de reproduction et de circulation d’œuvres visuelles proposant un commentaire de l’actualité, à savoir, les copies faites à la va-vite sous forme de peinture à l’huile ou à la détrempe ».
173 Abraham et Melchisédech, huile sur bois, 80 × 94 cm, Paris, collection particulière, voir Ehrmann Jean, op. cit., p. 164-165.
174 Trinquet Roger, art. cité, p. 280 à 306.
175 Baschet Jérôme, Le sein du père. Abraham et la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, Gallimard, 2000, p. 68-69. p. 63 : « La vie d’Abraham compte de nombreux épisodes remarquables, tels l’hospitalité offerte aux trois anges, relue chrétiennement comme théophanie trinitaire, ou la rencontre de Melchisédech, dont l’offrande de pain et de vin préfigure l’eucharistie. Surtout, Abraham ouvre une nouvelle phase de l’histoire sainte. Entre le péché originel et la Loi, il inaugure le temps de l’Alliance […] Abraham est la souche dont est issu le peuple élu. […] Et la tradition chrétienne, loin de mépriser la fécondité d’Abraham, revendique une filiation à l’égard du patriarche. » Paul, paternité spirituelle p. 68 : « Vous êtes tous fils de Dieu par la foi, dans le Christ, Jésus […] Si vous appartenez au Christ, vous êtes donc de la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse » (Ga 3, 26-29). Selon les mots de Jérôme Baschet : « Désormais “appartenir au Christ” et “être fils d’Abraham” sont deux qualités strictement équivalentes » ; il cite également Augustin pour qui il est le « père de toutes les nations qui marchent sur les traces » (du Christ).
176 2 Pierre, II, 6-8.
177 Durand Maximilien, « De l’abominable sujet à l’interprétation sublime : le thème de Loth et ses filles dans la peinture du xviie siècle », dans Loth et ses fflles de Simon Vouet. Éclairages sur un chef-d’œuvre, catalogue de l’exposition du musée des Beaux-Arts de Strasbourg, 20 octobre 2005-22 janvier 2006, Strasbourg, musées de Strasbourg, p. 33-58. Loth, neveu d’Abraham, l’hôte parfait des anges du Seigneur et donc seul rescapé de Sodome, est disculpé de tout péché par la tradition exégétique, qui pourtant condamne l’inceste. Il peut symboliser le religieux trompé par le monde et la chair. Mais saint Jérôme par exemple disculpe aussi ses filles, qui ont séduit leur père « plus par désir d’enfanter que par goût de jouir ».
178 Trinquet Roger, art. cité, p. 280.
179 Ehrmann Jean, op. cit., p. 142-143. Notre-Dame de Paris contenait alors des peintures représentant les souffrances des catholiques anglais, dont Henri IV demandera rapidement la destruction dès son entrée dans Paris, voir le témoignage de Armenta y Cordoba, ms. cité, l. II, ch. xvi.
180 Fumaroli Marc, L’Âge de l’éloquence, Paris, Albin Michel, 1994, p. 138.
181 Botero Jean, De Praedicatore Verbi Dei libri quinque…, Paris, apud G. Chaudière, 1585 ; Juste Lipse, Epistolica institutio, excerpta e dictantis ejus ore, anno 1587, mense junio. Adjunctum est Demetrei Phalerei ejusden argumenti scriptum, edito ultima, Paris, s. d.
182 Fumaroli Marc, op. cit., p. 139. Il précise que les rhétoriques jésuites de la fin du xvie siècle donnent une plus grande place à Cicéron et aux modèles païens que la « rhétorique borroméenne ». Mais pour tous, l’idéal reste celui de l’orateur chrétien, « agent de l’histoire du Salut » (p. 140).
183 Ibid., p. 141.
184 Crouzet Denis, art. cité, p. 558.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008