Chapitre I. Un collège dans la guerre
p. 21-32
Texte intégral
Les Jésuites et leurs collégiens dans le Paris ligueur
1Le 10 septembre 1590, quand Henri de Navarre, avant d’abandonner le siège de Paris, desserré depuis le 30 août, lance une dernière attaque surprise entre les faubourgs Saint-Jacques et Saint-Marcel, les assiégés ont été prévenus par des espions et le tocsin a sonné. En haut de leurs échelles, les assaillants trouvent sur les murailles le libraire Nicolas Nivelle et une poignée de pères jésuites maniant piques et hallebardes ; leur vigilance fait échouer le coup de main. Ce récit, repris dans plusieurs sources, fait des pères et de leurs élèves les gardiens et les sauveurs du Paris ligueur. Les annales du collège ne manquent pas de le rapporter dans ce sens. Elles racontent en effet que, après que le tocsin avait attiré « tous les citoyens » aux remparts, la nuit avait ramené le calme.
« C’était une feinte. L’ennemi pensait que, ne voyant aucun péril, les assiégés ne tarderaient pas à se retirer et seraient ensuite pris à l’improviste. En effet, bientôt les remparts sont sans défenseurs. Heureusement, les Nôtres, avec un petit nombre de soldats, ne désertent pas leur poste. Vers quatre heures du matin, de sourds murmures et un bruit d’échelles trahissent la présence de l’ennemi. Nos jeunes gens crient aux armes et quelques-uns courent dans la ville annoncer le danger. Au milieu du premier tumulte, un soldat escaladant la muraille apparaît soudain entre deux de nos Frères et jette du côté de la ville une petite échelle par laquelle il comptait descendre. Comprenant le danger, les Frères détachent et renversent l’échelle. Quand le soldat, qui ne s’était aperçu de rien, enjamba le parapet, il ne trouva plus où s’accrocher, et dans sa colère il fit feu sur l’un des Nôtres. Celui-ci, grâce à Dieu, en fut quitte pour voir un petit nuage de fumée : le coup ne porta point. Pendant ce temps les secours arrivaient du voisinage et on put repousser l’assaillant1. »
2Ce qui fait conclure au rédacteur des Lettres annuelles que Paris a « dû cette fois son salut à nos soldats improvisés2 ». Les échelles abandonnées par les royalistes deviennent des trophées que les soldats laissent aux Pères, qui les déposent au collège où elles furent conservées longtemps3. Professeurs et pensionnaires ne manquent pas à la garde des remparts, visitent les soldats malades, comme le soulignent les sources jésuites4.
« Constamment soldats et citoyens doivent monter la garde sur les murailles […] Il ne se passe point une nuit sans anxiété, point de jour sans travaux et périls ; on est épuisé de faim et de lassitude et surtout on ne sait quel parti prendre. Nos plus grands pensionnaires et même nos Frères coadjuteurs, quoique peu exercés au métier de la guerre, se tiennent en armes sur la muraille quand la nécessité le demande5. »
3Les jésuites de Paris finissent par demander en juillet 1590 à leur supérieur, Acquaviva, s’ils peuvent porter les armes, alors que le supérieur des Chartreux comme ceux des ordres mendiants l’ont déjà autorisé à leurs membres. Le général s’en sort prudemment en recommandant qu’à l’exemple de Moïse, les pères se contentent de lever les mains au ciel, sans interdire explicitement de se servir d’une arme6… Mais dans un Paris ligueur qui se considère comme une Jérusalem, la mobilisation des élèves n’est pas seulement militaire.
« Non seulement nous prenions part avec le clergé et les autres religieux aux fatigues de la défense militaire, mais nous y joignions aussi l’abstinence deux fois par semaine, les macérations corporelles, la réception fréquente de la Sainte Eucharistie, les oraisons prolongées pendant la nuit et tous les secours spirituels que nous pouvions offrir pour obtenir la protection du ciel contre les dangers qui nous menaçaient. Les pensionnaires et les congréganistes externes s’unirent avec zèle à ces saintes industries7. »
4On peut ajouter à cet arsenal de combat spirituel et militaire les processions spectaculaires, dont on verra qu’elles impliquaient toutes les catégories sociales d’une capitale chauffée à blanc.
5Une telle atmosphère apocalyptique semble assez peu propice aux études8. Le collège de Clermont est d’ailleurs le seul, avec celui de Lisieux, à subsister dans Paris malgré le siège et la guerre, tandis que d’autres, désertés, servent de logement aux soldats de la garnison espagnole9. En 1590, c’est le père Alexandre Georges qui en est le recteur. Originaire de Reims, il a 43 ans d’après le catalogue triennal du collège. Il a enseigné la grammaire, la rhétorique et la philosophie10. Si le collège reste ouvert, ses effectifs ont nettement diminué. En 1587 on comptait environ 1500 élèves dont 260 pensionnaires, répartis en 11 classes (quatre de grammaire, deux d’humanités, trois de philosophie, une de théologie et une de cas de conscience) ; à la rentrée de 1591 seuls « 700 auditeurs presque tous parisiens, suivaient les cours de cinq classes de lettres, trois de philosophie et une de théologie, la seule qui fût alors dans la capitale11 ». Les internes quant à eux se réduisaient à une trentaine, la plupart des familles n’ayant plus les moyens de payer la pension. Les pères avaient de toute façon de la peine à les nourrir12. Les familles étrangères à Paris devaient plutôt chercher à soustraire leurs enfants à la ville assiégée ou menacée de l’être et le collège de Clermont avait évidemment perdu de son pouvoir d’attraction. On remarque que le manuscrit Chigi, daté de 1592, est le seul dans lequel les élèves ne signent leur composition que de leurs prénom et nom, sans mentionner leur origine. Il ne restait peut-être plus alors que des Parisiens et cette mention était peut-être devenue inutile. Le nombre des jésuites, enseignants ou non, a aussi fortement diminué. En 1590, le « Catalogus eorum qui degunt in Collegio Parisiensi », daté du mois de juillet, recense quelque 62 jésuites enseignant ou ayant enseigné, auxquels s’ajoutent des boulangers, cuisiniers, tailleurs et autres personnels à la charge du collège13. Selon les Lettres annuelles du collège pour l’année 1592, il ne restait que 22 jésuites au collège14. Remarquons que le Catalogue triennal permet de voir la diversité des origines des jésuites présents au collège pendant cette période : on compte parmi eux des Anglais, des Écossais, des Espagnols, des Italiens15.
6En revanche, cette situation exceptionnelle rapproche le collège jésuite de son adversaire de toujours, l’Université. Depuis sa fondation quelque trente ans auparavant, en 1560, par Guillaume Duprat, évêque de Clermont, l’histoire de ses rapports avec l’Université est celle d’une longue querelle16. Le collège réclame longtemps en vain de faire partie de l’université. Il n’obtient jamais la collation des grades. Il faut dire que son enseignement concurrençait très durement la faculté des arts. La Ligue marque pourtant une trêve : « Pendant le siège de Paris, pour la première fois, les hostilités cessèrent entre les deux compagnies rivales, qui ne songeaient qu’à souligner leur dévouement à la Ligue17. » Les Lettres annuelles du collège pour 1592 témoignent de ce dégel : « On invite souvent les Nôtres à des séances publiques et aux joutes solennelles de Théologie, comme si leur présence voulait les honorer ; à leur arrivée leur est réservée une place honorifique par l’huissier de l’université18. » Comme les jésuites, les théologiens de la faculté, outre leurs décisions publiques, ont aussi « mis au service de la Ligue […] leur enseignement même19 » comme en témoignent les sujets des Quaestiones soutenues en Sorbonne dans les années 1590-1591.
7Les ennemis de la Ligue ont dénoncé avec violence les collèges jésuites comme foyer de rébellion et de diffusion de messages hostiles à Henri IV et à la paix. En particulier, le Catéchisme des Jésuites d’Étienne Pasquier clame que « les collèges de Jésuites furent, par une notoriété de fait, le ressort général du parti contraire. Là se forgeoient leurs évangiles en chiffre qu’ils envoioient aux païs estrangers ; là se distribuaient leurs apôtres par diverses provinces pour maintenir les troubles par leurs presches20 ». L’écriture de l’histoire jésuite, tout en racontant comment les pères ont ferraillé aux remparts, n’a cessé au contraire d’affirmer leur neutralité politique. Les jésuites se seraient strictement tenus à leur rôle de défenseurs de la foi contre l’hérésie, à quoi les exhortait le Général Aquaviva21. On reprend aussi souvent l’anecdote de Bellarmin, qui aurait tenu à se retirer d’une discussion trop politique. Des personnalités isolées (Odon Pigenat, notamment, qui appartint au conseil des Seize jusqu’à l’automne 1591, ou Jacques Commolet, « chef ligueur d’envergure » selon Élie Barnavi22) auraient pris des engagements purement individuels outrepassant les désirs de leurs supérieurs. Cependant, comme le souligne De Lamar Jensen,
« les sources permettent de supposer que les jésuites étaient beaucoup plus actifs dans les affaires de la Ligue que ce que les histoires officielles de l’Ordre auraient voulu nous faire croire. La plus grande partie de cette activité était officieuse. La hiérarchie de la Compagnie, y compris le général Claudio Aquaviva, soit s’opposait ouvertement à la participation des jésuites à la Ligue soit plutôt observait un silence prudent sur leurs affaires en France23 ».
8À l’évidence, manquaient des documents précis permettant de comprendre pourquoi les jésuites et leur enseignement étaient particulièrement désignés comme coupables de fomenter la rébellion et le tyrannicide. Les recueils manuscrits étudiés ici, fruits du travail des élèves sur deux années charnières et résultat d’expositions publiques au collège parisien, jettent une lumière nouvelle sur l’engagement de la compagnie, et particulièrement sur la mise en œuvre d’une véritable pédagogie de combat. Loin de se limiter à l’initiative d’un seul, l’action des pères parisiens a consisté à mettre leur enseignement au service d’un engagement politique très net et l’organisation d’expositions publiques des travaux de leurs élèves leur ont permis de participer largement aux multiples opérations de mobilisation de la population parisienne. Si l’engagement ligueur des jésuites ne faisait pas vraiment de doute, cette utilisation de leur enseignement à des fins de mobilisation politique permet de montrer les moyens mis en œuvre pour dresser le zèle des jeunes et utiliser leurs exercices pour mobiliser les adultes.
Les destinataires du recueil : des légats pontificaux missi a Deo
9L’arrivée d’un légat pontifical, à Paris et au collège, prend des accents messianiques dans les compositions des élèves des jésuites. La réception de Cajetan est présentée comme l’entrée du Christ à Jérusalem24. Filippo Sega est missus ab urbe comme l’écrit par exemple Jacques Demouhers25. Il y a, chaque fois, un parfum apocalyptique à ces entrées. Les légats sont attendus comme le Christ, comme le roi26.
10Enrico Caetani, Henri Cajetan pour les Français, est un personnage bien connu. Les Caetani appartiennent à la noblesse romaine et comptent de nombreux hauts prélats, dont un pape, Boniface VIII (1294-1303). Henri, né en 1550, est le fils de Bonifacio, seigneur de Sermoneta. Sa mère, Caterina, est la fille d’Alberto Pio, comte de Carpi27. Il reçoit les ordres mineurs dès 1560. À partir de l’obtention de son doctorat in utroque jure à Pérouse, sa carrière est prise en main par son oncle, le cardinal Nicola Caetani, et elle suivra longtemps la fortune de celui-ci. En 1574, Henri fait partie de la suite du cardinal Boncompagni, envoyé à Venise à la rencontre d’Henri III qui revient de Pologne prendre place sur le trône de France. Mais les mauvaises relations de Grégoire XIII avec Nicola Caetani bloquent ensuite la carrière de son neveu, jusqu’à l’élection de Sixte V en 1585. Le nouveau pape au contraire distingue immédiatement le jeune Cajetan. En quelques mois, il est fait patriarche d’Alexandrie, puis cardinal de Santa Pudenziana. Les instances de l’ambassadeur d’Espagne à Rome, Olivares, n’auraient pas été étrangères à cette promotion, les Caetani ayant des liens avec la monarchie espagnole. Il devient très vite un personnage important de la cour pontificale. En 1587, toute la famille se cotise pour qu’il puisse acheter la charge de camerlingue, le plus haut office de la cour, rendu vénal par Sixte V. Il participe aux réflexions sur la réforme de l’Église engagées au sein de commissions cardinalices : ainsi, à partir de 1586, il se joint aux travaux sur la discipline du clergé romain et à partir de 1588 il suit également les projets de réforme des études universitaires. En septembre 1589 lui est confiée la légation de France après l’assassinat d’Henri III, mission prestigieuse autant que délicate. Matteo Brumano, envoyé de la cour de Mantoue à Rome, rapporte ainsi les qualités de Cajetan qui lui ont valu ce redoutable honneur :
« il est [l]a créature [du pape] et d’illustre maison, son père a servi en France ; il est riche aussi, de belle prestance, de bonne santé, plein d’esprit, en bonne intelligence avec le roi catholique qui soutient cette entreprise ; sujet adroit, flegmatique, exempt de toute inclination pour les princes de France qui ne s’entendent pas avec la Ligue et le parlement de Paris28 ».
11Le choix de Cajetan devrait donc indiquer également que le pape souhaite conserver son soutien à la résistance catholique et à la politique de Philippe II. En réalité, la Curie est divisée sur la lecture des événements français et Sixte V tente à tout prix de conserver une position très ambiguë ; il ménage le Roi Catholique tout en envoyant des signaux bienveillants du côté d’Henri IV et de sa possible (re)conversion. Cajetan reçoit ainsi à la fois des instructions écrites commandant de rester sur une ligne dure face au prétendant hérétique, le Saint-Siège se déclarant ouvertement pour le cardinal de Bourbon, dit Charles X, pour l’heure prisonnier du roi de Navarre, et des instructions orales tout à fait contradictoires, que lui délivre Sixte V à la veille de son départ, le 2 octobre, selon lesquelles il lui faut entendre et soutenir les espérances de conversion d’Henri de Bourbon.
12« Nous demeurâmes à Paris du 20 janvier jusqu’au milieu de septembre, rappelle Robert Bellarmin dans son Autobiographie, et nous n’y fîmes pas grand chose, mais nous y souffrîmes beaucoup29. » Cajetan et sa suite trouvent en effet à Paris une situation complexe et délicate. Dans son journal, Camillo Sighiulli, clerc bolonais employé à la chancellerie de la légation, note dès son arrivée : « On voit beaucoup de dissensions entre les princesses, mais aussi les échevins et le parlement, parce que nombreux sont ceux qui n’approuvent pas Mayenne, même s’il est catholique. Mayenne demande 50000 écus pour payer les reîtres et les lansquenets qui nous ont escortés et promet de faire de grandes choses. On a eu beaucoup de peine à trouver ces 50000 écus, mais à la fin on les a trouvés30. » Cajetan avait fait son entrée à Paris le 21 janvier 1590.
13Le 26 janvier, il est reçu officiellement au parlement de Paris, dans les formes qu’il souhaitait, après quelques jours de débat. Le discours qu’il prononce donne le ton de son action :
« Défendons la cause de l’Église de Dieu et celle de la France qui n’en font qu’une, et que notre seul but soit d’obtenir que, par la destruction de l’hérésie, l’apaisement des discordes et le rétablissement de la paix et tranquillité, le royaume de France, gouverné par un roi véritablement pieux et catholique, devienne effectivement, comme il l’est de nom, très-chrétien31. »
14En réalité, muni d’instructions contradictoires, fort de convictions personnelles affirmées, mais souffrant de faibles moyens pécuniaires et humains pour les défendre, Henri Cajetan se trouve dans une relative impuissance. Le 10 février, la Sorbonne doit publier un décret interdisant les propos irrespectueux envers le Saint-Siège et son légat32, ce qui montre que des mauvais propos circulent. En refusant l’assemblée des évêques de France à Tours, Cajetan prouve son opposition très forte au camp royal33. Mais à l’intérieur du Paris ligueur, il est aussi jugé trop doux aux politiques par les plus radicaux. Camillo Sighulli raconte comment des « députés du peuple » viennent lui demander qu’il fasse emprisonner tous les politiques et les suspects d’intelligence avec le camp du roi et comment Cajetan s’en débarrasse difficilement, « disant qu’il ne lui appartenait pas de traiter cette affaire34 ». Peu après, on vient lui réclamer la mort des coupables d’une conjuration découverte à Paris, ourdie par des partisans de la paix. Cajetan s’en sort cette fois par une subtile casuistique, qui montre la complexité de la situation. Il distingue
« trois sortes de personnes désirant la paix : celles qui la désirent simplement, comme une chose bonne, donnée par Dieu, et celles-ci ne doivent pas être punies ; celles qui la désirent à condition qu’elle se fasse une fois que Navarre se serait démontré vrai catholique et enfin celles qui voudraient la conclure sur l’heure sans se soucier de savoir si Navarre est catholique ou non. Ces dernières Sa Seigneurie promit de les faire châtier, si leur culpabilité était prouvée ; et ainsi il leur donna congé et ils en furent apparemment satisfaits35 ».
15Cajetan prend parti en fournissant dès son arrivée un soutien important à Mayenne, mais il s’aliène du même coup Sixte V, mécontent de ces dépenses et de l’abandon par son légat du louvoiement qu’il lui recommandait, en attendant de voir quel camp était le plus à même de gagner36. Vers la fin du mois de février commence à parvenir au légat l’écho du mécontentement du souverain pontife à son égard. Au début du mois suivant, il envoie son frère Camillo, patriarche d’Alexandrie, qui l’avait accompagné à Paris, informer le pape sur l’état des affaires et soutenir sa position. Les instructions qu’il lui remet montrent son inquiétude ; il répète à son cadet, de la main de son secrétaire puis, dans un long post-scriptum, de la sienne propre :
« La conclusion de toute la négociation doit être que le Saint-Père envoie des secours, et promptement ; qu’il envoie de l’argent, en attendant l’arrivée des troupes ; s’il ne veut rien envoyer, qu’il veuille bien me rappeler ; je ne puis rien ici, si ce n’est demeurer prisonnier de Navarre, avec peu d’honneur pour le siège Apostolique37. »
16Ainsi isolé, Cajetan ne cesse de s’engager personnellement, souvent sur ses deniers, pendant la dramatique année 1590, et cet engagement est souvent présenté comme parallèle à celui de l’ambassadeur d’Espagne38. La famille Caetani se ruina d’ailleurs pour de bon dans cette légation39. Attentif aux intérêts du Roi Catholique, auquel sa famille était liée, Cajetan ne méconnaît ni les instructions du Saint-Siège, qui recommandait la prudence, ni les sentiments anti-espagnols répandus en France40. Mais, comme il l’écrit brutalement le 23 mars, « puisqu’on fait la guerre avec l’argent du roi d’Espagne, on est bien obligé de tenir compte de ses ministres » (en l’occurrence l’ambassadeur Mendoza)41. Le discours royaliste et catholique modéré présente rapidement le légat comme un agent des intérêts espagnols. C’est du reste le grief principal des discours hostiles aux ligueurs radicaux42.
17La situation matérielle très dure des Parisiens frappe les membres de la légation dès leur arrivée. À la fin d’une lettre adressée à Francesco Ghislieri, le 10 février, Camillo Sighiulli confesse son désarroi :
« ma lettre est confuse, comme mon âme est confuse elle-aussi, même si grâce à Dieu mon corps est en très bonne santé. Je ne vous parle pas de Paris, parce que je ne m’éloigne guère et on ne se rend pas sans risque dans les faubourgs, où est la majorité des maisons et des jardins des nobles ; d’ailleurs cette ville n’est plus ce qu’elle était, ni pour le nombre et le genre d’habitants, ni pour la gaieté, car on n’entend que les pleurs et les gémissements des pauvres qui dès qu’on arrive dans n’importe quelle rue se précipitent par centaines43 ».
18Cajetan résume les espoirs et les craintes que lui inspirent les habitants de la capitale dans ses instructions à son frère en partance pour Rome, sous la rubrique « Le peuple » :
« Il a de la religion, et il ne se soumettra jamais à Navarre si on vient à son secours. Mais il sera impossible de l’arrêter si on ne l’aide promptement. Depuis quatorze mois, le peuple a consumé toutes ses ressources, il meurt de faim ; le commerce est tari, les travaux de la terre sont interrompus, et les politiques travaillent sourdement à effrayer le peuple et à le mettre au désespoir44. »
19La réception magnifique que les jésuites préparent pour Cajetan en février 1590 est donc aussi une opération de soutien au légat mal en cour à Rome et quelquefois malmené dans Paris, où son arrivée avait suscité de très grands espoirs, comme le rappelle la Lettre annuelle du collège pour l’année 1590 : « l’arrivée du Très Illustre et Très Révérend Cardinal Gaëtan légat a latere dans le royaume de France a semblé apporter aux âmes des citoyens une part de consolation du malheur du pillage des faubourgs et des menaces du chef des hérétiques45 ».
20Quand Cajetan rédige les instructions pour son frère, au moment même de l’exposition des carmina et autres compositions des élèves des jésuites, les pires épreuves sont à venir. Le siège de Paris dure d’avril à septembre 1590, dans des conditions effroyables. L’arrivée du duc de Parme finit par desserrer l’étau à la fin du mois d’août. À la nouvelle tant attendue de la mort de Sixte V46, qui parvient à Paris début septembre, Henri Cajetan prend le chemin du conclave, laissant, on l’a dit, Filippo Sega (1537-1596) comme vice-légat. Ce dernier est moins célèbre que son prédécesseur et cadet. Sa carrière est pourtant brillante. La Satyre Ménippée a laissé de lui une image très noire, assombrie encore entre la version manuscrite de 1593 (L’Abbrégée et l’Ame des Estatz) et la Satyre imprimée en 159447. « Étranger » admirateur de Machiavel, à la solde de l’Espagne, il y est décrit non seulement comme mauvais prêtre et affameur des Parisiens, mais carrément comme un partisan du cannibalisme48… Il est né à Bologne dans une famille noble originaire de Ravenne. C’est à Bologne qu’il obtient son doctorat in utroque jure, en 1560. Protonotaire apostolique, il est gouverneur successivement de Cesena, Forlì et Imola entre 1566 et 1571, avant la Romagne, puis les Marches49. Auditeur de la Santa Consulta, il reçoit le siège épiscopal de Ripatransone en 1575, sans avoir encore reçu les ordres majeurs. Il est transféré à l’évêché de Plaisance en 157850. Il commence alors à recevoir des missions diplomatiques importantes auprès de la monarchie espagnole. En 1577, il est envoyé à Don Juan d’Autriche, avant d’être nommé nonce extraordinaire en Flandres. Nonce en Espagne entre 1577 et 1581, il soutient le plan d’attaque contre l’Angleterre, selon les instructions de Grégoire XIII, et négocie la formation d’une ligue contre les Turcs51. En 1586, il est à Vienne comme nonce auprès de l’empereur52. Trois ans plus tard, il accompagne le cardinal Henri Cajetan à Paris. Il est nommé légat « dans le royaume de France » et non auprès du roi, puisque le Saint-Siège considère le trône de France comme vacant. En effet, Henri de Navarre, excommunié, a été déclaré inapte à succéder à Henri III, après la mort du duc d’Anjou, dernier fils d’Henri II. Quand Cajetan quitte Paris, la lassitude gagne la capitale, mais fait douter à Tours également, dans le camp d’Henri de Navarre. À la date de 1591, Jacques-Auguste De Thou note que
« comme, au début, la situation de l’armée royale restait flottante, et que les événements ne répondaient pas aux espérances, les gens de Tours commencèrent […] à faire courir, d’abord de bouche à oreille, puis même publiquement, le bruit que le roi, qui avait fait espérer sa réconciliation avec l’Église, avait […] oublié ses promesses, et que cet espoir de pacifier le royaume, il ne le faisait plus reposer sur les aspirations de ses sujets, mais sur la seule force de ses armes. […] Si une place aussi infime [Château-Thierry] avait pu arrêter et compromettre un parcours tellement victorieux, à quoi pouvait-on s’attendre, par la suite, devant la résistance, dans le royaume tout entier, de tant de villes très importantes et très bien fortifiées53 ? »
21On a trop vite fait de penser que la résistance ligueuse était vouée à l’échec. La situation, confuse, a plusieurs fois penché en sa faveur. Au début de l’année 1592, la levée du siège de Rouen est encore une grande victoire du camp ligueur54. Mais ce sont aussi les espoirs et les craintes nourris par les rumeurs qui rendent la situation confuse. Comme le note un diplomate vénitien du camp royal, qui rapporte, en octobre 1592, le bruit du passage des Pyrénées vers la France de quelque 4000 fantassins espagnols : « avec la confusion des temps présents, ces choses sont divulguées selon les passions et sont altérées suivant les occasions, aussi je ne peux écrire avec assurance sur ce qui se passe en de si lointaines provinces55 ». Dans ce contexte, la position des envoyés pontificaux, qui reçoivent mal les nouvelles et les instructions de Rome, est complexe. Au printemps 1591 est arrivé également à Reims un nonce, mais avec des facultés de légat, Marsilio Landriano, alors que le vice-légat Sega, jamais réellement confirmé par les papes depuis la mort de Sixte V, est toujours à Paris56. Landriano est chargé de publier les lettres monitoires de Grégoire XIV, « l’une à l’encontre des laïcs partisans du roi de Navarre, l’autre à l’encontre des ecclésiastiques, les menaçant de la privation de leurs bénéfices et de l’excommunication57 ». Évidemment condamnés par le parlement royaliste, ces monitoires indisposent les gallicans. Filippo Sega se trouve également au milieu de la grande crise de l’automne 1591 à Paris, marquée par la radicalisation de certains éléments, l’institution du conseil secret des Dix, l’arrestation et l’exécution du président Brisson (15 et 16 novembre)58, auxquelles a répondu, après le retour de Mayenne le 28 novembre, la dissolution du conseil général de l’Union par le duc qui interdit « même à ceux qui se sont ci-devant voulu nommer le Conseil de Seize, de faire plus aucunes assemblées pour délibérer ou traiter d’affaires quelconques59 ». La communication avec Rome est rendue encore plus difficile par la succession très rapide des pontifes : Grégoire XIV s’éteint le 15 octobre, laissant place à Innocent IX qui meurt à son tour deux mois plus tard60. Clément VIII Aldobrandini, élu le 30 janvier 1592, est préoccupé par la désignation rapide d’un roi de France et il souhaite que des États-Généraux le désignent. C’est donc seulement au consistoire du 15 avril 1592 que Sega est définitivement nommé légat a latere dans le royaume de France. Le pape adresse ensuite dès le 17 un bref à son légat lui donnant « pouvoir et mandement pour assister et autoriser ladite élection » et il renouvelle ses instances le 7 mai, non seulement aux princes de la Ligue, mais aux évêques, à certaines villes et aux parlements des villes ligueuses, Paris, Dijon et Toulouse : « Point de salut pour la France, dit-il, sans la prompte réunion des États et l’élection d’un roi. Usez pour cela de tous les moyens en votre pouvoir ; nous vous en conjurons au nom de Dieu et du Saint-Siège61. » Début mai, le duc de Parme quitte la France et s’en retourne vers la Flandre. Mayenne, qui traitait discrètement avec Navarre, rompt la négociation à la levée du siège, reprenant sa ligne précédente, selon laquelle Henri IV devait d’abord se faire catholique avant de proposer la paix. Mais ces tractations n’ont pu rester secrètes et elles mécontentent les ligueurs radicaux. En août, le roi de Navarre fait savoir qu’il veut envoyer une ambassade à Rome pour traiter de la paix. À la fin de l’été et à l’automne, alors que Filippo Sega rentre à Paris et qu’il est reçu au collège de Clermont62, il est donc surtout question, dans sa correspondance, de ce voyage de l’évêque de Paris, Pierre de Gondi, sa bête noire, vers Rome, pour traiter de la réconciliation d’Henri IV63. Le légat estime ce voyage dangereux pour la résistance catholique. Pour le camp royaliste, le cardinal de Plaisance est un des principaux freins à la paix. L’ambassadeur vénitien auprès du roi de Navarre, Giovanni Mocenigo, toujours très virulent contre lui, estime ainsi le 12 août que « 300 Espagnols sont entrés dans Paris sur les instances du Cardinal de Plaisance, qui n’ayant pas d’autre but que de servir la volonté et l’intérêt du roi d’Espagne, entretient par tous les moyens les troubles de ce Royaume64 ».
22Dans l’enceinte du collège, Henri Cajetan et Filippo Sega, personnages clefs du Paris ligueur, sont donc des hôtes particulièrement prestigieux. Les deux légats visitent souvent le collège durant leur séjour parisien, comme les Lettres annuelles le rappellent fièrement65. En 1592, leur rédacteur dit même que Filippo Sega « aime les Nôtres et a apporté un grand soutien pour la conservation de la religion. De même il est très lié au P. Recteur, pour les affaires communes aussi bien que privées et il agit selon ses conseils et avis, pour le grand bien de beaucoup66 ». Les jésuites attendent aussi des légats des secours pour leurs maisons malmenées par les années de guerre. Dans une lettre du 11 novembre 1592, Filippo Sega rappelle que plusieurs ordres religieux lui demandent secours. Les jésuites, « s’en sont tirés jusque là du mieux qu’ils ont pu », précise-t-il, mais, ayant attendu du secours de leur Provincial, finalement venu à Paris sans argent, « ils ont eux aussi eu recours à moi, alors qu’ils s’étaient déjà beaucoup restreints, en nombre de personnes et en dépense, de sorte que réussissant à peine à vivre réduits à cet état, ils m’ont fait comprendre que si on ne les aidait pas ils seraient dans l’obligation de fermer à la fois la Maison professe et le Collège ». Ils demandent ainsi au légat de recevoir « un remède bien prompt67 ». On peut penser que ce secours, concédé début novembre par Filippo Sega, vient aussi récompenser sa splendide réception au collège.
Notes de bas de page
1 Lettres annuelles manuscrites, 1590, p. 460 et 461, cité et traduit par Henri Fouqueray, op. cit., p. 237.
2 On retrouve cet épisode, entre autres, dans Corneio Pierre, Bref discours et véritable des choses plus notables arrivées au siège mémorable de la renommée ville de Paris, dans Archives curieuses de l’histoire de France, 1re série, t. XIII, M. L. Cimber et F. Danjou, Paris, 1837, p. 269 et bien sûr chez Francesco Sacchini, Historiae societatis Jesu, pars V, Rome, Ex Typographia Varesii, 1661, livre X, p. 522, n° 127.
3 Brodrick James, Robert Bellarmin. L’humaniste et le saint, Paris, Desclée de Brouwer, 1963.
4 Voir Pallier Denis, Recherches sur l’imprimerie à Paris pendant la Ligue, Genève, Droz, 1975, p. 122, n. 86 ; Fouqueray Henri, op. cit., p. 229, 233, 236-237. Francesco Sacchini rappelle la mort glorieuse d’un des leurs à la suite d’une visite aux malades, op. cit., pars V, l. X, p. 521 : « In tam lato, atque multiplici, seu charitatis, seu patientiae campo, nequaquam occasioni defuit nostra cohors. Adjuvabant omni ope aegrotos conquisitos per Urbem, cum milites, tum alios cives, eo gratiore in vulgus officio, quo minus in calamitate adeo communi atque multiplici expetatum erat. Quo in genere pietatis anni sub initium, Martinus Balliesius operae domesticae adiutor, bene, ac feliciter defundavit, qui dum in suburbis relictos Helvetios milites visit, fovetque morbum inde, & praeclaram mortem collegit. »
5 Litt. ann. 1590, cité par Fouqueray Henri, loc. cit.
6 « Il convient mieux aux Pères de la Compagnie de combattre les mains élevées au ciel comme Moïse. Peut-être a-t-on par nécessité été contraint de prendre les armes ; mais nous voulons espérer que pareille circonstance ne se représentera plus » (Fouqueray Henri, op. cit., t. II, p. 239. Voir aussi Brodrick James, op. cit., p. 92).
7 Litt. ann., 1590, citées et traduites par Fouqueray Henri, op. cit., p. 233.
8 Diefendorf Barbara, « The Catholic League : Social Crisis or Apocalypse Now ? », French historical studies, 15 (1987), p. 332-344.
9 Ruiz Ibáñez José Javier, « “A thing not seen in Paris since its founding”. The Spanish Garrison of 1590 », dans Pedro Cardim, Tamar Herzog et alii, Polycentric Monarchies. How did Early Modern Spain and Portugal Achieve and Maintain a Global Hegemony ?, Sussex Academic Press, 2012, p. 197-216, ici p. 201.
10 Fouqueray Henri, op. cit., p. 231, n. 2. ARSI, Francia 10=Cat. Trien. (1584-1611), f° 133-136 v° : « Catalogus eorum qui degunt in Collegio Parisiensi 1590 mense Julio » : « P. Alexandre Georges Rhemensis in Gallia 43 annos, audivit Philosophiam et theologiam in societate. Magister in artibus. Docuit grammaticam Rhetoricam et Philosophiam nunc rector Collegii concinator. »
11 Fouqueray Henri, op. cit., p. 183 et 238.
12 Voir les Lettres annuelles de la Compagnie de Jésus pour l’année 1590 citées ibid., p. 232.
13 Archivum Romanum Societatis Iesu (ARSI), Francia 10=Cat. Trien. (1584-1611), f° 133-136 v°.
14 ARSI, Francia 30, « Annua Collegii Parisiensis » (1592), f° 192 r° : « Annus 1592 aluit e Nostris ad 22. in Collegio hoc Parisiensi ; tum superiore, ubi bona pars eorum habitat, et ubi R. P. Odo Pigenatius antea Provincialis jam (?) biennium aeger curatur : tum in inferiore, ubi Convictorum cura geritur. » Le décompte est plus précis pour 1593, pour lequel on dispose d’un recensement rapide dans ARSI, Francia 10=Cat. Trien. (1584-1611), f° 152 r° : « Habet e nostris 23, sacerdotes 11, Praeceptores 9 nempe Grammatices tres in totidem classibus. Humanitatis unum. Rhetorices unum. Philosophiae tres Theologiae unum. Reliquos Coadiutores. Habitant vero in nostro Collegio 13 apud convictores 9. In missione Rhemensi unus. »
15 ARSI, Francia 10=Cat. Trien. 1584-1611, f° 133 r°-136 v° : « Catalogus eorum qui degunt in Collegio Parisiensis 1590 mense Julio. » Par exemple Jacobus Turius (Écossais) qui est le primarius convictorum, Johannes Laurinius (Avignonnais) qui enseigne l’hébreu, Franciscus Soares (« d’Avila, en Espagne ») qui enseigne la théologie, mais aussi le septuagénaire Thomas Darbicherus (Anglais), le Napolitain Hieronymo Picolo, etc. À noter aussi que les jésuites français eux aussi viennent de tout le royaume : Claudius Boucard qui enseigne la philosophie vient de Verdun, Rolandus Freorius qui enseigne dans la 2e classe de grammaire de Nantes, Franciscus Barraeus de Condom (il est minister Collegii), Johannes Castellarius comme Julius Buligerius sont de Poitiers, Antonius Porsanus de Lyon, Jacobus Serranus de Toulon, etc.
16 Delattre Pierre, Les établissements des Jésuites en France depuis quatre siècles : répertoire topo-bibliographique : publié à l’occasion du 4e centenaire de la fondation de la Compagnie de Jésus, 1540-1940, 5 t., t. III, Macheville-Pinel, Enghien, Institut supérieur de théologie, 1955.
17 Emond Gustave, Histoire du collège de Louis-le-Grand, ancien collège des Jésuites à Paris depuis sa fondation jusqu’en 1830, Paris, Durand, 1845, p. 44. Voir aussi Douarche Aristide, L’Université de Paris et les Jésuites, Paris, Hachette, 1888, p. 96-106.
18 ARSI, Francia 30, doc. 62, « Annua Collegii Parisiensis » (1592), f° 193 r° : « Ad publicos actus sollennesque de Theologia disputationes nostri persaepe, ut eas sua praesentia cohonestare velint, rogitantur ; eisque adventantibus sedendi locus per Academiae Accensum honoriffcus assignatur. »
19 Pallier Denis, op. cit., p. 159-160. Voir aussi Amalou Thierry, « Entre réforme du royaume et enjeux dynastiques. Le magistère intellectuel et moral de l’université de Paris au sein de la Ligue (1576-1594) », CRMH, 18 (2009), p. 145-166.
20 Livre III, chap. ii, éd. Claude Sutto, Sherbrooke, Les Éditions de l’université de Sherbrooke, 1982.
21 Ainsi Brodrick James, op. cit., p. 90 : « les Jésuites à l’injonction expresse d’Aquaviva, ne prêchaient pas contre Navarre, mais prenaient part, ainsi que leur hôte, à toutes les activités de la ville en dehors de la politique : processions, pénitences publiques, longues heures de prières devant le Saint Sacrement, et soins incessants aux malades et aux mourants ». Mais dès avant, Fouqueray Henri, op. cit., p. 222 : « Même au plus fort de la lutte, les religieux de la Compagnie, sauf quelques exceptions, montrèrent une modération méritoire et furent ceux qui prirent le moins de part aux affaires publiques […]. Durant cette dernière phase de la Ligue comme durant la première, la plupart des Jésuites évitèrent de s’engager dans le mouvement politique. »
22 Voir Barnavi Élie, Le parti de Dieu. Étude sociale et politique des chefs de la Ligue parisienne 1585-1594, Louvain, Nauwelaerts, 1980, p. 88 ; Jensen Lamar de, Diplomacy and Dogmatism. Bernardino de Mendoza and the French Catholic League, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1964, p. 109-112. Le frère d’Odon, François Pigenat, curé de Saint-Nicolas-des-Champs est un des prédicateurs les plus violents de Paris. Tous deux sont très liés aux Guise, voir Barnavi Élie, « Fidèles et partisans dans la Ligue parisienne (1585-1594) », dans Yves Durand (dir.), Hommage à Roland Mousnier. Clientèles et ffdélités en Europe à l’époque moderne, Paris, PUF, 1981, p. 139-152, ici p. 144.
23 Jensen Lamar de, op. cit., p. 109. Jensen utilise, pour qualifier le silence des autorités jésuites, une formule difficilement traduisible : « tactfully uncommunicative »…
24 NAL 2636, f° 14 v° et 39 montrent le cortège de Cajetan à l’approche de Paris. Voir plus bas sur cette arrivée. Pour le rituel d’entrée et ses connotations eschatologiques, voir Kantorowicz Ernst, « The “King’s Advent” and the enigmatic panels in the doors of Santa Sabina », The Art Bulletin, 26 (1944), p. 207-231.
25 Chigi, f° 37.
26 Sur les légations de Cajetan et de Filippo Sega, voir, outre l’article déjà cité de Germe Anne-Cécile et Manfroni Camillo, « La legazione del cardinale Caetani in Francia (1589-1590) », Rivista storica italiana, vol. 10 (1893), p. 193-270 ; Boûard Michel de, « Sixte Quint, Henri IV et la Ligue : la légation du cardinal Caetani en France 1589-1590 », Revue des questions historiques, t. LX (1932), p. 59-140 ; Tizon-Germe Anne-Cécile, « Juridiction spirituelle et action pastorale des légats et nonces en France pendant la Ligue (1589-1594) », Archivum historiae pontiffciae, 30 (1992), p. 159-230 ; Penzi Marco, « Tours contre Rome au début du règne d’Henri IV », Revue de l’histoire des religions (2009/3), t. CCXXVI, p. 329-347.
27 Caro Gaspare de, « Enrico Caetani », Dizionario biograffco degli italiani, Rome, Istituto della Enciclopedia Italiana, 1973, p. 148-155.
28 Pastor Ludwig von, Storia dei papi, X, Rome, Desclée, 1955, p. 616, cité par De Caro Gaspare, art. cité : « E sua creatura e de casa famosa, che ha servito in Francia suo padre, et anco è ricco, di buona presenza, sano, di spirito, intelligente sodamente col re Cattolico che aiuta questa impresa, soggetto destro, flematico, lontano da parzialità con principi di Francia che non s’intendano colla lega et parlamento di Parigi. »
29 Traduction Récalde I. de, Un saint jésuite. La cause du vénérable Bellarmin, Paris, Imprimerie de la Bourse du Commerce, 1923, p. 104.
30 Manuscrit cité par Manfroni Camillo, « La legazione del cardinale Caetani… », art. cité, p. 230 : « S’intende molta disunione fra le principesse et anco li scivini e parlamento, perchè molti non approvano Humena, se bene sia cattolico. Humena domanda 50 mila scudi per pagare li raitri e lanzichenecchi venuti con noi et promette di fare grancose. Si duro’ gran fatica per trovare detti 50 mila scudi, alla ffne si trovorno. »
31 Cité et traduit par Caringi, « Sixte-Quint et la Ligue. Documents inédits », Revue du Monde catholique, XII, 137e livraison, 10 février 1867, p. 461 : « Communem Dei Ecclesiae et Galliae Reipublicae causam agamus, atque unicus nobis sit propositus scopus, ut, expulsis haeresibus, sedatis discordiis, pace ac tranquillitate restituta, sub vere pio et catholico Rege, Franciae Regnum sit re et nomine Christianissimum. »
32 Manfroni Camillo, art. cité, p. 235.
33 Bellarmin fut chargé de rédiger une lettre pour justifier l’arrêt de Cajetan. Tous les évêques de France en reçurent un exemplaire et se soumirent. Voir Caringi, « Sixte Quint et la Ligue. Documents inédits », Revue du Monde catholique, XVIII, 139e livraison, 10 avril 1867, p. 60-84.
34 Diario, p. xxviii : « dicendo non toccare a lui questa pratica », cité par Manfroni Camillo, art. cité.
35 Diario p. xxx : « tre sorti di gente, che desiderano la pace ; una che la desiderava semplicemente come cosa buona, data da Dio et questi non sono da punire, altri che la desideravano con condizione di farla poi che Navarra si fosse veramente dimostrato cattolico ; altri che la vorriano fare hora senza considerare se Navarra sia cattolico o no et questi promette Sua Signoria Illustrissima di far castigare, se veramente saranno provati colpevoli et così li licenziò et parve che restassero contenti », cité ibid., p. 236.
36 Lettre de Peranda, ancien secrétaire de son oncle le cardinal de Sermoneta, à Henri Cajetan, 23 février 1590 : « Non spero che si mandino nè denari nè genti, ma credo che sivoglia tener aperte tutte le vie da potere accomodar con la parte che prevalerà » (Archivio Caetani C 1590. II. 23, n 188901), citée par Caetani Gelasio, Domus Caietana. Il Cinquecento, Sancasciano Val di Pesa, Fratelli Stainti, 1933, p. 224.
37 Instructions citées et traduites par Caringi, « Sixte Quint et la Ligue. Documents inédits », Revue du monde catholique, XVIII, 139e livraison, 10 avril 1867, p. 60-84, ici p. 84.
38 BnF, ms. fr. 23296, « Histoire chronologique de la Ligue », p. 283 : « L’illustrissime cardinal Caetan legat en france, et l’ambassadeur d’Espagne, lesqu’els quoy qu’estrangers et peu riches avoient vendu et engagé tout ce qu’ils avoient, jusques mesme a s’obliger pour soulager les pauvres. »
39 Caetani Gelasio, op. cit., p. 233-234 : « La legazione di Francia segnò la rovina ffnanziaria dei Caetani […] la casa stentò più di tre secoli per districarsi dai debiti contratti nell’interesse della Santa Sede. » Une certaine exagération n’est pas à exclure dans l’amertume de ce descendant du légat…
40 Arch. Seg. Vaticano, Segr. Stato, Francia, 31 (Instructions de Cajetan à son frère), f° 23 v° : « De gli Spagnoli. Sono odiatissimi per l’incompatibilita de la Natura […] » Cajetan conclut qu’il ne faut donc plus parler « di protettione nè di interesse particolare, nè meno di scludere altrui, che Navarra ».
41 Cité par Caetani Gelasio, op. cit., Arch. Caetani 1590, III, 27 (BUB 1499, I, p. 202) : « Facendosi la guerra con li denari del re di Spagna non è possibilie che non si tenga conto de’ suoi ministri » (p. 223).
42 Descimon Robert et Ruiz Ibàñez José Javier, « Entre Aguirre y el gran rey. Los discursos de la elecciòn de Felipe II al trono de Francia en 1591 », dans Alberto Marcos Martin (dir.), Hacer historia desde Simancas. Homenaje de José Luis Rodrìguez de Diego, Valladolid, Junta de Castilla y Léòn, 2011, p. 661-724.
43 Cité dans Manfroni Camillo, art. cité, p. 233 : « Io scrivo confuso, perchè ho anche l’animo confuso, se bene Dio gratia sono sanissimo del corpo. Non scrivo a V. S. di Parigi, perchè poco vado attorno e ne li borghi ove sono per lo più le case e i giardini dei nobili, non vi si va se non con rischio ; oltre che questa città non è più la solita nè di numero, nè di genti, nè d’allegria, che non s’odono altro che pianti e gemiti di poveri, che non s’arriva per strada alcuna che non ve ne siano le centinaia attorno. »
44 Cité et traduit par Caringi, art. cité, p. 81.
45 ARSI, Francia 30, doc. 58 Annuae Litera, anni 1590, f° 181 v° : « Aliquid levationis a suburbiorum direptorum infortunio, et ducis haereticorum minitationibus afferre civium animis visus est Illustrissimi et Reverendissimi Cardinalis Gaëtani ad hoc Francico regnum de latere legati adventus. »
46 Bellarmin raconte comment Cajetan l’interrogeait anxieusement sur cette échéance et comment il lui répétait avec assurance qu’« il mourra cette année même » (1590), sans réussir à tranquilliser le légat… Voir Brodrick James, op. cit., p. 87.
47 Armand Anne et Driol Michel, « Deux états du texte : 1593 et 1594 », dans Frank Lestringant et Daniel Ménager (dir.), Études sur la Satyre Ménippée, Genève, Droz, 1987, p. 19-38. Parmi les ajouts les plus longs figure le rôle (néfaste) du légat (p. 22).
48 Ibid., p. 24.
49 Weber Christoph, Legati e governatori dello Stato pontiffcio 1550-1809, Rome, Ministero per i beni culturali e ambientali, Ufficio centrale per i beni archivistici, 1994.
50 Campi Pietro Maria, Dell’historia ecclesiastica di Piacenza, vol. 2, Piacenza, per G. Bazachi stampatore, 1651, p. 48. Voir aussi Battelli Giorgio, « I registri delle suppliche e dei decreti di Mons. Landriani e del Card. Sega nunzi (1591-1594) », dans Mélanges Charles Braibant, Bruxelles, Comité des Mélanges Braibant, 1959 p. 19-29.
51 Biaudet Henri, « Les nonciatures apostoliques jusqu’en 1648 », Annales Academiae scientiarum Fennicae, série B, vol. 2, 1910, p. 51, 164 et 286.
52 Nuntiaturberichte aus Deutschland… Zweite Abteilung : Die Nuntiatur am Kaiserhofe G. Malaspina und Filippo Sega, Paderborn, 1945, II, p. 217-469.
53 Thou Jacques-Auguste de, La Vie de Jacques-Auguste de Thou, éd. et trad. d’Anne Teissier-Ensminger, Paris, Honoré Champion, 2007, p. 843.
54 Sur Rouen voir Benedict Philipp, Rouen during the wars of religion, Cambridge University Press, 1981, p. 165-238.
55 ASV, Archivio proprio Francia, 21, f° 180, Giorgio Mocenigo, de Chartres, le 8 octobre 1592 : « Le quali cose perche secondo la confusione de i presenti tempi si divulgano secondo le passioni, et si alterano secondo le occasioni, non posso assicurarmi di scrivere con fondamento quello che segue nelle provincie tanto lontane. »
56 Voir L’Épinois Henri de, « La légation du cardinal Caetani en france », Revue des questions historiques, 30 (1881), p. 460-525, ici p. 515.
57 Germe Anne-Cécile, « Nonces et légats en France (1589-1594) », art. cité, p. 46.
58 Barnavi Élie et Descimon Robert, La Sainte Ligue, le juge et la potence. L’assassinat du président Brisson : 15 novembre 1591, Paris, Hachette, 1985, p. 188.
59 Lebigre Arlette, La Révolution des curés : Paris 1588-1594, Paris, Albin Michel, 1980, p. 224.
60 Pour mémoire : Urbain VII (15 septembre 1590-27 septembre 1590) ; Grégoire XIV (5 décembre 1590-16 octobre 1591) ; Innocent IX (29 octobre 1591-30 décembre 1591).
61 BnF, ms. fr., 3642, f° 6 et 8 et 3981, f° 181 ; trad. Félix Rocquain, La France et Rome pendant les guerres de Religion, Paris, Édouard Champion, 1924, p. 455.
62 Filippo Sega est à Paris le 22 septembre (BAV, Barb. lat 5826, f° 114 v°, lettre à Don Diego de Juvarra, Paris, 3 octobre 1592).
63 Les mots durs abondent alors dans la correspondance de Filippo Sega, ainsi, BAV, Barb. lat. 5825, f° 35, à Pietro Aldobrandini, 12 novembre 1592 : le cardinal de Bourbon a demandé sa protection au légat, qui explique qu’il ne pouvait répondre d’une personne d’une si haute dignité ecclésiastique qui adhère à l’hérétique, qui « fomentasse l’heresia, sparlasse della Santa Sede », etc. Voir sur ces négociations Maio Romeo de, Riforme e miti nella chiesa del Cinquecento, Naples, Guida Editori, 1973, chap. vii : « La curia romana nella reconciliazione di Enrico IV », p. 143-190.
64 ASV, Archivio proprio Francia, 21, f° 141 v°, de Chartres, le 12 août 1592 : « per le istanze del Cardinal di piacenza il qual non havendo altro per ffne, che servire alla volonta, et interesse del Re di Spagna, fomenta con ogni mezo possibile la confusione di questo Regno ».
65 ARSI, Francia 30, doc 58 (1590), f° 18 v° : « Saepiusque deinceps Collegium ipse invisit : frequentissime vero caeteri ejusdem comitatus Praesules ad divinis rebus operandum totius prope anni curriculo id factitarunt » (Par la suite, il rendit très souvent visite en personne au collège. Et les autres Prélats de sa compagnie en firent autant pour célébrer l’office durant presque toute l’année).
66 ARSI, Francia 30, doc. 62 (1592), f° 193 : « Nostros amat, et magnum adjumentum ad religionis conservationem attulisse testatur. Idem multum P. Rectore utitur, et ad communem privatamque, multorum utilitate multa ex ejus sententia et consilio facit. »
67 BAV, Barb. lat. 5826, f° 136-136 v°, lettre à Don Diego de Juvarra, de Paris, le 11 novembre 1592 : « A questo medesimo stretto si ritrovano La Casa Professa et il Collegio de Padri del Giesù li quali con l’aspettatione di nuovo Provinciale, che gl’è venuto, et con qualche poco più di Carità, che si ritrovano trà il Popolo si sono andati tirando innanti sin qui al meglio, che hanno potuto, se bene con un patimento grandissimo essi ancora : mà veduto che il Provinciale è venuto senza soccorso, et essi parimenti hanno havuto ricorso à me ridotti doppo d’essersi ristretti di numero di persone, et di parsimonia, ò più tosto stento di vivere, à quel stretto, che hanno potuto maggiore, à farmi intendere, che se non sono aiutati, sono necessitati essi ancora à serrare et la Casa Professa, et il Collegio, et pregarmi però ad interporre l’autorittà di Nostro Signore col Generale loro, si che ci si presti quel più presentaneo rimedio che li detterà la sua pietà per evitar questo scandaloso inconveniente. »
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