Chapitre V. Le clos et le jardin : un espace privilégié ?
p. 225-255
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Index géographique : France
Texte intégral
« J'entre dans ces enclos et j'y vois des murailles
tapissées d'une agréable verdure, et ornées de fruit
de toute nature, surtout des pêches ; les arbres y sont
d'une prodigieuse étendue, distans les uns des autres
de dix-huit, vingt-quatre, et trente pieds et plus [...]
Là ce sont des cerises hâtives en abondance ; ici ce
sont des abricots ordinaires d'un coloris charmant :
là ces mêmes fruits à plein vent charment mes yeux :
ici ce sont des pruniers de toute espèce, dont les
couleurs diverses forment entr'elles son admirable
contraste ; mais rien n'égale ces reines-claudes
incomparables tant en espalier qu'en plein vent.
Plus loin ce sont des fruits de toute nature et de
toutes les saisons [...]. De Montreuil viennent aussi
encore les pois hâtifs, les haricots de primeur et de
l'arrière saison, les petites fèves de marais nouvelles,
mais surtout une grande moisson de fraizes d'un
goût exquis ».
Roger Schabol, Discours sur Montreuil..., 17551
1Le jardin est un lieu omniprésent, un élément essentiel des paysages urbains et ruraux, mais il reste pourtant largement méconnu. Furetière le définit comme une
« terre cultivée qu'on mesnage au derrière d'une maison pour luy donner de l'air, pour se promener, et pour luy servir d'ornement. Les jardins sont composez de parterres pour les fleurs, de potagers, de vergers, de bois de haute futaye, et d'allée, selon leur diverse estendue2 ».
2Cette définition du jardin aristocratique, qui peut être étendue à la maison des champs bourgeoise, alliant plaisir et utilité, ne saurait faire oublier que chaque village du royaume possède des jardins où l'on cultive légumes et fruits à proximité de l'homme. Et la catégorie « bâtiment-cour-jardin » dans les procès-verbaux du cadastre Bertier de Sauvigny témoigne de ce lien intime avec l'habitation.
3Quel que soit le jardin considéré, il apparaît toujours comme un lieu privilégié, comme la freie wirtschaft du modèle de von Thunen3. « Historiquement, juridiquement, économiquement et même socialement, le jardin doit être replacé au premier plan4 ». Marc Bloch, Jean Meuvret, Fernand Braudel, Emmanuel Le Roy Ladurie, nombreux sont les historiens qui accordent une grande place au jardin. Pour Jean Meuvret, dans l'article qui va établir la vulgate historiographique sur le jardin5 appartenant à la « civilisation matérielle », « cette terre privilégiée [...] qu'on engraissait et qu'on bêchait constamment » profitait de la proximité de l'habitat et du fumier de l'écurie et de l'étable. « Plus encore, l'intérêt que [lui] portait le maître l'amenait à des sacrifices de temps et d'argent ; même si ce maître était un paysan, car il existait des éléments de jardin autour des plus modestes chaumières, davantage encore si ce maître était un bourgeois, ou un gentilhomme6 ».
4De plus ce « lieu des expériences et lieu des merveilles » aurait « de bonne heure bénéficié de l'élargissement de l'horizon géographique et du développement des connaissances botaniques7 ». Cette idée d'un jardin — lieu d'adaptation des nouveautés avait déjà été avancée par Marc Bloch. Il considérait qu'une partie des innovations modernes a consisté à approprier, à une autre échelle, des procédés expérimentés au préalable à l'intérieur des jardins ; « ajoutons qu'il n'y aurait rien d'étonnant à ce que le légume eût d'abord été cultivé, chez nous, dans les potagers royaux ou seigneuriaux des châteaux de la Loire. Plus d'une autre plante méditerranéenne pénétra dans nos jardins ou nos champs par cette voie8 ». Reprenant ce postulat, Emmanuel Le Roy Ladurie force le trait en employant l'expression de « huertas-relais9 » qu'il situe dans le Comtat Venaisin, en Touraine et près de Paris.
5Cependant, il semblerait que le rôle attribué au jardin repose davantage sur une série d'intuitions que sur une véritable démonstration s'appuyant sur des exemples précis et identifiés. À cet égard, l'article de Daniel Faucher10 consacré aux « jardins familiaux » est doublement révélateur d'un intérêt des Annales pour cet espace stratégique, mais aussi de l'absence d'exemples concrets. Au contraire, Noël Coulet tente de faire l'histoire du jardin à partir de registres de notaires et des archives des communautés religieuses pour la ville d'Aix-en-Provence aux xive-xve siècles11. Malheureusement cette invitation à étudier les jardins, qui aurait dû profiter de l'appel des Annales pour une histoire de l'alimentation12, a peu été suivie. Même l'étude des maisons rurales, trop axée sur les aspects architecturaux — matériaux de construction, toiture, disposition des chambres... —, en oublie bien souvent le jardin dans un choix de lecture qui peut paraître trop restrictif. Quant à l'abondante et florissante bibliographie consacrée à l'art des jardins, elle s'intéresse essentiellement, selon une optique proche de l'esthétisme déjà rencontrée pour l'histoire du paysage, au monumental mais non au quotidien, à l'ornement au détriment de l'utilitaire, à Le Nôtre plus qu'à La Quintinie13.
6Ainsi, paradoxalement, est attribué un rôle d'initiateur de progrès à un espace que l'on connaît mal. Il est vrai que le jardin, lieu clos, privé si ce n'est intime, d'une production largement autoconsommée, semble être peu propice aux investigations historiques. Pourtant l'arbre fruitier nous invite à pousser la porte des clos, à pénétrer dans les jardins pour réaffirmer, face à un ager monopolisant souvent l'histoire rurale, l'existence de Xhortus ; en effet les liens entre l'arboriculture fruitière et la zone des jardins risquent fort de créer un terreau favorable au développement de spécificités culturelles et techniques.
7Les définitions données par les dictionnaires contemporains, le lieu idéal décrit par les traités de jardinage et le reflet concret colporté par les actes de la pratique, des baux aux conflits avec des décimateurs en passant par les procès-verbaux d'arpentage, permettent de croiser différentes perceptions du jardin afin de souligner la convergence des regards sur une enclave privilégiée. En effet, cet espace est avant tout un espace techniquement favorisé ; l'arbre fruitier y bénéficie d'un site d'abri, d'un fort investissement en temps et d'un véritable laboratoire de la taille. Ces soins privilégiés contribuent à faire du jardin « un lieu des merveilles » concentrant de nombreuses productions dans le cadre mental d'une rationalité de l'abondance transformant l'arbre fruitier en fier étendard d'un pays de cocagne.
Pour une définition du jardin
Le jardin dans les dictionnaires contemporains
8Lieu privilégié, les dictionnaires contemporains14 insistent toujours sur ce point dans leur définition de « jardin » ; tous soulignent l'acception très positive du mot, évoquant un lieu ou une contrée fertile, plaisante, agréable, bien cultivée et abondante à l'image des exemples cités : le jardin d'Eden, les jardins suspendus de Babylone, les jardins des Hespérides et le jardin de France, la douce Touraine,
« Gouverneur de ces beaux climats
Que du ciel la douce influence
Loin des hivers et des frimats
A fait jardin de la France...15».
9Une autre constante souligne la proximité de la main de l'homme pour ordonner un jardin qui est avant tout un lieu cultivé, « artistement planté et cultivé16 ». Ainsi les habitants, « forts laborieux » d'Argenteuil, cultivent leur terre « avec tant de soin et de propreté, que la campagne y paroît un vaste jardin17 ».
10Les dictionnaires contemporains s'accordent tous à faire ressortir quatre caractéristiques dans l'acception « jardin » : la fertilité, l'abondance des productions, la proximité visible de l'homme et un espace privé ; ne dit-on pas proverbialement « de quelqu'un qui dans un discours fait sourdement quelques attaques, qu'il jette des pierres dans son jardin » ou « de celui qui dispose absolument de l'esprit, ou du bien d'un autre, qu'il en fait comme des choux de son jardin18 » ?
Le jardin dans les traités agronomiques
11Figure centrale des traités d'agriculture de l'époque moderne depuis La maison rustique, le jardin est d'abord omniprésent comme un idéal dans la littérature agronomique. Pour les auteurs sur la culture des arbres fruitiers, le jardin est aussi, et avant tout, une enclave privilégiée :
« En parcourant vos Vergers [...] vous abjurerez les projets coupables de l'ambition, vous mépriserez le tumulte des villes, et la faveur d'un peuple inconstant et volage ; vous bannirez de votre cœur les espérances insensées, les vœux chimériques, et vous ne briguerez plus la faveur des Rois19 ».
12Le jardin oppose à « la vie tumultueuse qu'on mène dans le monde20 » un havre de calme, de sérénité où l'on peut « goûter le bonheur d'une vie innocente21 » — nous ne sommes pas loin de l'acception du jardin d'Eden — où l'on peut « goûter le bonheur de la vie champestre22 ».
13Mais cette vie champêtre recherchée exclut la ruralité, à l'image de la maison des champs qui doit être bâtie à l'écart du village. Éloignée des étangs et des marais, détachée du village, la maison de campagne, protégée de tout ce qui peut être malsain et vulgaire, doit conserver la disposition classique des hôtels urbains, entre cour et jardin, mais avec un jardin plus grand et plus varié. En effet, le monde rural n'apparaît dans le jardin que par le choix, oh combien difficile, d'un jardinier — éventuel élément perturbateur — ou d'un vigneron qu'il faudra « dégrossir ». Le jardin y apparaît comme une enclave, matérialisée par la nécessaire clôture, d'une urbanitas, d'une civilité urbaine dans un monde rural peu considéré ; un lieu où l'on réinvestit les codes sociaux du bon goût et du divertissement.
14Cette enclave est aussi privilégiée car toutes les espèces fruitières n'y sont pas conviées. Alors que les abricotiers, les pêchers, les poiriers et les figuiers colonisent murs à espaliers et plates-bandes des jardins fruitiers modèles, les pommiers, les pruniers et les cerisiers sont mis au ban de cette société élitiste. Le privilège tient aussi aux soins que l'on y porte quotidiennement ; d'ailleurs, les traités sur la culture des arbres fruitiers n'évoquent que rarement les arbres en plein vent, l'essentiel des travaux qu'ils décrivent concerne les jardins. Le jardin est le lieu de l'abondance et de la diversité qui, grâce à l'adresse de l'Homme, concentre « ce qu'on ne pouvoit auparavant rencontrer que dans plusieurs différents païs23 ».
15Les traités horticoles proposent deux types de jardin potager-fruitier : soit des carrés dessinés à l'intérieur d'une unique clôture, soit à l'intérieur de la clôture, d'autres murs compartimentant l'espace du potager-fruitier en petits jardins tendant à se spécialiser dans une production — potager, figuerie, orangerie, pruneleraie, verger — selon un processus similaire à celui de la privatisation et de la spécialisation des espaces dans les habitations des élites24. Mais quel que soit le modèle suivi, le jardin se définit par sa clôture. L'abbé Le Berryais suppose « ce terrein bien dressé, fermé de murs hauts de huit pieds au moins25 ». Idéalement cette clôture n'est pas faite de haies vives mais de murs « car sans murailles pouvez-vous avoir aucun espalier, et un jardin sans espalier peut-il passer pour beau ?26 ».
16Le jardinier solitaire décrit le potager-fruitier idéal d'une maison des champs en région parisienne. Les quatre arpents de ce jardin sont divisés en seize carrés de quinze toises et quatre pieds de longueur sur neuf toises et quatre pieds de largeur. La moitié des carrés est réservée aux légumes, mais trois cent quarante-huit poiriers nains et pommiers greffés sur paradis sont plantés autour27. Les huit autres carrés sont réservés aux arbres fruitiers, quatre pour cent cinquante-six arbres nains et les quatre derniers pour quatre-vingt-seize arbres de haute-tige. Ce jardin, comme il se doit, est totalement fermé par un mur haut de neuf pieds qui abritera des espaliers et des ceps de muscat et de chasselas. Pour terminer ce bel ordonnancement, un bassin prend place au centre du jardin et quatre figuiers en caisse sont symétriquement disposés autour. « Le total monte à neuf cens quatre vingt dix arbres : c'est un nombre raisonnable pour avoir des fruits à chaque saison pendant toute l'année28 ». La présence d'arbres de haute-tige s'explique par la grande superficie du jardin potager-fruitier décrit. Quatre grandes caractéristiques sont soulignées dans cette vision idéale : il n'y a pas de séparation entre les légumes et les arbres fruitiers, les arbres nains et de demi-tige y sont la forme privilégiée (896 arbres sur 990), les arbres y sont strictement alignés, l'organisation y reprenant celle des parterres, enfin le jardin doit fournir des fruits toute l'année.
17Contrairement au plan du jardin fruitier-potager du Jardinier-solitaire, La Quintinie est favorable à la multiplication des murs ; les traités arboricoles contemporains qualifient ce type de jardin, de jardin coupé29, c'est-à-dire compartimenté.
« Les murailles en effet sont si nécessaires pour les jardins, que même pour les multiplier, je me fais autant que je puis, de petits jardins dans le voisinage du grand, et l'utilité que j'en tire est non seulement pour avoir davantage d'espaliers et d'abri, ce qui est très important, mais aussi pour corriger quelque défaut et quelque irrégularité qui rendroit désagréable le grand jardin30 ».
18L'abbé Pluche conseille d'exposer le jardin coupé « au levant ou au midi, et un peu en pente s'il est possible. On y élève plusieurs petits murs de sept à huit piés de haut, qui avec l'enceinte produiront des aspects de toutes les façons : on les tient assez rapprochés l'un de l'autre pour concentrer beaucoup de chaleur, et suffisamment écartés pour ne pas jetter leur ombre l'un sur l'autre31 ». Le potager du roi à Versailles, créé entre 1678 et 1683, met ces principes en application en ordonnant trente jardins clos de murs autour d'un parterre central de trois hectares, sur une superficie totale de neuf hectares32.
19Les modèles proposés par les traités horticoles, la renommée de certains jardins de curiosité, et les échanges entre arboristes ont certainement contribué à la propagation de ces deux grands types de jardins dans les maisons de plaisance de la Ville et de la Cour dans les campagnes parisiennes et, probablement, en province.
Le jardin dans les actes de la pratique
20Dans les actes de la pratique, le terme jardin renvoie à deux réalités paysagères : soit une pièce de terre jouxtant l'habitation, soit un pré de fauche, parfois planté d'arbres fruitiers mais toujours entouré de haies. Dans une campagne où le champ ouvert domine, il est probable que l'originalité des haies, formant un paysage, qualifié de « bocage » par les contemporains, remarquable en périphérie du Pays de France, ait contribué à cette appellation. La clôture et le retrait qu'elle rend possible par rapport aux pratiques collectives peuvent rappeler l'individualisme agraire des jardins d'habitation. Par ailleurs, la fréquente plantation d'arbres fruitiers sur un pré de fauche donnant plusieurs coupes multiplie les productions sur une même terre comme le jardin, lieu de l'agriculture intensive par excellence. Enfin ces deux espaces peuvent être présentés comme fiscalement privilégiés.
21En effet, le pré arboré, clos de haies, ne paiera la dîme que sur une des récoltes qu'il donnera à son exploitant selon le principe que l'on ne dîme pas le haut et le bas et que la récolte ne doit la dîme qu'une fois dans l'année ; ce n'est pas la terre qui paye l'impôt ecclésiastique, mais ses « fruits ». On ne dîme pas le haut et le bas, mais les fruits que le vent fait tomber n'en sont pas pour autant décimables selon le principe que ces fruits ne sont pas une récolte mais des pertes, en tout cas, tel en a décidé un arrêt du 21 août 1701 qui débouta un curé qui voulait y prélever sa part33.
22Quant au jardin, s'il « n'est pas d'usage d' (y) percevoir la dixme34 », la question de la superficie pose justement problème aux décimateurs et aux légistes face aux abus nés de l'absence de règlements certains. Le jardin ne doit pas la dîme, le principe est communément admis en Île-de-France s'il ne produit que des légumes, des herbes et des fruits pour l'usage du propriétaire. Exempté des dîmes vertes et menues, il devra, par contre, toujours payer les grosses dîmes portant sur les céréales et la vigne ; ainsi la fraude consistant à entourer de haies des emblavures est déjouée par les cours de justice35. Pour lutter contre les abus, la superficie du jardin exempté est évaluée à l'aune de l'autoconsommation ou au travail de deux journées d'hommes36.
« Les parcs et jardins fermés d'ancienneté, qui ne sont que pour l'agrément, ou qui ne rapportent que des légumes ou de l'herbe pour l'usage du propriétaire, ne doivent point la dîme ; mais les terres en labour doivent la dîme novales ou autres, particulièrement dans les nouveaux clos ensemencés en fruits décimables37 ».
23Par contre, les jardins de la banlieue de Paris sont soumis à l'impôt ecclésiastique ; cette originalité n'est qu'apparente puisque « les cultures maraîchères, en devenant des cultures principales, étaient gros fruits et, comme telles, soumises à la dîme38 ». La définition du jardin par les légistes et par les décimateurs recouvre celle des dictionnaires et des traités contemporains : l'utilité, l'agrément et l'intimité.
24Le premier élément d'une définition d'un jardin devrait insister sur la clôture ceinturant entièrement le terrain. La surprise du vigneron Ciprien-Charles Lecomte, nommé pour expertiser les terres et vignes louées à un vigneron du Plessis-Bouchard39, par un bourgeois parisien, devant ce qui, d'après le bail, devrait être un jardin, souligne l'importance primordiale de la clôture : « sur quinze perches de terre scise terroir dudit Plessis-Bouchard, derrière la maison [...] désigné par le contrat susdatté être le jardin, et cependant les avons trouvé non clos de mur ny d'hayes40 ».
25Le jardin doit être clos, d'ailleurs les auteurs de traités utilisent les termes « jardins » ou « clos ». Les actes de la pratique reprennent parfois ces deux termes sans qu'il soit aisé de les différencier. Cependant, clos et jardin ne sont pas synonymes. Sur le plan des jardins de Mme Loyseau à Saint-Brice, l'arpenteur a indiqué l'une ou l'autre des appellations. « Jardin » y qualifie un espace clôturé de murs, mitoyen aux bâtiments, où l'utilité cohabite avec l'agréable disposition des parterres et des arbres ; soit un usage en parfaite adéquation avec les définitions contemporaines. Au contraire, dans les clos, les critères esthétiques disparaissent au profit de l'utilité, la disposition des arbres y est moins soignée. Cet espace, clôturé de murs ou de haies vives, n'est pas, contrairement au jardin, intimement lié à l'habitation.
26Lors de l'opération d'arpentage des paroisses fiscales de la généralité de Paris, les superficies sont calculées par nature d'occupation du sol. Le jardin n'y est pas isolé mais intégré dans une catégorie « bâtiment-cour-jardin ». Ce choix souligne la double originalité du jardin : une appartenance juridique à la parcelle d'habitation qu'ailleurs, dans le bassin parisien, on appelle masure ou meix, et un prolongement naturel de l'habitation humaine41. La description, devenue classique, du meix bourguignon par Pierre de Saint-Jacob souligne la spécificité du jardin. Cette parcelle pérenne, clairement délimitée par les chemins et les clôtures, porte l'habitation et ses dépendances, mais aussi les cours et le jardin planté d'arbres. Le jardin peut aussi recevoir des vignes, un bout de pré, car on y cultive ce que l'on veut. « Le meix a donc été un emplacement de maison, mais aussi une parcelle privilégiée, d'exploitation minutieuse et variée42 ».
27La parcelle portant la maison reçoit aussi l'écurie, la grange, le toit à porc. La cour, parfois commune, servant à entreposer le matériel agricole - charrette, échelles... — et le tas de fumier, offre un site abrité où l'on cultive des arbres fruitiers en tige et en espalier ; légumes, arbres fruitiers et vignes sont cultivés dans le jardin ; murs de clôture et d'habitation, haies vives et sèches délimitent cette parcelle. « Bâtiment-cour-jardin » forment un tout, que l'on retrouve dans le descriptif unique inscrit dans les baux. De même, on retrouve, jouxtant cette parcelle, d'autres jardins qui peuvent être loués séparément de l'habitation et qui, dans le modèle bourguignon, pourraient être l'aile du meix. Comme dans les définitions des auteurs contemporains, le jardin vécu est intimement lié à l'habitation et à la présence de l'homme, et il symbolise la propriété ; notons que l'arbre fruitier est intimement associé au jardin, les spécificités de ce lieu risquent fort de rejaillir sur l'arbre.
28Tous ces regards convergent pour définir, et percevoir, le jardin comme une terre privilégiée, intimement liée à l'homme, lieu de l'abondance et de la diversité. Surtout ce jardin n'existe que par sa clôture, d'ailleurs son étymologie provient du franque « gard » qui veut dire « clôture ».
Un espace techniquement privilégié
Un site d'abri
29Défini d'abord par sa clôture, le jardin est avant tout un site d'abri contre les animaux, les voleurs, les contraintes collectives, et le climat. Les traités sur la culture des arbres fruitiers ne manquent pas de discourir sur les mérites et les inconvénients des différentes expositions.
« Or il y a régulièrement quatre sorte d'expositions, savoir : le levant, le couchant, le midi et le nord, [...] si les jardiniers voient que le soleil à son lever et pendant toute la première moitié du jour continu de luire sur un côté, ils appellent ce côté, le côté du levant [...] ils appellent couchant le côté sur lequel le soleil luit pendant toute la seconde moitié du jour, c'est-à-dire depuis midi jusqu'au soir ; et selon le même usage de parler ils appellent midi l'endroit où le soleil donne depuis environ neuf heures du matin jusqu'au soir, ou même l'endroit où il donne le plus longtemps dans toute la journée à quelque heure qu'il commence, ou qu'il cesse d'y donner ; enfin ils appellent le côté du nord celui qui est opposé au midi, et qui, par conséquent, est l'endroit le moins favorisé des rayons du soleil [...] voilà donc au vrai ce que c'est qu'expositions en fait de jardinage, et particulièrement en fait de murailles de jardins, et par là on entend ce que veut dire cette manière de parler si ordinaire parmi les jardiniers, mes fruits du levant sont meilleurs que ceux du couchant ; mes espaliers du levant sont moins souvent arrosés des pluies que ceux du couchant, etc.43 ».
30Les arboristes réservent les expositions du midi et du levant au pêcher et à l'abricotier, au muscat et au chasselas, les expositions du couchant et éventuellement du nord, au poirier. La clôture doit aussi protéger des vents violents et des vents froids ; les premiers risquant de briser des branches et de faire tomber les fruits, les seconds de compromettre la nouaison des fleurs.
31Malheureusement, les rapports d'experts, les descriptions de jardins et les ventes de fruits, s'ils évoquent les espaliers, ne nous permettent que très rarement de savoir quelles sont les expositions utilisées. En 1775, un vigneron de Groslay loue une maison et un jardin « clos de mur planté d'espalier du midy seulement44 » ; ce choix d'exposition est sans surprise. Pour en avoir d'autres exemples, il nous faut recourir à d'autres documents comme les plans. Celui dressé vers 1771, pour les jardins de Madame Loyseau situés à l'entrée du village de Saint-Brice sur la grande route qui conduit de Paris à Beaumont-sur-Oise, témoigne de l'utilisation des quatre expositions. En effet, la présence d'une plate-bande cultivée le long des murs et des bâtiments du principal jardin révèle l'utilisation de ces sites d'abri pour protéger les cultures des gelées printanières et accumuler la chaleur. Sur les 589 m de murs disponibles, 398 m, soit plus des deux-tiers, sont ainsi utilisés. L'exposition du midi est totalement occupée, son ensoleillement permettrait de faire mûrir pêches et muscats, et d'avancer leur maturité de cueillette. Au contraire, sur celle du septentrion, seul un quart de la longueur est utilisé pour des cultures. Il est probable que l'on tente d'y conduire quelques poiriers d'hiver, seuls arbres qui pourraient, à l'occasion d'une belle arrière saison, parvenir à maturité. Cependant celle-ci n'étant jamais assurée, cette exposition est souvent délaissée.
32Ainsi les quatre expositions exploitées permettent de jouer avec les saisons de maturité de cueillette, de l'avancer ou de la retarder, et de limiter les risques liés aux aléas climatiques. Il est à noter que les murs des bâtiments sont aussi utilisés, ils sont d'ailleurs particulièrement recommandés pour les figuiers par les arboristes45 à condition de les protéger de l'égout de la toiture. Ces hypothèses sur les cultures pratiquées le long des murs, fidèles aux conseils des traités contemporains, sont confirmées par la mise aux enchères, en 1752 et en 1753, des fruits des clos et jardins de Mme Loyseau : à côté des cassis, des cerisiers et des noisetiers, on trouve des espaliers, des treilles de chasselas et de muscat46.
33Si, dans le potager du château de La Roche-Guyon, toutes les expositions ne sont pas mises à profit pour conduire des espaliers, en revanche on utilise la totalité des murs qui regardent le midi, soit plus de 190 mètres. L'ensoleillement devra y porter à maturité des pêches, des poires de Bon-Chrétien d'hiver et des abricots. D'autres pêchers sont aussi cultivés en espaliers sur une soixantaine de mètres exposés vers le couchant. Les variétés de pêchers qui y sont cultivées se retrouvent aussi au pied du mur exposé au midi, le jardinier cherche donc à avancer et à retarder au maximum la maturité de cueillette des différentes sortes de pêches ; le couchant se révélant plus intéressant que le levant pour élargir les périodes de maturité entre les fruits d'une même variété, sans pour autant compromettre la récolte contrairement à l'exposition du septentrion. Enfin, comme dans le jardin de Mme Loyseau, les murs des bâtiments, notamment ceux de la maison du jardinier, servent d'abri, révélant la volonté d'une utilisation optimale de l'exposition plein sud.
34Une convention pour jouissance entre Jean-Baptiste Langlois et la veuve de son frère, Martine Apolline Emeri, nous offre la possibilité d'entrer dans le jardin d'une maison possédée par des marchands47. Ces deux frères avaient partagé en deux lots égaux « une grande maison, cour, grand jardin situés à Deuil rue d'en haut » acquise en 1741. Par testament, Jean-Noël Langlois lègue à son frère la moitié de sa part, l'autre moitié étant pour sa veuve. Cet acte de 1760 a donc pour but de constituer « deux lots justes et égaux [...] et ce pour la jouissance seulem(en)t et non la prop(rié)té en laquelle chacun des parties continuera d'avoir sa part indivise au total ». Ce document présente le double avantage de partager les espaliers se trouvant dans le jardin et de reporter les lots sur un plan joint à l'acte. Midi, levant, couchant et septentrion, toutes les expositions de ce jardin, totalement clos de murs, sont couvertes d'espaliers ainsi que les cloisons des bâtiments donnant sur le jardin. Afin d'y multiplier les espaliers, un mur de refend (les lots 19 à 24) a été bâti perpendiculairement à la clôture. Le premier partage, indiqué par la notation « jean langlois » d'une part, et « 1er lot, 2e lot » d'autre part, tout comme le second marqué par « 1er lot » et « 2e lot », traduit la prise en compte dans la juste répartition, non seulement des longueurs mais aussi des expositions, donc des avantages et des inconvénients de chacune.
35Tout comme cet acte de partage, le plan de la maison et jardins de Mme Loyseau illustre l'importance des murs dans les maisons des champs : l'espace y a été fractionné en quatre jardins à finalités différentes. Dans la maison de campagne appartenant au maître des requêtes ordinaires Pierre-Marie Théroux et à sa sœur, située au village d'Ormesson48, les arbres fruitiers sont répartis dans trois jardins clos, un grand et deux petits, à proximité du « grand corps de logis de lad. maison49 ». La division du jardin en plusieurs petits jardins divisés par des murs, afin de multiplier les sites d'abri pour les espaliers, a fait la réputation du jardin de Girardot à Bagnolet50, partagé « en petits enclos de vingt à vingt-cinq pieds séparés par des murs de refend51 ». On peut aussi en admirer à Montgeron chez Fabus, receveur général des domaines et bois de la généralité de Paris52, à Nointel chez le secrétaire du roi Bergeret53, au château de Croix-Fontaine chez le fermier général Bouret54.
Figure n° 13 : Des murs tapissés d'espaliers dans un jardin « villageois »
(xviiie siècle)

36Les espaliers ne sont pas une chasse gardée des privilégiés, dans ce jardin, appartenant à des marchands autochtones, les quatre expositions sont utilisées pour conduire des arbres fruitiers ce qui permet de multiplier les variétés fruitières, des poiriers aux pêchers probablement, et de jouer sur la maturité de cueillette afin d'obtenir des fruits précoces et tardifs. Le partage équitable de toutes les expositions témoigne d'une utilisation optimale des murailles. D'ailleurs, un mur de refend (lots 19 à 24), bâti perpendiculairement à la clôture, permet de multiplier les espaliers alors que les murs d'un petit jardin enclavé (lot 18) offriront, « dedans et dehors », un site abrité.
37Mais les jardins coupés ne concernent pas uniquement l'aristocratie et les maisons des champs bourgeoises ; ils sont aussi le principal revenu des villageois de Montreuil pour la production de pêches au xviiie siècle55. À la fin du xviiie siècle et au cours du xixe siècle, le village de Thomery, à l'est de Fontainebleau, s'est spécialisé dans la production de chasselas dans des enclos similaires à ceux de Montreuil. À l'intérieur des enclos, on multiplie les murs destinés à recevoir les treilles, et entre les murs, des rangées de contre-espaliers sont plantées. Les vignes y prospèrent, surtout sur les murs orientés au sud afin de profiter au maximum de la chaleur dans la journée mais aussi de celle emmagasinée et restituée la nuit ; l'orientation nord, moins favorable, y est réservée à la culture de poiriers et de pommiers56.
38La petite taille des jardins et le fractionnement des grands jardins entretiennent un microclimat profitable à la culture des arbres fruitiers :
« aux environs de Paris, on élève les Abricotiers en espaliers dans les jardins grands et fort découverts ; mais on les élève en buisson, ou en plein vent, dans les jardins petits et bien abrités, et le fruit en est meilleur57 ».
39Heureuse conséquence involontaire, le fractionnement des jardins paysans, suite aux partages successoraux à tendance égalitaire de la coutume de Paris, entretient, en multipliant les clôtures et en réduisant les superficies des jardins clos, un microclimat favorable à des espèces fruitières plus délicates.
40La paysannerie semble en avoir conscience puisque la zone des jardins, autour du village, se caractérise par la juxtaposition de jardins parfois possédés par un même ménage. À la lecture des baux, des actes de vente et des partages de succession, il ne semble pas que les villageois aient la volonté de se (re)constituer des jardins d'une seule étendue. À Maffliers, la veuve de Nicolas Le Page, possède dans le village, une parcelle de 6 perches contenant « maison, court et jardin », une autre de 9 perches et un petit jardin de 4 perches, soit trois jardins sur moins de 19 perches ! Dans ce village, la taille des parcelles, possédées par des membres de la communauté rurale, portant l'habitation, la cour et le jardin, s'échelonne de 3,5 perches à 130 perches ; plus de 60 % font moins de trente quatre perches et 20 %, moins de dix perches58. Or la superficie des jardins est encore moindre, puisqu'il faut retirer la surface occupée par les bâtiments. À proximité des habitations, les jardins peuvent donc couvrir de très petites dimensions tel ce « petit jardin, dans lequel sont deux pruniers, de quatre toises ou environ de large d'un costé et se retressissant en pointe sur douze toises de long59 ». Malgré tout, on parvient à y cultiver des arbres fruitiers tout comme dans les cours.
Le lieu d'un fort investissement en temps
41« Les jardins ne pouvant que par une culture perpétuelle être en état de donner du plaisir, il ne faut prétendre de les mettre jamais sur ce pied-là, s'ils ne sont entre les mains d'un jardinier intelligent et laborieux ». Dès le début de son chapitre sur les « moyens de se connaître en choix de jardiniers60 » La Quintinie met en avant l'importance du travail quotidien que nécessite le jardin. Le jardinier doit être :
« toujours le premier et le dernier à son ouvrage [...] qu'il n'a point de plus grand plaisir que d'être dans ses jardins, et principalement les jours de fête ; si bien qu'au lieu d'aller ces jours-là en débauche ou en divertissement, comme il est assez ordinaire à la plupart des jardiniers, on le voit se promener avec ses garçons leur faisant remarquer en chaque endroit ce qu'il y a de bien et de mal, déterminant ce qu'il y aura à faire chaque jour ouvrier de la semaine, ôtant même des insectes qui font du dégâts, reliant quelques branches que les vents pourraient rompre et gâter, si on remettait au lendemain à le faire, cueillant quelques beaux fruits qui courent le risque de se gâter en tombant, ramassant les principaux de ceux qui sont à bas, ébourgeonnant quelques faux bois qui blessent la vue, qui font du tort à l'arbre et qu'on avait pas remarqué jusque-là, etc.61 ».
42Ces insectes à détruire, ces branches à palisser ou ces faux bois à ébourgeonner ne sont pas le seul fait des jardins aristocratiques, on les retrouve aussi dans les jardins de la paysannerie ; cette citation de La Quintinie évoque le fort investissement en temps que nécessite un jardin, quel que soit le statut social du propriétaire. Le jardinier de Pierre Gary, notaire au Châtelet de Paris, s'engage à entretenir le « clos et jardin de (l)a maison de Mauléon audit Saint-Brice » ; il devra labourer cinq fois chacun an tous les arbres, « et lors que les fruictz commanceront à pouser, grousler62 et escheniller les arbres et en hiver en ôter la mousse, et palissader les arbres nécessaires », « labourer et entretenir la pépinière estant dans ledit clos en temps et saison convenable63 ».
43La taille et le palissage illustrent parfaitement les laborieuses activités horticoles. Les soins nécessaires à la bonne conduite d'un espalier traduisent ce fort investissement en temps : il faut patiemment et régulièrement ébourgeonner, pincer et palisser l'arbre fruitier. Le travail nécessaire pour le palissage à la loque est tel qu'il retient l'attention d'arboristes pourtant peu enclins à se pencher sur les conditions de travail des jardiniers : pour René Triquel cette manière de palisser « coûte trois fois plus de temps que les autres64 » et pour l'abbé Gobelin « c'est le plus malheureux ouvrage que l'on puisse jamais faire ; car c'est tousjours à recommancer, et un jardinier n'advancent pas son travail65 ».
44Les conséquences de l'éclaircissage sur la grosseur et la qualité du futur fruit sont parfaitement connues, ainsi l'abbé Gobelin conseille à ses lecteurs :
« si vous estes curieux d'avoir de belles et grosses poires, pour faire présent à vos amis, et pour présenter, quand vous avez bonne compagnie ; il faut au commencement de juin, quand vos poires sont bien nouées, en couper la plus grande partie avec des cizeaux66 ».
45L'éclaircissage à la main, et non par voie naturelle, trouve son terrain de prédilection dans le jardin. C'est aussi dans le jardin que la gestion de la période de maturité est poussée à l'extrême. Outre le jeu des expositions des murs à espalier, on peut y améliorer le mûrissement du fruit et sa coloration en le découvrant progressivement des feuilles protectrices67, mais l'opération requiert soin, délicatesse et savoir-faire car « trop tôt faite, elle seroit plus nuisible que profitable68 » ; en revanche les pêches tardives doivent être découvertes de bonne heure. Bien évidemment, cette opération n'est réalisable que dans les jardins, et elle est surtout destinée aux pêches, poires et raisins de table conduits en espalier. Ainsi le beau fruit — gros et coloré, hâtif ou tardif — ne peut provenir que du jardin.
46L'importance des soins à apporter au jardin se retrouve dans les clauses techniques des baux concernant ce lieu privilégié ; elles ont une nette tendance à être plus bavardes que celles destinées à des héritages en plein vent. Un bail de 1650, louant plusieurs héritages, dont trois jardins, deux prés et une oseraie, mentionne les obligations suivantes :
« tenir le jardin de lad. maison en bon estat et valleur, clos et fermés de hayes, comme aussi d'entretenir les autres jardins bien et dument iceulx fumer deux fois pendant ledit temps, garder et conserver les arbres fruitiers estant en iceulx sans pouvoir coupper en iceulx aulcun bois sec mort ni vif sans le consentement dud. bailleur, labourer, fumer, cultiver lesd. pré par solles et saisons ordinaires sans les dessoller ny dessaisoner, couper led. osier bien et duem(en)t en la saison convenable69 ».
47La précision et la longueur des clauses techniques semblent y dresser une hiérarchie de l'intérêt porté par le bailleur à ces trois occupations du sol : les jardins avec en premier lieu le jardin jouxtant l'habitation, ensuite les prés et, en dernier, la pièce plantée en osier.
48Comme le rappellent les baux, le jardin est un lieu abondamment fumé. Le marchand Martin Ganneron prend à titre de loyer trente-six perches de jardin plantées d'arbres fruitiers « à la charge de mettre la présente année vingt-quatre sommes de fumier dans ledit jardin et en continuant douze sommes par chacun an70 » ; « douze sommes par chacun an » alors que les terres en plein vent sont fumées, au mieux, tous les trois ans. Ainsi le jardin, avec la chènevière, est le seul espace où le paysan peut « maintenir le taux d'humus par la simple fumure animale71 ». Au fumier d'origine animale, voire humaine, s'ajoute, sans doute, de la fumure végétale.
49Ce site d'abri est aussi celui où l'irrigation est possible. Le grand privilège du jardin, par rapport au reste du finage, réside peut-être moins dans l'importance du fumier, bien qu'elle soit primordiale, que dans les arrosages possibles. Alors que les champs sont régulièrement fumés, en l'absence de système d'irrigation en Île-de-France, l'apport d'eau en période de sécheresse leur est interdit contrairement aux jardins. En effet, tous les traités horticoles contemporains insistent sur l'indispensable présence de l'eau dans les jardins ; la pièce d'eau n'est pas uniquement un élément de décor, elle doit aussi servir de réservoir. Quant aux calendriers détaillant les travaux du bon jardinier, ils insistent sur les arrosages nécessaires à partir du printemps, or l'investissement en temps qu'exige cette opération ne peut que la circonscrire aux jardins. Cet avantage est loin d'être négligeable en période de sécheresse toujours possible en Île-de-France ; celles des printemps 1778 et 1779 ont marqué La Bretonnerie72, celle de 1732 a « causé la stérilité des fouins dans les jardins et héritages du terroir [de Domont] qui ne produisent presque rien73 ». De même, lorsque le Jardinier françois conseille, lors des fortes chaleurs, de mettre, autour des pieds des arbres, de la fougère pour garder l'humidité de la terre, cette opération n'est envisageable que dans la petite superficie du jardin74.
Le jardin, un laboratoire de la taille
50L'optimisation du site d'abri offert par le jardin a obligatoirement entraîné une pratique de la taille, qui, à l'origine, a dû être une réponse à des contraintes d'espace. À partir du moment où l'on utilise un mur pour dresser un arbre, son développement ne peut qu'être parallèle à la clôture et arrêté en dessous du chaperon. De même, l'arbre de haute-tige, du fait de superficies limitées, se voit préférer d'autres formes, alors que les critères esthétiques des élites tendent à l'exclure des potagers-fruitiers des maisons des champs. Enfin, les fortes densités de plantation dans les jardins induisent obligatoirement une taille. Il faudra donc trouver d'autres formes, d'autres conduites, et sélectionner des porte-greffe limitant le développement aérien du futur arbre, pour créer des arbres qui, adaptés aux contraintes du jardin, pourront profiter de ce lieu privilégié : arbres nains et de demi-tige, espaliers, éventails, gobelets, quenouilles et pyramides répondront à ce défi. La taille systématique et régulière des arbres fruitiers est donc née dans les jardins pour profiter d'atouts climatiques, pour répondre à des contraintes d'espace et à des exigences esthétiques, tout en bénéficiant d'un traditionnel fort investissement-travail.
51Cette avance du jardin pour la taille des arbres fruitiers est renforcée, inconsciemment, par les directives des baux. En effet, la méfiance envers le vol de bois et les clauses très restrictives qu'elle impose dans la quasi-totalité des baux amènent à freiner l'art de la taille hors des jardins et à l'interdire pour les arbres de haute-tige. Les bailleurs doivent « conserver les arbres, les entretenir [...] coupper aulcun bois vert ny sec sans le consentement desd. bailleurs75 », certains baux précisent même « sans la p(rése)nce et consentement dud. Bailleur76 » : la répétition dans les baux des xviie-xviiie siècles de ces mêmes clauses très restrictives, pour ne pas dire prohibitives, tout comme le discours des traités arboricoles contemporains, ne pouvait que conforter une routine qui ne réservait aux arbres en plein champ, au mieux, qu'un « nettoyage » très sommaire.
52Au contraire, les baux concernant les jardins admettent plus facilement la nécessité d'une taille. Il est d'ailleurs symptomatique que le terme « tailler », et non plus simplement éplucher ou entretenir, n'apparaisse dans nos sondages que dans des baux concernant des jardins. En 1658, Michel Davanne, marchand à Saint-Brice, loue pour un an à Nicolas Fournier « une maison, cour, estable, grange et jardin derrière tous les lieux » à Saint-Brice, sur la grande rue ; le preneur s'engage « de bien et duement labourer, fumer, cultiver, tailler les arbres qui seront bons à tailler dans ledit jardin77 ». Louant un jardin clos de haies vives et de murs, les révérends pères de l'oratoire d'Enghien prennent soin de préciser que le preneur devra
« bien et duement entretenir lesd. hayes vives, labourer, fumer ledit jardin et tailler lesd. arbres, iceux bien entretenir, et sera loisible audit preneur d'arracher desd. arbres ce qu'il jugera à propos et le bois en provenant appartiendra ausd. sieurs de l'oratoire78 ».
53Si la dernière clause est un garde fou contre d'éventuels abus, le principe de la taille commence à être admis même si le terme « arrachage » peut marquer une certaine réticence.
54L'acte le plus audacieux au sujet de la taille, rencontré dans nos sources, concerne deux jardins, un de 12,5 perches et l'autre de 37,5 perches ; le bailleur, un marchand parisien, précise que les arbres devront être
« esmousser et esplucher (du) bois mort qui se trouvera, coupper et oster les branches qui se trouveront de superflus et qui se trouveront nuire les ungs aux aultres, oster le bois et arbres morts qui seront sur lesdites pièces dont led. bailleur aurra le bois à son proffict à la réserve des espluchures que ledit preneur prendra à son proffict79 ».
55Le doute n'est plus permis, il s'agit bien d'une taille, et non plus d'un entretien superficiel, visant à contrôler l'armature de l'arbre fruitier ; au-delà de la nécessité admise par un bourgeois parisien, cet acte révèle que le bailleur fait confiance à un membre de la communauté villageoise pour juger des branches superflues. Une dizaine d'années plus tard, c'est encore pour un jardin qu'un bailleur autorise le preneur à « couper et esbouter [les arbres fruitiers] une fois seullem(en)t pend(an)t led. Bail » de sept années80.
56Cependant, même à l'intérieur des jardins, la taille, bien qu'admise, reste entachée de la peur du vol de bois. Un conflit entre un écuyer, lieutenant-colonel d'un régiment suisse, et son jardinier témoigne d'une perception ambiguë de la taille. Melchior Hertelin et son épouse accusent le jardinier de leur maison d'Enghien d'avoir
« fait un dommage considérable aiant coupé l'hiver dernier pendant l'absence des supliants plusieurs branches [...] aux arbres pommiers et seri-ziers [...] ausquels arbres il en a coupé des branches jusques dans le faiste et à tous les endroits où il a ainsi coupé des branches il y a mis de la terre pour cacher son crime ».
57Pour les propriétaires, il ne s'agit plus d'une taille mais bien d'un vol de bois. Et pour bien souligner le « crime » intentionnel, on insiste sur l'absence des maîtres et sur le camouflage, avec de la terre, des plaies occasionnées sur les arbres ; la disparition des échalas, entreposés dans les cours ou fichés dans les vignes, est habilement rappelée pour donner un motif à ce vol : le bois de chauffage. La version de Pierre Bonnel, le jardinier, est tout autre. Il reconnaît avoir coupé, « huit jours avant Noël », « quelques menues branches à des arbres pommiers » mais par « ordre de la dame Hertelin et pour donner de l'air à la vigne [et aux groseilliers] qui (son)t plantée(s) dessus lesd. Arbres ». Le procureur du bailliage d'Enghien rapporte même qu'« un particulier inconnu dit que les branches qui avoient esté coupées ausd. arbres ne pouvoient leur nuire mais au con(trai)re ils en proffiteroient davantage » ; les avantages de la taille sont donc connus. Quant à la boue utilisée, elle n'avait pas pour objectif de masquer les coupures mais de protéger, par un enduit, les plaies des intempéries81.
58L'apport d'eau, le fumage abondant, des labours plus fréquents, l'entretien d'un microclimat, des cultures forcées et une fructification qui tend à être mieux contrôlée grâce à la taille et à l'éclaircissage caractérisent un jardin ; ce milieu totalement artificiel pourra donc accueillir de nombreuses productions.
« Lieu des merveilles », jardin de cocagne
Une concentration de nombreuses productions
59La densité de plantation est d'autant plus élevée dans les jardins que l'on y a sélectionné des formes et des conduites d'arbres moins consommatrices d'espace : arbres nains et demi-tige, éventails et buissons, et obligatoirement les espaliers. Certains jardins atteignent des densités de plantation aberrantes. Au village de Sarcelles, trois pruniers et un abricotier sont plantés dans un petit jardin d'une perche et demie entouré d'une haie morte, ce qui donne déjà une très forte densité, mais en plus le bail y prévoit la plantation de cinq arbres poiriers et pêchers, soit une densité de six arbres par perche82 ! Tel autre « petit jardin contenant quatre toizes de large sur douze toizes de longs [est planté de] plusieurs pruniers83 ». Au Plessis-Bouchard, ce sont pas moins de vingt-cinq arbres fruitiers, dont neuf anciens, et quarante groseilliers, qui sont plantés dans un jardin de quinze perches84 ! Les plus fortes densités de plantations concernent les jardins. Or il ne s'agit que de minima car il faudrait pouvoir y rajouter les espaliers qui ne sont que très rarement dénombrés, ainsi que la haie et l'éventuel coin accueillant une pépinière.
60Dans les Mémoires d'agriculture, d'économie rurale et domestique de la Société Royale d'Agriculture de Paris, Daubeton publie un Mémoire sur le moyen d'augmenter dans un espace de terre, le nombre des arbres, notamment pour « les petits vergers où l'on veut mettre une plus grande quantité d'arbres que l'étendue du terrain ne le comporte » ; il y fait référence aux petits jardins des faubourgs et des environs de Paris où « les arbres sont trop près les uns des autres ». Il propose d'associer des arbres de différentes hauteurs afin d'augmenter la densité de plantation : des framboisiers, des groseilliers, des néfliers, des pruniers et des abricotiers y trouveraient une place entre les pommiers et les poiriers de haute-tige85. Ce mémoire confirme que pour les membres d'une société d'agriculture, comme pour la paysannerie, le jardin doit être le lieu d'une grande diversité variétale et d'une forte densité de plantation ; par ailleurs il souligne un fait que confirment nos sondages : la densité de plantation tend à croître quand la superficie du jardin diminue.
61En plus, ces arbres fruitiers ne sont pas les seules productions des jardins, ils doivent partager leur espace avec des légumes et des cultures fourragères, des vignes et des arbres non fruitiers, voire avec quelques fleurs, « de quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet86 ». Des pois, des fèves, des choux, des haricots, des herbes, des oignons voire des asperges et des artichauts sont aussi cultivés dans les jardins des campagnes parisiennes des xviie et xviiie siècles. De même, les espaliers doivent cohabiter avec les treilles de muscat et de chasselas au-dessus d'eux et avec des légumes primeurs ou des plants à leur pied.
62L'utilisation du mur d'espalier illustre parfaitement l'agriculture intensive abritée dans le jardin. Les intervalles entre les arbres dressés en espalier sembleraient être plus réduits que ceux souhaités par les traités contemporains. D'après Febvrier, membre de la société d'agriculture de Seine-et-Oise, « les propriétaires veulent multiplier les espèces dans un petit espace », ce que confirment nos dépouillements, et surtout, pour pouvoir « jouir promptement, on couvre le mur de tige ou demi-tige placée à douze pieds de distance et on met une basse tige entre87 ». En plus, pour utiliser la totalité du mur, il est courant de faire courir une vigne sur la partie supérieure du mur, et ce d'autant plus que la treille de chasselas ou de muscat se développe rapidement, et donne plus tôt que les arbres fruitiers. Ainsi le mur est entièrement couvert, ce qui peut laisser penser à une bonne utilisation du support puisqu'on obtient plusieurs productions. Enfin, dans les plates-bandes des espaliers des légumes, des fraises, voire des fleurs88 sont cultivés.
63Dans un jardin appartenant à un laboureur, au village de Saint-Prix, « le long du mur en espallier au midy il y avoit environ trois perches et demy de semé en pois qui étoient récolté89 » ; les bonnes expositions, celles du levant et du midi, sont particulièrement disposées à recevoir des primeurs, des pois, des laitues d'hiver90... Ainsi, en juillet 1704 à Domont, des inconnus pénètrent, de nuit, dans un jardin appartenant à un bourgeois parisien ; ils y dérobent « les fruits de plusieurs arbres avecq les pois et febves qui y estoient semés91 ». Déjà en 1651, dans le premier traité détaillant réellement la culture des espaliers, Bonnefons conseillait de donner quatre labours par an aux arbres en espalier,
et « vous pourrez faire semer sur ces labours, des petites herbes qui se lèveront d'un labour à l'autre, comme laictues, pourprier, cerfueuil, chicorées, mesme y eslever de jeunes choux pour replanter, bref tout ce qui se lève, et ne séjourne pas beaucoup en un endroit92 ».
64Ce conseil se retrouve dans les contrats de jardinage : tel jardinier doit labourer, émonder et écheniller les arbres fruitiers mais aussi semer « aud. jardin toute sorte de semance convenable chacun en la saison » dont des pois, des fèves et des haricots93.
65Quand un traité horticole, un bail ou un plan évoque un potager, il ne s'agit jamais d'un espace exclusivement réservé aux légumes, l'arbre fruitier n'est jamais très loin. Pour La Quintinie, le terme « potager » recouvre les « fruits rouges, fraises, framboises, cerises [et] groseilles94 », et c'est tout naturellement que le Nouveau traité des jardins potagers (1692) se termine par un chapitre intitulé « des fruits du jardin », au nombre desquels sont évoquées cerises hâtives, groseilles, framboises et fraises. Dupain de Montesson, dont le regard géographique a déjà été souligné, divise les jardins potagers en carrés « ordinairement bordés de platebandes, où se trouvent des arbres fruitiers en buisson, et d'autres de hautes tiges ». Pour souligner les divers légumes semés et repiqués, il trace de petits sillons de différentes teintes vertes à l'intérieur des carrés puis il dessine autour des arbres en élévation95. Dans le plan du potager du château de La Roche-Guyon, les arbres fruitiers, probablement en contre-espalier ou en éventail, encadrent des carrés labourés et coloriés de différentes teintes indiquant ainsi la diversité des légumes cultivés. À Saint-Brice, le « grand jardin potager » de la maison seigneuriale de Mauléon, est planté d'arbres buissons et d'espaliers96.
66Dans les jardins de la paysannerie, il n'y a pas d'espace spécialement réservé aux arbres fruitiers, on en plante partout où il y a de la place jusque dans les cours et dans les recoins des bâtiments. Même désigné sous le terme de potager ou de jardin à verdure, un jardin sans arbres fruitiers est extrêmement rare. En 1653, Jean Tardy, marchand à Saint-Brice, prend à titre de loyer « une maison, grenier dessus couvert de thuille, communauté de cour avec permission de prendre des herbes au jardin potager et la dépouille d'un pommier qui est au bout du jardin97 ». Par contrat signé le 21 novembre 1650, le marchand Nicolas Vacher pourra jouir pendant six années « d'une travé de maison, cour commune et ung petit jardin à verdure planté d'arbres fruictiers assis aud. Piscop, sis le Petit Piscop98 ».
67Si l'arbre fruitier voisine avec des légumes dans les jardins paysans comme dans les jardins des maisons des champs, et même si les deux espaces répondent à une logique d'accumulation des variétés fruitières, l'organisation de l'espace est là pour rappeler la distance sociale. La petite superficie des jardins paysans, associée à la grande diversité des cultures annuelles et permanentes qui y sont cultivées, doit fournir au printemps et à l'été une image à la fois de profusion et de confusion. Contrairement aux jardins paysans, le bon ordonnancement d'un jardin d'une maison de campagne doit respecter, comme code du bon goût, de ne pas mêler les espèces fruitières ; il est vrai que les superficies disponibles ne sont absolument pas comparables. L'aspect visuel et esthétique du potager-fruitier en est la principale raison, car les développements plus ou moins rapides des espèces fruitières nuiraient à un bel espalier uniforme et à d'harmonieux alignements de buissons. Pour y remédier, les traités arboricoles conseillent vivement de ne dresser sur un mur et de ne planter dans les carrés, uniquement les mêmes espèces fruitières. Le plan des espaliers de pêchers et de poiriers dressés dans le potager-fruitier de La Roche-Guyon témoigne de ce souci : les quinze pieds de poiriers de Bon-Chrétien d'hiver ne sont pas mêlés aux pêchers, mais quatorze forment un même alignement, et un autre est isolé contre le mur d'un bâtiment. Le jardinier de la princesse de Condé, à Anet, est catégorique : « quand vous plantez des potagers, il ne faut point mêler les poiriers, les pommiers, les pruniers et autres ensembles, cela est vilain et sans règle, et ressemble aux jardins de païsan99 ». Outre le respect de critères esthétiques, cette répartition marque aussi un souci aristocratique de spécialiser l'espace ; la même préoccupation se retrouve dans le choix des jardins-coupés qui permettent de séparer la culture des arbres fruitiers du jardin d'ornement.
Le jardin procède d'une rationalité de pays de cocagne
68En réponse à la peur ancestrale de la disette et de la cherté des denrées alimentaires, mais aussi en réponse à la fiscalité, le jardin appartient à une rationalité de pays de cocagne. Face à la pénurie toujours possible, le jardin doit être le lieu de la diversité, de la profusion salutaire, au même titre que les fêtes compensent l'angoisse et les soucis quotidiens100. L'arbre fruitier est particulièrement adapté à ce pays de cocagne car son développement aérien permet l'utilisation du sol pour d'autres cultures, et il fournit lui-même plusieurs productions : les fruits bien sûr, mais aussi les greffons et les porte-greffe, les fatrouillettes et la feuillée, laquelle, en année de disette fourragère, peut même servir de fourrage. De surcroit, l'arbre fruitier devient un élément incontournable du pays de cocagne, car le fruit appartient au règne du sucré, du dessert ; un aliment qui vient enrichir un régime alimentaire dominé par les céréales, mais surtout un aliment « festif » car superflu. Bien qu'il soit impossible de quantifier cet apport, les fruits du jardin accédaient à la table paysanne ; par le jardin, l'alimentation paysanne ne peut pas ignorer le dessert.
69Cette surexploitation du jardin tient aussi à la propriété. Associé à la parcelle d'habitation, le jardin devient symbole de la propriété et de l'individualisme agraire possible face à la communauté rurale. Avant la misère, c'est bien souvent le dernier bien foncier que l'on possède, et les accords de succession prennent grand soin de le partager équitablement.
« On décrit souvent le manouvrier de nos campagnes du bassin parisien comme un micro-propriétaire arrivant, dans la plupart des cas, à posséder sa maison, une humble maison "bloc à terre" comprenant deux pièces et un appentis où loger quelques outils et quelques provisions ; maison entourée d'un petit jardin ou d'une petite cour, maison possédée à titre définitif ou "à rente", maison transmise par voie d'héritage plus que maison achetée avec des économie difficiles à constituer101 »
70Très logiquement, l'expropriation paysanne a dû renforcer l'investissement consenti à son jardin, d'autant plus que c'est le lieu par excellence de l'individualisme agraire puisqu'on peut y cultiver ce que l'on veut et selon son propre rythme. Là encore, l'arbre fruitier, culture permanente, culture qui pérennise une occupation du sol, ne pouvait qu'être associé au jardin selon le même principe qui pousse les seigneurs à planter des avenues fruitières dans leur seigneurie.
71Mentalement, en réponse aux crises de cherté, aux contraintes collectives et à l'expropriation paysanne, le jardin, généralement planté d'arbres fruitiers, peut être présenté comme un espace compensatoire ; dans cette dimension réside l'explication des fortes densités de plantation de ces « petits vergers où l'on veut mettre une plus grande quantité d'arbres que l'étendue du terrain ne le comporte102 ».
Le lieu de la diversité variétale
72Le 3 octobre 1717, la veuve d'un bourgeois parisien loue pour six années, au marchand Brice Demarne, une maison, cour et jardin, au village de Saint-Brice. Le preneur s'oblige à planter dans le jardin des arbres buissons, à maintenir la treille en bon état et à verser chaque année à la propriétaire, outre un loyer de 36 livres,
« un queuillouere de prune de damas et de monsieur, un ceuillouere de poire des arbres nains et un queuillouer de poire de martin-sec, le tout venant du jardin et à ce cas qu'il en vienne, luy fournir des légumes quand elle sera à Saint-Brice [...] (et) un panié de grosseille103 ».
73Une quarantaine d'années auparavant, deux jardiniers, appelés à titre d'expert, visitent des jardins à Domont ; dès la cour d'une maison, ils notent la présence d'un abricotier et de deux poiriers en espalier, d'un mûrier, d'un cornouiller de haute-tige et d'un lilas, puis dans le jardin [acte déchiré], et dans un clos attenant, trente cerisiers, neuf pruniers, soixante-sept poiriers et cinquante-six pommiers, tous de haute-tige, et vingt petits arbres — cerisiers, pommiers et poiriers — jugés de « nulle valeur104 ». Le 15 janvier 1647, François Morant, marchand à Poncelles, vend pour six années à Simon Darthois « tous et ung chacun les fruits à noyaux et à pépin qui croistront pendant ledit temps dans la cour et jardin de la maison où est demeurant led. Morant size aud. Poncelles sans aulcune chose se réserver sinon la treille seullem(en)t105 ».
74Ces trois exemples témoignent de la diversité des espèces et variétés fruitières que l'on peut trouver dans les jardins, tant des privilégiés que de la paysannerie. Derrière la complaisante énumération, dressée par Schabol, des fruits produits dans les enclos paysans de Montreuil, se retrouve cette accumulation de variétés caractéristique des jardins. Des pêches, des cerises hâtives, des abricots, des pruniers, des poiriers d'été, d'automne et d'hiver, des pommes d'Api, du chasselas et du muscat, des fraises, des framboises et des groseilles106 sont, en effet, des fruits que l'on peut rencontrer dans les jardins proches de Paris.
75Certains fruits hâtifs, tardifs ou fragiles sous le climat parisien, à l'exemple des pêches et des abricots, trouvent dans le jardin un lieu de prédilection et contribuent à en faire un lieu de concentration des espèces fruitières. Le jardin rencontré au détour d'un bail ou d'un contrat de vente est avant tout le lieu de la diversité variétale. Ce n'est pas dans les alignements des voiries, dans les vignes ou autour des emblavures que l'on recherchera à diversifier les variétés fruitières mais bien dans les jardins. C'est dans son jardin fruitier que le propriétaire bourgeois introduira une nouvelle variété. Parmi les vingt-trois variétés de poirier nommément citées dans les actes de la pratique dépouillés, au moins treize sont citées pour la première fois dans des actes concernant des jardins. Et encore, à ces treize variétés, faudrait-il rajouter ces poires « de royal, colmard et vigoureuse », rencontrées dans le grenier d'un bourgeois de Montmorency107 ; en effet, eu égard au contexte socioculturel, ces fruits proviennent probablement de son potager-fruitier. Ainsi dans les trois quarts des cas, les variétés de poires, dont on a pu ou voulu donner le nom, sont cultivées dans cet espace privilégié ; les contemporains, à l'image des traités horticoles, associent la diversité variétale au jardin.
76En 1747, dans un jardin de manouvrier à Domont, sont plantés un pommier de Reinette et un autre de Bondy, ainsi qu'un poirier de Martin-sec et un poirier d'Angleterre108. En 1690, le receveur de la terre et seigneurie de Piscop vend aux marchands-fruitiers François et Nicolas Bourcier, du village de Saint-Brice, des fruits dont quatre poiriers dans un jardin -un de Jargonelle, un de Deux-Tête, un Bon-Chrétien d'été et un à poires blanches - ; dans le même contrat de vente, le receveur se réserve, aussi dans un jardin, un pommier de Reinette et un poirier d'Epargne, ainsi qu'un noyer dans une cour et le potager, mais malheureusement sans préciser les variétés fruitières qui y sont très certainement cultivées109. Dans les années 1680, Jacques Tavernier le jeune, marchand de dentelle de Villiers-le-Bel, loue à un autre marchand deux jardins contenant des pommiers, des pruniers, des pêchers, des néfliers, des cerisiers, des guigniers, des châtaigniers, des noisetiers et des groseilliers ainsi qu'une quinzaine de variétés différentes de poirier110 !
77Les jardins ruraux, de la paysannerie à ceux des maisons des champs, sont donc le lieu par excellence de la diversité variétale. Pour la maison des champs, c'est une conséquence du bon goût qui pousse à la collection et à la plantation des arbres à la mode, mais aussi de la nécessité de s'approvisionner en fruits une grande partie de l'année. La répartition des arbres fruitiers doit répondre à cette obligation, en évitant d'être submergé par une variété de fruit à un moment donné et de connaître, ensuite, une disette. Dans le choix des arbres fruitiers, il faut, pour chaque espèce, préférer des variétés dont les maturités de cueillette se succèdent, et éviter une excessive abondance de fruits moyens ou médiocres qui mûrissent en même temps que d'autres d'une qualité supérieure. Pour Saussay,
« il ne faut se charger d'une grande quantité de poires d'été [...] l'été fournissant assez d'autres fruits, comme les fraises, les cerises, les bigareaux, les groseilles, les prunes, les figues, les abricots, les pêches [...] et tous ces fruits étant meilleurs pour l'été, il suffit d'avoir un peu de poires des meilleures espèces111 ».
78« En général, la diversité des plants et des fruits est plus profitable que la grande quantité d'une même espèce : si l'un manque, l'autre réussit. La consommation et le débit en sont plus faciles. Il est agréable d'avoir tous ses besoins chez soi, et un superflu même dont on peut disposer112 ». Ainsi dans le potager-fruitier de La Roche-Guyon pas moins de six cent soixante-quinze arbres fruitiers sont élevés — chiffre raisonnable pour une résidence aristocratique si on le compare aux neuf cent quatre-vingt-dix arbres que Le jardinier solitaire place dans son potager-fruitier — dont quatre cent quarante-deux poiriers, cent quarante-trois pommiers, soixante-dix pêchers, seize pruniers, et quatre abricotiers ; quarante-deux variétés différentes sont représentées. On a pris soin d'y cultiver, à la fois, des fruits à maturité de consommation proche de la maturité de cueillette, et des fruits de garde, des fruits d'été ainsi que des fruits d'automne et d'hiver.
79Par contre, certaines espèces fruitières sont exclues des jardins. Autour de Paris, le jardin est le lieu par excellence des fruits à couteau, on y chercherait en vain des pommiers à cidre. De même, le cerisier ne se retrouve que rarement à l'intérieur de l'enclos privilégié. Il est vrai que dans la vallée de Montmorency les cerisiers sont nombreux en plein champ, mais Le jardinier françois fait le même constat ; dans son chapitre pomologique sur les meilleures espèces fruitières à élever dans le jardin, il se contente de préciser : « pour les cerizes et bigarreaux, d'autant qu'il s'en fait des plans particuliers, je n'en feray aucune mention113 ». Seul le cerisier hâtif conduit en espalier est admis par les jardinistes à profiter de l'abri du jardin, mais nous ne l'avons jamais rencontré.
Le jardin, lieu d'adaptation des nouveautés
L'impact des modes dans les jardins
80Le jardin devrait être le lieu où l'impact des modes se fait sentir puisque les traités contemporains s'intéressent surtout à cet espace et l'engouement pour l'arboriculture ne concerne que ce milieu privilégié. Tout visiteur qui pénétrerait pour la première fois dans le potager-fruitier du château de La Roche-Guyon saurait que la pêche est un fruit prisé dans les années 1740. Le premier traité décrivant les murs à pêche de Montreuil date de 1745 ; or, les murs en espaliers y sont monopolisés par les pêchers. Seule la poire de Bon-Chrétien d'hiver, avec quatre abricotiers, parvient à s'y faire une place ; il y vrai que le plébiscité Bon-Chrétien d'hiver peut se consommer de décembre à mai114 et reste une valeur sûre de la pomologie parisienne. Non seulement, les pêchers ont l'honneur des espaliers mais en plus quatorze variétés différentes y sont cultivées. Le même visiteur s'apercevrait que le palais distingué ne peut apprécier que les pêches d'espalier puisqu'il chercherait en vain d'autres pêchers conduits en tige.
81Continuant sa promenade dans le potager, il comprendrait que les poires jouissent d'un traitement de faveur. Certes, seule une variété a droit aux honneurs de l'espalier, toutefois les poiriers représentent 44 % du total des fruitiers plantés, et le nombre de variétés de poiriers y est identique à celui des pêchers. Par contre, la sélection de pruniers y a été exigeante : seules cinq variétés ont droit à cet espace privilégié. Le plan du potager-fruitier de La Roche-Guyon illustre parfaitement l'engouement pour certaines espèces fruitières tel que nous avons pu le déterminer à partir de l'étude des traités horticoles, des ouvrages pomologiques et des catalogues des pépiniéristes. L'impact des modes y est évident. De même, c'est en 1752 et dans un jardin, qu'apparaît pour la première fois, dans nos sondages, le cassis. Or, à la même époque, ce fruit, promu au rang de panacée, semble devenir une véritable marotte.
82En plus du choix des variétés fruitières, l'impact des modes devrait aussi se retrouver dans la taille et la conduite des arbres fruitiers, d'autant plus que ces deux aspects ne concernent que les jardins. La mode puis la disgrâce du contre-espalier, et bientôt celle du buisson remplacé par l'arbre en éventail et en quenouille, ont comme décor cet espace privilégié. La conduite en espalier, à partir de la seconde moitié du xviie siècle, se retrouve aussi bien dans les jardins paysans que dans ceux des maisons des champs. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, Schabol et La Bretonnerie insistent sur l'engouement des propriétaires privilégiés recherchant tous des jardiniers de Montreuil pour dresser leurs espaliers.
83Si l'impact des modes est évident dans les jardins des privilégiés qui doivent avoir le bon goût de les suivre, son influence dans les jardins villageois est beaucoup plus difficile à saisir. Ces jardins connaissent l'espalier, au moins dès la seconde moitié du xviie siècle, et probablement avant, et ils ne se privent pas de les multiplier. Par ailleurs, au détour d'un bail, d'un partage, un abricotier, un pêcher, des treilles de raisin apparaissent ; les variétés à la mode parviennent à entrer dans le jardin paysan comme le figuier arrivera à être cultivé en plein champ alors que ses cousins profitent dans les caisses des figueries aristocratiques. Le jardin paysan, dans les campagnes parisiennes, n'est pas impénétrable aux modes ; il nous restera à déterminer les voies d'accès. En tout cas, les réussites des clos de Montreuil au xviiie siècle et de ceux de Thomery à partir de la fin de l'Ancien Régime prouvent que la paysannerie-marchande parisienne est capable de s'adapter aux modes et d'y répondre.
Du jardin aux champs
84L'engouement pour l'horticulture est essentiel, car on expérimente des techniques, on apprend des savoir-faire, et on acclimate de nouvelles espèces et variétés fruitières qui, ensuite, pourront quitter le jardin pour les champs.
85L'art de jouer avec le temps, de le retenir et de le forcer, est apparu dans les jardins ; or les solutions techniques pour cultiver et préserver durant l'hiver les figuiers en plein champ s'inspirent des solutions trouvées dans cet espace privilégié. En effet, à l'intérieur des jardins, les figuiers en espalier étaient dépalissadés pour être couchés à terre et recouverts de paille et les branches des figuiers en buisson étaient liées ensemble pour être empaillées ; en plein champ on retrouve le principe de coucher les branches dans la terre et l'usage de la paille. De surcroît, cet arbre étant méditerranéen et objet des attentions des arboristes, avant de connaître les champs, il ne peut qu'avoir été cultivé dans les jardins.
86Le cas du cassis illustre parfaitement le passage du jardin au champ. Dans « son coup d'œil sur le territoire de Seine-et-Oise », Duchesne cite « le cacis de Domont115 ». La première fois que cet arbuste fruitier apparaît dans nos sondages, il est cultivé dans un jardin. Le 16 juillet 1752, Jean Loyseau, seigneur du fief de Mauléon, vend à Jean Beaurain, les fruits de ses clos et jardins à l'exception de « deux litrons de casis dud jardin116 » ; d'après Le Grand d'Aussy, dans son histoire de la vie privée publiée en 1782, le cassis ne serait « guère cultivé [...] que depuis une quarantaine d'années117 ». En 1784, le garde-chasse de la terre et seigneurie de Groslay surprend, dans une pièce de terre plantée de « cazisse », Toussaint et Jean-Louis Testard « qui chacun une houe à la main fouloient un terrier dans laditte pièce de terre et en arachoient les pieds de cazisse qui s'oposoient à leur fouille118 ». Le jardin y aurait expérimenté le cassis, pour répondre à un engouement des années 1750, lui permettant ensuite d'être cultivé en plein champ.
87À côté des figuiers et des cassis, il faudrait pouvoir prendre en compte les nombreuses nouvelles variétés fruitières apparues dans les deux derniers siècles de l'Ancien Régime, qui eurent le jardin pour berceau. Pour l'arboriculture fruitière, le jardin a joué un rôle primordial de pépinière en acclimatant des espèces, en introduisant de nouveaux arbres fruitiers et en donnant naissance à de nouvelles variétés, qui pourront ensuite le quitter pour être cultivés ailleurs.
88Néanmoins, l'influence du jardin ne peut être réduite à l'enrichissement variétal des villages ; elle est aussi perceptible dans les cultures associées à l'arbre fruitier. En effet, il est notable que les associations de cultures intégrant l'arbre fruitier en plein champ sont exactement les mêmes que celles qui sont pratiquées dans les jardins. Ce constat pourrait être interprété comme un indice supplémentaire de l'influence des jardins sur les cultures de plein champ. Ainsi, à la fréquente association de l'arbre fruitier dans les parcelles de vigne, répond celle d'une treille de raisin et d'un arbre fruitier en espalier dans le jardin. La correspondance entre les associations dans les jardins et celles en plein champ témoigne d'une vision cohérente des relations entre ces deux espaces ; l'arbre fruitier y est vécu dans une seule et unique rationalité.
89Le jardin a été un véritable laboratoire où furent élaborés les différents types de taille et où, très probablement, les effets bénéfiques de la taille, tout comme de l'éclaircissage, sur la fructification des arbres et la qualité des fruits furent découverts ; les vergers en plein champ n'allaient pas tarder à bénéficier de ce savoir-faire technique. En effet, au xixe siècle, le principe de la taille et les conduites telles que les gobelets ou les quenouilles se retrouveront à l'extérieur des jardins. Mais déjà en 1697, un rapport de visite rend compte de la présence, dans un quartier de terre à Sannois, de poiriers, pommiers et pruniers « tant en haute tige que buissons » plantés depuis dix à douze ans119 ; normalement le terme « buisson » est employé pour définir une forme donnée à un arbre nain ou de demi-tige dans un jardin, ici il pourrait désigner de petits arbres. Une trentaine d'années plus tard, dans un bail, Brice Huet, un bourgeois parisien, oblige Jacques Quatremain, jardinier à Saint-Brice, à rendre dans neuf années, un arpent et demi de terre, où il y avait de vieux arbres,
« biens plantés en arbres greffés et repris portant fruit à la fin dud. temps tant haute que basse tiche [tige] ainsy quil luy l'ont fourny par led. sieur bailleur qui est un de basse tiche entre les hautes tiches de vingt deux pieds pour les hautes tiches120 ».
90Ce bail témoigne que des arbres élevés pour les jardins peuvent aussi être plantés ailleurs, en tout cas, ce bourgeois parisien en inscrit la preuve dans le finage aux yeux de tous ; des tailles et des conduites d'arbres fruitiers ont déjà commencé à quitter le jardin pour rejoindre les arbres de haute-tige en plein champ.
91L'étude du jardin au prisme de la culture des arbres fruitiers s'inscrit complètement dans la présentation classique d'un lieu hautement privilégié. La culture fruitière y a bénéficié d'une activité laborieuse quotidienne, d'un milieu totalement artificiel suite à l'apport de fumier, aux possibles arrosages, et à l'utilisation de sites d'abri. La taille et l'enrichissement des espèces fruitières cultivées en région parisienne — les deux grandes caractéristiques de l'arboriculture fruitière de l'époque moderne — sont intimement liés aux jardins ; d'ailleurs, les traités contemporains sur la culture des arbres fruitiers sont, avant tout, des traités horticoles.
92Dans le cadre des relations entre la Ville, la Cour et le Village, le jardin devient un lieu stratégique ; véritable creuset où seront élaborées les différentes tailles et conduites d'arbres fruitiers, il convient de se poser la question de l'influence mutuelle jouée par le maître et le jardinier dans cette élaboration. De même, le jardin étant un lieu de renouvellement des variétés fruitières, voire d'acclimatation de nouvelles espèces, la question de leur arrivée dans cette enclave privilégiée, qu'elle soit paysanne ou bourgeoise, et de leur expansion, ensuite, vers les champs, doit être posée.
93Le jardin offre le spectacle quotidien d'arbres fruitiers associés à d'autres cultures et d'une tentative de domestication du temps, pour le retenir ou le forcer, contribuant à intégrer les cultures fruitières dans une rationalité de pays de cocagne. Or l'étude des paysages arborés ayant montré que l'arbre fruitier, même hors du clos privilégié, était fréquemment associé à d'autres cultures, n'est-il pas envisageable que toute l'arboriculture fruitière parisienne réponde à cette rationalité qui aurait justement permis son essor ?
Notes de bas de page
1 Journal œconomique, février 1755.
2 Furetière, op. cit., 1690, article jardin.
3 Joh. Heinrich von Thünen, op. cit., 1842-1850, Iéna, 2nde éd. 1910.
4 Pierre Goubert, Histoire économique et sociale de la France, t. II, 1660-1789, p. 92.
5 Jean Meuvret, « Agronomie et jardinage…», Hommage à Lucien Febvre, Éventail de l’histoire vivante, 1953, t. II, p. 353-362, repris dans Études d’histoire économique, Cahiers des Annales n° 32, p. 153-161.
6 Ibid., p. 157.
7 Ibid., p. 158.
8 Marc Bloch, Les caractères originaux…, éd. de Robert Dauvergne, 1956, t. II, p. 29.
9 Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire économique et sociale de la France, 1450-1660, t. II, p. 591 ; pour le rôle de relais joués par les jardins méridionaux dans l’acclimatation de plantes méditerranéennes voire du nouveau monde via l’Espagne : « dans tous les domaines, qu’il s’agisse de grains, greffes, horticulture, de lignées anciennes à renouveler ou bien d’espèces et variétés neuves, les fournisseurs du Languedoc sont au Sud, jamais au Nord […] A son tour le Midi français se comporte comme un relais ; il puise à pleines mains dans les trésors de la Méditerranée ; puis il cède au Nord une part du butin », Emmanuel Le Roy Ladurie, Les paysans de Languedoc, 1960, rééd. 1985, p. 74.
10 Daniel Faucher, « Les jardins familiaux », Annales ESC, 14e année, n° 2, 1959, p. 297-307.
11 Noël Coulet, « Pour une histoire du jardin. Vergers et potagers à Aix-en-Provence. 1350-1450 », Le Moyen Âge, 1967, p. 239-270.
12 « On ne fait pas au jardin sa part. L’actuel renouveau des études d’histoire de l’alimentation, stimulé notamment par l’enquête qu’ont lancé les Annales sur le thème “vie matérielle et comportement biologiques”, oriente certes les chercheurs vers l’établissement de régimes alimentaires envisagés dans leur globalité ; mais les bulletins publiés jusqu’à ce jour dans le cadre de ce programme de travail n’ont recueilli que très peu d’éléments qui permettent d’apprécier la place des fruits et des légumes dans la consommation, tant au Moyen Âge que dans les temps plus modernes », Noël Coulet, art. cit., 1967, p. 239.
13 Le récent numéro de la revue xviie siècle consacré au jardin classique est représentatif de cette présentation de l’art des jardins : « De l’imaginaire du jardin classique », xviie siècle, n° 209, octobre-décembre 2000, 52e année, n° 4.
14 Ce passage s’appuie sur les articles « jardin » des dictionnaires de Furetière (1690), de Trévoux (1721) et l’Encyclopédie de Diderot et D’alembert (1751-1780).
15 Extrait de N. Ch. de Vers cité dans l’article « Jardin » du Dictionnaire de Trévoux, éd. 1721.
16 L’Encyclopédie, t. 8.
17 Hurtaut et Magny, op. cit., 1779, t. 1, p. 289.
18 Ces deux proverbes sont tirés de l’article « jardin » du Dictionnaire de Trévoux, éd. 1721.
19 Père Rapin, op. cit., 1665, traduction de 1783, p. 233-235.
20 Gentil, op. cit., 1704, préface non paginée.
21 Ibid., préface non paginée ; « quelqu’un qui veuille gouster de ces plaisirs innocens, et qui se sente porté à cette inclination, qui est commune à tant de personnes de mérite », Le Gendre, op. cit., 1652, préface non paginée.
22 Gentil, op. cit., 1704, préface non paginée.
23 Le Gendre, op. cit., 1652, préface non paginée.
24 Annik Pardailhé-Galabrun, op. cit., 1988.
25 Le Berryais, op. cit., 1775, p. 14.
26 Réponse de Louis Liger à la demande suivante : « D’où vient que vous voulez qu’un jardin clos de murailles, est-ce que telle cloture lui est absolument nécessaire ? », La culture parfaite des jardins fruitiers et potagers, 1702, p. 7.
27 Gentil, op. cit., 1704, p. 84.
28 Ibid., p. 137.
29 « Un jardin coupé n’est autre chose qu’un jardin dont toute l’étendue est coupée et recoupée de murs disposés en quarrés, et hauts de neuf pieds sous chaperon, afin que les arbres à demi-tige ayent de quoi s’étendre en espaliers », La nouvelle maison rustique, éd. 1749, t. 2, p. 13.
30 La Quintinie, op. cit., 1690, rééd. 1999, p. 198-199.
31 Pluche, op. cit., 1735, t. 2, p. 143-144.
32 William Wheeler, op. cit., 1998.
33 Jouy, op. cit., 1751, p. 72-73 ; Henri Marion, La dîme ecclésiastique en France au xviiie siècle et sa suppression, 1912, rééd. 1974, p. 36.
34 Jouy, op. cit., 1751, p. 74.
35 Henri Marion, op. cit., 1912, rééd. 1974, p. 37-38.
36 La Bretonnerie, op. cit. 1783, t. 2, p. 93.
37 Ibid., t. 2, p. 92-93.
38 Henri Marion, op. cit., 1912, rééd. 1974, p. 38.
39 Le Plessis-Bouchard, dépt. 95, arr. Montmorency, cant. Enghien-les-Bains.
40 Rapport du 11/12/1777, AD 95, B95/1273.
41 Roger Dion, « la part de la géographie et celle de l’histoire…», rééd. Le paysage et la vigne : essais de géographie historique, 1990, p. 121-122.
42 Pierre de Saint-Jacob, Les paysans de la Bourgogne du nord au dernier siècle de l’Ancien Régime, 1960, rééd. 1995, p. 93-94.
43 La Quintinie, op. cit., 1690, rééd. 1999, p. 185-186.
44 Bail du 02/07/1775, AD 95, 2E7/539.
45 La Bretonnerie, op. cit., 1784, p. 225.
46 Actes de vente du 10/07/1752 et du 01/07/1753, AD 95, 2E7/536.
47 Convention pour jouissance du 10/07/1760, AD 95, 2E7/184.
48 Ormesson, commune de Deuil-la-Barre, dépt. 95, arr. Montmorency, cant. Enghien.
49 Titre de propriété du 07/03/1740, AD 95, 2E7/167.
50 Marcel Picard, Bagnolet dans l’histoire, 1980, p. 101-121.
51 Le Grand D’aussy, op. cit., 1782, t. 1, p. 180.
52 Dezallier D’argenville, op. cit., 1762, p. 312-313 ; Montgeron, dépt. 91, arr. Evry, ch. l. de cant.
53 Ibid., 1762, p. 367-368 ; Nointel, dépt. 95, arr. Pontoise, cant. Beaumont-sur-Oise.
54 Hurtaut et Magny, op. cit., 1779, t. 2, p. 615.
55 La Bretonnerie, op. cit., t. 1, 1784, p. 138 ; présentation du jardin à la Montreuil dans Bailly, Bixio et Malpeyre, op. cit., 1844, rééd. 1999, p. 168-175.
56 Ibid., 1844, rééd. 1999, p. 175-177 ; Le temps des jardins, 1992, p. 520-527.
57 Catalogue des pépinières des Chartreux, 1785, p. 16.
58 Terrier de Maffliers, 1752, AD 95, E/28.
59 Acte de vente du 29/04/1713, le jardin se trouve à Saint-Brice, AN, ET/XXVI/341.
60 La Quintinie, op. cit., 1690, rééd. 1999, p. 75.
61 Ibid, 1690, rééd. 1999, p. 77.
62 Éclaircir.
63 Contrat de jardinage du 16/11/1659, AD 95, 2E7/514.
64 Triquel, op. cit., 1653, p. 84.
65 Gobelin, op. cit., 1661, p. 68.
66 Ibid., p. 62 ; « l’intention aussi qu’on doit avoir en cultivant des arbres ne doit pas uniquement être d’avoir quantité de fruits ; mais il faut particulièrement qu’elle soit de les avoir beaux et gros […] les habiles jardiniers ont jugé à propos que pour les y faire parvenir, il falloit les éplucher », Louis Liger, op. cit., 1700, t. 2, p. 173 ; « éplucher » est ici employé dans le sens d’éclaircir.
67 Louis Liger, op. cit., 1700, t. 2, p. 173.
68 La Bretonnerie, op. cit., 1784, t. 2, p. 82.
69 Bail du 21/10/1650, Piscop, AD 95, 2E7/505.
70 Bail du 05/04/1644, AD 95, 2E7/501.
71 Georges Bertrand, art. cit., 1975, rééd. 1992, t. 1, p. 79.
72 La Bretonnerie, op. cit., 1784, t. 1, p. 453-456.
73 Requête adressée au prévôt de Domont, 22/06/1731, AD 95, B95/835.
74 Bonnefons, op. cit., 1651, p. 39.
75 Bail du 20/05/1650, AD 95, 2E7/73.
76 Bail du 20/12/1650, AD 95, 2E7/74.
77 Bail du 13/06/1658, AD 95, 2E7/513.
78 Bail du 25/10/1700, AD 95, 2E7/136.
79 Bail du 19/10/1664, Saint-Brice, AD 95, 2E7/516.
80 Bail du 10/12/1679, Piscop, AD 95, 2E7/523.
81 Plainte et interrogatoire du 30/01/1704, Enghien, AD 95, B95/1288.
82 Bail du 3/11/1780, AD 95, 2E7/196.
83 Titre de propriété du 23/03/1726, AD 95, 2E7/531.
84 Rapport du 11/12/1777, jardin exploité par un vigneron, AD 95, B95/1273.
85 Daubeton, op. cit., trimestre d’été, année 1786, p. 28-37.
86 La Fontaine, « le jardinier et son seigneur », livre IV, fable IV. Le maître d’école de Silly-en-Multien cultive dans son jardin des fruits, des légumes et des fleurs dont quatre tournesols, 13 juillet 1783, Jacques Bernet, éd., op. cit., 2000, p. 166.
87 Rapport du 02/01/1808, adressé au gouvernement impérial, AN, F10371.
88 Manuscrit anonyme sur le pêcher, non paginé, AN, F10258.
89 Rapport d’expert du 11/06/1778, AD 95, B95/1294, à l’intérieur du même jardin, les experts notent « dix-neuf rayons de vieilles asperges qui ont pu produire environ cinquante botte d’asperges ».
90 La Bretonnerie, op. cit., 1784, t. 1, p. 99-100.
91 Plainte du 29/07/1704, AD 95, B95/833.
92 Bonnefons, op. cit., 1651, p. 29.
93 Contrat de jardinier, 30/09/1647, AD 95, 2E7/504.
94 La Quintinie, op. cit., 1690, rééd. 1999, p. 183.
95 Dupain de Montesson, op. cit., 1776, éd. de 1813, p. 168-169.
96 Rapport du 27/04/1693, AD 95, B95/1182.
97 Bail du 11/10/1653, AD 95, 2E7/509.
98 Bail du 21/10/1650, AD 95, 2E7/505.
99 Saussay, op. cit., 1722, p. 68.
100 Robert Muchembled, op. cit., 1978, rééd. 1991, p. 64-79.
101 Marcel Lachiver, op. cit., 1982, p. 481.
102 Daubeton, op. cit., trimestre d’été, année 1786, p. 28-37.
103 Bail du 03/10/1717, AD 95, 2E7/530.
104 Rapport d’expertise du 25/10/1681, AD 95, B95/832.
105 Bail du 15/01/1647, AD 95, 2E7/504.
106 Schabol, op. cit., 1770, t. 1, p. 98-101.
107 Inventaire après décès du 20/10/1788, AD 95, B95/1788.
108 Inventaire après décès du 27/10/1743, AD 95, B95/836.
109 Contrat de vente du 04/06/1690, AD 95, 2E7/527.
110 Baux du 03/08/1682 et du 27/11/1684, cités par Béatrix de BUFFÉVENT, op. cit., 1984, p. 272.
111 Saussay, op. cit., 1722, p. 16.
112 La Bretonnerie, op. cit., 1783, t. 1, p. 291.
113 Bonnefons, op. cit., 1651, p. 23.
114 Merlet, op. cit., 1667, p. 92.
115 Mémoire de la Société d’agriculture de Seine-et-Oise, 16e année, 1816, p. 89.
116 Vente du 16/07/1752, AD 95, 2E7/536.
117 Le Grand D’aussy, op. cit., 1782, t. 1, p. 227.
118 Rapport du 20/11/1784, AD 95, B95/1790.
119 Rapport du 11/06/1697, AD 95, B95/1190.
120 Bail du 30/12/1723, Saint-Brice, AD 95, 2E7/531.
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