Chapitre III. Le procès
p. 85-118
Texte intégral
1L’instruction écrite n’est qu’une première étape dans l’élaboration d’une vérité qui demeure mouvante jusqu’à la sanction finale que représente la condamnation ou l’acquittement. Le sort des accusés ne réside pas tout entier dans la qualification des faits reconstitués par l’instruction. L’issue du procès se joue véritablement dans l’épreuve que constituent les débats judiciaires. Dans la difficile élucidation des événements ayant précédé ou accompagné le crime entrent aussi en ligne de compte la bonne volonté des témoins à contribuer à l’accusation et l’habileté des avocats. Mais l’art du défenseur ne fait parfois que parachever un processus qui a vu, au cours de l’audience, l’intérêt des magistrats, des jurés et du public se déplacer de la gravité des faits jugés vers la personnalité des criminels.
Les magistrats face aux accusées
2Les crimes s’accompagnent parfois d’actes inutiles de brutalité mais leur sanction n’est pas nécessairement proportionnelle à cette violence. Le comportement des accusées à l’audience, leur position sociale, leurs antécédents, leur réputation viennent modifier l’appréciation que la cour peut avoir de leurs actes. Les magistrats seront d’autant plus enclins à la clémence qu’ils se trouveront face à des femmes qui reconnaîtront leurs crimes, en éprouveront du remords et adopteront une attitude digne, témoignant de leur acceptation du procès et de leur respect pour les instances du jugement.
Comportement des accusées durant les débats
3Lorsque arrive le jour du procès, le temps qui s’est écoulé depuis les faits enlève à ceux-ci une partie de leur intensité dramatique. Les traces du crime sont effacées, le souvenir des victimes s’estompe. Dans les affaires d’infanticide, ce processus est d’autant plus manifeste que les enfants n’ont eu qu’une éphémère existence physique et pratiquement aucune existence sociale, ils demeurent des êtres virtuels. En revanche, les mères coupables ne sont plus seulement des criminelles dont les méfaits sont détaillés dans l’acte d’accusation mais des femmes dont la vie s’inscrit dans une lignée familiale, dans une communauté de quartier ou de village. Conscientes des enjeux du procès, elles s’efforcent de se montrer sous leur meilleur jour. Ce ne sont plus les personnages désincarnés de la procédure écrite, mais des êtres de chair, singuliers, parfois dignes d’intérêt et souvent victimes de l’inconséquence ou de la légèreté des hommes.
4Brouardel, professeur de médecine légale à la faculté de Paris, insistait sur le retournement de point de vue qui s’opère, dans la manière d’envisager les femmes infanticides, entre la découverte du crime et le jugement :
« On trouve le cadavre d’un nouveau-né. Il a été étranglé, frappé d’un ou plusieurs coups de couteau. Le sentiment public est révolté, et si en ce moment on trouvait la femme coupable d’un crime odieux, commis sur un innocent sans défense, alors que cet enfant est le sien, la femme elle-même serait en péril. Le cadavre est là, le juge, les témoins, l’expert ne voient que lui. Trois mois plus tard, aux assises, les jurés, les juges, le public ne voient plus ce cadavre. Ils ont devant eux une pauvre fille séduite, ayant bonne réputation, abandonnée par un individu auquel la justice ne demande aucun compte ; tout le monde a pitié d’elle, on la plaint plus qu’on ne l’accuse1. »
5Il recommandait en conséquence aux futurs médecins légistes la plus grande neutralité dans la rédaction de leurs rapports.
Des êtres de chair
6La beauté des accusées, l’agrément de leur physionomie, la dignité de leur maintien contribuent à faire oublier la cruauté de leur acte. C’est aux qualités physiques et à la facilité d’expression de Jeanne-Marie Cavalan, lingère à Quintin, âgée de 20 ans, que Chellet attribue la clémence dont elle a bénéficié devant la cour d’assises. Bien qu’elle soit accusée d’avoir brisé le crâne de son enfant puis de l’avoir jeté dans les latrines, elle parvient à émouvoir le jury et à obtenir son absolution :
« La jeunesse de Jeanne-Marie, la douceur et l’agrément de son maintien et de son langage, qui sans la rendre moins coupable, semblaient la mettre dans une classe à part de la plupart des malheureuses qui se rendent coupables d’un pareil crime, la condition honnête et la douleur de ses parents, auprès de certains esprits, étaient de nature à produire une impression favorable. Des jurés qui, à la vérité, ont eux-mêmes provoqué leur récusation, ne dissimulaient pas l’intérêt qu’ils lui portaient2. »
7Les magistrats, qui reprochent souvent aux jurés leur « funeste indulgence », ne se montrent eux-mêmes pas indifférents à la physionomie des accusées, particulièrement lorsqu’ils croient reconnaître en elles des vertus « féminines3 ». Ainsi, bien qu’elle ait enfermé son enfant nouveau-né dans un sac et qu’elle l’ait précipité dans les latrines, Marie-Jeanne Pothier, domestique à Redon, âgée de 20 ans, a « intéressé » la cour « par son air d’ingénuité aux débats4 ».
8Le conseiller Fénigan ne se montre pas insensible à l’apparence de Pompée Gouriou, journalière à Langoat, âgée de 32 ans, déjà mère d’un enfant naturel, qui a étranglé son nouveau-né à l’aide du cordon ombilical. Il lui reconnaît de la douceur et une certaine fragilité : « Cette femme est d’une santé délicate, son intelligence est à bien dire nulle ; il est facile de voir à sa physionomie qu’elle a un caractère facile et même doux, ce qui est attesté par le maire de sa commune. » Elle confirmera à l’issue des débats ces qualités toutes féminines en témoignant de son amour pour son premier enfant : « La cour ne l’a condamnée qu’à six années de travaux forcés. Quand je lui ai demandé si elle avait quelque chose à dire sur l’application de la peine, elle s’est mise à pleurer et a demandé qu’on la renvoyât le plus tôt possible auprès de son enfant qui avait besoin d’elle, sa mère étant âgée et ne pouvant lui donner des soins5. »
9La laideur, la faiblesse physique ou le défaut d’intelligence peuvent également être considérés, sinon comme une excuse, du moins comme une atténuation de responsabilité et inciter jurés et magistrats à la clémence. Marie-Louise Mourrain, « fille de mauvaise vie », couturière, tenant un café à Douarnenez, âgée de 34 ans, doit de n’avoir été condamnée qu’à huit années de travaux forcés à son état de santé : « La modération de cette peine, explique le conseiller Taslé, est due à l’état maladif de l’accusée, très infirme et pouvant à peine marcher. C’est, en effet, une femme faible, d’une frêle organisation et boiteuse depuis sa naissance6. » Quant à Euphrasie Frouget, cultivatrice à Plumaugat, c’est son inintelligence qui lui vaut la mansuétude de la cour. Elle est condamnée à douze ans de travaux forcés, mais Hüe ne s’oppose pas à ce que cette peine soit réduite : « Dans l’application de la peine, la Cour a pris en considération le degré d’intelligence de cette accusée, qui est extrêmement bornée. Cette circonstance serait peut-être aussi de nature à attirer ultérieurement sur la condamnée la clémence de Sa Majesté7. »
10Il peut arriver que le manque de discernement des accusées pose le problème de leur responsabilité pénale. Cette question est notamment soulevée à propos d’Anne-Françoise Corre, de Landunvez, dont l’enfant a été retrouvé « horriblement mutilé ». Comme le juge d’instruction qui avait recueilli ses aveux l’avait trouvée « dans un état d’exaltation très intense », le président de la cour d’assises avait cru devoir la faire examiner par un médecin :
« Cette fille étant signalée comme ayant une intelligence très faible, un médecin a été chargé de l’examiner. Je dois transcrire son rapport : “La lucidité des réponses d’Anne-Françoise Corre, les légers mensonges qu’elle a essayé de nous faire, sa conversation avec les autres détenues, la précaution de changer de linge pour cacher son action à son père nous empêchaient d’admettre qu’elle n’avait point sa raison lors de son accouchement et du crime qui en a été la suite. Une seule chose nous frappe lorsqu’on interroge et qu’on examine cette malheureuse, c’est le peu d’émotion qu’on peut lui causer, l’espèce d’insensibilité et d’apathie qui semble dominer toute sa personne et quelquefois une espèce de sourire qui arrive lorsqu’elle répond8.” »
11Bien qu’elle ne soit pas considérée comme réellement irresponsable de ses actes, elle bénéficie d’une sentence plutôt clémente – sept ans de travaux forcés – en raison des hésitations du médecin sur son état mental et aussi, vraisemblablement, de son jeune âge.
12Lorsqu’ils ont affaire à de très jeunes filles, magistrats et jurés ont tendance à penser qu’elles ont pu être la proie d’hommes plus expérimentés, ayant abusé d’un rapport de force inégal. Marie-Françoise Barré, âgée de 17 ans, domestique chez un drapier de Ploërmel, a une apparence frêle et puérile qui incite Le Meur, de crainte que le jury ne se laisse émouvoir, à poser comme résultant des débats la question d’homicide par imprudence : « Cette accusée, âgée seulement de 17 ans, était si frêle, si petite, si délicate, au point de vue physique, qu’elle paraissait à peine âgée de 12 ans, et semblait une enfant n’ayant pas encore atteint l’âge de la puberté ; dans de pareilles circonstances, à moins de violences extraordinaires sur le cadavre de la victime, jamais les jurés ne se seraient déterminés à rendre une décision juste et rigoureuse9. »
13Les « bons antécédents » des accusées contribuent également à atténuer la sévérité du regard porté sur leurs crimes. Même pour les témoins, la personnalité des femmes infanticides ne saurait se réduire à l’horreur de leur acte. Jeanne-Luce Lévêque, âgée de 33 ans, cabaretière à Mésanger, s’est livrée après le meurtre à des manœuvres fort cruelles sur le cadavre de son enfant : elle l’a fait bouillir dans la lessive, dépecé et déchiqueté de ses mains, et en a fait macérer les morceaux dans un baril de vinaigre. Pourtant, elle reçoit, à l’audience, des marques d’estime dont Baudouin s’efforce de combattre les effets sur les jurés :
« La fille L’évêque était, avant son crime, fort estimée dans la localité qu’elle habitait ; elle a même reçu devant la cour d’assises des témoignages d’intérêt et de sympathie si vifs et si recommandables qu’il a été nécessaire d’en combattre sérieusement l’effet sur le jury ; les mœurs de cette fille avaient été jusque là à l’abri de reproches sérieux ; elle avait cédé aux poursuites du frère de son beau-frère, espérant le mariage, et c’est à la suite de cette promesse trompée et peut-être aussi pour lui rendre cette possibilité, que cette fille semble s’être décidée au crime10. »
14Si la violence avec laquelle elle s’est acharnée sur la dépouille de son enfant ne lui enlève pas l’affection de ses proches c’est que, trompée par des promesses de mariage, elle est davantage perçue comme une victime que comme une criminelle.
Femmes victimes et femmes impudiques
15Les jeunes filles dépourvues de protection familiale attirent aussi la commisération de la cour et du jury. En raison de sa jeunesse, de ses aveux, et de sa solitude, Sainte Fauvel, âgée de 19 ans, se voit accorder de larges circonstances atténuantes. Elle avait reconnu avoir étouffé son enfant dans un tablier et l’avoir étranglé à l’aide d’une cravate. Mais le jury et la cour prennent en considération les difficultés de son existence et ne lui infligent qu’une peine de cinq années de travaux forcés. Orpheline, elle était livrée à elle-même dans la forêt de Villecartier, proche de Bazouges-la-Pérouse, où elle exerçait la profession de sabotière.
« L’indulgence du jury et de la cour s’expliquent par l’âge de l’accusée, ses aveux spontanés au juge de paix d’Antrain, lors de sa descente sur les lieux, son repentir, ses larmes pendant les débats, son défaut de ressources pour élever son enfant, et enfin cette circonstance, bien apprise aux débats, qu’orpheline à l’âge de 12 ans, sans appui, habitant seule une loge de sabotier, au milieu de la forêt de Villecartier, elle était plus exposée que toute autre à la tentation à laquelle elle a fini par succomber11. »
16Mais la mansuétude de la cour ne paraît devoir s’appliquer qu’à des femmes qui n’ont cédé à leur séducteur que dans un instant d’égarement ou à celles qui ont su conserver la pudeur propre à leur sexe en évitant de se livrer ouvertement à la débauche. Pour les magistrats, souvent animés de sentiments religieux, il est également important que les accusées aient pris conscience de leur faute et en éprouvent du repentir.
17Appartenant à une « famille honnête », séduite par des promesses de mariage, puis délaissée, ayant témoigné au cours de l’instruction comme aux débats, « d’un grand repentir » et d’une « véritable douleur », Marie-Julienne Dubot, dont le passé est irréprochable, se présente, d’après Baudouin, « dans les meilleures conditions pour obtenir toute l’indulgence de la justice ». Cette ouvrière-cordière de 21 ans, demeurant à Péaule, avait reconnu avoir étouffé son enfant en l’enfouissant sous un tas de paille. Elle n’avait pas dissimulé sa grossesse et son crime ne paraît pas avoir été prémédité. C’était le diable disait-elle, qui lui avait inspiré la pensée de donner la mort à son enfant. Elle paraît en réalité avoir agi par crainte de son oncle, chez qui elle demeurait. Elle a été condamnée à cinq années de travaux forcés :
« La Cour lui a appliqué le minimum de la peine et nous croyons cependant qu’elle pourra encore plus tard mériter une nouvelle faveur. Cette fille a été trompée, elle a cédé aux espérances d’un mariage, et dans le moment même où elle a donné la mort à son enfant, elle semble avoir cédé en même temps à une mauvaise inspiration, à un sentiment d’une autre nature et qui témoignait même d’une véritable honnêteté : cette fille, suivant ses déclarations reconnues vraies, avait fui la chambre où elle couchait, au moment de sa délivrance, parce que, en même temps que sa compagne, quatre jeunes garçons étaient couchés dans la même pièce. […] Peut-être ces considérations paraîtront-elles de nature à mériter plus tard à la fille Dubot le bénéfice d’une mesure de clémence12. »
18Tout autant que les jurés, certains magistrats sont conscients que seules les femmes sont appelées à rendre compte de leurs actes, alors que leurs séducteurs, même s’ils n’ont pas directement participé aux crimes, en portent souvent la responsabilité. Dans certaines affaires, ils se montrent très critiques à l’égard des agissements des hommes.
19Androuïn, par exemple, juge « odieuse » la conduite de Le Bourhis, agriculteur à Moëlan, qui a poussé sa domestique à tuer l’enfant dont il était le père13. Son opinion est partagée par le procureur impérial de Quimperlé : « Il paraît certain que cet homme, s’il n’est pas complice du crime, est complice de la faute qui a précédé le crime. Sa domestique l’accuse de lui avoir donné d’odieux conseils, de lui avoir adressé d’horribles menaces, pour la faire consentir à prendre des breuvages de nature à procurer l’avortement14. » D’abord inculpé de complicité Le Bourhis a bénéficié d’une ordonnance de non-lieu.
20Lambert, lui-même auteur d’un roman inspiré par l’histoire d’une jeune fille lâchement séduite par un ecclésiastique15, se montre également caustique à l’égard des comportements masculins. En 1865, il brosse un portrait très incisif de Vincent, intendant d’un château à Maure, auteur de la grossesse de Marie Mordant, une domestique de 26 ans qui est seule à comparaître devant la cour d’assises :
« Il résulte d’une enquête faite avec le plus grand soin par le juge de paix et la gendarmerie, qu’en regard de cette pauvre fille de campagne, si honnête et si chaste, Joseph Vincent, qui a reçu de l’éducation, était non seulement brutal et inhumain, mais un débauché de la pire espèce, c’est-à-dire couvrant ses vices sous les dehors hypocrites de la dévotion. Marie Mordant le redoutait tellement qu’elle n’avait même pas osé lui avouer sa grossesse dont seul pourtant il pouvait être l’auteur. Des témoins sont venus déclarer avec elle, que plusieurs fois elle avait essayé d’échapper à cette situation, en lui demandant ce qu’il lui devait pour ses gages, pour s’en retourner chez sa mère ; mais qu’il l’avait toujours refusée [sic], en disant qu’il n’avait pas d’argent. Il a été obligé, aux débats, de confirmer lui-même ce fait16. »
21Pourtant, même s’il adopte une attitude compréhensive à l’égard de Marie Mordant, Lambert demeure en deçà de la position du jury, qui est enclin à l’absoudre totalement. Il doit sermonner les jurés pour obtenir une condamnation :
« Vous n’avez pas à juger un procès entre une servante et son maître. Vincent n’est justiciable que de l’opinion publique qui sera sévère, elle, de la cour d’assises qui pourra avoir un degré d’indulgence. […]. Quoi ! Parce qu’un maître a corrompu sa servante, vous diriez au public qu’il lui a donné par-là le droit d’étrangler son enfant ! Messieurs, des agents très ardents d’une fausse philanthropie discutent et contestent à la société le droit d’infliger la peine de mort à celui qui a assassiné un voyageur pour lui voler son argent, à l’épouse adultère qui a empoisonné son mari pour épouser son amant, et vous donneriez ce droit terrible à une mère coupable contre un enfant innocent17 ! »
22Sensible à ces arguments, le chef du jury revient donc de la délibération avec un verdict de culpabilité, et la cour condamne Marie Mordant à cinq années de travaux forcés. Mais cette solution, conforme à l’esprit de la loi, ne satisfait nullement le jury qui s’empresse de déposer un recours en grâce en faveur de la condamnée : « M. le chef du jury est venu nous dire à notre siège, après la condamnation : “Pour l’honneur des principes nous venons d’accomplir un devoir qui nous a été pénible, mais nous avons l’intention de formuler une demande en grâce et nous vous prions, Monsieur le Président, de vouloir bien l’appuyer.” » Lambert finira par s’y résoudre.
23Les magistrats s’apitoient aussi sur la détresse de la famille des coupables, lorsqu’il s’agit de jeunes domestiques confiées à des maîtres indélicats. Marie Denigot, une servante de 18 ans, s’est laissée séduire par Louis Guerchet, laboureur à Malville, âgé de 66 ans, marié et père d’un enfant. Lorsqu’elle avait pris conscience de sa grossesse, elle avait tenté de se réfugier chez sa mère pour y faire ses couches, mais Guerchet s’y était opposé par des menaces. Le jour de son accouchement, il lui avait conseillé « de se cacher dans l’étable et d’étouffer son enfant dès qu’il serait né ». Marie Denigot, jugée comme auteur principal du crime, est condamnée à huit ans de travaux forcés tandis que Louis Guerchet – qui n’est accusé que de complicité – se voit infliger la réclusion criminelle à perpétuité. Sa responsabilité dans le crime, bien que purement morale, est en effet incontestable : « Je crois les peines justes, écrit Taslé, Louis Guerchet surtout ne mérite aucune indulgence. La mère de Marie Denigot la lui avait confiée pure : il l’a indignement séduite, poussée au crime et lâchement abandonnée ensuite, en essayant de rejeter sur elle l’odieux d’un infanticide qu’elle n’avait commis qu’à son instigation18. »
24À l’opposé, les accusées qui, au cours des débats, se montrent « effrontées », c’est-à-dire s’obstinent à nier les faits les plus évidents, ne trouvent aucune grâce devant les magistrats. Car cette stratégie de défense prive les débats publics, moment capital du procès d’assises, de toute dimension pédagogique. En outre, les accusées qui refusent de se plier au repentir et aux aveux, qui ne se tiennent pas à la place qui est la leur, celle de criminelles mises en accusation, font un véritable affront au corps judiciaire. Au-delà de la personne du magistrat, qui se trouve dépossédé de son rôle d’accusateur ou d’arbitre, c’est aussi le rôle de l’appareil judiciaire dans la régulation de la violence qui est ainsi mise en cause. C’est pourquoi la stratégie de Marguerite Le Gallic, domestique à Querrien, qui tente de faire porter la responsabilité de la mort de son enfant sur les voisines que ses maîtres avaient appelées à l’aide au moment de ses couches, et dont elle avait refusé l’assistance, est fort mal perçue : « Aux débats, elle a soutenu avec la dernière effronterie qu’elle n’était pas sortie et qu’elle était accouchée dans la maison, environnée des femmes qui avaient refusé de lui administrer toute espèce de secours19. »
25Le jury n’apprécie pas plus l’acharnement de certaines accusées à dénier les crimes. Perrine Jollivel, agricultrice à Bains, avait donné au cours de l’instruction de multiples versions de la mort de son enfant. Sa réputation était mauvaise : elle était soupçonnée de récidive et avait déjà été condamnée pour vol. Par son attitude à l’audience, présentée comme « indécente », elle s’attire les foudres du jury qui, malgré l’insuffisance de preuves, rend un verdict de culpabilité :
« Le verdict a étonné la cour. Il était démontré sans doute que l’accusée après avoir celé sa grossesse était accouchée clandestinement d’un enfant venu à terme et l’avait fait disparaître. Mais les causes de la mort de cet enfant étaient tout à fait problématiques, l’état des ossements retrouvés ne pouvant servir de base d’aucune conjecture à cet égard. Les détestables antécédents de la fille Jollivel, sa tenue indécente à l’audience l’ont perdue. Les jurés ne l’ont sans doute jugée que sur sa déplorable moralité. »
26Mais la réprobation que peut attirer le comportement « impudique » d’une accusée aux débats ne va pas jusqu’à lui ôter le bénéfice du doute quand les circonstances de la mort de l’enfant ne sont pas bien établies. Aussi le président de la cour d’assises propose-t-il d’octroyer à Perrine Jollivel une remise de peine20.
27Même un homme aux idées ultra-conservatrices comme Le Beschu de Champsavin ne peut se résoudre – peut-être parce qu’il est fort dévôt – à faire condamner sans preuves une femme dont la conduite paraît pourtant particulièrement choquante au procureur impérial qui est chargé de soutenir l’accusation. Cette accusée, Jeanne-Marie Guillo, âgée de 25 ans, demeurant à Buléon, avait épousé en mars 1859 un cultivateur qui ignorait qu’elle était enceinte. Elle avait accusé de la mort de son enfant l’homme qui en était le père et qui avait refusé de l’épouser. Mais la culpabilité de cet homme avait été écartée. Elle était parvenue à cacher son accouchement à son mari, lui faisant croire à une fausse couche. L’enfant ne portait aucune trace de violence, si bien qu’aux débats, la seule charge retenue contre cette accusée était de ne pas avoir noué le cordon ombilical de son nouveau-né. Or le défaut de ligature du cordon ne suffit pas toujours à provoquer la mort : « Dans ma longue pratique des infanticides, observait d’ailleurs Le Beschu de Champsavin, je ne me souviens pas d’une seule ligature du cordon. » Pour lui, l’accusation était fragile :
« L’opinion du médecin, bien que déduite avec talent, laissait des doutes. En effet, il avait été constaté aux débats que vers minuit, la femme était en proie à des douleurs violentes ; elle avait envoyé son mari chercher une voisine qui a l’habitude de soigner les malades, elle arriva au bout de vingt minutes. La femme Guillo était accouchée et lui dit qu’elle était guérie ; qu’elle venait d’avoir une fausse couche de trois à quatre mois […] c’est pendant cet intervalle que la femme a accouché et que l’enfant est mort. Or, le médecin affirmait que l’hémorragie avait dû durer plusieurs heures. Il y avait quelque chose d’inexpliqué21. »
Morale, nature et amour maternel
28Les magistrats des années 1820 et 1830 – en majorité légitimistes – se montrent très pointilleux sur l’observation des règles de la bienséance et de la morale sexuelle. Ils n’hésitent pas à administrer des leçons aux accusés qui sortent « triomphants des débats22 ». Ils ne sortent pas pour autant de leurs attributions puisque l’article 371 du Code d’instruction criminelle, leur en offre la possibilité : « Après avoir prononcé l’arrêt, le président pourra, selon les circonstances, exhorter l’accusé à la fermeté, à la résignation ou à réformer sa conduite. »
29Le Painteur de Normény se plaît à croire que Marie-Magdeleine Le Quinio, meurtrière d’un enfant selon toute vraisemblance adultérin, n’oubliera pas de sitôt la leçon qu’il lui a infligée :
« En prononçant l’acquittement de la femme Le Quinio, je lui ai représenté avec toute l’énergie dont je puis être capable, l’énormité de son crime (dont heureusement pour elle, le jury n’avait pas trouvé les preuves suffisantes) en lui rappelant en même temps l’indignité de sa conduite précédente. J’aime à me flatter, qu’elle n’oubliera de sa vie, la leçon sévère que je lui ai adressée en ce moment23. »
30Cette maternité adultérine n’était pas le premier manquement à la morale conjugale de cette habitante de Sarzeau, âgée de 32 ans.
« Je suis convaincu, poursuit Le Painteur de Normény, que l’enfant était réellement le fruit de l’adultère et que le mari n’a fait une déclaration contraire, que parce que quelqu’un lui aura dit que c’était là le seul moyen d’éviter l’échafaud à sa femme, et je n’en veux d’autres preuves, que la scène avouée en partie par l’accusée, qui a eu lieu il y a trois ou quatre ans. Le Quinio avait surpris sa femme dans un champ, en flagrant délit : sur la plainte qu’il en avait portée à son maire, celui-ci manda à la municipalité de Sarzeau la femme adultère : le curé de Sarzeau s’y trouvait alors. On dit à l’épouse infidèle de se mettre à genoux et de demander pardon à son mari : mais quel fut l’étonnement des spectateurs, quand on vit le mari au contraire, (qui avait mal compris à qui s’adressait l’ordre donné à sa femme) se mettre à genoux et demander pardon à cette dernière24 ! »
31On peut donc supposer que la leçon de morale infligée à la femme Le Quinio, au-delà de la réprobation de son infidélité conjugale, visait également, par une forme de solidarité masculine, à panser la blessure d’amour-propre infligée quelques années auparavant au mari trompé.
32Le Painteur de Normény est coutumier des remontrances. Deux années plus tard, il en administre une autre à la Vve Lépinay, elle aussi relaxée par la cour d’assises :
« Avant de rendre la veuve Lépinay à la liberté, je lui ai représenté, avec toute l’énergie dont je puis être capable, l’énormité du crime dont la justice humaine ne trouvait pas les preuves suffisamment établies. Je l’ai donc renvoyée à sa conscience, en lui rappelant que si elle était effectivement coupable, il existait une autre justice, bien supérieure à celle des hommes, qu’on ne pouvait pas tromper, et aux regards de laquelle elle ne parviendrait jamais à se soustraire25. »
33En 1832, c’est à un domestique d’une trentaine d’années, qui avait eu « l’inhumanité d’abuser de l’inexpérience » de Marie Riaud, une jeune fille de 15 ans 1/2, demeurant chez son oncle, un « paysan grossier et presque imbécille [sic] », qu’un autre conseiller, Delamarre, adresse une sévère admonestation : « Le séducteur, le vrai coupable, comparaissait comme témoin. J’ai cru devoir lui adresser les plus vifs reproches et lui représenter qu’il était de sa conscience et de son devoir de réparer l’honneur de cette jeune personne. » La leçon porte ses fruits : « Le lendemain, quand j’arrivai à l’audience, un des témoins me dit que tout s’arrangeait, que le mariage était arrêté et qu’il se ferait incessamment26. »
34Les magistrats sont imprégnés d’une philosophie morale qui est fort éloignée de la culture des accusées. Ils ne comprennent pas que chez les femmes qui sont tentées de commettre un crime, l’amour maternel ne l’emporte pas toujours sur les préoccupations d’honneur ou de réputation. Carron s’exprime à plusieurs reprises sur ce sujet, en particulier à propos de Marie-Yvonne Le Penglan. Cette domestique de Saint-Fiacre avait refusé les secours que lui proposaient ses maîtres et était allée accoucher dans une étable où elle avait enfoui son enfant sous une épaisse couche de fumier. Les divergences entre les médecins avaient incité Carron à poser la question subsidiaire d’homicide par imprudence. Les jurés ne la déclarent coupable que sur ce chef d’inculpation et elle est condamnée à deux ans de prison et 50 francs d’amende, peine qu’il estime disproportionnée au crime.
35Dans un style quelque peu emphatique, il s’étonne « de l’étrange pardon qui semble jeter un voile d’indulgence sur cet inconcevable attentat ». Et il s’interroge sur les raisons de la tolérance des jurés à l’égard de l’infanticide :
« La plupart s’en vont répétant que nos mœurs, dominées par un préjugé barbare, sont déraisonnables, qu’elles frappent aveuglément d’opprobre une faute souvent digne de pitié, et qu’elles seules entraînent irrésistiblement au meurtre ces malheureuses qui ne se possèdent plus, qui ne veulent qu’étouffer leur honte en étouffant les fruits de leurs faiblesses. Mais, que ce soient des passions cruelles et dépravées, ou la crainte du déshonneur, ou l’effroi de la misère qui rendent homicide, inexorable un sexe tendre et timide, cette fureur sanguinaire en sera-t-elle moins odieuse ? La nature aurait-elle donc perdu sa puissance ineffable, ou la morale changé ses immuables lois27 ? »
36Les magistrats s’étonnent de l’absence de sensibilité que paraît traduire l’indifférence dont font preuve certaines accusées à l’égard du cadavre de leur enfant. Adrienne Fichoux, blanchisseuse à Pont-Croix, saisie des douleurs de l’accouchement au milieu de la nuit, étouffe son nouveau-né en l’enveloppant dans une vieille jupe, et le dissimule dans le lit qu’elle partage avec sa mère. Elle est suffisamment impassible pour dormir à côté de ce cadavre. Cette indifférence à l’enfant, perçue comme symptôme d’une certaine inhumanité, constitue le principal argument du réquisitoire soutenu par l’avocat général devant la cour d’assises. Pour lui, comme pour nombre de ses collègues, l’amour maternel est un sentiment inné. Même les animaux les plus féroces sont portés par instinct à protéger leurs petits. Les femmes qui ne respectent pas les lois de la nature sont d’autant plus blâmables qu’à la différence des animaux, elles ont reçu de Dieu la faculté de discerner le bien du mal : « Combien donc sont coupables les créatures qui méconnaissant les plus puissantes affections et les plus saintes, portent une main meurtrière sur l’enfant qui leur doit la vie et qui profitant de sa faiblesse qui le met à leur discrétion au lieu de lui donner les soins et la protection qui lui sont dus, lui donnent la mort28 ! »
37À cette femme froide, dépourvue de sentiment, qui bouleverse les lois de la nature en méconnaissant les « affections les plus saintes », s’oppose parfois l’image d’une femme esclave de ses sens et dévorée par la passion. Adélaïde Hivers, journalière-cultivatrice à Mohon, est présentée comme seule responsable du désordre et du scandale qu’ont provoqué les « relations illicites » qu’elle entretenait avec son maître, François Mayo, un agriculteur dont l’âge n’est pas précisé. Il avait fallu, d’après Hüe, que le maire intervienne pour que François Mayo se décide à la congédier et mette ainsi fin au trouble qu’elle avait jeté dans son ménage. Condamnée à quinze ans de travaux forcés, Adélaïde Hivers ne lui paraît cependant pas être irrémédiablement perdue pour la société. Plus qu’une redoutable criminelle, il voit en elle un être dominé par une nature irrationnelle et passionnée : « Cette peine paraît proportionnée à la gravité de son crime. Mais Adélaïde Hivers, que des passions brûlantes ont entraînée à la débauche, n’est pas tellement pervertie que tout bon sentiment soit éteint en elle. Plus tard, elle pourra être jugée digne de recourir à la clémence de Sa Majesté l’Empereur29. »
38Reprenant les mêmes arguments, Robinot Saint-Cyr ne s’oppose pas à ce que Françoise Le Saux, couturière-repasseuse à Plougrescant, âgée de 40 ans, condamnée à vingt ans de travaux forcés, puisse obtenir une remise de peine quand la vieillesse sera venue. Il relève « qu’aux mœurs près, sa conduite n’a pas été blâmée » et suggère une remise de peine de cinq ans car : « Il est certain que dans une quinzaine d’années, elle ne deviendra plus mère et que, chez elle, les passions seront sans doute amorties [sic]30. »
Malheur, misère et position sociale
39Bien entendu, tous les magistrats ne portent pas le même intérêt à la vie des femmes qu’ils sont appelés à juger. Tous ne sont pas également portés à la compassion envers le malheur biologique ou la détresse sociale. En 1825, Carron ne semble pas prendre en considération les conséquences liées, chez les femmes qui louent leurs services, à la perte de leur réputation. Ce n’est qu’à regret qu’il se résout à reconnaître à Marie Audié, mendiante et journalière, mère d’une petite fille qu’elle élevait de son mieux, des circonstances atténuantes :
« Le ministère public a requis l’application de la loi du 25 juin 1824, et la Cour adoptant ces conclusions a condamné l’accusée aux travaux forcés à perpétuité, sans apercevoir d’autres circonstances atténuantes que l’effet de la crainte de l’opinion qui flétrit les filles-mères, l’extrême misère de la coupable, la perspective qui l’effrayait, si le secret de sa nouvelle maternité se divulguait, de ne plus trouver de moyens de subsistance ni dans son travail, ni dans la charité publique, enfin, ce reste de sentiment qui semblait lui avoir été ôté la force d’achever l’homicide de ses propres mains31. »
40Quand elle ne répond pas à une impérieuse nécessité, la mendicité est, à tout le moins, mal perçue par les conseillers de Rennes qui n’y voient qu’un refus de se soumettre aux obligations du travail, comme ils ont tendance à ne voir dans l’infanticide qu’une manière de se soustraire aux charges de la maternité. Yvonne Le Bihan, mendiante à Prat, affectée d’une de ces déformations qui valent généralement aux accusées une atténuation de peine, est présentée comme un monstre de laideur et de paresse :
« Yvonne Le Bihan s’explique clairement et ne manque pas d’intelligence ; son visage n’a rien de très extraordinaire mais le torse et les parties inférieures ne peuvent être décrits ; Yvonne Le Bihan tient du monstre : elle est née ainsi, ou plus-tôt sa mère, en la mettant au monde, lui causa une luxation aux reins. Elle appartient à une famille qui est en état de la nourrir, et qui a essayé de la retenir à la maison ; mais elle aime la vie errante, et elle profite de l’espèce de droit que lui donne sa difformité pour aller mendier : elle pourrait travailler assise mais elle déteste le travail32. »
41Les médecins estiment que cette accusée a tué son enfant en l’enveloppant dans un linge. Mais aucune preuve ne peut en être apportée. Le jury applique donc sa politique habituelle d’indulgence en faveur des personnes atteintes de difformités, et l’accusée est relaxée.
42Toutefois l’austérité morale n’exclut pas, chez certains, une certaine commisération à l’égard de la position malheureuse ou du dénuement matériel des accusées : « Cette misérable inspirait de la pitié », écrivait, en 1834, Sébire de Bellenoë à propos d’Anne Basset, une mendiante de 19 ans, de Saint-Glen, qui avait tué son enfant en lui brisant le crâne33. Vingt ans plus tard, déplorant l’importance de la mendicité dans le Morbihan, Baudouin attribuait à la misère quatre des cinq infanticides jugés au cours de la session qu’il avait présidée : « La multiplicité des infanticides dans ce pays doit être attribuée sans doute à des causes diverses, mais il est évident que la misère a été la cause principale. Sur les cinq accusées dans les quatre affaires, quatre étaient mendiantes et déjà filles-mères. Les débats ont aussi révélé une autre cause qui a pu encourager ce genre de crime, l’espoir de l’impunité, ou l’infliction d’une peine insignifiante34. »
43Parmi les accusées de cette session, Anne Leboucher, âgée de 29 ans, et sa mère, la Vve Lehoisec, âgée de 53 ans, de Beignon, paraissent les plus pitoyables : « Cette misérable famille, écrivait-il, composée déjà de cinq personnes, ne trouvait ses ressources bien insuffisantes, que dans la mendicité. La crainte de les voir réduire encore par la venue d’un nouveau-né a inspiré la pensée criminelle. »
44Anne Leboucher accouche en présence de sa mère le 17 février 1855. La rumeur de l’événement se répand et, quand l’adjoint au maire se transporte à leur domicile, quelques jours plus tard, il trouve le cadavre « encore gisant sur la terre et nu » à côté du lit d’Anne Leboucher. L’autopsie révèle que le nouveau-né a reçu des coups sur la tête. Cette fille avait, au cours de sa grossesse, annoncé sa résolution de donner la mort à son futur enfant. Les deux accusées ont été condamnées à des peines lourdes : vingt ans de travaux forcés pour la fille et quinze ans pour la mère, la cour n’ayant pu déterminer la part de chacune d’elles dans le crime. Mais la sévérité de cette peine a, avant tout, une visée dissuasive et Baudouin ne s’oppose pas à ce que les deux condamnées puissent bénéficier plus tard d’une mesure d’indulgence : « La Cour a appliqué une peine qui peut-être est sévère, mais qui était commandée par la multiplicité considérable des infanticides dans le Morbihan. Peut-être la clémence du chef de l’État interviendrait utilement plus tard pour adoucir les effets d’une rigueur aujourd’hui nécessaire35. »
45Sous le Second Empire, les préoccupations sociales sont plus présentes dans l’esprit des magistrats qui, s’ils continuent, en observant les statistiques, à être effrayés par le « dérèglement des mœurs », sont plus nombreux à porter un regard compréhensif sur les destinées individuelles. S’ils demeurent peu enclins à absoudre les femmes chez qui la maternité a résulté d’un état de libertinage, de « débauche », ou qui révèlent une nature dure, implacable, « pervertie », ils ne sont pas insensibles à la misère qui frappe durement les populations rurales et qui est souvent la première explication des crimes. Quand les accusées élèvent seules, avec de maigres ressources, des enfants naturels, et qu’elles ont une bonne réputation, ils prennent en considération les sentiments maternels qu’elles leur portent.
46C’est parce qu’elle a été une bonne mère pour son premier enfant, que Marie Lelièvre, journalière à Illifaut, pourra plus tard se voir accorder une remise de peine. Cette journalière avait baptisé son nouveau-né, puis l’avait étouffé en lui pressant la main sur la bouche. Pour l’empêcher, dira-t-elle, de « revenir à la vie », elle lui avait également serré un lien autour du cou. Dupuy attribue ce crime aux « inspirations de la misère » :
« Le crime commis par Marie Le Lièvre est d’autant plus difficile à expliquer que déjà mère d’un enfant naturel, elle a élevé cet enfant en l’entourant des soins les plus vigilants, de la tendresse la plus vive. À l’audience de la cour d’assises, elle a dit que l’affection excessive qu’elle lui avait vouée avait été la cause déterminante de son crime. Ne pouvant nourrir deux enfants à l’aide du produit de son travail, elle prit la résolution de se défaire du nouveau-né, pour être certaine de subvenir aux besoins du premier. Cette accusée a donné des marques de repentir sincère36. »
47Le regard porté sur les mères infanticides change peu à peu. Le geste d’une femme qui, déjà mère d’un enfant naturel, tuait son nouveau-né était considéré au début du siècle comme totalement injustifiable parce qu’elle n’avait plus de réputation à sauver. Sous le Second Empire, le même geste est replacé dans son contexte économique et les femmes qui élèvent seules leurs enfants sont perçues plus fréquemment comme des malheureuses que comme des criminelles. Les magistrats sont plus volontiers portés à se montrer miséricordieux, surtout quand, à l’indigence, vient s’ajouter la souffrance physique.
48Inversement, c’est non la pauvreté mais l’appartenance à une maison honorablement connue qui peut valoir aux accusées d’être traitées avec bienveillance. Marie-Louise Orain, âgée de 19 ans, demeurant chez ses parents à Talensac, déclarée coupable du meurtre de l’enfant né d’une relation avec un des domestiques de son père, n’est condamnée qu’à sept années de travaux forcés. C’est la position sociale de ses parents, de riches agriculteurs, qui a favorablement impressionné la cour : « Elle appartient à une famille très honnête et aisée qui la recueillera plus tard. Fallait-il expatrier à tout jamais cette jeune fille, et la condamner à passer les longues années qui lui restent au milieu des prostituées et des voleuses dont on délivre la France37 ? »
49L’honorabilité des maîtres rejaillit aussi parfois, par ricochet, sur les domestiques. Ainsi, Reine-Françoise Hubert, femme de chambre dans une maison bourgeoise de Rennes, doit-elle en partie le fait de n’avoir été condamnée, pour homicide par imprudence, qu’à deux ans d’emprisonnement, à ses états de service dans des maisons respectables d’Ille-et-Vilaine : « L’indulgence du jury, ordinaire en pareil cas, a été motivée ici par la bonne réputation dont l’accusée avait joui jusque-là, par sa bonne tenue à l’audience, son physique agréable, et son service antérieur dans des maisons honorables du pays38. »
50Mais les femmes qui appartiennent à cette catégorie privilégiée d’accusées qui doivent à leur position sociale une relative indulgence pénale ne se satisfont pas toujours de l’attitude bienveillante de la cour. Perrine Le Blavec, cultivatrice à Ploëren, âgée de 31 ans, ne se contente pas de la peine minimale qui lui a été infligée pour le meurtre de son enfant. Veuve d’un premier mari, elle se trouvait dans un état de grossesse déjà fort avancé lorsqu’elle avait épousé en secondes noces Étienne Le Marouellec, qui paraît avoir ignoré sa position. « Cet homme d’une simplicité extrême en fut prévenu, mais sa femme parvint à lui faire illusion. » Lorsque son crime est découvert, elle tente de détourner les soupçons sur une jeune fille de sa commune. Mais comme son mari révèle le lieu où l’enfant a été enterré, elle se résout à passer aux aveux. Insatisfaite du verdict de la cour d’assises, elle dépose au lendemain de son jugement un recours en grâce qui embarrasse fort Couëtoux.
51S’il ne s’oppose pas vraiment à une remise de peine, parce qu’il comprend qu’elle veuille défendre ses intérêts économiques, il insiste néanmoins sur la nécessaire exemplarité de la sanction qui lui a été infligée :
« La femme Le Marouellec […] a été condamnée à cinq ans de travaux forcés seulement ; c’est le minimum de la peine et j’avoue que je craignais un peu que nous n’eussions fait une trop large part à l’indulgence : cependant si je ne considérais que la femme Le Marouellec, je serais disposé à appuyer le recours en grâce qu’elle a déjà adressé à sa Majesté : cette femme a une ferme à exploiter, et elle doit être en quelque sorte nécessaire à son exploitation ; d’un autre côté, le mari qu’elle a trompé est un homme simple et bon, qui lui a pardonné, et qui nous témoignait le désir de la reprendre ; dans ces circonstances, si elle recouvrait la liberté, elle pourrait devenir une bonne mère de famille ; mais je me demande s’il n’y aurait pas des inconvénients pour l’intérêt social à lui faire remise de la peine qui a été prononcée contre elle : à mes yeux les peines doivent être exemplaires, en ce sens, qu’elles doivent servir d’avertissement et de frein, et il me semble que la peine prononcée contre la femme Le Marouellec atteindrait difficilement ce but, si elle obtenait promptement la grâce qu’elle sollicite39. »
La fragilité des témoins
52Au lendemain des crimes, les prévenues qui cherchent à échapper à la sanction tentent d’influencer les témoins. Les familles entreprennent parfois également des démarches dans le même but auprès de leurs proches, alliés ou obligés. À ces exhortations au silence s’ajoute la crainte qu’ont les témoins eux-mêmes de s’attirer des désagréments en livrant des informations aux enquêteurs. Parmi les personnes qui, dans l’agitation qui accompagne la découverte d’un crime, ont laissé échapper des révélations, nombreuses sont celles qui paraissent en éprouver de l’inquiétude et ne s’expriment qu’à regret devant la cour d’assises. Le caractère public de l’audience est une autre incitation à la prudence. Dans le cours de l’instruction les témoins sont entendus dans le secret du cabinet du juge. À la cour d’assises, les dépositions se font devant un auditoire nombreux. Elles sont, par conséquent, susceptibles d’être jugées, commentées par le public venu nombreux, voire rapportées dans le village.
53Pour les ruraux, qui constituent la grande majorité des témoins dans ce type d’affaires, il est devant la cour d’assises d’autres facteurs d’intimidation. Le caractère imposant du théâtre judiciaire, l’importance de la mise en scène dans le déroulement du procès, la présence de hauts conseillers venus spécialement de Rennes, du jury, des avocats et du public donnent une grande solennité à leur déposition. Et les personnes qui ne s’expriment qu’en breton y rencontrent une difficulté supplémentaire : celle de devoir déposer par l’intermédiaire d’un interprète.
54Pas plus que les ruraux, les médecins qui ont pratiqué les autopsies – et qui ne sont appelés aux débats que comme simples témoins – ne manifestent d’enthousiasme à l’idée de déposer devant la cour. Crainte de s’aliéner la clientèle rurale, de perdre son temps dans des audiences interminables, réticence à l’égard de la peine de mort, médiocre rémunération des interventions pratiquées au cours de l’instruction se conjuguent pour faire des médecins, aux dires des magistrats, de bien piètres informateurs.
Parenté et voisinage
55Les femmes qui ont conservé des liens avec leurs proches ne sont pas totalement abandonnées aux mains de la justice, particulièrement si elles appartiennent à une famille connue dont la notoriété pourrait être entachée par une action judiciaire. Toutes sortes de pressions sont exercées sur les membres de la domesticité ou du voisinage qui peuvent être appelés à témoigner. Les témoins eux-mêmes, avant de se résoudre à faire des révélations, se laissent parfois apitoyer par les parents des coupables parce que la honte qui s’attache aux grossesses illégitimes et aux crimes qui en sont les conséquences, loin de se limiter à la personne des inculpées, rejaillit sur l’ensemble de leur maisonnée. Comme de nombreuses mères infanticides sont soupçonnées de récidive, on peut supposer que les pressions exercées sur le voisinage ont été efficaces ou que les témoins ont été convaincus que la faute commise par l’auteur d’un infanticide ne valait pas que son déshonneur atteigne toute sa parenté.
Pressions des familles sur les témoins
56On voit quelquefois les parents des meurtrières, sans participer directement aux crimes, en effacer les traces en dissimulant les cadavres et en demandant aux témoins de ne pas les compromettre. La mère de Louise Brochard, domestique dans un château à Soulvache, parvient dans un premier temps à convaincre le domestique qui a trouvé le cadavre d’un nouveau-né dans les douves du château, de garder le silence sur sa découverte :
« La Vve Brochard m’engagea beaucoup, et à plusieurs reprises à enlever ce cadavre, je m’y refusai constamment et elle partit, mais le lendemain matin elle me pria de nouveau de l’enlever, je m’y refusai plusieurs fois mais cédant enfin à ses sollicitations, je me rendis avec elle au bord de la douve, je le retirai avec une fourche et le mis dans le panier qu’elle avait apporté, elle le couvrit d’un peu d’herbe et me dit : “Qui donc peut avoir fait une pareille chose ?” Je lui dis que je l’ignorais mais que cependant je pensais qu’on ne pouvait guère soupçonner que sa fille, elle parut témoigner quelque étonnement et me pria de ne point parler de ce que j’avais vu, je lui dis que mon intention était d’en parler à la demoiselle Lemoine, mais elle me dit qu’il y avait assez de scandale et me décida à garder le silence. Cependant, huit jours après je me décidai à en informer la demoiselle Lemoine40. »
57On ne sait ni ce qui l’a porté à se taire ni ce qui l’a décidé, finalement, à faire l’aveu de sa découverte. Peut-être n’a-t-il pas osé, en raison de son jeune âge – il a 22 ans – s’opposer aux volontés de la Vve Brochard.
58Les pressions exercées par les parents des coupables ne sont pas les seuls motifs qui incitent les témoins à garder le silence. Certains hésitent à faire des déclarations par crainte d’être mêlés à un scandale ou, quand les accusées appartiennent à des familles qui ont un certain pouvoir économique, par crainte des représailles. Les domestiques qui sont obligés de témoigner contre leurs maîtres, s’ils ont au cours de l’instruction donné des informations susceptibles d’être retenues à la charge de ceux-ci, reviennent fréquemment à l’audience sur leurs dépositions.
59La femme Dolot, domestique de Louis Le Plunemec, fermier à Plœuc, après avoir affirmé que son maître, contrairement à ce qu’il avait déclaré au juge de paix, n’était pas chez lui au moment du crime se tient, le jour de l’audience, dans une grande réserve :
« À l’audience de la cour d’assises, le témoin Dolo avait été moins affirmative que dans l’instruction à l’endroit de la situation physique de son maître dans la matinée du 10, ce témoin paraissait révoquer en doute la culpabilité de ce dernier. Mais le juge de paix qui avait reçu sa première déposition lui a attribué un propos, qui [dans sa concision] a fait une vive impression sur le jury, propos qu’il avait omis de mentionner dans le procès-verbal d’information dressé par lui. La femme Dolo dont la surdité est extrême et que par cela seul on ne pouvait interroger qu’avec une grande difficulté dut dire au juge de paix lorsqu’il se présenta chez Le Plunemec : “Je suis la servante de celui qui a fait le coup41.” »
60Les témoins hésitent tout autant à faire des révélations quand les inculpées bénéficient de la protection de personnages influents. Célestine Andrieux, aide-cultivatrice à Morieux, paraît dans un premier temps pouvoir échapper à la justice grâce à l’influence exercée par le maire de sa commune sur le médecin chargé de la visite :
« Au début de l’instruction de cette affaire, rapporte Dupuy, une grave irrégularité a été commise. M. le juge de paix de Lamballe, qui avait commis M. Bédel, homme très âgé, pour procéder à l’autopsie du cadavre de l’enfant nouveau-né, ne lui confia pas le soin de visiter Célestine Andrieux. Cette visite fut faite néanmoins, mais à la demande du maire de Morieux, qui portait le plus vif intérêt à Célestine Andrieux, sa fermière, et qui l’avait provoquée pour mettre un terme aux bruits qui signalaient cette fille comme étant enceinte. Le but que paraissait s’être proposé le maire fut atteint. Le docteur Bédel, après avoir procédé à une visite, qu’il a dit plus tard avoir été très incomplète, très superficielle et qu’on serait autorisé de prendre pour un acte de pure complaisance déclara que la fille Andrieux non seulement n’était pas accouchée, mais qu’elle avait encore sa virginité42. »
61Le juge d’instruction fait examiner Célestine Andrieux par trois autres hommes de l’art qui affirment qu’elle vient d’accoucher. Mais, forte de l’avis du premier médecin, elle s’obstine à nier sa grossesse et son accouchement. Comme sa parentèle est « nombreuse et redoutée », les voisins ne se montrent guère empressés à livrer des informations aux enquêteurs. Mieux encore, des témoins sont produits pour affirmer qu’une mendiante sur le point d’accoucher a été vue dans la commune au moment du crime. Le maire de Morieux, membre d’une famille « honorable et influente », engage toute son autorité dans la défense de l’accusée et combat les rapports des trois médecins qui affirmaient qu’elle venait d’accoucher. L’influence exercée sur le cours des débats par ce magistrat municipal – que le président de la cour d’assises dénoncera au préfet – est suffisamment déterminante pour que le jury rende un verdict de non-culpabilité.
62Les maires paraissent exercer une véritable influence sur les populations qu’ils administrent. À tel point que le procureur impérial de Quimper s’étonne, en 1862, de la condamnation dans des affaires d’infanticide, de deux femmes appartenant à des familles influentes, l’une d’elles étant apparentée à un maire : « La Veuve Le Dû et la Veuve Mérour appartiennent à des familles dont l’influence pouvait se faire craindre jusque dans l’enceinte de la justice. Le père de la Veuve Le Du est membre du conseil municipal de la commune d’Edern ; sa mère est la nièce du maire de la commune d’Argol. Le jury a su écarter toutes ces considérations pour s’élever à la hauteur de sa mission43. »
Interventions des notables
63Quand le coupable appartient au petit monde des notables, les liens de solidarité qui entrent en action pour le soustraire à la justice ne se limitent pas à l’horizon familial mais recouvrent toute l’aire de rayonnement de sa famille. Cette solidarité se traduit par des pétitions adressées en faveur des suspects aux instances judiciaires ou de certificats de moralité que leur décernent soit les maires des localités, soit les recteurs des paroisses.
64En 1827, quand François Baucher se présente à la justice pour purger sa contumace, le maire de Guern ne craint pas d’écrire au procureur du roi qu’après avoir pris la fuite pendant quelque temps, cet homme était revenu dans son village où il vaquait à ses occupations habituelles et où personne ne l’avait inquiété :
« Tout le monde est persuadé de son innocence et d’après sa conduite il semble en être lui-même convaincu, car aussitôt après les premières poursuites, j’ai appris qu’il vaquait de nouveau à ses travaux d’agriculture, qu’il se rendait à nos assemblées religieuses, aux foires et marchés des villes circonvoisines et a demandé lui-même à être jugé. Ce qui prouve […] que si ce jeune homme avait eu seulement un ennemi dans la commune, il y a longtemps qu’il aurait été pris par les gendarmes44. »
65À l’audience, le président, qui paraît pourtant persuadé de la culpabilité de François Baucher, se laisse suffisamment impressionner par les dépositions que font en sa faveur différentes personnalités de sa commune, pour poser la question subsidiaire d’homicide par imprudence. François Baucher est acquitté.
66On voit, à travers les certificats de moralité qu’a obtenus Maurice Le Coquen, un agriculteur aisé de Saint-Fiacre, accusé d’avoir enterré vivant l’enfant qu’il avait eu avec Marie-Joseph Rebillard, quelle peut être la zone d’influence de cette famille. Le certificat qu’il obtient le 28 juin 1842, émane de personnalités de plusieurs communes environnantes et comprend les signatures de maires, de conseillers municipaux, d’instituteurs, du suppléant du juge de paix, du percepteur, de membres de la fabrique45, d’un notaire, et de plusieurs laboureurs et meuniers, qui affirment le considérer « comme un honnête homme, sage, laborieux et rangé, de bonne vie et mœurs et qu’il n’a jamais été non plus que sa famille, l’objet d’aucun soupçon de la part de personne46 ». Quelques jours plus tard, dans un deuxième certificat, il obtient les signatures du maire, de l’adjoint, du recteur, des conseillers municipaux et des « autres citoyens notables » de la commune de Saint-Fiacre47.
67La différence de fortune entre Maurice Le Coquen et Marie-Joseph Rebillard – une pauvre fille logeant dans une grange, déjà mère d’un enfant naturel, réputée être de « mauvaises mœurs48 » – justifie peut-être que cet homme se soit débarrassé de la sorte de son bâtard. Aux pressions exercées en sa faveur venait s’ajouter la difficulté d’obtenir le témoignage des habitants du village de Bois-Léhart, où s’était déroulé le crime, en raison de leurs liens de parenté avec sa famille : « Tous les habitants du village de Bois Léhart, à l’exception de la femme que vous avez entendue, étant les proches parents de Le Coquen, il serait inutile de les entendre, car ils ne vous diront rien49 » déclarait au juge d’instruction, le maire de Saint-Fiacre – l’un des signataires des certificats de moralité décernés en faveur de Maurice Le Coquen – entendu comme témoin.
68Il ne faudrait pas croire pour autant que seuls les hommes ou les inculpées appartenant à une certaine élite sociale sont susceptibles d’intéresser à leur sort les notabilités locales. Sur les 7 certificats de moralité retrouvés dans les dossiers, 4 concernent des femmes, simples agricultrices ou journalières. Mais ils ont une autre signification. Il ne s’agit plus d’un témoignage de solidarité qui s’enracine dans l’appartenance à une même classe sociale, mais de l’expression d’un sentiment d’injustice face à l’inculpation de femmes qui ont été de bonnes domestiques ou de bonnes mères. Plusieurs certificats peuvent même donner à penser que leurs auteurs considèrent que le crime d’infanticide peut être excusable. La Vve Bouillaux, fileuse et domestique à Janzé, trouve ainsi une trentaine de personnes pour affirmer que le meurtre de son enfant est plus une faiblesse qu’un crime :
« Nous […] attestons avec la plus exacte vérité, parfaitement connaître la nommée Rose-Marie, Vve Bouyaux, de cette commune, ayant deux enfants en bas âge, auxquels elle a toujours prodigué les plus grands soins ; l’avoir constamment vue tenir une conduite régulière ; que pendant quatorze ans elle a été servante chez trois de nous et pendant un grand nombre d’années employée journalière chez plusieurs de nous sans mériter aucun reproche ; qu’elle est générallement [sic] aimée de tous les honnêtes gens qui la connaissent, qu’en un mot, nous n’avons que des louanges à donner de sa bonne conduite et regrettons cette femme ; que le fait lui attribué [sic] récemment nous a beaucoup surpris et est à nos yeux une faiblesse plutôt qu’un crime50. »
69De même, le maire, l’adjoint, les conseillers municipaux et diverses personnalités de Trédaniel, considérant que Jeanne-Marie Le Masson, journalière, a été poussée au crime par l’obstination de son père à refuser son mariage, « appréciant mille circonstances qui ne peuvent être connues que d’eux seuls », la considèrent encore plus malheureuse que coupable :
« Jusqu’au moment du malheur qui lui est arrivé, affirment-ils, cette fille avait toujours eu une conduite des plus régulières, et à l’abri de toute espèce de reproches. Sans vouloir excuser un crime que la justice n’a pas même encore reconnu, les soussignés expriment ici leur profonde conviction que l’accusée est bien plus malheureuse encore que coupable ; et que le défaut de toute éducation morale, résultat des dissensions de famille qui ont amené la [séparation] d’entre sa mère et son père, et surtout l’obstination et les emportements aveugles de ce dernier sont la principale cause de la faute déplorable imputée à sa fille51. »
Voisins et domestiques : des témoins réticents
70Face aux pressions exercées par des personnalités influentes ou par les familles des prévenus, il n’est pas surprenant que les petites gens craignent de s’attirer des ennuis par leurs dépositions et se montrent réticents à informer la justice. Comme l’écrivait, en son style coloré, le brigadier de gendarmerie de La Rouxière, au cours de l’enquête dirigée contre Marie Phélipeau, une ancienne domestique revenue vivre, pour cacher sa grossesse, chez ses parents, les témoins évitent, autant qu’ils le peuvent, de répondre aux questions des enquêteurs, et préfèrent louvoyer : « Votre susdite lettre m’a encore engagé à faire des recherches plus strictes que jamais, mais enfin tous les renseignements que je puis prendre, moi et les gendarmes [sic] ne sont que vague [sic], tant tous ces gens se jette [sic] le chat aux jambes l’un et l’autre52. »
71Dans certains cas, c’est à l’état d’esprit particulier d’un village que les enquêteurs attribuent la réserve des témoins. Le juge de paix de Lézardrieux, qui se transporte à Pleudaniel pour enquêter sur le crime que la rumeur publique attribue à Marguerite Lorgeré, une tricoteuse de 28 ans, dont le mari, militaire, est absent depuis cinq ou six ans, avertit le procureur du roi de Lannion des difficultés auxquelles il risque de se heurter pour recueillir des témoignages : « Il est inconcevable que les personnes qui habitent la maison n’aient pas entendu les cris et les douleurs de l’accouchement. Je crois avoir annoncé à M. votre substitut, par la connaissance que j’ai de l’esprit de Pleudaniel, qu’il serait très difficile, sinon impossible d’obtenir des renseignements à cet égard53. »
72L’auteur présumé de la grossesse de la femme Lorgeré est le garde champêtre de la commune. Quelques jours après le crime il est informé du transport des magistrats sur les lieux et en avertit sa maîtresse, à qui il conseille d’aller cacher le cadavre de l’enfant. Cela n’empêche pas seize notables de la commune de lui décerner un certificat de moralité, et le maire de Pleudaniel, quelque temps après, d’en délivrer un autre à Marguerite Lorgeré54.
73Il arrive que les témoins, quand ils se sont engagés dans des déclarations très compromettantes pour les accusées, produisent des certificats médicaux pour ne pas se présenter devant la cour d’assises. Dans l’affaire Rose Tirel, Vve Lépinay, deux de ses voisines, qui la soupçonnent d’avoir brûlé le cadavre de son enfant, se font établir le même jour et par le même officier de santé un certificat qui leur attribue un nombre assez impressionnant de symptômes, pour excuser leur défection à l’audience55.
74Il n’est pas rare non plus que les témoins reviennent devant la cour d’assises sur les déclarations qu’ils ont faites au cours de l’instruction. C’est à ces revirements, ainsi qu’aux insuffisances de l’instruction que Le Beschu de Champsavin attribue l’acquittement de Geneviève Boutier, journalière à Miniac-Morvan : « Les vices de l’instruction […] n’avaient pu être qu’incomplètement réparés […]. Les témoins mêmes qui avaient énoncé leur opinion de la manière la moins équivoque sur l’état de grossesse de l’accusée, dans leurs dépositions écrites, exprimaient à cet égard des doutes dont il était permis de suspecter la sincérité56. »
75Il arrive aussi qu’ils atténuent les effets de leurs précédentes dépositions en insinuant que l’accusé ne jouit peut-être pas de toutes ses facultés ou – dans les zones bretonnantes – en arguant d’erreurs commises par les interprètes dans la traduction des dépositions. Dans l’affaire Marie-Anne Salaün, une journalière de 27 ans qui habite à Loqueffret avec sa mère, le principal témoin à charge, après avoir dit qu’il avait entendu la mère de l’accusée, poursuivie pour complicité, lui dire : « Sois tranquille, jamais on n’entendra parler de ton enfant, je le tuerai », se rétracte. Devant la cour d’assises, il déclare : « J’ai réellement entendu la mère dire : on n’entendra jamais parler de cet enfant. J’ai compris qu’elle voulait dire qu’elle le tuerait. Par une erreur soit du juge d’instruction de Châteaulin, soit de l’interprète qui lui transmettait ma déposition, on a mis dans la bouche de Jeanne Salaün ce qui n’était réellement que l’expression de mon opinion57. » Cette rétractation permet à Jeanne Salaün d’être acquittée.
Les médecins
76Les médecins qui ont pratiqué les expertises médico-légales peuvent être appelés à témoigner pour apporter des éclaircissements sur les conclusions de leurs rapports. Lorsque le président de la cour d’assises juge que les causes de la mort sont demeurées trop imprécises, il peut aussi, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, faire citer à l’audience d’autres hommes de l’art. Ces auditions peuvent également être demandées par la défense ou le ministère public.
77De l’avis des magistrats, les rapports médicaux laissent trop souvent le champ à toutes sortes de conjectures dont la défense peut s’emparer pour provoquer un acquittement. En réalité, ce sont souvent les conditions mêmes dans lesquelles sont pratiquées les expertises qui interdisent aux médecins d’en tirer des conclusions formelles. Dans la plupart des cas, les autopsies se font à la hâte, au domicile même des inculpées, avec des moyens de fortune. Il est tout à fait exceptionnel que les cadavres des nouveau-nés soient transportés à l’hôpital où les praticiens peuvent opérer dans de meilleures conditions et disposer d’un matériel adapté. En 1829, pour pratiquer l’autopsie du nouveau-né de Vincente Le Gall, domestique à Naizin, le chirurgien ne parvient même pas, à défaut de balance, à réaliser l’épreuve de la docimasie pulmonaire : « Le chirurgien qui avait procédé à la visite du cadavre s’excusait de n’avoir pas fait l’épreuve de la pondération, sur ce qu’il n’avait pu se procurer de balance dans un lieu éloigné de plus de trois lieues de toute ville ou bourgade58. »
78Quand l’information est faite par un juge de paix, c’est en général le chirurgien ou l’officier de santé de la localité la plus proche qui est appelé. Mais les médecins de campagne n’ont guère l’occasion de pratiquer qu’une ou deux autopsies au cours de leur carrière, leur expérience est donc plus que limitée. C’est pourquoi, quand ce sont les juges d’instruction qui se transportent sur les lieux pour constater les crimes, ils préfèrent se faire accompagner d’un ou deux médecins du chef-lieu d’arrondissement qui, au fil du temps, finissent par posséder une certaine pratique de la médecine légale.
79Si les rapports médicaux sont incomplets ou s’ils comportent trop d’incertitudes, le président de la cour d’assises cherche à recueillir l’avis des médecins les plus réputés du département. Mais il n’arrive qu’exceptionnellement que ceux-ci aient une véritable spécialisation. Le professeur d’obstétrique de l’école de Rennes ne semble avoir été invité qu’une seule fois à donner son avis à la cour d’assises. Le recours à des médecins experts n’est pas toujours favorable à l’accusation parce que nombre d’entre eux répugnent à prendre position à partir des seuls éléments du dossier, sans avoir pu examiner le cadavre. Les magistrats hésitent donc souvent, par crainte de prolonger inutilement les débats, à faire appel à eux.
Attitude à l’audience
80Les magistrats n’accordent qu’une confiance limitée au corps médical parce qu’ils voient souvent les hommes de l’art revenir à l’audience sur les conclusions de leurs rapports écrits, attitude qu’ils mettent sur le compte de leur incompétence ou d’un parti pris en faveur des accusés. C’est par le souci de sauver Marie-Jeanne Guillermic, une domestique de 27 ans, que le procureur explique le revirement de position des médecins à l’audience de la cour d’assises :
« [L’affaire] a été perdue à l’audience par les hésitations et les tergiversations des médecins. Après avoir paru concluants dans leur rapport écrit, sur les causes de la mort de l’enfant, dans le sens de l’accusation, ils sont venus en quelque sorte se donner aux débats un démenti à eux-mêmes. Ils se sont montrés si incertains, si vacillants qu’on aurait presque pu croire de leur part à une arrière-pensée de préserver l’accusée au détriment de la vérité et de la justice […]. Ce n’est pas la première fois, du reste, je dois le dire, que le ministère public près de cette cour d’assises a lieu de se plaindre du peu de fermeté des médecins employés par la justice dans l’arrondissement de Lorient. Ces irrésolutions, ce manque de sûreté de décision dans les questions médico-légales sont toujours un embarras grave et souvent une cause d’insuccès pour les accusations les mieux fondées59. »
81Certains magistrats vont jusqu’à penser que les médecins se font un jeu d’affaiblir l’accusation. Dans l’affaire Marie-Anne Robin, une journalière de Moëlan âgée de 34 ans, déjà mère de deux enfants naturels dont l’un avait péri quelques mois seulement après sa naissance, et qui est accusée d’infanticide sur son troisième enfant, les médecins consultés pendant l’instruction avaient conclu très nettement à une asphyxie par strangulation. Aux débats, pour des raisons qui demeurent inexpliquées, ils reviennent totalement sur les conclusions de leur rapport :
« Les hommes de l’art sont venus au secours du système de la défense qui consistait à soutenir que l’enfant étant venu la tête la première et la face contre terre, il était très vraisemblable ou du moins fort possible que Marie-Anne Robin sentant cet enfant au passage, l’ait pris par le col, pour aider la délivrance et lui ai fait involontairement ces ecchymoses de la nuque et du côté droit du col, et ait arrêté une respiration commencée et demeurée encore imparfaite. Les médecins ont eu la faiblesse d’admettre cette hypothèse, en ajoutant que l’enfant avait dû respirer bien peu de temps, le poumon gauche ayant peu de développement. Le défenseur a habilement profité de cette défaillance de la science, et […] le jury s’est laissé entraîner à un verdict que nous étions bien loin de prévoir60. »
82C’est donc souvent plus à l’attitude hésitante des médecins aux débats qu’à la complexité des questions médicales soulevées par les affaires d’infanticide que les magistrats attribuent nombre d’acquittements. « La médecine légale dans certaines localités n’est pas à la hauteur de sa mission, écrit ainsi Lambert, mais la fermeté d’opinion lui fait bien plus défaut encore que la science61 ».
Divergences et rivalités entre médecins
83Des dissensions se font parfois jour entre les divers médecins appelés aux débats. Elles agacent les magistrats parce qu’elles portent les jurés, toujours prompts à absoudre les accusées, à s’interroger sur la fiabilité des expertises médico-légales. Androuïn attribue ainsi l’acquittement de Rose Naulet, domestique à Bourgneuf, aux désaccords des médecins, tant sur la nature des lésions remarquées au crâne de l’enfant que sur la cause de sa mort : « Les jurés, toujours indulgents en matière d’infanticide, se sont empressés de voir dans cette divergence d’opinion des hommes de l’art, un motif de doute62. » Il arrive aussi qu’apparaissent des rivalités entre les divers médecins appelés comme témoins et ceux qui figurent parmi les membres du jury. Les audiences de la cour peuvent alors devenir le terrain de véritables règlements de comptes.
84Le caractère peu rémunérateur des interventions médico-légales explique peut-être l’attitude d’excessive réserve ou de défi qu’affichent parfois les médecins aux débats. Leur participation aux audiences est considérée comme un témoignage, rémunéré par une simple taxe. Certains magistrats sont conscients des inconvénients de ce système et comprennent que les médecins ne s’y soumettent que de mauvaise grâce. Le vice-président du tribunal civil de Quimper estime ainsi que :
« Les docteurs qui ont de l’expérience et une nombreuse clientèle trouvent toujours des moyens de se soustraire à cette corvée, parce que le besoin de leur concours se fait toujours sentir instantanément. Cet embarras est encore moins grave dans les chefs-lieux de département que dans les arrondissements. Les docteurs des arrondissements sont obligés d’abandonner, pendant plusieurs jours, leurs affaires, d’introduire souvent dans leur clientèle des médecins étrangers, et leur indemnité comme témoin, ne compense pas souvent leurs frais de voyage. Cependant la plupart d’entre eux figurent aussi sur la liste des jurés, ils ont donc deux services gratuits. »
La défense
85Les accusés choisissent généralement eux-mêmes leurs défenseurs. À la veille du procès, s’ils sont encore dépourvus d’avocat, le président de la cour d’assises leur en commet un d’office. Les avocats criminalistes qui plaident les causes d’infanticide sont pratiquement toujours les mêmes : dans les Côtes-du-Nord entre 1845 et 1865, la plupart des auteurs d’infanticide sont défendus par Viet-Dubourg. Quelques noms célèbres figurent parmi les avocats de la Loire-Inférieure : Waldeck-Rousseau, père du futur président du Conseil, et Brillaud-Laujardière, auteur d’un ouvrage qui fera référence sur la question : De l’infanticide : étude médico-légale63.
86L’expérience de ces quelques avocats, qui possèdent de réelles notions de médecine légale, explique les nombreux succès qu’ils remportent à l’audience. Cette spécialisation est rendue nécessaire par le peu de temps qu’ils peuvent accorder à chaque dossier : les règles de la procédure interdisent en effet toute communication entre l’accusé et son conseil avant la rédaction de l’ordonnance de renvoi devant la cour d’assises et de l’acte d’accusation. Le défenseur peut à ce moment seulement recevoir une copie des pièces de la procédure. Dans le meilleur des cas, il ne dispose donc que d’un ou deux mois pour prendre connaissance du dossier, rechercher des témoins favorables à l’accusé et préparer sa plaidoirie64. Compte tenu des obstacles ainsi apportés à la défense il n’est guère étonnant de constater que d’une affaire à l’autre, les avocats usent et abusent des mêmes arguments, qui leur permettent, dans bien des cas, de battre en brèche l’accusation.
Tactiques des avocats
87Le premier souci des avocats, à l’ouverture de la session d’assises, est d’éliminer, au moyen des récusations par lesquelles s’opère la constitution du jury, les personnes qui pourraient se montrer peu tolérantes à l’égard des crimes contre les personnes ou des transgressions de la morale sexuelle.
88Pendant toute la période du jury censitaire, les listes départementales du jury étaient composées d’un cercle assez restreint de personnes65. Il n’était donc pas impossible de connaître celles qui avaient une réputation d’austérité. Mais les avocats ne se contentaient pas de récuser sur des réputations, réelles ou supposées. Ils allaient jusqu’à prendre des renseignements sur le comportement qu’avaient eu au cours des délibérations, qui en théorie demeuraient secrètes, les jurés de la précédente affaire. Cette pratique est évoquée en 1855 dans l’affaire de la Vve Oger : « Peu d’affaires d’infanticide se présentaient avec des preuves plus accablantes ; mais déjà la défense avait pénétré les secrets des délibérations du jury. Des récusations nombreuses et systématiques commençaient à se produire, écartant les éléments les plus intelligents que les décisions précédentes avaient fait connaître66. » Le secret des délibérations est tout relatif puisque les magistrats parviennent eux aussi à trouver des informateurs parmi les membres des jurys et sont en général parfaitement renseignés sur déroulement des votes67.
89Sans doute parce qu’une part importante de leur stratégie de défense est consacrée à travailler les sentiments des jurés, les avocats paraissent davantage tirer parti des récusations que le ministère public. Dans l’affaire Marie-Théotiste Thuaud, Vve Barbin, et de son beau-fils, Jean-Marie, l’acquittement des accusés semble avoir été favorisé par les nombreuses récusations pratiquées par la défense :
« L’acquittement des deux accusés, qui me paraissaient bien coupables, quoiqu’à des degrés différents, me semble devoir être attribué à trois causes : 1° à l’absence d’un témoin important, qu’on a omis d’appeler, 2° à l’ignorance ou la pusillanimité des hommes de l’art, qui n’ont présenté que des doutes, des hésitations, là où il y devait y avoir certitude, pour quiconque s’est occupé de médecine légale et ne fait pas entièrement abstraction des autres faits extérieurs de la cause à juger, 3° enfin à ce que le ministère public n’a fait aucune récusation, lorsque les avocats en avaient fait neuf68. »
90Les avocats savent exploiter toutes les insuffisances de l’instruction, surtout quand la médecine n’a pas réussi à apporter la preuve que la mort était le résultat d’un crime. Selon l’état d’esprit du jury à l’égard des accusés, ils demandent ou s’opposent à ce que le président pose la question subsidiaire d’homicide par imprudence comme résultant des débats. À défaut de preuves ou en l’absence du corps du délit, ils tentent de faire écarter des circonstances aggravantes ou d’obtenir la déqualification de l’accusation d’infanticide en celle de suppression d’enfant ou d’exposition dans un lieu solitaire. Mais leur principale tactique vise à émouvoir le jury – seul maître du verdict – et à faire naître des incertitudes sur l’intention criminelle des accusés ou l’identité des coupables.
91Quand les preuves sont insuffisantes, les avocats aiment agiter le spectre de l’erreur judiciaire et se plaisent à détourner la responsabilité du crime sur des personnes suspectées par l’opinion publique d’avoir assisté à l’accouchement ou participé à l’inhumation, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, les grands-parents ou le père de l’enfant. C’est parce que l’avocat de Marie Samson, une journalière-cultivatrice de 27 ans, est parvenu à faire porter les soupçons sur son père, chez qui elle était revenue accoucher que cette accusée obtient un acquittement : « La défense […] a insinué, sans le dire explicitement, que le père de l’accusée pouvait être l’auteur de la mort de l’enfant. Cet homme est brutal, souvent yvre [sic], il frappait sa fille. C’est chez lui qu’elle était allée accoucher, il ne pouvait ignorer son état. Elle l’avait prié d’aller chercher une sage-femme ; il n’y était pas allé. Quant aux objets nécessaires à l’enfant, ils se trouvaient dans la maison69. »
92L’impunité des séducteurs est également habilement utilisée par la défense. Dans l’affaire Anne Le Goff, domestique à Languidic, âgée de 24 ans, jugée devant la cour d’assises des Côtes-du-Nord en 1834, la comparution comme simple témoin du père de l’enfant, semble être un des principaux motifs de l’acquittement. Joseph Le Moing, agriculteur, âgé de 31 ans, est soupçonné d’avoir déjà séduit deux autres domestiques et a essayé par tous les moyens de procurer un avortement à Anne Le Goff. Le caractère peu sympathique du personnage fait pleinement le jeu de la défense :
« L’individu indiqué par Anne Le Goff comme père de son enfant, avait d’abord été compromis et compris dans la prévention, on avait instruit contre lui, et recherché des preuves qui ne s’étaient pas trouvées concluantes ; il n’y avait guère contre lui que la déclaration de la mère et la présence de la bouteille contenant les drogues dont j’ai parlé plus haut, de sorte qu’il n’a pas été mis en accusation, mais ces diverses circonstances ont jetté quelqu’incertitude dans l’esprit des jurés, il leur a paru qu’il n’était peut-être pas impossible qu’il eût concouru au crime, que même il l’eut commis seul dans un moment où la mère était sans connaissance par suite des douleurs de l’enfantement, la défense a profité avec avantage de ces circonstances, elle a rejetté [sic] tout l’odieux sur ce personnage qui était témoin dans l’affaire, et Anne Le Goff a été acquittée, peut-être avec quelque justice70. »
L’argumentation
93Comme la question médicale est généralement la pièce la plus fragile de l’accusation, les avocats s’engouffrent dans toutes les incertitudes des rapports d’autopsie et ne craignent pas d’apporter la contradiction aux médecins. Ils utilisent pour ce faire tout un répertoire de citations de médecine légale, qu’ils adaptent avec plus ou moins d’habileté aux affaires en jugement :
« Devant le jury, la femme Nogues [qui avait déclaré d’abord que son enfant était mort au passage] changea de système : elle avait eu, à la suite de son accouchement une longue défaillance et lorsqu’elle parvint à recouvrer ses sens, son enfant était sous elle. À cette explication, son défenseur a créé des faits, puis des hypothèses, puis il a lu des passages d’auteurs qui n’avaient nullement trait à la cause, et il a obtenu un acquittement malgré tout ce que j’ai fait et dit pour ramener le jury et lui faire comprendre qu’on l’induisait en erreur et que la mort de l’enfant était due à une forte compression de la tête sur un corps très dur, tel qu’une pierre, par exemple71. »
94Le recours à la médecine légale permet aux avocats de plaider les thèses de l’accident, de l’imprudence, de l’égarement post-partum, voire de l’aliénation, afin d’écarter toute intention criminelle. À la différence des médecins, qui demeurent très réservés sur la question de la folie consécutive aux accouchements, les avocats n’hésitent pas à se risquer sur ce terrain. Cette hypothèse semble avoir été vaguement évoquée par des hommes de l’art, et uniquement au cours des débats, dans l’affaire de Marie-Jeanne Pélion qui, après avoir étouffé son enfant, l’avait « abandonné en pâture à ses chats ». Poulizac, qui présidait la cour d’assises, ne croyait pas à la démence de cette femme :
« Dans ces sortes d’affaires, Monsieur le Ministre, les Docteurs qui voyent généralement de la folie partout, sont particulièrement convaincus que le délire accompagne toujours les accouchements clandestins des filles et ils montrent une circonspection très louable sans doute dans toutes les hypothèses, mais qui, dans certains cas, dégénère en faiblesse à laquelle vient s’ajouter encore la crainte que leur inspire le défenseur auquel il est facile de les embarrasser, en compromettant leur amour-propre, car, malheureusement, ces procès-verbaux sont souvent rédigés par des hommes incapables72. »
95On ne trouve qu’une seule femme qui ait véritablement sombré dans la folie au lendemain du meurtre qui, selon toute vraisemblance, a été perpétré par le père de l’enfant. Il s’agit de Jeanne Tiger, domestique-cultivatrice à Saint-Just, âgée de 26 ans. Après de multiples tergiversations visant à protéger son maître, Julien Ducloyer, âgé de 41 ans, cultivateur, marié et père de cinq enfants, elle avait fini par révéler au juge d’instruction les circonstances du crime : « Après bien des hésitations […], elle dit : “Après mon accouchement Ducloyer est venu ; il a vu l’enfant ; il a mis une grosse pierre sur sa tête, il est monté sur cette pierre et il a écrasé la tête de l’enfant. Voilà la vérité”, elle ajoute qu’elle a vu son maître aller chercher la pierre, mais qu’elle n’a plus voulu regarder ce qu’il a fait, qu’elle n’a point consenti à la mort de son enfant, que c’est lui qui l’a tué. »
96Inculpée de complicité, elle sombre assez vite dans un état de démence qui l’empêche de comparaître aux débats :
« Cette affaire aurait pu venir aux assises d’août […] mais on donnait des soins à Jeanne Tiger et on espérait qu’elle recouvrerait la raison, son état ne faisait au contraire qu’empirer. […] La démence de Jeanne Tiger avait commencé par être violente : cette fille voyait toujours les exécuteurs de la justice qui venaient la chercher pour la conduire au supplice… elle est ensuite tombée dans un idiotisme immobile ; elle était devenue statue, si on lui levait le bras, elle restait dans cette attitude jusqu’à ce qu’on vint lui en donner une autre… L’arrêt de la chambre d’accusation avait une exécution inévitable et Jeanne Tiger devait être conduite à la maison de justice ; dès qu’elle y est arrivée, je me suis transporté auprès d’elle, assisté d’un greffier. J’ai fait de vains efforts pour fixer son attention ; je n’ai pu en obtenir un seul mot ; elle n’a jamais voulu nous dire son nom ; et je me suis promptement convaincu qu’elle était tombée au dernier degré de l’idiotisme. »
97Le Beschu de Champsavin attribue en partie l’état de Jeanne Tiger à la brutalité du juge qui a procédé à l’instruction : « L’instruction avait été suivie avec activité et pénétration : mais l’interrogatoire et la confrontation du 20 mai ont été dirigés sans ménagement et sans réserve. L’allocution finale de M. le Juge d’instruction à Jeanne Tiger était insolite. On lui a attribué de terribles effets ; car on a pensé qu’elle pouvait être à l’origine de la démence dont cette accusée ne reviendra probablement jamais73. »
98Il n’arrive qu’exceptionnellement que les présidents s’interrogent sur l’état mental des accusés et abordent sous l’angle psychiatrique la question de leur responsabilité pénale. Mis à part le cas de Jeanne Tiger, on ne trouve qu’une seule autre expertise psychiatrique, si l’on peut désigner ainsi la contribution apportée à l’examen de la femme Clermont par le médecin-chef de l’hôpital des aliénés de Saint-Malo. Olivette Clermont, âgée de 27 ans, domestique à Châteauneuf, n’était mariée que depuis quatre mois lorsqu’elle accoucha d’un enfant qui n’était pas de son mari et qui mourut asphyxié. Comme elle avait simulé la folie au cours de l’instruction, les témoins furent consultés sur son état mental : « Les maîtres chez lesquels elle servait depuis trois ans, ont dit, l’un : “Elle est méchante et très originale, l’autre : Elle est d’un caractère brutal, et tient des discours grossiers, mais elle ne déraisonne pas.” Tous les autres témoins lui ont attribué un caractère méchant, mais on n’a jamais supposé qu’elle fût aliénée. »
99Un premier médecin considère que sa maladie est entièrement simulée et qu’Olivette Clermont n’était pas en état de démence au moment des faits. Mais, au cours des débats, de nouvelles consultations médicales sont présentées par la défense, qui viennent au secours de l’accusée et provoquent son acquittement :
« Le chef du service des aliénés à Saint-Malo avait été chargé d’examiner l’état mental de la femme Clermont. Il m’a paru que cette étude avait été faite brièvement ; le médecin s’était borné à questionner le gardien de la maison d’arrêt, et il s’était ensuite approprié son opinion. Répondant à mes questions, il a cessé d’être affirmatif, et a fini par dire qu’il était possible qu’il n’y eût pas simulation dans l’exaltation que cette femme avait manifestée, qu’elle pouvait en effet être en état de démence sinon constante, au moins temporaire et fréquente. La défense a produit l’attestation du docteur Beurrin qui avait soigné, il y a six ans, l’accusée pour une aliénation caractérisée. Le maire a dit que s’il avait résisté à la célébration du mariage, c’est qu’il considérait la future comme folle. D’autres témoins ont parlé d’actes qui n’étaient pas conformes à un esprit sain. Devant le jury, l’accusée n’a certainement pas simulé la démence ; mais il y avait dans sa tenue et dans ses réponses quelqu’étrangeté74. »
100Cette affaire est jugée en 1859. Seize années auparavant, dans l’affaire Marie Ollivier, une mendiante de 33 ans, sans domicile fixe, née à Plouzelambre, lorsque des doutes avaient été émis par un médecin sur son état mental, le président de la cour d’assises s’était contenté d’interroger à ce sujet le gardien et la sœur de charité de la prison :
« L’accusée avait avoué avoir étouffé son fruit et l’avoir entendu pleurer et crier. Un juré, docteur médecin, fut appuyé dans les questions tendant à établir la démence, par un officier de santé témoin, et l’accusée y aida de son mieux. Je fus obligé d’appeler, d’abord, le gardien de la maison de justice et la sœur de charité y attachée, et ensuite, l’officier de santé, la vérité étant d’autant plus difficile à remettre à son jour qu’il n’avait pas été instruit jusqu’alors sur l’état mental de cette fille réellement d’un esprit borné75. »
101Les avocats vont plaider la folie dans deux autres affaires, celles de Marie Prigent et de Gilette Cadro, mais dans une perspective purement tactique puisque ces moyens de défense ne paraissent reposer sur aucun argument médical. Marie Prigent, couturière à la journée au Cloître, âgée de 22 ans, avait reconnu avoir commis sur son enfant des actes d’une grande violence, avouant « qu’aussitôt la naissance de l’enfant, elle avait mis dans sa bouche trois de ses doigts pour l’empêcher de crier ; qu’elle lui avait tordu le cou ; puis qu’elle lui avait coupé la gorge avec le couteau, qu’ensuite elle avait élargi la blessure en la déchirant avec les doigts. Elle reconnut que son enfant avait crié, qu’il avait bougé pendant un quart d’heure, qu’il bougeait encore lorsqu’elle lui avait porté le coup de couteau. »
102Son défenseur, se fondant sur le caractère inutile des souffrances infligées, essaie de faire accréditer la thèse de la démence au moment des faits : « La défense a soutenu que l’accusée avait été surprise à l’improviste par les douleurs de l’enfantement, qu’envisageant alors l’horreur de sa position, elle était tombée dans le désespoir, que le désespoir avait produit l’égarement de la raison, et que c’est dans cet accès de démence qu’elle avait donné la mort à son enfant ; que la multiplicité des actes de barbarie décelait leur inutilité, et que cette inutilité s’expliquait par la démence de l’accusée76. » Mais sa plaidoirie ne convainc pas le jury et Marie Prigent est condamnée aux travaux forcés à perpétuité.
103Dans l’affaire Gilette Cadro, jugée en 1854 devant la cour d’assises des Côtes-du-Nord, Viet-Dubourg, coutumier des causes d’infanticide, introduit la thèse de la monomanie homicide, mais sans plus de succès puisque sa cliente est condamnée à la peine de mort. Cette domestique, âgée de 30 ans, avait été congédiée par ses maîtres en raison de sa grossesse, et était revenue vivre chez ses parents, au village de La Prénessaye. Au moment où elle avait ressenti les douleurs de l’accouchement, elle s’était rendue dans un champ pour accomplir son crime :
« Mais sa sœur, Anne Cadro, qui avait soupçonné son coupable projet, chargea une de ses voisines, la femme Lebionne, de se mettre à sa recherche et de la ramener à la maison. Ce ne fut qu’après une course de plusieurs heures dans la forêt que la femme Lebionne parvint à découvrir l’accusée dans sa retraite. Longtemps celle-ci résista à ses sollicitations et refusa de la suivre. Longtemps elle voulut éloigner la femme Lebionne et la tromper sur sa position : mais cette femme s’obstina à rester près d’elle, et l’adjura au nom de tous les saints du Paradis de renoncer à l’idée de commettre un grand crime. Gilette Cadro finit par céder à ces instances, et rentra dans la maison de sa mère, où, à trois heures après midi, elle mit au monde un enfant du sexe masculin. »
104Le lendemain, la femme Lebionne insiste pour faire baptiser le nouveau-né et va le déclarer à l’officier de l’état civil. L’enfant, en théorie, est donc entouré de « toutes les garanties communes », sa naissance ayant été déclarée, et son meurtre devrait donc échapper à l’incrimination d’infanticide, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, bien établie à l’époque. C’est pourtant sous ce chef d’inculpation que Gilette Cadro, qui a « tordu le cou » à son enfant le lendemain du baptême, est jugée, sans doute parce qu’elle a reconnu elle-même avoir prémédité de longue date son crime :
« Dans ses interrogatoires, comme à l’audience de la cour d’assises, l’accusée a confessé que depuis le moment où elle s’était aperçue de sa grossesse elle avait pris la résolution de se débarasser [sic] de son enfant, et que cette pensée ne l’avait pas quittée un seul instant. Le ministère public a insisté pour que le jury se montrât sévère : il a démontré sans peine combien les faits de cette affaire dénotaient de perversité et de barbarie et a fortement combattu la déclaration de circonstances atténuantes. La défense s’est hasardée à plaider la monomanie. Mais ses efforts devaient être impuissants. Le jury a rapporté un verdict de culpabilité, sans admettre les circonstances atténuantes, et la peine capitale a dû être prononcée77. »
105La sévérité du châtiment encouru constitue un épouvantail souvent brandi par les avocats, particulièrement dans les années 1820. En 1825, au lendemain de la promulgation de la loi autorisant les cours d’assises à accorder des circonstances atténuantes en faveur des mères accusées78, les jurés n’étaient pas encore familiarisés avec cet adoucissement possible de la pénalité et les avocats pouvaient jouer du caractère effrayant de la peine de mort. De Kerautem, rendant compte de l’acquittement de Marie-Françoise Nédélec qui, raffinement de cruauté, avait « déchiré » de ses mains la mâchoire de son enfant, l’expliquait par l’habileté avec laquelle son défenseur avait agité le spectre de l’échafaud :
« Quelque bien disposés que m’eussent paru quelques jurés, j’étais loin de m’attendre à ce résultat, et l’accusation me paraissait si solidement établie que je n’ai pas voulu l’ébranler par la question subsidiaire d’homicide par imprudence. J’ai été particulièrement déterminé à ce parti par la circonstance suivante : le défenseur pour effrayer les jurés, ayant lancé dans sa plaidoirie le mot échafaud, j’ai saisi cette occasion pour dire aux jurés qu’une loi nouvelle autorisait les tribunaux à réduire la peine quand ils le jugeaient convenable. Tel a été, Monseigneur, le résultat de cette affaire qui a laissé dans mon âme la triste conviction qu’il existe des hommes aux yeux de qui l’infanticide n’est point un crime79. »
L’issue des débats
106Sauf quand le crime a été commis avec une violence exceptionnelle, l’issue des procès d’infanticide est relativement imprévisible. La sanction ou l’absolution résulte d’une subtile alchimie, propre à chaque audience, entre l’interprétation des faits et de la loi. Les faits discutés au cours des débats se limitent rarement à l’acte criminel mis en exergue par l’accusation. Le magistrat aime parfois à se faire historien et à dénouer l’écheveau des événements ayant abouti au crime. Le défenseur, pour sa part, s’emploie à rechercher dans la situation particulière des accusées, dans les traits de leur personnalité, dans le comportement de leurs proches, dans leurs conditions de vie, des causalités propres à atténuer leur responsabilité ou, mieux encore, à les absoudre. En amont du crime surgissent donc des événements – séduction, tromperie, abandon –, des données psychologiques ou matérielles – solitude, fragilité, misère –, qui sont susceptibles de modifier l’appréhension initiale des faits.
107L’élaboration de la « vérité » est rendue plus complexe encore par la diversité des protagonistes en présence. Accusées, témoins, magistrats, hommes de l’art, avocats et jurés forment une mosaïque d’hommes – et de femmes – de conditions sociales différentes, ayant chacun son propre mode d’appréhension de la réalité. Tous peuvent s’entendre sur les critères de distinction du bien et du mal, mais le rapport à la mort, les sentiments portés à l’enfant, la manière de percevoir le nouveau-né, varient selon qu’ils appartiennent à la bourgeoisie policée des élites urbaines, à la paysannerie aisée des gros bourgs ou au menu peuple des campagnes. La personnalité du président et l’habileté du défenseur entrent pour beaucoup dans la lumière portée sur les faits et dans l’orientation donnée à l’audience, mais ils ne sont pas maîtres de son dénouement. Dans les affaires d’infanticide, la fragilité des preuves est une constante. Le secret de la vie intime couvre de son voile une bonne partie des faits : amours illégitimes, accouchements clandestins, incertitudes sur les circonstances de la mort, sur l’identité des coupables, sur la présence de complices, apportent leur contribution à la défense.
108Le grand art de l’avocat consiste à opposer à ces zones d’ombre le caractère implacable et terrifiant de la loi ; à brandir, face à l’accusation, le spectre de l’arbitraire ; à révéler, sous les oripeaux du crime, la silhouette de l’innocence trompée. Car le défenseur n’ignore pas que la loi ne s’embarrasse pas de nuances. Elle impose aux jurés, ultimes arbitres des débats, de répondre à une simple et unique question : L’accusée est-elle coupable ?
Notes de bas de page
1 Brouardel P., L’Infanticide, Paris, 1897, p. VI-VII.
2 AN/BB/20/120, C-N, 3e trim. 1842, Chellet, 27 août 1842.
3 Voir Shapiro A.-L., « L’Amour aux assises : la femme criminelle et le discours judiciaire à la fin du xixe siècle », Romantisme, 19, 1990, 68, p. 61-74.
4 AN/BB/20/124, I-V, 2e trim. 1843, Ernoul de la Chénelière, 29 mai 1843.
5 AN/BB/20/156/2, C-N, 2e trim. 1851, Fénigan, s. d.
6 AN/BB/20/268, F, 4e trim. 1864, Taslé, 9 novembre 1864.
7 AN/BB/20/174/2, C-N, 4e trim. 1854, Hüe, s. d.
8 AN/BB/20/245/2, F, 3e trim. 1862, Bernhard, 21 août 1862.
9 AN/BB/20/256/2, M, 2e trim. 1863, Le Meur, 20 juillet 1863.
10 AN/BB/20/281/1, L-I, 4e trim. 1865, Baudouin, 29 décembre 1865.
11 AN/BB/20/168/2, I-V, 4e trim. 1853, Le Meur, 9 janvier 1854.
12 AN/BB/20/182/1, M, 2e trim. 1855, Baudouin, 16 juin 1855.
13 AN/BB/20/235/2, F, 3e trim. 1861, Androuïn, 9 juillet 1861.
14 Idem, le procureur impérial de Quimper au procureur général, 4 juillet 1861.
15 Une femme sacrifiée, histoire véritable, Paris, 1836.
16 AN/BB/20/281/1, I-V, 1er trim. 1865, Lambert, 14 février 1865.
17 Idem.
18 AN/BB/20/200/1, L-I, 2e trim. 1857, Taslé, 24 juin 1857.
19 AN/BB/20/29, F, 3e trim. 1826, De Kerautem, 28 juillet 1826.
20 AN/BB/20/218/2, I-V, 4e trim. 1859, Laigneau-Duronceray, 12 décembre 1859.
21 AN/BB/20/218/2, M, 4e trim. 1859, Le Beschu de Champsavin, 20 décembre 1859.
22 AN/BB/20/24, L-I, 1er trim. 1825. Expression employée par Féval, à propos de Gilette Chauveau, une lingère de Pornic, acquittée par la cour d’assises.
23 AN/BB/20/29, M, 3e trim. 1826, Le Painteur de Normény, 22 septembre 1826.
24 Idem.
25 AN/BB/20/41, I-V, 4e trim. 1828, Le Painteur de Normény, 30 décembre 1828.
26 AN/BB/20/63, I-V, 3e trim. 1832, Delamarre, s. d.
27 AN/BB/20/41, C-N, 2e trim. 1828, Carron, 26 mai 1828.
28 AD F 4U2/113.
29 AN/BB/20/182/1, M, 4e trim. 1855, Hüe, s. d.
30 AN/BB/20/190/2, C-N, 4e trim. 1856, Robinot-Saint-Cyr, 12 juin 1856.
31 AN/BB/20/47, M, 2e trim. 1829, Carron, s. d.
32 AN/BB/20/168/2, C-N, 3e trim. 1853, Le Beschu de Champsavin, 8 août 1853.
33 AN/BB/20/76, C-N, 4e trim. 1834, Sébire de Bellenoë, 15 novembre 1834.
34 AN/BB/20/182/1, M, 2e trim. 1855, Baudouin, 17 juin 1855.
35 Idem.
36 AN/BB/20/235/2, C-N, 3e trim. 1861, Dupuy, 26 juillet 1861.
37 AN/BB/20/174/2, I-V, 4e trim. 1854, Le Beschu de Champsavin, 27 décembre 1854.
38 AN/BB/20/218/2, I-V, 4e trim. 1859, Laigneau-Duronceray, 12 décembre 1859.
39 AN/BB/20/235/2, M, 3e trim. 1861, Couëtoux, 2 avril 1862.
40 AD L-A 5U110/1, Julien Poullain, 22 ans, domestique, 24 janvier 1840.
41 AN/BB/20/245/2, C-N, 4e trim. 1862, Dupuy, 3 novembre 1862.
42 AN/BB/20/235/2, C-N, 3e trim. 1861, Dupuy, 23 juillet 1861.
43 AN/BB/20/245/2, F, 3e trim. 1862, le procureur impérial au procureur général, 24 juillet 1862.
44 AD M U 1953, le maire de Guern au substitut du procureur de Vannes, 1er mars 1827.
45 Ensemble des clercs et des laïcs chargés de l’administration des biens d’une église.
46 AD C-A 2U/736, certificat de moralité, 28 juin 1848.
47 Idem, certificat de moralité, 2 juillet 1848.
48 Id., Joseph Lucas, 55 ans, laboureur, 24 mai 1848.
49 Id., Pierre Perro, cultivateur et maire, 16 mai 1848.
50 AD I-V 2U4/715, certificat, 31 janvier 1840.
51 AD C-A 2U/697, certificat, 15 mars 1846.
52 AD L-A 5U66/2, le brigadier de gendarmerie de La Rouxière au procureur d’Ancenis, 6 avril 1828.
53 AD C-A 2U/735, le juge de paix de Lézardrieux au procureur de Lannion, 5 février 1848.
54 Idem. Certificat en faveur de Joseph Chauvel, 20 février 1848 ; en faveur de Marguerite Hervé, femme Lorgeré, 30 mars 1848.
55 AD I-V 2U4/636, certificats décernés par Alexandre Delaporte, officier de santé à Bourg-des-Comptes, à Françoise Vaillant et à Marie Gérard, le 14 novembre 1828.
56 AN/BB/20/53, I-V, 3e trim. 1830, Le Beschu de Champsavin, s.d.
57 AN/BB/20/174/2, F, 3e trim. 1854, Lambert, 3 août 1854.
58 AN/BB/20/47, M, 2e trim. 1829, Carron, 19 juillet 1829.
59 AN/BB/20/245/2, M, 4e trim. 1862, le procureur de Vannes au procureur général, 20 décembre 1862.
60 AN/BB/20/210/1, F, 2e trim. 1858, Lambert, 30 avril 1858.
61 Idem.
62 AN/BB/20/174/2, L-I, 4e trim. 1854, Androuïn, 27 décembre 1854.
63 Paris, 1865.
64 Esmein a souligné combien le Code d’instruction criminelle de 1808 était, par rapport aux codes de la période révolutionnaire, défavorable à la défense, op. cit., p. 535.
65 Voir le chapitre IV.
66 AN/BB/20/182/1, I-V, 3e trim. 1855, Delfaut, 3 septembre 1855.
67 Soulas C., Le Recrutement du jury, Lyon, 1933, p. 46.
68 AN/BB/20/128, L-I, 3e trim. 1844, Le Meur, s.d.
69 AN/BB/20/137, M, 2e trim. 1846, Tiengou de Tréfériou, 17 juillet 1846.
70 AN/BB/20/76, M, 2e trim. 1834, Hardy fils, 28 juin 1834.
71 AN/BB/20/200/1, I-V, 2e trim. 1857, Robinot Saint-Cyr, 8 juin 1857.
72 AN/BB/20/120, C-N, 4e trim. 1842, Poulizac, s.d.
73 AN/BB/20/174/2, I-V, 4e trim. 1854, Le Beschu de Champsavin, 27 décembre 1854.
74 AN/BB/20/218/2, I-V, 2e trim. 1859, Le Beschu de Champsavin, 5 juillet 1859.
75 AN/BB/20/124, C-N, 1er trim. 1843, Piou, 10 mars 1843.
76 AN/BB/20/108, F, 3e trim. 1840, Chellet, 10 août 1840.
77 AN/BB/20/174/2, C-N, 4e trim. 1854, Hüe, s. d.
78 Voir le chapitre IV.
79 AN/BB/20/29, F, 3e trim. 1826, de Kerautem, 28 juillet 1826.
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