Chapitre 4. Dissidence et allégeance nationale
p. 381-404
Texte intégral
1L’identité insulaire trouve également ses racines dans le sentiment de constituer une sorte d’enclave sur le plan politique, amenée en raison de son éloignement à revendiquer et à appliquer une gestion quasi autonome. Pour autant, l’implication dans la nation et le sentiment d’en faire partie se dévoilent à travers les revendications et les décisions, mais aussi à travers les comportements électoraux.
Esquisse d’une autonomie
2En 1901, la constitution de l’Union groisillonne, destinée à assurer les liaisons entre l’île de Groix et le continent, est présentée par le bulletin paroissial, La Croix de l’île de Groix, comme une « œuvre patriotique1 ». Plus généralement, dans certaines délibérations et correspondances municipales émergent des expressions telles « pays natal » et « patrie » qui suggèrent l’image d’États disposant de règles de fonctionnement propres. Se dessine ainsi une gestion qui se veut autonome, un règlement des affaires qui se revendique local. L’instituteur de Sauzon remarque que la commune constitue en 1838 une « république indépendante2 ». Les contours de ces accommodements internes qui président au gouvernement des îles méritent donc d’être cernés avec plus de précision.
3Dans un premier temps, il convient de rappeler les autorités présentes dans les îles. Houat et Hoëdic sont, jusqu’en 1891, « gouvernées » par le curé, assisté d’un adjoint nommé par Belle-Île. Les autres îles ne comptent souvent que le garde champêtre et le maire pour veiller au bon ordre de la communauté. Parfois un juge de paix s’ajoute à la courte liste des pouvoirs en présence, comme à Ouessant. Soulignons que bon nombre d’îles enfin ne disposent pas de prison. C’est le cas de Groix, Ouessant et Sein, et ce jusqu’à la fin du xixe siècle. L’exception concerne Belle-Île dont les moyens de surveillance sont étoffés. La ville et le port de Le Palais disposent, outre les représentants du pouvoir précédemment évoqués, de gendarmes, d’agents de la douane et de receveurs. À ce dispositif s’ajoute la garnison de la colonie pénitentiaire, qui certes n’intervient pas directement dans les affaires communales, mais impose une présence militaire qui s’ajoute aux autorités municipales et portuaires.
4À travers les regards que les insulaires portent sur ces représentants de l’autorité, les attitudes qu’ils adoptent et les relations qu’ils entretiennent, il est possible d’entrevoir la manière dont ils envisagent leur rapport au pouvoir.
5Peu de traces signalent les relations que les habitants nouent avec le juge de paix lorsqu’il est établi sur l’île. Le non-dit occupe une place prépondérante au sein de ces sociétés. Il semble toutefois que les recours à ce représentant de la loi aillent grandissants, et ce à partir des années 1850. Les empiétements de terrains, les injures et autres insultes constituent autant d’affaires pour lesquelles l’arbitrage du juge est requis. Les témoignages restent rares également sur l’attitude des insulaires à l’égard des gendarmes.
6Les relations que les sociétés insulaires tissent avec le garde champêtre se révèlent plus visibles, mais aussi plus ambiguës. La fonction suscite des réactions que l’on retrouve dans bien des régions. Généralement, la charge elle-même est discréditée. À Ouessant, elle est ainsi confiée à un « étranger » en 18283. Les critiques qui lui sont faites se révèlent contradictoires. Il lui est en effet reproché alternativement de faire du zèle ou au contraire de ne pas remplir avec efficacité ses fonctions. En 1881, le conseil municipal de Groix demande la révocation du garde champêtre au motif qu’il n’a pas procédé à des constats relatifs à des propriétés endommagées4. À l’inverse, une lettre anonyme qui est adressée en 1902 au garde champêtre d’Ouessant lui reproche indirectement son intransigeance5. Le personnage jouit globalement d’une mauvaise réputation et d’une maigre considération. Menacé, injurié, comme l’atteste la plainte déposée par le garde champêtre d’Ouessant à propos d’une « femme de mauvaises mœurs » qui lui aurait fait « outrage6 », il est rarement l’objet de violences physiques. Les seuls cas de coups et blessures qui ont pu être trouvés dans le registre de police d’Ouessant concernent des soldats étrangers à l’île. Dans le même temps, une certaine connivence le lie à la population. Des signes de complaisance émergent parfois des rapports du juge de paix, qui signale avoir attendu en vain « pendant trois heures7 » le garde champêtre. Soulignons également que ce dernier fait a priori partie de « l’expédition punitive » organisée par une vingtaine d’habitants de Batz à l’encontre d’un bateau de goémoniers8.
7Le maire, enfin, compose la figure centrale du pouvoir dans les petites communautés rurales que sont les îles. Sa légitimité ne paraît guère contestée par les insulaires. En 1883, toutefois, le maire de Sauzon est considéré par le garde champêtre comme indigne d’une telle charge9. Il est en effet rappelé sa tendance à l’ivrognerie, sa brutalité et sa grossièreté, ainsi que sa perversion. De semblables critiques touchent les maires d’origine continentale, comme à Batz ou encore à Le Palais, où le maire cristallise, en 1815, les reproches d’enrichissement, d’immoralité et d’incompétence10. En revanche, lorsque les maires sont considérés comme des insulaires, les critiques apparaissent moins véhémentes et concernent l’exercice du pouvoir, l’alcoolisme, mais aussi les opinions politiques et la connivence des autorités locales avec le clergé. Les adjoints et plus généralement l’ensemble du conseil municipal ne sont pas exempts de reproches, dont la teneur est globalement identique. Les insultes proférées à leur égard sont suffisamment rares pour figurer, lorsque tel est le cas, dans les archives. En 1872, le conseil municipal de Le Palais résume les injures prononcées par un ancien membre du conseil, à savoir : « voyous, putassiers, voleurs, repris de voleurs », et ce dans les lieux publics que composent les cafés11. En 1906, le maire d’Ouessant doit faire face aux affronts des militaires qui lui demandent de cesser toute discussion politique avant de lui lancer un morceau de pain à la figure12. L’impression d’une forme d’adhésion vis-à-vis du maire prévaut donc, à moins que là encore la prépondérance du non-dit, les accommodements internes, les peurs aussi suffisent à apaiser les tensions et à faire taire les contestations. Rappelons à cet égard le déroulement de certaines élections municipales. À Groix, en 1888, le juge de paix demande ainsi l’annulation du scrutin et dénonce les agissements du fils de l’un des deux candidats, appartenant à une famille d’armateurs :
« Le fils Noël était dans l’après-midi près de la porte de la Mairie, où je l’ai entendu dire, devant une nombreuse réunion, que si l’on ne votait pas pour son père, il aurait vendu tous les quarts de bateaux qui lui appartenait, effrayant ainsi tout le peuple13 ».
8Il importe également d’envisager l’attitude que les maires adoptent vis-à-vis des autorités nationales et par conséquent de discerner les représentations que les insulaires ont du pouvoir et indirectement de leur communauté. Rappelons en premier lieu le regard empreint de méfiance et de mépris que les préfets et autres administrateurs portent sur les maires des îles et qui prolonge les représentations dépréciatives des insulaires que certains observateurs promeuvent au cours du xixe siècle. En l’an III, le commandant de Belle-Île estime irréalisable la réunion des quatre communes de l’île en une seule et pense plus judicieux de confier l’essentiel des pouvoirs à Le Palais. À ses yeux, les maires des trois communes sont en effet indignes d’exercer leur fonction : « les maires et adjoints de Sauzon, cabaretiers du plus bas étage ; de celui de Bangor, ivrogne sans modèle et fossoyeur ; et de celui enfin de Locmaria aussi cabaretier et d’ailleurs peu convenable14 ». En 1828, le préfet use d’arguments comparables pour justifier la nomination d’un « continental » à la mairie de Batz : « vous savez […] combien la plupart de nos localités sont dépourvues d’hommes capables et combien on rencontre de difficultés pour organiser l’administration de nos communes rurales15 ». À la lecture de son rapport, le ministère s’enquiert toutefois de la possibilité de nommer un insulaire, non pour satisfaire les demandes de l’île, mais pour que le pouvoir soit assuré quotidiennement dans la mesure où les difficultés de communication sont susceptibles d’entraver sa venue. La réponse du sous-préfet est là encore sans équivoque : « les capitaines de navire sont pour la plupart sans éducation, sans moyen et adonnés à la boisson16 ». En 1819, enfin, alors que le maire d’Ouessant est suspecté de se livrer à la fraude sur le sel, le problème de sa révocation se pose. Selon le préfet, en effet, « il serait pour ainsi dire impossible de lui trouver un successeur plus lettré […] ou qui comme lui ne se livrât pas au commerce de la fraude17 ». Il ne faudrait pas toutefois réduire l’appréciation des autorités locales à un dénigrement et une suspicion, mais ce sont là les seuls discours qui ont pu être retrouvés. En outre, ces avis s’estompent au cours du xixe siècle.
9Or, ces maires adoptent des attitudes diverses par rapport au respect et à l’application des lois. Si la mauvaise volonté perce parfois, il est souvent difficile de distinguer les actes qui relèvent de la négligence ou de l’incapacité d’imposer le droit et ceux qui résultent de véritables refus. Quelques exemples tendent cependant à démontrer l’existence de silences complaisants, d’omissions complices, voire d’entraves conciliantes18.
10Comme au xviiie siècle, les enquêtes qui concernent l’échouage de bâtiments et la possession des biens ramassés sur les grèves n’aboutissent guère et suggèrent ainsi une connivence des autorités locales. En 1835, le maire rapporte que les recherches entreprises à Belle-Île pour retrouver les effets volés à la suite d’un naufrage se sont révélées « infructueuses19 ». L’argument de l’ignorance est également adopté par le maire adjoint de Batz qui proclame, en 1868, ne rien savoir de l’attaque d’un bateau venu du continent pour ramasser du goémon20. Il se dit même surpris car « il ne se passe guère rien, dans toute l’étendue de l’île, qui ne parvient à sa connaissance21 ». Une même attitude de passivité entoure les questions fiscales. À Groix, en 1816, le maire clame son ignorance et estime ne pas savoir combien de journaux de terres l’île renferme, arguant d’un morcellement extrême et par conséquent de l’incapacité des particuliers à calculer la superficie de leur propriété22. L’année suivante, le conseil municipal se défend d’avoir voulu s’acquitter des contributions avec retard23. L’application tardive des lois abonde également dans le sens d’une complaisance certaine. Alors que les autorités municipales d’Ouessant sont confrontées au développement de la prostitution dans les premières années du xxe siècle, le préfet leur reproche à maintes reprises de ne pas faire exécuter l’arrêté qui proscrit l’exercice de cette activité, leur rappelant même qu’une notice explicative leur avait été adressée quelques années auparavant. Dans la réponse qu’il présente, arguant notamment que les femmes qui s’adonnent à la prostitution n’ont pas 21 ans, et par conséquent échappent à la législation, le maire fait preuve d’une lecture formaliste de la loi et révèle une application toute aussi tatillonne24. À l’évidence, les autorités municipales rechignent à intervenir. À leurs yeux, la situation est « trop délicate25 ». Le maire oscille ainsi entre le souci de ménager les susceptibilités, la volonté d’ignorer la situation et, visiblement, la mauvaise foi et le refus de s’interposer. Il est aisé d’imaginer les réticences des autorités locales à sévir, la tentation de camoufler une pratique dont le sentiment honteux qui l’entoure porte atteinte à la respectabilité de la société dans son ensemble.
11Le dernier moyen adopté pour contourner la loi se caractérise par le refus patent de toute intervention, qui se manifeste avec évidence. En 1834, le directeur des douanes blâme le maire d’Ouessant à qui il reproche d’avoir publié un avis relatif à la fraude du sel et donc « donné l’éveil aux insulaires en laissant craindre des visites prochaines de la part de la douane26 ». Rappelons que nombre d’administrateurs envisagent les îles comme des lieux privilégiés pour l’exercice de la fraude et perçoivent les maires et autres adjoints comme les acteurs premiers de ces agissements27. Les effets n’ont pas manqué à se faire sentir : les recherches entreprises à Ouessant se révèlent infructueuses.
12Les oublis, les feintes, les quelques refus, en bref les entorses à la loi se caractérisent par leur modestie en comparaison des actions violentes et des révoltes que connaissent certaines sociétés rurales. De fait, les insulaires ne cherchent pas à obtenir la constitution d’un État affranchi de toute dépendance, mais revendiquent la gestion exclusive de certains domaines, à l’exemple du ramassage des épaves. L’éloignement, le petit nombre de représentants de l’autorité favorisent à l’évidence le sentiment et la volonté d’une organisation partiellement autonome et conduisent au non-dit, dont témoigne le relatif silence des sources. Les insulaires attendent donc du pouvoir municipal qu’il soit le garant des intérêts de la communauté.
13Une évolution se dessine toutefois au cours du xixe siècle. Dans la première partie du siècle, les autorités locales manifestent une volonté très claire de limiter l’intervention des pouvoirs « extérieurs ». En 1812, le conseil municipal de Bréhat rappelle la tranquillité que connaît sa commune et estime par conséquent inutile la présence d’une deuxième compagnie de garde nationale28. Les insulaires revendiquent donc un affranchissement de toute manifestation d’autorité, arguant de leur placidité et implicitement de leur capacité à gérer collectivement et de manière autonome leur communauté.
14À l’inverse, dès les années 1830 dans certaines communes de Belle-Île et à Groix, plus tardivement notamment dans la dernière décennie du xixe siècle dans la plupart des autres îles, le recours à des autorités extérieures à l’île s’impose. Dans un contexte où le pouvoir municipal étend le champ de ses prérogatives, fixant et rappelant les usages, suppléant à la solidarité défaillante de la collectivité, le besoin de maintenir l’ordre se fait sentir. Dans les années 1870, le maire de Groix revendique la nécessité d’une brigade de gendarmerie29. En 1901, les autorités d’Ouessant estiment insuffisantes les forces de police en raison de troubles importants qui agitent l’île30. Dès lors, les discours qui sont tenus ne remettent pas en cause l’image de populations capables de gérer leurs propres affaires, mais ils stigmatisent la présence massive d’étrangers, présentés comme les fauteurs de trouble.
15Plus intéressante, en revanche, pour notre propos est la gêne que ressentent désormais les insulaires par rapport à l’absence d’un certain nombre de représentants de la loi, corollaire de la perception d’une condition insulaire contraignante qui se déploie dans les années 1850. Dès 1836, la commune de Sauzon déplore l’absence d’un receveur des douanes31. En 1853, le maire d’Ouessant souligne les problèmes nés de l’absence d’un notaire32. Les autorités de Bangor, en 1877, signalent les multiples conflits qui opposent les particuliers à propos de la possession de parcelles et requièrent la présence d’un avocat33. En bref, les insulaires demandent à bénéficier de moyens de maintenir l’ordre qui leur permettraient une gestion plus aisée, sans toutefois renier leurs velléités d’une autonomie relative. Le pouvoir extérieur est donc loin de représenter une tutelle pesante, mais une autorité avec laquelle les populations s’accordent.
16Une exception mérite toutefois d’être signalée. Houat et Hoëdic constituent des sections administratives dépendantes de Belle-Île jusqu’en 1891, date à laquelle elles sont érigées en communes autonomes. Or, tout au long de la deuxième moitié du xixe siècle, les deux îles déposent des plaintes à l’égard de Belle-Île. À leurs yeux, cette dernière incarne, en effet, une autorité supérieure, extérieure à l’île, qui loin d’être tolérée est ressentie comme une servitude. Dès la Révolution, le problème de la domination de Le Palais se pose et ressurgit à différents moments, notamment dans les années 1840. Il prend cependant une réelle ampleur dans les années 1880, lorsque les habitants revendiquent, sous l’égide de leur curé, leur autonomie administrative. Ils rappellent à maintes reprises que leurs intérêts sont profondément différents des préoccupations de Le Palais34. Dans une pétition qu’ils adressent au préfet, les habitants de Houat mettent en évidence la dépendance à laquelle ils sont soumis, qualifiant même Le Palais de « métropole » :
« Houat, divisée de territoire, est également divisée d’intérêts avec le Palais. Elle est annexée à Belle-Isle, et cependant elle ne donne même pas une voix dans le concert municipal dont elle dépend, qui lui commande et la domine, pouvant disposer de tout chez elle, sans même consulter les vœux, les besoins, les nécessités des habitants35 ».
17Dès lors, les insulaires déclinent dans leurs propos le champ lexical de l’oppression. Ils déplorent « les lenteurs involontaires, sans doute36 » qui accompagnent toute démarche administrative. Au conflit d’autorité s’ajoutent, rappelons-le, des divergences sociales et professionnelles. Le curé de Houat désapprouve l’achat de maisons par des Bellilois commerçants qui représentent, selon lui, « un malheur pour la morale publique37 ». Soulignons à cet égard que les insulaires envisagent la gestion spécifique de l’île comme un mode d’exercice du pouvoir, hérité des ancêtres, une forme de résistance en quelque sorte à une domination subie. À propos des prêtres, ils rappellent « leur intelligence, leur dévouement et leur bonté paternelle38 ». Il est en revanche difficile d’approfondir l’analyse dans la mesure où le gouvernement « théocratique » est décrit et défendu par les prêtres eux-mêmes qui évoquent « un gouvernement paternel, patriarcal, approuvé par tout le monde39 ».
18À l’inverse, les autorités de Le Palais font preuve d’un mépris, d’une condescendance qui ne sont pas sans rappeler les attitudes des membres de l’administration préfectorale à l’égard des îles bretonnes. Arguant d’un poids financier trop lourd à supporter pour la municipalité, elles encouragent la constitution de communes distinctes, tout en soulignant l’incapacité du curé et des habitants à gérer leur île. Comme les habitants des deux petites îles, elles rappellent l’absence de tout point commun40. Elles proposent ainsi l’image de populations arriérées, illettrées, soumises à la domination absolue du clergé41. L’influence des discours extérieurs se révèle à cet égard probante. Dans une lettre qu’il adresse au préfet, le maire de Le Palais fait allusion au Lampion de Berluron et conclut qu’il s’agit là d’une « situation tellement bizarre qu’elle est incroyable42 ». La lecture de la presse ne peut qu’encourager les autorités belliloises à redoubler la critique et à considérer comme illégale la situation des deux îles43. En outre, on sent poindre une certaine méfiance à l’égard de leurs populations dans les déclarations du maire de Le Palais :
« Considérant l’état des esprits dans les îlots, j’estime que l’administration doit y conserver une autorité quasi absolue et […] les diriger d’une main vigoureuse dans leur propre intérêt. […] Il faut dompter l’animal44 ».
19Les propos se révèlent étonnants car les autorités de Le Palais reproduisent l’image de désordre, d’arriération, de religiosité exacerbée que certains observateurs extérieurs appliquent aux îles bretonnes, et ce à une autre échelle.
20Des relations de pouvoir se dessinent également entre Le Palais et Sauzon, et plus généralement les autres communes belliloises, même si les sources ne sont guère éloquentes à leur égard. Alors que le préfet s’enquiert de la possibilité de créer une foire à Le Palais, le conseil municipal de Sauzon évoque « les sentiments hostiles [de Le Palais] à l’indépendance de la commune […] dont ils désireraient fort dicter les actes et annuler toute liberté d’action45 ». Jugeant inutile la constitution d’une nouvelle foire, ils rappellent « l’avidité trop grande de la ville46 ». Ces relations d’autorité, ces enjeux de pouvoir conduisent ainsi à gommer toute affinité que pourrait susciter une même condition insulaire.
Allégeance nationale
21Parallèlement à leurs aspirations à des formes d’autonomie, les insulaires expriment une identité nationale dont il convient de cerner les contours et d’envisager les manifestations.
22Au cours du premier tiers du xixe siècle, les insulaires proposent une image d’eux-mêmes qui s’inscrit dans la continuité du siècle précédent, proclamant leur utilité et leur loyauté, revendiquant en quelque sorte la légitimité d’être Français. Les Ouessantins soulignent leur obéissance et leur fidélité, leur dévouement et leur bravoure, rappelant que « jamais aucun Ouessantin n’a déserté47 ». Les propos sont semblables à Groix où le zèle des hommes et leur utilité pour le gouvernement figurent parmi les qualités mises en exergue48. De fait, valorisation professionnelle, utilité pour le gouvernement et appartenance française s’entremêlent et forment une identité aux contours confus.
23Or, dans la deuxième partie du xixe siècle, il semble que les insulaires n’éprouvent plus le besoin de légitimer leur utilité. Leur appartenance à la nation relève a priori de l’acquis. Dès lors, on assiste à une dissociation des différentes facettes identitaires. Certes, l’engagement dans la Marine nationale suscite à l’évidence une fierté qui conjugue métier et dévouement envers le gouvernement. Toutefois, les insulaires mettent dorénavant en avant leur identité professionnelle et promeuvent, on l’a vu, leur excellence. La bravoure et le dévouement qui les caractérisent deviennent des qualités inhérentes à leur profession ou à leur fonction de sauveteurs. À cet égard, les regards extérieurs et les représentations insulaires s’entremêlent avec évidence. En 1902, le bulletin paroissial de Groix, La Croix de l’île de Groix, rapporte les propos élogieux de l’évêque qui loue « la bravoure et la générosité49 » des marins de l’île.
24Par conséquent, le sentiment d’être exclu de la nation, l’impression de ne pas bénéficier des mêmes droits se révèlent à leurs yeux intolérables. L’attitude que les autorités locales adoptent vis-à-vis de certaines dispositions légales est à cet égard révélatrice. En 1815, le conseil municipal de Groix déplore l’existence d’un octroi sur l’île :
« L’île de Groix est française, elle a un lieutenant de roi français, des fortifications, des impositions françaises, bref elle est toute française. […] L’île de Groix par sa position […] a le droit d’implorer la bienveillance et la bonté paternelle sur cette isle et de lui demander avec confiance le droit de redevenir française50 ».
25Ces revendications tendent cependant à s’estomper dans la seconde moitié du xixe siècle. Elles surgissent de manière ponctuelle, notamment lorsque les Ouessantins formulent des contestations virulentes à l’égard des garnisons de soldats et puisent dans une thématique identique, à savoir « l’île n’est point une colonie51 ».
26L’opportunisme des pouvoirs locaux se manifeste avec évidence : prompts à revendiquer l’application d’une législation qui satisfait les intérêts insulaires, ils s’emploient dans le même temps à contourner des lois jugées en contradiction avec les pratiques communautaires. Toutefois, au-delà de ces revendications, il est intéressant de souligner les réactions qui animent les populations insulaires face au regard de « l’extérieur ». En refusant d’être soumis à des lois différentes, les insulaires condamnent l’image négative que proposent implicitement les administrateurs et clament alors avec d’autant plus de virulence leur pleine appartenance à la nation. L’exemple d’Ouessant illustre ce jeu de regards entre d’une part des administrateurs extérieurs pour qui l’île facilite une forme d’emprisonnement et autorise de fait l’installation de garnisons, et d’autre part les insulaires qui critiquent bien évidemment la présence des soldats, mais combattent aussi l’appréciation péjorative qui émane de la décision même. L’impression d’être assimilés à des peuplades des colonies fait naître chez ces insulaires un sentiment de honte et de révolte qui affleure dans les correspondances échangées par les autorités de l’île.
27Dans le même temps, les insulaires aspirent à contourner la loi. Loin de se révéler contradictoires avec la détermination manifeste d’être pleinement reconnus comme Français, ils traduisent une volonté de concilier appartenance nationale et gestion communautaire spécifique. Il ne s’agit pas, en effet, de contester la légitimité d’un pouvoir, mais d’obtenir une exemption légale, une soustraction aux principes communs quand ils se révèlent contraires aux intérêts des insulaires.
28À première vue, ces requêtes s’inscrivent dans le prolongement des demandes de privilèges formulées au cours du xviiie siècle et qui s’effacent dans les premières années du xixe siècle. Dans leur cahier de doléances, les représentants d’Ouessant et de Molène aspirent ainsi à prolonger l’exemption de droits sur le vin accordée par les États de Bretagne52. À ce propos, il convient de souligner l’importance que revêt la franchise de droits sur le vin qui occupe près d’un tiers du cahier de Molène. Il y est rappelé l’insuffisance des barriques accordées, les caprices du recteur qui se permet parfois de refuser la distribution, la nécessité de boisson pour les noces et les baptêmes, les malades et les vieillards, les sauveteurs et les naufragés53. Les insulaires de l’île revendiquent également dans leurs doléances l’affranchissement du paiement du vingtième et de toute autre imposition. Néanmoins, la logique se révèle désormais sensiblement différente. La légitimité du privilège est fondée sur l’utilité et l’excellence des insulaires au sein du territoire national ; l’exemption, en revanche, repose sur les contraintes induites par l’espace insulaire. Dès lors, la mise en exergue du caractère exceptionnel d’une population, dévouée à un plus haut degré à la sécurité de l’État, tend à s’effacer au profit de la promotion d’une différence, d’une singularité, qui est ressentie et exposée comme une contrainte et une infériorité spécifiques aux îles.
29Quelques exemples illustrent cette perception. Dès la Révolution, les autorités de Bréhat demandent la permission de tenir les assemblées dans l’île et de conserver les registres, dérogeant à la loi qui impose le déplacement sur le continent54. C’est également au nom de l’éloignement et de la contrainte géographique que le conseil municipal d’Ouessant demande à ce que les insulaires ne fassent pas leur service sur le continent55. Le maire de Le Palais souligne en 1820 que « Belle-Île est dans une position telle qu’elle doit faire exception à la règle commune pour l’entretien de ses routes56 ».
30Dans la même logique, les demandes d’exemptions visent à concilier les usages locaux et les lois nationales. Le maire d’Ouessant en 1890 signale ainsi que le décret de 1868 relatif au goémon « n’a jamais pu être appliqué à Ouessant » et justifie cet état de fait par l’indigence de la population. Par conséquent, il est demandé à l’administration « de vouloir bien laisser la liberté aux habitants de couper le goémon de rive comme par le passé57 ». À Houat la conciliation s’exprime avec plus d’acuité encore. L’arrêté du maire prolonge en 1906 la vaine pâture qui se révèle en contradiction avec la règle générale58.
31Les moyens utilisés pour obtenir faveurs et exemptions illustrent également les relations que les insulaires entretiennent avec le pouvoir, dont ils admettent la légitimité et dont ils attendent en retour la reconnaissance de leur propre légitimité. Dès le xviiie siècle, la pétition constitue en effet le vecteur privilégié par lequel les aspirations et les revendications sont transmises59. Le recours à la pétition se révèle logique et découle des contraintes géographiques des îles. L’éloignement rend vaine en effet toute action violente dont l’écho ne pourrait être que faible et entrave la possibilité de manifestations spontanées sur le continent. En outre, la pétition se veut l’expression de la communauté et semble correspondre à la volonté des insulaires de faire la preuve d’une action solidaire. Face à ces démonstrations qui se veulent collectives, les autorités nationales s’emploient à disqualifier l’aspect communautaire pour légitimer leur refus. Il est à cet égard intéressant de constater que les pouvoirs locaux reproduisent ces discours et appliquent aux pétitionnaires les qualificatifs de « minorité » ou « d’excités ».
32Les moyens utilisés pour manifester les mécontentements, profondément pacifiques, trouvent également une explication dans les représentations que les insulaires ont du pouvoir politique et des régimes, dans les modalités de leur participation à la vie politique. L’étude des comportements électoraux permet ainsi de mieux mesurer l’adhésion des insulaires aux différents régimes qui se sont succédé. Rappelons à cet égard que la participation aux enjeux politiques nationaux figure au premier plan des revendications insulaires. En 1792, les habitants de Hoëdic se plaignent de n’avoir pu exercer leur droit d’expression en raison de leur trop grand éloignement de Le Palais60.
33Dans la plupart des îles, la période révolutionnaire se caractérise par un calme relatif. L’exemple de Bréhat est à cet égard révélateur. L’île ignore terreur et émigration. Les faits majeurs concernent des dégradations commises à l’encontre de l’église61. À Le Palais, le Club des défenseurs de la liberté dénonce en 1793 le maire et quelques conseillers jugés modérés avant de les faire emprisonner62. Le soulèvement de la population conduit à leur libération. En fait, les insulaires proclament rapidement leur adhésion aux idées révolutionnaires et par la suite à la République. Le maire de Bréhat associe désormais utilité des insulaires, nationalité française et sentiment républicain63. En l’an II, le conseil de Le Palais estime que les dénominations utilisées rappellent la féodalité et propose par conséquent de les modifier. Belle-Île deviendrait « l’Île de l’Unité » et Le Palais « la Montagne64 ».
34Il convient cependant de ne pas surestimer cette adhésion au régime républicain. En 1797, à Bréhat, le pouvoir municipal constate que « quelques habitants de cette commune ne sont pas présents à cette fête [de la paix avec l’Autriche], ils sont en ce moment confondus, honteux, cachés dans leur maison comme des loups dans leur tanière, ils regrettent tant les succès de la République65 ». Outre les dissensions, la période révolutionnaire suscite des bouleversements politiques et des conflits d’autorité qui ne doivent pas être sous-estimés. Le soutien qui est parfois apporté au curé réfractaire engendre ainsi des dissensions dans certaines îles, notamment à Ouessant et à Groix. En 1790, les officiers municipaux de cette dernière dénoncent le retour du curé qui met en œuvre « le fanatisme, l’esprit de vengeance et la haine de la Constitution » et redoutent « le succès que pourroient avoir les manœuvres des ennemis de la chose publique66 ». Par conséquent, il apparaît malaisé d’évaluer l’adhésion aux régimes de la Révolution.
35Le Consulat et l’Empire paraissent susciter, en revanche, un certain enthousiasme, qui se traduit par les résultats du plébiscite de 1802 relatif au consulat à vie et qui révèle un comportement politique conforme d’une part aux résultats obtenus dans les arrondissements dont dépendent les îles et d’autre part à la France dans son ensemble67.
36De multiples témoignages de reconnaissance abondent dans le même sens. En 1808, le maire de Le Palais fait part d’une requête qui vise à témoigner de la fidélité de la commune à l’impératrice :
« Les bons et fidèles habitants de Belle-Île, dans le cœur de chacun desquels est élevé un temple aux vertus qui vous distinguent des autres mortels, ne peuvent vous donner une marque éclatante de leur amour respectueux qu’en sollicitant de votre Majesté la faveur de voir ajouter au nom de Belle-Île celui de notre auguste souveraine68 ».
37La demande est toutefois refusée. Belle-Île est en effet considérée comme « un point marquant, trop essentiel pour le navigateur et trop généralement connu, pour qu’il ne soit pas jugé inconvenant d’en changer le nom69 ». Des témoignages épars attestent du consensus qui règne dans la plupart des îles. La fête en souvenir de la naissance de l’empereur donne lieu à une longue description dans le registre de délibérations d’Ouessant, qui rapporte la liesse des réjouissances et souligne la fidélité des habitants :
« Ils ne formoient qu’une seule famille, en faisant retentir mille fois les cris de Vive l’empereur, Vive l’impératrice et de l’auguste famille impériale […] et font des vœux de conserver les jours sacrés de leurs majestés […]. Après le soleil couché, toutes les maisons de particuliers aisés ont illuminé la façade de leurs maisons et le maire a fait également illuminer le haut de la flèche du clocher de l’Eglise70 ».
38Par conséquent, la plupart des îles bretonnes témoignent d’une adhésion au régime impérial et ne constituent pas à cet égard une exception. Seul Le Palais se distingue de cette approbation a priori consensuelle.
39La Restauration et la Monarchie de juillet donnent lieu à de semblables témoignages de reconnaissance, certes épars, mais qui tendent à traduire un certain assentiment. En 1814, les Sénans expriment leur joie du retour « de leur roi légitime71 ». À plusieurs reprises, les marins d’Ouessant rappellent leur dévouement au service du roi. Une fête en l’honneur de Louis-Philippe donne lieu, en 1830, aux réjouissances convenues72. Quelques indices nuancent toutefois l’impression d’une union politique, mais ils restent trop isolés pour en tirer des conclusions. En 1830, le préfet du Morbihan dénonce la présence de coteries et d’un esprit de parti dans la ville de Le Palais73.
40Soulignons que ces célébrations sont l’occasion de tensions. En 1817, le préfet considère comme « une faute impardonnable » l’absence du maire de Bréhat lors de la fête en l’honneur de Marie-Antoinette74. À Sauzon, en 1831, le maire signale les réticences du desservant qui a refusé de chanter, mais qui, lors de la messe, « n’a pas paru en être mécontent75 ». En 1833, le curé de Groix refuse au maire une annonce exceptionnelle76. En 1847, à Sein, la fête en l’honneur du roi donne lieu à deux cérémonies, l’une préparée par le prêtre et à laquelle le maire n’assiste pas, l’autre organisée le jour suivant par le maire77.
41Si la Seconde République ne donne pas lieu à des remarques particulières dans les registres de délibérations municipales, les insulaires participent toutefois au scrutin du 13 mai 184978.
42Le comportement électoral des insulaires ne diffère guère de celui des communes littorales79. La participation est relativement forte dans certaines îles, notamment à Sein. À Le Palais et à Groix, en revanche, elle se révèle faible.
43Le Second Empire, quant à lui, suscite des manifestations d’enthousiasme. Le conseil municipal de Groix salue de la sorte le retour du régime impérial :
« La France entière vous acclame et vous supplie de rendre au pays le calme dont il a besoin pour se livrer au travail, seule source vraie de l’amélioration du sort du peuple, en reconstituant l’empire héréditaire80 ».
44Les résultats des plébiscites témoignent, avec éloquence, d’un vif attachement des insulaires au prince président, puis au régime impérial. Ceux de 1851 et de 1852 illustrent la popularité du régime81.
45Le plébiscite du 8 mai 1870 confirme l’approbation de l’Empire82.
46Dans la majorité des îles, les comportements électoraux apparaissent globalement conformes aux attitudes des autres communes du continent et plus généralement des cantons et des arrondissements dont elles dépendent. L’abstentionnisme est ainsi relativement élevé83. Des nuances doivent cependant être apportées. Dans une même île, des variations sont aisément perceptibles d’un scrutin à l’autre et semblent s’expliquer moins par une indifférence subite ou un intérêt lointain pour les préoccupations politiques nationales que par l’absence d’un certain nombre d’inscrits du fait de leur profession de marin84. Dès lors, l’ensemble des chiffres quant à l’abstentionnisme des électeurs mérite d’être considéré avec précaution. L’adhésion se révèle toutefois plus forte dans la plupart des îles. En 1852 comme en 1870, les voix favorables au « oui » excèdent les résultats obtenus dans les cantons et les départements85.
47Il convient toutefois de différencier les comportements électoraux des îles. Certaines, à savoir Batz, Ouessant, Molène, Sein, Groix86, mais aussi les communes belliloises de Bangor, Locmaria et Sauzon, se caractérisent par une convergence évidente des votes. Dans ces îles où l’emprise des autorités religieuses et politiques est sans doute forte, où les communautés présentent vraisemblablement une certaine cohésion, les insulaires glissent vers une adhésion massive au régime impérial qui atteint parfois les chiffres de 100 % de votants. La fierté éprouvée face à une participation unanime transparaît dans l’annonce triomphale du juge de paix d’Ouessant, satisfait d’annoncer au préfet du Finistère que « peu d’électeurs ont manqué à l’appel [lors du plébiscite du 21 novembre 1852], il y a eu 276 votants et 276 adhésions au plébiscite. Ce n’est pas la première fois que la population de notre île a témoigné par un vote unanime, sa reconnaissance à son altesse impériale, pour avoir sauvé la France de l’abyme de l’anarchie et des révolutions87 ».
48Dans d’autres îles, comme Bréhat, ainsi que dans la commune belliloise de Le Palais, les attitudes électorales témoignent d’une adhésion légèrement moins forte. Pour autant, Le Palais ne rejoint pas tout à fait les conduites politiques des villes du continent comme Lorient et Port-Louis, dans lesquelles les résultats sont plus contrastés88. Le consensus se révèle donc d’envergure. Quelques oppositions s’expriment néanmoins. En 1850, l’instituteur est critiqué avec virulence pour l’agitation qu’il entretient :
« Il prêche haut et préconise ces détestables doctrines socialistes dans les cabarets et très probablement dans son école. Il influence une partie de la population toute rurale et fort simple de la commune pour faire la guerre au curé de la paroisse89 ».
49Face à l’enthousiasme que suscite le régime impérial, il convient de s’interroger sur l’accueil réservé à la République. Il importe de souligner en premier lieu la participation relativement modeste aux scrutins de 187690.
50En outre, l’impression prévaut qu’un éclatement des voix, certes modéré, se produit et atteste d’une certaine vie politique91. Rappelons à cet égard que les populations de ces îles, composées de marins et de catégories sociales contrastées, se renouvellent partiellement dans la deuxième partie du xixe siècle. Pour autant, il paraît délicat de parler de « politisation » des îles, terme qui impliquerait une indifférence et une ignorance préalable des débats politiques, ce qui est loin d’être le cas. De fait, la compréhension que les insulaires peuvent avoir des événements et des enjeux reste malaisée.
51Des faits isolés traduisent régulièrement les tensions et les antagonismes qui existent au sein des sociétés insulaires et qui se nourrissent d’oppositions politiques. Ils mettent en évidence l’importance des actions symboliques, que sont les drapeaux, les sonneries de cloches ou les absences volontaires à des fêtes92. En 1883, à Hoëdic, le recteur se voit reprocher d’avoir posé un drapeau blanc sur le clocher de l’église. Face aux accusations, il argue de son innocence et de son incompétence :
« Comme l’adjoint spécial et l’instituteur m’avaient dit l’an dernier qu’ils n’avaient pas besoin de ma permission pour apposer le drapeau sur l’église […], je n’étais plus sûr de mon droit de surveillance et je croyais que l’enlèvement de l’emblème séditieux était l’affaire de la police locale93 ».
52Dans le même esprit, en 1886, l’instituteur et le garde champêtre de Sauzon s’emploient à dresser le drapeau tricolore, or le fils de l’adjoint au maire enlève le drapeau, et ce, selon les dires de l’instituteur, sur l’ordre de son père94. D’après le commandant de police, cet acte suscite « l’indignation d’une certaine partie de la population95 ».
53Le 14 juillet 1882, à Houat, alors que le prêtre est absent, l’instituteur qui est également secrétaire de mairie, décide de faire sonner les cloches. Il est alors pris à parti par des enfants qui l’insultent et lui jettent des pierres96. En 1879, enfin, à Ouessant, le maire déplore l’absence du recteur lors de la visite du préfet. Ce dernier clame son ignorance :
« Monsieur le maire ne m’avait prévenu en aucune façon de la visite de Monsieur le préfet à Ouessant. J’affirme que je n’avais pas entendu souffler le moindre mot d’aucun côté, avant l’arrivée même de ces messieurs tout près du bourg de Lampaul. […] Mais de quels côtés venaient ces messieurs ? Dans quel endroit étaient-ils débarqués ? Où pouvais-je aller, sans indiscrétion, leur offrir mes humbles hommages ?97 ».
54L’importance des symboles transparaît également, d’une certaine manière, dans le conflit qui oppose le curé à l’instituteur laïque de Houat pour la possession d’archives autrement significatives sur le plan politique, à savoir l’état civil et le cadastre. En 1895, ce dernier fait part de son étonnement au maire avec qui les relations sont particulièrement tendues :
« J’ai constaté hier un fait étrange dont je soupçonnais depuis longtemps l’existence : le dépôt d’une partie des archives de la mairie au presbytère. Ce fait, probablement unique en France, me montre que vous êtes plus porté à prendre des droits que la loi ne vous accorde pas que soucieux de remplir vos devoirs de maire98 ».
55Dans la réponse qu’il lui adresse, le maire nie la présence d’archives au presbytère et laisse affleurer une animosité comparable :
« N’ayant pas l’humeur guerrière ni la manie d’écrire, vous me permettrez de ne pas vous suivre dans cette voie de récriminations mesquines. […] Vous voyez des illégalités et du mal partout même là où il n’y en a pas du tout. Aussi vous avez constaté un fait que vous soupçonniez depuis longtemps le dépôt d’une partie des archives au presbytère. […] Jamais, je vous défie de prouver le contraire, ni plan cadastral, ni matrice, ni états de sections n’ont été déposés une minute au presbytère, ni même les registres, sauf parfois ceux de l’année courante. […] Si j’ai une partie des archives chez moi, croyez-vous, Monsieur, que la France soit en grand danger pour cela ?99 ».
56De fait, l’affrontement ne prend guère l’aspect d’opposition directe, mais se caractérise par la prépondérance de la dissimulation, du silence, du stratagème. Il traduit le plus souvent l’opposition classique entre un maire ou un instituteur républicain et un prêtre qui manifeste des idées contraires à la République. Deux exemples se révèlent à cet égard emblématiques. À Bréhat, en 1869, le maire et le recteur s’affrontent à plusieurs reprises. Le recteur reproche dans un premier temps au maire de ne pas autoriser le baptême avant que l’enfant ne soit inscrit sur le registre civil. Quelques mois plus tard, le grenier de la mairie cristallise l’opposition. Le maire en revendique en effet l’usage, alors que cet étage était longtemps détenu par le presbytère. Il se plaint notamment « d’avoir entendu des indiscrets dans le grenier100 ». Or, selon les dires du curé, le représentant de l’autorité locale envoie le tambour dans l’île pour annoncer que le desservant voulait obtenir la propriété de l’ensemble de la mairie et, à défaut, déciderait de nouveaux impôts pour construire une maison digne du curé. Une femme de l’île, enfin, fait part à l’évêque d’un incident qui s’est produit à la sortie de la messe : le frère du maire a donné un coup de poing au curé, suscitant l’hilarité du maire101. À travers ce conflit, se dessinent les éléments de la rivalité, à savoir la provocation, la médisance et la sollicitation de la population, mais aussi, plus rare, la violence. Le conflit qui oppose le curé au maire à partir de 1884, à Locmaria, obéit à la même configuration. Outre les nombreuses absences du desservant, le maire déplore les propos du curé, qui, lors de la messe, formule des critiques à l’encontre de la municipalité et de la République, et ce en dépit d’un rappel à l’ordre du préfet102. Le maire et une soixante de personnes quittent alors l’église. Le recteur, quant à lui, se défend de toute injure et ce « pas plus pour les électeurs républicains que les hommes qui sont à la tête des affaires103 ». Là encore, l’arme que constitue le sermon en chaire s’affirme avec évidence. Les manifestations de protestation n’en sont pas moins ostensibles.
57Il convient toutefois de ne pas réduire les conflits à une opposition entre des autorités locales républicaines et des autorités religieuses antirépublicaines. En 1883, alors que l’instituteur et le garde champêtre se trouvent dans une auberge, le maire de Sauzon fait irruption en état d’ivresse et tient des propos royalistes. Le garde champêtre rappelle « ses opinions hostiles au gouvernement de la République104 ». Il mentionne que le cantonnier a été menacé quelque temps auparavant, le maire lui affirmant : « tu es rouge toi, moi je suis blanc, tu te rappelleras de ça105 ». De fait, les intérêts locaux paraissent se superposer aux divergences « nationales ». L’exemple de Groix est à cet égard révélateur. Sous les mandats des maires républicains Noël et Romieux, dans les années 1870, l’adjoint est réactionnaire. Au-delà de ces exemples épars, il est toutefois difficile de cerner avec plus de précision les lignes de partage et les oppositions qui gouvernent les sociétés dans leur ensemble.
58En revanche, la première décennie du xxe siècle donne lieu à des oppositions tranchées qui dépassent les seuls conflits de personnes. Dans un contexte d’anticléricalisme croissant, les antagonismes prennent une visibilité exemplaire. En 1902, à Ouessant, les enfants des écoles publiques et privées s’insultent copieusement, suggérant une profonde division de la communauté insulaire106. À Groix, des manifestants, parmi lesquels une majorité de femmes, sont traduits en justice. Le bulletin paroissial de l’île, La Croix de l’île de Groix, s’en fait le fervent défenseur, soulignant la dignité et l’honnêteté des Groisillonnes107. Les querelles atteignent leur paroxysme en 1906 lorsque se déroulent les inventaires des biens du clergé. À Ouessant comme à Sein ou à Groix, l’inventaire donne lieu à des manifestations virulentes de la population, interprétées par nombre d’observateurs extérieurs et en premier lieu par les préfets comme les signes évidents de leur nature réactionnaire. Le préfet du Finistère met ainsi en garde le Ministère de l’Intérieur par rapport à « l’état d’esprit » des îles108. Il estime notamment nécessaire de « prévoir que les habitants des îles très cléricaux et très fanatisés pourront opposer une résistance violente lors des opérations109 ». De fait, les insulaires empêchent les forces de police de débarquer, comme à Ouessant. L’arme que représente la possibilité ou non d’accoster, déjà entrevue au xviiie siècle, se manifeste ici avec évidence. Chargées de veiller au bon déroulement de l’opération, ces forces de police sont accueillies par des insultes et des jets de pierre. Quelques voix timides et contraires se font toutefois entendre, comme à Ouessant où les forces de l’ordre perçoivent, lors de l’accostage, les cris de « Vive la liberté110 ».
59Les conflits recèlent ainsi une configuration complexe dans les îles. D’après les administrateurs extérieurs, les haines personnelles, les problèmes d’alliance et de famille animent les esprits et déterminent les formes des conflits. En dépit de la volonté évidente de diminuer la dimension politique des enjeux, il est vraisemblable que ces données constituent une composante fondamentale des dissensions insulaires, même s’ils ne transparaissent guère dans les sources. Les éléments qui affleurent mêlent intérêts locaux et questions nationales.
60Les habitants des îles bretonnes se caractérisent donc par des aspirations diverses, à première vue contradictoires, formulant le vœu d’être considérés comme des Français à part entière et de participer en conséquence aux votes nationaux, souhaitant dans le même temps ménager un semblant de gestion autonome et revendiquant à ce titre des aménagements de la loi.
***
61Par le biais de quelques bribes, à travers des scènes furtives, se dessine ainsi une évolution dans les représentations que les insulaires ont d’eux-mêmes et de leur île. D’une définition sociale, les insulaires glissent vers une qualification géographique. De la perception d’une continuité territoriale et fonctionnelle par rapport au continent, ils évoluent vers l’appréciation d’une dualité, d’une opposition, d’une différence. D’une lecture du territoire par rapport à ce qu’il n’est pas, ils envisagent l’espace pour ce qu’il est. Dès lors, les habitants des îles promeuvent l’idée d’une spécificité, ancrée dans un territoire aux composantes singulières, fondée sur la conscience, de plus en plus nostalgique, de former une communauté à part, promue par les observateurs extérieurs. Les jeux de regards, les influences respectives, les emprunts et les inflexions jouent un rôle important, a priori croissant, dans la composition de l’identité.
62Les îles bretonnes ne composent pas toutefois un ensemble homogène et il est dès lors possible d’entrevoir des identités spécifiques et complexes. À grands traits, et donc de manière forcément réductrice, on peut souligner que Bréhat et Batz fondent leur identité sur une conscience aiguë de leur territoire, et ce en raison de leur proximité avec le continent et des nombreuses incursions « étrangères ». Ouessant met en relief la valeur de ses marins et l’originalité de ses particularités culturelles. À Sein, les habitants mettent en évidence les contraintes de leur espace. Les identités paraissent moins tranchées à Groix et surtout à Belle-Île. À l’égard de cette dernière, il convient de se méfier de l’effet que produisent les sources, dans la mesure où la division de l’île en quatre communes invite à des décisions moins éloquentes. Il en est de même de Houat et Hoëdic dont les documents concernent avant tout le mode de gouvernement et conduisent à exacerber l’importance de l’organisation adoptée. Il est enfin illusoire de vouloir envisager la perception des habitants de Molène.
Notes de bas de page
1 20 janvier 1901.
2 ADM T 461 Lettre de l’instituteur, 10 novembre 1838.
3 ADF 4 U 27.
4 AM GX Délib., 15 août 1881.
5 AM O Lettre du maire, 25 juillet 1902.
6 Ibidem. Lettre du maire, 9 juin 1902.
7 ADF 13 U 8 62 Enquête du juge de paix, 10 février 1868.
8 Ibidem.
9 ADM M 4744 Lettre du juge de paix, 21 août 1883.
10 AN F1 b II Morbihan.
11 AM PAL Délib., 17 novembre 1872.
12 AM O Lettre du maire, 28 juin 1906.
13 Cité par Allanic G., Groix, la mer et la pêche au xixe siècle, Mémoire de maîtrise, Université de Bretagne Sud, 1999, p. 101.
14 ADM 1M Circ 30 Lettre du commandant de Belle-Île, 11 ventôse an XIII.
15 AN F1 b II Finistère Lettre du préfet, 29 mars 1828.
16 Ibidem. Lettre du sous-préfet, 19 novembre 1828.
17 Ibidem. Lettre du préfet, 27 décembre 1819.
18 Les sources, là encore, exagèrent la faute.
19 ADM U 582 Rapport du juge de paix, 14 novembre 1835.
20 ADF 13 U8 62 Interrogatoire du maire-adjoint, 10 février 1868.
21 Ibidem.
22 ADM 3 ES 69/2 Lettre du maire, 1er octobre 1816.
23 Ibidem. Lettre du maire, 12 mars 1817.
24 AM O Lettre du maire, 3 mars 1902.
25 Ibidem.
26 ADF 1 Z 135 Lettre de la direction des Douanes, 20 septembre 1834.
27 Le sous-préfet signale que « l’autorité locale […] est toujours plus ou moins intéressée de ces sortes de fraude », 13 août 1818 ADF 1 Z 13.
28 AM BT Lettre du maire, 20 juillet 1812.
29 ADM R 1304 Lettre du maire, 28 juillet 1871.
30 AM O Lettre du maire, 20 septembre 1901.
31 ADM 3 ES 241 Délib., 22 mai 1836.
32 AM O Délib., 13 juillet 1853.
33 AM BG Délib., 4 novembre 1877.
34 « Rien ne lie, rien ne rattache ces deux pays ». ADM 3 ES 86 Pétition des habitants de Houat, 11 février 1884.
35 Ibidem.
36 Ibid.
37 EV Vannes Lettre du recteur, 14 décembre 1880.
38 ADM 2 O 85 Pétition des habitants, 18 juillet 1880.
39 ADM 1 MI circ 21 Lettre de l’ancien recteur de Houat au nouveau recteur, 22 juillet 1885.
40 AM PAL Délib., 9 novembre 1873.
41 ADM 2 O 85 Lettre du maire, 21 juin 1880.
42 Ibidem. Lettre du maire, 26 janvier 1880.
43 « Ici la loi n’est pas appliquée ». AM PAL Délib., 15 août 1880.
44 ADM 2 O 85 Lettre du maire de Palais, 19 octobre 1883.
45 ADM 3 ES 241 Délib., 26 août 1888.
46 Ibidem.
47 AM O Délib., 27 décembre 1818.
48 AM GX Délib., 8 avril 1833.
49 27 juillet 1902.
50 ADM 3 ES 69/1 Lettre du maire, 23 septembre 1816.
51 AM O Délib., 19 novembre 1905.
52 ADF 10 B 4.
53 Ibidem.
54 ADCA 1 L 578 Lettres de l’agent municipal, 8 et 11 vendémiaire an VII.
55 AM O Délib., 27 décembre 1818.
56 AM PAL Délib., 28 mai 1820.
57 AM O Délib., 8 juin 1890.
58 AM HT Délib., 23 septembre 1906.
59 Il en est de même lors des conflits qui opposent les insulaires au maire, au curé ou à l’instituteur.
60 ADM L 925 Lettre des habitants de Hoëdic, 10 décembre 1792.
61 À Groix, l’église est dévastée en 1792. L’influence de marins révolutionnaires, parfois étrangers à l’île, est soulignée par Cabantous A., Le ciel dans la mer…, op. cit., p. 319.
62 Cité par Garans L., op. cit.
63 AM BT Délib., 8 germinal an II.
64 AM PAL Délib., 3 pluviôse an II.
65 Cité par Le pache J.-L., op. cit., p. 22.
66 ADM L 10702 Registre de délibérations de la paroisse de Groix, 10 octobre 1790.
67 AN BII 496 bis, 512, 573.
68 ADM 1 M Circ 11 Lettre du maire, 24 novembre 1808.
69 Ibidem. Lettre du sous-préfet, 19 décembre 1808.
70 AM O Délib., 15 août 1813.
71 SHM Brest 3 A 106 Lettre des habitants de Sein, 28 août 1814.
72 AM O Délib., 30 avril 1830.
73 AN F1 b II Morbihan, 18 septembre 1830.
74 AN F1 b II Côtes-du-Nord, 4 mars 1817.
75 ADM 3 ES 241 Délib., 1er mai 1831.
76 ADM 3 ES 69/2 Lettre du maire, 3 mai 1833.
77 EV Quimper 1 P 83, Lettre du curé, 29 mai 1847.
78 AN C 1491, 1500, C 1532.
79 Sein constitue une exception par l’importance de sa participation. Dans le canton de Pont-Croix, la part des votants est de 58 %. En revanche, la participation de Bréhat est comparable à celle du canton de Paimpol.
80 AM GX Délib., 17 octobre 1852.
81 AN BII 1066, 1073, 1100 et AN BII 1155, 1162, 1189.
82 AN BII 1245, 1252, 1279.
83 En 1851, l’arrondissement de Brest compte 45 % de votants, celui de Morlaix, 56 %. Le canton de Saint-Pol dont relève Batz compte 42 % de votants, celui de Paimpol dont dépend l’île de Bréhat 56 % de votants.
84 À Molène, en 1851, la part des votants est de 62 % ; en 1852, elle est de 100 %.
85 En 1852, les îles du Finistère dépassent le pourcentage obtenu par le « oui » dans le département (98,8 %), ainsi que les résultats des cantons dont elles dépendent. Celui de Pont-Croix [Sein] compte 99,8 % de « oui », celui de Saint-Renan [Molène] 99,5 %, celui de Saint-Pol [Batz] 98,2 %. Dans les Côtes-du-Nord, Bréhat dépasse le chiffre du département (98 %) et surtout celui du canton de Paimpol (92,8 %). Dans le Morbihan, le « oui » recueille 97,78 % de oui. Seul Le Palais présente un résultat inférieur au chiffre du département. En 1870, la situation est globalement comparable.
86 Il en est vraisemblablement de même pour Houat et Hoëdic, mais leurs résultats sont inclus dans la commune de Palais.
87 AN BII 1162, lettre du 24 novembre 1852.
88 Pour le plébiscite de 1870, la part de votants à Lorient et Port-Louis est respectivement de 76 % et 69 %. La part des « oui » par rapport aux votants est de 77 % dans la première et de 84 % dans la seconde.
89 ADM T 224 Lettre de Trochu au préfet, 26 janvier 1850.
90 AN C 3749, 3756, 3783. Ce comportement, partagé par Batz, Ouessant, Le Palais, Bangor et Sauzon, est conforme à l’attitude de la côte. Sein, Molène, Houat, Höedic mais aussi Groix, par son faible taux de participation, font figure d’exception. Les scrutins postérieurs, de 1889 à 1898, connaissent une participation modeste, tant dans les îles que sur le continent. En revanche, la participation croissante de la Bretagne, de 1902 à 1914, est peu suivie dans les îles, à l’exception de certaines comme Sein. Voir Pierre P., Les Bretons et la République. La construction de l’identité bretonne sous la Troisième République, Rennes, Presses universitaires de Rennes II, 2001.
91 La vie politique reste modeste dans certaines îles. À Ouessant, en 1876, 318 voix sur 324 bulletins vont au même candidat conservateur. (AN C 3756). Quelques années plus tard, le maire J.-M. Malgorn, qui occupe la fonction de 1884 à 1914, recueille aux élections de 1888 entre 80 et 90 % des suffrages. Deux listes seulement s’opposent à lui, Malgorn recueille 300 voix, la seconde liste 60, la troisième 7. Voir Péron F., Ouessant, l’île sentinelle, op. cit., p. 325. Le phénomène est comparable dans des îles comme Sein, Molène, Houat et Hoëdic. Dans la première, sur 116 votants, 105 vont au candidat conservateur et 8 au candidat républicain. Dans d’autres îles, les opinions se révèlent plus contrastées. À Locmaria et à Bangor, les premiers candidats recueillent entre 77 % et 79 % des voix. À Le Palais, le premier candidat recueille 73 % des suffrages. À Batz et à Sauzon, le premier candidat recueille 65 % des voix. (AN C 3756 et C 3783).
92 Il s’agit d’une configuration classique des conflits du monde rural. Citons Delpal B., Entre paroisse et commune. Les catholiques de la Drôme au milieu du xixe siècle, Valence, Éd. du Peuple libre, 1989 ; Singers B., Villages notables in 19th centyry France. Priests, mayors, schoolmasters, Albany, State University of New York Presse, 1983. Selon Alain Corbin, on assiste à un approfondissement de la conscience municipale après 1831, Les cloches de la terre…, op. cit. De même, François Ploux rappelle que les conflits dépassent les seules personnalités du maire et du curé, Les formes du conflit…, op. cit.
93 EV Vannes, Lettre du recteur, 20 août 1883.
94 ADM M 4744 Lettre du commandant de police, 19 juillet 1886.
95 Ibidem.
96 AM PAL Lettre du maire, 23 octobre 1882.
97 EV Quimper 1 P 155 Lettre du curé, 10 août 1879.
98 ADM 3 ES 86 Lettre de l’instituteur, 21 octobre 1895.
99 Ibidem. Lettre du maire, 22 octobre 1895.
100 EV Saint-Brieuc Lettre du recteur, 21 septembre 1869.
101 Ibidem. Lettre de Thoinnet, 16 septembre 1869.
102 ADM V 596 Lettre du préfet, 7 mai 1886.
103 ADM V 596 Lettre du recteur, 22 avril 1886.
104 ADM M 4744 Déposition du garde champêtre le 21 août 1883.
105 Ibidem.
106 AM O Lettre du sous-préfet, 5 mars 1902.
107 16 août 1903.
108 ADF 2 V 17 Lettre du préfet, 23 novembre 1906.
109 Ibidem.
110 ADF 2 V 17 Lettre au préfet, 28 novembre 1906.
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Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008