Voie de terre contre voie de mer
Réseaux consulaires et pèlerinage à La Mecque au xixe siècle
p. 245-260
Texte intégral
1L’histoire du pèlerinage à La Mecque (hajj) est intimement liée à celle de ses routes, terrestres ou maritimes, et plus largement à tous les réseaux qui innervent la terre d’islam, qu’ils soient religieux, politiques ou commerciaux1. Au cours du xixe siècle, la montée en puissance de l’impérialisme va changer en profondeur l’économie du pèlerinage à La Mecque en accélérant la mise en place d’un réseau consulaire en mer Rouge. Parmi ces postes, le port de Djeddah porte maritime de la Ville sainte, se renforce à mesure que s’accroît l’ingérence de l’Europe dans les affaires du pèlerinage. L’ambition est alors grande, pour certaines puissances coloniales comme la France, de chercher à se substituer aux réseaux traditionnels sur lesquels s’appuient les pèlerins musulmans en route vers La Mecque. Ce projet ambitieux ne devait connaître qu’une réalisation tardive, comme le montre l’exemple du pèlerinage de l’Afrique du Nord sous domination française des premières années de la conquête à la Révolte arabe de 1916.
Toutes les routes mènent à La Mecque. Quand la France coloniale s’intéressait aux routes du pèlerinage
Un arbitrage permanent entre caravanes terrestres et voies maritimes
2Lorsqu’en juillet 1830, les troupes françaises débarquent à Sidi Ferruch, une pluralité de circuits s’offre aux pèlerins maghrébins désireux de se rendre dans les Villes saintes du Hedjaz, le choix de l’itinéraire – terrestre ou maritime – étant déterminé in fine par la stabilité politique et militaire des régions traversées.
3Dès le Moyen Âge, les pèlerins de l’Occident musulman ont contracté l’habitude de voyage à bord de navires chrétiens pour échapper aux risques de pillage qui menacent les routes caravanières. En février 1183 par exemple, c’est sur un navire génois que l’andalou Ibn Djubayr gagne les Lieux saints de l’islam depuis le port de Valence2. En 1325 en revanche, c’est la route côtière – « le chemin qui longe le rivage » – que privilégie le voyageur marocain Ibn Bâttuta3 : parti de Tanger, il gagne ensuite Tlemcen, Alger, Constantine, Tunis puis Gabès. C’est également au xive siècle qu’est créée la première caravane officielle des Maghrébins, inspirée de l’initiative du soufi Abû Muhammad Sâlih (1153-1234) qui souhaitait ainsi renforcer l’obligation du pèlerinage par la création d’un réseau de zawâyya et de ribât destinés à héberger les pèlerins en toute sécurité sur la route de La Mecque4. Le Rakb al-maghribiyya a pour point de départ la ville de Fès. Il traverse le bassin de l’Ouadi-Djîr puis gagne, en direction du Sud, le Tafilelt – points d’embranchement des routes commerciales de Mauritanie et du Sénégal –, bifurque en direction du Tuwat, et gagne la côte en traversant le Mzab (Laghuat) – le Souf (Touggourt) et le Djerid tunisien (Toseur et Gafsa) avant de rejoindre Gabès5. De là, la caravane du Maghreb longe les côtes de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque et gagne Le Caire où elle rejoint la caravane égyptienne et son célèbre mahmal, le palanquin sacré transportant la housse (kiswa) destiné à recouvrir la Ka‘ba pendant la durée du pèlerinage6. Ces deux convois gagnent ensuite les Lieux saints, soit par le Sinaï, en longeant la rive orientale de la Mer Rouge, soit en remontant le Nil avant de gagner le Hedjaz par le port d’al-Qusayr.
4Cette concurrence des itinéraires terrestres et maritimes perdure à l’époque moderne. À la fin du xviie l’Anglais Joseph Pitts, siècle est réduit en esclavage par un pirate algérois qui l’entraîne avec lui en pèlerinage. Embarqué sur un navire français à destination d’Alexandrie, Pitts se fait l’écho du succès remporté, chez les pèlerins algériens, par la voie maritime, réputée beaucoup plus sûre que les pistes caravanières7. La route côtière n’a pas disparu pour autant. Elle est explicitement mentionnée dans un poème du xviiie siècle de Ben Msayeb Itinéraire de Tlemcen à La Mecque8. Mais à cette époque, l’intensification des échanges entre l’Europe et l’Empire ottoman incite la Régence d’Alger à organiser elle-même des pèlerinages par voie de mer sous la forme d’une caravane officielle chargé de remettre le produit de biens habous aux pauvres du Hedjaz9. Le départ du convoi donne lieu à une cérémonie officielle où le fondé de pouvoir (wakîl) des habous de La Mecque et de Médine remet au mufti d’Alger la somme destinée aux pauvres des Lieux saints, laquelle est ensuite répartie – pour des raisons de sécurité semble-t-il – entre les différents membres de la délégation officielle. La durée du voyage est établie avec précision de manière à rejoindre dans les temps la caravane du Caire. À l’instar du mahmal égyptien, seuls les frais de l’amîr al-hajj et de ses agents sont pris en charge par la puissance publique ; les pèlerins accompagnant la caravane – on les estime entre trois et quatre cent au début du xixe siècle pour la seule Régence d’Alger – doivent subvenir à leurs propres besoins.
5Bien que les habous algériens aient été confisqués dès les premières années de la conquête, c’est ce modèle de convoi officiel qui va inspirer le général Bugeaud pour organiser à six reprises, entre 1842 et 1847, des pèlerinages officiels en offrant le voyage aux Lieux saints à un certain nombre de notables dont il souhaitait s’attacher les faveurs. Bénéficiant des débuts prometteurs de la navigation à vapeur en Méditerranée, cette opération de propagande, qui vise à afficher la sollicitude de la France à l’égard des musulmans, reçoit une large médiatisation, y compris en métropole. L’Illustration relate ainsi l’embarquement en septembre 1842 de « cent vingt-quatre indigènes, appartenant aux classes riches et lettrées, et recueillis dans les provinces d’Alger, d’Oran et de Constantine, ainsi que dans la Régence de Tunis » à bord du vapeur Le Caméléon. L’opération est renouvelée l’année suivante et étendue à d’autres ports d’Afrique du Nord10. Cette initiative est toutefois abandonnée dans les dernières années de la monarchie de Juillet en raison de son coût et de l’afflux de pèlerins pauvres au Hedjaz.
6À la même époque, l’intérêt des militaires se porte également sur les itinéraires terrestres qui semblent avoir profité de l’interruption du pèlerinage maritime pendant les années de conquête : la route du Tell et surtout celle du Rakb al-maghribiyya transitant par le versant méridional de l’Atlas. Cette caravane terrestre, véritable souk itinérant qui permet aux pèlerins de s’approvisionner en denrées de consommation et d’échange, intéresse au plus haut point les militaires français qui cherchent à en capter les richesses, à la faveur de la pénétration française dans le Sahara dans les années 1843-1844. Dans le cadre de l’Exploration scientifique de l’Algérie, les capitaines Carette et Daumas se livrent à une opération de repérage des itinéraires transsahariens, marchands et pèlerins11. Cette activité mobilise un travail important de cartographie mais passe aussi par la traduction de récits de pèlerinages comme ceux d’El ‘Aïachi et Moulay Ahmed12. Thomassy, Prax et Aucapitaine tentent de leur côté d’évaluer les richesses drainées par la caravane de La Mecque et les bénéfices retirés par les pèlerins à l’occasion du hajj13. Au moment même où la présence française dans le Sahara et la suppression de la traite portent un coup sérieux à ce commerce qui se déplace alors vers le Sahara oriental, l’orientaliste Fulgence Fresnel se plaît à rêver d’une grande caravane africaine sous pavillon français14. Ne serait-il pas alors possible de profiter du passage des pèlerins pour écouler des produits français vers l’Orient mais également de permettre à ces pèlerins de vendre leurs marchandises au meilleur prix au Hedjaz, grâce aux informations délivrées par le poste consulaire de Djeddah15 ?
Des consuls de Djeddah isolés et aux marges de manœuvre limitées
7En 1839, le gouvernement français vient en effet de créer l’agence consulaire de Djeddah, première antenne française en mer Rouge, confiée à l’orientaliste Fulgence Fresnel qui revenait alors d’une mission d’exploration en Arabie16. Du fait des progrès de la navigation à vapeur dans la région et de l’ouverture de l’Empire ottoman au libre-échange, cette agence a officiellement une vocation commerciale17. Mais elle a aussi pour objectif d’informer Paris des menées britanniques en mer Rouge. Une somme de quatre mille francs est assignée à cet établissement dont la mission consiste à fournir « des informations exactes sur les faits politiques et commerciaux qui se passent dans la mer Rouge, informations qui offrent un si haut intérêt depuis que cette mer est devenue le canal de communication de l’Inde avec l’Europe et que les Anglais ont fondé leur établissement d’Aden18 ». En 1841, c’est au tour de Massaoua d’accueillir une représentation française afin d’entretenir de bonnes relations avec les chefs éthiopiens et de protéger les missions d’exploration dans la région19.
8Cette même année, Léon Roches, interprète principal du général Bugeaud, se voit confier par celui-ci la mission de rallier à la France plusieurs ennemis d’Abd El-Kader. Sous la plume romanesque de Roches, cette mission a tôt fait de se transformer en une expédition secrète destinée à rapporter une fatwa enjoignant aux Musulmans d’abandonner la guerre sainte contre les Français, mission qui aurait conduit l’interprète de Bugeaud de Kairouan au Caire puis du Caire à La Mecque. Or s’il est établi que Roches s’est bien rendu en Égypte, aucune preuve matérielle n’existe d’un éventuel séjour au Hedjaz20. Dans son récit, Léon Roches a très largement recours à une rhétorique humanitaire. Il se déclare ainsi choqué par « la façon inhumaine dont on entasse, comme un vil bétail, nos pèlerins algériens sur les bateaux qui les transportent dans les divers ports de la mer Rouge ». Et de s’indigner contre « une situation qui porte atteinte au prestige de la France21 ». Le message semble avoir été reçu puisque le voyageur se voit attribuer la Légion d’honneur à la fin de l’année 1842, année même où Bugeaud décidait de réactiver le modèle des caravanes officielles de la Régence. L’année suivante, c’est au tour de Fulgence Fresnel d’attirer l’attention de son Département sur l’insécurité des pèlerins algériens au Hedjaz, fréquemment détroussés par les bédouins22, si bien que, par une ordonnance royale du 27 avril 1845, l’agence consulaire de Djeddah est transformée en consulat de deuxième classe, tandis que des secours exceptionnels, à hauteur de trois mille francs, sont accordés aux pèlerins algériens. En janvier 1847, du fait des abus dont auraient été victimes certains pèlerins algériens, le gérant du consulat suggère même d’ouvrir une agence consulaire à La Mecque confiée à un musulman. Mais sa proposition est alors rejetée par le ministère des Affaires étrangères au prétexte que « la qualité d’agent d’une puissance chrétienne deviendrait immédiatement une cause d’exclusion et de persécution23 ». En effet, les consuls européens ont tôt fait de constater les limites de leur devoir de protection : non musulmans pour la plupart d’entre eux, ils ne peuvent franchir le périmètre sacré institué par le Prophète autour des Lieux saints.
9L’image que ces consuls dressent du poste est alors extrêmement négative. Aux dires de l’un d’entre eux, Djeddah ne serait ni plus ni moins que « l’un des postes les plus malsains et certainement la plus déshéritée de toutes les résidences24 ». Son climat chaud et humide est propice aux fièvres paludéennes. Hostile à la présence de chrétiens sur le sol sacré, la population locale, fréquemment décrite comme « fanatique », n’hésite pas à transformer les consuls européens en boucs émissaires pendant les périodes de crise, comme l’illustre tristement l’épisode des massacres de 1858. Dans la soirée du 15 juin 1858, prenant prétexte d’une obscure affaire de pavillon, les habitants du Hedjaz envahissent les bâtiments consulaires français et britanniques avant de défenestrer le vice-consul anglais Page tandis que le consul de France Eveillard et son épouse sont assassinés au pistolet et à l’arme blanche. Ces meurtres ouvrent une chasse aux chrétiens de Djeddah où périssent dix-neuf marchands chrétiens dont treize Grecs, pour la plupart protégés français ou anglais au titre des Capitulations. Pour les survivants de la tuerie, les marchands grecs notamment, les motifs de ce massacre ne font aucun doute : ils sont liés au « mécontentement des musulmans de voir des chrétiens domiciliés dans leur terre sainte25 ».
10Les postes consulaires de la mer Rouge sont cependant encore trop récents et isolés pour que l’on puisse véritablement parler d’un « réseau » consulaire. S’agissant de Djeddah, l’agence consulaire est soumise à de longues périodes de vacance26 et les rapports des consuls font régulièrement état de leur isolement, à l’écart des réseaux d’information et des circuits marchands. En effet, les échanges du Hedjaz avec la France sont très réduits, si bien que la Compagnie des messageries maritimes préfère à Djeddah le port franc d’Aden, où une agence consulaire est confiée à l’un de ses représentants en 1857. La perspective de l’ouverture du canal de Suez – qui se traduit, en 1863, par la création d’une agence consulaire à Port-Saïd et la transformation du poste de Suez en consulat l’année suivante – n’a aucun effet sur la situation du poste. Dans leurs rapports économiques, les consuls de Djeddah se plaignant alors du peu d’informations mis à leur disposition dans un port qui n’est alors qu’un vaste entrepôt sur la route des Indes :
« Il n’y a aucun négociant européen et la Douane se refusant à donner communication de ses livres, ce n’est que par les indigènes ou les résidents indiens, mais encore avec une excessive difficulté, que l’on peut arriver à se procurer les renseignements commerciaux27. »
11C’est le développement de la navigation à vapeur qui va pourtant contribuer à renforcer la structuration de ces réseaux consulaires de la mer Rouge, tout d’abord en amplifiant le risque épidémique, rendant nécessaire la mise en place d’un dispositif d’alerte sanitaire, mais également en recentrant les itinéraires des pèlerins autour des grandes voies maritimes.
Le développement des réseaux d’information et de transport en mer Rouge : l’invention d’un « pèlerinage consulaire »
La difficile élaboration d’un système d’information sanitaire
12Dès la fin de la monarchie de Juillet la France a joué un rôle pionnier en matière d’information sanitaire, grâce à la mise en place d’un réseau de médecins sanitaires dans les principales échelles de Méditerranée orientale. En effet, là où le désert assumait jusqu’ici un rôle de barrière prophylactique, l’essor sans précédent des échanges intercontinentaux a accru les risques d’exposition aux épidémies. Rattachés aux postes consulaires, ces médecins ont ainsi pour mission le contrôle sanitaire de la navigation et la traque des épidémies, à commencer par la peste28. Mais, concentré sur les principales échelles du Levant, ce réseau sanitaire est vite débordé par l’apparition du choléra à La Mecque en 1865 et sa propagation en Europe à la faveur du développement de la navigation à vapeur et du chemin de fer. La France prend alors l’initiative de convoquer une Conférence sanitaire à Istanbul en 1866 où sont jetées les bases d’un nouvel ordre sanitaire reposant sur la réactivation des quarantaines maritimes29.
13Parallèlement, le gouvernement français décide d’étendre le réseau des médecins sanitaires à la mer Rouge : en 1866, le docteur Bernard Schnepp, est nommé médecin sanitaire à Djeddah, en qualité de vice-consul, après huit années passées à Alexandrie dans des fonctions similaires. Pour le Quai d’Orsay, il s’agit en effet « d’organiser à Djeddah un système de surveillance permettant de prendre les mesures efficaces pour prévenir une nouvelle invasion30 ». Ainsi, par exemple, lorsque le choléra fait son apparition à La Mecque en décembre 1877, le docteur Buez, médecin sanitaire à Djeddah, en communique aussitôt la nouvelle au consulat général d’Égypte, aux médecins sanitaires à Suez et Alexandrie ainsi qu’au directeur de la Santé de Marseille et au gouverneur général d’Algérie31. Le poste assume désormais une fonction d’observation et les rapports sanitaires qui en émanent régulièrement revêtent une importance de premier ordre, si l’on en juge par l’ampleur de leur circulation entre postes diplomatiques, ministères et gouvernement coloniaux. C’est en se fondant sur ces informations que les gouverneurs généraux de l’Algérie, à l’initiative de leur ministère de tutelle et du Comité consultatif d’Hygiène, interdisent périodiquement le départ en pèlerinage de leurs sujets musulmans à partir de la décennie 188032.
14Cette chaîne de renseignement sanitaire connaît cependant de nombreuses limites liées aux conditions de circulation et de collecte de l’information entre les deux rives de la mer Rouge. Malgré la présence d’un câble sous-marin reliant Souakin au Soudan à Djeddah à compter de 1882, les vice-consuls de Djeddah, ont tendance à privilégier la voie hiérarchique et continuent à adresser directement leurs dépêches à l’ambassade de France à Constantinople, en dépit de leur rattachement au consulat général d’Alexandrie33. Cette situation n’est pas sans provoquer des dysfonctionnements dans la circulation de l’information. Ainsi, en août 1890, c’est par l’intermédiaire du gouverneur égyptien de Suez, et non de son collègue de Djeddah, que le consul de Suez Émile Altemer apprend l’existence du choléra à La Mecque34.
15Par ailleurs, ces médecins sont loin de détenir le monopole de l’information sanitaire. Le Conseil supérieur de santé de Constantinople ainsi que le Conseil sanitaire maritime et quarantenaires d’Alexandrie envoient chaque année au Hedjaz, qui une commission chargée de veiller aux mesures d’hygiène à prendre pendant le pèlerinage, qui une délégation chargée d’examiner l’état sanitaire des Lieux saints après le hajj. La présence de médecins européens au sein de ces instances internationales, ainsi qu’à la tête de l’office sanitaire de Djeddah dans le sillage de la Conférence de 1866, crée un doublon au sein de ce système d’information. Il en va de même des stations quarantenaires d’El-Tor et de Kamarân gérées par ces deux organismes. Malgré des demandes répétées, les vice-consuls de Suez ou de Djeddah ne disposent pas de relais dans le lazaret d’El-Tor – où les pèlerins de la Méditerranée sont tenus de s’arrêter pour observation à leur retour de pèlerinage35 – et, la plupart du temps, doivent se contenter de relayer les informations du directeur de la station36.
16Enfin et surtout, l’interdiction faite aux non-musulmans de franchir le périmètre sacré éloigne les consuls et autres médecins sanitaires européens des foyers d’infection et les contraint à collecter leurs informations auprès des médecins ottomans de l’office sanitaire de Djeddah, voire des pèlerins eux-mêmes37. Mais en l’absence de toute police médicale dans les Villes saintes, les chiffres de mortalité sont souvent approximatifs, condamnant le plus souvent consuls et médecins sanitaires à s’en remettre à leurs propres observations38. En réalité, le poste de médecin sanitaire français de Djeddah fait plutôt double emploi avec celui du médecin sanitaire ottoman – la plupart du temps un Européen – placé à la tête de l’office sanitaire de Djeddah. Aussi est-il supprimé et en conséquence le poste est rétabli en consulat de plein exercice à compter du 1er janvier 188839.
Les consuls de la mer Rouge promoteurs de la voie maritime
17La suppression du poste de médecin sanitaire de France à Djeddah tient également à l’élargissement du périmètre de protection consulaire, conséquence de l’instauration du protectorat tunisien en 1881 – que l’Empire ottoman continue de contester à la France – comme au succès croissant du pèlerinage par voie de mer40. L’ouverture du canal de Suez en 1869 a eu pour effet de réduire du coût du passage ainsi que le temps de trajet, si bien qu’il est désormais possible, pour un simple pèlerin, d’accomplir plusieurs fois le hajj dans sa vie. Les autorités européennes voient dans ces navires à pèlerins un instrument de rationalisation sanitaire en même temps que d’encadrement politique. En conséquence, les consuls vont encourager les départs par voie maritime au départ de l’Afrique du Nord qui leur permet de renforcer leur influence en tant que protecteurs des pèlerins. Le passage par le poste de Djeddah et désormais envisagé comme un accélérateur de carrière41 et les différents consuls qui se succèdent entendent valoriser leur position comme protecteurs de pèlerins. C’est le cas, par exemple, de Gaston Guiot qui se voit décerner la médaille des épidémies ainsi que la légion d’honneur pour son rôle joué pendant la grande épidémie de choléra de 1893.
18Par ailleurs, les opérations de police maritime sont l’occasion de développer les échanges entre les postes de Port-Saïd, Suez et Djeddah que ce soit lors du passage par le canal42 ou lors des opérations de rembarquement des pèlerins43. À l’occasion, les consuls interviennent comme médiateurs lors des conflits à bord des navires ou afin de réprimer les méfaits de certains courtiers ou guides de pèlerinage44. Enfin, à l’issue de chaque pèlerinage, les consuls de la mer Rouge sont assaillis de demande de rapatriement de la part de pèlerins partis sans ressources et sans passeports. Ils deviennent alors à leur façon des gestionnaires d’identité, accordant, au gré des demandes, le statut de ressortissant français ou de sujet local à tel requérant. Ils contribuent ainsi à perfectionner les techniques d’identification, en demandant l’inclusion de signes distinctifs dans les passeports45.
19Les consuls de Djeddah s’ingèrent ainsi de manière croissante dans l’économie du pèlerinage en exigeant que chaque pèlerin se munisse d’un pécule destiné à couvrir ses frais de trajet et de séjour, en réquisitionnant les navires français pour rapatrier les indigents, mais aussi en attirant l’attention des autorités métropolitaines et coloniales sur les mauvaises conditions de voyage des pèlerins algériens à bord des cargos britanniques. En réponse à cette situation, le consul Ernest Watbled commence à nouer contact dès 1888 avec l’amateur et influent président de la Chambre de commerce de Marseille Cyprien Fabre. Il lui laisse apercevoir un marché susceptible de rapporter « des profits réels et sérieux46 ». Une ligne régulière est alors créée entre Alger et Djeddah dont l’usage est fortement recommandé par le gouvernement général de l’Algérie47. Un pas supplémentaire est franchi en 1891 lorsque le ministre de l’Intérieur déclare que ne seront agréés que les seuls navires se conformant aux obligations de sécurité énoncées par le comité d’hygiène et appartenant à des compagnies françaises48.
20Parallèlement, les consuls de Djeddah se posent en créateurs d’itinéraires. Après avoir fait état des dangers de la route de La Mecque à Médine liés aux razzias incessantes des tribus bédouines, le consul Lucien Labosse – très bon connaisseur des postes de la mer Rouge pour avoir exercé préalablement ses fonctions à Suez et Massaoua – propose ainsi en 1891 ni plus ni moins que d’inverser les séquences du pèlerinage en incitant les pèlerins maghrébins à commencer leur visite aux Lieux saints par Médine en débarquant à l’aller dans le port de Yanbu’49. Toutefois, malgré la pression du Quai d’Orsay, Alger se refuse à cautionner l’« itinéraire Labosse », craignant que ce changement n’entraîne le mécontentement de ses sujets musulmans50. Du coup, c’est le trajet direct jusqu’à Djeddah qui est retenu par un arrêté du 10 décembre 1894. Or ce texte, sous couvert de protection des pèlerins, multiplie les obstacles au départ, encourageant en retour l’émergence d’un pèlerinage dit « clandestin ». Celui-ci a pour effet, entre autres trajets, de remettre au goût du jour l’ancienne caravane des Maghrébins51. On craint alors en effet que ce regain de la voie de terre n’entraîne un renouveau des confréries dont les réseaux sont alors envisagés par les consuls comme de véritables organisations concurrentes.
La concurrence des réseaux confrériques
Quand les circulations confrériques stimulent les missions de renseignement des consuls
21Depuis le xviiie siècle, La Mecque connaît un renouveau du soufisme qui se traduit par la présence au Hedjaz de nombreuses confréries auxquelles les pèlerins s’affilient lors de leur séjour aux Lieux saints52. Certaines confréries très actives en Afrique du Nord sont bien implantées au Hedjaz, à l’instar de la Tijâniyya, mais également de la Qâdiriyya ou la Rahmaniya qui ont joué un rôle important de résistance à la colonisation française en Algérie tout au long du xixe siècle. Si bien que très rapidement les officiers français ont assimilé les confréries à des sociétés secrètes, des groupements séditieux53. Parmi ces confréries, la Sanûsiyya va concentrer toutes les peurs. Fondée à La Mecque en 1837 par Sidi Muhammad ibn ‘Ali al-Sanûsî, originaire de Mostaganem, cette confrérie qui connut un succès rapide chez les Bédouins d’Arabie, s’implante en Cyrénaïque vers 1842. Elle aurait alors cherché à s’étendre en direction de l’Ouest saharien, au risque d’y rencontrer les troupes françaises. Sous l’effet des rapports – aussi alarmistes que dénués de fondement – des consuls de Benghazi Eugène Ricard (1865-1895) et de Tripoli Laurent-Charles Féraud (1879-1885), une « légende noire » de la Sanûsiyya commence à se forger54. Si le premier met l’accent sur les ramifications algériennes de la confrérie, le second souligne la centralité de la zâwiyya d’al-Jaghbûb, située près de la frontière égyptienne, et « visitée par tous les pèlerins qui reviennent de La Mecque, lesquels considèrent ce pèlerinage comme incomplet s’ils n’ont pas visité le marabout de Sénoussi55 ». Tandis qu’Henri Castonnet des Fosses y voit un centre militaire et de propagande qui reçoit directement ses ordres de La Mecque56, l’explorateur Henri Duveyrier contribue à faire de cette confrérie une pieuvre dont les réseaux d’influence se diffusent sur l’ensemble de la moitié du continent africain et dont les pèlerins sont autant d’agents d’information. Dans un ouvrage publié en 1884, celui-ci attaque une confrérie passée maître, selon lui, dans l’art de la dissimulation. La Sanûsiyya aurait ainsi tendance à prendre le contrôle d’autres confréries, mieux implantées qu’elle et, sous leur couvert, ses adeptes exerceraient des fonctions d’influence dans l’enseignement, le clergé et la magistrature57. En réalité, les projets d’expansion de la confrérie sont rapidement freinés par la pénétration française ainsi que par les rivalités avec d’autres confréries sahariennes, nombreuses à héberger les pèlerins sur la route de La Mecque, et dont certaines, comme la Tijâniyya, ont fait le choix de la coopération avec les autorités françaises. Aussi, plutôt que d’épouser les routes Est-Ouest du pèlerinage, les réseaux des zawâyya sanûsî se développent le long des routes marchandes du Sahara oriental, axe Nord-Sud alors en plein développement58.
22Malgré tout, un lien s’est tissé dans l’imaginaire colonial entre la Sanûsiyya, la voie de terre et le pèlerinage clandestin59. À partir de la décennie 1880 marquée par la reprise de la colonisation en terre d’islam, on estime que le hajj constitue l’un des vecteurs principaux du panislamisme. Le Quai d’Orsay enjoint alors à ses consuls de surveiller étroitement les déplacements des émissaires des confréries religieuses au Hedjaz60. Un consul de Djeddah comme Ernest Watbled doit ainsi sa nomination à son expérience de la sûreté musulmane dans le Sahara, au même titre que ses successeurs Auguste Hugonnet et Lucien Labosse. Or ces consuls n’ayant pas accès à La Mecque, certains d’entre eux prêtent une attention exagérée aux rumeurs, tel Hyppolite Guès, consul entre 1897 et 1903, qui inonde le Quai d’Orsay de ses rapports alarmistes et affirme entretenir un réseau d’informateurs dans les Lieux saints61. Lors du pèlerinage de 1901, il prend par exemple l’initiative de faire accompagner les pèlerins par deux personnes de confiance afin de s’assurer « de l’importance des attaches qui peuvent exister entre certains de nos sujets musulmans et les zaouïas senoussies de La Mecque et de Médine62 ». Il est pour le moins surprenant de voir un consul dont les supérieurs critiquent la « nature artiste » et que ses collaborateurs évoquent comme confiné nuit et jour dans son bureau, être si écouté à Constantinople comme à Paris63. Le contexte de la guerre menée par la France au Nord du Tchad à partir de 1900 – région sous influence directe de la Sanûsiyya – y contribue pour beaucoup64. Cependant le consul Guès n’est pas suivi lorsqu’il demande la transformation de son poste en ambassade pour le doter d’un service de renseignement à la hauteur de la menace supposée65. Il appartiendra à l’un de ses successeurs, Édouard Bertrand, resté auparavant dix ans en poste à Benghazi, de démentir les rumeurs, comme il l’avait fait quelques années plus tôt après le passage d’Eugène Ricard en Cyrénaïque66. Au risque de détourner l’attention de sa hiérarchie sur la situation du poste.
L’hébergement des pèlerins au Hedjaz
23Un autre motif d’inquiétude tient à la place supposée de ces confréries dans les réseaux d’accueil des pèlerins au Hedjaz. Dans les Lieux saints, les confréries constituent alors des centres de ressources précieux pour pèlerins. La Naqshbandiyya, par exemple, fournit les pèlerins pauvres en habits et en nourriture, tandis que la Qâdiriyya dispose d’établissements hospitaliers richement dotés, à La Mecque comme à Médine, qui accordent des secours aux pèlerins nécessiteux ou malades. Dans ces réseaux d’accueil, une attention spéciale est une nouvelle fois apportée à la Sânusiyya depuis la publication, en 1886, d’un ouvrage d’Alfred Le Châtelier intitulé Les Confréries du Hedjaz, ouvrage rédigé en grande partie à partir d’informations livrées à l’auteur par des pèlerins du Caire. L’orientaliste chiffre à douze le nombre de zawâyya sanûsî au Hedjaz dont les plus importantes seraient situées sur les principaux itinéraires des pèlerins au Hedjaz. Ainsi les zawâyya des ports de Yanbu’ et Djeddah feraient office de maison d’accueil pour les pèlerins à leur arrivée, tandis que celle de La Mecque, quartier général de la confrérie au Hedjaz situé sur le mont Abû Qubays, abriterait une véritable université religieuse constituée d’une mosquée et de plusieurs logements où « les pèlerins affluent sans cesse67 ».
24On redoute alors que cette prise en charge des pèlerins au Hedjaz par les confréries ne vienne réduire à néant l’effort de protection des consuls. Ce réseau d’accueil inquiète d’autant plus les consuls que ces derniers ne disposent d’aucune structure d’hébergement pour les pèlerins. Certes, le consulat de France peut s’enorgueillir d’une tradition d’accueil des voyageurs, marchands et autres explorateurs mais il estime alors qu’il n’a pas vocation à héberger des pèlerins pauvres. Par ailleurs, au titre des Capitulations, les consuls sont tenus de protéger les biens de leurs ressortissants et protégés, et à ce titre l’ensemble des refuges et immeubles d’habitation constitués sous forme de biens habous (awqâf) au profit des Maghrébins de La Mecque et de Médine. Or non seulement la connaissance de ces refuges échappe entièrement aux consuls – le premier inventaire n’en sera réalisé que dans l’entre-deux-guerres68 – mais une coutume locale les place sous la surveillance directe du chérif de La Mecque qui dispose librement de leurs revenus. D’où cette idée, émise vers 1910 par le gérant du consulat Paul Lépissier d’encourager la création à Djeddah d’une hôtellerie pour pèlerins pauvres de l’empire69. Le consulat est alors confronté à un afflux de pèlerins indigents qui, pense-t-on, nuit à l’image de la France au Hedjaz, à l’heure où elle étend son protectorat aux Marocains. L’idée est reprise par la Commission interministérielle des Affaires musulmanes (CIAM), créée en 1911, qui propose, dès sa seconde séance, de créer une « maison des hôtes pour les pèlerins pauvres ». Cet hospice, financé par les contributions des gouvernements d’Afrique du Nord, revêtirait un caractère humanitaire en même temps qu’elle constituerait une « sage mesure de police70 ».
25L’affaire devait rester sans lendemain jusqu’en décembre 1915 où la CIAM exhume de nouveau ce projet en pleine guerre, officiellement dans l’intention de remercier les soldats musulmans pour leur loyauté, officieusement afin de contrer l’opération de propagande que constitue le projet de visite du Kaiser à Istanbul71. Une nouvelle fois, la question confrérique s’invite dans le débat. Il est alors proposé que les crédits d’acquisition d’une hôtellerie dans les Villes saintes de La Mecque et Médine soient remis au grand chérif par des membres de confréries à la loyauté désormais éprouvée, comme la Tijâniyya, ou Qâdiriyya ; mais aussi que le futur curateur soit choisi parmi les chefs de ces confréries. En réalité, il n’est pas à exclure que cette initiative ait constitué une riposte à l’attaque lancée au même moment contre les forces françaises par la Sanûsiyya dans le désert du Fezzan72. Il reste que le soutien prêté par la France à la Révolte arabe de juin 1916 – qui s’est traduit par l’organisation d’un pèlerinage officiel – a sans aucun doute contribué, dans l’esprit des consuls et administrateurs français, à conjurer la menace confrérique. Dans le prolongement de ce pèlerinage officiel, le gouvernement français acquiert en effet une « hôtellerie des Maghrébins » à La Mecque par l’intermédiaire d’une association cultuelle, la Société des habous des Lieux saints de l’Islam dont le siège est établi à la grande mosquée d’Alger. Grâce à son curateur, qui bénéficie du titre de vice-consul, la France dispose désormais d’un représentant permanent à La Mecque, lui permettant par là même d’étendre l’influence de ses réseaux consulaires au-delà du périmètre interdit.
*
26Pendant un demi-siècle une double menace sanitaire et confrérique a accéléré la constitution d’un réseau consulaire autour du pèlerinage à La Mecque. Pendant l’entre-deux-guerres le contexte évolue radicalement. D’une part, sous l’effet des progrès de la vaccination et des efforts de modernisation sanitaire entrepris par le nouveau royaume saoudien depuis sa conquête du Hedjaz en 1925, le risque épidémique s’est éloigné. D’autre part, l’imposition d’un nouvel ordre politico-religieux issu du wahhabisme a fait reculer l’influence séculaire des confréries au Hedjaz. Ainsi parmi les vingt zawâyya que la Sanûsiyya comptait au Hedjaz avant la guerre, il n’en reste que trois en 1928 en état de fonctionnement73. Réfugié au Hedjaz, lors de la guerre menée par l’Italie fasciste en Cyrénaïque, le cheikh Ahmed al-Sanûsî, ennemi des Alliés pendant la Grande Guerre, est désormais décrit comme sans influence74. Dès lors il n’est pas fortuit que les États européens commencent à construire de véritables politiques du pèlerinage – caractérisées par la domination quasi-exclusive de la voie maritime et une prise en charge totale du pèlerin à toutes les étapes de son voyage et de séjour – au moment précis où l’influence confrérique décline au Hedjaz. Cette montée en puissance des postes de Djeddah va rapidement se traduire par leur transformation en légation au cours de la décennie 1930 qui voit l’avènement du royaume d’Arabie Saoudite après l’annexion définitive des provinces du Hedjaz et du ‘Asir par le sultanat du Najd.
Notes de bas de page
1 Peters F. E., The Hajj. The Muslim Pilgrimage to Mecca and the Holy Places, Princeton, Princeton University Press, 1994 ; Netton I. R., Golden Roads, Migration, Pilgrimage and Travel in Medieval and Modern Islam, Londres, Curzon Press, 1993 ; Wolfe M., One Thousand Roads to Mecca, New York, Grove Press, 1997.
2 Ibn Jubayr, Relation de voyages, in Voyageurs arabes, traduits et annotés par P. Charles-Dominique, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1995.
3 Ibn Bâttuta, Voyages. De l’Afrique du Nord à La Mecque, Paris, La Découverte, 1997, p. 87.
4 Ghouirgate A., « Les lieux sacrés de l’islam à travers le prisme des voyageurs maghrébins du Moyen Âge », in Clément F., Tolan J. et Wilgaux J. (dir.), Espaces d’échange en Méditerranée. Antiquité et Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006 ; Dejugnat Y., « La Mecque, le Maghreb et le centre du monde », Qantara, 91, avril 2014, p. 36-38.
5 Martel A., Les confins saharo-tripolitains de la Tunisie (1881-1911), Paris, PUF, 1965, p. 95-96.
6 Jomier J., Le Mahmal et la caravane égyptienne des pèlerins de La Mecque (xiiie-xxe siècles), Le Caire, Institut français d’archéologie du Caire, 1953.
7 Pitts J., A Faithful Account of the Religion and Manners of the Mahometans, Londres, Printed for J. Osborn and T. Longman, at the Ship in Pater-Noster-Row ; and R. Hett, at the Bible and Crown in the Poultry, 1731, p. 84.
8 L’itinéraire emprunte la voie suivante : Tlemcen, Mostaganem, Blida, Alger, Lakhdaria, Constantine et gagne Tunis par le Kef : Revue africaine 236, 1er trimestre 1900, Alger, Jourdan, p. 261-282.
9 Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), 3F/6, gouvernement des possessions françaises de l’Afrique du Nord. Registre des délibérations du conseil d’administration du 17 septembre 1835 au 25 décembre 1836. Un bien habous est un bien immobilisé dans une intention pieuse.
10 L’Illustration 39, vol. II, 25 novembre 1843, « Pèlerinage de La Mecque ».
11 Carette E., Étude sur les routes suivies par les Arabes dans la partie méridionale de l’Algérie et de la Régence de Tunis pour servir à l’établissement du réseau géographique de ces contrées, Exploration scientifique de l’Algérie, 1844 ; Carette E. et Renou E., Recherches sur la géographie et le commerce de l’Algérie méridionale, suivies d’une notice géographique sur une partie de l’Afrique septentrionale, Exploration scientifique de l’Algérie, 1844 ; Daumas E., Le Sahara algérien études géographiques et historiques sur la région au sud des établissements français en Algérie, Paris, Langlois et Leclercq, 1845.
12 Le traducteur de ces récits, le directeur de la bibliothèque d’Alger Adrien Berbrugger, déclare alors, selon ses propres termes, ne retenir de ces récits « que la partie intéressante au point de vue de l’occupation de l’Algérie ». Exploration scientifique de l’Algérie pendant les années 1840,1841 et 1842, t. IX, Paris, Impr. royale, 1846, p. XV.
13 Thomassy R., Le Maroc et ses caravanes ou relations de la France avec cet empire, Paris, Didot, 1845 ; Prax J., Commerce de l’Algérie avec La Mecque et le Soudan, Paris, Just Rouvier, 1849 ; Aucapitaine H., Étude de la caravane de La Mecque et le commerce intérieur de l’Afrique, Paris, J. Claye, 1861. Pendant la décennie 1840, Jean Prax évalue à deux millions de francs environ le volume annuel des échanges entre La Mecque et l’Algérie.
14 Archives du ministère des Affaires étrangères (AMAE), Djeddah, Correspondance commerciale, 103 CCC/1, manuscrit du mémoire de Fulgence Fresnel sur le Wadaï daté de 1846. Fresnel envisage alors de rattacher l’Algérie au Soudan oriental par trois itinéraires contournant les territoires ottomans de Tunisie et de Tripolitaine, les Turcs risquant, selon Fresnel, de prendre ombrage de cette « caravane, à la fois religieuse et mercantile, placée sous le haut patronage d’une puissance chrétienne ».
15 Prax, op. cit., p. 29.
16 Fresnel F., L’Arabie vue en 1837-38, in Journal asiatique, t. XVII, Paris, Imprimerie nationale, 1871.
17 Prijac L., « L’implantation consulaire française en mer Rouge et dans la corne de l’Afrique au xixe siècle », in Ulbert J., Consuls et services consulaires au xixe siècle, Hambourg, Dobu Verlag, 2010, p. 124-138.
18 ADN, Constantinople, série E, 863, lettre du MAE à l’Ambassadeur de France à Constantinople du 8 juillet 1839.
19 C.-R. Rocher d’héricourt, Voyage sur la côte orientale de la mer Rouge, dans le pays d’Adel et le royaume de Choa, Paris, Arthus Bertrand, 1841. Une seconde mission de Rocher d’Héricourt devait déboucher, en 1843, sur la signature d’un traité d’amitié et de commerce avec le royaume de Choa.
20 Emerit M., « La légende de Léon Roches », Revue africaine 91, 1947, p. 81-105. Alors au Caire, Fulgence Fresnel écrit avoir reçu la visite de Léon Roches, lequel se serait engagé à lui remettre un rapport sur son pèlerinage. Deux ans plus tard, Fresnel admet n’avoir jamais reçu un tel courrier. Archives de l’Institut de France (AIF), fonds Fulgence Fresnel, Ms 2978, 29 septembre 1843.
21 Roches L., Trente-deux ans à travers l’islam (1832-1864), t. 2 : Mission à La Mecque, Paris, Firmin Didot, 1885, p. 55-56.
22 AMAE, Djeddah, Correspondance commerciale, 103 CCC/1, dépêche du 1er mars 1843.
23 Ibid., dépêche du ministère des Affaires étrangères du 23 avril 1847.
24 AMAE, Personnel 1re série, 4163, dépêche du 31 janvier 1889.
25 Foreign Office 881/848, Outbreak at Jeddah (1858-59). Pour un résumé des événements on consultera Arboit G., Aux sources de la politique arabe de la France. Le Second Empire au Machrek, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 137-139. Les raisons profondes sont plutôt à rechercher du côté de l’emprise croissante des protégés et autres sujets coloniaux britanniques dans le commerce régional ainsi que dans les mesures d’interdiction de la traite imposées par les Britanniques après la Guerre de Crimée. Voir à ce sujet Ochsenwald W. L., « The Jidda Massacre of 1858 », Middle Eastern Studies 13/3, 1977, p. 314-326 ; Pétriat Ph. « Notables et rebelles », Arabian Humanities [En ligne], 1 | 2013, mis en ligne le 6 mars 2013 [http://cy.revues.org/1923].
26 Ces vacances peuvent durer plusieurs années. Le poste est alors confié en gérance au drogman-chancelier. La durée de présence est généralement assez courte, souvent inférieure à une année, les consuls profitant d’une demande de congés pendant la saison chaude pour obtenir une affectation sur un autre poste. En 1864, le tout nouveau consul Colonna Cicaldi ne prend ainsi même pas le soin de prendre possession de son poste : « il est arrivé à Djeddah et reparti le lendemain par le même bateau ». ADN, Djeddah, 76, « Chronologie des titulaires du consulat de France à Djeddah depuis l’année 1839, date de la création du poste ».
27 ADN, Djeddah, Correspondance générale, 2, rapport du consul de Djeddah du 10 novembre 1864.
28 Chiffoleau S., Genèse de la santé publique, Rennes/Beyrouth, PUR/IFPO, 2012, p. 68-71.
29 Huber V., « The Unification of the Globe by Disease ? The international sanitary conferences on cholera, 1851-1894 », The Historical Journal 49/2, 2006, p. 53-476.
30 AMAE, Personnel 1re série, 3699, dépêche du 11 janvier 1866.
31 ADN, Constantinople, Série D. Sous-série Djeddah. (1841-1914), Correspondance, 4, dépêche du 25 décembre 1877.
32 Chantre L., « Se rendre à La Mecque sous la IIIe République. Contrôle et organisation des déplacements des pèlerins du Maghreb et du Levant entre 1880 et 1939 », Cahiers de la Méditerranée 78, 2009, p. 203-227.
33 En 1881, le vice-consul Édouard Suret utilise cet argument pour demander la transformation de son poste en consulat. Évoquant l’activité du titulaire du poste, il écrit que « c’est surtout le droit de porter sans intermédiaire les questions à Constantinople et à Paris qui lui donnent l’influence dont il a besoin ». MAE, Personnel 1re série, 3827, dépêche du 17 mars 1881. Il est vrai que tant leur expérience antérieure – la majorité des consuls de Djeddah ont débuté leurs fonctions dans les échelles du Levant comme Beyrouth ou Smyrne – que leurs aspirations de carrière poussent alors les consuls de Djeddah à tourner leur regard vers le Levant.
34 ADN, Suez, 73, dépêche du 2 août 1890.
35 ADN, Suez, 75, dépêche du 18 février 1895.
36 ADN, Unions Internationales, 528, dépêche du consulat d’Alexandrie du 6 décembre 1899 transmettant le rapport du docteur Zachariadis, directeur de la station quarantenaire d’El-Tor.
37 En 1882, un médecin musulman algérien, le docteur Tayeb Morsly, est nommé en qualité de médecin sanitaire à La Mecque afin de renseigner le poste de Djeddah sur les conditions sanitaires de la Ville Sainte. Mais l’expérience tourne court après deux années de fonctionnement. ADN, Djeddah, 55, dépêche du 10 janvier 1882,
38 Comme l’écrit en 1876, le vice-consul Buez : « Je le répète, je crois donner des renseignements très exacts, car je ne m’en rapporte ici qu’à ce que je sais moi-même et, chaque matin, je fais un peu partout une tournée d’inspection, poussant mes investigations jusque dans les cimetières musulmans où je compte les fosses fraîches. » ADN, Constantinople, Série D. Sous-série Djeddah, Correspondance, 4, dépêche du 12 février 1876.
39 La raison invoquée quant à la suppression du poste de médecin sanitaire est non seulement budgétaire mais également le fait qu’il n’est plus justifié sur le plan sanitaire. AMAE, Personnel 1re série, 2651, dépêche du ministre du Commerce du 12 août 1887.
40 La moyenne annuelle des pèlerins débarqués à Djeddah dans les années 1890 est supérieure à 50000 contre un peu moins de 40000 pour la décennie 1870.
41 « Il faut dire la vérité avec franchise : Votre Excellence sait bien que si l’on accepte de venir à Djeddah c’est en vue d’un bénéfice de grade et de carrière. Elle ne doit pas ignorer non plus que pour y rester il faut y trouver de sérieux avantages matériels » (ADN, Djeddah, 76, dépêche du 18 mars 1911).
42 ADN, Port-Saïd, 123, dépêches des 16 et 17 mars 1901 relatives à des cas de dépassements des navires à pèlerins Gergovia et Floria.
43 Depuis les années 1870, les consuls européens de Djeddah participent à des commissions sanitaires chargées des opérations d’embarquement sous la supervision de l’Office sanitaire de Djeddah.
44 ADN, Le Caire, 75, dépêche du consul de Port-Saïd du 29 novembre 1883 relative à Émile Gassend, agent de la compagnie L’Union poursuivi pour s’être rendu célèbre par de multiples opérations frauduleuses : vente de faux billets, signature de contrats avec des capitaines de navire accompagnée d’un acompte dont le complément tarde à venir, etc.
45 Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), GGA 16h/84. La circulaire du gouverneur général d’Algérie aux préfets du 9 avril 1892 insiste, conformément aux points soulevés par le consul de Djeddah, sur la nécessité de remplir correctement sur les passeports les mentions relatives aux nom, âge et domicile des pèlerins et de les répartir selon leur région, sous l’autorité d’un chef de groupe.
46 Archives de la Chambre de commerce de Marseille (ACCM), MQ 54/01, dépêche du 30 octobre 1886.
47 ANOM, GGA, 16h/84, circulaire du 30 avril 1889.
48 ANOM, GGA, 16h/84, dépêche du ministre de l’Intérieur du 22 avril 1891.
49 ANOM, F80/1747, rapport de pèlerinage du 24 octobre 1891 ; ANOM, FO 80/1747, dépêche du ministre des Affaires étrangères au ministre de l’Intérieur du 19 novembre 1891.
50 ANOM, GGA, 16h/84, dépêche du 28 mars 1895. Le gouverneur général a pris le soin de consulter à plusieurs reprises sur ce point le mufti malékite d’Alger.
51 ADN, Unions Internationales, 529, dépêche du consul d’Alexandrie du 3 février 1903 : cas de deux clandestins d’Algérie venus à Alexandrie à pied par Sousse, Sfax, Tripoli, Benghazi et Derna.
52 Gaborieau M. et Grandin N., « Le renouveau confrérique (fin xviiie-xixe siècle) », in Popovic A. et Veinstein G. (dir.), Les voies d’Allah, Fayard, 1996.
53 De Neveu E., Les Khouan. Ordres religieux chez les musulmans de l’Algérie, Paris, Guyot, 1845 ; Frémeaux J., Les Bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête, Paris, Denoël, 1993.
54 Triaud J.-L., La légende noire de la Sanusiyya. Une confrérie musulmane saharienne sous le regard français (1840-1930), Paris, Éditions de la MSH, 1995.
55 Ibid., p. 272-273.
56 Castonnet des Fosses H., Le pèlerinage à La Mecque. Ses influences politiques et commerciales, Angers, Lachère et Dolbeau, 1889, p. 33.
57 Duveyrier H., La confrérie musulmane de Sidi Mohamed ben Ali es Senoûsi et ses domaines géographiques en l’année 1300 de l’Hégire et 1883 de notre ère, Paris, Société de géographie, 1884, p. 55.
58 Miège J.-L., « Le commerce transsaharien au xixe siècle », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée 32/1, 1981, p. 93-119. On compte traditionnellement quatre grandes routes transsahariennes : la route de l’ouest du Maroc à Tombouctou, la route de Ghadamès qui dessert la Tunisie, la route de Tripoli et enfin la route de Benghazi qui part du Waddaï via Kufra.
59 ADN, Djeddah, 57, rapport de pèlerinage du 22 février 1912.
60 Les termes utilisés par le Quai d’Orsay sont éloquents : « Les symptômes d’agitation qui se manifestent depuis quelque temps dans certaines contrées de l’Islam ont appelé l’attention du Département sur les émissaires des confréries religieuses musulmanes et notamment sur ceux du Grand Chérif de La Mecque. Le rôle considérable de ce personnage dans le monde musulman vous est connu et nul mieux que vous n’est à même de pénétrer l’action qu’il peut exercer sur la masse de ses coreligionnaires. Vous n’ignorez pas que le Grand Chérif, ayant la direction suprême des diverses confréries représentées à La Mecque, est en mesure de faire pénétrer ou d’entretenir dans les zâwiyas de toutes ces confréries, le sentiment anti-européen que ses délégués ont mission de propager. Il y a là un élément de propagande dont il importe de surveiller, aussi étroitement que possible, les manifestations afin de prévenir les mouvements qui peuvent éclater soudainement partout où les Musulmans exercent une influence directe ou occulte. » (ADN, Constantinople, E 293, dépêche du 28 juillet 1900).
61 ADN, UI, 529, dépêche du 16 novembre 1900.
62 « Peut-être, ajoute le consul, pourrions-nous obtenir ainsi quelques données qui nous mettraient sur les traces de ces insaisissables émissaires dont nous avons tout lieu de craindre les pratiques occultes dans nos possessions d’Afrique. » (ADN, Unions Internationales, 1er versement, 529, dépêche du 24 janvier 1901). Le Consul demande alors de pouvoir disposer d’un crédit de 300 francs prélevés sur les fonds secrets : ibid., 13 février 1901.
63 AMAE, Personnel 1re série, 733, note du chef de poste pour l’année 1891.
64 Voir à ce sujet Triaud J.-L., Tchad 1900-1902, une guerre franco-libyenne oubliée ? Une confrérie musulmane, la Sanusiyya face à la France, Paris, L’Harmattan, 1987.
65 ADN, Djeddah, 56, dépêche du Consul du 13 février 1901.
66 Triaud, op. cit., p. 302.
67 Le Châtelier A., Les confréries musulmanes du Hedjaz, Paris, Ernest Leroux, 1887, p. 257-295.
68 Ces awqâf sont répartis entre un waqf général constitué au profit des Maghrébins résidant à Médine, et des awqâf particuliers, affectés à certains publics. Parmi ces derniers, on compte le très ancien waqf du Ribat de Sidna Othman – qui remonterait au xiie siècle – composé d’une dizaine de bâtiments et magasins, à La Mecque comme à Médine, dont les revenus sont distribués aux hommes célibataires résidant au Hedjaz. À Médine, on compte également le waqf Settna Fatima qui profite aux femmes maghrébines indigentes. Certains sont réservés à des nationalités particulières : à Médine, les awqâf des Algériens de Touat et ceux des Tunisiens de Sousse ou encore, à La Mecque, les awqâf de Moulay-Abd-El-Hafid et de Lalla Libaba, tous deux constitués et gérés par des Marocains (ANOM, GGA, 16h/92, dépêche du 19 décembre 1928).
69 ADN, Djeddah, 57, dépêche du consul Robert Arnez 20 février 1912 évoquant le projet de son prédécesseur.
70 ADN, Commission internationale des Affaires musulmanes (CIAM), 1, procès-verbal de la réunion du 29 décembre 1911.
71 ADN, CIAM, 5, procès-verbal de la réunion du 22 décembre 1915.
72 Cette hypothèse est également évoquée par Le Pautremat P. dans son article « La Mission du Lieutenant-Colonel Brémond au Hedjaz 1916-1917 », in Guerres mondiales et conflits contemporains 221, janvier 2006, p. 17-31.
73 Archivio Statale del Ministero degli Affari Esteri (ASMAE), Archivio Politico, Egiaz (1920-1925), dépêche du consul italien de Djeddah du 13 juillet 1928.
74 MAE, Correspondance/E/Levant, 59, apostille en marge du rapport du résident général de Tunis du 26 juin 1931.
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