Chapitre II. Combler le déficit d’espace : logement populaire et « espaces libres »1
p. 55-87
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Index géographique : France
Texte intégral
1À la fin des années 1900, le Musée social s’empare de la question de l’enceinte. Comme les édiles qui réclamaient la suppression de l’enceinte dans les années 1880, les réformateurs sociaux affirment défendre l’hygiène urbaine. Dans les deux cas, les solutions avancées sont présentées comme propres à donner de l’espace aux Parisiens, qui en manquent cruellement. La naissance du débat sur les fortifications est contemporaine du diagnostic d’une pénurie d’espace. Or cette pénurie est perçue comme spécifiquement française et dès les années 1880 sa mise en évidence s’enracine dans une comparaison internationale fondée entre autres sur les statistiques. Le traitement de l’enceinte continue donc de participer de l’entreprise de régénération nationale : il s’agit de combler un déficit proprement français, déficit « quantitatif » relevant d’une appréhension statistique.
2Au-delà de la volonté commune de régénérer la population parisienne en lui donnant de l’espace, ni les solutions proposées ni même les problèmes qu’est censée résoudre la disparition de l’enceinte ne sont les mêmes. Les édiles de la fin du xixe siècle entendent avant tout obtenir la disparition du mur. Les espaces libérés, quelle que soit leur affectation, seront autant de gagné. Par ailleurs la levée de la coupure physique entre Paris et les communes suburbaines permettra une extension sans douleur de l’agglomération. À la fin des années 1900, la disparition de l’ouvrage semble acquise à brève échéance. Pour les réformateurs sociaux, il s’agit alors d’obtenir un aménagement laissant assez de place aux espaces libres, présentés comme un élément du dispositif de lutte contre la tuberculose. Cette nouvelle approche renforce l’ancrage de la question de l’enceinte dans les thématiques hygiénique et nationale. Au début du xxe siècle, la lutte contre la tuberculose, perçue comme un fléau qui ronge les forces vives du pays, est en effet érigée en cause nationale2.
L’enceinte au conseil municipal :
une question
d’hygiène
3Après l’adoption en juin 1883 de la proposition Guyot, des négociations s’engagent, la Ville cherchant à obtenir de l’État la cession des terrains de l’enceinte. Les tractations s’étirent sur les deux dernières décennies du xixe siècle, sans résultat tangible. Elles sont cependant à l’origine de la rédaction d’un projet d’aménagement par le Service des promenades de la Direction des travaux de la préfecture de la Seine dès le milieu des années 18803. Le débat sur l’enceinte est lancé à un moment qui correspond, avec le renforcement du courant hygiéniste, à un accroissement de la sensibilité aux conditions de la vie urbaine chez une fraction des couches dominantes. Au conseil municipal, les partisans de la suppression des fortifications profitent de ce contexte. Ils font de la mesure qu’ils réclament la solution à des problèmes identifiés par certains de leurs contemporains : entassement urbain sous toutes ses formes, exiguïté des logements, difficultés de la circulation ou pénurie d’espaces non bâtis.
4Document 1. – Mouvement de la population de Paris du centre à la périphérie. D’après le dénombrement de 1881.
L’organisation du mouvement hygiéniste
5Guyot s’intéresse à l’évolution de la répartition de la population dans et autour de Paris : dans sa proposition de 1882, il cite une carte de Durand-Claye, qu’il reproduit dans Paris ouvert (voir document 1).
6D’après cette carte, c’est dans les arrondissements périphériques que l’accroissement démographique est le plus fort. L’évolution, dont Guyot repère l’équivalent à Londres, s’explique par un changement d’habitudes :
« Plus les moyens de transports deviennent faciles, plus les centres des villes deviennent des centres d’affaires, des bureaux, des magasins ; les maisons d’habitation s’en éloignent. Il y a là double profit : bon marché des logements d’un côté ; hygiène de l’autre. Les dernières discussions à l’Académie de médecine ont montré que les maladies infectieuses, loin de diminuer à Paris, avaient une tendance à augmenter. Parmi les mesures les plus importantes à prendre pour combattre cette progression, se trouve la mise à la disposition de la population de nouveaux terrains où elle puisse s’étendre4. »
7Qu’en 1882 Guyot manipule les chiffres, reproduise une carte de Durand-Claye représentant « le mouvement de la population de Paris du centre à la périphérie d’après le dénombrement de 18815 », fasse référence à Londres et mentionne les travaux de l’Académie de médecine n’est pas indifférent. L’édile inscrit ainsi le débat sur le sort de l’enceinte dans un courant d’opinion et dans les préoccupations des contemporains.
8Le dernier quart du xixe siècle est le moment où s’opère en France la structuration d’un mouvement hygiéniste. Si les conseils d’hygiène siégeant aux chefs-lieux d’arrondissement et de département sont instaurés dès 1848, leur influence est très limitée : totalement dépendants des conseils généraux, ils sont en outre le plus souvent composés de médecins briguant avant tout des postes officiels et peu enclins à l’action. Il faut attendre les années 1870 pour que se mobilise « une petite phalange d’experts6 » désireux de faire prévaloir, sur le modèle des lois scolaires, une législation hygiéniste. Avec la création de la Société de médecine publique et d’hygiène professionnelle en 1877, ces experts se dotent d’une instance de représentation. Se retrouvent en effet au sein de la société « médecins-majors, inspecteurs des armées, des asiles ou des prisons, d’une part ; grands et moins grands prélats de la science, professeurs agrégés, chefs de clinique et médecins des hôpitaux de l’autre7 ».
9Pour L. Murard et P. Zylberman, ce mouvement participe de la réévaluation des institutions françaises au lendemain de la défaite. La présence de statisticiens (Jacques Bertillon, chef des travaux de la Statistique municipale de la ville de Paris, appartient à la Société de médecine publique dès la fondation de cette dernière) rend possible l’inscription de l’hygiénisme dans une perspective comparatiste. Les débuts de la IIIe Républiquesont d’ailleurs le moment où « les procédés quantitatifs commencent à s’imposer dans l’analyse des faits sociaux8 » : Jacques Ozouf parle d’« installation triomphante9 » de la statistique scolaire par exemple. Par ailleurs les congrès internationaux d’hygiène se multiplient dans les années 1870 : Bruxelles (1876), Paris (1878), Turin (1880)10. La présence du docteur Sarrasin à un « Grand Congrès international d’hygiène11 » fait effet de réel.
10Les travaux des statisticiens et des spécialistes de l’hygiène, ceux de la Commission d’hygiène du département de la Seine, ainsi que ceux de l’Assistance publique sur la population indigente de la capitale, sont à l’origine d’un intérêt accru pour les conditions de vie dans les taudis parisiens. Cet intérêt s’accompagne d’inquiétude, dans les milieux dirigeants au moins. La situation apparaît d’ailleurs d’autant plus critique au début des années 1880 que c’est dans l’intervalle intercensitaire 1876-1881 que Paris a connu son plus fort accroissement démographique, avec 218 000 habitants supplémentaires12. La croissance s’est traduite par une surpopulation des logements accrue, la construction d’habitations de fortune et de fréquentes épidémies. Le développement anarchique de l’habitat concerne tout particulièrement la zone de servitude des fortifications. Les constructions illégales commencent à s’y multiplier dans les années 1880. Elles accueillent en particulier des Parisiens chassés par l’haussmannisation13. Si on ne peut faire du plaidoyer pour la disparition de l’enceinte le simple reflet de la croissance démographique et de ses conséquences morphologiques, ces faits méritent toutefois d’être rappelés.
11Guyot n’est pas le premier à parler du déclassement des fortifications au conseil municipal ; pourtant c’est lui que Brousse considère comme l’initiateur du débat14. En effet, sa proposition passe à la postérité. Ce succès tient partiellement au fait que Guyot a fait du déclassement de l’enceinte un lieu privilégié pour poser certains problèmes cruciaux : « retard » français face à l’Allemagne mais surtout conséquences de la surpopulation de la capitale. Le développement du courant hygiéniste rend l’opinion, dans sa fraction « éclairée » au moins, très sensible à ce dernier problème.
12La référence à Durand-Claye est à cet égard particulièrement intéressante. Né au début des années 1840, cet ingénieur de la ville de Paris, ancien élève de l’École polytechnique puis des Ponts et Chaussées, consacre toute son énergie à défendre les principes du tout-à-l’égout et de l’épuration des eaux d’égout par le sol. Au cours de sa brève carrière (il meurt en 1888), Durand-Claye multiplie les voyages d’études, à Dantzig, Berlin, Breslau et Londres. Pour cet « ingénieur sanitaire », comme le décrit une notice biographique de 189115, la France a donc à apprendre de l’étranger en matière d’hygiène et d’assainissement. La relation n’est toutefois pas à sens unique : le mérite de Durand-Claye était reconnu au-delà des frontières, de nombreuses villes étrangères lui ayant commandé des plans d’assainissement. Cependant, même si cette exportation des compétences est présentée comme flatteuse pour l’orgueil national, elle est aussi perçue comme l’indice d’un certain « retard » français touchant aux institutions ou aux mentalités. La France dispose de spécialistes compétents mais ne sait pas les utiliser, et ceux-ci en sont réduits à offrir leurs services à l’étranger16. Au début des années 1880, Durand-Claye dispose en matière d’hygiène d’une notoriété qui semble dépasser le milieu des fonctionnaires municipaux. Invoquer, même indirectement, son autorité pour réclamer la disparition des fortifications contribue sans doute à faire de la question un problème d’ordre hygiénique.
13La localisation de l’ouvrage facilite d’ailleurs cette interprétation. D’après Elsbeth Kalff, les arrondissements centraux de Paris ont connu un « embourgeoisement17 » après l’annexion de 1860, suite au départ des classes populaires vers les arrondissements périphériques. Si le changement est d’abord perçu comme positif par les responsables de l’hygiène de la capitale, qui considèrent que les nouveaux habitants des quartiers annexés ont gagné au change, l’optimisme disparaît au début des années 1880 : on s’inquiète désormais des conditions sanitaires du Paris agrandi18. Le contexte est donc favorable à la constitution de la suppression de l’enceinte en solution aux problèmes d’hygiène de la capitale, puisque les contemporains situent maintenant ces problèmes sur le pourtour de la ville.
14L’inscription du sort de l’enceinte dans la thématique hygiéniste est d’ailleurs renforcée par les successeurs de Guyot, et en particulier par Brousse, qui se fait le champion de la suppression des fortifications au conseil municipal. Brousse s’appuie sur l’autorité des hygiénistes et des statisticiens19. Comme Guyot, il fait référence à Cosseron de Villenoisy et aux données des recensements, mais aussi à Stéphane Leduc ou à Bertillon20. Pour ses partisans, la suppression de l’enceinte constitue une solution, sinon la solution, au problème principal diagnostiqué par les hygiénistes : la pénurie d’espace, qui affecte le logement des classes populaires mais aussi la ville dans son ensemble.
Offrir de l’espace aux Parisiens
15La disparition de l’enceinte est censée résoudre deux problèmes liés à la pénurie d’espace : l’insalubrité des logements et l’insuffisance des espaces non bâtis, parcs, jardins ou promenades. Dans sa proposition et dans Paris ouvert, Guyot se livre à une série de calculs au sujet de l’espace stérilisé par l’existence de l’enceinte (terrains occupés par l’ouvrage militaire ou soustraits à la construction par la servitude). Cet espace représenterait, dans l’hypothèse la plus basse, 24 % de la surface totale des terrains livrés intra muros aux particuliers pour la construction21. Autre avantage, la suppression de l’enceinte permettrait aussi de dédensifier le tissu urbain, par la levée de la frontière physique entre Paris et sa banlieue.
Récupérer les terrains de l’enceinte et de la zone
16Il s’agit tout d’abord d’apporter une solution aux problèmes de logement des classes populaires. Une proposition subsidiaire adjointe à la proposition Guyot « invit[e] le préfet de la Seine à négocier avec l’État la suppression des fortifications situées entre le Point-du-Jour (à Auteuil) et Clichy […] afin que les terrains ainsi obtenus soient surbâtis autant que possible par des immeubles accessibles aux ouvriers22 ». De même, Guyot présente comme un argument en faveur de l’abandon de l’enceinte le fait que, dans Paris intra-muros, « les terrains libres susceptibles de recevoir des logements à bon marché ne représentent plus […] que 291 hectares23 ». C’est aussi au détour d’une proposition énumérant une série de mesures destinées à lutter contre la cherté des loyers que Fiaux (cosignataire de la proposition Guyot) propose, en novembre 1882, d’inviter l’État « à entrer en négociation avec la Ville pour traiter avec elle de la cession amiable de toute la zone militaire, fortifications de l’enceinte comprises24 ». La suppression de l’enceinte est donc présentée par ses partisans comme une solution à la « question des loyers ». Selon Marie-Jeanne Dumont, la première moitié de la décennie 1880-1890 correspond d’ailleurs à une période d’intérêt pour les habitations à bon marché au conseil municipal et dans l’administration préfectorale, l’activité se relâchant après 1885. Cet intérêt tient à la conjoncture politique locale, les pics d’activités correspondant « aux poussées de la gauche lors des élections municipales25 ».
17Les hygiénistes de la fin du xixe siècle ne dénoncent pas seulement l’insalubrité et la surpopulation des logements, mais aussi l’insuffisance des espaces non bâtis, plantés si possible, au sein des villes. Ces espaces, qu’on n’appelle pas encore des « espaces libres », sont nécessaires à la santé de tous. Comme l’affirme l’hygiéniste Stéphane Leduc, « les plantes et les arbres sont les grands purificateurs de l’air26 ». De plus, les espaces plantés rendent possible l’exercice de plein air, à un moment où il apparaît qu’« il est vivement à désirer que les jeux en plein air pour les enfants et les adultes entrent dans [les] mœurs27 », comme dérivatif à l’alcoolisme entre autres. La référence à l’alcoolisme n’est pas innocente. Depuis la fin des années 1880, les publications dénonçant l’alcool et ses dangers se multiplient28. Selon un procédé déjà mis en évidence pour le tout début des années 1880, les partisans du déclassement des fortifications présentent la mesure qu’ils réclament comme une solution aux problèmes qui préoccupent leurs contemporains.
18La création de parcs et de jardins peut alors s’inscrire dans l’effort républicain de régénération nationale. La croisade contre l’alcoolisme relève de cet effort : « [L’alcool] désorganise la famille, compromet l’avenir de la race, est un ferment de discorde sociale et attente à la grandeur de la patrie29 » écrit Jacqueline Lalouette, qui cite un médecin, le docteur Richard. Selon ce dernier :
« Le nombre des cirrhotiques, épileptiques, tuberculeux, suicidés, aliénés, etc., qui ont contracté leur maladie par l’abus de boissons alcooliques est considérable : bon nombre de ces victimes sont encore liées à l’armée par le service obligatoire. Ces non-valeurs feront défaut en masse le jour de la mobilisation, ce sont des déserteurs. Il en est d’autres que l’alcool a rendus obèses, qu’on habille difficilement ; […] que d’hommes resteront ainsi en arrière, dès les premiers jours de la concentration, et feront défaut le jour du combat30 ! »
19Plus encore que le problème du logement, la nécessité des « espaces libres » contribue à faire du sort des fortifications une question d’hygiène. Chez les hygiénistes et les professionnels de l’urbanisme des années 1900 et 1910, la réflexion sur l’aménagement de l’enceinte se centrera d’ailleurs sur les « espaces libres », le logement populaire étant évacué, jusqu’à la fin des années 1910 au moins.
20Au cours des vingt dernières années du xixe siècle, Les édiles partisans du déclassement des fortifications voient dans cette mesure deux moyens de remédier à la pénurie d’« espaces libres ». Le premier est la récupération des terrains militaires. Le démantèlement de l’enceinte libérera des terrains pouvant être transformés en promenades, parcs ou jardins. Il ne s’agit pas d’une utilisation alternative au lotissement, mais d’une utilisation complémentaire : le projet de la Direction des travaux, qui prévoit la création d’un boulevard de 64 ou de 70 m de large et le lotissement du reste des terrains, fait l’unanimité. Pour Brousse, il s’agit d’un projet « entourant Paris d’air et de lumière31 », tandis que pour Guyot le boulevard projeté « entourer[ait] Paris d’une ceinture d’air32 ». Cependant, si les partisans du déclassement invoquent les espaces libres, leurs adversaires sont fondés à en faire autant, fortifications et zone pouvant apparaître comme les derniers espaces non construits de Paris. La seconde solution au déficit d’espace réside dans le desserrement du tissu urbain rendu possible par la disparition du mur qui bride l’expansion de la capitale.
« Dédensifier » le tissu urbain
21La récupération des terrains de l’enceinte n’est que le premier type de solution invoqué pour résoudre la pénurie d’espace. Le second procède d’une vision plus globale : il s’agit de lever la frontière entre Paris et sa banlieue. Le déclassement permettra un desserrement du tissu urbain par la fusion entre la capitale et les communes suburbaines.
22La densité du tissu urbain intra-muros, avec tous ses inconvénients, est parfois attribuée aux fortifications. Le général Cosseron de Villenoisy, adversaire résolu de l’enceinte qu’il considère comme inutile sur le plan militaire33, se livre à une étude sur la densité de la population de Paris d’après le recensement de 1881 et conclut que « dans aucune ville on n’est soumis à des conditions aussi dures34 ». C’est aussi l’avis de Brousse qui en 1893 cite Cosseron de Villenoisy et qui, après celui-ci, met en évidence une corrélation entre densité et taux de mortalité par arrondissement. Pour étayer ses affirmations, l’édile invoque un tableau dressé à sa demande par le Service de statistique municipale de la ville de Paris.
23Autre inconvénient, l’enceinte empêche ou du moins ralentit le mouvement de fusion entre Paris et la banlieue. L’idée d’une région parisienne, formant un ensemble débordant les limites communales, sera développée par la Section d’hygiène du Musée social à propos des plans d’aménagement et d’extension des villes. Elle est déjà présente chez les édiles des années 1880-1890. Guyot voit dans la suppression des fortifications une mesure d’accompagnement de l’évolution « naturelle » qu’est la tendance de Paris et des communes de banlieue à se fondre en une seule agglomération :
« Les communes qui entourent Paris sont isolées par le rayon de 400 mètres qu’occupent les fortifications et la zone militaire. Leur suppression rapprocherait ces communes de Paris et ne ferait plus considérer leur résidence comme hors de la ville35. »
24Les communes de banlieue sont concernées, au même titre que Paris, par la disparition de l’enceinte :
« Les habitants, par pétition, et les Conseils municipaux des communes suburbaines, par délibération, […] se sont associés à la délibération du Conseil municipal de Paris et ont fait des vœux à plusieurs reprises pour la suppression du mur d’enceinte36. »
25La perception du décalage entre limites administratives, inscrites dans l’espace par les fortifications, et réalité géographique et humaine de l’agglomération parisienne se retrouve chez Brousse : « Tandis que derrière son enceinte, Paris grandit en densité et en hauteur, de véritables villes se forment autour de son fossé37. » Ces villes se relient entre elles :
« Partout bastions et courtines s’enclavent dans les habitations et disparaissent à la vue. Les relations entre ces deux Paris, le Paris “extérieur” et le Paris “ancien” s’établissent difficilement, des portes s’ouvrent dans le mur malgré les résistances du Génie et les communications, quoique insuffisantes, s’établissent nombreuses. Nous en trouvons la preuve dans le nombre de voyageurs transportés par les tramways Nord et Sud, et par les lignes de banlieue de nos chemins de fer […] La réalité est que tramways et chemins de fer relient non pas des localités différentes, mais différents groupes d’un même centre de population et faisant abstraction par l’esprit de l’existence de l’enceinte, divers quartiers d’une même cité colossale38. »
26L’achat des fortifications par la Ville permettrait alors de « diriger l’œuvre de jonction au mieux des intérêts parisiens39 ».
27Cette évolution attire également l’attention des géographes. En 1900, Paul Dupuy remarque que la « ceinture rigide des fortifications40 » n’a pas freiné la croissance de la capitale :
« [Paris] a submergé, pour ainsi dire, l’enceinte fortifiée […] et il a essaimé plus de 300 000 habitants dans sept villes qui se confondent ensemble, et se confondent avec lui ; le voici maintenant qui, de Boulogne à Saint-Denis, sur plus de 20 km de rives bat le fleuve dans le tournant qui succède à celui dont il est parti. Bien plus, il le traverse déjà : les anciens villages qui lui servent désormais de tête de pont vers l’ouest, Sèvres, Meudon, Saint-Cloud, Suresnes, Puteaux, Courbevoie, Asnières, lui font un faubourg de deuxième ligne peuplé de plus de 120 000 habitants […]41. »
28De fait, le développement de la banlieue rend de plus en plus artificielles les limites administratives de la capitale. Pour Susanna Magri, à la fin du xixe siècle, « [le] quartier parisien et son faubourg forment […] une même zone industrielle, où les types d’emploi ne diffèrent guère – c’est bien un marché du travail unifié – et où les déplacements quotidiens sont aisés42 ».
29Les nombreuses demandes de percement de portes nouvelles dans l’enceinte ou d’élargissement de portes existantes, émanant du conseil municipal depuis la fin des années 1870 et surtout au cours de la seconde moitié des années 1880, témoignent de la tendance à l’unification du territoire parisien43. Les édiles ne font d’ailleurs que traduire les aspirations de leurs mandants, comme le montre les pétitions d’habitants des arrondissements périphériques, réclamant des ouvertures supplémentaires dans la fortification pour faciliter les communications avec l’extérieur44. De leur côté, les élus de banlieue communiquent parfois à leurs homologues parisiens des vœux allant dans le même sens45. Brousse lui-même, en tant qu’élu du 17e arrondissement, prend part à ce mouvement de revendication46.
30Pour accompagner la fusion inéluctable entre Paris et la banlieue, la suppression de l’enceinte s’avère indispensable, sous peine de courir à la catastrophe urbaine et sociale. Après avoir mis en évidence la force particulière de la croissance démographique dans les arrondissements périphériques et les communes limitrophes, Brousse prophétise une rupture totale de l’unité sociale et urbaine de la capitale en cas de maintien de l’ouvrage de défense :
« [Si] par l’effet de ce double courant [l’enceinte] ne s’effondrait pas, il arriverait bientôt ceci : les monuments de Paris, ses bureaux, ses banques, ses magasins, garantis, enfermés dans l’espèce de réduit militaire formé par l’enceinte, et toute une population de travailleurs campés, sans défense, en dehors des murs, autour des anciens forts47. »
31Brousse voit dans la suppression de l’enceinte le seul moyen d’intégrer à la civilisation urbaine une population toujours croissante. Sans cette mesure, les travailleurs resteront « campés » aux portes de la ville.
32Pour Brousse, la population rassemblée autour de la capitale est une population « sans défense », qu’il s’agit d’aider en levant l’obstacle que constitue l’enceinte. Son argumentation rejoint cependant la thématique conservatrice des « barbares » encerclant les villes dans les centres desquelles ils menacent de déferler : la suppression du mur serait une solution aux problèmes que pose cette population. L’argument ne peut manquer d’être entendu : la crainte des « barbares » de la périphérie urbaine, très présente en France, a été portée à son paroxysme par les événements encore très proches de la Commune48.
33Dès la proposition Guyot, le déclassement des fortifications se donne comme une solution aux problèmes qui préoccupent les contemporains : pénurie d’espace ou encore, autre face du même problème, insalubrité et surpopulation, mais aussi plus largement problèmes posés par l’intégration à la ville des classes laborieuses. Ce dernier thème contribue à ancrer le sort de l’enceinte parmi les questions d’hygiène. Comme l’ont montré L. Murard et P. Zylberman, l’hygiénisme consiste pour une bonne part en une tentative de domestication des « classes dangereuses49 ». On retrouve d’ailleurs la même orientation chez les réformateurs sociaux qui s’emparent des fortifications dans les années 1900 au nom de la vertu civilisatrice des espaces libres.
34Dans ces conditions, la position des partisans du déclassement est claire : il leur faut d’abord faire la preuve que l’enceinte est inutile, ou mieux encore nocive, sur le plan militaire, pour être fondés ensuite à en réclamer la suppression au nom de l’hygiène. Ils imposent ainsi à leurs adversaires le terrain sur lequel mener le combat : nul ne nie la nécessité d’un assainissement de la capitale, pas plus qu’il n’est possible de laisser de côté l’impératif de défense.
Une problématique qui
s’impose
aux adversaires de la disparition
35Les partisans du maintien des fortifications n’ont pas le choix : il leur faut proposer des solutions alternatives au déclassement en matière de logement populaire et d’« espaces libres » ou démontrer que la disparition de l’enceinte ne résoudra pas les problèmes qu’elle est censée régler.
Des solutions alternatives
en
matière de logement populaire
36Certains adversaires du déclassement intègrent le logement populaire dans leurs projets pour l’avenir de l’enceinte. En 1890, la Société de la zone militaire de Paris publie une brochure intitulée Transformation de la zone militaire de Paris, qui se propose d’examiner la question au triple point de vue de « la défense militaire de Paris, des voies de communications suburbaines et de la création de logements et habitations salubres et à bon marché50 ».
37L’auteur de ce texte qui par certains points semble une réponse au Paris ouvert de Guyot est, selon Brousse, un « officier supérieur en exercice51 ». Il recommande la modernisation des fortifications par la création, hors de la ville, d’un boulevard permettant la circulation de l’artillerie sur des voies ferrées. Les projets de logements à bon marché concernent alors, non plus l’espace que libérerait la disparition de l’enceinte, mais la zone de servitude. Le rachat de l’ensemble de la zone par une société unique permettrait la construction de maisons basses, sur les 50 m les plus éloignés de Paris. Ces maisons seraient destinées aux classes laborieuses. La solution présenterait un double avantage : « fixer hors de la place tous les éléments turbulents […] précaution indispensable pour éviter sûrement les désordres qui sont trop facilement produits dans les villes assiégées52 » et procurer à une population pauvre des logements situés à 200 m de Paris, « au bon air53 » par conséquent, et « représent[ant], par leur valeur peu considérable, les meilleures conditions de logements salubres et à bon marché54 ». C’est qu’« ouvriers et petits employés55 » désirent maintenant (l’analyse est très proche de celle de Guyot) posséder leur chez-soi pour « s’y reposer en respirant le bon air56 ».
Un risque d’aggravation des problèmes
38La discussion de la proposition Guyot constitue un autre exemple de cette imposition de problématique. Levraud est l’adversaire de Guyot qui se consacre à l’« aspect social et économique57 » de la proposition (qui va des questions financières aux problèmes d’hygiène publique). Il s’attache à montrer que le déclassement de l’enceinte ne remédiera ni à l’insalubrité des logements ni à la pénurie d’« espaces libres ». La mesure risque même d’aggraver la situation ou d’engendrer de nouveaux problèmes.
39Pour Levraud, on ne peut espérer construire des logements à bon marché sur l’enceinte. Levraud, comme Delabrousse, s’oppose au déclassement des fortifications pour des raisons militaires, mais il s’intéresse surtout au versant financier de la question, « à peine effleuré par M. Yves Guyot58 ». Lui-même a recueilli « des renseignements […] auprès d’hommes compétents [desquels] il résulte que la démolition des fortifications ne coûterait pas moins de 26 000 000 de francs59 ». Un autre obstacle rend difficile la réalisation de l’opération : « [L’]État n’abandonnera pas les terrains des fortifications sans en faire payer la valeur qui est considérable60. » Enfin, la mise en vente massive des terrains militaires ne peut que susciter la spéculation. Ces derniers seront donc cédés à un prix rendant impossible la construction de logements accessibles aux petits revenus. Il est d’ailleurs d’autant plus vain de vouloir résoudre la crise du logement par la désaffectation de l’enceinte que celle-ci risque de s’accompagner d’un recul des limites de l’octroi, auquel les populations s’installant hors de Paris cherchent justement à échapper. Par conséquent, « à ce point de vue, le Métropolitain, les tramways, les omnibus, serviront mieux l’intérêt de la population61 ».
40Les partisans du maintien sont aussi fondés que leurs adversaires à invoquer l’hygiène et les « espaces libres » : les fortifications et la zone sont les derniers espaces non construits de Paris, à améliorer peut-être, mais à préserver. Telle est l’opinion de Levraud : « Les fortifications et leur zone constituent autour de Paris un espace considérable où l’air circule librement ; cette situation est très favorable à l’assainissement de la capitale62. » L’enceinte est donc indispensable, d’autant plus qu’à Paris les maisons atteignent une grande hauteur.
41Pour ses partisans, la disparition des fortifications est nécessaire pour que s’opèrent dans les meilleures conditions possibles la fusion entre Paris et la banlieue et l’extension illimitée de la capitale, inéluctables. En revanche, Levraud déplore l’extension de Paris et voit dans l’enceinte qui l’entrave une protection à conserver à tout prix :
« Bien qu’un grand centre comme Paris soit un foyer d’intelligence, j’estime qu’il faut une limite à son développement. […] Les 9/10 des ouvriers qui viennent à Paris sont destinés à vivre misérablement et tombent tôt ou tard à la charge de l’Assistance publique. […] Plus une ville est grande, plus elle attire ; et le résultat de cette attraction, c’est la misère, l’insalubrité, la corruption des mœurs63. »
42L’extension de Paris risque aussi de transformer la tendance au rejet de la population ouvrière sur les franges de la capitale en exclusion définitive. S’il est impossible d’enrayer l’affluence vers Paris, on peut ne pas l’encourager, en évitant de faciliter l’installation dans et autour de la capitale. Il faut aussi se dispenser d’attirer par de grands travaux, comme la destruction des fortifications, une main-d’œuvre abondante. Et Levraud de dénoncer « la tendance déplorable qui semble se manifester depuis quelque temps ici, au retour vers la tradition funeste des grands travaux menés rapidement, qui attirent à Paris une multitude d’ouvriers de province et de l’étranger au détriment des travailleurs parisiens64 ». Ces inquiétudes sont caractéristiques de la méfiance envers la main-d’œuvre nomade drainée par les grands travaux, méfiance apparue, d’ailleurs plutôt dans les petites bourgades ou dans les campagnes, avec la construction du premier réseau de chemin de fer sous la monarchie de Juillet65.
43L’argumentation de Levraud présente donc une nette gradation : elle va des simples considérations financières à un choix en matière d’urbanisme et de rapports sociaux. La position de Levraud traduit un rejet de la politique urbaine menée à Paris sous le Second Empire. L’urbanisation des terrains de l’enceinte s’inscrit pour lui dans la logique haussmannienne et ne peut qu’en accentuer les conséquences néfastes :
« L’extension de Paris en a changé le caractère. Ce n’est plus aujourd’hui le Paris de la première Révolution, ce n’est même plus le Paris de 1848 ; je parle bien entendu au point de vue de l’esprit qui l’anime. Et ce qui l’a aussi profondément changé, c’est l’“haussmannisme”, qui, par ses grandes percées au centre de Paris, a rejeté au loin la population ouvrière, afin, semblerait-il, que rien ne pût la distraire de sa misère66. »
44De fait, comme le signale J. Merriman, les grands travaux haussmanniens ont eu pour conséquence, voulue, « de chasser du centre de Paris vers les faubourgs, surtout nord et est, quelque 350 000 Parisiens de condition modeste67 ». Levraud ne fait que reprendre à son compte une réprobation qu’exprimait déjà l’opposition sous le Second Empire. Louis Lazare, rédacteur en chef de La Revue municipale, affirmait en 1870 :
« Il est dangereux de créer dans une capitale deux cités différentes, et par cela même hostiles, le Paris des grandes existences d’un côté et le Paris des misères déguenillées de l’autre […] Autour de la Cité-Reine se dresse une formidable cité ouvrière68. »
45De même, la concentration de main-d’œuvre causée par les grands travaux ne laissait pas d’inquiéter les contemporains d’Haussmann. Georges Laronze mentionne ainsi le scepticisme d’un député, le comte de Dufort-Civrac, devant l’œuvre d’Haussmann : les percées haussmanniennes, censées permettre la répression des émeutes, en créent les conditions de possibilité par la concentration des ouvriers dans Paris69.
46Levraud voit dans l’« haussmannisme » et l’extension illimitée de la Ville des causes de misère. Dix ans plus tard, ces critiques reçoivent une réponse indirecte de Brousse, qui n’envisage qu’une solution pour mettre fin aux maux que dénonce Levraud :
« Nous ne voyons qu’un remède à cette séparation [de la classe ouvrière du centre de la Ville], c’est de supprimer ou de reporter plus loin en avant cette muraille de Chine qui nous sépare d’elle, car le mouvement d’accroissement qui l’éloigne de nous ne peut être arrêté70. »
47Brousse et Guyot partagent avec Levraud la phobie de la densité urbaine caractéristique des hommes du xixe siècle71. Ils prennent cependant acte de la croissance urbaine, qu’ils entendent accompagner et non combattre. En cela ils se situent dans la ligne d’Haussmann, dont l’action passe « par la reconnaissance implicite de la grande métropole comme composante normale de la civilisation moderne72 ». Certains contemporains du préfet de la Seine partagent d’ailleurs ces conceptions : en 1868, Maxime du Camp, qui considère d’ailleurs que « Paris est bien forcé de s’agrandir73 », rend hommage à l’action d’Haussmann : « La transformation de Paris était devenue indispensable ; cette mesure devait nécessairement concorder avec l’établissement de chemins de fer qui versent chaque jour dans les gares urbaines des milliers de voyageurs74. »
48L’acceptation de la croissance urbaine ne se généralisera cependant que dans les années 1910, avec la réflexion sur les plans d’aménagement et d’extension des villes75. L’enceinte n’est d’ailleurs pas le seul enjeu au sujet duquel s’opposent les deux conceptions de l’évolution des villes identifiées ici. Les arguments relevés par N. Evenson dans le débat sur la création du chemin de fer métropolitain ressemblent à ceux qui divisent partisans et adversaires du déclassement des fortifications. Pour les uns, l’amélioration des transports est bénéfique : en rendant la banlieue facilement accessible, elle permettra aux travailleurs parisiens d’accéder à des logements plus sains et moins onéreux. D’autres craignent un dépeuplement de la ville et la ruine du commerce du centre76.
La mobilisation de l’exemple londonien
49Si dans les années 1880 et 1890, les édiles qui s’intéressent aux fortifications invoquent l’exemple allemand77, il ne s’agit que d’une des références étrangères mobilisées dans le débat. La discussion sur l’opportunité d’une urbanisation de l’espace occupé par l’enceinte fait aussi intervenir, chez les partisans comme chez les adversaires de sa disparition, une comparaison entre Paris et Londres.
50Pour Guyot, le déclassement est rendu souhaitable par une évolution urbaine qu’on observe dans toutes les grandes villes et en particulier à Londres. À Paris comme ailleurs, on assiste à un déplacement de la poussée démographique du centre vers la périphérie78 : « Ce mouvement périphérique se produit dans tous les grands centres. Tandis que la population de Londres a presque doublé depuis trente ans, la population de la Cité ne cesse de diminuer […]79. » Dix ans plus tard, on retrouve le diagnostic d’une évolution parallèle des deux métropoles chez Brousse :
« [La] population s’accumule inégalement dans Paris, elle augmente partout, oui, sauf dans le premier arrondissement, où elle diminue, mais elle s’accroît inégalement, elle s’accumule vers la périphérie, contre le mur d’enceinte. Il se passe à Paris un phénomène approchant de celui qui, à Londres, est si visible : l’homme, locataire encombrant et peu commode, cédant la place, au centre de la cité, à des locataires plus accommodants et capables de payer de plus chers loyers, la marchandise fine et le bureau80. »
51L’analyse des édiles rejoint ici le discours savant des géographes. Au sujet de Londres, Pasquet parle des « “villes champignons” qui sont nées et qui naissent à tout instant sur la frontière de la grande ville, tandis que le centre se dépeuple de jour en jour81 ». Comme Guyot, il décrit la transformation de la Cité en centre des affaires : « [La] partie la plus peuplée de Londres au commencement du siècle n’a plus maintenant qu’une population sédentaire insignifiante ; le commerce de détail a fait place au commerce en gros et aux “affaires”82. »
52De même, pour les géographes comme pour les édiles, la croissance de la métropole londonienne annonce l’évolution de toutes les grandes villes. Pasquet remarque la tendance récente à l’émigration d’une partie de la population de Londres, qu’il interprète de la façon suivante :
« Faut-il voir là un commencement de décadence, ou tout au moins un des signes précurseurs de vieillesse ? […] Ces cent mille Londoniens sont loin d’être perdus pour Londres ; ils sont simplement passés de l’autre côté de la frontière administrative du comté, qu’ils franchissent très probablement tous les matins pour se rendre à leur travail accoutumé83. »
53Ce mouvement de population n’est pas propre à la capitale anglaise : « Ils ont obéi à l’action d’une sorte de force centrifuge qui n’est point particulière à Londres, mais qui s’exerce dans cette ville avec encore plus d’intensité que partout ailleurs84. » Pasquet établit un parallèle avec d’autres grandes villes :
« Au recensement de 1896, on a pu constater à Paris les premiers symptômes de ce dépeuplement des centres qui est une des caractéristiques de la vie moderne. Les dix arrondissements intérieurs ont perdu 10 000 habitants, tandis que les dix arrondissements extérieurs en gagnaient 97 000. Vienne et Berlin sont dans le même cas. Dans les villes d’affaires comme Manchester, le même fait se produit avec plus de netteté et d’ampleur encore85. »
54Pasquet explique ce phénomène de la même façon que Brousse. Même son vocabulaire présente des similitudes avec celui de l’édile :
« [Dans] la partie centrale des grandes villes, le terrain acquiert une valeur telle que les maisons d’habitation n’y donnent plus qu’un revenu insuffisant. Les bureaux, les magasins, les entrepôts de toute sorte y prennent peu à peu toute la place disponible et en expulsent les habitants86. »
55La « force centrifuge » que mentionne Pasquet accède rapidement au statut de loi de l’évolution urbaine, que doit intégrer le géographe débutant. L’article « Villes » du Dictionnaire manuel illustré de géographie d’Albert Demangeon indique :
« L’accroissement de la population urbaine […] a été l’un des phénomènes les plus caractéristiques du xixe siècle. Il est moins marqué en France qu’en Angleterre ou aux États-Unis. Pourtant, de 1846 à 1896, la population des communes de plus de 20 000 habitants a augmenté de 42,7 %. Paris, qui n’avait que 548 756 habitants en 1801, en comptait 2 660 550 en 1901. Depuis quelques années, un phénomène inverse se produit là où le réseau des voies ferrées et les tarifs ouvriers facilitent les déplacements : le centre se dépeuple au profit de la périphérie. À Londres, la Cité, le centre des affaires, voit partir le soir tous les hommes d’affaires vers de lointains cottages87. »
56Toutefois, pour les géographes, le mouvement est plus complexe que celui que décrivent les édiles. Pasquet mentionne la tendance au dépeuplement du centre, mais ajoute cependant :
« L’émigration suit une progression régulière : dès qu’un quartier devient trop central, les riches l’abandonnent pour aller s’établir plus loin, sur la lisière de la campagne. Les pauvres demeurent plus longtemps, car il leur faut rester à proximité de leur travail : aussi est-ce dans la partie centrale de Londres, tout près des banques de la Cité, derrière les brillants magasins du West End, que la pauvreté est la plus intense. Enfin, les bureaux, les magasins et les inspecteurs sanitaires chassent les pauvres eux-mêmes et les forcent d’aller transporter plus loin leurs misérables pénates88. »
57Là encore d’ailleurs, la comparaison avec Paris s’impose. Rendant compte du travail de Pasquet, Paul Vidal de la Blache mentionne « l’extension progressive de la périphérie n’exclu[ant] pas l’engorgement du centre89 » et ajoute :
« Et ce phénomène n’est pas particulier à Londres : on le constate aussi bien à Paris, dans les 3e et 4e arrondissements, qu’à New York dans la South Street près du centre des affaires, et à Chicago à quelques pas de la grande Poste, etc. Ce sont les aspects disparates, et comme les verrues de ces grands corps90. »
58Tous ces textes sont postérieurs aux affirmations de Guyot et Brousse91. Il ne s’agit pas ici de dresser une généalogie des arguments avancés par les édiles réclamant la suppression de l’enceinte, mais de noter que leurs propos sont en phase avec le discours savant.
59La référence à Londres joue à plusieurs niveaux chez les partisans de la suppression des fortifications. Tout d’abord, il s’agit de montrer que l’évolution repérée est inéluctable, puisque universelle. Ensuite, l’exemple londonien est censé prouver que cette évolution est bénéfique. Non seulement le déplacement de la pression démographique vers les franges des villes se traduit par une amélioration hygiénique, mais il n’y a pas lieu d’en craindre les conséquences sociales et économiques :
« Au fur et à mesure que le nombre des habitants diminue, le nombre des freemen, des membres de la corporation de la Cité, qui y prennent leur domicile électoral augmente. Nous n’avions pas besoin, du reste, de cette preuve pour savoir que cette diminution d’habitants était un témoignage, non de décadence, mais de changement d’habitudes. Doit-elle inquiéter les propriétaires du centre de Paris ? Pas le moins du monde. Le métropolitain de Londres n’a pas fait diminuer la valeur des terrains de la Cité. C’est le coin du globe où ils atteignent le plus haut prix92. »
60L’exemple londonien permet aussi de réfuter certains arguments des partisans du maintien de l’enceinte. Pour Levraud, une croissance urbaine illimitée est néfaste et l’enceinte constitue un rempart, au sens propre, capable de contenir cette extension. Or, comme le note Guyot, l’extension de Paris n’a rien d’effrayant : avec 2 260 000 habitants contre 3 800 000 pour Londres, les édiles « [ont] de la marge93 ».
61Cependant, la référence à Londres est à double tranchant. Elle est aussi invoquée par les adversaires de Guyot. Levraud attribue la carence parisienne en matière d’hygiène non à l’enceinte, mais à la densité du bâti :
« [Si] nos maisons n’atteignaient pas jusqu’à une hauteur de 20 mètres, Paris serait beaucoup plus sain. Si Londres était construit dans les mêmes conditions, il constituerait un foyer d’infection94. »
62L’argument est cependant difficilement opposable au projet de suppression des fortifications. La densité supérieure du bâti parisien tient en partie à l’existence de l’ouvrage de défense : « Londres n’a pas de mur d’enceinte95 » répond Guyot.
63Les arguments échangés le 11 juin 1883 et développés dans Paris ouvert montrent que, dès le début des années 1880, le recours aux exemples étrangers ne se limite pas au sempiternel rappel du traitement de ses villes fortifiées par le vainqueur de 1870. Chez Guyot, le plaidoyer pour la suppression de l’enceinte s’appuie sur une comparaison, fondée sur les statistiques, entre des agglomérations d’importance comparable. Ce type d’argumentation sera repris, développé et perfectionné par la suite.
64Avec la proposition Guyot, le sort de l’enceinte s’inscrit dans le champ de l’hygiénisme : non seulement ceux qui réclament la suppression des fortifications le font au nom de l’hygiène, mais leurs adversaires sont amenés à se placer sur le même plan. Ces derniers se sentent tenus de proposer des solutions alternatives (transformation de la zone militaire de Paris) ou de nier que le démantèlement puisse résoudre les problèmes. « On prétend que l’emplacement du mur d’enceinte, mis à la disposition des constructeurs, facilitera la solution de la question des logements à bon marché. Je ne le pense pas, pour ma part96 » affirme Levraud.
65L’inscription du sort de l’enceinte parmi les questions d’hygiène, alliée aux conséquences du traumatisme de la défaite qui lui-même joue un rôle dans l’émergence de préoccupations hygiénistes, contribue à faire du déclassement une question d’actualité au début des années 1880. La dimension passionnelle attachée à la remise en cause d’un ouvrage militaire au lendemain d’une défaite s’estompe peu à peu, un consensus semblant se dessiner sur l’inutilité des fortifications. En revanche l’inscription hygiéniste s’avère définitive, survivant au renouvellement des intervenants et même à celui des solutions proposées. Le fait que la référence à l’étranger ne se limite pas à l’invocation rituelle du déclassement des places fortes allemandes contribue certainement à cette pérennisation.
66Quand le Musée social s’empare du sort de l’enceinte dans les années 1900, il le trouve déjà constitué en question d’hygiène et il ne reste qu’à en effectuer une réinterprétation. Non seulement Paris souffre d’un déficit « quantitatif » d’« espaces libres », mais ce déficit s’accompagne d’un retard français en matière législative et administrative : rien n’existe en France pour planifier le développement des villes. L’aménagement des fortifications permettra de combler le déficit d’espace parisien et sera aussi l’occasion d’expérimenter un dispositif général qu’il s’agit de mettre en place.
Le Musée social et les fortifications :
tuberculose et
espaces libres
67À la fin des années 1900, la Section d’hygiène urbaine et rurale du Musée social s’empare du sort de l’enceinte. Elle a d’ailleurs été créée spécialement pour soutenir une proposition de loi sur l’aménagement des fortifications déposée par Jules Siegfried en janvier 1908. Cette proposition, qui traite de la portion de l’ouvrage concernée par la loi de 1898, prévoit la remise gracieuse des terrains militaires à la Ville, la permission pour cette dernière d’en aliéner un tiers et la création de quatre grands parcs et d’un boulevard circulaire. Elle prévoit aussi la nomination d’une commission chargée d’étudier le plan d’extension de Paris97.
68La section, présidée par Siegfried, inaugure son action par deux coups d’éclat. Elle commence par intervenir dans la campagne pour les élections municipales de mai 1908. Une affiche est proposée aux candidats parisiens, qui reproduit un projet d’aménagement de l’enceinte et de la zone prévoyant neuf grands parcs reliés par un boulevard circulaire98. Ce projet s’inspire des travaux d’Eugène Hénard, architecte de la ville de Paris, membre la section et auteur d’une série d’études sur les transformations de Paris99. La section organise aussi, en juin 1908, une « réunion en faveur des espaces libres » à la Sorbonne afin de promouvoir la création de parcs et de jardins sur les fortifications100. Par la suite, ses réflexions portent principalement sur l’enceinte et sur les plans d’aménagement et d’extension des villes. Pour les réformateurs sociaux, ces deux thèmes sont liés, comme en témoigne la proposition de loi Siegfried.
69La mobilisation du Musée social répond à un sentiment d’urgence : la disparition des fortifications semble imminente. L’urgence est d’ailleurs toute relative, puisque l’intérêt de l’opinion pour l’enceinte a été éveillé près de trois ans auparavant, quand Le Figaro a lancé une campagne contre le lotissement projeté des terrains de la zone de servitude intégrés au bois de Boulogne101.
70D’une certaine manière, le Musée social reprend la question telle qu’il la trouve : c’est une question d’hygiène et l’aménagement de l’enceinte, dont la disparition est acquise par la loi du 19 février 1898, est le moyen de combler une série de déficits spécifiquement français. Le premier de ces déficits est d’ordre « quantitatif ». Comme les édiles avant eux, les réformateurs sociaux constatent la pénurie d’espaces libres dont souffre la capitale. Espaces libres : on peut maintenant abandonner les guillemets. Depuis la fondation en 1902 du Comité pour la préservation et la création des espaces libres par G. Bonvalot102, l’expression s’est imposée. L’aménagement en parcs et jardins d’une partie des fortifications et de la zone permettra alors de résorber cette pénurie identifiée comme spécifiquement française.
71Les réformateurs sociaux renouvellent cependant les arguments invoqués par les édiles depuis deux décennies : ils font des espaces libres, sur l’enceinte ou ailleurs, des éléments du dispositif de lutte contre la tuberculose. L’argumentation se nourrit de la comparaison internationale : le caractère mortifère de la situation parisienne est mis en évidence par un rapprochement, pour différentes capitales européennes, entre les statistiques de la mortalité tuberculeuse et la superficie des espaces libres. L’intervention du Musée social renforce ainsi la dimension nationale de l’enjeu que constitue l’aménagement hygiénique de l’enceinte.
Une pénurie spécifiquement française
72Comme les édiles des années 1880-1900, les réformateurs sociaux voient dans le manque d’espaces libres dont souffre Paris l’expression d’une déficience spécifiquement française. Hénard ouvre la présentation de son projet d’aménagement de l’enceinte et de la zone par les propos suivants :
« Les larges surfaces plantées d’arbres et d’arbustes au milieu des agglomérations urbaines sont indispensables à l’hygiène publique, au même titre que l’air et la lumière. […] Or, à ce point de vue […] Paris est dans un état d’infériorité flagrante par rapport à bon nombre de grandes villes étrangères103. »
73L’évidence d’une pénurie nationale, constamment martelée, est un des éléments de la propagande pour un aménagement de l’enceinte et de la zone inspiré des travaux de Hénard. Sur l’affiche élaborée pour les élections municipales de 1908, l’aménagement de l’enceinte et de la zone, ultimes réserves d’espaces libres de l’agglomération parisienne, est présenté comme la dernière chance de résorber la pénurie dont souffre Paris :
« DE L’AIR, DES PARCS, DES SPORTS !
Sauvons nos espaces libres
Sauvons nos fortifications
Pourquoi ?
Parce que vous ne pouvez pas vivre dans des prisons de pierre.
Parce qu’à vos enfants il faut autre chose que la rue.
Parce qu’il nous faut à tous de la lumière, de l’espace et des terrains de sport.
Parce que depuis un demi-siècle, Paris s’accroît formidablement et que ses jardins disparaissent.
Parce que Londres, Berlin, Vienne, toutes les capitales, ont plus d’espaces libres que Paris.
Comment ?
En défendant notre réserve de terrains publics non bâtis.
En arrachant à la convoitise des spéculateurs nos fortifications.
En exigeant de l’État leur abandon gratuit au peuple de Paris.
En exigeant de la Ville une ceinture de neuf grands parcs et des espaces réservés au sport.
Électeurs parisiens, ne votez que pour les candidats acceptant ce programme104. »
74La dénonciation de la situation française ne relève pas seulement du procédé rhétorique. Elle s’appuie sur des données chiffrées. En 1908 Hénard procède à une comparaison entre Paris, Londres et Berlin105. Pour chacune des villes, il additionne la superficie des différents parcs intérieurs et aboutit aux résultats suivants : 1 168 hectares pour Londres, 411 hectares pour Berlin et seulement 214 hectares pour Paris. L’architecte ne se contente pas de cette comparaison et pousse plus loin l’analyse. Les dotations en espaces libres des différentes villes ne sont pas comparables d’emblée :
« Pour comparer Paris à Londres, une difficulté se présente : les deux villes sont tellement différentes par leurs formes, par leurs étendues, par la densité des maisons, que la comparaison dans leur ensemble ne donnerait aucun chiffre probant106. »
75La supériorité londonienne en matière d’espaces libres ne serait-elle pas simplement due à la plus grande étendue de la capitale britannique ? Pour raisonner sur des situations comparables, Hénard retravaille les données :
« Pour tourner cette difficulté, nous allons découper, dans la partie la plus centrale de Londres, c’est-à-dire celle qui est la plus comparable à Paris, une surface égale et de forme identique à la surface de Paris, et nous n’y laisserons subsister que les parcs et jardins107. »
76Il s’agit de délimiter, au cœur de Londres, une aire de superficie et de forme semblable à celle de Paris. Seuls les espaces libres inclus dans cette surface seront retenus pour la comparaison. Hénard procède ensuite à la même opération pour Berlin (voir documents 2 et 3).
77Malgré la correction, la supériorité allemande, et surtout anglaise, se maintient :
« Pour une même surface de 7 800 hectares
Londres possède 290 parcs ou squares d’une contenance de 752 hectares
Berlin – 20 – – – 554
Paris – 46 – – – 263108. »
78L’infériorité française est encore aggravée par la différence entre les densités de population :
« Ainsi Paris ne possède que la moitié des espaces libres de Berlin et que le tiers de la surface des espaces libres de Londres. Mais comme la population de Paris est deux fois plus dense que celle de Londres, il en résulte qu’un petit Parisien ne jouit que de la sixième partie des jardins dont peut jouir un petit Londonien109. »
79Document 2. – Plan des parcs et squares de Paris en 1900, à l’intérieur des fortifications.
80Document 3A. – Plan des parcs et squares de Berlin pour une portion de sa surface identique à celle de Paris.
81Document 3B. – Plan des parcs et squares de Londres pour une portion de sa surface identique à celle de Paris.
82La solution consiste alors à utiliser, entre autres, l’enceinte et la zone pour y aménager des parcs et des jardins. Hénard invoque d’ailleurs des précédents étrangers :
« L’idée de profiter de la suppression d’un mur d’enceinte pour créer des promenades et des jardins n’est pas nouvelle. Nombre de villes étrangères l’ont appliquée depuis longtemps. Les deux plus remarquables exemples ont été donnés par Hambourg et Vienne110. »
L’aménagement de l’enceinte contre la tuberculose
83Au tournant du siècle, le combat contre la phtisie est érigé en cause nationale par les milieux hygiénistes111 et l’État : depuis la régression de la mortalité due aux maladies contagieuses comme le choléra ou la typhoïde, la tuberculose est passée au premier plan des préoccupations des responsables de la santé publique112. Que le Musée social se réclame de ce combat n’a rien d’étonnant : la tuberculose, qui s’attaque de façon préférentielle aux classes populaires, est une « maladie sociale113 » dont le traitement relève de l’hygiène publique. Selon le docteur Landouzy, un des spécialistes français de la phtisie114, « c’est aux ingénieurs sanitaires, c’est aux édiles qu’il appartient de nous garder contre la tuberculose115 ». La lutte contre ce fléau relève donc des compétences du Musée social, dont l’objectif est d’« aider au développement de toutes les œuvres susceptibles d’améliorer la situation matérielle et morale des travailleurs116 ». Dans les années 1900, les réformateurs sociaux mobilisent cette priorité nationale dans leur propagande pour les espaces libres. Ils ne font d’ailleurs que reproduire une stratégie mise en œuvre dans les deux dernières décennies du xixe siècle à l’occasion de leur combat pour l’habitation à bon marché, réalisant à l’époque, selon M.-J. Dumont, « un coup de génie117 ».
84Le 5 juin 1908, l’aménagement de l’enceinte est explicitement présenté comme participant de la lutte contre la tuberculose. La présence de Landouzy à la réunion contribue d’ailleurs à inscrire la campagne pour un aménagement de l’enceinte en espaces libres dans la mobilisation contre la maladie. Cette cause est aussi invoquée par un autre intervenant, Alexandre Ribot, qui invite les participants à se mobiliser contre la tuberculose et contre l’alcoolisme :
« La […] France a des ennemis ; je ne veux pas parler des ennemis du dehors, ceux-là nous pouvons ne pas les craindre. […] [Je] parle – écartant la politique – de ces fléaux dont on vous entretenait tout à l’heure, de l’alcoolisme, qui menace de tarir les sources de la vie de notre race, et de la tuberculose qui n’est que le résultat de la misère physiologique, surtout dans les grandes villes. Il faut faire reculer ces ennemis. L’Angleterre y a réussi, pourquoi ne réussirions-nous pas ? […]
Nous devons, en présence de ces grands dangers, […] nous donner la main, comme il convient à de bons Français, pour faire de cette œuvre entre toutes nécessaire, entre toutes féconde, une œuvre véritablement patriotique et surtout nationale118. »
85Le traitement de l’enceinte participe donc bien des dispositifs de lutte contre la « dégénérescence » qui menace le pays.
Les espaces libres contre la tuberculose ?
86Si les spécialistes restent divisés sur l’origine et sur le traitement de la tuberculose au début du xxe siècle119, un principe, énoncé par Koch120, a fini par se dégager : l’air pur et la lumière sont des armes efficaces contre la maladie. L’idée est devenue partie intégrante du sens commun hygiéniste121 : on la rencontre chez des professionnels de la tuberculose comme chez des réformateurs sociaux dépourvus de compétences médicales particulières.
87Le 5 juin 1908, Landouzy déclare :
« [Si] la contagion est une cause vraie de la tuberculose, les causes occasionnelles si nombreuses ne se trouvent jamais autant réunies, autant génératrices de contagion, que dans les milieux entassés, que dans les milieux surpeuplés. C’est là où la contagion est surtout préparée, entretenue, dans les quartiers, dans les maisons sans air, sans lumière, et où le soleil ne pénètre jamais122. »
88Selon Landouzy, les chiffres prouvent que la tuberculose frappe en priorité « dans les quartiers maudits, dans les maisons maudites et jamais ensoleillées123 ». La mortalité tuberculeuse à Paris est en moyenne de 50 pour 10 000. Or, pour les quartiers des Épinettes, de Plaisance, de Javel et de Grenelle, elle atteint 104 pour 10 000. En revanche, dans des quartiers fortunés comme la Madeleine, elle tombe à 20 pour 10 000, et même à 11 pour 10 000 « pour des espaces plus libres encore124 » comme les Champs-Élysées125. La démarche consistant à rapprocher taux de mortalité pour une maladie donnée et conditions locales est ancienne. Dès les années 1830, les tenants du diffusionnisme, qui considèrent que l’épidémie de choléra de 1832 a été favorisée par l’insalubrité des logements, invoquent les statistiques des taux de mortalité selon les rues de Paris et le niveau économique de leurs habitants126.
89Au grand médecin qu’est Landouzy fait écho le spécialiste de la réforme sociale qu’est Risler127, qui voit dans le soleil le « grand destructeur des microbes nocifs128 ». Comme Landouzy, Risler signale des variations importantes du taux de mortalité tuberculeuse selon les quartiers. Il fait référence aux travaux de Paul Juillerat, chef du bureau administratif des services d’hygiène de la ville de Paris et membre actif de la Section d’hygiène129. Fonctionnaire de la préfecture de la Seine, Juillerat est un acteur de premier plan dans la lutte contre la tuberculose. Il est responsable du Casier sanitaire des maisons de Paris. Créé en 1893, ce service municipal a pour mission de recenser, immeuble par immeuble, les cas de maladies contagieuses à déclaration obligatoire130. La confiance dans le rôle salutaire du soleil est partagée par Ambroise Rendu, conseiller municipal de Paris et membre de la section. En 1908, Rendu est l’auteur d’une « proposition relative aux fortifications de Paris131 », dans laquelle il défend devant les édiles le projet du Musée social : « L’objectif, c’est l’établissement de grands espaces plantés qui purifient l’air et constituent le meilleur préservatif connu contre les ravages de la tuberculose132. »
90Au début du xixe siècle, l’efficacité de l’air pur et du soleil contre la phtisie relève donc de la vérité scientifique passée dans le sens commun. Le passage a dû se produire d’autant plus facilement que, depuis le milieu du xixe siècle au moins, entassement et obscurité sont désignés comme les responsables de toutes les pathologies, morales et physiques, qui s’attaquent aux habitants des villes133. Cependant, la mobilisation de ce savoir, à la faveur duquel l’espace libre est constitué en élément central du dispositif antituberculeux, pour réclamer un aménagement de l’enceinte en parcs et jardins, passe par une simplification. Si l’air pur et le soleil permettent de combattre la tuberculose, les parcs et jardins ne constituent pas nécessairement pour autant un dispositif prophylactique efficace. Comme Landouzy, Siegfried et Rendu, Juillerat est persuadé que « la tuberculose est avant tout la maladie de l’obscurité134 » et que « la plupart des microbes pathogènes sont tués rapidement par la lumière solaire135 ». Cependant il est loin de partager la foi de non-spécialistes comme Siegfried et Rendu dans l’efficacité prophylactique des grands espaces libres :
« [Si] nous examinons l’influence de ce qu’on a appelé les réservoirs d’air sur la mortalité tuberculeuse des rues avoisinantes, nous sommes forcés de reconnaître qu’elle est complètement nulle […].
C’est que le réservoir d’air et surtout de lumière solaire n’agit que sur les maisons qui le bordent immédiatement. Il faut, en somme, non pas des réservoirs d’air séparés par des blocs compacts de maisons obscures, mais un réservoir d’air et de lumière pour chaque maison136. »
91Pour le responsable du Casier sanitaire des maisons, on luttera donc contre la tuberculose non en créant des espaces libres mais en assurant à la population des logements salubres « d’où la propreté, l’air et le soleil chasseront le bacille meurtrier137 ».
92En bon hygiéniste, Juillerat se défend d’être hostile aux espaces libres138. Il considère seulement que ceux-ci ne sont pas efficaces contre la tuberculose : « [Ces] parcs et ces jardins, si utiles pour l’hygiène générale de la Ville et en particulier pour le développement et les jeux des enfants, n’ont qu’une efficacité illusoire sur la marche de la tuberculose139. » Pour Juillerat, l’implantation d’espaces libres n’est pas une priorité. Cette position est logique chez un spécialiste de l’assainissement des îlots insalubres qui défend son domaine d’intervention et aussi sans doute ses crédits :
« Au lieu de consacrer des centaines de millions à la création de réservoirs d’air dont nous avons démontré le peu d’efficacité, ne vaudrait-il pas mieux procéder à l’expropriation systématique de ces maisons funèbres, de ces îlots meurtriers140 ? »
93L’opinion de Juillerat invite à ne pas négliger la dimension rhétorique des références à la tuberculose dans l’argumentation en faveur d’un aménagement de l’enceinte en espaces libres. Landouzy lui-même, qui comme Risler141 fait référence aux travaux de Juillerat, n’explique pas comment les grands parcs créés sur l’enceinte assainiront les « quartiers maudits [et les] maisons maudites ».
94Même si invoquer la tuberculose pour revendiquer l’aménagement en espaces libres d’une part importante des fortifications et de la zone relève largement du procédé rhétorique, la Section d’hygiène s’inscrit dans ce qui, depuis plus de vingt ans, constitue une tradition : le sort de l’enceinte relève de l’hygiène. La mobilisation des fortifications dans la campagne contre la tuberculose, cause nationale au tournant du siècle142, renouvelle cependant la problématique. Elle confère aussi une force particulière à l’intervention relativement tardive du Musée social. Celui-ci y gagne le soutien des participants au combat contre la phtisie : Fédération des ligues contre la tuberculose, Société de médecine publique et Alliance d’hygiène sociale143, laquelle s’est donnée pour mission de coordonner les initiatives en matière d’hygiène sociale et est devenue en 1907 l’initiatrice d’un programme de santé publique pour la tuberculose144. La présence de Landouzy, qui s’exprime au nom de l’Association centrale française contre la tuberculose145, à la réunion du 5 juin 1908 est en elle-même révélatrice du succès du Musée social.
95La Section d’hygiène reçoit aussi le soutien de la Ligue antialcoolique146. L’aménagement de l’enceinte en espaces libres est en effet présenté comme le moyen de combattre l’alcoolisme. Le 5 juin, l’avocat Henri Robert présente l’exiguïté et l’inconfort des logements populaires comme la cause principale de l’alcoolisme :
« [L’]ouvrier est fort à plaindre, la plupart du temps il est mal logé, et quand il rentre le soir fatigué, harassé, il préfère sans doute aller au cabaret, chez le marchand de vin. C’est son salon à lui, il n’en a pas d’autre. Il aime mieux aller chez le marchand de vin que de rentrer dans un logis malsain, où il ne peut trouver aucune satisfaction147. »
96Les parcs et les jardins des fortifications contribueraient à détourner du café sa clientèle potentielle148. Robert est rejoint par Ribot et Risler, ce dernier associant d’ailleurs tuberculose et alcoolisme, deux pathologies liées à l’entassement dans les grandes villes149. De même, pour Cros-Mayrevieille, l’alcool est « un des grands pourvoyeurs de la tuberculose » et « [pour] combattre la tuberculose, [il est] nécessaire de lutter contre l’alcoolisme150 ».
97Ces assertions relèvent typiquement du « discours bourgeois151 » sur le débit de boisson, en particulier lorsqu’il s’agit d’identifier les causes de « l’alcoolisme social152 » des classes populaires, c’est-à-dire la consommation d’alcool hors du domicile. À la Belle Époque, les bourgeois « s’accordent à reconnaître que le cabaret est, pour l’homme des classes populaires, un club, un salon, le seul endroit où lui soient prodigués réconfort, compagnie, distraction, chaleur, lumière153 ». Des médecins, dont Landouzy, s’attachent à démontrer les liens entre tuberculose et alcoolisme154. Chez les réformateurs sociaux qui s’emparent de l’enceinte à la fin des années 1900, les espaces libres en viennent à assumer un statut de quasi-panacée, puisqu’ils sont constitués en élément du dispositif de lutte contre deux des trois fléaux qui « désolent la race155 », le troisième étant la syphilis156.
Espaces libres et
maladie :
les contre-performances françaises
98L’intervention des réformateurs sociaux dans le débat sur l’aménagement des fortifications au nom de la lutte contre la tuberculose passe par la dénonciation d’une insuffisance nationale. Une fois la pénurie d’espaces libres, ces « véritables sanatoriums157 », mise en évidence, le rapprochement avec la mortalité tuberculeuse à Paris s’impose. Pour cette comparaison, Risler mobilise les données élaborées par Hénard :
« Comment ne pas être frappé de la concordance absolue de ces chiffres avec le développement des espaces libres dans tous ces différents pays ? En effet, Londres a 14 % d’espaces libres, Berlin en a 10 %, Paris 4,5 % seulement. Londres a trois fois et demie moins d’espaces libres que Paris, il a 3 fois moins de décès par tuberculose. Berlin a près de 2 fois et demie plus d’espaces libres que Paris ; il a 2 fois et demie moins de décès tuberculeux ; la proportion se renverse exactement158. »
99Il s’agit alors de relever le défi que constituent ces contre-performances françaises. Assez paradoxalement d’ailleurs, ce souci se fait jour alors que la mortalité tuberculeuse a commencé à décroître en France dès les années 1880, la décrue n’étant cependant pas perçue par les contemporains159.
100Les réalisations étrangères invitent les Français à se mobiliser pour un aménagement de l’enceinte en espaces libres. Landouzy, par-delà son auditoire, s’adresse aux élus de la capitale :
« [Que] n’imitez-vous pas les édiles de Londres, et que ne profitez-vous pas de la bonne aubaine des fortifications qui vont tomber, pour faire à la ville de Paris une superbe ceinture de jardins, de parcs, de stands et de terrains fleuris ! Pourquoi n’en faites-vous pas des terrains de manœuvre, de santé, […] dans lesquels nos enfants, nos adolescents conquerront la vigueur, la santé comme leurs pères conquerraient l’adresse et le courage au Champ de Mars ! Que ne donnez-vous pas à la ville de Paris la couronne et l’enceinte de parcs fleuris semblables à celles dont sont si fiers les habitants de Londres ! Vous savez […] comment ils appellent leurs promenades : ils les appellent les poumons de Londres. Eh bien, Messieurs, ce sont ces poumons que nous vous demandons pour les Parisiens et pour les quartiers ouvriers surtout, pour lesquels nous voulons de l’air, de la lumière et du soleil160. »
101L’exhortation reprend tous les thèmes introduits ou repris par le Section
d’hygiène à propos de l’enceinte. L’invocation d’un exemple étranger, la
thématique nationaliste déjà présente chez les édiles, la métaphore
organiciste, parcs et jardins jouant le rôle de « poumons » urbains161, et l’enceinte comme ultime chance de
combler le déficit d’espaces libres dont souffre Paris
relèvent des
lieux communs développés par la section. Même le rappel de leurs
responsabilités aux élus locaux est un des thèmes favoris des
réformateurs sociaux, qui stigmatisent l’absence de volonté et de
compétence des édiles et opposent à la légitimité électorale celle que
confère la compétence.
102La constitution de l’aménagement de l’enceinte en élément du dispositif antituberculeux a d’ailleurs une conséquence paradoxale. Alors que l’insalubrité des habitations est désignée comme une des causes de la maladie, la question des logements salubres accessibles aux ouvriers est totalement laissée de côté dans les solutions proposées, alors même que certains membres de la section, à commencer par Siegfried, ont été les promoteurs de la loi sur les habitations à bon marché du 30 novembre 1894162. En effet, l’édification d’hbm sur les terrains de l’enceinte est incompatible avec un aménagement hygiénique au sens où l’entend la section, lequel implique non seulement la création d’espaces libres mais aussi l’instauration de servitudes limitant la hauteur des bâtiments et la proportion de surfaces bâties sur les parcelles destinées à la construction. Ces servitudes renchérissent le coût de la construction, et donc les loyers, rendant impossible l’édification d’hbm.
103La mise à l’écart de la question du logement populaire ne pose d’ailleurs pas de problème aux membres de la Section d’hygiène. Le traitement de l’enceinte n’est en effet qu’un élément s’inscrivant dans un enjeu plus vaste : l’aménagement rationnel de l’agglomération parisienne et, au-delà, des grandes villes françaises. Seule cette solution d’ensemble garantira à la population, avec les espaces libres dont elle a besoin, des conditions d’hygiène satisfaisantes pour l’avenir. Comme l’affirme Risler, l’habitation salubre à bon marché n’est qu’une solution incomplète :
« Sans doute, c’est un progrès énorme que de pouvoir obtenir pour l’enfant, avec ses parents, un logement sain et digne ; il lui faut plus encore : le grand air, le jeu, l’espace, l’exercice physique profondément moralisateur, l’espace libre où il pourra respirer jusqu’au fond de ses poumons et faire agir ses muscles, en un mot : vivre […]163. »
104Dans ces conditions, les réformateurs sociaux peuvent évacuer l’enjeu du logement populaire quand ils traitent du sort de l’enceinte. D’ailleurs, dès 1904, Charles Gide affirmait : « [Les] sociétés philanthropiques ou coopératives de maisons ouvrières ne réussiront pas à modifier définitivement les conditions de l’habitation humaine. C’est la ville qu’il faut bâtir avant de bâtir la maison164. »
105Les fortifications constituent l’ultime réserve d’air de la capitale et leur sort semble devoir se régler rapidement à la fin des années 1900. Leur aménagement apparaît alors comme une occasion privilégiée, sinon la seule, à la fois de faire adopter le principe législatif d’un aménagement programmé des villes et d’en démontrer concrètement le caractère applicable. C’est à cette tâche que se consacre la Section d’hygiène dès sa fondation en 1908. Là encore, l’enjeu a une dimension nationale : il s’agit de combler un « déficit » français en matière de législation d’urbanisme. Par rapport au déficit « quantitatif » d’espace, ce déficit relève de l’ordre du « qualitatif » : la France marque le pas pour ce qui est des moyens d’intervention sur la croissance urbaine.
106Le déficit d’espace, invoqué dès les années 1880 par les édiles réclamant la suppression de l’enceinte, reçoit une nouvelle interprétation de la part de la section, qui l’attribue à l’absence d’un « aménagement rationnel des villes165 ». Les réformateurs sociaux constatent une aggravation de la carence française en espaces libres : l’écart entre Paris et les capitales étrangères tend à se creuser. Or, contrairement aux Français, les étrangers se soucient de diriger le développement de leurs grandes villes. Les diagnostics de ces deux carences nationales, « quantitative » et « qualitative », sont donc simultanés et s’appuient tous deux sur une comparaison internationale. L’article de Hénard sur les espaces libres, paru en 1908 dans les Mémoires et documents du Musée social, fournit une illustration de cette démarche166.
Notes de bas de page
1 Même si l’expression « espaces libres » ne fait pas partie du vocabulaire des édiles à la fin du xixe siècle, elle est particulièrement commode pour désigner les espaces non construits en dehors de toute précision sur leur destination et leur étendue. Aussi est elle est retenue ici, en gardant toutefois les guillemets pour la période antérieure aux années 1900.»
2 L. Murard et P. Zylberman, L’Hygiène dans la République, op. cit., p. 477-536.
3 Note de Bartet, 2 av. 1884 et Note sur les bases d’une convention entre l’État et la ville de Paris pour la démolition des fortifications et l’aliénation des terrains militaires désaffectés, 6 janv. 1885, Archives de la Seine, Carton VM 17 2.
4 RDCM, 1882, n° 78.
5 Y Guyot, Paris ouvert, op. cit. et RDCM, 1882, n° 78.
6 L. Murard et P. Zylberman, L’Hygiène dans la République, op. cit., p. 36.
7 Ibid., p. 44.
8 R.-H. Guerrand, Les Origines du logement social en France, op. cit., p. 202.
9 J. Ozouf, « Les statistiques de l’enseignement primaire au xixe siècle », op. cit., p. 143.
10 L. Murard et P. Zylberman, L’Hygiène dans la République, op. cit., p. 18-44.
11 J. Verne, Les Cinq cents millions de la Bégum, op. cit., p. 9.
12 R.-H. Guerrand, Les Origines du logement social en France, op. cit., p. 202-221.
13 M. Leveau-Fernandez, « La zone et les fortifs », op. cit., p. 57-58.
14 RDCM, 1893, n° 22 et 1905, n° 4.
15 E. O. Lami, Dictionnaire encyclopédique et biographique de l’industrie et des arts industriels, Paris, Librairie des dictionnaires, 1881-1891, supplément, p. 712-713.
16 Un phénomène analogue de circulation des compétences est observable chez les urbanistes français du premier xxe siècle, qui d’un côté multiplient les voyages d’études à l’étranger et de l’autre s’exportent en participant aux nombreux concours internationaux (voir chapitre III).
17 E. Kalff, « Logements insalubres et sensibilisation à l’hygiène », op. cit., p. 102.
18 Ibid., p. 103.
19 RDCM, 1893, n° 22, 1898, n° 107, 1900, n° 134, 1902, n° 1 et 1905, n° 4.
20 RDCM, 1893, n° 22.
21 RDCM, 1882, n° 78.
22 Ibid.
23 Y. Guyot, Paris ouvert, op. cit., p. 21.
24 RDCM, 1893, n° 22.
25 M.-J. Dumont, Le Logement social à Paris, op. cit., p. 160.
26 RDCM, 1893, n° 22.
27 S. Leduc au cours d’une conférence à Nantes, reproduite dans La Revue scientifique, 20 fév. 1890. Cité dans RDCM, 1893, n° 22.
28 M. H. Marrus, « L’alcoolisme social à la Belle Époque », L. Murard et P. Zylberman (dir.), L’Haleine des faubourgs, op. cit., p. 285-314.
29 J. Lalouette, « Le discours bourgeois sur les débits de boisson aux alentours de 1900 », op. cit., p. 315-347.
30 Docteur Richard, « Des mesures prises en France par l’armée pour lutter contre l’alcoolisme », intervention au 8e Congrès international contre l’alcoolisme, tenu à Vienne en 1901. Cité par J. Lalouette, ibid., p. 323.
31 RDCM, 1893, n° 22. L’association de l’air et de la lumière constitue un lieu commun dès les années 1860. « Les nouveaux boulevards ont introduit l’air et la lumière dans les quartiers insalubres mais en supprimant presque partout sur leur passage les cours et les jardins […] » écrit en 1868 V. Fournel au sujet des réalisations d’Haussmann. V. Fournel, Paris nouveau et Paris futur, cité dans W. Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle, Paris, Cerf, 1989. Citation p. 168.
32 Y. Guyot, Paris ouvert, op. cit., p. 28.
33 J. Flourens, Les Fortifications de Paris, op. cit.
34 Cité dans RDCM, 1893, n° 22.
35 Y. Guyot, Paris ouvert, op. cit., p. 21.
36 Ibid., p. 22.
37 RDCM, 1893, n° 22.
38 Ibid.
39 PVCM, 1901, 18 janv.
40 P. Dupuy, « Le sol et la croissance de Paris », Annales de géographie, vol. 9, 1900, p. 340-358. Citation p. 357.
41 Ibid., p. 357.
42 S. Magri, « Le logement et l’habitat populaire de la fin du xixe siècle à la seconde guerre mondiale », A. Fourcaut (dir.), Un siècle de banlieue parisienne (1859-1946), Paris, L’Harmattan, 1988, p. 106-126. Citation p. 108.
43 PVCM : 1879, 5 août ; 1886, 26 juil. ; 1890, 17 mars et 14 av. ; 1891, 18 juin, 4 nov. et 23 nov. ; 1892, 4, 11 et 13 av., 1er et 22 juin, 19 oct. ; 1893, 24 fév., 8 mars, 1er av. et 12 juin ; 1894, 12, 16 et 21 mars, 11 juin et 11 juil. ; 1895, 19 juin et 16 oct. ; 1896, 24 juin et 10 juil. ; 1898, 4 mars ; 1908, 14 fév. ; 1910, 15 fév., 9 et 16 mars, 25 juin et 25 nov., 22 et 31 déc. et 1911, 30 déc.
44 PVCM : 1886, 13 déc. ; 1888, 11 juin ; 1890, 12 mars ; 1893, 24 déc. et 1910, 19 et 29 déc.
45 PVCM : 1886, 18 déc. ; 1891, 16 mars et 11 mai et 1897, 11 oct.
46 PVCM, 1888, 11 juin.
47 RDCM, 1893, n° 22.
48 J. Merriman, « Banlieues comparées », A. Fourcaut (dir.), Banlieue rouge, op. cit., p. 266-274.
49 L. Murard et P. Zylberman, Le Petit Travailleur infatigable, op. cit., p. 35.
50 Transformation de la zone militaire de Paris au point de vue : 1. de la défense militaire de Paris ; 2. des voies de communication suburbaines ; 3. de la création de logements et habitations salubres et à bon marché, Société de la zone militaire de Paris, H. Du Mont, directeur, 1890.
51 RDCM, 1893, n° 22.
52 Transformation de la zone militaire de Paris, op. cit.
53 Ibid.
54 Ibid.
55 Ibid.
56 Ibid.
57 PVCM, 1883, 11 juin.
58 Ibid.
59 Ibid.
60 Ibid.
61 Ibid.
62 Ibid.
63 Ibid.
64 Ibid.
65 J. Merriman, Aux marges de la ville, op. cit., p. 104.
66 PVCM, 1883, 11 juin.
67 J. Merriman, Aux marges de la ville, op. cit., p. 104.
68 L. Lazare, Les Quartiers pauvres de Paris : le 19e arrondissement, Paris, 1870, cité dans ibid., p. 293.
69 G. Laronze, Le Baron Haussmann, Paris, 1932, p. 133, cité dans W. Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle, op. cit., p. 153.
70 RDCM, 1893, n° 22.
71 L. Murard et P. Zylberman, Le Petit Travailleur infatigable, op. cit., p. 63-72.
72 N. Evenson, Paris. Les héritiers d’Haussmann, op. cit., p. 32.
73 M. du Camp, Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie, op. cit., p. 9.
74 Ibid., p. 12.
75 S. Magri et C. Topalov, « De la cité-jardin à la ville rationalisée. Un tournant du projet réformateur, 1905-1925 », Revue française de sociologie, 1987, n° XXVIII, Paris, p. 417-751. Voir p. 425.
76 N. Evenson, Paris. Les héritiers d’Haussmann, op. cit., p. 104.
77 Y. Guyot, Paris ouvert, op. cit., p. 20 et PVCM, 1885, 12 juin.
78 Y. Guyot, Paris ouvert, op. cit., p. 22-23 et RDCM, 1882, n° 78.
79 Y. Guyot, Paris ouvert, op. cit., p. 23.
80 RDCM, 1893, n° 22.
81 D. Pasquet, « Le développement de Londres. (Premier article) », Annales de géographie, vol. 87, 1899, p. 22-48. Citation p. 332.
82 D. Pasquet, « Le développement de Londres. (Second article) », op. cit., p. 36.
83 Ibid., p. 39-40.
84 Ibid., p. 41.
85 Ibid., p. 42.
86 Idem.
87 A. Demangeon (dir.), article « Villes », Dictionnaire manuel illustré de géographie, Paris, A. Colin, p. 833.
88 D. Pasquet, « Le développement de Londres. (Second article) », op. cit., p. 45.
89 P. Vidal de la Blache, « Londres et les ouvriers de Londres d’après M. D. Pasquet », Annales de géographie, vol. 23-24, 1914-1915, p. 430-433. Citation p. 433.
90 Idem.
91 Qui eux-mêmes ne sont pas des précurseurs. Dès 1868, A. Granveau mentionne l’existence de migrations pendulaires : « [On] voit le matin le peuple descendre dans Paris, et le soir le même flot populaire remonte. » A. Granveau, L’Ouvrier devant la société, Paris, 1868. Cité dans W. Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle, op. cit., p. 160.
92 Y. Guyot, Paris ouvert, op. cit., p. 23.
93 PVCM, 1883, 11 juin.
94 Ibid.
95 Ibid.
96 Ibid.
97 « Travaux des sections. Section d’hygiène urbaine et rurale du Musée social [désormais SHUR] : séance du 11 novembre 1909 », Annales du Musée social (désormais AMS), déc. 1909, p. 388-397.
98 R. de Clermont et F. Cros-Mayrevieille, « La campagne électorale municipale de 1908 », MDMS, 1908, p. 197-200.
99 E. Hénard, Études sur les transformations de Paris, 8 fascicules parus entre 1903 et 1909, Paris, Librairies-Imprimeries réunies Motteroz pour les 7 premiers et Imprimerie Motteroz et Martinet pour le dernier.
100 « Compte rendu de la réunion en faveur des espaces libres, tenue dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne le 5 juillet 1908 », MDMS, 1908, p. 201-231. La mention « 5 juillet » est une coquille : il est fait référence à la réunion au conseil municipal le 29 juin 1908. PVCM, 1908, 29 juin.
101 M. Charvet, « La question des fortifications dans les années 1900. Esthètes, sportifs, réformateurs sociaux, élus locaux », Genèses, n° 16, juin 1994, p. 23-44.
102 R. de Souza, « Les espaces libres. Résumé historique », op. cit., p. 177.
103 « Les espaces libres à Paris. Par M. Eugène Hénard », MDMS, 1908, p. 186-196. Citation p. 186.
104 R. de Clermont et F. Cros-Mayrevieille, « La campagne électorale municipale de 1908 », op. cit., p. 189-190.
105 « Les espaces libres à Paris. […] Hénard », op. cit., p. 186-191.
106 Ibid., p. 189.
107 Idem.
108 Ibid., p. 190.
109 Ibid., p. 190-191.
110 Ibid., p. 195.
111 L. Murard et P. Zylberman, L’Hygiène dans la République, op. cit., p. 477-536.
112 G. Jacquemet, « Médecine et “maladies populaires” dans le Paris de la fin du xixe siècle », L. Murard et P. Zylberman (dir.), L’Haleine des faubourgs, op. cit., p. 349-367 et S. Magri, Les Laboratoires de la réforme de l’habitation populaire en France. De la Société française des habitations à bon marché à la Section d’hygiène urbaine et rurale du Musée social 1889-1909, Paris, ministère de l’Équipe ment, du Logement, des Transports et du Tourisme, 1995, p. 68. G. Jacquemet, qui se fonde sur les sujets des thèses de médecine soutenues à Paris entre 1860 et 1913, date la rupture de 1890.
113 V.-P. Comiti, Histoire du droit sanitaire en France, Paris, PUF, 1994, p. 76.
114 C. E. Curinier, DNC, op. cit., p. 225.
115 « Compte rendu de la réunion en faveur des espaces libres […]. Discours de M. le Docteur Landouzy », MDMS, 1908, p. 210-215, citation p. 214.
116 « Compte rendu de la réunion en faveur des espaces libres […] Siegfried », op. cit., p. 202.
117 M.-J. Dumont, Le Logement social à Paris, op. cit., p. 146.
118 « Compte rendu de la réunion en faveur des espaces libres […]. Discours de M. Ribot », MDMS, 1908, p. 224-231. Citation p. 231.
119 L. Murard et P. Zylberman, L’Hygiène dans la République, op. cit., p. 477-504.
120 S. Magri, Les Laboratoires de la réforme de l’habitation populaire en France, op. cit., p. 68.
121 M.-J. Dumont, « L’invention d’un programme : le logement populaire », op. cit., p. 56-58.
122 « Compte rendu de la réunion en faveur des espaces libres […] Landouzy », op. cit., p. 211.
123 Ibid., p. 212.
124 Idem.
125 Idem.
126 A. Desrosières, La Politique des grands nombres, Paris, La Découverte, 1993, p. 105-108 et R.-H. Guerrand, « Aux origines du confort moderne », J. Lucan (dir.), Paris. 100 ans de logement, op. cit., p. 16-29. Voir p. 16.
127 S. Magri, Les Laboratoires de la réforme de l’habitation populaire, op. cit., p. 47.
128 « Les espaces libres dans les grandes villes. […] Risler », op. cit., p. 354.
129 A. Cormier, Extension, limites, espaces libres. Les travaux de la Section d’hygiène urbaine et rurale du Musée social, Paris, mémoire de l’École d’architecture Paris-Villemin, 1987. Voir p. 141.
130 P. Juillerat, Une institution nécessaire. Le Casier sanitaire des maisons, Paris, Librairie médicale et scientifique Jules Rousset, 1906. Voir p. 26-27 et p. 33.
131 RDCM, 1908, n° 46.
132 Ibid.
133 L. Murard et P. Zylberman, Le Petit Travailleur infatigable, op. cit., p. 56-59.
134 P. Juillerat, Une institution nécessaire, op. cit., p. 61.
135 P. Juillerat, L’Hygiène du logement, Paris, Librairie Ch. Delagrave, 1905, p. 4.
136 P. Juillerat, Une institution nécessaire, op. cit., p. 56-57.
137 Ibid., p. 24.
138 Ibid., p. 63-64.
139 Ibid., p. 64.
140 Ibid., p. 62-63. La priorité accordée par Juillerat au logement avait déjà été relevée par J. Lucan. J. Lucan, « Les points noirs des îlots insalubres », J. Lucan (dir.), Paris. 100 ans de logement, op. cit., p. 76-91. Voir p. 78.
141 « Les espaces libres dans les grandes villes. […] Risler », op. cit., p. 358.
142 L. Murard et P. Zylberman, L’Hygiène dans la République, op. cit., p. 477-536.
143 « Les espaces libres dans les grandes villes. […] Risler », op. cit., p. 363-364.
144 L. Murard et P. Zylberman, L’Hygiène dans la République, op. cit., p. 477-536.
145 « Compte rendu de la réunion en faveur des espaces libres […] Landouzy », op. cit., p. 210-211.
146 R. de Souza, « Les espaces libres. Résumé historique », op. cit., p. 184.
147 « Compte rendu de la réunion en faveur des espaces libres […]. Conférence de Maître Henri Robert », MDMS, 1908, p. 215-224, citation p. 221.
148 Ibid., p. 222.
149 « Les espaces libres dans les grandes villes. […] Risler », op. cit., p. 356.
150 F. Cros-Mayrevieille, La Démolition des fortifications et les espaces libres de Paris, Archives du CEDIAS, Carton urbanisme : Plans et Lotissements.
151 J. Lalouette, « Le discours bourgeois sur les débits de boisson », op. cit.
152 M. H. Marrus, « L’alcoolisme social à la Belle Époque », op. cit.
153 J. Lalouette, « Le discours bourgeois sur les débits de boisson », op. cit., p. 318.
154 Ibid., p. 319.
155 A. Carol, Histoire de l’eugénisme en France, op. cit., p. 107.
156 Les partisans des espaces libres invoquent les exigences de la pratique sportive et se recrutent entre autres chez les sportifs. Or, à la même époque, le sport est préconisé contre les relations sexuelles précoces et donc comme un moyen de préserver les jeunes gens des maladies vénériennes. A. Corbin, « Le péril vénérien », L. Murard et P. Zylberman (dir.), L’Haleine des faubourgs, op. cit., p. 245-283.
157 « Les espaces libres à Paris. […] Hénard », op. cit., p. 5.
158 Les espaces libres dans les grandes villes. […] Risler », op. cit., p. 359. Risler reprend d’ailleurs cet argument en 1912 dans l’exposé des motifs de la proposition de loi sur les plans d’aménagement et d’extension. « Travaux des Sections. SHUR : séance du 27 juin 1912. Projet de loi relatif aux plans d’aménagement et d’extension des villes. Exposé des motifs par M. Georges Risler », AMS, déc. 1912, p. 420-433. Voir p. 423-424.
159 L. Murard et P. Zylberman, L’Hygiène dans la République, op. cit., p. 480-482.
160 « Compte rendu de la réunion en faveur des espaces libres […] Landouzy », op. cit., p. 213.
161 La métaphore organiciste n’est pas novatrice et n’a pas forcément de lien avec l’intérêt pour les espaces libres. Elle est présente chez M. du Camp qui, dans Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie, ne s’intéresse absolument pas aux parcs et jardins. M. du Camp, Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie, op. cit.
162 R.-H. Guerrand, « La construction du cadre législatif », R. Quillot et R.-H. Guerrand (dir.), Cent ans d’habitat social, Paris, Albin Michel, 1989, p. 62-71.
163 « Travaux des Sections. SHUR : séance du 27 juin 1912. Projet de loi relatif aux plans d’aménagement et d’extension des villes », op. cit., p. 423.
164 C. Gide, préface à G. Benoit-Lévy, La Cité-Jardin, op. cit., p. VI.
165 « Compte rendu de la réunion en faveur des espaces libres […] Siegfried », op. cit., p. 203.
166 « Les espaces libres à Paris. […] Hénard », op. cit.
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