Chapitre I. Fortifions les hommes au lieu de fortifier les villes !
p. 25-53
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Index géographique : France
Texte intégral
1La question de la suppression des fortifications de Paris est soulevée pour la première fois à l’extrême fin des années 1870, une dizaine d’années après la défaite française devant la Prusse et l’effondrement du régime impérial qui en a été la conséquence. Les années suivant la défaite sont pour les Français une période de remise en question. Il s’agit de dégager les raisons qui ont rendu possible la défaite ou encore, question presque équivalente, de rendre compte de l’origine de la supériorité germanique. Les institutions françaises font l’objet d’une réévaluation systématique, considérée comme préalable indispensable à toute modernisation.
2Il faut replacer les premiers plaidoyers pour la suppression de l’enceinte dans ce contexte. Pour ses partisans, le démantèlement des fortifications participe de cet exercice douloureux de remise en question et c’est à ce titre qu’ils le réclament. L’enceinte est présentée comme doublement nocive, pour son rôle passé et pour ce qu’elle engage pour l’avenir. Sur le plan stratégique et même moral, elle s’est substituée à une véritable préparation des hommes à la guerre et surtout, en bridant l’expansion de la capitale, elle contraint les Parisiens toujours plus nombreux à s’entasser dans une ville surpeuplée. Cette situation entraîne un étiolement physique et mental qui obère gravement les chances de Revanche. C’est donc au détour d’un plaidoyer nationaliste que le sort des fortifications est constitué en question d’hygiène, ce qu’il reste pendant les quarante années qui suivent.
3Ces arguments, développés en particulier au conseil municipal de Paris, s’inscrivent dans les interrogations de la société française : dans la IIIe République commençante, thématiques nationaliste et hygiéniste sont étroitement liées1. C’est ce qui permet aux partisans de la suppression de l’enceinte de faire de leur revendication une question d’actualité, s’assurant ainsi, entre autres, le soutien d’une partie de la presse, sans parvenir cependant à mobiliser l’opinion publique parisienne.
La suppression de l’enceinte :
au nom de la Revanche ou de l’hygiène ?
4La question d’un éventuel démantèlement des fortifications est soulevée au tournant des années 1870-1880, au conseil municipal de Paris entre autres. Des circonstances particulières rendent possible cette revendication : les réformes engagées dans le système de défense de la capitale et les progrès de l’artillerie permettent d’envisager la disparition de l’enceinte continue, devenue obsolète. Les partisans du déclassement s’efforcent alors d’apporter la preuve de l’inutilité de l’enceinte, sur le strict plan militaire. Cependant, ils ne sont pas spécialistes en la matière et il leur faut s’appuyer sur l’autorité d’experts. Leurs adversaires pouvant invoquer des avis contraires émanant d’hommes aussi compétents, le combat doit être mené à un autre niveau. Au-delà d’une démonstration de l’inutilité de l’ouvrage de défense, il s’agit d’apporter la preuve de sa nocivité : responsable de l’impréparation de la France à la guerre, l’enceinte est à l’origine de la défaite. Pour ceux qui souhaitent sa disparition, elle en vient à symboliser toutes les tares du régime impérial.
Une idée dans l’air du temps
5Au conseil municipal de Paris, la suppression des fortifications est envisagée pour la première fois le 22 novembre 1879, quand Deligny, Cernesson, Thulié et Bouteiller proposent « au Conseil d’inviter Monsieur le Préfet de la Seine à faire auprès de l’État les démarches nécessaires pour arriver au déclassement de la partie de l’enceinte fortifiée comprise entre la porte Maillot et la porte d’Auteuil2». L’initiative est suivie par l’adoption, sans doute en 1880, d’un vœu « tendant à la désaffectation des fortifications depuis le Point du jour jusqu’à Levallois-Perret3 ». C’est en 1882 que le débat s’engage vraiment, avec le dépôt par Martin Nadaud, député de la Creuse et ancien maçon4, d’une proposition de loi « ayant pour objet la suppression du mur d’enceinte, la cession à la ville de Paris des terrains qui en dépendent et la suppression de la zone militaire5 ». En novembre de la même année, Yves Guyot, économiste libéral et conseiller municipal radical6, dépose une proposition visant à obtenir du Gouvernement « la désaffectation du mur d’enceinte, la cession à la ville de Paris des terrains qui en dépendent et la suppression de la zone militaire7 ». Si l’initiative de Nadaud reste sans suite, celle de Guyot est à l’origine d’une question des fortifications au conseil municipal de Paris et au conseil général de la Seine, ainsi que de l’ouverture de négociations avec le Gouvernement. En ce tout début des années 1880, rien au niveau national ne semble s’opposer à la suppression de l’enceinte.
6Les lois qui consacrent la modernisation du système de fortifications sont votées en 1874. Cette entreprise de modernisation, achevée en 1884, est dictée à la fois par l’évolution de l’artillerie et par l’amputation d’une partie du territoire, qui rend nécessaire un nouveau système de défense sur le front est8. En ce qui concerne plus spécialement la défense de Paris, le contexte paraît particulièrement favorable à une suppression de l’enceinte, comme le fait remarquer Guyot à ses collègues : la question a selon lui été étudiée au ministère de la Guerre et on peut espérer qu’une commission municipale réclamant la disparition des parties de l’enceinte considérées comme non indispensables obtiendrait satisfaction. De son côté, l’élu du quartier Montparnasse9, le colonel à la retraite Charles Louis Auguste Martin, qui défend la proposition Guyot, rappelle qu’en 1883 l’ordre du jour de l’Assemblée comporte deux propositions de loi susceptibles de créer un mouvement favorable à la désaffectation des fortifications. L’une, de Talandier-Delattre, porte sur l’abolition de la zone et des servitudes militaires appliquées à l’enceinte de Paris, l’autre, d’Escarguel, Viette et 154 autres députés, tous groupes confondus, concerne la législation de la zone frontière, le classement des places fortes et l’établissement des servitudes militaires. De même, Deligny, représentant républicain du quartier de la porte Dauphine10, indique que, d’après les renseignements dont il dispose, la Direction des fortifications semble disposée à s’entendre avec la commission dont la proposition Guyot prévoit la désignation11.
7Au conseil, Guyot n’est pas isolé : sa proposition est signée par 55 de ses collègues12. Plus largement, la question du sort de l’enceinte est posée alors que le débat sur l’efficacité des institutions françaises bat son plein. Ceux qui réclament le démantèlement s’inscrivent donc inévitablement dans ce débat, de même d’ailleurs que leurs adversaires. Cette inscription dans un débat d’ampleur nationale contribue à donner du poids aux arguments des uns et des autres.
8L’inscription s’opère de plusieurs façons. L’enceinte est un ouvrage militaire. Or le contexte d’après-guerre confère à toute question touchant à la défense un caractère particulièrement sensible. Qu’on réclame la disparition des fortifications pour des raisons ne relevant pas immédiatement des impératifs militaires, et on risque de se heurter à une levée de boucliers. Il est en effet inadmissible de faire passer quelque considération que ce soit avant cette priorité des priorités qu’est la sécurité de Paris. Or les premiers partisans de la disparition de l’enceinte au conseil municipal mettent en avant les exigences de l’hygiène. Si l’argument ne peut manquer de faire mouche, il ne peut être pris en compte qu’à condition que l’impératif de défense soit satisfait. Lucien Delabrousse, édile du quartier Notre-Dame des Champs13, l’un des deux adversaires de la proposition Guyot, reproche à son auteur de ne pas avoir suffisamment étudié la possibilité de la suppression des fortifications, alors qu’il est du devoir des élus parisiens de ne rien réclamer qui soit contraire aux intérêts de la défense nationale : « [La] sécurité de Paris est en jeu. Nous sommes éloignés de douze ans à peine d’un siège qui a compté dans l’histoire, et la leçon de ces événements terribles ne doit pas être perdue pour nous, représentants de la population assiégée14. » En ces années 1880, il est donc impératif, pour les partisans de la suppression des fortifications, d’apporter la preuve de l’inutilité de l’enceinte sur le plan militaire. Ils feront plus, en en prouvant la nocivité à plusieurs niveaux.
L’inutilité stratégique des fortifications
9Dans sa proposition, Guyot passe en revue les éléments jouant pour et contre la disparition des fortifications, arguments repris quelques années plus tard dans une brochure intitulée Paris ouvert15. Face à tous les inconvénients que présente l’existence de l’enceinte, le seul élément pouvant plaider en faveur de son maintien est sa nécessité pour la défense de Paris, argument unique mais décisif. Guyot, ce conseiller municipal puis député radical16, participe au consensus national sur l’intangibilité de l’impératif de défense. Reste alors à savoir si les fortifications sont nécessaires au respect de cet impératif.
10Pour Guyot, il n’en est rien. Pour le prouver, l’édile s’appuie sur le travail d’un certain Boussard17 communiqué à la Ligue des contribuables, avec laquelle il entretient lui aussi des liens, puisque la publication de Paris ouvert sera assurée par les soins de ce même groupe18. Ce texte, intitulé De l’inutilité de l’enceinte fortifiée de Paris au point de vue stratégique19, examine la façon dont se dérouleraient les combats en cas de nouveau conflit avec l’Allemagne. Pour les contemporains, l’éventualité n’a rien d’une hypothèse d’école. L’inquiétude est d’ailleurs en partie justifiée. Les années 1870 et le début des années 1880 sont une période de tension diplomatique. Bismarck laisse entendre qu’il serait susceptible de reprendre les armes. La France, grâce à l’emprunt de Thiers, a pu libérer dès 1873 l’intégralité de son territoire, moins l’Alsace et la Lorraine annexées évidemment. Pourtant, même après le départ de l’occupant, les Français conservent le sentiment que Bismarck continue à exercer un droit de regard sur leur politique extérieure. Les divergences entre les politiques intérieures des deux pays accroissent encore la tension : alors qu’en France, après la démission de Thiers en mai 1873, l’arrivée au pouvoir des tenants de l’ordre moral se traduit par un renforcement de l’influence de l’Église, en Allemagne Bismarck s’engage dans le Kulturkampf, dirigé principalement contre les catholiques. Dès la fin 1873, des évêques français s’élèvent contre les mesures auxquelles sont en butte les catholiques allemands. Au début de l’année suivante, Bismarck rétorque par des menaces. Un an plus tard, c’est la réorganisation de l’armée française qui soulève les protestations du chancelier de Guillaume Ier. Dans les deux cas, Angleterre et Russie interviennent pour apaiser les tensions. Les années 1870 voient aussi l’Allemagne se constituer un réseau d’alliances, tandis que la France s’enlise dans ses querelles intérieures. En 1879, la tenue à Berlin du Congrès des puissances européennes témoigne de l’émergence de l’Allemagne sur le devant de la scène internationale : 23 ans auparavant, en 1856, le même congrès avait eu lieu à Paris. L’Allemagne, victorieuse dans la guerre, apparaît aussi victorieuse dans la paix, ce qui entretient, dans l’opinion française, l’animosité et la haine. Côté français, on a l’impression, dans les années 1870, de vivre dans une atmosphère de mobilisation, d’encasernement permanents20.
11La tension diplomatique se relâche quelque peu à partir de 1880, quand la France s’engage, à l’extérieur, dans une politique d’expansion coloniale que Bismarck considère d’un œil favorable et, à l’intérieur, dans une politique anticléricale qui prive la hiérarchie catholique de son influence. Cependant la haine de l’Allemagne et des Allemands perdure21. C’est même à ce moment que la thématique de la Revanche commence à se faire jour22. Jules Ferry est vivement critiqué pour sa politique coloniale : la gauche comme la droite l’accusent d’oublier l’Alsace et la Lorraine. De même, les tentatives de Gambetta pour s’entretenir avec Bismarck sont vigoureusement dénoncées23. La question de la sécurité de Paris n’est donc pas purement rhétorique, même si la tension franco-allemande s’est un peu relâchée quand Guyot dépose sa proposition.
12Dans sa brochure, Boussard montre que le système de défense élaboré en 1874, dont la mise en place est bien avancée, rend impossible l’avance de l’ennemi jusqu’à Paris et que, de toute façon, si celui-ci parvenait aux portes de la capitale, l’enceinte serait totalement inutile, comme l’a d’ailleurs prouvé le dernier conflit. La puissance de plus en plus forte de l’artillerie, ainsi que la densification de la population, qui se traduit par un enclavement dans les constructions de certains bastions restreignant le champ de tir des défenseurs, rendent caduc le système de défense mis en place sous Louis-Philippe. Guyot fait siennes les thèses de Boussard et rappelle que les militaires eux-mêmes n’ont jamais été unanimes sur la nécessité d’une enceinte continue pour défendre Paris.
13L’enceinte serait-elle donc inutile, comme semble l’avoir prouvé l’expérience récente et douloureuse du siège de Paris ? Les adversaires de Guyot peuvent répondre que, sans elle, Paris aurait capitulé plus vite. C’est ce que ne manque pas de signaler Delabrousse, celui des partisans du maintien de l’enceinte qui attaque plus particulièrement la proposition Guyot sur son aspect militaire. Comparant les sièges de Paris de 1814 et de 1870, il remarque que « la double enceinte de 1841 a empêché les Parisiens d’être conquis dès le premier jour et leur a permis de tenir cinq mois contre les armées de l’Allemagne24 », pour ne capituler qu’avec la faim. Il existe une autre preuve de l’utilité de l’enceinte qui, elle, n’est jamais invoquée par les partisans de son maintien : elle a rendu possible la résistance de la Commune face à l’armée versaillaise. De son côté, l’édile du quartier Saint-Ambroise25 Léonce Levraud, autre adversaire de la proposition Guyot, fait remarquer que pendant le siège l’enceinte a permis le maintien de la confiance et de la sécurité dans la mesure où « l’espionnage a été entravé26 », les Français en contact avec l’ennemi n’ayant pas pu pénétrer dans Paris. La question de l’utilité militaire stricto sensu des fortifications ne saurait d’ailleurs être tranchée au sein du conseil municipal : ni Guyot ni ses adversaires ne disposent d’une compétence particulière en matière de stratégie. Aussi bien, lors de la discussion de la proposition Guyot, le 11 juin 1883, les intervenants s’appuient sur des travaux censés faire autorité.
14Du côté de Guyot et des partisans du déclassement sont mobilisés Boussard et le général Cosseron de Villenoisy27. Officier du Génie né en 1821, ce dernier s’est illustré en 1870 dans l’armée du Nord et prendra sa retraite en 1884 comme général de brigade. Cet ancien élève de l’École polytechnique, qui préside la Société du souvenir français et qui collabore au Journal des Débats ainsi qu’à des revues spécialisées, s’intéresse aussi aux questions d’hygiène28. Guyot invoque également des entretiens avec des officiers de diverses armes et une correspondance privée, dont il ne peut pas donner connaissance à ses collègues du conseil, « mais dont il résulte qu’une partie au moins des fortifications peut être supprimée sans inconvénients29 ». Il rappelle aussi que le maréchal Soult lui-même, qui occupait la présidence du Conseil quand a commencé la construction des fortifications, ne s’est rallié au principe d’une enceinte continue qu’à contrecœur. Guyot est d’ailleurs plus explicite sur cette dernière question dans Paris ouvert. Il y analyse les raisons, plus politiques que stratégiques, à l’origine de la construction des fortifications, afin d’« examiner si la genèse de l’enceinte a un caractère tellement sacré qu’y toucher serait commettre un sacrilège30 » et conclut que le Gouvernement ne s’est décidé à construire une enceinte continue que pour faire accepter l’établissement de forts détachés autour de Paris. « La gauche31 » se sentait en effet menacée par la présence de forts, susceptibles de prendre sous leurs feux l’Assemblée nationale, alors que par définition l’artillerie d’une enceinte continue tire vers l’extérieur. Ainsi « l’enceinte militaire est le produit de l’enceinte parlementaire32 ».
15De son côté, Delabrousse commence par réfuter les autorités invoquées par Guyot :
« Notre collègue s’appuie sur les arguments émis lors de la discussion de 1841 et sur une consultation, datant de l’année dernière, et émanée de la Ligue des contribuables. Je veux bien croire que ce dernier document, qui est très intéressant à lire, a aussi une valeur technique ; je n’ai pas la compétence nécessaire pour mettre en doute les affirmations qui y sont contenues, mais est-il bien concluant ? Pour moi, j’eusse préféré aux avis anonymes d’officiers de l’armée, l’avis motivé d’une Commission composée d’officiers du Génie33. »
16L’édile affirme aussi s’appuyer sur l’autorité d’« un homme de guerre qui n’appartient pas à l’armée française, mais qui est connu de tous, l’illustre vainqueur de Sébastopol34 », dont il croit que l’« opinion serait absolument contraire à celle des officiers dont M. Yves Guyot invoque le témoignage35 ». De même, il réfute l’affirmation de Guyot selon laquelle Soult aurait accepté sans enthousiasme l’enceinte continue. Et Delabrousse de citer les partisans de l’enceinte qui se sont exprimés lors du débat de 1841 sur la défense de Paris : Chasseloup-Laubat, « qui fut un remarquable ministre civil de la Marine sous le Second Empire, et qui, en 1872, a contribué, dans l’Assemblée nationale, à la rédaction [des] lois militaires36 », les généraux Pauxhans et Castellane, le maréchal Soult lui-même, ainsi que le duc de Broglie, qui insistait sur l’isolement diplomatique de la France. Pour Delabrousse, rien n’a changé en ce domaine et la France est toujours menacée. Il n’est que de comparer les chants de guerre allemands entre 1814 et 1870 et ceux enseignés aujourd’hui dans les écoles allemandes : « Il n’y est plus question, il est vrai, de réclamer Strasbourg, l’Alsace et la Lorraine. Hélas ! […] Mais c’est Nancy, c’est la Champagne qu’ils convoitent et dont ils veulent s’emparer37. »
17Se retrancher derrière des autorités compétentes n’empêche pas de faire assaut de patriotisme. Si Delabrousse s’interdit de mettre en question le patriotisme de Guyot, il n’hésite pas à faire appel aux sentiments de ses collègues, auxquels il signale qu’en tant que « témoignage vivant du démantèlement de la France38 » – il est originaire de Benfeld, dans le Bas-Rhin39 – il a refusé de signer la proposition Guyot. De son côté, Guyot se défend de manquer de patriotisme :
« Je sais bien que certains journaux ont essayé de faire considérer la motion que je présente comme antipatriotique. Nous ne demandons pas le désarmement de Paris ; nous avons plus intérêt que personne à ce que Paris soit une ville sûre40. »
18Les partisans du déclassement de l’enceinte rendent d’ailleurs hommage à leurs adversaires Delabrousse et Levraud. Selon le colonel Martin, leurs considérations sont tout à fait respectables, puisqu’elles sont dictées par un patriotisme, louable certes, mais « qui aveugle peut-être un peu ceux qui le possèdent41 ».
Les dangers de l’enceinte
19Les édiles peuvent difficilement trancher la question de l’utilité des fortifications : ni ceux qui en réclament le démantèlement ni leurs adversaires ne font figure d’autorités en matière militaire. Il est de toute façon vain de tenter de démontrer l’efficacité ou l’inefficacité de l’enceinte en cherchant à reconstituer l’histoire du siège d’un Paris dépourvu de fortifications. Il reste donc, pour les partisans de la suppression, à s’attaquer à l’esprit même de l’ouvrage de défense.
20Pour Guyot, l’enceinte est néfaste car elle confère un sentiment de fausse sécurité. Paris confiant derrière sa muraille est comparable au Second Empire qui ne pouvait imaginer le coup qui allait le frapper. L’enceinte, création de la monarchie de Juillet, est transformée en un symbole des tares de l’Empire. Les fortifications ne présentent pas seulement un danger psychologique pour le moral des défenseurs de la capitale et des assiégés potentiels ; leur présence même rend très difficile, sinon impossible, la préparation physique des hommes à la guerre. C’est ce que s’attachent à démontrer les partisans du démantèlement, en s’appuyant sur l’exemple allemand.
21Selon Guyot, « l’enceinte n’a pas sauvé Paris. Elle a contribué à sa capitulation42 », en entretenant population et autorités dans un sentiment de sécurité trompeur : « Dans cette grande cuve de pierre la défense mijotait tout doucement et un jour, nous nous sommes réveillés, cuits à point et servis aux Prussiens43. » Plus encore, les fortifications ont été à l’origine du découragement des Gardes nationaux, dont certains « las de leur inutilité se demandaient si la meilleure manière de repousser les Prussiens n’était pas de commencer par faire un peu de guerre civile dans Paris44 ». On peut donc attribuer à leur existence non seulement la défaite mais aussi la Commune. Enceinte pernicieuse donc, d’autant plus inutile que depuis 1874 l’Assemblée nationale a choisi d’assurer la défense de la capitale par un système de forts.
22Les critiques de Guyot dépassent d’ailleurs cette cible immédiate qu’est l’enceinte de Paris. À travers elle, c’est un principe de défense qui est mis en cause : le système de forts détachés de 1874 lui-même ne trouve pas grâce à ses yeux. Guyot en dénonce le coût et plus profondément critique cette « manie de Bas-Empire45 » que constitue la construction de fortifications :
« [Les] murailles offrent-elles cette sécurité et ne contribuent-elles pas plutôt à l’affaiblissement de la nation ? Elles forment en somme une véritable ratière dans laquelle les armées se réfugient sans en pouvoir jamais sortir. Tout le monde sait, du reste, qu’une ville assiégée est forcée de se rendre, si elle n’est pas secourue par une armée venant du dehors46. »
23Et Guyot de citer plusieurs grandes villes dont le Génie a démantelé les fortifications, et suprême argument, il rappelle que les Allemands ont démantelé les enceintes de Thionville et de Strasbourg, ainsi que celle de Cologne47…
24Les reproches qu’adresse Guyot au système de défense français d’avant et même d’après 1870 s’inscrivent dans la remise en cause des institutions françaises propres aux lendemains de la défaite. Comme beaucoup d’hommes politiques, Guyot oppose une France arriérée et même décadente, puisqu’elle opte pour une stratégie défensive, « de Bas-Empire », et « compte sur les pierres au lieu de compter sur les hommes [alors que] ce sont les hommes qui remportent les victoires48 », à une Allemagne moderne et conquérante, à prendre en exemple. Le démantèlement de l’enceinte participe de cette modernisation nécessaire, non seulement de la défense, mais de la société française dans son ensemble.
25En invoquant le « Bas-Empire » et les fortifications qui « contribuent […] à l’affaiblissement de la nation », l’édile fait apparaître « le spectre de la dégénérescence49 ». Celui-ci hante les consciences françaises depuis le milieu des années 1850 et plus encore depuis 187050. Faire de l’enceinte un facteur d’une « dégénérescence » dont la défaite de 1870 est la conséquence fournit un argument puissant pour réclamer sa suppression.
26Cette lecture du rôle de l’enceinte de Paris et de l’ensemble du système de fortifications français ne s’explique pas exclusivement par la condamnation du Second Empire. Le rejet du régime impérial n’implique pas nécessairement celui du mode de défense de la capitale, d’ailleurs mis en place sous la monarchie de Juillet. La condamnation d’un régime présenté comme immoral est sans appel dès Sedan, avant même que la défaite soit consommée et que l’efficacité de l’enceinte ait pu être mise en cause, comme en témoigne un article de Georges Picot, historien, juriste51 et philanthrope52, paru en octobre 1870 dans La Revue des deux Mondes :
« [Dans] cette enceinte fortifiée, au milieu d’un calme plus funeste aux mœurs que toutes les agitations se sont développés les molles jouissances et ce besoin de luxe qui marque le déclin des sociétés. De toutes les parties du monde, la foule est accourue vers Paris pour y boire à la coupe des plaisirs, et il s’est trouvé des hommes pour s’applaudir d’un si honteux hommage53. »
27Pour Picot, l’Empire a précipité la « dégénérescence » nationale, perçue comme la conséquence d’une « sélection à rebours54 » exercée entre autres par « les molles jouissances et ce besoin de luxe qui marque le déclin des sociétés ».
28Si Picot condamne fermement l’Empire, sa confiance dans l’enceinte de Paris est inébranlable : c’est d’elle que viendra le salut du pays envahi. Picot rend hommage aux hommes à l’origine de sa construction et en particulier à Thiers, ainsi qu’au régime qui a vu cette édification. Il oppose la sage politique extérieure de la monarchie de Juillet à la politique aventureuse et brouillonne du Second Empire. L’assimilation entre une enceinte puérile et inefficace et un régime volage et immoral ne se produit qu’après la défaite. Les édiles qui réclament le déclassement des fortifications procèdent à une reconstruction historique. L’enceinte est présentée comme le symbole des tares d’un régime qui n’est pour rien dans sa présence. L’enceinte, objet militaire, est également un « objet idéologique55 ».
29On retrouve la référence au modèle allemand en matière de traitement hygiéniste des fortifications chez un autre édile, Ernest Hamel. Cet avocat de formation, né en 1826, abandonne rapidement le barreau pour se consacrer à la littérature et aux recherches historiques ; il s’intéresse en particulier à la Révolution et à l’histoire contemporaine. Son œuvre très abondante lui vaut d’être désigné à la présidence de la Société des gens de lettres. Comme Guyot, Hamel est un ancien opposant au régime impérial. Il entre en politique par le biais du journalisme et sous le Second Empire se présente sans succès à un certain nombre d’élections. En 1878, après avoir siégé pendant quelques années au conseil général de la Somme, il entre au conseil municipal de Paris, comme représentant du quartier des Quinze-Vingts56.
30Hamel se dit partisan de la suppression des fortifications, même s’il s’est abstenu lors du vote de la proposition Guyot57. Il ne croit cependant plus, en juin 1885, à un démantèlement prochain et constate que de toute façon celui-ci ne pourra être que partiel. Il propose donc une solution alternative à la suppression :
« [Il] y aurait un moyen bien simple […] de transformer en oasis ce désert continu de plusieurs kilomètres ; ce serait de planter et de dessiner en jardins les talus [des] fortifications.
Nous donnerions ainsi à la ville de Paris des abords dignes d’elle. Il y a là non seulement une question d’embellissement mais encore une question d’hygiène ; et la santé publique, aussi bien que la beauté de la capitale, aurait tout à gagner à cette ceinture verdoyante58. »
31Hamel explique qu’il ne s’agit que de suivre l’exemple de l’étranger et invite l’administration de la ville de Paris à « faire observer à l’autorité militaire que, dans les villes les plus fortifiées de l’Allemagne, les fortifications sont plantées59 ».
32Conférant un sentiment de fausse sécurité, les fortifications ont une responsabilité indirecte dans la défaite : à cause d’elles, on a négligé de préparer les hommes à la guerre et le Prussien vigoureux a vaincu le Français étiolé. Et c’est là, en particulier avec le thème de la « dégénérescence », que s’opère la jonction avec l’argument hygiéniste, prioritaire chez les partisans du déclassement. Non seulement on a oublié de préparer, physiquement et moralement, les hommes à la guerre, mais l’existence même de l’enceinte rendait cette préparation impossible l’aurait-on voulue, du moins pour les Parisiens.
33L’enceinte empêche la capitale de croître : la population s’entasse dans des logements étroits et insalubres et ne dispose pas de l’espace nécessaire pour s’ébattre. Les fortifications font donc obstacle à la production de soldats. En ce début des années 1880 l’argument ne peut manquer de faire mouche. Pour ceux qui réclament sa disparition, l’enceinte, responsable de la défaite, hypothèque les chances de la Revanche.
34Au contraire, les Allemands, sûrs de leur force, n’hésitent pas à déclasser leurs places fortes. Le recours à l’exemple allemand ne s’arrête pas là ; chez Hamel, il se prolonge au sujet du traitement à apporter aux fortifications déclassées. Les Allemands les transforment en promenades et en jardins car ils ont compris le rôle que jouent ces derniers dans la santé des populations. Il convient d’ailleurs de nuancer cette affirmation : une partie de l’indemnité de guerre versée par la France a été consacrée à la construction de fortifications, en particulier en Alsace-Lorraine60. Le recours à l’exemple allemand, chez les édiles, relève avant tout de la rhétorique.
Hygiénisme nationaliste et nationalisme hygiéniste
35Présenter la suppression de l’enceinte comme satisfaisant à la fois à l’impératif national et à celui de l’hygiène contribue à en faire une question d’actualité. En effet, dans les années qui suivent la défaite, hygiénisme et nationalisme s’interpénètrent. L’enchevêtrement tient en partie à la remise en cause d’ensemble des réalités françaises et à leur réévaluation systématique à l’aune allemande, décrites par C. Digeon61. Les contemporains cherchent à découvrir ce qui a rendu possible l’effondrement devant la puissance prussienne afin de remédier aux causes de l’infériorité nationale. L’examen critique atteint tous les secteurs de la société, y compris les domaines de l’hygiène et de la santé.
La réévaluation des institutions françaises
36La remise en question des institutions françaises est une attitude très répandue dans la France des années 1870 et 1880. Conservateurs et républicains partagent le même souci de redressement national et s’attachent à dégager les raisons de la défaite. Les tares du régime précédent, voluptueux, futile, en un mot décadent, que par un jeu de mot facile on assimile au Bas-Empire romain, fournissent une première grille de lecture. Quel est alors le modèle de vertu et d’efficacité proposé ? Pour les républicains, la réponse est claire : le modèle est celui des vainqueurs, qui a fait ses preuves aux dépens de la France62.
37Si la remise en question des institutions françaises, évaluées à l’aune allemande, prend un caractère systématique au lendemain de la défaite, elle perpétue un questionnement qui remonte à l’émergence de la Prusse sur le devant de la scène internationale. Le facteur déclenchant était déjà un événement militaire : pour l’opinion et les élites françaises, la défaite autrichienne à Sadowa en 1866 agit comme le révélateur de la puissance prussienne63. La remise en question atteint tous les secteurs de la société.
38Le cas le plus connu est celui de l’enseignement : à partir de la fin des années 1870, le système d’enseignement français est refondu de fond en comble. Le mouvement est initié par l’arrivée de J. Ferry au ministère de l’Instruction publique en février 1879. Ferry inaugure son ministère en faisant voter la loi du 27 janvier 1880 qui rend obligatoire l’enseignement de la gymnastique dans les établissements scolaires de garçons, avant même l’adoption des lois sur l’école primaire, laïque et obligatoire. La gymnastique scolaire, relayée par les bataillons scolaires et les sociétés conscriptives, est censée, pour les républicains, participer à l’œuvre de redressement
national64.
39La nécessité des réformes est à peu près unanimement ressentie, même s’il existe des divergences sur les mesures à mettre en œuvre. L’attribution de la victoire allemande à l’instituteur prussien relève d’un sens commun largement partagé au début des années 1880. La conscience d’une supériorité allemande en matière d’instruction et de la nécessité de pallier les carences françaises dans ce domaine avait d’ailleurs commencé à se faire jour sous l’Empire libéral qui, avec Victor Duruy, s’était engagé dans un programme de réforme de l’enseignement. La défaite, la Commune et les hésitations de la République naissante auraient alors plutôt retardé l’instauration d’une école gratuite et obligatoire. Il n’empêche, au début des années 1880, la refonte du système scolaire engagée par les républicains participe d’un projet de régénération nationale et c’est à ce moment que les mesures prises en la matière sont véritablement appliquées65.
40Il n’est donc pas indifférent que les édiles parisiens, dont ceux qui se préoccupent des fortifications, s’intéressent aux questions scolaires. En particulier, ils sont engagés dans un combat pour la création de lycées de jeunes filles ainsi que pour la laïcisation de l’enseignement dispensé à leurs jeunes administrés : en mars 1882, le conseil municipal décide de se doter d’une commission afin de négocier avec le ministère de l’Instruction publique la création de lycées de jeunes filles66.
41L’Armée n’échappe pas à la remise en cause, bien que, assez curieusement, celle-ci ne semble pas y avoir pris un tour vraiment passionnel67, à la différence de ce qu’on observe pour d’autres institutions comme l’Université. La défaite entraîne des changements dans l’organisation de la défense. Une réforme du système de fortifications est entreprise, ainsi qu’une rénovation du matériel et de l’artillerie. La loi du 24 juillet 1873 sur la réorganisation générale de l’armée porte, elle, sur les réserves et les conditions de la mobilisation. Enfin, avec la création en 1875 de l’École de guerre, la formation des cadres est remaniée68.
42La réforme la plus importante concerne la conscription. Sadowa puis la défaite sont interprétés comme des preuves de la supériorité de l’armée de conscription telle qu’elle existe en Prusse sur l’armée de métier69. Le consensus est presque universel : Freycinet, proche des radicaux, voit dans le service militaire « la meilleure école sociale70 », tandis que pour le duc d’Audiffret-Pasquier, un des chefs de file des orléanistes de centre-droit, la conscription constitue « la grande école des générations futures71 ». L’armée de conscription est acquise par la loi du 27 juillet 1872 qui instaure le service militaire de cinq ans pour la partie du contingent tirée au sort, les autres conscrits n’effectuant qu’un service de six mois. Des exemptions sont d’ailleurs prévues pour les ecclésiastiques, les fonctionnaires et les étudiants. Les jeunes gens issus de la bourgeoisie ont la possibilité d’effectuer un service d’une durée réduite à un an à condition de devancer l’appel, d’être bacheliers et de payer leur équipement, cette disposition étant d’ailleurs calquée sur l’exemple prussien. La dissolution progressive de la Garde nationale est, elle, décidée dès 187172. L’adoption d’un service militaire universel, même si l’universalité s’accommode de nombreuses exceptions, a d’ailleurs entre autres pour conséquence une attention accrue portée à l’état sanitaire de la population.
43La proposition Guyot arrive donc à un moment favorable. Ceux qui réclament la suppression de l’enceinte afin de donner de l’espace à une population parisienne qui s’étiole sont sûrs d’être écoutés à l’époque des bataillons scolaires et du service militaire universel. Dans leur ensemble, les républicains adhèrent à un projet d’unification et de régénération nationale passant entre autres par la gymnastique73. L’argument de Guyot ne peut donc manquer de faire mouche, même auprès de ses adversaires les plus acharnés, Delabrousse et Levraud. Ces derniers partagent en effet les convictions républicaines de Guyot et, pour Delabrousse au moins, le souci de préparer la jeunesse française à la guerre. Ce dernier, qui au conseil municipal s’occupe principalement de questions d’enseignement74, est l’auteur d’un rapport sur une subvention à accorder à la Ligue française de l’enseignement, dont l’objet est de fonder dans chaque chef-lieu de canton des sociétés d’éducation militaire75.
44La proposition Guyot, à son niveau, participe au mouvement de réévaluation des institutions françaises. En mettant en cause l’efficacité militaire de l’enceinte et, plus encore, en faisant de celle-ci un véritable danger pour la sécurité de la France, les partisans de la suppression se mettent en situation d’être écoutés, d’autant plus qu’ils font intervenir des arguments d’ordre hygiéniste pour dénoncer le danger que présentent les fortifications.
La défaite sanitaire
45La défaite est attribuée, au moins partiellement, à la supériorité de l’instituteur prussien et de l’armée de conscription. Cette interprétation fait de la victoire allemande le résultat d’une préparation à long terme. Un autre élément a pesé d’un poids non négligeable dans la déroute des armées françaises et a frappé spectateurs et participants au conflit : la variole aurait fait 23 400 victimes sur les 600 000 hommes engagés dans le conflit du côté français, tandis qu’elle n’aurait tué que quelques centaines de militaires allemands76. Pour les contemporains, cet écart énorme est une des causes de la défaite, laquelle est donc pour une part une défaite sanitaire. Contrairement aux soldats français, les troupes allemandes font l’objet d’une vaccination systématique et l’hécatombe qui frappe les Français est la sanction de l’incurie française, qu’on oppose à la prévoyance et à la discipline prussienne.
46L’épidémie de variole n’est d’ailleurs pas, et de loin, circonscrite à l’armée française, ni à la France. Au cours de la première moitié des années 1870, toute l’Europe est touchée par ce qui s’avère une des épidémies les plus meurtrières du siècle. Si les soldats allemands sont épargnés, il n’en va pas de même de leurs compatriotes civils qui paient à la maladie un tribut d’un ordre de grandeur comparable à celui dont s’acquittent les Français77. Il n’empêche, la défaite est perçue comme une défaite sanitaire. Cette interprétation oriente durablement l’hygiénisme français : dans les années 1880 et 1890, la protection du contingent contre la variole et la typhoïde constitue l’une des tâches prioritaires de l’administration en charge de l’hygiène au niveau national78.
47La protection de la troupe contre les maladies infectieuses n’a pas de lien direct avec le fait d’assurer à la population urbaine des conditions de vie lui permettant de se préparer physiquement à la guerre, ce qu’est censée permettre la suppression de l’enceinte. Dans les deux cas cependant, l’hygiène est mobilisée au service de la nation, au niveau de la politique sanitaire avec la lutte contre la variole et la typhoïde et au niveau du discours pour les arguments des partisans du démantèlement des fortifications. Constituant la suppression de l’enceinte en mesure d’hygiène, les édiles en font une solution à des problèmes que se posent les militaires et les responsables politiques, qui seraient leurs interlocuteurs en cas de négociations.
La Revanche hygiénique ?
48L’argument hygiéniste est puissant : si la défaite est imputée, entre autres, à un déficit français en matière d’hygiène, réciproquement la Revanche passe par la résorption de ce déficit. L’idée que le nouvel affrontement franco-prussien se jouera sur le terrain de l’hygiène, ou autrement dit que la France ne peut l’emporter qu’à condition de se donner les moyens d’une régénération hygiénique de sa population, est dans l’air du temps aux débuts de la IIIe République, comme en témoigne sa place dans la littérature.
La France-Ville de Jules Verne ou la Revanche fantasmatique
49Les Cinq cents millions de la Bégum79, roman de Jules Verne paru en 1879 et relevant de ce qu’on peut appeler la « littérature de compensation » propre aux lendemains de défaite, constitue une illustration exemplaire du mariage entre thématiques hygiéniste et nationaliste. L’intrigue est simple. Deux parents éloignés, un médecin français, le docteur Sarrasin, et un savant allemand, le professeur Schultze, se partagent un héritage de 500 millions. Tandis que le Français consacre sa part à l’édification en Californie d’une ville conçue selon les préceptes de l’hygiène et baptisée France-Ville, son cohéritier fonde Stahlstadt, un complexe industriel au sein duquel il élabore une arme chimique ainsi qu’un canon surpuissant afin de détruire France-Ville. Les plans du professeur Schultze sont dévoilés grâce au courage d’un jeune Alsacien, Marcel Bruckmann, qui s’est fait embaucher comme ouvrier à Stahlhalt et a réussi à gagner la confiance de son patron. Mais plus que de l’intervention courageuse de Bruckmann, le salut viendra de l’ubris du savant allemand : son canon, surpuissant, envoie son projectile hors de l’attraction terrestre et Schultze finit victime de sa propre arme chimique, son décès entraînant la faillite définitive de Stahlstadt. L’allusion est transparente : derrière Stahlstadt, la Cité de l’acier, se profilent évidemment les usines Krupp à Essen80, comme l’ont mis en évidence Lion Murard et Patrick Zylberman81.
50Comme Guyot, Verne reprend à son compte, pour les diffuser auprès de ses jeunes lecteurs, les inquiétudes d’une partie au moins de ses contemporains au sujet des conditions de vie urbaine et de leurs effets sur l’état physique et moral de la population. Le docteur Sarrasin s’adresse à ses collègues médecins dans les termes suivants :
« Messieurs, parmi les causes de maladie, de misère et de mort qui nous entourent, il faut en compter une à laquelle je crois rationnel d’attacher une grande importance : ce sont les conditions hygiéniques déplorables dans lesquelles la plupart des hommes sont placés. Ils s’entassent dans des villes, dans des demeures souvent privées d’air et de lumière, ces deux agents indispensables à la vie. Ces agglomérations humaines deviennent parfois de véritables foyers d’infection82. »
51La parenté est nette avec les arguments invoqués par Guyot et quelques années plus tard par Brousse pour réclamer la suppression de l’enceinte.
52Le mal identifié, Sarrasin propose la création ex nihilo d’une ville hygiénique qui aurait valeur d’exemple :
« Pourquoi ne réunirions-nous pas toutes les forces de notre imagination pour tracer le plan d’une cité modèle sur des données rigoureusement scientifiques ? […] Pourquoi ne consacrerions-nous pas le capital dont nous disposons à édifier cette ville et à la présenter au monde comme un enseignement pratique […]83. »
53Dans une telle ville pourraient s’élever les nouvelles générations susceptibles de laver le déshonneur de la défaite84 :
« Cette […] ville de la santé et du bien-être, nous inviterions tous les peuples de la terre à venir la visiter, nous en répandrions dans toutes les langues le plan et la description, nous y appellerions les familles honnêtes que la pauvreté et le manque de travail auraient chassées des pays encombrés. Celles aussi […] à qui la conquête étrangère a fait une cruelle nécessité de l’exil, trouveraient chez nous l’emploi de leur activité, l’application de leur intelligence, et nous apporteraient de ces richesses morales, plus précieuses mille fois que les mines d’or et de diamant. Nous aurions là de vastes collèges où la jeunesse, élevée d’après des principes sages, propres à développer et à équilibrer toutes les facultés morales, physiques et intellectuelles, nous préparerait des générations fortes pour l’avenir85. »
54Si le fait de placer les espoirs d’une régénération nationale dans les progrès de l’hygiène est intimement lié à l’explication de la défaite par l’étiolement physique et moral des Français, l’idée est incompatible avec une lecture du conflit de 1870 en termes de guerre d’une race contre une autre. Si le salut peut venir de l’hygiène, c’est que l’infériorité militaire française relève de causes acquises et non innées. Verne refuse catégoriquement toute lecture racialiste de l’histoire. Si l’affrontement entre Stahlstadt et France-Ville est parfois interprété comme un conflit entre « Latins » et « Saxons86 », l’interprétation est présentée comme relevant des obsessions du professeur Schultze dont le lecteur fait la connaissance alors qu’il travaille à un mémoire doctement intitulé « Pourquoi tous les Français sont-ils atteints à des degrés divers de dégénérescence héréditaire87 ? » Le racialisme constitue pour Verne une doctrine spécifiquement allemande, que son attribution à un personnage grotesque, qui « [se] demande même comment les peuples qui n’ont ni saucisses, ni choucroute, ni bière, peuvent tolérer l’existence88 », permet de présenter sous un jour ridicule.
55Ce que Verne récuse n’est d’ailleurs pas tant l’idée que chaque « race » possède des qualités propres qu’une lecture déterministe de l’histoire en termes de montée inéluctable de la race saxonne vers l’hégémonie. Sur cette question, sa position est en fait très ambiguë : le roman relève de la « littérature de compensation » mais n’est pas exempt d’une certaine haine de soi en tant que Français. Si le docteur Sarrasin est un personnage éminemment positif, le véritable héros est Marcel Bruckmann, français certes, mais alsacien, et donc le Français le moins « latin » et le plus « saxon » qui soit. S’il ne s’agissait que de décerner un brevet de patriotisme aux habitants des provinces perdues, il n’y aurait là rien de remarquable. Cependant, l’auteur va plus loin : les qualités de Bruckmann semblent tenir justement à sa nature alsacienne et donc « saxonne ». En témoigne le contraste entre son comportement et celui d’Octave, le fils du docteur Sarrasin resté à Paris. Privé de l’influence de son ami Marcel, Octave échoue dans ses études et s’adonne à une vie de plaisirs faciles, ce que le lecteur ne peut manquer d’interpréter comme l’indice d’une certaine faiblesse constitutive de la race « latine ». Plus révélateur encore, Octave ne brille dans sa nouvelle vie qu’en raison de son argent et surtout de la nature des compagnons auxquels il s’associe :
« Chose particulière, la liste [des membres du cercle que fréquente Octave] ne portait guère que des noms étrangers. Les titres foisonnaient, et l’on aurait pu se croire, en les énumérant, dans l’antichambre d’un collège héraldique. Mais si l’on pénétrait plus avant, on pensait plutôt se trouver dans une exposition vivante d’ethnologie. Tous les gros nez et tous les teints bilieux des deux mondes semblaient s’être donné rendez-vous là […].
Octave Sarrasin paraissait un jeune dieu au milieu de ces bimanes89. »
56J. Verne adhère bien au principe d’une hiérarchie entre « races », même s’il ne s’agit pas d’une hiérarchie entre les « races » européennes. On note cependant que ses héros les plus positifs sont rarement des Français.
57L’ambiguïté n’est pas propre au romancier. L’idée d’une hiérarchie entre les races et la lecture racialiste de l’histoire ne sont évidemment pas des productions intellectuelles exclusivement allemandes. La logique racialiste s’implante cependant difficilement en France. Anne Carol attribue ces réticences à la prégnance en France du discours sur l’unité nationale et « [au] fait que la terminologie anthropologique soit […] liée à l’idée de la supériorité de la nation allemande90 ». De son côté, André Béjin attribue la faible implantation du darwinisme social en France à « l’hésitation à soutenir une doctrine qui éclairait si crûment et semblait conduire à tenir pour irrémédiables les carences nationales91 », à savoir la faiblesse de la natalité et du dynamisme économique, ainsi qu’à la prédominance en France du rationalisme cartésien et au refus de l’utilitarisme.
58De toute façon, hygiénisme et nationalisme ne peuvent être liés qu’au prix du refus d’une lecture strictement racialiste de l’histoire, ou au moins d’une interprétation particulière de la notion de « race ». Une définition de la « race » fondée sur des caractéristiques zoologiques, au sens ou l’entend par exemple Georges Vacher de Lapouge92, implique qu’en ce qui concerne la vigueur d’une nation tout est joué d’avance. Cependant cette conception n’est pas celle qui domine en France : on assiste plutôt à une assimilation entre « race » et « nation », fondée sur la prise en compte, dans une perspective lamarckienne, de l’influence du milieu93.
59L’affirmation de l’existence d’une dégénérescence causée par l’environnement urbain n’a alors rien d’étonnant. L’idée fait partie d’un sens commun partagé par les savants au xixe siècle. Le géographe Désiré Pasquet voit ce phénomène à l’œuvre dans la capitale britannique. En sont victimes les rejetons des provinciaux émigrés à Londres :
« Au bout de deux ou trois générations, le provincial est devenu cockney à son tour ; le sang s’est appauvri, la race s’est étiolée ; l’intelligence et l’activité ont diminué. Sans l’afflux de sang nouveau qui se produit sans cesse, la population londonienne finirait par dégénérer, usée physiquement et moralement94. »
60A contrario, s’il existe une dégénérescence urbaine, l’action des hygiénistes qui se préoccupent d’amender les conditions de la vie en ville est susceptible d’efficacité.
61La réticence à raisonner en termes purement racialistes, alliée à la volonté de combattre la dégénérescence, se vérifie lorsqu’il s’agit du sort de l’enceinte. Au début des années 1890, Brousse, élu du quartier des Épinettes dans le 17e arrondissement, par ailleurs médecin95, réclame la suppression des fortifications pour des raisons hygiéniques, tout en refusant catégoriquement une interprétation racialiste de l’affrontement franco-allemand. Pour Brousse, la spécificité française qu’il convient de défendre relève non de l’ordre racial mais de l’ordre politique :
« Elle importerait bien peu la conquête du mieux-être social, dans la France républicaine, si le lendemain de sa réalisation, elle nous était ravie par quelque terrible invasion, venant d’une monarchie voisine, encore féodale ! […] Il nous faut protéger cette terre de France, non parce qu’elle est habitée et appropriée par des hommes d’une race particulière que notre modestie nous fait appeler la première du monde, mais pour la raison que ce sol est fertile en aspirations généreuses, et qu’ils y viennent facilement les arbres de la Liberté, de l’Égalité, de la Fraternité96. »
62Le refus du raisonnement racialiste ne tient pas l’appartenance de Brousse au courant socialiste. À la fin du xixe siècle, « racialisme » et socialisme ne s’excluent pas : Vacher de Lapouge, le chef de file des darwinistes sociaux français, est engagé politiquement du côté socialiste97. Il ne s’agit pas d’une position aberrante, le racialisme n’étant pas connoté politiquement : le Grand Dictionnaire du républicain Pierre Larousse présente Gobineau comme un « ethnologiste distingué98 ». Pour qui adhère à l’idée de progrès, qu’on puisse classer les races humaines selon leur degré de développement va alors de soi.
L’hygiène allemande : « un outil de lutte idéologique99 »
63Rencontrer l’idée que le salut après la défaite doit passer par l’hygiène chez Verne, un des porte-parole des républicains auprès de la jeunesse100, n’est pas innocent. Les hommes au pouvoir entendent acclimater cette idée dans l’opinion publique. La thématique est d’ailleurs promise à un bel avenir : on la retrouve chez les réformateurs sociaux de la Section d’hygiène urbaine et rurale du Musée social qui s’emparent de la question de l’enceinte à la fin des années 1900. En 1909, Georges Risler donne une conférence consacrée aux « espaces libres dans les grandes villes101 ». Il y affirme la nécessité de mettre des parcs et des jardins à la disposition de la population urbaine, et en premier lieu des Parisiens, et indique que l’enceinte se prête parfaitement à ce projet. Pour Risler, une telle mesure relève du nationalisme, puisqu’elle induira l’augmentation du « patrimoine des forces morales et physiques qui doivent rendre notre chère patrie toujours meilleure, toujours plus belle, toujours plus admirée, toujours plus aimée102 ». De même, quelques années auparavant, Charles Gide, saluant l’œuvre pionnière des Britanniques en matière de cités-jardins, écrivait :
« Quelques esprits généreux […] se sont donné pour tâche de marier désormais le travail à la beauté. Et c’est précisément en Angleterre que cette idée a germé, sous l’inspiration de quelques fabricants, semi-philanthropes, semi-esthètes […]. [Ils] se sont efforcés d’installer leurs fabriques et les ouvriers de ces fabriques […] dans des cités qu’ils se sont efforcés de faire belles, aimables, et il semble qu’ils ont réussi non seulement à sauvegarder et à accroître la beauté pittoresque du milieu […] mais encore à former une génération saine et joyeuse, entraînée à tous les sports et où déjà le taux de la mortalité est très inférieur à celui des grandes cités industrielles, leurs voisines103. »
64L’affirmation d’un lien entre carence hygiénique et défaite est d’ailleurs liée au contexte international : elle est réactivée au début des années 1910, quand la perspective d’une guerre prochaine s’impose104. En 1912, Risler, stigmatisant l’incurie française en matière d’hygiène publique et de législation d’urbanisme, se demande si cette imprévoyance ne tiendrait pas
à l’histoire nationale, fertile en rebondissements de dernière minute, et
émet un constat amer : « Nous avons cru qu’il en serait toujours ainsi, et la cruelle leçon de 1870, elle-même, ne paraît pas nous avoir guéris de nos illusions105. »
65Il ne faut toutefois pas prendre pour argent comptant les affirmations d’une carence hygiénique spécifiquement française. Dans un ouvrage consacré à Paris et Berlin dans les années 1870, Pierre-Paul Sagave note que les conditions hygiéniques sont encore moins bonnes à Berlin qu’à Paris. L’insuffisance des égouts berlinois est à l’origine de fréquentes épidémies de choléra, alors qu’à Paris « on disposait depuis le Second Empire d’un système de canalisations exemplaire106 » et reconnu comme tel par les visiteurs allemands. À Berlin, comme à Paris, les conditions de logement sont déplorables : insalubrité et exiguïté, loyers exorbitants, sont le lot des Berlinois. Selon P.-P. Sagave, dans le second xixe siècle, les conditions de la vie urbaine sont encore plus rudes à Berlin qu’à Paris. L’affirmation d’une pénurie hygiénique nationale, à laquelle on oppose la prévoyance allemande, relève sans doute de la même logique que la dénonciation par Guyot de la construction de fortifications comme une manie française. Comme le remarque Vincent Berdoulay au sujet de la géographie et de son enseignement en France, la référence à l’Allemagne est un « outil de lutte idéologique107 » mobilisé pour obtenir crédits et moyens. Il en va certainement de même dans le domaine de l’hygiène.
66Quoi qu’il en soit, l’argumentation de Guyot et de ses alliés est en phase, et pour longtemps, avec les préoccupations des hommes au pouvoir. Les édiles qui réclament la disparition des fortifications ont fait preuve d’habileté dans le choix de l’angle d’attaque : constituer la suppression de l’enceinte en mesure d’hygiène était certainement un moyen d’être entendu. Reste que, pour que le sort des fortifications devienne une question d’actualité, il faut aussi se rallier l’opinion publique ou tout au moins les électeurs parisiens.
Le démantèlement de l’enceinte, les élections et la presse
67Si la proposition Guyot est commentée par la presse, l’enjeu ne semble pas avoir véritablement mobilisé l’opinion. Dans les années 1880, le déclassement de l’enceinte n’est pas un thème de campagne pour les candidats qui sollicitent les suffrages des électeurs de la capitale.
L’enceinte dans les programmes électoraux
68Les édiles ne semblent pas convaincus que leurs électeurs s’intéressent à l’ouvrage de défense. En témoignent les programmes des candidats au conseil municipal108. Lors des élections de 1884, les premières après le dépôt de la proposition Guyot, parmi les 80 candidats élus seuls Gustave-Adolphe Hubbard et Léon Delhomme mentionnent les fortifications dans leur programme, pour se prononcer en faveur de leur disparition. Même en tenant compte de la profession électorale de Léon Donnat, élu lors d’une consultation partielle en 1886109, on peut affirmer que se présenter comme favorable à la suppression de l’enceinte est loin d’être vu comme absolument nécessaire pour recueillir les suffrages des électeurs parisiens.
69Si Delhomme, candidat dans le quartier Saint-Lambert, se contente de réclamer la « suppression des murs d’enceinte110 », Hubbard et Donnat se montrent plus diserts. Les raisons qu’ils invoquent pour réclamer la disparition des fortifications sont dans la droite ligne des arguments développés par les premiers défenseurs du projet au conseil. Au sujet de l’enceinte, le programme de Hubbard, candidats radical dans le quartier Montparnasse se décline de la façon suivante :
« [L]’enceinte des fortifications a fait son temps. Elle n’est plus appropriée aux besoins actuels de la défense d’une place de guerre dont les forts détachés sont en avant de Saint-Cyr, de Montmorency et de Palaiseau. Il conviendrait d’utiliser les terrains de la zone et des fortifications pour construire de véritables logements à bon marché, bien aérés et hygiéniques, en prenant toutes les précautions nécessaires pour que la spéculation et les grandes compagnies n’accaparent pas tous les profits de cette mesure111. »
70En 1886, Donnat, candidat radical pour le quartier de la Muette, avance des arguments presque identiques :
« La nécessité stratégique de l’enceinte fortifiée est niée par les hommes les plus compétents. Cette enceinte, avec la zone de servitude militaire, occupe environ le quart de la surface livrée aux particuliers pour la construction. Si elle était désaffectée, on disposerait d’une vaste étendue pour des logements à bon marché, en même temps qu’on ferait acquérir aux quartiers voisins des fortifications une plus-value considérable112. »
71Même si la référence à l’Allemagne est absente de ces professions de foi, la parenté avec le discours de Guyot est nette. Le premier argument avancé pour réclamer la disparition de l’enceinte est l’inutilité militaire de l’ouvrage. Dans ces conditions, le démantèlement s’impose pour des raisons d’hygiène. La prise en compte des impératifs hygiéniques s’inscrit, bien que de manière relativement indirecte, dans le thème du relèvement national. L’argumentation de Guyot semble donc s’imposer à ceux, peu nombreux, qui parlent des fortifications à l’opinion parisienne. On peut donc qualifier de canonique l’argumentation de Hubbard et de Donnat.
72La quasi-absence de références à l’enceinte dans les programmes des candidats laisse supposer que la question relève plus pour les édiles du débat interne au champ politique municipal que de l’enjeu électoral. En 1885 et 1886, on relève cependant dans les Procès-verbaux des séances du Conseil municipal sept pétitions réclamant, sous une forme ou une autre, la suppression de l’enceinte ou de la zone de servitude113.
Les réactions de la presse
73L’éventualité d’une disparition de l’enceinte semble avoir divisé la presse. Guyot lui-même mentionne les réactions de certains journaux qui « ont essayé de présenter la motion [qu’il] présente comme antipatriotique114 ». Cependant, globalement, la presse réagit plutôt favorablement à sa proposition. Dans sa thèse de droit115, Flourens relève des articles favorables à la disparition de l’enceinte dans La République française, La Lanterne, Le Figaro, Le Parisien, La Justice, L’Intransigeant et Le Matin. D’après Flourens, la campagne de presse suit une chronologie bien précise. Elle commence avec le début des négociations entre la ville de Paris et l’État, qui s’engagent dès 1883. Elle est particulièrement vive en février 1885, quand on apprend que le Comité supérieur de défense a repoussé les propositions de la Ville, et s’arrête quand il s’avère qu’il est trop tard pour que les travaux soient achevés pour l’Exposition universelle de 1889. Elle reprend après l’Exposition et se réveille chaque fois que la question des fortifications est soulevée au conseil municipal ou au Parlement.
74Certaines de ces prises de positions en faveur de la disparition de l’enceinte semblent tenir à des proximités politiques ou (et) de personnes. En 1878, Guyot a publié, anonymement, une série d’articles dans La Lanterne, dénonçant l’action de la police des mœurs. Ces articles sont d’ailleurs en 1879 à l’origine de la démission du préfet de police Gigot et de celle du ministre de l’Intérieur Marcère, ainsi que de la révocation ou de la démission de nombreux hauts fonctionnaires préfectoraux116. En 1885, Guyot est élu député de la Seine sur une liste radicale patronnée par Clemenceau117 ; or La Justice est le journal de Clemenceau.
75Les articulations du discours canonique sur les fortifications, tel qu’il s’est développé au conseil dès le début des années 1880, ne se sont cependant pas imposées à la presse, même si on y rencontre parfois des fragments de ce discours.
76La République française mentionne par exemple l’inutilité militaire de l’enceinte118. Il en va de même dans La Lanterne :
« Deux systèmes de défense sont en présence sur la question : la défense passive […]. La défense active […].
Les partisans de l’enceinte continue sont pour la défense passive ; les partisans des ouvrages de fortifications, faits au moment même, en cas de siège, sont des partisans de la défense active.
Il suffit de poser la question de cette manière pour que la solution n’en soit pas douteuse, auprès de tous les hommes qui considèrent que le but d’une armée n’est pas de s’enfermer dans une place et d’y cuire dans son jus, mais de détruire sur le champ de bataille les forces de l’ennemi119. »
77Le ton et le vocabulaire du journaliste, anonyme, de La Lanterne sont proches de ceux de Guyot, ce qui n’a rien d’étonnant étant donnés les liens entre l’édile et le quotidien.
78La presse mentionne aussi un usage hygiénique des terrains libérés par la suppression de l’enceinte. En février 1885, La Justice informe ses lecteurs des desiderata des édiles et du projet élaboré par les fonctionnaires de la préfecture de la Seine :
« La Ville demandait à l’État de lui céder, moyennant une somme de 86 millions environ, la zone des fortifications120, entre le canal Saint-Denis et la porte de Saint-Cloud. Ces fortifications auraient été démolies et les terrains auraient été vendus, sauf une largeur continue de 75 mètres qui aurait servi à l’établissement d’un grand boulevard jugé très utile au point de vue de l’assainissement de Paris121. »
79L’Intransigeant, de son côté, présente la disparition de l’enceinte comme un moyen de résoudre ce qu’on appelle alors la « question des loyers122 » et d’offrir du travail aux ouvriers parisiens :
« Il s’agissait […] de démolir le front ouest de cette enceinte […]. La démolition de cette partie de l’enceinte était vivement réclamée par le Conseil municipal, qui comptait faire établir sur ces terrains des constructions qui eussent certainement fait baisser le prix des logements, et auraient permis d’employer à ce vaste travail plus de dix mille ouvriers123. »
80L’article du Matin est plus proche du discours canonique sur les fortifications, puisqu’il lie inutilité de l’enceinte et étouffement de la capitale :
« Beaucoup de bons esprits se demandent dans quel but on a consacré plus de cent millions pour établir le nouveau système de défense à grandes distances, alors que l’on trouve nécessaire de conserver l’ancienne enceinte, qui n’a même pas reçu un seul coup de canon, pendant les deux sièges de 1870-1871 ?
Puisque, dès cette époque, celle-ci était à peu près inutile, à quoi pourrait-elle dorénavant servir, sinon à étouffer le développement de Paris, et à priver les nombreux ouvriers actuellement sur le pavé, des travaux qu’auraient nécessité d’abord la démolition des anciens remparts, puis le terrassement et le nivellement des terrains, et enfin la construction de maisons nouvelles et de logements à bon marché ; le tout sans frais pour les différents budgets, puisque le prix de la zone réservée124 eut payé toutes les dépenses125. »
81Dans le cas de La Lanterne, la proximité du vocabulaire et du ton avec le discours édilitaire pouvait s’expliquer par les liens politiques entre le journal et Guyot. En revanche Le Matin, même s’il se présente comme « absolument indépendant126 », est un journal conservateur127.
82Les propos de la presse et le discours des édiles partisans de déclassement présentent bien quelque parenté. Cependant il ne s’agit que de notations fragmentaires, dans des articles se focalisant sur les péripéties des négociations entre la Ville et l’État. Les textes retenus par Flourens ne sont certainement pas représentatifs de l’ensemble de la presse. Cependant, dans la mesure où celui-ci milite pour le déclassement des fortifications, on peut supposer que les articles qu’il cite sont parmi les plus favorables aux revendications du conseil municipal. Le fait de ne pas y retrouver les articulations du discours sur l’enceinte tel qu’il s’est fixé chez les édiles dès le début des années 1880 témoigne donc d’une diffusion limitée de ce discours.
83L’idée de Guyot ne rencontre qu’un écho relativement faible dans la presse. Elle ne constitue pas non plus un thème électoral mobilisateur. L’absence de référence à l’enceinte dans les programmes électoraux est peut-être l’indice d’un désintérêt de l’opinion, qui tient sans doute à une certaine indifférence de la population urbaine aux conditions hygiéniques. Alors que, sous les débuts de la IIIe République, la demande sociale en matière d’instruction publique est très forte128, cette demande, selon L. Murard et P. Zylberman, n’existe pas pour l’hygiène. Cette indifférence est une des raisons de la lenteur de la mise en place d’une véritable politique hygiéniste129. La revanche sanitaire reste de l’ordre du fantasme et se satisfait entre autres dans la littérature. France-Ville est d’ailleurs exemplaire pour une autre raison : on ne réforme pas une cité existante mais on en crée une nouvelle de toutes pièces, comme si toute intervention sur le réel était inimaginable, même dans l’ordre littéraire. Il convient toutefois de relativiser l’indifférence de la population parisienne aux conditions de la vie urbaine. Elsbeth Kalff note, dans les années 1880, une sensibilisation des représentants des classes populaires à l’insalubrité des logements. Pour les classes moyennes, la « médicalisation de la vie quotidienne130 » se serait même produite plus tôt, entre 1850 et 1860131.
84Les premiers partisans de la suppression des fortifications au conseil municipal de Paris réussissent à constituer la mesure qu’ils proposent en mesure d’actualité : le déclassement de l’enceinte est présenté comme un moment nécessaire du processus de modernisation de la société française, dont la défaite a révélé la nécessité. L’inscription dans un débat national contribue à conférer un tour passionné aux discussions sur le sort de l’ouvrage de défense au sein du conseil. Cependant la question ne semble pas mobiliser l’opinion parisienne.
85Les partisans du déclassement des fortifications font de celui-ci un élément du dispositif de régénération nationale en le présentant comme conforme aux impératifs de l’hygiène. Dès les années 1880, le sort de l’enceinte est donc constitué en question d’hygiène, ce qu’il restera pendant quarante ans, même si les enjeux liés à aux fortifications connaissent une évolution. Cette dimension hygiénique contribue en retour à pérenniser l’inscription de la réflexion sur l’enceinte dans le thème de la régénération nationale, alors même que s’efface progressivement du débat la référence à la dimension proprement militaire de l’ouvrage.
86Le débat sur le déclassement et l’aménagement des fortifications est contemporain du diagnostic d’une série de déficits d’ordre urbain, perçus comme spécifiquement français. Schématiquement, on peut ranger ces déficits sous deux rubriques. Le premier type de carence relève plutôt du « quantitatif » : sont concernées les médiocres performances, mesurables, des villes françaises dans le domaine de l’hygiène urbaine (taux de mortalité et de morbidité pour les différentes maladies contagieuses, surfaces des parcs et promenades). L’autre type de carence est d’ordre « qualitatif » : en France, les dispositions législatives permettant d’intervenir sur le devenir des villes seraient moins développées qu’ailleurs.
87Le premier de ces déficits est déjà perçu par les édiles réclamant la suppression de l’enceinte dans les années 1880. La prise de conscience d’un « retard » français en matière d’hygiène a sans doute été préparée par le développement, à partir du milieu du xixe siècle, des statistiques comme mode d’appréhension de la réalité urbaine. Cet outil permet en effet la comparaison internationale, pour les taux de mortalité ou de morbidité notamment. Il devient ainsi possible d’établir des corrélations entre différentes grandeurs, dont l’espace disponible sous toutes ses formes. Le déficit français, ou plus spécifiquement parisien, apparaît alors comme un déficit d’espace. Une bonne vingtaine d’années plus tard, les spécialistes de l’hygiénisme et de l’urbanisme, cette profession en devenir, s’emparent des fortifications avec la création de la Section d’hygiène urbaine et rurale du Musée social. Le diagnostic du déficit quantitatif se double alors de la perception d’un autre déficit, qualitatif, en matière de législation d’urbanisme : en France, l’exécutif, local ou national, ne dispose pas des moyens nécessaires pour faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers des propriétaires.
88La disparition de l’enceinte et l’aménagement des terrains ainsi récupérés apparaissent comme une occasion unique de combler ces lacunes. Tout d’abord, ils offriront de l’espace à la population parisienne, l’apport pouvant prendre deux formes non exclusives : récupération des terrains inutilisés mais aussi « dédensification » du tissu urbain par effacement de la coupure Paris/banlieue que matérialise l’enceinte. L’aménagement des terrains libérés par le déclassement des fortifications et la levée de la servitude apparaît ensuite comme l’occasion d’innover en matière de législation d’urbanisme. Le modèle allemand, très fréquemment invoqué dans les années 1880, ne constitue plus alors l’unique référence à l’étranger. Ceux qui proposent des solutions pour l’aménagement des fortifications s’appuient largement sur une analyse des mesures mises en œuvre à l’étranger.
Notes de bas de page
1 P. Arnaud, Le Militaire, l’écolier, le gymnaste, op. cit., p. 122-127.
2 PVCM, 1879, 22 nov.
3 PVCM, 1882, 20 nov. Le texte et la date de ce vœu ne figurent ni dans les RDCM, ni dans les PVCM, ni dans les Résolutions du Conseil municipal.
4 A. Robert, E. Bourloton et G. Cougny (dir.), Dictionnaire des parlementaires français (désormais DPF), Paris, Bourloton éditeur, 1891. Voir t. 8, p. 666.
5 Annales du Sénat et de la Chambre des députés, documents parlementaires, 1882, annexe n° 1211. Cité par A. Lortie, « Paris équipée : de l’enceinte militaire à l’enceinte automobile », op. cit., p. 74.
6 Y. Breton et M. Lutfalla (dir.), L’Économie politique en France au xixe siècle, Paris, Economica, 1991, p. 11.
7 RDCM, 1882, n° 78.
8 J.-J. Becker et S. Audoin-Rouzeau, La France, la nation, la guerre : 1850-1920, Paris, SEDES, 1995, p. 152.
9 Sous-commission de recherche d’histoire municipale contemporaine, Notes biographiques sur les membres des Assemblées municipales parisiennes et des Conseils généraux de la Seine de 1800 à nos jours. 2e partie : conseillers municipaux et généraux 1871-1956, Paris, Imprimerie municipale, 1957-1958. Voir p. 72.
10 A. Pétrot, Les Conseillers municipaux de Paris et les conseillers généraux de la Seine. Biographies (désormais CMPCGS), Paris, Librairie Frédéric Henri, 1876, p. 21.
11 PVCM, 1883, 11 juin.
12 Ibid.
13 C. de la Barrière et L. Mocquant, Le Nouveau Conseil municipal de Paris. Biographies et programmes des candidats élus en 1884 (désormais NCMP. 1884), Paris, E. Dentu libraire-éditeur, 1884, p. 67-68.
14 PVCM, 1883, 11 juin.
15 Y. Guyot, Paris ouvert. Ligue permanente pour la défense des intérêts des contribuables et des consommateurs, Éditeurs C. Marpon et E. Flammarion, Guillaumin et Cie. Ouvrage non daté, postérieur à mars 1886 et antérieur à 1889.
16 J. Jolly (dir.), DPF, op. cit., t. V, p. 1927.
17 Aucun Boussard n’apparaît dans le fichier biographique de la Bibliothèque administrative de la ville de Paris.
18 La ligue assure aussi la publication d’un autre texte de Guyot, La Suppression des octrois et la politique expérimentale : conférence avec graphiques faite à la Mairie de la rue Drouot, le 9 décembre 1885, Paris, Plon, Nourrit et Guillaumin, Marpon et Flammarion, 1885.
19 De l’inutilité de l’enceinte fortifiée de Paris au point de vue stratégique, communiqué à la Ligue des contribuables et reproduit dans RDCM, 1882, n° 78.
20 C. Digeon, La Crise allemande de la pensée française, op. cit., p. 324 et J.-M. Mayeur, Les Débuts de la IIIe République, 1871-1898, Paris, Seuil, 1973, p. 21-26.
21 J.-J. Becker et S. Audoin-Rouzeau, La France, la nation, la guerre, op. cit., p. 144-147 et p. 154. Les auteurs mentionnent l’existence d’une littérature très homogène, figeant l’image d’un Prussien barbare, et l’hostilité envers l’Allemagne d’un périodique comme La Revue des deux Mondes.
22 « Si la République est proclamée le 4 septembre 1870, le thème de la Revanche ne s’impose que dix ans plus tard. » P. Arnaud, Le Militaire, l’écolier, le gymnaste, op. cit., p. 46. J.-J. Becker et S. Audoin-Rouzeau, qui analysent l’évolution de la thématique de la Revanche, sont très réservés quant à son impact politique. L’idée de revanche militaire, née dans les camps de prisonniers français, n’a pas sa place chez les partisans de l’Ordre moral qui raisonnent en termes d’expiation. Les républicains eux-mêmes, une fois au pouvoir, sont beaucoup moins virulents que pendant la période précédente. Aucune politique de revanche n’a jamais été poursuivie (la modernisation de l’armée et du système de fortifications est à visées essentiellement défensives), la Revanche relevant avant tout de l’ordre du mythe. J.-J. Becker et S. Audoin-Rouzeau, La France, la nation, la guerre, op. cit., p. 142-157.
23 C. Digeon, La Crise allemande de la pensée française, op. cit., p. 325.
24 PVCM, 1883, 11 juin.
25 C. de la Barrière et L. Mocquant, NCMP. 1884, op. cit., p. 114-116.
26 PVCM, 1883, 11 juin.
27 RDCM, 1882, n° 78.
28 Revue universelle, chronologie universelle, 1903, p. 101.
29 PVCM, 1883, 11 juin.
30 Y. Guyot, Paris ouvert, op. cit., p. 8.
31 L’expression se trouve chez Guyot. Ibid., p. 11.
32 Ibid., p. 13.
33 PVCM, 1883, 11 juin.
34 Ibid.
35 Ibid.
36 Ibid
37 Ibid
38 Ibid.
39 C. de la Barrière et L. Mocquant, NCMP. 1884, op. cit., p. 67-68.
40 PVCM, 1883, 11 juin.
41 Ibid.
42 Y. Guyot, Paris ouvert, op. cit., p. 16.
43 Ibid., p. 17.
44 Ibid., p. 16.
45 Ibid., p. 20.
46 PVCM, 1883, 11 juin.
47 Y. Guyot, Paris ouvert, op. cit., p. 20.
48 Idem.
49 A. Carol, Histoire de l’eugénisme en France, Paris, Seuil, 1995, p. 90.
50 Ibid., p. 93. Il ne faut toutefois pas exagérer le rôle des événements de 1870. Le thème de la dégénérescence n’est pas exclusivement français. G. S. Jones, « Le Londres des réprouvés : de la “démoralisation” à la “dégénérescence” », L. Murard et P. Zylberman (dir.), L’Haleine des faubourgs, op. cit., p. 37-77.
51 C. Augé (dir.), Larousse mensuel illustré. Revue encyclopédique universelle, Paris, Imprimerie Larousse, n° 32, oct. 1909, p. 656.
52 Avec Jules Siegfried et Emile Cheysson, il est entre autres à l’origine de la première législation sur les habitations à bon marché. M.-J. Dumont, « L’invention d’un programme : le logement populaire », J. Lucan (dir.), Paris, 100 ans de logement, Paris, Picard, 1992, p. 48-75. Voir p. 54.
53 G. Picot, « Les fortifications de Paris. Essai d’histoire contemporaine », La Revue des deux Mondes, 15 oct. 1870, p. 623-648. Citation p. 648. De même, en 1868, M. du Camp rend hommage à Louis-Philippe qui « eut le bon esprit de faire fortifier notre capitale ». M. du Camp, Paris, ses organes ses fonctions et sa vie, op. cit., p. 9.
54 A. Carol, Histoire de l’eugénisme en France, op. cit., p. 97-102.
55 Expression suggérée par Hervé Robert. H. Robert, « Paris et la guerre au xixe siècle », cycle de conférences La Guerre et la ville à travers les âges, organisé par le Centre d’études d’histoire de la défense, 27 av. 1998.
56 J. Jolly (dir.), DPF, op. cit., t. VI, p. 1936.
57 PVCM, 1883, 11 juin.
58 PVCM, 1885, 12 juin.
59 Ibid.
60 P.-P. Sagave, 1871. Berlin-Paris, Paris, Albin Michel, 1995, p. 127.
61 C. Digeon, La Crise allemande de la pensée française, op. cit., p. 72-112.
62 V. Berdoulay, La Formation de l’école française de géographie (1870-1914), Paris, Bibliothèque nationale, 1981, p. 18-21. Les conservateurs, eux, prôneraient plutôt un retour au génie français.
63 P. Arnaud, Le Militaire, l’écolier, le gymnaste, op. cit., p. 27.
64 Ibid., p. 115-206.
65 Ibid., p. 28-84 et 121-172.
66 PVCM, 1882, 22 mars.
67 C. Digeon, La Crise allemande de la pensée française, op. cit., p. 363.
68 J.-M. Mayeur, Les Débuts de la IIIe République, op. cit., p. 22.
69 Napoléon III avait tenté une réforme de la conscription après 1866 : la loi Niel de 1868 reprend pour l’essentiel les dispositions de la loi de 1832, avec quelques modifications dans le sens d’une généralisation du service militaire. J.-J. Becker et S. Audoin-Rouzeau, La France, la nation, la guerre, op. cit., p. 41-51.
70 Cité par J.-M. Mayeur, Les Débuts de la IIIe République, op. cit., p. 21.
71 Idem.
72 Idem.
73 P. Arnaud, Le Militaire, l’écolier, le gymnaste, op. cit., p. 104. P. Arnaud parle à ce sujet de « nationalisation » des masses, empruntant l’expression à G. L. Mosse.
74 C. de la Barrière et L. Mocquant, NCMP. 1884, op. cit., p. 67-68.
75 PVCM, 1883, 11 juin.
76 L. Murard et P. Zylberman, L’Hygiène dans la République, op. cit., p. 41.
77 P. Zylberman, L’Hygiène dans la République 1877-1916, thèse pour le doctorat ès lettres et sciences humaines, université Paris VII Denis Diderot, p. 583.
78 Ibid., p. 566.
79 J. Verne, Les Cinq cents millions de la Bégum [1879], Paris, Flammarion, 1994.
80 Le thème de l’espion s’introduisant au cœur de la puissance militaro-industrielle allemande pour y détruire une arme diabolique a de beaux jours devant lui. Il est par exemple repris en 1917 par G. Leroux. G. Leroux, Rouletabille chez Krupp [1917] dans Les Aventures extraordinaires de Rouletabille, t. 2, Paris, Robert Laffont, 1988, p. 3-120.
81 L. Murard et P. Zylberman, Le Petit Travailleur infatigable, Paris, La Découverte, 1980. Les auteurs mobilisent le roman de J. Verne dans le cadre d’une analyse du contrôle des ouvriers de l’industrie par la cité hygiénique ou autrement dit de l’élaboration d’une « eugénique de la force de travail ». Voir p. 105.
82 J. Verne, Les Cinq cents millions de la Bégum, op. cit., p. 31-32.
83 Ibid., p. 32.
84 Cet honneur ne se regagnera d’ailleurs pas dans l’aventurisme militaire mais dans le travail : pour Bruckmann, « C’est l’affaire de la jeunesse française […] de réparer les fautes de ses pères, et c’est par le travail seul qu’elle peut y arriver. » Ibid., p. 20. Sur ce point, Verne est d’accord avec les représentants de l’Ordre moral. P.-P. Sagave, 1871. Berlin-Paris, op. cit., p. 32.
85 J. Verne, Les Cinq cents millions de la Bégum, op. cit., p. 32.
86 Ibid., p. 40.
87 Ibid., p. 35.
88 Ibid., p. 78.
89 Ibid., p. 109-110.
90 A. Carol, Histoire de l’eugénisme en France, op. cit., p. 141-142.
91 A. Béjin, « Le sang, le sens et le travail : Georges Vacher de Lapouge darwiniste social fondateur de l’anthropologie », Cahiers internationaux de sociologie, vol. LXXIII, 1982, p. 323-343. Citation p. 327.
92 Vacher de Lapouge, lui, distingue nettement « race » et communauté nationale. Ibid., p. 329.
93 A. Carol, Histoire de l’eugénisme en France, op. cit., p. 142-145. Voir aussi J. Léonard, « Eugénisme et darwinisme. Espoirs et perplexité chez les médecins français au xixe siècle et au début du xxe siècle », Y. Conry (dir.), De Darwin au darwinisme, science et idéologie, Paris, Vrin, 1983, p. 187-208. J. Léonard souligne que les médecins et hygiénistes français sont très réservés quant aux théories évolutionnistes d’inspiration darwinienne.
94 D. Pasquet, « Le développement de Londres. (Second article) », Annales de géographie, vol. 8, 1899, p. 22-48. Citation p. 47.
95 J. Jolly (dir.), DPF, t. II, op. cit., p. 784-785.
96 RDCM, 1893, n° 22.
97 A. Béjin, « Le sang, le sens et le travail », op. cit., p. 325.
98 P. Ory, « Le Grand Dictionnaire de Pierre Larousse », P. Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, t. I : La République, Paris, 1984, p. 229-146. Voir p. 246.
99 V. Berdoulay, La Formation de l’école française de géographie, op. cit., p. 22.
100 Avec Jean Macé, le fondateur de la Ligue de l’enseignement, Jules Verne est l’un des collaborateurs du Magasin d’éducation et de récréation, journal de toute la famille, lancé dans les années 1860 par l’éditeur Hetzel afin de répandre l’intérêt pour la science, en particulier chez les jeunes, grâce à des récits populaires de science fiction. Ibid., p. 78.
101 « Les espaces libres dans les grandes villes. Conférence faite au Musée social en février 1909 par Georges Risler », MDMS, 1910, p. 353-372.
102 Ibid., p. 372.
103 C. Gide, préface à G. Benoit-Lévy, La Cité-Jardin, Paris, Henri Jouve éditeur, 1904, p. III. C’est moi qui souligne.
104 J.-J. Becker et S. Audoin-Rouzeau, La France, la nation, la guerre, op. cit., p. 237-242.
105 G. Risler, « Les plans d’aménagement et d’extension des villes », MDMS, 1912, p. 301-351. Citation p. 302.
106 P.-P. Sagave, 1871. Berlin-Paris, op. cit., p. 120.
107 V. Berdoulay, La Formation de l’école française de géographie, op. cit., p. 22.
108 C. de la Barrière et L. Mocquant, NCMP. 1884, op. cit.
109 C. de la Barrière et L. Mocquant, Le Nouveau Conseil municipal de Paris. Biographies et programmes. Élections partielles de 1886 (désormais NCMP. 1886), Paris, E. Dentu libraire-éditeur, 1886, p. 48-52.
110 C. de la Barrière et L. Mocquant, NCMP. 1884, op. cit., p. 147.
111 Ibid., p. 137.
112 C. de la Barrière et L. Mocquant, NCMP. 1886, op. cit., p. 52.
113 PVCM : 1885, 28 et 30 janv. ; 1886, 7 et 28 juil., 22 oct., 15 nov. et 23 déc.
114 PVCM, 1883, 11 juin.
115 J. Flourens, Les Fortifications de Paris, op. cit.
116 C.-E. Curinier, Dictionnaire national des contemporains (désormais DNC), t. IV, Paris, Office général d’édition, 1898-1905, p. 223-224.
117 A. Robert, E. Bourloton et G. Cougny (dir.), DPF, op. cit., t. 3, p. 300.
118 « Paris 12 novembre », La République française, 13 nov. 1883.
119 « Les fortifications de Paris », La Lanterne, 21 av. 1884.
120 Il ne s’agit pas de la zone de servitude, propriété de particuliers, mais de l’espace occupé par l’enceinte, qui appartient à l’État.
121 P. D., « Les fortifications de Paris et la question du Champ de Mars », La Justice, 21 fév. 1885.
122 M.-J. Dumont, Le Logement social à Paris. 1850-1930, Liège, Margada, 1991, p. 18.
123 « Informations », L’Intransigeant, 22 fév. 1885. Les édiles partisans de la suppression de l’enceinte voient aussi dans cette mesure un moyen de résoudre la « question des loyers » (voir chapitre II).
124 Il s’agit là encore de l’espace occupé par l’enceinte et non de la zone.
125 Le Matin, 24 fév. 1885, p. 3, sans titre.
126 Notation figurant sur chaque numéro.
127 Voir l’éditorial du 24 février 1885.
128 J. Ozouf, « Les statistiques de l’enseignement primaire au xixe siècle », Pour une histoire de la statistique, Paris, INSEE/Economica, 1987, p. 139-154. Voir p. 145-146.
129 L. Murard et P. Zylberman, L’Hygiène dans la République, op. cit.
130 E. Kalff, « Logements insalubres et sensibilisation à l’hygiène. Paris 1850-1880 », Annales de la recherche urbaine, n° 33, 1987, p. 97-104. Citation p. 100.
131 Idem.
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