Chapitre IX. Le bon gouvernement est-il lié à la santé du prince ?
p. 275-302
Texte intégral
« Il fut privé de son père dès son plus jeune âge et, presque durant toute son enfance et sa jeunesse, éprouvé par diverses maladies persistantes, si bien que, faible d’esprit comme de corps, on le jugea inapte, même à un âge plus avancé, à toute fonction publique et privée1. »
1Cet extrait de la Vie de Claude par Suétone rend particulièrement bien compte de la prise en considération de la santé dans l’exercice des fonctions du pouvoir chez les Romains. Mommsen, déjà, dans son Droit public romain2, émettait l’hypothèse que, sous la République, seul un homme apte au service militaire l’était probablement aussi aux fonctions de magistrat. Pourtant, il a été possible d’établir que des êtres physiquement diminués avaient sans doute occupé certaines charges, ce qui laisse présager que le lien entre santé, aptitude physique et exercice du pouvoir est encore plus ténu que ce que pouvait laisser envisager la proposition du grand historien allemand, notamment si l’on considère le fait que les magistrats étaient, dans le cadre de leurs fonctions, amenés à exercer des charges religieuses, pour lesquelles le débat sur l’exigence de l’intégrité corporelle de l’officiant reste ouvert. Pourtant, des auteurs comme Tacite, Suétone, Dion Cassius, ou bien encore l’auteur de l’Histoire Auguste dépeignent parfois le portrait d’empereurs souffrants, malades, invalides, voire perçus comme ayant perdu la raison. Or, le physique du princeps n’est pas celui d’un simple citoyen. Le prince a un corps exceptionnel par la place qu’il occupe dans la vie de la cité : celle de premier des citoyens. Dans ces circonstances, un corpus sain (et donc un esprit sain !) est-il la condition d’un bon gouvernement ? À la lecture de l’œuvre de Suétone, les Vies des Douze Césars, il semble que la question mérite d’être posée. L’image d’un princeps en bonne santé semblant aller de pair avec celle d’un gouvernement équilibré tandis que la maladie n’est pas sans évoquer, dans le souvenir collectif, la représentation des mauvais empereurs, bien souvent présentés comme fous. Ici, il sera question d’étudier la mise en relation faite par cet auteur du iie siècle entre l’exercice du pouvoir et l’état pathologique de son détenteur. Le prince peut-il être malade ? Quel impact la maladie peut-elle avoir sur la gestion de l’empire ? Et surtout, comment est-elle perçue ? Il s’agira, par le biais de l’évocation de cas précis, comme celui de Claude, d’envisager les perceptions et les représentations qui découlent du lien pouvoir/atteinte physique au sein des écrits de Suétone. Du point de vue de la méthode, la question n’est pas non plus sans intérêt. Interdisciplinaire par excellence le domaine de l’étude de la maladie et de son impact au cours du temps implique la collaboration de disciplines très variées qu’il faut faire dialoguer (histoire, archéologie, anthropologie historique, médecine…). Quel crédit accorder à la littérature ancienne dans la description des pathologies ? Peut-on réellement utiliser les symptômes décrits pour procéder à des diagnostics rétrospectifs et opérer ainsi un transfert des signes anciens vers la nosologie contemporaine et ce de façon pertinente ? Dans ce domaine, les obstacles et les contradictions ne manquent pas et on ne peut les ignorer sous peine de fausser les interprétations ; cependant, la collaboration, bien que parfois difficile, reste la clef pour éclairer d’un jour nouveau certains pans de l’histoire médicale.
L’établissement d’un lien entre corps social et atteinte physique : le mythe de l’empereur fou
La césarite, une maladie du pouvoir ?
2À partir du xixe siècle, la santé des princes a commencé à susciter la production de divers travaux fortement influencés par les portraits particulièrement négatifs dressés par certains auteurs anciens concernant les empereurs et notamment Suétone. Ces écrits ont, pour la plupart, tenté d’établir un lien entre le pouvoir et la folie supposée de quelques princes. Si l’on suit l’analyse de R.-F. Martin3, c’est F. de Champagny qui, en 1841, fut l’un des premiers à se pencher sur l’étude psychopathologique du princeps dans un ouvrage intitulé Les Césars où il émet l’hypothèse selon laquelle les troubles observés chez les premiers empereurs étaient sans doute liés à l’importance démesurée du pouvoir qui leur était dévolu4. Ce thème fut par la suite relayé par des médecins effectuant des recherches en histoire. C’est au sein de travaux menés sous la direction du Pr Lacassagne que naquit la notion de « césarite5 ». L’exemple le plus significatif de ces considérations est fourni par la thèse de M. Beaujeu, soutenue à Lyon en 1893, et dirigée par le Pr Lacassagne dont le titre est Psychologie des premiers Césars6. Son diagnostic est sans appel : les Césars souffraient bien de césarite. Cependant, la méthode utilisée n’est pas exempte de tout reproche. Des erreurs factuelles y sont non seulement présentes mais, en plus, cet auteur ne base son argumentation que sur des citations de Suétone ! Or, comme nous le verrons par la suite, si Suétone est une source remarquable, à bien des égards (dans sa construction même, son projet) en ce qui concerne l’histoire de l’Antiquité, elle mérite cependant d’être confrontée à d’autres documents, puisqu’on sait aujourd’hui qu’elle est porteuse de présupposés et de biais.
3Pour d’autres, la folie supposée des princes était plutôt à rechercher auprès de facteurs comme l’hérédité ou la consanguinité. C’est l’hypothèse développée, par exemple, par F. Kangiesser dans un article de 1914 portant sur la pathographie des Julio-Claudiens7. Ce thème de la santé des Césars a continué de susciter l’intérêt des chercheurs tout au long du xxe siècle, et c’est probablement le cas de Caligula qui a fait le plus couler d’encre. Sa « folie » a été l’objet de nombreux débats et de suppositions notamment concernant la nature exacte de la pathologie qui aurait pu le toucher. Les articles ou chapitres d’ouvrages relatifs à la question sont nombreux. R.-F. Martin donne l’exemple de L. Quidde qui a « fourni un essai sur Caligula nourri de références opportunes aux textes anciens, mais il s’est contenté de relever les traits qui marquent l’incohérence et la cruauté de Caligula et il conclut à la démence de ce princeps sans jamais rechercher dans la mentalité du ier siècle, les motivations possibles de certains actes étranges8 ». Les études à propos de cet empereur se sont succédé au cours des décennies passées et constituent encore un sujet d’intérêt pour l’histoire médicale, les chercheurs ne parvenant pas à se mettre d’accord sur un diagnostic9. Dans ce contexte, que penser de cette notion de césarite ? M. Grmek10 a émis l’hypothèse selon laquelle les crises convulsives qu’auraient connues César à la fin de sa vie ne seraient pas nécessairement épileptiques mais pourraient être de type hystérique11 : « comme en eurent de grands personnages de l’Histoire qui avaient un désir de puissance extraordinaire (Alexandre le Grand, Napoléon Ier) quand leur volonté se heurtait à une réalité contraire ». Cependant, il n’est pas question de césarite, tout au plus, d’un trouble intermittent causé par la soif de pouvoir. En réalité, les études menées ces dernières années (notamment par R.-F. Martin12) ont largement rendu caduque la notion de césarite. M. Coltelloni-Trannoy13 résume clairement la situation : « De nos jours, une tendance semble l’emporter dans le milieu des historiens excluant de voir dans ces cas de folie l’expression de pathologies réelles, mais plutôt la forme hautement diffamatoire d’une entreprise de disqualification politique, orchestrée par le milieu sénatorial14. » Le but ici n’est pas de procéder à la réhabilitation de Caligula et de prétendre que son comportement était complètement normal, mais simplement de démontrer l’inexistence de la césarite, et, au-delà, de voir en quoi la détermination de la nature exacte de la pathologie dont pouvait souffrir ce prince n’a que peu d’impact dans les considérations sur les liens entre corps, santé et pouvoir à Rome, dans la mesure où, de toute façon, celle-ci n’aurait peut-être pas été identifiée par les Anciens comme une maladie ou comme un vice. La plupart des travaux défendant la notion de césarite, ou au moins de dégénérescence des Césars, se sont appuyés sur l’œuvre de Suétone pour essayer de prouver leurs théories. C’est pourquoi nous nous proposons de réexaminer la méthode utilisée par cet auteur pour la composition de ses Vies afin de montrer qu’il cherchait bien à associer folie du prince et mauvais gouvernement.
Suétone comme propagateur du mythe de l’empereur fou
4Les travaux défendant la théorie des empereurs fous ne fondent, en général, leur propos que sur l’utilisation des sources littéraires et, en particulier, par l’usage des écrits de Suétone. Ces écrits sont un révélateur intéressant d’une faille méthodologique importante dans la menée des recherches : l’utilisation parfois exclusive (ou presque) d’une source unique. Cette démarche a, sans aucun doute, occasionné des tentatives de diagnostics rétrospectifs15 vouées à l’échec car tributaires d’une opinion dont l’objectivité peut être remise en question. M. D. Grmek, déjà, dans son ouvrage Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, avait souligné le caractère délicat de cette pratique16 ; il a été suivi depuis par A. Karenberg et F. P. Moog qui mettent en garde sur les méthodes à suivre lorsqu’il est question de diagnostic rétrospectif17. Dans un article de 2004, ces deux auteurs montrent, de façon assez convaincante, en quoi les efforts de certains auteurs pour répondre à des questions comme « qu’est-ce qui a réellement tué Mozart ? », « de quel mal souffrait Alexandre le Grand ? », n’avaient que peu de valeur informative d’un point de vue historique, et leur faisaient encourir le risque de sortir du champ de la littérature scientifique pour tomber dans le sensationnel18. Il est également reproché aux praticiens du diagnostic rétrospectif un manque de rigueur, voire une sous-utilisation des sources anciennes au profit d’une surreprésentation des articles médicaux traitant de la pathologie que l’on souhaite attribuer à un illustre malade19. Le fil rouge choisi pour cette démonstration concerne le personnage d’Alexandre, sur le cas duquel les auteurs s’appuient afin de mettre en lumière les divers écueils que peut rencontrer le diagnosticien et sur lesquels certains ne manquent pas de buter. L’un des reproches fait par A. Karenberg et F. P. Moog touche au manque de prise en considération de facteurs comme la subjectivité des sources anciennes. L’auteur est-il favorable ou non au personnage décrit ? Cette question n’est pas toujours posée et les traits physiques mentionnés dans les sources sont utilisés tels quels comme des données strictement objectives, ce qu’ils ne sont pas. De même, très peu d’attention semble parfois prêtée à l’époque de rédaction des textes. A. Karenberg et F. P. Moog soulignent que des documents de quatre cents ans postérieurs à la mort d’Alexandre sont utilisés pour opérer un diagnostic rétrospectif sans mise en garde de méthode20. Les problématiques sont les mêmes lorsqu’il est question des images. Les représentations ne sauraient être confondues avec des photographies ou des reproductions fidèles du sujet. Les données physiques ou symptomatiques fournies par cette documentation21 ne peuvent être objectivées, elles sont foncièrement subjectives que ce soit en raison du sentiment personnel de l’auteur antique ou de la tradition véhiculée par les sources d’informations qu’il a utilisées pour écrire son ouvrage. La description et la représentation que l’on se faisait des grands hommes, c’est particulièrement vrai pour les princes, ne sont que des constructions émanant de diverses instances (le palais, les organes d’une opposition éventuelle…) et dont le corps ou le psychisme sont des éléments à part entière. Par conséquent, les sources ne peuvent être lues comme des dossiers médicaux de patients contenant une liste de traits physiques et/ou de symptômes observés, décrits et consignés par le regard objectif du clinicien. Ni Tacite ni Suétone ne font œuvre de médecine, il ne s’agit pas pour eux de dresser le « carnet de santé » des empereurs. Leurs descriptions du corps des princes ne visent qu’à étayer une position sociale et politique. Le danger consiste à appliquer au monde antique les méthodes du diagnosticien contemporain, car, de toute évidence, il ne peut opérer avec un cas romain comme il le ferait avec un patient d’aujourd’hui. Comment diagnostiquer une pathologie sur un patient que l’on n’a jamais vu ? Peut-on réellement se fier à des descriptions faites dans un contexte non médical, par des auteurs qui, bien que cultivés, ne sont pas des hommes de l’art, et qui sont manifestement influencés dans leur écriture par la tradition ? Sans compter qu’il est impossible de vérifier l’exactitude de telle ou telle hypothèse, on peut multiplier les diagnostics, certains caractères décrits pouvant s’appliquer à une multitude de pathologies. Ainsi, il est régulièrement possible de trouver, à l’issue du diagnostic différentiel, plusieurs explications aux symptômes d’un personnage donné. Caligula en est un exemple parmi d’autres, puisqu’on lui a attribué une épilepsie du lobe temporal (syndrome de Geschwind notamment)22, un dérèglement de la glande thyroïde23, des psychopathies, comme la schizophrénie, ou au moins un état schizoïde24, et bien d’autres choses encore. Ce genre de débat reste difficile à trancher, il est ardu de donner la préférence à une maladie plutôt qu’à une autre, des causes différentes pouvant engendrer des effets similaires25. Les découvertes médicales des xixe et xxe siècles ne font, dans ce domaine, qu’accroître les hypothèses possibles26. Le procédé n’est pas sans intérêt, cependant il se doit d’éviter certains pièges. Le premier étant de ne pas plaquer les méthodes et les perspectives du praticien contemporain sur les réalités de l’Antiquité. Le second est que le diagnostic rétrospectif ne peut pas, et ne doit pas, se cantonner à l’usage d’une source. Les chances de réussir un diagnostic rétrospectif sont d’autant plus importantes si l’on entreprend de confronter les différents types de documentation entre eux. Si l’on considère avec attention l’œuvre de Suétone, on se rend compte qu’il est très difficile d’opérer des diagnostics rétrospectifs uniquement à partir de celle-ci. J. Gascou, dans sa thèse27, a clairement décrit les mécanismes de composition utilisés par l’auteur des Vies des Douze Césars. Dans chacune de ces Vies, l’auteur donne un portrait du physique et de l’état de santé global du César dont il est question ; cette démarche n’est pas commune, semble-t-il, chez les historiens et les biographes de l’Antiquité. C’est l’observation de cette pratique qui met sur la piste : Suétone n’est, en réalité, pas objectif dans le portrait qu’il dresse des Césars, la manière dont il compose ses descriptions et aborde la santé des empereurs n’est en fait qu’un artifice parmi d’autres pour faire passer une idée au lecteur ; comme le sont également le découpage des Vies en species (c’est-à-dire « rubriques ») ou encore le biais « de la crise » attribuée aux « mauvais princes », la plupart d’entre eux ayant un début de règne acceptable, voire brillant, puis une « crise » vient marquer la transformation du princeps en tyran. J. Couissin et E. C. Evans28 ont émis l’hypothèse que Suétone aurait eu recours à la physiognomonie29 pour construire ses esquisses du physique des princes. Si J. Gascou a largement contredit cette idée30 d’une intention délibérément physiognomoniste de l’auteur, il est incontestable, cependant, que celui-ci a un souci de caractérisation morale de ses sujets à travers l’ébauche de leur portrait physique31. Il cherche à créer une impression d’ensemble en sélectionnant quelques traits, ce que J. Gascou nomme « impressionnisme », son objectivité n’est qu’affectée. Pour chaque empereur, Suétone énumère les bonnes actions comme les mauvaises donnant l’impression de ne jamais prendre parti. En réalité, la façon dont il organise ses rubriques, tantôt positives tantôt négatives, le choix qu’il fait de relater certains faits et d’en passer d’autres sous silence conduit le lecteur à se ranger à l’avis de l’auteur. Une opinion qui était largement tributaire d’une tradition sénatoriale ayant jugé les empereurs en fonction de leurs relations avec le Sénat. En définitive, il n’était probablement pas question de décrire une véritable pathologie clinique relevant du domaine psychologique mais plutôt d’user d’un procédé littéraire pour accréditer l’idée antique, déjà développée chez Platon, de l’existence d’une analogie fonctionnelle entre le corps physique et le corps social32. Suétone a sans doute recours à la laideur et à la faiblesse de la santé, voire à la folie, pour dénoncer les actions des mauvais princes et le risque de contamination dont ils sont porteurs pour l’ensemble de la société33. Le corps du prince n’est pas neutre, c’est celui du premier des citoyens, il s’agit d’un corps exceptionnel dont dérive, selon J. B. Meister34, sa charis. Si l’on voulait rendre moins estimable le prince romain, il fallait donc faire de son enveloppe charnelle un objet de critiques. C’est ainsi qu’il convient de lire les species relatives au corps des empereurs au sein de l’œuvre de Suétone et, notamment, en ce qui concerne les mauvais princes. La folie et la dégradation corporelle de certains principes ne sont en fait que des procédés de suggestion dans le cadre de la description d’un régime tyrannique comme l’exposait Platon : à un mauvais gouvernant35, correspond une cité médiocre. C’est ce qu’a clairement démontré M. Coltelloni-Trannoy en insistant sur le fait que le thème participe à la disqualification du prince honni. Les images relatives à la folie ont répondu au silence et à l’invisibilité qu’imposaient les procédures officielles d’abolitio memoriae. Cette nouvelle personne impériale se substituait à celle du bon souverain qu’avait voulu construire le prince de son vivant. La folie impériale symbolisait le pouvoir tyrannique en l’associant au monstrueux, au non-humain36. L’exemple le plus évident de cette pratique chez Suétone est la description faite de Caligula, bien qu’elle semble en partie reprise de Sénèque37. Le jeune prince est décrit sous les traits d’un vieillard. Il est aussi animalisé (notamment assimilé à une chèvre). Il a le teint livide, le corps velu, mal proportionné, les jambes grêles, les yeux enfoncés, les tempes creuses, le cheveu rare, le sommet du crâne chauve. Sa santé est décrite comme mal équilibrée au physique comme au moral, il était sujet à des attaques d’épilepsie dans son enfance, puis à des défaillances ponctuelles qui l’empêchaient de se soutenir. L’auteur avance aussi qu’il s’était aperçu de son désordre mental dont on croyait sa femme, Caesonia, en partie responsable par l’administration d’un philtre qui finit de le rendre fou38. S’il correspond à l’attitude morale du prince décrite par Suétone, cet aspect ne concorde en rien avec celui qu’il a dans la statuaire. On peut toujours avancer que la beauté des statues de Caligula n’est que le fruit de l’idéalisation plastique de rigueur à cette époque39. Le problème a une portée politique, sociale et idéologique. À ce moment, le discours impérial met le corps du prince au cœur des pratiques de légitimation, sa valorisation (esthétique ou morale) peut expliquer, a contrario, la dénonciation des vices, maladies et corruptions en tout genre40. La prudence veut, peut-être, que nous adoptions une position à mi-chemin en pensant que Caligula n’était probablement pas aussi laid (et donc aussi fou ?) que Suétone le laisse à penser, mais certainement pas aussi beau que ses statues. Quoi qu’il en soit, il semble que le portrait dressé par cet auteur relève d’une tradition plutôt politique, philosophique et littéraire que réellement médicale. L’exemple de Néron est lui aussi assez significatif et peut sans difficulté être associé au portrait de Caligula.
« Sa taille approchait de la moyenne ; son corps était couvert de taches et malodorant ; sa chevelure tirait sur le blond ; son visage avait de la beauté plutôt que de la grâce ; ses yeux étaient bleuâtres et faibles, son cou, épais, son ventre, proéminent, ses jambes, très grêles, sa santé robuste : en effet, malgré ses débauches effrénées, en quatorze ans il ne fut malade que trois fois, encore sans être obligé de s’abstenir de vin ni de renoncer à ses autres habitudes [… ]41. »
5Les deux jeunes princes sont dépeints à la fois comme des vieillards et comme des monstres42 réunissant tous les traits physiques qui répugnaient dans la société d’alors. Caligula est chauve, pâle, mal proportionné, mal conformé, a les jambes grêles, un visage affreux ; tandis que Néron est couvert de taches (corpore maculoso), il sent mauvais, a les yeux clairs et la vue faible43, un gros corps sur des jambes maigres. Cependant, pour tous les deux, ces détails de laideur sont complétés par quelques aspects positifs qui, toutefois, ne contrebalancent en rien l’image d’effroi suscitée par ces descriptions. Caligula a la taille haute et est assez résistant à la fatigue. Néron a un visage qui n’est pas dépourvu de beauté et possède une santé robuste. Faut-il voir là une allusion aux débuts prometteurs des deux empereurs ? Le même procédé littéraire décrit précédemment serait-il ici utilisé, mais avec l’effet inverse ? Cela reste difficile à dire, à moins que l’incohérence du portrait ne contribue encore à renforcer le caractère hybride et monstrueux du prince44. Le procédé n’est pas exclusif de l’œuvre de Suétone, Tacite se prête également à cet exercice de caractérisation à propos d’un Tibère vieillissant45.
« Il y avait des gens pour croire que, dans sa vieillesse, son aspect physique lui causa aussi quelque honte ; de fait, il avait une haute taille grêle et courbée, le sommet du crâne chauve, la face rongée d’ulcères et souvent couverte d’emplâtres. D’autre part, dans sa retraite de Rhodes, il s’était accoutumé à fuir les réunions et à cacher ses plaisirs46. »
6Nos deux jeunes princes étaient déjà décrits comme des vieillards, leurs caractéristiques se retrouvent aussi chez certains empereurs vieillissants. Là encore, sont principalement visés des principes dont la tradition n’a pas gardé un écho particulièrement favorable. Tacite ne laisse pas transparaître une opinion très positive de Tibère tout au long des Annales47. Comme pour les princes plus jeunes, les défauts physiques sont associés à des défauts moraux (vices, débauches…). Ce constat est encore confirmé à la lecture, chez Suétone, des portraits de Galba48 et de Domitien49. Chez les empereurs vieillissants aussi la laideur morale s’associe à la laideur physique qui rassemble toujours les mêmes caractères (calvitie, obésité, jambes grêles…). Par le biais de caractéristiques ou d’altérations physiques particulières, on parvient à souligner une déviance du prince. Ainsi, les difformités engendrées chez Galba par la goutte alors considérée comme la maladie des abus par excellence50. De ce point de vue, les descriptions physiques des empereurs relèvent bien de la construction morale visant à caractériser le mauvais prince, le mauvais gouvernement se reflétant dans l’aspect dégradé de son corps. On peut y lire, en négatif, quelles devaient être les qualités du bon princeps à l’instar de l’idéal décrit par Sénèque51 et qui suscite la fidélité, et le dévouement de ceux qu’il gouverne. En définitive, les descriptions du corps du prince qu’offre la littérature latine sont à considérer de manière prudente et leur utilisation en tant que données objectives pour reconstruire la morphologie d’un empereur, ou déterminer avec précision les affections qui pourraient l’avoir frappé, est extrêmement délicate. Si l’on ne peut exclure l’hypothèse de troubles psychologiques avec, éventuellement, manifestation physique chez certains princes, le témoignage de Suétone sur ceux-ci est tout de même à nuancer dans la mesure où cet auteur semble être l’héritier d’une tradition politico-philosophique et littéraire qui tend à assimiler la santé52 au bon gouvernement. Néanmoins, les Vies des douze Césars ne sont pas un ouvrage totalement dépourvu d’intérêt pour qui s’intéresse au corps et à la santé des princes. Suétone a amassé une quantité importante d’informations dans ce domaine : si certains traits ont été déformés dans le but d’obtenir une adéquation entre le corps du prince et la perception du gouvernement dans la tradition sénatoriale, il est incontestable que la confrontation avec le reste de la documentation en confirme d’autres. Pourtant, il n’est, en général, pas directement question de l’impact que pouvaient avoir les défaillances des princes sur la gestion de l’empire. Le récit reste très descriptif.
Le corps du prince dans la construction d’un discours impérial : entre politique et pathologique
L’empereur et la dignitas en tant que beauté masculine
7Si le mauvais empereur est décrit, dans la tradition littéraire, comme un fou au corps dégradé, atteint dans son intégrité par les mauvaises mœurs de son possesseur, on pourrait s’attendre à ce que, à l’inverse, les princes retenus comme « bons » par la postérité, ou plus généralement, ceux qui n’ont pas fait l’objet d’une condamnation ou de déconsidérations répétées, soient dépeints comme ayant un corps exceptionnel, sain et beau. Or, ce n’est pas nécessairement le cas. Le corps de l’empereur n’est jamais dénué de toute beauté et d’une prestance naturelle. Néanmoins, il n’est pas forcément sain et exempt de toute atteinte corporelle. Ici, et comme cela a aussi été le cas pour les magistrats de la République, il convient de se positionner sur une voie médiane entre le domaine de l’idéal et du conceptuel, ce que devait être, en théorie, le corps du prince, et la réalité, l’aspect réel de celui-ci. Sur un plan théorique, le corps du princeps se devait de répondre à certains critères. Plus que d’être beau naturellement, le corps du citoyen, et a fortiori celui du premier d’entre eux, se devait d’être d’une beauté convenable53, c’est-à-dire en accord avec les règles morales et les convenances sociales54. Il s’agit d’un corps normé, conforme, qui a son decus (de decet : il convient), et ceci non seulement dans son aspect physique mais aussi, de manière plus générale, pourvu des caractéristiques relatives à la parure55, au vêtement56, aux gestes et à la voix, ou bien encore à la démarche57 ; ainsi que le décrit Cicéron dans son traité Les devoirs58. La beauté du citoyen est un tout qu’il qualifie de dignitas et qui le démarque de la femme, de l’esclave ou de l’efféminé qui ne rentrent pas dans les canons de cette beauté convenable. Le corps idéal du citoyen est le fruit d’une construction des représentations sociales de ce qu’il convient d’être. Dans la réalité, le corps du princeps, tout exceptionnel qu’il est dans la théorie n’en demeure pas moins celui d’un être humain frappé par la maladie, l’infirmité et la vieillesse. Or, les défaillances du bon empereur, ou tout au moins de celui qui n’est pas considéré comme un despote tyrannique, ne sont pas stigmatisées avec la même intensité et la même force que celles attribuées aux mauvais princes. À titre d’exemple, les maladies d’Auguste sont mentionnées sans association à de mauvaises mœurs et à un comportement qui risquerait de contaminer le corps social et d’entraver la concordia. Ici, la démarche ne semble pas relever de la même logique que lors des portraits précédemment étudiés, on n’y fait pas état d’un potentiel risque d’extension des atteintes du corps impérial à l’empire qu’il gouverne. L’empereur est affaibli et il se soigne, voilà tout. Il ne souffre pas du même mal que le mauvais prince et son corps, même dégradé par la maladie, semble rester digne, car on ne s’y étend pas plus que nécessaire. Suétone apprend qu’il eut dans le cours de sa vie un grand nombre de maladies graves et dangereuses et qu’il souffrait de maux réguliers qui revenaient à des moments précis (son anniversaire, mais aussi le début du printemps)59.
8Pourtant, son physique ne semble guère avoir été affecté par cette santé défaillante, car contrairement aux jeunes princes honnis et déjà décrits sous l’aspect de vieillards en dépit de leur jeunesse, Auguste, même vieux, n’est pas dépeint comme laid.
« Auguste était d’une rare beauté, qui garda son charme tout le long de sa vie ; cependant, il négligeait toute coquetterie et s’attachait si peu à soigner sa chevelure, qu’il occupait en toute hâte plusieurs coiffeurs à la fois ; quant à sa barbe, il la faisait tantôt tondre, tantôt raser et jusque pendant ce temps il lisait ou même écrivait. Son visage respirait tant de calme et de sérénité, soit dans la conversation, soit lorsqu’il se taisait […]. Ses yeux étaient vifs et brillants ; il voulait même faire croire qu’il y avait dans son regard comme une autorité divine et, quand il le fixait sur quelqu’un, il aimait à lui voir baisser la tête, comme ébloui par le soleil ; mais, dans sa vieillesse, son œil gauche s’affaiblit ; ses dents étaient écartées, petites et irrégulières ; ses cheveux, légèrement bouclés et tirant sur le blond ; ses sourcils joints ; ses oreilles, moyennes ; son nez, bombé du haut et recourbé par le bas ; son teint, entre le brun et le blanc ; sa taille était petite – cependant Julius Marathus, son affranchi et son archiviste, rapporte qu’elle atteignait cinq pieds neufs pouces (1,70 m) –, mais cela ne se voyait point tant son corps était bien proportionné, et l’on ne pouvait s’en apercevoir qu’en le comparant avec une personne plus grande, debout près de lui60. »
9Le procédé littéraire employé ici par Suétone n’est pas foncièrement différent de celui utilisé dans la description des mauvais princes. Simplement, l’effet souhaité est à l’opposé de celui désiré auparavant. Le corps défaillant du prince n’est pas utilisé comme un élément de corruption de l’homme et, au-delà, du corps social qu’il doit protéger, encadrer et guider. Auguste est un prince vertueux, conforme aux attentes de la société dans laquelle il évolue. Les descriptions relatives à sa mauvaise santé ne sont jamais accompagnées d’un commentaire sur les conséquences que la maladie pouvait avoir sur le gouvernement de l’empire ou de l’Vrbs. S’il prend soin de son corps, c’est avec modération, comme il convient. Il n’est pas totalement négligé puisqu’il fait appel aux coiffeurs par exemple, mais il ne tombe pas dans les excès reprochés aux « efféminés », puisqu’il n’a pas recours aux « ressources de l’art » (omnis lenocinii) et que, même lors des moments consacrés à sa personne, il continue à prendre soin de l’empire, comme il le fait de lui-même, en lisant ou en écrivant. Même vieux, il n’a rien de commun avec un Domitien ou un Tibère, sa beauté (forma) traversant les degrés de l’âge en conservant tout son éclat61 ; même âgé il conserve de la beauté, son visage (uultu), dans l’animation comme dans le calme, étant tranquille et serein (tranquillo serenoque). Comme pour les mauvais princes où l’on rencontrait des aspects positifs dans la description, il y a ici des caractéristiques négatives mais qui, cependant, ne contrebalancent pas la tonalité positive globale du portrait. Il était petit (staturam breuem), mais peu importe puisqu’il était bien fait et proportionné (sed quae commodidate et aequitate membrorum occuleretur). Les éléments de la description sont assemblés de manière à faire ressortir le côté positif du princeps62. Là encore, il ne faut sans doute pas prendre ce tableau au premier degré. On utilise le corps du prince dans une entreprise de construction de son identité pour la postérité en étant tributaire d’une certaine tradition sénatoriale. Ces extraits sur la santé et le corps du prince n’en demeurent pas moins intéressants, car ils semblent être aussi le révélateur d’un autre phénomène : le corps d’Auguste, bien que susceptible de susciter le respect car porteur d’une certaine dignitas, reflet de ses vertus, reste le corps d’un homme, certes pas ordinaire, mais tout de même. Il est le possesseur d’une enveloppe charnelle qui peut s’affaiblir en raison de la maladie, avec l’âge63, les accidents et les combats64. En effet, si ce corps de l’empereur peut être qualifié d’exceptionnel c’est par la fonction qu’il occupe et non par ses qualités intrinsèques, ce que souligne, peut-être, Suétone par le biais du discours sur les yeux d’Auguste. L’auteur ne dit pas que les yeux du prince étaient divins, mais que celui-ci voulait le faire croire65. Suétone, en décrivant ses défauts66, déconstruit le caractère exceptionnel qui a pu être attribué à ce corps67, la fonction est extraordinaire, singulière ; le corps de son possesseur reste humain bien qu’on puisse lui concéder telle ou telle caractéristique positive qui accroit sa charis, sa dignitas car, comme l’a formulé P. Gaillard-Seux, la santé du prince, sa bonne condition physique peuvent être une illustration des vertus impériales68. Elle signalait déjà le traitement idéologique fait de la santé et du corps du prince69 par les auteurs anciens. Suétone ne semble pas être le seul à utiliser de tels procédés littéraires. Il n’apparaît pas exceptionnel de rencontrer, dans la littérature latine, l’emploi de la description d’un aspect corporel flatteur du princeps comme reflet de ses vertus, des qualités qu’il sied de posséder à un bon gouvernant.
« Enfin personne jusqu’ici ne s’est rencontré dont les vertus ne fussent gâtées par le voisinage de quelque défaut. Au contraire quel accord et quel concert de toutes louanges et de toute gloire est le lot de notre prince ! Sa gaieté n’enlève rien à sa gravité, sa simplicité à son autorité, sa bonté à sa majesté. Sa force, la grandeur de sa taille, la beauté de sa tête, la noblesse de ses traits, sans compter cette inflexible maturité, sa chevelure qu’une attention des dieux a ornée des marques prématurées de la vieillesse qui ne fait qu’accroître sa majesté, tout cela n’annonce-t-il pas aux quatre coins de l’univers un souverain70 ? »
10Cet extrait du Panégyrique de Trajan est un bon exemple de l’utilisation du corps du prince comme miroir physique de ses vertus, puisque le document appartient bien au registre de l’éloge. Comme pour Auguste, le corps même vieilli ne perd ni de sa dignité, ni de sa majesté. Bien au contraire, celles-ci semblent même encore accrues par la fuite du temps. Sa maiestas est encore exprimée par sa solidité physique, sa vigueur (firmitas), sa taille haute (proceritas corporis). On retrouve le même type de discours chez Marc Aurèle à propos d’Antonin le Pieux71. Comme Suétone à propos d’Auguste, il mentionne le soin accordé à sa personne qui ne relève ni de l’excès, ni de la négligence mais de la modération. Celle-ci est indispensable à la qualification du bon prince, dont son corps même se fait l’écho. Une qualité qui se rajoute à celles de prudence et de tempérance attendues dans le portrait du bon empereur72. Prendre soin de son corps, c’est préserver sa santé et donc faire acte de prudence, de tempérance, en adoptant un mode de vie adéquat, afin de pouvoir continuer à s’occuper de la gestion de l’empire. Le bon gouvernant est aussi celui à qui les dieux ont confié une santé qui lui permet de régner longtemps et d’atteindre la vieillesse, ce qui n’est pas le cas pour les princes décrits comme de jeunes vieillards et des fous. La santé et l’état physique qui permettent de décrire le bon prince ne sont pas l’absence perpétuelle de maladies, de faiblesses ou d’infirmités, mais des caractéristiques ayant trait à ces domaines qui offrent l’occasion de mettre en exergue les valeurs qui définissent le bon gouvernement. En définitive, le corps du prince ne doit pas être parfait. On conforme, dans la littérature mais aussi dans la statuaire, ce corps aux vertus prêtées au prince pour en faire leur manifestation physique. Pour autant, cela ne veut pas dire que les principes devaient jouir d’une intégrité absolue et les mêmes textes qui, d’une part, dressent un portrait flatteur de la vigueur et du physique du prince comme reflet de son bon gouvernement, n’hésitent pas, d’autre part, à faire état des maladies traversées, blessures subies, faiblesses potentielles et ce qu’elles aient des conséquences ponctuelles ou plus durables. Les sources littéraires ne font donc pas, la plupart du temps, une description objective du corps du prince ou de ceux qui aspirent à le devenir. Elles participent à une conception du pouvoir impérial, de ses formes de commémoration et de condamnation de laquelle résulte un « discours impérial » qui n’est pas le produit d’une « idéologie » fabriquée par le palais seul, mais plutôt une forme de dialogue, de négociation entre élites et princes pour une élaboration en partie concertée d’une image idéelle de la figure impériale, tout autant physique que morale. Les princes n’étaient pas des « surhommes » et si une certaine intégrité physique, une robustesse étaient sans doute nécessaires pour assumer le gouvernement de l’empire, ne serait-ce que pour s’arroger l’estime des troupes et les commander, il ne fait pas de doute qu’ils avaient aussi des fragilités qu’ils pouvaient, ou non, tenter de dissimuler. D’après Suétone, Auguste lui-même recourait à des artifices pour cacher certaines faiblesses. Pendant les expéditions qu’il mena en Dalmatie, il reçut des blessures, dont une causée par une pierre qui l’atteignit au genou droit, une autre, par l’écroulement d’un pont et il fut touché à la jambe et aux deux bras73. Ces blessures à répétition semblent avoir été la cause de déficiences à la jambe auxquelles le princeps a tenté de remédier au moyen de sangles et d’éclisses74. Sa taille, nous l’avons dit, n’était pas non plus conforme à la haute stature prisée chez un souverain, ce qu’il compensait par le port de chaussures aux semelles épaisses75. Antonin le Pieux dut, quant à lui, recourir à des artifices pour conserver sa prestance, car voûté par l’âge il utilisait un corset en plaquettes de bois de tilleul pour se maintenir droit76. Les métaphores et constructions littéraires qui assimilaient bon gouvernement et santé et/ou robustesse du corps princier ne peuvent résister à ce que devait être en fait la réalité de ce corps idéalisé sur papier et dans le marbre : dans un contexte ou des hommes occupaient longtemps le pouvoir, ou y parvenaient à un âge avancé, ils ne pouvaient tous, souvent après des carrières militaires bien remplies, être exempts d’infirmités même minimes. En outre, l’origine des faiblesses qui touchaient le corps princier est aussi à prendre en considération, bien que l’importance qu’on y accordait semble également avoir varié en fonction des personnalités. Ainsi, si la goutte de Vespasien77 ne semble pas faire l’objet de critiques particulières, ce n’est pas le cas de celle de Galba qui contribue à le disqualifier pour prendre le gouvernement de l’empire. Le même constat s’impose pour Septime Sévère qui, à un moment où il souffrait de la goutte, avait dû retarder une série d’opérations militaires suscitant la colère de ses armées qui, de dépit, avaient nommé Auguste son fils Bassianus, ne laissant à Sévère d’autre choix que de punir les responsables en leur affirmant que « c’est la tête qui commande et non les pieds78 ». C’est la même assertion qui aurait été reprise au Sénat pour plébisciter l’avènement de Tacite, déjà vieux79. Si l’Histoire Auguste rapporte l’avis d’Hadrien selon lequel un prince se devait de mourir en pleine vigueur et non impotent80, dans la réalité, le princeps n’était sans doute pas toujours conforme à cet idéal du prince bon, beau et vigoureux.
Le cas de Claude
11La figure de Claude mérite que l’on s’y arrête car, dans le souvenir collectif, il est sans conteste demeuré « l’infirme » par excellence de la période qui nous occupe. Comme pour Caligula, un nombre important de chercheurs ont tenté d’établir de quelle(s) maladie(s) cet empereur souffrait. Cette question a longtemps fait l’objet de débats et de nombreuses hypothèses ont été émises. Rappelons, à la suite de R.-F. Martin81, le tableau clinique retenu par les savants pour émettre les différents diagnostics : faiblesse des membres inférieurs responsable d’une claudication82 ; hochements de tête involontaires83 ; troubles de l’élocution intermittents84 ; voix rauque, sourde avec un rire désagréable85 ; écoulements de salive épisodiques86 ; surdité87. L’ensemble de ces troubles se manifestait avec plus d’intensité sous le coup des émotions ou d’une station debout prolongée. Les propositions ont recouvert un champ plus ou moins large de pathologies, l’aspect neurologique ayant très vite été privilégié, allant de l’encéphalite de la petite enfance, à une infirmité motrice cérébrale en passant par le syndrome de Gilles de la Tourette, ou des suggestions liées au crétinisme par exemple. Les hypothèses variant également selon les périodes à laquelle elles étaient formulées88. Cette question semble aujourd’hui résolue. C’est le Pr Grmek qui, à la lecture du manuscrit de la thèse de R.-F. Martin portant sur les Problèmes pathologiques et psychologiques chez les empereurs des dynasties Julio-Claudienne et Flavienne, a énoncé le diagnostic le plus communément admis : Claude aurait souffert d’une encéphalopathie infantile, et plus précisément, d’une maladie de Little89. Cette affection a le mérite d’expliquer tous les traits physiques attribués à Claude par les auteurs anciens. Il s’agit d’un syndrome qui se manifeste dans les premiers mois de la vie chez certains nourrissons nés dans des conditions difficiles, où s’est produit une chute du débit sanguin provoquant des lésions cérébrales plus ou moins importantes qui déterminent l’ampleur de l’infirmité motrice cérébrale. La pathologie se matérialise par des troubles de la démarche, des mouvements incontrôlés et, assez souvent, des problèmes d’élocution et, notamment, une voix saccadée. Dans 80 % des cas, l’intelligence est normale, voire supérieure, ce qui rend compte de l’ensemble des troubles prêtés à Claude dans les sources anciennes. Une seconde hypothèse est celle proposée par B. Levick dans sa biographie de Claude90 : l’empereur aurait souffert de paralysie cérébrale, accompagnée de spasmes. Ces propositions, et notamment l’hypothèse du syndrome de Little, sont tout à fait intéressantes car, comme le souligne R.-F. Martin91, elle a le mérite de résoudre bien des paradoxes relatifs à la perception dont Claude a fait l’objet et particulièrement celui de la description de ce prince comme retardé mentalement, alors que l’on sait par ailleurs qu’il passait aussi pour un grand érudit, historien, auteur de nombreux ouvrages dont une histoire des Étrusques. Cette contradiction trouve une explication chez les spécialistes de la maladie de Little92 qui soulignent le rejet que suscite l’aspect du patient auprès de personnes non prévenues. Les termes utilisés dans les textes latins pour qualifier la prétendue déficience mentale de Claude sont modérés et désignent plutôt un manque d’acuité intellectuelle93. Tacite recourt à hebetus94 ou imminuta mens95 et insiste prioritairement sur une faiblesse de caractère qui en fit le jouet des affranchis et des femmes. Suétone emploie aussi le mot hebetus96 et des termes plus forts comme imbecillitas97 ou stultiorem98 mais qui pouvaient être replacés dans un contexte de colère chez Antonia et de mépris pour Tibère99. Le rejet et l’impression de stupidité pouvaient sans conteste être causés par l’apparence de Claude s’il était bien atteint du syndrome de Little. Il n’est pas question de remettre en cause le sérieux avec lequel a été mené ce diagnostic rétrospectif et la démonstration faite par R.-F. Martin est tout à fait convaincante, d’autant que le syndrome de Little a vraiment l’avantage de concorder avec tous les symptômes physiques prêtés à l’empereur par les auteurs anciens. À mon sens, il faut cependant rester prudent en n’affirmant pas que Claude a souffert d’une maladie de Little, mais qu’il est probable, ou tout au moins plausible, que ce soit le cas. En effet, le portrait de Claude, en particulier sa description physique, comme celui de tous les princes dont il a été question jusqu’ici, a fait l’objet d’un traitement littéraire spécifique. Il ne s’agit en aucun cas de remettre en question le fait que Claude souffrait de déficiences physiques avérées, simplement il appert que, pour ce prince comme pour les autres, les auteurs se sont fait l’écho d’une tradition qui les jugeait à l’aune de leur relation avec le Sénat, se contentant parfois de reprendre les avis émis par les prédécesseurs. Chronologiquement, la première source à nous livrer des détails sur le physique de Claude est Sénèque dans l’Apocoloquintose. L’ennui c’est qu’il s’agit d’un pamphlet, d’une satire directement dirigée contre le princeps qui vient de mourir par l’un de ses détracteurs100. L’ouvrage qui se moque ouvertement de Claude devait, certainement, comme le souligne R.-F. Martin101, comporter un fond de vérité car pour susciter le rire, il faut s’appuyer sur des critères réels en les accentuant. Toutefois, il est impossible de déterminer ce qui relève de la réalité et ce qui appartient au domaine de l’exagération. En outre, il convient de replacer l’opuscule dans son contexte politique. Probablement rédigé peu après la mort de Claude, fin 54 ou au début de l’année 55, le document n’est pas uniquement le témoignage d’un opposant au prince défunt. Sénèque est, alors, le précepteur du jeune Néron, fraîchement parvenu au pouvoir et dont il espère faire un grand empereur par son enseignement et ses recommandations. Il ne s’agit donc pas simplement de décrire un souverain vieux et infirme de façon ridicule, par simple vengeance, et montrer son désaccord avec la divinisation d’un tel homme, mais aussi de marquer une rupture entre le règne d’un vieillard débauché et honni et l’avènement de son protégé, promis à un bel avenir, au gouvernement brillant. La description faite de Claude arrivant chez les dieux est assez dure102. Sénèque construit l’antithèse du bon souverain. S’il commence son portrait en décrivant Claude comme d’une belle taille (bonae staturae), aux cheveux blancs (bene canum), qui peuvent être des caractéristiques du porteur de l’auctoritas, la suite est nettement moins flatteuse et le prince est dépeint comme un monstre, une bête marine103. J. Osgood a montré l’aspect dégradant que pouvait revêtir une telle description de la voix de l’empereur dite confuse et indistincte (perturbato sono et uoce confusa)104; car, toutes les défaillances physiques prêtées à Claude ne sont pas sans conséquence. Au-delà du caractère drôle et moqueur de la satire, il faut entrevoir le message politique sous-jacent. Le personnage décrit n’a aucun contrôle sur son corps qui est agité par des mouvements qu’il ne parvient pas à réprimer, il parle une langue incompréhensible, n’arrivant pas à aligner trois mots105. Or, ces caractéristiques sont réellement problématiques car elles constituent pour Sénèque le moyen de démontrer à quel point Claude était inapte à régner et, en conséquence, à devenir un dieu après sa mort. Les citoyens romains, et en particulier les membres de l’élite qui se destinaient à une carrière politique, se devaient d’être de bons orateurs. Comme nous l’avons vu, les critiques relatives à la voix portent, en particulier, sur le caractère trop efféminé de celle-ci. Chez Sénèque, ce n’est pas le cas, l’auteur se positionne dans un autre registre : il assimile Claude à une bête. Les termes de uox confusa106 utilisés pour qualifier la voix de l’empereur défunt, le sont aussi chez certains auteurs, pour décrire le bruit des animaux107. On va même au-delà de la simple animalisation, puisque quelques lignes plus loin, il est rangé dans le groupe des monstra, désigné comme n’étant pas une créature terrestre (nullius terrestrus animalis). Son aspect est si insolite qu’Hercule lui-même s’interroge : ne lui envoie-ton pas un treizième travail ? Parce qu’il n’est pas capable de se faire comprendre de ses semblables, Claude n’a pas les compétences pour régner, c’est aussi pour cette raison qu’il doit être banni du monde des dieux. S. M. Braund et P. James108 ont établi un lien tout à fait intéressant entre cette image de monstre de Claude dans l’Apocoloquintose et celle de l’homme en colère dans le traité De la colère du même auteur, qui renforce l’idée selon laquelle ce portrait satirique de Claude, à peine humain, sans contrôle sur lui-même avait une portée idéologique bien précise. Comme l’ont noté les auteurs de cet article109, l’homme en colère est aussi assimilé à une bête ou à un monstre et bien des caractères de la manifestation physique de la colère se retrouvent dans le portrait de Claude. Le colérique est caractérisé par des mains tremblantes, des pieds qui frappent le sol, un corps toujours en mouvement sur lequel, de même que Claude, il n’a aucun contrôle. La rage déforme ses traits le rendant hideux, ses lèvres frémissent, sa parole est indistincte, il halète, ce qui l’apparente à un animal110. Comme Claude, l’homme en colère est décrit comme un monstre incapable de se maîtriser111. Or, c’est de la tempérance et du contrôle sur soi-même qui sont attendus d’un bon gouvernant. La colère est un manquement à la vertu, c’est le déchaînement des passions qui s’externalise, rendant celui qui y est sujet monstrueux à l’intérieur comme à l’extérieur112. Un homme ne peut pas gouverner les autres, s’il ne sait pas se régenter lui-même. Cette réduction de Claude à l’archétype du mauvais dirigeant est encore plus flagrante si on replace ces passages au sein de l’œuvre globale de Sénèque. Comme il était possible de mettre en relation l’Apocoloquintose avec le De la colère, le même procédé peut être appliqué au De la clémence113. Si le traité sur la colère, d’ailleurs rédigé pendant l’exil de Sénèque entre 41 et 49, et l’Apocoloquintose mettent en place les jalons de l’assimilation du mauvais prince à l’intempérant, à la bête et à la laideur, adjoints au traité De la clémence, ils permettent de dresser le tableau inverse, celui du bon gouvernant, un être qui forcément excelle dans la modération, la tempérance, ce qui le rend beau physiquement. Sénèque achève de ridiculiser Claude en opposant son image de monstre hideux à celle brillante du beau jeune homme qu’est Néron promis à un règne glorieux, ou du moins il l’espère encore à cette période, grâce à ses enseignements. Néron est alors l’exact contrepied de Claude : jeune, beau, brillant114. Le prince vieux et mauvais est remplacé par un nouveau dirigeant jeune et beau qui doit présider à l’avènement d’un nouvel âge d’or. Dans son pamphlet, Sénèque utilise le corps de Claude dans une perspective politique de condamnation de son règne et d’expression des espoirs qu’il met dans l’avènement de son protégé : Néron qui fut plus tard décrit par Suétone, recourant au même procédé littéraire que celui utilisé par Sénèque à l’encontre de Claude, comme un personnage laid, à l’apparence d’un vieillard alors qu’il est encore jeune115. S’il est peu douteux que Sénèque devait s’appuyer sur des éléments réels dans la description du corps de Claude afin que sa critique puisse porter, ceux-ci ont sans doute été exagérés, tout comme les qualités prêtées à Néron, dans le but d’insister sur la rupture, le contraste entre le passage de celui qui est vu comme le mauvais prince au règne de celui que l’on promet comme un gouvernant admirable. Il apparaît donc relativement difficile de tirer des conclusions sur l’état physique précis de Claude à la lumière des seules informations fournies par Sénèque. Cependant, ces défauts n’ont pas été oubliés par la postérité et ont sûrement servi à l’élaboration, en négatif, de l’image de l’empereur idéal116. Il est tout à fait probable que cette première description qui nous est parvenue du corps de Claude, bien qu’issue d’un ouvrage pamphlétaire, ait influencé les écrits des auteurs postérieurs. Le portrait dressé par Suétone, quelques décennies plus tard, se développe selon une construction assez similaire, le côté satirique en moins.
« Sa personne ne manquait ni de prestance ni de noblesse, quand il était assis ou debout et surtout au repos, car il avait la taille élancée, mais non pas grêle, une belle figure, de beaux cheveux blancs, un cou bien plein ; mais lorsqu’il marchait, la faiblesse de ses jarrets le faisait tituber, et quand il parlait, soit en plaisantant, soit de manière sérieuse, il avait bien des ridicules : un rire désagréable, une colère plus hideuse encore, qui faisait écumer sa bouche largement ouverte, et mouillait ses narines, en outre, une voix bégayante, et un perpétuel hochement de tête, qui redoublait au moindre de ses actes.
Sa santé, autrefois mauvaise, devint florissante après son avènement, quoiqu’il eût des crampes d’estomac, qui lui inspirèrent même, d’après sa propre déclaration, l’idée du suicide117. »
12Comme chez Sénèque, la description de Suétone débute par l’énonciation de caractéristiques plutôt flatteuses qui dénotent une certaine majesté, une part d’auctoritas présente chez ce personnage, ce qui est démenti par la suite du discours. Les traits physiques repris sont les mêmes : mouvements incontrôlés et continuels de la tête ; démarche hésitante ; une voix bégayante. On retrouve aussi l’allusion à l’aspect de l’homme en colère, semblable à une bête, qui écume de rage. Il n’est pas étonnant de retrouver chez Suétone des caractéristiques empruntées à Sénèque puisque c’était déjà le cas pour Caligula118. On peut supposer que le procédé littéraire employé par Suétone dans la construction de ses figures impériales dont les caractères physiques s’accordent avec le bon ou le mauvais gouvernement trouve ses racines dans les jalons posés par l’œuvre de Sénèque qui avait, par le biais de ses traités, défini une image du prince idéal. Représentation sur laquelle Suétone aurait en partie pu se fonder pour dresser les portraits physiques de ses biographies. Les attributs corporels prêtés à Claude par ces deux œuvres, et probablement d’autres qui ne nous sont pas parvenues, ont été relayés par d’autres auteurs. On en retrouve les principaux traits chez Dion Cassius, un siècle après Suétone119. Trois éléments semblent absolument récurrents dans le portrait fait de Claude par les sources littéraires anciennes : le tremblement de la tête ; un trouble de l’élocution, bien qu’on peine à déterminer sa nature avec précision ; et un problème au niveau des jambes l’empêchant de tenir la station debout de façon prolongée, et lui causant des difficultés dans la démarche. D’autres documents délivrent des informations supplémentaires, parfois en contradiction avec la description physique du princeps, dévoilant le caractère ambigu de celle-ci. Tous les auteurs insistent sur les problèmes qui entravent une communication orale fluide et plaisante chez Claude. Ils insistent, en plus, sur le fait qu’en raison de sa condition physique il n’avait pu bénéficier de l’enseignement oratoire qui sied à un jeune Romain de bonne famille, destiné à devoir prendre la parole en public de façon régulière, et qu’il avait été livré aux préceptes d’une brute120. Pourtant, au moins trois occurrences dans les sources lui confèrent certains talents oratoires. On en trouve une première mention chez Tacite qui, alors que Néron ne brille pas par son éloquence lors des funérailles de Claude, rappelle que les discours de ce dernier ne manquaient pas de distinction (elegantiam dissereret)121. Suétone fait, en deux occasions, allusion aux talents d’orateurs de Claude dans des contextes tout à fait différents. Le premier exemple révèle l’étonnement d’Auguste devant les aptitudes montrées ponctuellement par le jeune homme, et manifestement contraires à sa conduite habituelle122. Des propos qui semblent confirmer que les troubles de la parole qui touchaient Claude n’étaient qu’intermittents et ne le gênaient pas forcément pour une prise de parole en public, pourvue qu’elle soit préparée. De la même façon, Suétone rapporte que les chevaliers le choisirent en deux circonstances pour les représenter et parler en leur nom123. Pourquoi choisir un représentant notoirement incapable d’aligner trois mots, alors que l’entourage impérial ne devait pas être totalement dépourvu d’hommes capables de remplir cet office ? Ou le trouble d’élocution dont souffrait Claude n’était-il qu’intermittent et léger, Sénèque l’aurait alors fortement exagéré. L’historiographie124 récente a montré que l’image négative dressée de Claude par les auteurs anciens devait être nuancée et relativisée. Ne peut-il en être de même de sa condition physique et, surtout, du rôle actif qu’on lui a prêté dans la mise à l’écart supposée de Claude durant la première partie de sa vie, avant son accession au Principat ? Doit-on prendre au pied de la lettre ce portrait dévalorisant du prince ? Probablement pas et des études récentes ont corrigé les images d’Épinal circulant à son sujet. L’empereur n’était pas l’homme sans vertu décrit par Sénèque. Comme le rapporte Y. Perrin125, Claude cultive uirtus, pietas (mémoire de sa famille), et constantia ; il respecte la parole donnée et tient la ligne de conduite imposée par sa conscience. Empereur militaire à l’action efficace en Bretagne, Tingitane ou Thrace, c’était aussi un fin politique qui a su gérer l’empire pendant treize ans à tous les niveaux. Sans compter qu’il ne figure pas au rang des mauvais empereurs et sa divinisation ne semble pas avoir rencontré de vive opposition, hormis celle de Sénèque. Il ne s’agit pas ici de contester que Claude a souffert de déficiences physiques, mais de nuancer l’impact attribué à celles-ci sur la place et le rôle joué par celui-ci au sein de la Domus Augusta. En effet, il appert, à la relecture des sources écrites et grâce aux apports de l’épigraphie et de l’archéologie, qu’une importance trop grande a été accordée aux infirmités potentielles dont il souffrait, contribuant à en faire un « cas ». Claude ne correspondait sans doute pas à l’idéal de l’homme romain, ce qui, comme le souligne B. Levick, compte tenu de l’importance que les Romains attribuaient au decorum126, amena la famille impériale à hésiter à laisser le jeune Claude paraître en public127. C’est un point de départ, mais cet isolement prétendu semble devoir être quelque peu relativisé. À ce jour, il me semble que c’est F. Hurlet128 qui a émis les hypothèses les plus pertinentes sur la question, en nuançant d’une part ce rejet accepté de tous, et d’autre part, en introduisant un autre argument que l’invalidité, pour justifier la position en retrait de Claude : sa place dans la dynastie. Claude n’a pas été dépourvu de tout rôle politique uniquement à cause de son corps défaillant. Sur les 56 chapitres qui constituent la Vie de Claude par Suétone, seul un petit nombre relate des faits antérieurs à son principat, alors que celui-ci débute quand il a cinquante ans ! La plupart décrivent ses faiblesses et le manque d’égards pour lui qui en résulte. Si l’on suit Suétone, Claude n’aurait eu aucune importance dans la dynastie avant son avènement en raison de ses infirmités et il en donne pour preuve le contenu d’un échange épistolaire entre Auguste et Livie à propos de la possibilité ou non d’intégrer le jeune Claude à la vie publique de la cité.
« Comme vous me l’avez demandé, ma chère Livie, je me suis entretenu avec Tibère de ce que devait faire votre petit-fils Tiberius pour les jeux de Mars. Nous sommes tous deux d’accord sur la nécessité de décider une fois pour toutes quelle conduite nous devons suivre vis-à-vis de lui, car s’il est normal (holocleros), passez-moi l’expression, “dans toutes les règles”, pour quel motif hésiterions-nous à l’élever en lui faisant franchir les mêmes échelons et les mêmes étapes qu’à son frère ? Si, au contraire, nous jugeons “qu’il lui manque quelque chose (ἠλαττῶσθαι), qu’il ne possède pas toutes ses facultés, soit au point de vue physique, soit au point de vue mental” (βεϐλάϕθαι καὶ εἰς τῆν τοῦ σώματος καὶ εἰς τὴν τῆς ψυχῆς ἀρτιότητα), nous ne devons pas nous exposer, en même temps que lui, aux railleries des gens, “habitués à se moquer et ricaner de pareilles choses” ; car nous flotterons toujours, si nous délibérons à propos de chaque circonstance, “sans avoir par avance établi” si nous le jugeons capable ou non d’exercer les magistratures. Mais, présentement, pour ce qui concerne la question que vous me posez, nous ne nous opposons pas à ce qu’il s’occupe, lors des jeux de Mars, du festin des prêtres, à condition qu’il se laisse diriger par le fils de Silvanus, son parent, qui lui épargnera toute bévue susceptible d’être remarquée et de faire rire. Nous ne voulons pas qu’il assiste aux jeux du cirque dans notre loge, car ainsi exposé au premier rang des spectateurs, il attirera les regards. Nous ne voulons pas qu’il aille sur le mont Albain, ni qu’il soit à Rome pendant les fêtes latines. Pourquoi, en effet, ne pas le mettre à la tête de la ville, s’il peut suivre son frère sur le mont Albain ? Telles sont nos décisions, ma chère Livie, et nous voulons, d’après elles, prendre une bonne fois un parti sur toute cette affaire, pour ne pas être continuellement ballottés entre l’espérance et la crainte. Vous pourrez si vous le désirez, faire lire aussi à notre chère Antonia cette partie de notre lettre. »
13Il écrit encore dans une autre lettre :
« C’est entendu, pendant votre absence, j’inviterai tous les jours à dîner le jeune Tiberius, pour qu’il ne soit pas seul à table avec ses familiers Sulpicius et Athénodore. Je voudrais qu’il se choisît avec plus de soin et moins “d’étourderie” un compagnon dont il pût imiter les gestes, la tenue et la démarche. Le pauvre garçon “n’a pas de chance” ! car, “dans les affaires sérieuses”, quand son esprit n’est pas égaré, on voit suffisamment apparaître “la noblesse de son âme”. Il dit de même dans une troisième lettre : “ma chère Livie, j’ai pu écouter avec plaisir votre petit-fils Tiberius prononcer un discours, et je veux mourir, si je reviens de ma surprise, car je ne vois pas comment il peut, lui qui s’exprime “avec tant de confusion”, dire “nettement” ce qu’il faut, lorsqu’il parle en public”. Il n’y a pas de doute sur la décision que, par la suite, prit Auguste, puisqu’il le tint à l’écart de toute charge, sauf le sacerdoce augural, et même, ne l’institua pas héritier, si ce n’est en troisième ligne, presque comme un étranger, pour un sixième, avec un legs particulier ne dépassant pas huit cent mille sesterces129. »
14Comme l’a avancé F. Hurlet130, une relecture des sources textuelles et la confrontation avec les documents issus de l’archéologie a montré que la famille impériale n’a pas cherché à « cacher » Claude. Dans ses lettres, Auguste semble, à première vue, ne pas vouloir l’impliquer dans la vie politique. Pourtant, si l’on relit plus attentivement le passage en question, on constate que ces écrits ne sont pas si négatifs. En outre, il faut garder à l’esprit qu’on ignore aussi d’où Suétone tire ces lettres supposées du premier princeps et le traitement littéraire qui a pu en être fait131. Il y est plutôt question de guider Claude pour ses premiers pas dans la vie publique sans couvrir la famille impériale de ridicule132, qu’autre chose car on y apprend que Claude n’est pas totalement écarté des tâches officielles. On lui confie l’organisation du repas des prêtres pendant les Ludi Martiales133, il devient augure134, ce qui est loin d’être une charge subalterne comme le laisse entendre Suétone, on lui cherche des modèles susceptibles de lui montrer le comportement qui sied à une personne publique135 ; sous Tibère, il aurait même été choisi en deux occasions particulières par les chevaliers pour les représenter136. Les ornements consulaires lui sont concédés. Enfin, sous Caligula, il devint consul pendant deux mois avec pour collègue le prince lui-même137. Par ailleurs, on sait que Claude organisa des jeux à la mémoire de son père Drusus138. En 8, Auguste fit de même pour son frère Germanicus et lui139. À cela, il faut encore ajouter la présence de Claude dans les groupes statuaires dynastiques de cette époque, et notamment celui de Pavie, disparu aujourd’hui mais dont F. Hurlet a proposé une recomposition tout à fait convaincante140, ce qui constitue la confirmation d’un intérêt pour le jeune homme dès le principat d’Auguste. Il est certes un peu en retrait, moins exposé et sollicité que les autres jeunes hommes de la famille impériale, Auguste ayant, peut-être avant tout, besoin de mettre en avant la bravoure militaire des membres masculins de la Domus Augusta, ce qui n’était pas possible dans le cas de Claude, mais sa condition physique ne l’a pas fait radicalement mettre à l’écart du devant de la scène publique comme Suétone voudrait le faire croire. Sa place dans les stratégies matrimoniales du principat n’a pas été anodine non plus, puisqu’il est successivement fiancé et/ou marié à des jeunes filles de bonnes familles dont l’alliance était utile à la maison impériale141. La place prise par Claude dans la vie publique évolue en fonction de la position occupée dans la descendance impériale. Jusqu’aux années 6/8, Claude ne semble pas avoir d’importance réelle au sein de la famille. Ceci peut s’expliquer, d’une part, en raison de son jeune âge, et, d’autre part, car jusqu’en 4 Auguste a encore des héritiers directs142. C’est lorsque la Domus Augusta se trouve sans héritier qu’Auguste envisage d’autres stratégies. Claude se fait alors plus présent143. En 4, Tibère est adopté par Auguste qui le contraint à faire de même avec Germanicus, fils de Drusus et d’Antonia Minor, et frère aîné de Claude. Ces deux hommes (Tibère et Germanicus) deviennent les héritiers présomptifs de l’empire, ce qui confère à Claude une importance accrue qui se traduit par des honneurs publics, puisque c’est à cette époque qu’il est autorisé à organiser des jeux en hommage à son père (en 6). En 8, le princeps l’associe à son frère dans des jeux qu’il leur dédie. À cette époque, Claude apparaît aussi comme un membre à part entière de la famille impériale dans des groupes statuaires urbains tel celui de Pavie (daté de 7/8). Il devient également augure à la même période. Si la place de Claude n’est pas plus importante, c’est probablement, en partie, en raison du fait que les circonstances ne l’ont jamais placé, sous le règne d’Auguste, en position d’être son successeur. Suétone s’étonne du rang réservé à Claude dans le testament du premier princeps. Pourquoi en aurait-il été autrement ? Ce que Suétone semble considérer comme une mise à l’écart possible, peut aussi être interprété d’une autre manière. Quand Auguste meurt, en 14, il a des héritiers. Tibère peut être envisagé comme un prince de transition avant que le pouvoir ne revienne à Germanicus, son fils adoptif. Or, Tibère comme Germanicus ont des fils naturels. À cette date, la Domus Augusta est pleine de jeunes princes pouvant assurer une succession héréditaire en ligne directe. Cependant, le fait qu’Auguste l’ait fait figurer dans son testament peut aussi être vu comme le fruit de son expérience, lui qui avait successivement perdu ses héritiers (Marcellus, Caius et Lucius), désignant ainsi Claude comme un recours, certes lointain, mais encore possible en cas d’absence d’héritiers mâles pour occuper le pouvoir. Cette hypothèse semble pouvoir être confirmée par le fait que lorsque Tibère décide d’élargir le groupe des vingt et un sodales Augustales, dont la fonction était de présider au culte d’Auguste divinisé, il les rejoint lui-même avec Drusus, Germanicus, mais aussi Claude. Sous le règne de Tibère144, Claude continue à figurer sur certains édifices publics, notamment en tant que frère de Germanicus décédé en 19. Drusus, le fils de Tibère, meurt en 23. À cette date, les enfants de Germanicus et de Drusus étant en bas âge, Claude se retrouve, pour la première fois, le mieux placé sur le plan dynastique pour succéder au princeps. C’est dans le contexte de ces années que F. Hurlet145 propose de replacer une assertion de Livilla à propos de son frère, qui a été présentée par Suétone comme une preuve de rejet et de mépris de la part de sa famille envers Claude.
« Sa sœur Livilla, ayant entendu dire qu’il serait un jour empereur, déplora publiquement et à voix haute que pareil malheur et pareille honte fussent réservés au peuple romain146. »
15Suétone suggère que Livilla souhaitait présenter une telle idée comme inconcevable car absolument ridicule. Mais remise dans le contexte de l’année 23, cette remarque acquiert un sens complétement différent. Claude n’était pas inapte au pouvoir, bien au contraire ; à ce moment-là, il menaçait même l’importance dynastique des enfants qu’elle avait eus avec Drusus le Jeune. Mais Tibère ne meurt qu’en 37, ce qui résout le problème pour un temps. Ce n’est qu’en 37, et en sa qualité d’oncle du princeps que Claude occupa pour la première fois le consulat comme collègue de Caligula, son rôle public est alors accru147. Enfin, en 41 il accède à la tête de l’empire sans qu’aucun document ne stipule que ses infirmités y aient constitué un obstacle. Pour autant, cela ne veut pas dire que Claude n’a pas été l’objet de moqueries et de mépris en raison de sa condition physique. Suétone rapporte qu’il prend la toge virile de nuit, dans la plus grande discrétion, ce qui est contraire aux usages148. Sa propre mère n’aurait pas été tendre avec lui le désignant comme un « avorton simplement ébauché par la nature » ou qualifiant quelqu’un de stupide en le déclarant « plus bête que son fils Claude149 ». Le même auteur rapporte également les plaisanteries dont il a pu faire l’objet à table150. Ces assertions cadrent avec les moqueries destinées aux malades et aux infirmes que l’on rencontre dans les œuvres satiriques. Toutefois, dans le cas de Claude, si on peut croire à la véracité de telles occurrences, il est impossible de déterminer le caractère d’exagération qui a pu leur être conféré. S’agissait-il réellement d’un traitement récurrent, ou Suétone a-t-il fait d’événements isolés des faits habituels ? Il semble étonnant qu’on ait laissé molester de façon coutumière et aussi virulente un membre de la famille impériale. L’insulte d’Antonia a très bien pu n’être prononcée qu’une seule fois, sous le coup de la colère, et avoir été transformée en qualificatif coutumier par l’auteur latin. Que dire du mépris attribué à Livie ? Peut-on penser que Claude aurait divinisé une aïeule qui le traitait aussi mal ? La question est complexe car un tel acte n’est pas uniquement le fruit d’une piété filiale. Les enjeux sont aussi idéologiques. La divinisation de Livie donnait certes une légitimité encore accrue à Claude ; mais il n’en avait peut-être pas nécessairement besoin. Contrairement à Tibère, et de façon plus étroite que Caligula, Claude était apparenté à Auguste par le sang. Il n’avait donc pas de problème de légitimité dynastique qui aurait pu être compensé par l’apothéose de l’Augusta.
16Cependant, il faut reconnaître que les affronts subis par Claude n’ont sans doute pas été uniquement personnels et, sur le plan politique aussi, le mépris à son encontre semble présent. Tibère, bien que l’ayant intégré au groupe des sodales Augustales lui refuse l’accès au cursus honorum et, pire, lui offre, à titre de compensation quarante pièces d’or pour les Saturnales et les Sigillaires151. De même, sous Caligula, il aurait été le dernier des consulaires admis à dire son avis au Sénat152. Au travers de tous les exemples évoqués, l’ambiguïté de la question de l’état du corps de Claude en lien avec la vie publique et le rôle qui lui a été accordé au sein de la famille impériale est prégnante. Si l’on ne peut nier que ses infirmités ont, sans doute, joué un rôle dans la position en retrait qu’il a occupé pendant plusieurs décennies avant son accession au principat et qu’elles expliquent probablement, en partie, le refus de le laisser revêtir des magistratures, il faut aussi reconnaître que l’assertion de Suétone selon laquelle : « faible d’esprit comme de corps, on le jugea inapte, même à un âge plus avancé, à toute fonction publique et privée153 » est à nuancer fortement. La condition physique de Claude l’a sans doute exposé au mépris de certains, ainsi qu’à des moqueries, ralentissant aussi certainement son ascension dans la vie publique. Cependant, nous l’avons vu, cette dernière affirmation est à compléter avec la position dynastique de Claude qui est également un facteur de première importance. On ne peut pas dire qu’il n’avait pas occupé de fonctions publiques ; il a été prêtre au sein de différents collèges, a organisé des jeux, des repas… Et finalement est devenu consul puis empereur. Il a rempli des délégations (en Germanie), s’est rendu sur des territoires de conquête (en Bretagne), ce qui lui aurait été impossible si sa condition physique avait été aussi calamiteuse que veut le faire croire Sénèque. En définitive, s’il n’est pas contestable que la condition physique de Claude n’était pas parfaite, il convient de nuancer l’importance qui lui a trop longtemps été accordée dans le ralentissement de l’ascension de ce personnage. Claude est arrivé au pouvoir quand sa position dans la dynastie impériale était la plus opportune, sans qu’aucun document ne vienne affirmer qu’à ce moment ses défaillances physiques aient été mises en débat comme entrave à son avènement.
Notes de bas de page
1 Certains passages ou arguments développés dans ce chapitre ont fait l’objet d’une première publication dans les articles suivants : Husquin, 2018b ; 2018c ; Suétone, Vie de Claude, II.
2 Mommsen, 1892, II, p. 143.
3 Martin, 1991, p. 12-13.
4 De Champagny, 1859, p. 331.
5 Il s’agit d’un terme que l’on utilisa pour qualifier ce « pouvoir qui rend fou ». Sur la notion de césarite et la théorie de Lacassagne, voir Cabanes, 1921, p. 146.
6 Beaujeu, 1893, p. 51.
7 Kangiesser, 1914.
8 Quidde, 1894, cité d’après Martin, 1991, p. 13.
9 Elles sont extrêmement nombreuses, de qualité variable, pour certaines particulièrement intéressantes d’un point de vue historiographique. Il ne peut être ici question d’exhaustivité mais il convient d’en citer quelques-unes : Balsdon, 1934 ; Benediktson, 1989 ; Lucas, 1967 ; Katz, 1972 ; 1977 ; Massaro et Montgomery, 1978 ; 1979 ; Nony, 1986 ; Pigeaud, 1984 ; 2011 ; Morgan, 1977 ; Sandison, 1958 ; Baratta et Halleguen, 2009 ; Husquin, 2020b (à paraître).
10 Martin, 1991, p. 179.
11 La notion d’hystérie en médecine a été remise en question et progressivement abandonnée ces dernières années.
12 Martin, 1991.
13 Coltelloni-Trannoy, 2006.
14 Ibid., p. 302, et aussi Yavetz, 1996.
15 Une pratique qui consiste à éclairer les symptômes anciens grâce aux connaissances médicales actuelles.
16 Grmek, 1983, p. 19-21.
17 Karenberg et Moog, 2004.
18 Ibid., p. 143.
19 Ibid.
20 Ibid., p. 144.
21 Il ne saurait être question ici des sources ostéologiques qui fournissent des diagnostics rétrospectifs infiniment plus fiables, mais qui, pour notre période, concernent avant tout des anonymes.
22 Benediktson, 1989.
23 Katz, 1972 ; 1977.
24 Lucas, 1967.
25 Husquin, 2020b (à paraître).
26 Karenberg et Moog, 2004, p. 146.
27 Gascou, 1984. Voir aussi : Bradley, 1991 ; Gladhill, 2012.
28 Couissin, 1953 ; Evans, 1969.
29 Une « science » très populaire à l’époque de Suétone qui voulait que chaque trait physiologique d’un individu corresponde à une réalité morale
30 Gascou, 1984, p. 592-615.
31 Voir aussi Meister, 2012, p. 255-269.
32 Platon, La République, IX, 574 (d)-577 (d).
33 Coltelloni-Trannoy, 2006, p. 319-320. Meister, 2012, p. 255-269 ; 2015.
34 Cet argument est parfois discutable nous y reviendrons. Meister, 2015, p. 119-120.
35 Incarné, chez Suétone, par un prince au corps et à l’esprit altérés. Cette idée se retrouve également chez les auteurs chrétiens et notamment Lactance qui assimile les dirigeants persécuteurs de Chrétiens à des bêtes sauvages (Des institutions divines, V, 9, 4) ; Sur cette question voir les travaux de Colot, 2007 ; 2016.
36 Coltelloni-Trannoy, 2006, p. 303.
37 Sénèque, De la constance du sage, XVIII, 1 : « Gaius César, entre autres vices dont il était pétri, avait le goût de l’outrage. Il prenait une joie extraordinaire à stigmatiser les gens, quoiqu’il offrît lui-même la plus riche matière aux sarcasmes : un teint blême et hideux, qui décelait la folie, des yeux torves embusqués sous un front de vieille femme, un crâne pelé, semé de quelques pauvres cheveux mal plantés. Ajoutez-y sa nuque embroussaillée, la maigreur de ses jambes et l’énormité de ses pieds. »
38 Suétone, Vie de Caligula, L.
39 Sur les représentations du prince et leurs utilisations : Veyne, 2002 ; Zanker, 1983 ; 2000.
40 Benoist, 2012a ; 2012b.
41 Suétone, Vie de Néron, LI, 1.
42 Coltelloni-Trannoy, 2006, p. 305.
43 Pardon-Labonnelie, 2008.
44 Coltelloni-Trannoy, 2006, p. 307.
45 Harlow et Laurence, 2015 ; Galtier, 2003 ; Meister, 2012, p. 28-37.
46 Tacite, Annales, IV, 57, 2.
47 Voir par exemple l’épisode de son avènement : Tacite, Annales, I, 5-13.
48 Suétone, Vie de Galba, XXI.
49 Suétone, Vie de Domitien, XVIII.
50 Gourevitch, 1984a, p. 217-247.
51 Sénèque, De la clémence, I, 3.
52 Mentale mais aussi l’état global du corps du gouvernant.
53 Baroin, 2015.
54 Ibid., p. 31-32.
55 Voir par exemple : Bodiou et Mehl, 2011.
56 Baroin, 2012 ; Gherchanoc et Huet, 2012a, p. 13-14 ; Meister, 2012, p. 41-50 ; Vigourt, 2012.
57 Pour ces deux derniers éléments se reporter à la bibliographie déjà donnée dans les chapitres précédents.
58 Cicéron, Les devoirs, I, 130-131.
59 Suétone, Vie d’Auguste, LXXXI.
60 Ibid., LXXIX.
61 Bien qu’ici le terme employé est uenustissima qui était plutôt attribué à la beauté des femmes chez Cicéron (Des Devoirs, I, 130-131).
62 Gascou, 1984, p. 592-615.
63 L’acuité de son œil gauche qui baisse avec l’âge.
64 Suétone, Vie d’Auguste, XX.
65 Meister, 2015, p. 119.
66 Dents rares, petites, inégales ; petite taille ; vue qui faiblit.
67 Meister, 2012, p. 193-208.
68 Gaillard-Seux, 2001.
69 Ibid.
70 Pline le Jeune, Panégyrique, IV.
71 Marc Aurèle, Pensées, I, 16.
72 Gaillard-Seux, 2001, p. 31.
73 Suétone, Vie d’Auguste, XX.
74 Ibid., LXXX.
75 Ibid., LXXIII : « ses chaussures un peu hautes, pour le faire paraître plus grand ».
76 Histoire Auguste, Vie d’Antonin le Pieux, XIII, 1. Sur d’autres artifices utilisés par les empereurs pour masquer certains défauts voir aussi : Histoire Auguste, Vie d’Hadrien, XXVI, 1 : « Il était de haute taille, bien fait de sa personne, avec une chevelure artistiquement peignée et une barbe fournie pour cacher des marques qu’il avait de naissance sur le visage ; sa constitution était robuste. »
77 Dion Cassius, Histoire romaine, LXVI, 17.
78 Histoire Auguste, Vie de Sévère, XVIII, 9 ; Histoire Auguste, Vie de Caracalla, XI, 3.
79 Il est né vers 200 et règne neuf mois en 275-276. Histoire Auguste, Vie de Tacite, IV-V.
80 Ibid., Vie d’Hadrien, VI, 10.
81 Martin, 1989, p. 152.
82 Sénèque, Apocoloquintose, I, 2 ; V, 23 ; Suétone, Vie de Claude, XXI, 13 ; XXX, 2.
83 Sénèque, Apocoloquintose, V, 2 ; Suétone, Vie de Claude, XXX, 2 ; Dion Cassius, Histoire romaine, LX, 2.
84 Sénèque, Apocoloquintose, V, 2 ; VII, 2 ; XI, 3 ; Suétone, Vie de Claude, XXX, 2 ; Dion Cassius, Histoire romaine, LX, 2.
85 Sénèque, Apocoloquintose, V, 3 ; Suétone, Vie de Claude, XXX, 2.
86 Suétone, Vie de Claude, XXX, 2 ; Juvénal, Satires, VI, 622-623.
87 Sénèque, Apocoloquintose, XII, 1.
88 Martin, 1989 ; concernant l’examen des troubles supposés de Claude et les diagnostics successifs : Coursey-Ruth, 1916 ; Dal Bianco, 1947 ; Emberger, 2012 ; Esser, 1958 ; Kilpatrick, 1979 ; Leon, 1948 ; Levick, 2002, p. 24 ; Lund, 1996 ; Meister, 2012, p. 148-153 ; Mohr Thiegesen, 1987 ; Momigliano, 1934 ; Moro Ipola, 2008 ; Braund et James, 1998 ; Osgood, 2007 ; Robinson, 2005.
89 Martin, 1989, p. 154. Pour les explications qui suivent, je reprends le raisonnement développé par cet auteur dans cet article et dans le livre issu de sa thèse : Martin, 1991, p. 175-186.
90 Levick, 2002, p. 24 ; 252 note 6.
91 Martin, 1989, p. 158-159.
92 Ibid.
93 Barbara, 2018.
94 Tacite, Annales, XI, 28.
95 Ibid., VI, 46.
96 Suétone, Vie de Claude, II.
97 Ibid., VI.
98 Ibid., III.
99 Martin, 1989, p. 158-159.
100 Sénèque fut conseiller à la cour de Caligula, avant d’être exilé, en Corse, par Claude en 41. Il n’est rappelé qu’en 49 à la demande d’Agrippine.
101 Martin, 1989, p. 151.
102 Sénèque, Apocoloquintose, V, 2-4.
103 Lund, 1996 ; Braund et James, 1998 ; Osgood, 2007 ; Robinson, 2005.
104 Osgood, 2007, p. 332.
105 Sénèque, Apocoloquintose, XI, 3.
106 Ibid., V, 2.
107 Osgood, 2007, p. 344.
108 Braund et James, 1998.
109 Ibid., p. 288.
110 Sénèque, De la colère, I, 1, 4-5 ; III, 4, 1-3.
111 Ibid., III, 3, 2 : « Il est donc nécessaire de révéler sa laideur et sa férocité, de mettre sous les yeux quel monstre (monstri) est l’homme en fureur contre l’homme, avec quelle fougue il se rue à sa perte autant qu’à celle des autres, plongeant dans l’abîme ce qui ne peut s’engloutir sans qu’il soit aussi englouti. »
112 Braund et James, 1998, p. 288-291.
113 Ibid., p. 291-293.
114 Sénèque, Apocoloquintose, IV, 1 ; De la clémence, I, 3, 3 ; I, 24-25 ; Braund et James, 1998, p. 293.
115 Suétone, Vie de Néron, LI.
116 Osgood, 2007, p. 344.
117 Suétone, Vie de Claude, XXX ; XXXI.
118 Sénèque, De la constance du sage, XVIII, 1 ; Suétone, Vie de Caligula, L.
119 Dion Cassius, Histoire romaine, LX, 2.
120 Suétone, Vie de Claude, II.
121 Tacite, Annales, XIII, 3.
122 Suétone, Vie de Claude, IV.
123 Ibid., VI.
124 Momigliano, 1934 ; Burnand, Le Bohec et Martin (éd.), 1998 ; Levick, 2002 ; Michel, 2015 ; Osgood, 2011 ; Strocka (éd.), 1994.
125 Perrin, 2002, p. 210.
126 Apparence physique, maintien, habillement, parole…
127 Levick, 2002, p. 26 ; Meister, 2012, p. 148-152.
128 Hurlet, 1997.
129 Suétone, Vie de Claude, IV.
130 Hurlet, 1997, p. 540.
131 Ne s’agit-il que de reconstitutions faites par Suétone pour donner plus de vie, ou d’authenticité à son récit ?
132 Hurlet, 1997, p. 542.
133 Suétone, Vie de Claude, IV, 5.
134 Ibid., IV, 12.
135 Ibid., IV, 5 et 10.
136 Ibid., VI, 2.
137 Ibid., VII, 1.
138 Ibid. II ; Dion Cassius, Histoire romaine, LV, 27, 3.
139 Ibid., LV, 27, 3.
140 Hurlet, 1997, p. 543-546.
141 Ibid., p. 546-549.
142 Caius et Lucius César, les fils de Julie et Agrippa, morts respectivement en 4 et 2. Agrippa Posthumus, le troisième fils du couple, a rapidement été écarté de la succession.
143 Hurlet, 1997, p. 541 et suiv.
144 Ibid., p. 549 et suiv.
145 Ibid., p. 554.
146 Suétone, Vie de Claude, III.
147 Hurlet, 1997, p. 555 et suiv.
148 Suétone, Vie de Claude, II.
149 Ibid., III.
150 Ibid., VIII.
151 Ibid., V.
152 Ibid., IX.
153 Ibid., II.
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