Chapitre III. Une construction sociale : la perception négative de l’infirmité et ses conséquences
p. 93-118
Texte intégral
1Philostrate, auteur de langue grecque du iiie siècle n. è., décrit un comportement violent de la part de la population d’Éphèse, frappée par la peste, envers un individu étranger, faible, voire infirme, bien que, d’après l’auteur, il ait feint cette dernière caractéristique. Apollonios de Tyane, sage ayant vécu au ier siècle, dont Philostrate rapporte la vie, se tient devant une foule qui lui demande conseil pour mettre fin au fléau, non loin de là, se tenait un vieux mendiant qui feignait de loucher (τοὺς ὀφθαλμοὺς ἔδειξε). Apollonios le désigne comme ennemi des dieux et incite l’assemblée à le lapider. D’abord les Éphésiens jugent inique un tel acte mais ils finissent par lui jeter des pierres. L’homme, qui avait paru louche (τοὺς ὀφθαλμοὺς ἔδειξε) fait voir des yeux étincelants, ce qui conduit la foule à l’ensevelir sous les projectiles. Mais plus tard, sous les pierres, le mendiant a disparu cédant la place à un énorme molosse écumant1. Si l’on met à part les éléments du récit qui relèvent du merveilleux, cette histoire s’apparente à la prise pour bouc émissaire d’un être misérable qui est éliminé dans l’espoir d’écarter les maux dont sont victimes les habitants d’Éphèse. Le mendiant laid, et peut-être diminué physiquement, est aussi assimilé à un démon dont seule la mort semble capable de pouvoir restaurer la pax deorum et éloigner la pestilence. Cet épisode n’est pas sans rappeler les cérémonies d’expiation des prodigia de l’époque républicaine. Si les modalités sont différentes, l’État ne prend pas en charge ici la disparition de cet individu et n’en est pas l’initiateur, la victime n’est pas non plus un enfant monstrueux ; elle présente un problème, réel ou feint, aux yeux et son élimination n’a rien de l’abandon passif des rituels expiatoires de prodiges ; mais, les contextes dans lesquels sont perpétrés ces actes peuvent être comparés. Dans tous les cas, c’est dans un climat d’angoisse, guerres, ou, comme ici, maladie, que les populations viennent à s’en prendre à des individus différents (monstres, prodiges, infirmes indigents…) qui servent d’exutoires à leurs peurs, à un moment où tout semble bon pour essayer de restaurer le calme. L’individu en question est perçu comme la manifestation physique du mauvais œil, de forces démoniques, ou de la colère divine ; et, seule sa disparition peut rétablir l’équilibre du monde et son bon fonctionnement. Un certain nombre d’interprétations modernes ont fait passer ces témoignages ponctuels comme le traitement routinier qui attendait les infirmes vivant dans les sociétés anciennes. Ce comportement était sans doute loin d’être systématique, les expiations civiques ne concernant, par exemple, que des pathologies bien particulières et ayant été circonscrites à une période chronologique et à un climat social bien spécifiques. Un constat similaire a pu être fait à propos de l’idée selon laquelle les enfants infirmes étaient tués ou abandonnés à la naissance de manière habituelle. Faut-il pour autant en conclure que les êtres qui souffraient d’une atteinte physique visible, voire invalidante, étaient, en fait, parfaitement et toujours bien intégrés à la communauté dans laquelle ils évoluaient ? La situation ne peut pas être définie de manière aussi tranchée. Si l’on trouve bien chez Philostrate le récit de cette scène cruelle, la mention de l’auteur selon laquelle les Éphésiens jugeaient « inique de tuer cet étranger, un homme dont la position était si misérable », semble prouver qu’il ne devait pas s’agir d’un comportement coutumier de ces populations, mais que celui-ci a sûrement été favorisé par la situation de peur dans laquelle elles se trouvaient. Seules des conditions exceptionnelles ont permis cette mise à mort. Ces attitudes de rejet face à l’Autre, celui qui est différent, ne peuvent se comprendre que remises dans leur contexte, où elles peuvent être considérées comme une réaction tributaire de l’état d’esprit de la communauté à un moment donné et qui conditionne ses gestes vis-à-vis de l’infirme. La marginalisation et le sentiment négatif qui en résultent alors n’étaient en définitive qu’une construction inhérente aux sociétés dans lesquelles ils se manifestent.
Rejet et mise à l’écart
2Certains pans de cette thématique seront abordés dans les chapitres suivants. Ici il est question d’étudier l’éventuelle marginalisation des individus souffrant d’une atteinte au corps au quotidien, dans la vie de tous les jours et dans les rapports qu’ils entretiennent avec les autres2. Les sources littéraires relatent ponctuellement les mésaventures de ces sujets, cependant elles ne permettent pas de se défaire du point de vue de l’élite, celui de l’homme riche, érudit, qui est bien souvent l’auteur des textes, ce qui induit un biais. On peut entrevoir le mépris du citoyen de l’élite envers des individus qu’il désigne comme misérables, mais comment peut-on accéder au jugement de l’homme du commun ? L’archéologie peut parfois aider, et notamment l’étude des vestiges funéraires. S’il est difficile de voir sur les restes osseux la trace d’une mise à l’écart par l’indifférence, en revanche, un rejet par la violence peut avoir laissé des lésions traumatiques. Cependant, ce genre d’observations ne débouche bien souvent que sur des assertions qui relèvent de l’hypothèse, mais qui peuvent constituer un indicateur. D’autres indices plus assurés proviennent de la présence, ou non, de mobilier dans les tombes et de la façon dont le corps a été traité lors de sa mise en terre. Il est difficile, en ne partant que des données biologiques, de déduire les conséquences sociales de l’infirmité d’un individu.
Marginalisation
3La relégation ou la mise à l’écart de personnes touchées dans leur intégrité corporelle peut s’opérer à plusieurs niveaux, et le terme de marginalisation n’est pas entendu comme une exclusion radicale et perpétuelle du sujet concerné de la communauté dans laquelle il évolue. On ne peut rejeter complétement l’idée d’une discrimination totale de tous les infirmes : pourtant, la plupart du temps, ces individus peuvent être écartés de certains pans de la vie sociale sans pour autant se retrouver au ban de la société. Ce n’est pas parce qu’un enfant atteint d’une défaillance est élevé et que l’on subvient à ses besoins matériels qu’il jouit de la considération de son entourage. Le cas de Claude, dénigré par sa grand-mère, sa mère et sa sœur, est à ce titre exemplaire3. Un autre exemple de rejet peut être établi pour le fils de Titus Manlius Imperiosus4, jeune homme relégué à la campagne par son père en raison de ses difficultés oratoires : ce qui est en jeu dans cette anecdote, ce n’est pas réellement la mise à l’écart de l’enfant mais plutôt les modalités de celle-ci. Tite-Live critique de façon virulente la relégation de celui-ci car elle est connue de tous et met en évidence sa disgrâce. L’auteur suggère même à demi-mot que si Imperiosus avait simplement caché son fils au sein de la domus familiale il n’y aurait rien eu à redire sur son comportement. Il ne s’agit donc pas vraiment de remettre en question la mise à l’écart du fils mais l’exposition publique de celle-ci. Tite-Live laisse-t-il ici apercevoir la façon routinière dont étaient traités les infirmes de familles aisées ? C’est possible, l’habitude aurait alors été de dissimuler ces individus aux yeux de tous en les gardant à la maison où ils n’étaient pas nécessairement rejetés, ils pouvaient très bien y être soignés, voire choyés, mais à l’abri des regards et en retrait de tout contact avec la communauté, au moins ceux-ci étaient-ils sans doute limités à un cercle restreint de proches. C’est probablement le destin qu’a connu Q. Pedius, mutus natura, dont le sort n’a transpiré des murs de sa maison qu’en raison de ses aptitudes exceptionnelles à la peinture5. Pour les populations les plus pauvres, il est plus difficile d’émettre des hypothèses qui puissent être étayées par les sources. Il était sans doute plus compliqué de cacher ces enfants lorsque les parents ne pouvaient pas se permettre de nourrir une bouche à ne rien faire, et il est probable qu’on leur ait trouvé une activité compatible avec leurs possibilités. Les situations étaient sans doute multiples et évaluées au cas par cas, en fonction de la déficience et de la catégorie sociale à laquelle appartenait l’individu concerné. Si un enfant muet a pu constituer un problème pour des familles aisées qui se trouvaient contraintes de le cacher aux yeux du monde, cela ne veut pas nécessairement dire qu’elles le considéraient comme insignifiant ou inexistant ; c’est une possibilité, mais ce n’est pas la seule et ce type de jeunes gens a tout à fait pu développer un système de communication gestuel valable au sein de la famille. La marginalisation pouvait n’être qu’extérieure à la famille, aussi bien que s’opérer en son sein. On ne peut affirmer que les invalides antiques étaient systématiquement discriminés ou intégrés socialement. Il ne s’agit pas d’un groupe homogène qu’il est possible d’évaluer dans sa globalité, mais d’une mosaïque d’individualités qui sont à considérer dans leur singularité. La marginalisation est, peut-être, plus facile à envisager lorsque ces individus n’avaient pas de famille pour les protéger ou les cacher ou que celle-ci les avait définitivement rejetés. Dans ce cas, ils devaient constituer une minorité visible au sein des cités6 en s’adonnant à la mendicité. Cependant, même dans ces circonstances, une fraction au moins infime d’entre eux pouvait attirer la générosité des passants, et ce quelles que soient les motivations de celle-ci, de la compassion à la volonté de repousser un être maléfique, leur permettant de subsister. Sénèque le Rhéteur évoque même le fait que des êtres malveillants ont intentionnellement rendu infirmes des enfants afin de les faire mendier7. L’exclusion et la mise à l’écart de la personne souffrant d’une déficience physique ne sont, en définitive, que la conséquence visible du regard porté par la société dont il faut également rechercher les causes afin d’en comprendre les mécanismes. Un premier élément d’explication peut être avancé par le biais de l’examen des raisons invoquées lors de la procuration des prodigia humains de la République. Ceux-ci sont perçus comme des manifestations de la colère divine qu’il convient d’éliminer afin de restaurer la pax deorum, des raisons similaires semblant pouvoir être exprimées pour le mendiant de Philostrate qui devient l’élément à éliminer pour faire disparaître le fléau. L’infirme est la victime de ces considérations attachées au corps par les Anciens et qui consistent à assimiler beauté de l’âme et celle de l’enveloppe charnelle ; ce qui est laid ou défectueux est vu comme mauvais. L’invalide ne peut alors qu’être représenté comme la manifestation physique du vilain, du mauvais œil et s’en écarter revient à chasser les démons car ils portent malheur8. D’après Sénèque le Rhéteur, les mendiants estropiés, rencontrés dans la rue, sont un mauvais présage pour les noces et les sacrifices publics9. Des protections prophylactiques sont imaginées pour endiguer cette contamination du mauvais œil. La salive notamment sert de repoussoir. Pline l’Ancien recommande de cracher afin d’écarter l’épilepsie ou de se préserver quand on croise un boiteux du pied droit10. Le procédé n’est pas généralisable, car ces infirmes qui symbolisent le mauvais œil et qu’il convient d’éviter pour certains, sont au contraire utilisés par d’autres comme des amulettes vivantes, répulsifs face au fascinum et aux démons11. Que dire de la position des dieux ? Parfois, l’atteinte physique a pu être assimilée à une punition divine. Les individus réputés punis par les dieux étaient-ils automatiquement rejetés des communautés dans lesquelles ils vivaient ? C’est peu sûr. Le cas des aveugles est ici particulièrement éclairant car, bien que cette déficience ait pu être perçue de façon négative et associée à la réponse des divinités à une transgression, les individus atteints n’ont pas nécessairement été mis au ban de la société12. La conséquence sociale d’une image comportant des aspects négatifs n’est pas nécessairement synonyme d’une exclusion.
L’exclusion de certains métiers
4La mise à l’écart des individus souffrant d’une altération corporelle peut également passer par l’impossibilité à exercer certaines professions. L’aspect fonctionnel est forcément discriminant. Cependant, il ne faut pas non plus envisager l’atteinte au corps comme un critère systématique d’exclusion du monde du travail. Chacun a pu trouver à s’employer en fonction de ses possibilités et les infirmes n’étaient pas nécessairement, comme on a longtemps pu l’écrire, un fardeau économique pour leur famille. Ils pouvaient contribuer aux revenus, et donc à la subsistance du foyer. L’archéologie a livré des restes humains qui portaient les traces de pathologies plus ou moins invalidantes, mais également des marques d’une activité physique importante concomitante, témoin que les sujets atteints s’adonnaient à une activité laborieuse. C’est le cas d’une femme âgée d’Herculanum qui souffrait d’une luxation bilatérale de la hanche, ce qui limitait fortement sa mobilité. Néanmoins, ses membres supérieurs montrent les signes, et notamment le bras droit, d’une utilisation intensive, il est donc tout à fait envisageable que cette femme ait exercé un travail en position assise et pour lequel ses difficultés à se déplacer n’étaient pas un problème13. La même remarque s’applique aux restes d’un jeune homme découvert dans la nécropole de Castel Malnome (tombe 132). L’analyse anthropologique du squelette a montré que cet individu avait la mâchoire complétement bloquée à la suite d’une maladie ou d’un traumatisme survenu dans l’enfance ou à l’adolescence. Il lui était par conséquent impossible de parler et même, dans un premier temps, de s’alimenter, des dents lui ont été retirées dans le but de pouvoir subvenir à ce besoin, nous y reviendrons. Ses os montrent aussi les traces d’une activité physique soutenue impliquant l’usage répété des membres supérieurs et inférieurs dénotant une participation à la vie de la communauté, d’un point de vue laborieux au moins, ces marques n’étant pas incompatibles avec le type de sollicitations mécaniques que requérait le travail dans les salines toutes proches de la nécropole où il a été mis au jour, d’autant que d’autres squelettes masculins du même site étaient également porteurs des mêmes marqueurs osseux14. Cet argument semble confirmé par la littérature, Pline l’Ancien15 faisant allusion à un foulon bossu et Plutarque à la possibilité de recourir à des aveugles pour certaines tâches agricoles. Il rapporte une anecdote, lue chez Hérodote, selon laquelle les Scythes auraient crevé les yeux de leurs esclaves afin de les employer dans la traite pour obtenir le lait16. L’argument fonctionnel n’est pas le seul qui peut être invoqué pour exclure les infirmes de certaines activités, d’autres critères doivent être pris en considération17. Il semble que cette assertion soit aussi valable dans l’exercice d’une profession ; c’est du moins ce que laisse entendre un document épigraphique conservé au musée archéologique de Naples. Il s’agit de la « loi de Pouzzoles », d’époque augustéenne, qui régit les règles afférentes au service funéraire dans cette colonie18. Un extrait de cette inscription est tout particulièrement intéressant, car il concerne la condition physique requise pour l’exercice du métier de fossoyeur19.
5Ce document livre des informations précises sur les prérequis physiques qui étaient exigés dans la colonie de Pouzzoles pour exercer le métier de croque-mort. Les hommes qui officiaient dans les pompes funèbres devaient avoir entre 20 et 50 ans, ne pas être borgnes, manchots, boiteux, aveugles, ni tatoués ou marqués. À première vue, ces préconisations peuvent passer pour des recommandations pratiques. Un homme trop jeune ou trop âgé et jouissant d’une mauvaise condition physique se trouvait sans doute moins efficace qu’un autre, pourtant tous les critères énumérés ne vont pas dans ce sens et il est probable que ces prescriptions ne soient pas uniquement d’ordre fonctionnel. On ne voit pas en quoi un homme tatoué ou marqué ne pouvait accomplir les tâches qui incombaient à un fossoyeur. Il faut donc présumer que des considérations morales et symboliques se sont ajoutées à celles de type mécanique dans la sélection des agents des pompes funèbres de la colonie de Pouzzoles. À la suite de J.-C. Dumont20, il est tentant de penser que ce règlement renvoyait aussi à des critères de dignité, voire de souillure. La mention des tatoués, ou marqués, pouvait faire référence à des esclaves fugitifs, et donc à des hommes dont on a jugé bon d’inscrire la dégradation morale sur le corps ; il est inutile de rappeler l’importance accordée à l’assimilation entre beauté et vertu morale, ce qui pourrait expliquer la discrimination des autres catégories d’individus citées. Toutefois, il semble possible d’aller encore plus loin dans cette analyse. F. Hinard21 a tenté d’expliquer ces disqualifications en les confrontant avec celles qui sont présentées dans le Digeste et qui limitent les possibilités juridiques de certains citoyens comme les sourds, les muets, ou bien encore les aveugles. Il est arrivé à la conclusion que cette démarche n’était pas la bonne car on risquait de banaliser les données fournies par le document épigraphique. Néanmoins, cette entreprise avait le mérite de souligner les différences, plus que les similitudes, existantes entre les deux sources ; les textes juridiques se fondant bien souvent sur des considérations fonctionnelles, ce qui n’est pas entièrement le cas ici. Une remarque s’impose pourtant : ni le sourd, ni le muet ne sont présents dans les proscrits du corps des fossoyeurs de Pouzzoles alors qu’ils font l’objet de nombreuses interdictions dans le corpus normatif. Le croque-mort n’étant pas amené à prononcer des formules rituelles, le mutisme ne devait guère poser de problème. On peut penser qu’il n’en allait pas forcément de même pour la surdité, ce qui tend à confirmer que ces interdits dépassaient la simple dimension des possibilités mécaniques des fossoyeurs, pour toucher à la dignité et au decorum. La liste des altérations physiques énumérées me semble permettre d’établir un rapport entre la complétude22 du corps et l’exercice d’un métier dans les pompes funèbres. Tous ces défauts font référence à une atteinte à l’intégrité corporelle : le luscus désignant le borgne ou l’éborgné, le mancus, le manchot mais aussi l’estropié, le mutilé de façon plus générale, le clodus, le boiteux, le caecus, l’aveugle et le stigmatus inscriptus, celui dont le corps porte une inscription (par piqure, « gravure » ?). Seul le corps du boiteux pourrait passer pour intact car il ne lui manque rien, cependant c’est dans le mouvement qu’il perd de son intégrité puisqu’il « cloche ». De même, le caecus peut désigner, de façon précise, celui qui est devenu aveugle et qui a donc perdu ses yeux en opposition avec le caeginus qui est un aveugle de naissance, dont les yeux sont plus sûrement présents ou intacts mais n’ont jamais fonctionné. On peut supposer que dans la réglementation de cette cité de Campanie, ce sont des hommes non pas intacts d’un point de vue fonctionnel qui sont requis, cela allait sûrement de soi dans la mesure où ils ont des gestes précis à accomplir (celui qui ne parle pas ou qui n’entend pas ne paraît pas exclu), mais des individus dont le corps est complet, présentable et qui sont donc pleinement qualifiés pour amener le mort à sa dernière demeure et le faire passer dans l’autre monde. C’est aussi dans ce contexte, à mon sens, qu’il faut considérer les conditions d’âge exigées, entre 20 et 50 ans, le corps de l’homme ayant alors le plus de chances d’être dans sa plénitude physique, n’étant plus celui d’un enfant et pas encore celui d’un vieillard, il est donc le plus apte à ne pas offenser les divinités de l’au-delà à qui le fossoyeur présente la dépouille. Il convient de s’attarder sur une lacune du document qui intervient dans l’énumération des caractéristiques rhédibitoires avant la mention des borgnes. Le terme d’u[lcer (osus)] est proposé en restitution à ce manque de l’inscription par L. Bove. Cette proposition s’accorde totalement avec la nécessité d’une complétude du corps, puisqu’elle semble indiquer que les agents funéraires ne devaient pas avoir le corps couvert de plaies ou d’ulcères. Cela suggère-t-il qu’en cas de blessure, ces hommes étaient temporairement incapables d’exercer leurs fonctions ? Cette idée peut, en tout cas, rejoindre l’assertion de Plutarque selon laquelle un augure qui avait une plaie sur le corps ne pouvait observer le vol des oiseaux, car cette atteinte était assimilable à une mutilation qui rendait le corps (temporairement) impur23. F. Hinard24 suggère d’y voir u[alet (udinarius)], attesté d’ailleurs dans les textes juridiques pour accorder des dispenses25, et qui présente l’avantage de ne pas renvoyer uniquement à une maladie passagère mais de pouvoir désigner aussi une invalidité permanente et met donc sur le même plan tous les termes de la liste. C’est une autre possibilité, mais qui rend alors caduque l’hypothèse d’une complétude symbolique du corps requise. Le terme de u[itio (sus)] est également mentionné par F. Hinard26, mais il s’accorde mal, selon lui, avec les autres termes de la liste car il les englobe. C’est vrai, cependant il ne faut peut-être pas l’écarter aussi vite en raison de la position qu’il occupe dans l’énumération. Il est situé en premier, dans ce cas, les autres termes sont peut-être l’explication et la précision de ce qui est recouvert par uitiosus. Enfin, les auteurs de l’édition de 2003, dirigée par F. Hinard et J.-C. Dumont, proposent plutôt d’y voir le terme de ụ[at]ị (us), « bancal27 » ou « qui a les jambes arquées », terme qui se rencontre dans d’autres sources écrites. C’est plausible, mais le terme n’aurait-il pas été juxtaposé à clodus ? Quoi qu’il en soit des hypothèses concernant la restitution de cette partie de l’inscription, celle-ci demeure tout à fait intéressante car c’est, à ma connaissance, le seul document qui exprime clairement l’exclusion d’invalides d’une profession. Une discrimination qui est sans doute à nuancer car elle ne semble pas forcément valable pour tout le monde romain et même pas pour toute la péninsule italienne. Martial, dans une de ses épigrammes, livre un témoignage qui apparaît en contradiction avec les règles édictées par la loi de Pouzzoles, puisqu’il parle de quatre esclaves marqués (quattuor inscripti) portant un cadavre28. Le terme inscripti semble indiquer que les esclaves en question étaient tatoués ou marqués d’une quelconque façon. Cette assertion sous-entend, peut-être, qu’à Rome, les fossoyeurs n’étaient pas soumis aux mêmes règles que ceux de Pouzzoles qui se devaient d’être neue stigmatibus inscriptus sit29.
Jusque dans la mort ?
6Les sujets touchés par une infirmité sévère connaissaient-ils un traitement particulier après leur mort ? Si dans la vie certaines situations ont été propices à leur exclusion, en était-il de même après leur décès ? Les sources archéologiques sont ici nos principales informatrices, la littérature n’abordant que très peu le sujet. Seul Pline l’Ancien semble faire allusion à de telles sépultures érigées dans les jardins de Salluste, et encore pas pour des invalides mais concernant des individus au physique simplement remarquable (géants et nains) dont on a souhaité conserver les dépouilles pour la curiosité des passants ; mais c’est, semble-t-il en ces termes, plutôt qu’en faisant référence à une infirmité, qu’il faut poser la question30. Une fois de plus, il semble difficile de généraliser les situations. Il n’est pas question ici d’un rejet mais plutôt d’une singularisation liée au goût et à la curiosité, voire à la fascination, du temps pour des personnages au corps exceptionnel. Le cas de ces individus est tout à fait intéressant car il suggère que l’attrait de la société pour ces personnes ne s’éteignait pas à leur mort et on éprouvait aussi le besoin de conserver et de montrer leurs dépouilles. À ma connaissance, l’extrait de Pline est le seul document littéraire à rapporter un tel témoignage, impossible donc de déterminer s’il s’agissait d’une pratique répandue à Rome et s’il existait plusieurs lieux de ce type dans l’Vrbs, ou si les jardins de Salluste sont un endroit unique en leur genre31. Sur le plan archéologique, les exemples de sépultures singulières pour des individus au corps différent sont multiples. On en compte un certain nombre sur le territoire de la Bretagne romaine. En 1963, à Munford dans le Norfolk, ont été mis au jour les restes d’un jeune homme d’environ 25 ans, datés du ive siècle n. è., qui avait été décapité et dont la tête reposait à côté de ses pieds. L’étude anthropologique menée par C. Wells32 a révélé que l’individu souffrait d’une hémiplégie consécutive à des difficultés survenues au cours de l’accouchement. P. Charlier33 propose de s’interroger sur le lien qu’il est tentant d’établir entre la façon atypique dont on a inhumé ce jeune homme et son infirmité. Le problème est difficile à résoudre, car selon Wells, il est impossible de savoir s’il a été décapité avant ou après sa mort. L’hypothèse d’un rejet et d’une exécution liée à son état physique, si elle n’est pas à exclure définitivement, semble peu probable compte tenu de l’âge avancé du sujet. Pour parvenir à 25 ans celui-ci a dû être l’objet d’un soin particulier et d’une protection de la part de son entourage. L’individu se serait-il brusquement retrouvé seul et serait devenu le bouc-émissaire de la communauté ? Ou la raison de sa décollation, qu’elle soit post ou ante mortem est-elle tout autre ? C’est impossible à dire. L’homme de Mundford n’est pas le seul individu issu des nécropoles romano-britanniques à avoir été retrouvé décapité et tous ne sont pas des infirmes34, il pourrait tout aussi bien s’agir de la mise en œuvre d’une mesure pénale. Un autre exemple de sépulture atypique concerne un sourd, et a été mis au jour à Poundbury35. Le défunt est un enfant, d’environ 6 ans au moment de la mort, dont les conduits auditifs étaient obstrués par une formation osseuse, le rendant probablement profondément sourd. La singularité de cette sépulture vient du fait qu’il a été enterré face contre terre, ce qui est plutôt inhabituel et a conduit les chercheurs à s’interroger sur le lien éventuel entre la déficience de cet enfant et la position de son corps dans la tombe. De nouveau, la corrélation semble difficile à établir. Sept inhumations sur le ventre ont été découvertes dans cette nécropole et les autres ensembles de restes osseux n’ont pas permis l’identification d’une pathologie invalidante. Plusieurs raisons ont été avancées pour justifier cette position inhabituelle36. Celle-ci aurait favorisé l’absorption de l’esprit au plus profond de la terre et elle aurait ainsi empêché son fantôme de marcher à la surface. Cette idée de privation de l’esprit du mort a été avancée comme une possible punition réservée aux sépultures de criminels ou de déviants. Il est difficilement croyable que cet enfant ait été l’auteur d’un crime, faut-il en conclure que ce genre de tombes était, à Poundbury, réservé à des gens considérés comme « anormaux » ? L’étude anthropologique des ossements n’a montré une déficience physique que pour le sujet de la tombe PC 114 (le petit sourd), les autres dépouilles appartenaient aussi bien à des hommes qu’à des femmes, à des jeunes comme à des personnes plus âgées pour lesquelles aucune invalidité ou singularité physique remarquable n’a été relevée. Plus étonnant encore, le fait d’avoir été inhumé face contre terre apparaît comme la seule originalité de leur sépulture par rapport au reste de la communauté. La marginalisation n’est donc que partielle sans qu’on puisse en outre en affirmer la liaison avec l’anatomie des défunts. Ceux-ci sont enterrés avec le reste de la communauté, et leur ensevelissement ne semble pas avoir été accompli de façon anormale. Les corps n’ont pas été malmenés, beaucoup ont même été découverts avec un mobilier funéraire modeste, voire un cercueil, ce qui signifie qu’ils n’étaient pas des êtres exclus de la société de leur vivant, des individus se souciant, après leur mort, de leur offrir une sépulture décente. T. Molleson37 suggère que, peut-être, ces personnes ont subi ce traitement atypique en raison d’un comportement étrange (des troubles psychiques ?) au cours de leur vie, ce qui n’est pas incompatible avec la pathologie de l’enfant, les sourds pouvant facilement être assimilés aux bêtes et aux simples d’esprit38. Cette hypothèse aurait aussi le mérite d’expliquer pourquoi on n’a trouvé aucune trace de déficience sur les autres corps, toutefois la disparition des tissus mous n’exclut pas des pathologies ne laissant pas de traces sur les os. La question demeure impossible à trancher. On peut toutefois conclure que la différence physique n’avait probablement rien à voir avec le fait d’inhumer des individus sur le ventre puisqu’à Poundbury, comme ailleurs, on a la trace d’infirmes enterrés de façon tout à fait conventionnelle39. E.J. Graham40 présente le cas de trois sépultures découvertes dans un mausolée de la nécropole de la via Collatina41 à Rome (ier-iie siècles n. è.) et qui impliquent des individus porteurs de sévères altérations du corps. Il s’agit de trois personnes inhumées au même endroit mais à des époques différentes, il est donc peu probable qu’elles aient eu un lien entre elles au cours de leur existence. Le premier individu enterré (T5) est un homme d’environ 30 ans atteint par de nombreuses altérations au visage, consécutives à des blessures ayant notamment occasionné une déformation de la mâchoire et des pommettes, des traumatismes au niveau du crâne ainsi que la fusion des vertèbres situées à la base de celui-ci. Il devait présenter un visage défiguré auquel s’ajoutait un prognathisme. La deuxième tombe (T2) abritait les restes d’un homme de 22 ou 23 ans, lui aussi portant les traces de nombreuses atteintes physiques. Il souffrait manifestement de chondrodysplasie congénitale. En outre, il apparaît comme avoir souffert également d’une cyphose qui devait lui donner l’aspect d’un bossu. Les chercheurs notent que la chondrodysplasie peut être associée à d’autres anomalies comme des problèmes cardiaques, des retards mentaux, des lésions de la peau et d’autres anomalies de la face42 ; bien qu’il soit impossible de déterminer à l’aide des seuls restes osseux si notre sujet était également atteint de l’un ou l’autre de ces maux. Le dernier squelette présentant un intérêt pour notre étude est celui d’une femme d’âge mûr (45 à 55 ans) qui souffrait de spondylarthrite ankylosante, ce qui a conduit à la fusion d’une grande partie de ses vertèbres, provoquant une rigidité de la colonne vertébrale qui devait la contraindre dans une position courbée, la tête projetée en avant. Ces individus ont tous les trois reçu un traitement post-mortem atypique. En effet, tous trois ont été inhumés à proximité les uns des autres à plusieurs années d’intervalle alors qu’un éventuel lien familial entre eux semble improbable, seule leur condition physique apparaît comme pouvant les rapprocher. Le choix du mausolée comme lieu de sépulture les isole du reste des défunts de la nécropole. Contrairement au petit sourd de Poundbury, les sépultures de ces personnes apparaissent comme plus négligées. La tombe du premier (T5) semble avoir été l’objet d’un réemploi car la fosse est trop petite pour le squelette qu’elle héberge et des restes de pieds appartenant à un autre cadavre y ont été trouvés. La femme, quant à elle, paraît avoir fait l’objet d’un traitement hâtif. Son corps était recroquevillé en position fœtale dans la tombe, ce qui est tout à fait inhabituel. Le squelette comporte un certain nombre de fractures peri-mortem qui fait penser aux archéologues qu’on a inhumé cette femme dans une fosse trop petite pour elle, alors même que la rigidité cadavérique n’était pas dissipée, contraignant les fossoyeurs à faire pression sur le corps pour le faire entrer dans la tombe, lui cassant un bras et fracturant probablement également son crâne avant de l’abandonner dans une dernière posture non conventionnelle. Aucun d’entre eux n’était accompagné par des offrandes funéraires, mais ceci n’est pas un critère significatif, car c’est le cas de beaucoup d’autres individus qui reposaient à cet endroit. Ces êtres ont-ils été exclus et mis à l’écart des autres morts de la communauté en raison de leur apparence physique ? Cela semble possible dans la mesure où le seul point commun apparent entre eux est la déformation visible de leur corps. Pourtant, d’autres squelettes de cette nécropole portent les signes d’atteintes pathologiques et n’ont pas subi le même sort. Peut-on mettre en cause ici le caractère de gravité ? Les trois squelettes du mausolée paraissent avoir été touchés par des difformités sévères leur conférant un aspect qui a pu apparaître comme effrayant, poussant les membres de la communauté à les exclure en les inhumant ensemble à part dans un secteur précis de la nécropole afin d’enrayer toute contamination par des esprits malveillants. On aurait alors dans cet exemple un véritable cas de marginalisation d’individus infirmes par la communauté dans laquelle ils vivaient. Pourtant, ici aussi, la question ne peut être résolue de manière aussi tranchée pour plusieurs raisons. Bien que mis à l’écart des autres défunts, nos trois individus ont bénéficié de tombes individuelles même si cela a été fait maladroitement ou avec un manque de soin, de plus ils ont été inhumés à l’abri et ont bénéficié de la protection du mausolée. Enfin, tous ces squelettes portaient la trace de l’exercice d’une activité laborieuse intense attestant leur participation à la vie économique, et probablement sociale, de leur communauté. Si l’on se fie aux indices biologiques, ces personnes n’étaient sans doute pas complètement exclues de leur vivant et ne pouvaient apparaître comme des infirmes puisqu’ils participaient activement, semble-t-il, à la vie économique de la cité. Est-ce leur aspect repoussant qui les a fait mettre à l’écart une fois décédés ? Le phénomène ne semble pas généralisable en tout cas, de nombreux individus victimes d’atteintes pathologiques déformantes étaient enterrés de manière tout à fait conforme aux habitudes et rites de l’époque et, si des individus malformés ou difformes ont ponctuellement été inhumés de façon particulière, il ne semble pas du tout que cela ait été le traitement coutumier et normé à leur encontre. Nous commencions ce passage en abordant le sort après la mort des personnes à la taille remarquable, c’est également par elles que nous le clôturons en ayant de nouveau recours aux données de l’archéologie. Sur le sol britannique, on a mis au jour les restes d’individus atteints de nanisme dans plusieurs nécropoles différentes. Une jeune femme a été découverte à Alington Avenue (Dorchester), une autre dans la nécropole du site de Gambier Parry Lodge, non loin de Gloucester, un jeune homme lui aussi non loin de Gloucester à Hucclecote, enfin une dernière femme trouvée à Newstead43. Concernant la jeune femme découverte à Gambier Parry Lodge, aucune mention n’est faite d’un traitement anormal de son corps, de même les sujets d’Alington Avenue et Hucclecote ont été inhumés en conformité avec les rites pratiqués dans leur nécropole respective. En revanche, la naine de Newstead a été enterrée dans une fosse, à l’extérieur du complexe funéraire, de 18 pieds de profondeur et qui a également servi à entreposer des déchets. À l’exposé de ces divers exemples, il est impossible de conclure à une exclusion systématique des êtres au corps différent dans la mort. Morts ou vifs, ces individus ne font en rien l’objet d’une marginalisation routinière. Les cas de rejet existent mais ils ne sont pas généralisables. Ils demeurent ponctuels et ne doivent en rien être considérés comme l’attitude normale des sociétés antiques envers ces personnes. Celle-ci évoluait sans doute au cas par cas en fonction de critères variés tels que la nature de la différence en question, la communauté dans laquelle vivait la personne touchée ou la catégorie sociale à laquelle elle appartenait.
La vision de l’être atteint sur sa propre condition
7C’est un paramètre difficile à évaluer tant il apparaît peu dans les sources et n’est perceptible que de façon presque toujours indirecte. Ces individus se voyaient-ils comme des exclus ? Se pensaient-ils rejetés par la communauté dans laquelle ils vivaient ? Les éléments de réponse sur la question sont rares. Le sentiment de honte n’est pas, de toute manière, intrinsèque à ces personnes, il est directement suscité par le regard porté sur elles par la société qui les juge comme s’éloignant de façon trop aberrante ou non d’un standard qu’elle a elle-même défini. La honte peut surgir, pour des raisons bien compréhensibles, lorsque le malade est atteint d’un mal considéré comme dégradant, manifestation physique d’une perversité d’ordre moral, d’un mode de vie inconvenant. C’est le cas, par exemple, de la goutte44, vue comme une affection trahissant les excès du sujet atteint. Sénèque rend d’ailleurs l’accroissement du luxe et de l’otium à Rome responsables de la multiplication du nombre des maladies45. On n’en revient, une fois de plus, à l’idée selon laquelle, dans une certaine mesure, le corps et la santé sont le reflet de l’âme. Cependant, toutes les altérations corporelles ne sont pas le fruit d’une vie faite de vice et d’excès ; les blessures de guerre, par exemple, devaient passer pour glorieuses. Or, ce n’est pas toujours le cas.
« Sp. Carvilius était resté fort boiteux d’une blessure qu’il avait reçue au service de la patrie ; et à cause de cette infirmité, il avait honte de paraître en public. “Pourquoi ne pas t’y montrer, mon Spurius ? lui dit sa mère. Chaque pas que tu feras, te rappellera ta valeur46.” »
8Si Cicéron reconnaît comme sensé de ne pas avoir honte d’une infirmité reçue en luttant pour sa patrie, il est possible que Spurius Carvilius ait eu à essuyer des quolibets en rapport avec celle-ci, en dépit de son caractère glorieux, puisqu’il n’osait manifestement pas s’exposer aux yeux d’autrui. Les anciens soldats blessés n’avaient, semble-t-il, pas toujours droit au respect auquel ils pouvaient prétendre. Il est délicat de se prononcer sur l’historicité de cette anecdote car le thème du vétéran qui a honte de sa claudication a fait l’objet d’un motif littéraire employé à plusieurs reprises ; preuve que cette thématique de la honte d’une infirmité en lien avec les conditions dans lesquelles elle avait été reçue ne devait pas être une question marginale. Plutarque reprend la même trame pour rédiger les termes d’un échange entre Philippe II et son fils, Alexandre. Ce dernier l’encourage, alors qu’il supporte mal la claudication conséquence d’un combat, à en être fier, car elle rappelle sa valeur47. En fait, plus que les circonstances qui ont provoqué la blessure, il faut rapporter cette idée de honte au vocabulaire latin de la laideur qui est employé pour la désigner. Chez Celse, le raccourcissement d’un membre provoqué par la mauvaise réduction d’une fracture, et qui lorsqu’il touche la jambe provoque la boiterie, est qualifié, en deux occurrences, par les adjectifs foedus48 et indecorus49. Or, on l’a vu50, le vocabulaire latin de la laideur exprime, la plupart du temps, la privation de beauté et est lié également à la laideur morale en même temps que physique. La beauté est assimilée au decus, à ce qui est convenable51. L’atteinte à l’intégrité physique, comme dans le cas de la boiterie52, fait sortir le corps des convenances, il perd son decus et c’est cela qui favorise l’émergence du sentiment de honte. Des interventions chirurgicales ont même été pratiquées dans un but esthétique53. Cicéron ajoute même que certains étaient prêts à perdre de la mobilité d’un membre pourvu que celui-ci ait une conformation normale !
« Pour commencer par le corps, s’il arrive qu’il y ait dans les membres des difformités, des faiblesses, des mutilations, remarquez-vous comme les gens les cachent ? Quels efforts encore ils font et quelle peine ils se donnent pour obtenir, s’il y a moyen, que leur infirmité physique ou ne se voie pas ou se voie le moins possible ? Que de traitements douloureux aussi ils supportent patiemment, avec l’idée que, même si pour l’usage des mouvements ils doivent non seulement n’y rien gagner, mais même y perdre, néanmoins les membres <contrefaits> auront repris leur apparence naturelle54 ? »
9De même, il est question chez Nicolas de Damas, à propos du fils muet de Crésus, de la honte du mutisme avouée par le fils au père, au moment où ce dernier monte sur le bûcher à Sardes après la victoire ennemie55. Ce sentiment est donc bien décrit dans la littérature, même si les témoignages ne sont qu’indirects, et on peut supposer que comme dans le cas de Carvilius, des mécanismes d’auto-exclusion de la communauté se sont mis en place se traduisant par une volonté de rester à l’écart, en raison de l’anxiété suscitée par les réactions potentielles des personnes rencontrées. Pour autant, cette attitude n’est pas non plus généralisable. Aulu-Gelle décrit le sentiment de fierté prêté à Sertorius exhibant son œil crevé presque comme une décoration militaire56. Dans le même registre, Tite-Live rapporte la réaction d’un vieux guerrier aux quolibets dont il est la victime alors que, montrant ses cicatrices, reçues de face, il se dévoile trop et laisse entrevoir, par mégarde, une tumeur qu’il avait à l’aine. Il déclare ne pas avoir à rougir de cette disgrâce acquise par les longues heures passées à cheval pour défendre sa patrie et qu’il ne la regrette pas plus que ses cicatrices parce qu’elles ne l’ont jamais empêché de servir la République57. Pourtant, il n’était pas nécessairement bien vu de tirer un trop grand orgueil de ses blessures ou, au moins, de l’attitude qui les avait entraînées.
« Un soldat, blessé au cours d’une campagne, avait le visage défiguré par une cicatrice apparente mais il se vantait exagérément de sa conduite, ce qui lui valut cette aimable réprimande [d’Auguste] : “Eh bien, quand tu prendras la fuite ne regarde jamais derrière toi58 !” »
Rire de l’atteinte physique
Une pratique de la vie publique ?
« Le terrain de choix, pour ainsi dire, et le domaine du ridicule (notre deuxième question), est toujours quelque laideur morale, quelque difformité physique (turpitudine et deformitate). Oui, le moyen le plus puissant, sinon le seul, de provoquer le rire, c’est bien de relever et de signaler l’une de ces laideurs, d’une façon qui ne soit point laide, <avec esprit>. Quant au troisième point, nul doute qu’il ne convienne à l’orateur d’exciter le rire, et pour plusieurs raisons : la gaieté rend l’auditoire bienveillant à celui qui l’a fait naître ; un trait piquant (ce n’est souvent qu’un mot) produit dans la défense, mais parfois aussi dans l’attaque, une agréable surprise ; la plaisanterie encore abat l’adversaire, l’embarrasse tout au moins, l’affaiblit, l’intimide, le réfute ; elle révèle dans l’orateur un homme du monde, cultivé, de bon ton ; surtout elle adoucit la sévérité et détend la tristesse ; et des imputations fâcheuses, contre lesquelles le raisonnement viendrait échouer, un badinage enjoué souvent les dissipe59. »
10Cicéron s’interroge sur l’origine et les mécanismes du rire, auquel il reconnaît une utilité pour l’orateur dans sa participation à la vie publique de la cité. L’orateur doit savoir susciter le rire de l’auditoire par des traits d’esprit, afin de s’en attirer les bonnes grâces et de déstabiliser des adversaires potentiels. Le rire peut être utilisé comme un outil afin de faire pencher l’assistance en sa faveur ; cependant, le recours à cet instrument respecte des codes car on ne peut pas rire de tout. Dans la suite de l’extrait, Cicéron détaille ce sur quoi il n’est pas possible de plaisanter si l’on veut passer pour un homme de goût, sachant adopter le bon ton60. L’homme dans sa vie publique doit savoir faire preuve de mesure dans la plaisanterie, l’auditoire n’étant pas enclin à rire de la perversité qui va jusqu’au crime, ni de l’extrême misère, pas plus qu’il n’est convenable d’attaquer des êtres appréciés de ceux qui écoutent. En revanche, il est un domaine où l’orateur peut agir librement :
« Les difformités et les défauts corporels (deformitatis et corporis uitiorum) offrent, eux aussi, une assez belle matière à raillerie ; cependant, là comme en toutes choses, nous devons savoir garder la mesure61. »
11Susciter le rire en contexte public se doit donc de respecter un certain nombre de règles. Le fait que Cicéron annonce comme permises les plaisanteries à propos des difformités et des défauts du corps a, parfois, suscité l’étonnement et des critiques très dures de la part de certains historiens contemporains. Cette attitude a tantôt été qualifiée de manque de raffinement des mœurs de l’époque, tantôt comme une déviance chez Cicéron dont les canons du bon goût auraient différé de ce qui est universellement reconnu62. La question n’est pas aussi facile à trancher et ces historiens se sont, sans doute, aventurés à plaquer les réalités de la société dans laquelle ils évoluaient sur celles qu’ils souhaitaient attribuer à la Rome du ier siècle avant n. è. Certains chercheurs, comme A. Haury63, ont tenté d’excuser la dureté des moqueries cicéroniennes en arguant que celui-ci, aussi brillant fut-il, avait vécu trop tôt et, par conséquent, ignorait tous les préceptes de la charité chrétienne. Le problème est infiniment plus compliqué et ne peut se résumer à un état « d’attardement » de la société romaine. Ce genre de moqueries n’est pas l’apanage de Cicéron et la littérature latine regorge de bons mots incriminant des disgrâces physiques d’un adversaire au tribunal ou sur la scène politique. Cette pratique ne doit pas être vue comme la preuve de la cruauté de la société romaine, étrangère à toute notion de pitié ou de compassion. Il s’agit d’un exercice qui répond à certains critères, énoncés par Cicéron, avec des limites qui sont posées. Dans ce cas pourquoi permettre de se moquer des infirmes ? En réalité, il ne s’agit pas de rire d’un boiteux ou d’un goutteux anonyme mais d’un adversaire politique. On l’a vu, il était courant chez les Anciens d’assimiler défaut du corps et déviance de l’âme, c’est dans ce contexte qu’il convient d’inscrire cette pratique de la raillerie des difformités. Critiquer le corps, c’est, par extension, montrer la perversité des mœurs de l’opposant et donc son inaptitude à exercer des charges publiques, dans le cadre d’un affrontement politique ; ou sa culpabilité dans le cas d’une joute au tribunal. Il n’est donc pas ici question de la sévérité ou de la souplesse de Cicéron, celui-ci ne fait que s’inscrire dans les pratiques de son temps où la critique du physique de l’adversaire était un instrument politique comme un autre. Certes, l’orateur d’Arpinum critique violemment le corps de Vatinius64 mais c’est pour mieux souligner les mauvaises mœurs qu’il lui prête. Une idée qu’on retrouve, peut-être tirée de Cicéron, chez Velleius Paterculus.
« Il n’était personne qui ne parût préférable à Vatinius, lui chez qui la laideur physique (deformitas corporis) le disputait à la turpitude morale (turpitudine), au point que son âme semblait enfermée dans une demeure tout à fait digne d’elle65. »
12Du reste, si Vatinius est attaqué par Cicéron, il lui répond sur le même ton :
« À l’occasion du consulat de Vatinius, dont l’exercice ne dura que quelques jours, circulait un mot célèbre de Cicéron : “Un grand prodige s’est produit l’année de Vatinius, dit-il, en effet sous son consulat on ne vit ni hiver, ni printemps, ni été, ni automne.” Puis à Vatinius qui s’était plaint qu’il n’était pas venu le voir pendant sa maladie, il répondit : “J’ai voulu venir te voir pendant ton consulat mais la nuit m’a surpris.” Visiblement Cicéron se vengeait car il se souvenait que, alors qu’il se vantait d’être revenu d’exil porté sur les épaules de l’Italie, Vatinius avait répliqué : “Comment ? Tu as des varices66 ?” »
13Ce type de plaisanteries semble s’inscrire pleinement dans les codes de la joute oratoire, il ne s’agit pas uniquement de cruauté gratuite malgré le caractère peu aimable de certaines répliques. Pointer la défaillance physique c’est, en fait, mettre en exergue la déviance morale et les faiblesses de l’adversaire. Cette pratique apparaît comme récurrente en contexte judiciaire. Les occurrences de moqueries sur le corps dans un tribunal sont fréquentes dans les sources.
« De l’antiphrase : Crassus plaidait devant le juge Perperna en faveur d’Aculeo et contre Gratidianus, dont l’avocat L. Aelius Lamia était, vous le savez, d’une laideur remarquable (deformis). Celui-ci l’interrompant d’une manière fatigante : “Allons, dit Crassus, écoutons ce beau garçon.” Et tout le monde de rire. À quoi l’autre : “Je n’ai pu former les traits de mon visage ; mais j’ai pu former mon esprit. — Écoutons donc ce beau parleur”, repartit Crassus. Et les rires redoublèrent67. »
14Si la plaisanterie vise à s’attirer les faveurs de l’auditoire, il faut tout de même prendre garde à ne pas s’attirer les foudres de celui-ci, comme c’est le cas dans un autre récit du même type, toujours relaté par Cicéron. Dans un procès, l’un des témoins était de petite taille. Philippe demande si l’on peut lui poser des questions, ce à quoi le rapporteur répond par l’affirmative à la condition que cela ne soit pas long. Philippe lui dit alors qu’il sera aussi court que le témoin, ce qui fit rire l’assemblée, sauf le juge, L. Aurifex, qui était plus petit que le témoin, attirant les rires sur lui. Cicéron recommande donc la plus grande prudence quand on use d’un trait d’humour68. Il n’est pas question de se moquer gratuitement, la raillerie respecte des codes et elle a un but, une utilité. Si elle se retourne contre celui qui l’a proférée, elle est inefficace. On retrouve un avis similaire chez Plutarque, qui recommande de tenir compte du caractère de chacun avant de formuler pareilles plaisanteries69. Toujours au tribunal, on a le témoignage de Macrobe qui, à deux reprises, évoque la façon dont était raillé Galba, un orateur important, en raison de sa bosse70.
15Il n’est pas question ici d’atténuer le caractère blessant de certains propos échangés, simplement ceux-ci ne sont pas le reflet d’une société plus portée à la cruauté dans la plaisanterie, car elle est étrangère à toute notion de charité chrétienne. Les quolibets sur le corps faisaient partie des instruments à disposition des orateurs dans le cadre d’affrontements oratoires au forum comme au tribunal. De la même façon, les cognomina dépréciatifs sont évoqués dans la sphère publique pour se moquer des adversaires. Cicéron est, de nouveau, l’un de ceux qui ont recours à ce procédé dans ses Philippiques où il fait référence au nom du beau-père de Marc-Antoine71 : Marcus Fulvius Bambalio.
« rien de plus méprisable que cet homme, qui, en raison de son bégaiement (haesitantiam linguae) et de sa stupidité, a acquis un surnom tiré d’une appellation outrageante72 ».
16Cette pratique me semble s’inscrire pleinement dans le contexte politique de la fin de la République, où la raillerie constitue un moyen comme un autre de discréditer l’adversaire. Quels sont les indices qui attestent cette intégration des cognomina dans le jeu des rivalités politiques tardo-républicaines ? L’origine des cognomina a fait l’objet de débats. Mommsen avait avancé deux explications à la collation d’un cognomen en plus du praenomen et du nomen73. La première était que celui-ci était devenu nécessaire pour distinguer les membres des gentes qui s’étaient fortement agrandies. La seconde hypothèse était qu’il s’agissait d’un desideratum des nobiles afin de se distinguer du reste de la population, et notamment des affranchis qui portaient le même prénom et nom que leur ancien maître. Les deux hypothèses semblent valables et non exclusives l’une de l’autre. En effet, si les cognomina se démocratisent progressivement et notamment sous le principat, à l’époque tardo-républicaine ce sont presque exclusivement les ressortissants de l’élite qui les portent. I. Kajanto74 a constaté qu’à cette époque une grande partie des surnoms attribués était relative au corps75. Une partie d’entre eux a une connotation nettement péjorative en rapport avec des défaillances physiques : Balbus, le bègue, Strabo, celui qui louche, Scaurus, au pied-bot… Hormis les surnoms officiels donnés par l’État, notamment en cas de victoire, la plupart de ces surnoms constituaient des dénominations informelles qu’on attribuait à l’âge adulte. A. Corbeill a émis l’hypothèse selon laquelle ces surnoms péjoratifs auraient servi à freiner la carrière politique des membres de gentes puissantes qui comptaient un grand nombre de potentiels candidats à la carrière des honneurs. Cependant, l’auteur souligne lui-même qu’on ne rencontre pas de cas attesté où l’ascension politique aurait été stoppée ou entravée par le port d’un tel surnom76. Si les premiers porteurs d’un surnom péjoratif devaient sans doute bien être affligés de l’affection en question, très vite ce n’est plus le cas, ces surnoms se transmettant de façon héréditaire. Pourquoi garder un surnom dévalorisant ? Beaucoup de ces surnoms n’étaient pas officiels, on pourrait penser qu’ils n’étaient pas nécessairement revendiqués par les principaux intéressés qui n’étaient désignés ainsi que par autrui. Ceci était sans doute valable pour l’origine du cognomen et le premier individu à le revêtir, mais sûrement pas pour ses successeurs. Plutarque apporte, peut-être, à ce sujet des éléments de réponse.
« En tout cas, le premier de la famille qui fut surnommé Cicéron semble avoir été un homme remarquable ; c’est pour cette raison que ses descendants, au lieu de rejeter le surnom, s’y attachèrent, bien qu’il fut souvent objet de raillerie. Le mot cicer désigne en latin le pois chiche, et sans doute le premier qui fut ainsi appelé avait-il au bout du nez une petite fente qui ressemblait au sillon d’un pois chiche et qui lui valut ce surnom. Au reste, Cicéron lui-même, celui qui est le sujet du présent livre, quand il brigua sa première charge et aborda les affaires publiques, répondit fièrement à ses amis qui lui conseillaient de quitter ce nom et d’en prendre un autre, qu’il saurait lutter de façon à rendre le nom de Cicéron plus illustre que celui des Scaurus et des Catulus77. »
17Un ancêtre illustre peut inciter à garder son souvenir et sa filiation vivaces même au travers d’un cognomen rappelant une défectuosité, d’autant qu’il devait s’agir de cognomina qu’on était sans doute plus enclin à retenir. En outre, comme le conclut J.-P. Cèbe, « il est certain que les cognomina ironiques abandonnaient souvent, surtout lorsqu’ils étaient “héréditaires”, leur tonalité railleuse pour n’être plus que des désignations personnelles. C’est le destin habituel des sobriquets […] que de s’affadir avec le temps, que de perdre leur sel et, pour ainsi dire, leur principale raison d’être en passant du premier possesseur à ses descendants78 ». Il ne faut pas oublier, non plus, que ces surnoms, bien que dépréciatifs, restent caractéristiques d’un certain statut social, ce qui est particulièrement valable pour les sobriquets dépeignant des défectuosités corporelles. I. Kajanto rappelle que ce type de désignations n’était pas utilisé pour qualifier un esclave79. Il est aisé d’en comprendre la raison, il aurait sans doute été malvenu pour un esclave, une force de travail, d’être désigné par le biais d’une infirmité. En revanche, il était tout à fait courant de le faire avec des termes qui reflétaient sa bonne conformation.
Hors du forum
18Si la raillerie des caractéristiques physiques remarquables était permise, voire encouragée, dans les luttes de la vie publique, elle n’était pas non plus absente du cadre privé. Au quotidien aussi les corps déviants étaient moqués. Cicéron se serait moqué de la petite taille de son frère et de son gendre80. Les satiristes sont également très friands de plaisanteries à propos du corps d’autrui.
« Ce railleur de hernies, ce Fabianus dont naguère tout testicule redoutait les plaisanteries sur les hydrocèles gonflées, plus abondantes que celles que pourraient lancer deux Catulles, s’est vu tout à coup aux bains chauds de Néron, le malheureux, et il a commencé à retenir sa langue81. »
19Nous avons vu, au chapitre précédent, que des nains et autres personnages au physique bien spécifique étaient mobilisés pour distraire les convives lors des banquets, mais les invités eux-mêmes pouvaient être touchés par des plaisanteries ayant trait au corps82.
« Mais les facéties qui font irruption dans les banquets sans rien cacher de sérieux, le président recommandera aux convives de les éviter absolument, de peur que, sans s’en apercevoir, ils ne mêlent à leur vin l’insolence comme une sorte de jusquiame, en exerçant, par exemple, leur effronterie dans ces fameux commandements de table, qui consistent à ordonner à des bredouilleurs de chanter, à des chauves de se peigner ou à des boiteux de se tenir en équilibre sur l’outre. C’est ce qui arriva à l’académicien Agamestor, qui avait une jambe toute grêle et desséchée (λεπτὸν ἔχοντι καὶ κετεφθινηκὸς τὸ σκέλος). Voulant lui jouer un mauvais tour, les convives ordonnèrent que tout le monde vidât la coupe en se tenant sur le pied droit, sous peine d’une amende ; mais quand ce fut à son tour de commander, il ordonna à tous de boire comme ils verraient lui-même faire ; et, ayant fait apporter un vase vide, il y plongea sa jambe étique, et vida la coupe ; quant aux autres ne pouvant évidemment l’imiter malgré leurs efforts, ils acquittèrent tous leur amende. C’était un homme d’esprit qu’Agamestor, et c’est ainsi qu’il faut se défendre, d’une manière enjouée et gaie83. »
20Les infirmes sont raillés mais à l’instar d’Agamestor, ils ont la possibilité de riposter. Les plaisanteries, si elles sont parfois cruelles et déplaisantes, ne marginalisent pas ces individus de façon radicale. D’autant que les traits pointés du doigt ne sont pas nécessairement en lien avec des incapacités fonctionnelles, un chauve semble être raillé de façon aussi virulente qu’un boiteux, ou un borgne. Il est en réalité coutumier de railler les convives au cours d’un banquet et invoquer les défauts physiques est un moyen comme un autre de le faire84. Sans compter l’autodérision qui devait sans doute être aussi pratiquée85. Comme pour la vie publique, dans le domaine privé, on assimile le corps et l’esprit86. Cette association conduisait à se moquer de certaines maladies car on pensait qu’elles étaient le résultat d’une vie d’excès et de mœurs dissolues. C’est le cas de la goutte particulièrement critiquée87, tout comme les excès d’alcool88.
21Dans la comédie de l’Atellane89, les personnages au physique hideux sont ceux qui provoquent le rire car, là encore, corps et âme sont liés et certains traits renvoient à des défauts moraux. Il s’agit de construire des stéréotypes destinés à faire identifier d’emblée au spectateur le caractère du personnage qui arrive sur scène tout en suscitant le rire90. Les acteurs pouvaient porter des masques où la laideur était excessive. On dispose de plusieurs masques découverts en Italie du Sud, actuellement conservés au musée de Tarente, datant des iie et ier siècles avant n. è., et qui présentent des traits caricaturaux : nez énorme et camus, grandes oreilles91… Par exemple, Dossenus est le bossu92 aux larges mâchoires et aux grandes dents, parasite par excellence. À l’époque impériale, le mime prend le pas sur l’Atellane93, mettant de nouveau en scène des personnages correspondant à un « type ». Le stupidus était habituellement caractérisé par une calvitie et une laideur repoussante. Ici, le lien avec l’atteinte physique est encore plus étroit car manifestement elle n’est pas que représentée. En effet, le mime se jouant sans masque, il est probable que des acteurs déjà laids ou disgraciés accroissaient encore ces caractéristiques par des artifices94. Rire du corps est, par conséquent, une pratique courante et bien attestée dans la société romaine que l’on retrouve dans différents domaines de la vie, aussi bien sur la scène publique, que dans le cadre privé et festif. Cette tendance, si elle a pu apparaître comme virulente, voire cruelle à certains historiens du xixe siècle, ou du début du xxe siècle, doit être replacée dans un contexte bien particulier : celui de l’assimilation des défauts de l’âme à ceux du corps.
Se préserver par le rire, les fonctions apotropaïques de l’infirmité
22Le rire peut aussi avoir des vertus apotropaïques et prophylactiques lorsqu’il concerne la difformité du corps. La recherche récente a montré qu’on attribuait aux bouffons au corps remarquable, employés dans les banquets pour divertir les convives, des propriétés de protection et de répulsifs face au mauvais œil95. En effet, ils suscitaient un rire propice à éloigner le phtonos et à enrailler la peur. V. Dasen a émis l’hypothèse selon laquelle les nains auraient servi d’amulette vivante capable d’attirer et de détourner le mauvais œil96. C’est pourquoi il était très prestigieux d’en posséder un parmi les familles aisées particulièrement exposées à la jalousie et aux regards hostiles, c’est dans ce but d’ailleurs qu’Ésope est acheté, lui qui était laid et bossu97. Cette théorie me semble également pouvoir être appliquée aux bossus98. Pour ceux qui ne pouvaient posséder un tel individu, il était possible de le remplacer par sa représentation en bronze ou en terre cuite, qui pouvait être placée dans la maisonnée ou portée sur soi en guise d’amulette avec le même rôle de répulsif comme l’explique Plutarque lorsqu’il décrit les mécanismes d’action du fascinum et la façon dont on peut le repousser99. Le mauvais œil constitue une véritable menace qu’il convient d’éloigner absolument. C’est dans cette perspective qu’on interprète désormais une partie des représentations de nains et de bossus datant des époques hellénistique et romaine, et découvertes surtout en Égypte et en Asie Mineure100. Ces petites statuettes connues sous le nom de « grotesques » ont été l’objet d’un certain nombre de débats et d’interprétations multiples101. Progressivement, le consensus s’est fait autour du fait qu’une partie de ces représentations avait probablement fait office d’amulettes, certaines ayant même un anneau permettant de les suspendre ou de les accrocher pour les porter. La plupart du temps, ces petits personnages associent physique singulier et grotesque (atopia) avec des caractères indécents tel qu’un phallus de taille démesurée, autre attribut essentiel pour lutter contre le mauvais œil102. Ces protections contre le mauvais œil pouvaient aussi prendre la forme d’éléments décoratifs qu’on retrouvait dans des endroits où les individus étaient fortement exposés à l’envie et à la jalousie d’autrui : la domus et les bains. Ces représentations n’avaient pas une fonction unique : elles avaient à la fois une utilité pratique et esthétique103. Esthétique car il s’agit de statues, fresques, ou bien encore mosaïques qui parfois sont réalisées avec le plus grand soin et qui sont dignes d’un réel intérêt artistique avec pour finalité de susciter le plaisir, voire le rire du spectateur, comme cela pouvait être le cas de figures mettant en scène des nains au banquet ou des pygmées chassant toute une faune exotique, et notamment les grues, dans des combats épiques104. Elles ont aussi une fonction pratique puisqu’elles devaient servir de repoussoir au phtonos en captant le regard du fascinateur et en le détournant ainsi de ses potentielles victimes. Je ne prendrai ici que deux exemples afin de compléter l’analyse : l’un découvert dans une domus et l’autre dans des bains. Le premier cas est constitué par deux mosaïques mises au jour dans une demeure d’El-Jem en Tunisie105, datées du iiie siècle. La première figure est un nain qui tourne le dos à un gros œil, symbolisant évidemment le mauvais œil, celui-ci est attaqué par toute une série d’animaux106 et d’armes107. Le nain semble avancer d’un pas dansant, il montre ses fesses au mal, il est armé de bâtons croisés qu’il projette vers l’avant. Il est pourvu d’un immense phallus pointé vers ce qui se déroule dans son dos. La scène est surmontée de l’inscription kai su qui, elle aussi, a des vertus apotropaïques puisqu’elle doit renvoyer le mauvais œil à celui qui le lance108. La même inscription surmonte la deuxième mosaïque qui représente un bossu, lui aussi est armé de bâtons qui s’entrecroisent, il semble également esquisser un pas de danse et est affublé d’un phallus visible, toutefois moins démesuré que celui du nain. V. Dasen s’est interrogée sur la signification des baguettes portées par les deux personnages. Elle fait le parallèle entre ces deux représentations et les figurations de scènes nilotiques impliquant des pygmées qui les montrent eux-aussi régulièrement armés de cet instrument109. Ces objets associés au fait qu’il s’agisse de nains danseurs110 lui font conclure qu’ils renforcent la valeur apotropaïque de la scène. Ces représentations ne se trouvaient pas n’importe où dans la demeure, elles étaient dans le vestibule, un endroit stratégique puisqu’elles accueillaient ainsi tout nouvel arrivant, prémunissant la famille résidente des attaques de fascinateurs.
23L’autre exemple que je souhaite aborder est le « buste » d’un bossu, découvert dans les thermes de Caracalla et étudié par L. Trentin111. Les bains étaient un lieu où l’on estimait les risques d’être frappé par le mauvais œil particulièrement importants. Les corps y étaient plus exposés qu’ailleurs112. Longtemps envisagé comme un buste d’Ésope, l’hypothèse est aujourd’hui abandonnée, cet objet mesure 56 cm de haut et présente une large bosse dans le dos, il a été restauré au xviiie siècle moment où son sexe, probablement en érection, a été remplacé par une feuille de vigne113. La tête est d’une grande beauté par rapport au reste du corps, ce qui engendre un contraste assez surprenant. La statue n’a pas été retrouvée dans les bains eux-mêmes mais dans un bâtiment annexe, ce qui n’est pas sans poser des problèmes quant à son interprétation114. Cependant, il est difficile de savoir si l’endroit où était entreposé l’objet au moment de sa découverte était son lieu habituel d’exposition ou s’il n’avait pas été provisoirement déplacé.
24Quoi qu’il en soit comme les mosaïques tunisiennes, ce buste avait sûrement, pour l’une de ses fonctions, l’objectif d’écarter le mauvais œil, d’autant qu’il cumule les caractéristiques considérées comme apotropaïques. En réalité, il ne s’agissait pas d’un buste mais d’un personnage entier auquel il manque désormais les jambes disparues ; les fesses sont bien visibles au bas du dos et compte tenu des proportions de la statue, il me semble que ce personnage n’était pas simplement bossu, il était probablement aussi atteint de nanisme. Le décalage entre la beauté et l’impression de sagesse émanant du visage, le physique du bossu (et peut-être nain), et le phallus en érection créent une singularité qui capte le regard, voire pouvait susciter un rire apotropaïque. Enfin, il convient, au passage, de signaler l’usure de la bosse de l’objet qui dénote qu’on l’a régulièrement touchée, ce qui fait dire à L. Trentin que, peut-être, la superstition du bossu qui porte chance serait née dans l’Antiquité115. Cependant, il semble impossible de dire si cette usure est la conséquence d’un hypothétique toucher régulier dans l’Antiquité, ou depuis sa découverte en 1758, ou bien encore si elle n’est due qu’aux ravages du temps et donc si on touchait la bosse pour se porter bonheur dès l’Antiquité. D. Levi en arrive lui aussi à la même conclusion concernant les mosaïques de Tunisie : c’est dans l’Antiquité qu’il faut chercher les racines de cette croyance du bossu porte-bonheur116.
25Sous cet angle, il est de nouveau difficile de conclure à une marginalisation totale des individus différents au sein de la société romaine dans l’Antiquité. Ni totalement exclus ni vraiment intégrés, ils ont eu, en définitive, une place ambivalente qui variait en fonction des personnes et des situations.
Notes de bas de page
1 Philostrate, Vie d’Apollonios de Tyane, IV, 10.
2 Certains arguments ou passages développés dans ce chapitre ont fait l’objet d’une première publication dans Husquin, 2017 ; 2019b.
3 Voir le chapitre consacré à la santé des princes.
4 Tite-Live, Histoire romaine, VII, 4.
5 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXXV, 21 ; Gourevitch, 1991.
6 Sans pour autant que le critère soit, encore une fois, des plus discriminant ces individus devaient sans doute se noyer dans les masses de miséreux, pas toujours invalides, que devaient compter certaines cités. Il faut, en outre, tenir compte du fait qu’il est très dur de cerner la situation d’individus en posture similaire dans les campagnes qui abritent la majorité de la population de l’empire.
7 Sénèque le Rhéteur, Controverses, X, 4.
8 Ce n’est pas le cas de toutes les difformités, car certaines sont considérées comme éloignant le mauvais œil, nous y reviendrons.
9 Sénèque le Rhéteur, Controverses, X, 4, 8.
10 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXVIII, 35.
11 Barton, 1993 ; Dasen, 2013a ; 2015a, p. 281 et suiv. ; Stahl, 2011, p. 721.
12 Pour un exposé développé de la question voir Husquin, 2018a.
13 Capasso, 2001, p. 751 et suiv.
14 Catalano, Ianetti, Benassi et al., 2009, p. 25-29 ; Catalano, Benassi, Caldarini et al., 2010 ; Catalano, Caldarini, Mosticone et al., 2013.
15 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXXIV, 6.
16 Plutarque, La vertu est le fruit de l’enseignement, 440a-b ; Hérodote, Histoires, IV, 2. Voir aussi P. Oxy., XII, 1446.
17 Pour l’occupation des charges politiques et religieuses voir le chapitre sur la participation à la vie civique et juridique de la cité.
18 Voir la première publication de Bove, 1966, l’inscription fut republiée dans l’Année épigraphique, 1971, 88. Voir également : Dumont, 1995 ; Hinard, 1995 ; Hinard et Dumont (dir.), 2003 ; Bodel, 2004.
19 Hinard et Dumont (dir.), 2003, p. 16. Les auteurs proposent la traduction suivante (p. 17) : « Que les ouvriers, qu’on se sera préalablement procurés pour cette tâche, ne se tiennent ni se lavent à l’intérieur de la tour où se trouve actuellement le “bosquet de Libitine” à partir de la première heure de la nuit et qu’ils ne viennent en ville que pour lever un corps et lui donner une sépulture ou pour infliger un supplice ; pourvu qu’aucun d’entre eux ne vienne, chaque fois qu’il entrera dans la ville ou qu’il sera dans la ville, sans avoir sur la tête un bonnet bariolé et pourvu qu’aucun d’entre eux ne soit âgé de plus de cinquante ans ni de moins de vingt, et ne soit bancal, ni borgne, ni mutilé, ni boiteux, ni aveugle, ni marqué de stigmates, et pourvu que l’adjudicataire n’ait pas moins de trente-deux ouvriers. » À noter que le terme de bancal est proposé pour combler une lacune dont il sera question dans le développement.
20 Dumont, 1995, p. 183-184 ; Hinard et Dumont (dir.), 2003, p. 114-115.
21 Hinard, 1995, p. 210-211.
22 Baroin, 2011, p. 294.
23 Plutarque, Étiologies romaines, 73.
24 Hinard, 1995, p. 210-211.
25 D. 22. 5. 8 (Scaevola au liv. 4 des Règles) ; D. 27. 1. 40 (Paul au liv. 2 des Sentences).
26 Hinard, 1995, p. 210.
27 Hinard et Dumont (dir.), 2003, p. 114. Varron, De la langue latine, IX, 10 : « On peut pécher dans les déclinaisons de deux manières, ou en suivant un usage vicieux ou en tombant dans une anomalie que l’usage n’a pas encore sanctionnée. Dans le premier cas, on s’accorde qu’il n’est pas permis de déroger à l’usage, dans le second, on conteste le droit de persister dans une anomalie que l’usage n’a pas accréditée : de même qu’on permettrait de corriger le défaut d’un enfant qui s’amuserait à marcher de travers et à imiter l’allure de ceux qui ont les jambes tordues (uatias), et qu’on ne permettrait pas de remédier au même défaut, qui se serait invétéré par l’habitude. » D. 21. 1. 10. 5 (Ulpien au liv. 1 sur l’Édit des édiles curules) : « On a demandé si un bègue (balbus), si celui qui prononce difficilement (blaesus), celui qui mange les mots (atypus), celui qui parle lentement (tardius loquitur), celui qui a les jambes courbées en-dedans (uarus), ou de travers (uatius), est sain (sanus) ? Je pense qu’il doit être regardé comme tel. »
28 Martial, Épigrammes, VIII, 75, 9-10, trad. modifiée.
29 Bodel, 2004, p. 147 ; Hinard et Dumont (dir.), 2003, p. 115.
30 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VII, 75.
31 Dasen, 2018.
32 Wells, 1964.
33 Charlier, 2008, p. 132.
34 Taylor, 2008.
35 Molleson, 1999 ; Roberts et Cox, 2003, p. 110.
36 Molleson, 1999, p. 72.
37 Ibid., p. 73.
38 Voir le chapitre sur la vie juridique.
39 Molleson, 1999, p. 73.
40 Graham, 2013.
41 Ibid., p. 259-266.
42 Ibid., p. 259-260.
43 Southwell-Wright, 2013, p. 84-85.
44 Gourevitch, 1984a, p. 217-250.
45 Sénèque, Lettres à Lucilius, XIV, 95, 18.
46 Cicéron, De l’orateur, II, 249. Garland, 1994 ; 1995, p. 77.
47 Plutarque, Fortune d’Alexandre, 331b-c. Une autre occurrence suivant la même trame mais concernant Coclès se trouve chez Servius, Commentaire sur l’Énéide de Virgile, VIII, 646. Une autre encore chez Plutarque, Apophtegmes des Lacédémoniens, 241e-f.
48 Celse, De la médecine, VIII, 10, 5 : Foedior debilitas est.
49 Ibid., VIII, 10, 7 : Indecorum fit.
50 Baroin, 2015, p. 32-33 ; Monteil, 1964.
51 Baroin, 2015, 32-35 ; Arnaud-Lesot, 2012, p. 46-51.
52 Baroin, 2018.
53 Celse, De la médecine, VIII, 26, 36 ; Arnaud-Lesot, 2012, p. 46-48.
54 Cicéron, Des termes extrêmes des biens et des maux, V, 46.
55 Nicolas de Damas, Histoires, frgt 68.
56 Aulu-Gelle, Nuits attiques, II, 27. Voir aussi : Plutarque, Vie de Sertorius, 4.
57 Tite-Live, Histoire romaine, XLV, 29, 17-18.
58 Macrobe, Saturnales, II, 4, 7. Voir une anecdote similaire chez Quintilien, Institution oratoire, VI, 3, 75.
59 Cicéron, De l’orateur, II, 235-236.
60 Ibid., II, 237.
61 Ibid., II, 239.
62 Sur ces jugements voir Corbeill, 1996, p. 23.
63 Haury, 1955 ; Corbeill, 1996, p. 23.
64 Cicéron, Contre Vatinius, II, 4 ; XXIX ; Lettres à Atticus, II, 9, 2 (Correspondance, XXXVI).
65 Velleius Paterculus, Histoire romaine, II, 69.
66 Macrobe, Saturnales, II, 3, 5.
67 Cicéron, De l’orateur, II, 262.
68 Ibid., II, 245.
69 Plutarque, Propos de table, II, 1, 9.
70 Macrobe, Saturnales, II, 4, 8 ; II, 6, 3-4.
71 Corbeill, 1996, p. 57.
72 Cicéron, Philippiques, III, 16.
73 Corbeill, 1996, p. 61-62 ; Salway, 1994.
74 Kajanto, 1965, planche 9.
75 Soit à une partie de celui-ci, soit au corps tout entier.
76 Corbeill, 1996, p. 63-68 ; Garland, 1995, p. 78.
77 Plutarque, Vie de Cicéron, I, 3-5.
78 Cèbe, 1966, p. 157.
79 Kajanto, 1965, p. 63 ; Corbeill, 1996, p. 58-59.
80 Macrobe, Saturnales, II, 3, 3-4.
81 Martial, Épigrammes, XII, 83 ; I, 65 ; V, 49 ; VI, 74 ; VII, 38 ; VIII, 9 ; VIII, 59 ; X, 83 ; XII, 89 ; XIV, 212 ; Juvénal, Satires, VIII, 30.
82 Garland, 1995, p. 83-86.
83 Plutarque, Propos de table, I, 4, 3.
84 Horace, Satires, I, 4, 87-91.
85 Macrobe, Saturnales, II, 2, 10.
86 Martial, Épigrammes, XII, 54 ; Juvénal, Satires, IX, 15-20.
87 Martial, Épigrammes, VII, 39.
88 Ibid., VI, 78.
89 Dupont, 2003, p. 292-296.
90 Cèbe, 1966, p. 37-44 ; Garelli, 2000.
91 Garelli, 2000, p. 249-250, figures 3 et 4.
92 Son nom est dérivé de dorsum, le « dos », qui se prononçait dossum. Cèbe, 1966, p. 38, note 4.
93 Ibid., p. 39.
94 Ibid., p. 40.
95 Sur le mauvais œil et comment le repousser : Ballet et Jeammet, 2011, p. 50-54 ; Barton, 1993, p. 167 ; Clarke, 2007, p. 63-85 ; Dasen, 2009d, p. 228-231 ; 2013a, p. 271 et suiv. ; 2015a ; Galbois, 2014, p. 206-207 ; Levi, 1941 ; Masséglia, 2015, p. 294-296 ; Mitchell, 2013, p. 281 et suiv. ; Trentin, 2015, p. 51-72.
96 Dasen, 2013a, p. 271-272.
97 Trentin, 2015, p. 53-54.
98 Barton, 1993, p. 167 ; Levi, 1941 ; Trentin, 2009 ; 2015, p. 52 et suiv.
99 Plutarque, Propos de table, V, 7, 3. Dasen, 2009d, p. 228 ; 2013a, p. 271 ; Ballet et Jeammet, 2011, p. 54.
100 Ballet et Jeammet, 2011, p. 39-82 ; Dewailly et Charlier, 2006 ; Galbois, 2014, p. 199-207 ; Mitchell, 2013 ; Trentin, 2015.
101 Ballet et Jeammet, 2011 ; Galbois, 2014, p. 199-201 ; Garland, 1995, p. 108-11 ; Mitchell, 2013 ; Trentin, 2015, p. 11-14.
102 Trentin, 2015, p. 51-71.
103 Ibid., p. 6.
104 Pour le côté esthétique de ces figures : Cèbe, 1966, p. 345-358 ; Bocherens (dir.), 2012.
105 Ballet et Jeammet, 2011, p. 50-51 ; Dasen, 2009d, p. 226-227 ; Levi, 1941, planche 56, figures 120a et 121 ; Masséglia, 2015, p. 289-291 ; Trentin, 2015, p. 51-59.
106 Chien, félin, oiseau, serpent, insectes.
107 Un trident et une épée.
108 Ballet et Jeammet, 2011, p. 51 ; Dasen, 2009d, p. 226.
109 Ibid., p. 225-228 ; Levi, 1941, p. 228.
110 Sur ce que J. Masséglia appelle le « tuck-for-luck » voir son ouvrage de 2015, p. 289-291 ; Trentin, 2015, p. 59-61.
111 Trentin, 2009 ; 2015, p. 9-26 ; 41-45 ; figure p. 117.
112 Dunbabin, 1989, p. 33-40.
113 Trentin, 2009, p. 131 ; cet objet a été découvert en 1758, il devint la propriété du cardinal Alessandro Albani, avant d’être confisqué par Napoléon, puis d’être acquis par un membre de la famille Torlonia. Il est aujourd’hui conservé à la villa Albani-Torlonia à Rome, où il n’est pas visible par le grand public. Il n’est accessible que sur autorisation. Je remercie Giulia Cirenei et l’École française de Rome grâce à qui j’ai pu voir cette statue.
114 Ibid., p. 144.
115 Trentin, 2015, p. 43.
116 Levi, 1941, p. 228.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008