Chapitre III. Les territoires de la mobilité : une construction sociale de l’espace
p. 111-147
Texte intégral
« La propriété mobilière, le capital, peut donner à l’homme la richesse. La propriété foncière, la terre, lui donne bien autre chose encore. Elle lui donne une part dans le domaine du monde. Elle unit sa vie à la vie de toute la création. »
Guizot F., De la démocratie en France, Paris, Michel Lévy, 1849, p. 82.
1François Guizot perçoit une dimension particulière de l’univers matériel : celle du territoire construit, puis approprié, comme couronnement de la mobilité sociale bourgeoise. Que nous dit la propriété de l’idée que se font les hommes de leur position dans la société ? Comment se construit cette image par le choix des biens, leur circulation et celle des modèles sociaux qu’ils véhiculent ? Dès l’époque moderne, les espaces de la promotion sociale font l’objet d’une réflexion attentive, voire normative1 : la convenance renvoie, dans les précis d’architecture du xviie siècle, à l’adéquation de la forme et du rang, privilégiant toujours la notion de bienséance2. Les ouvrages du siècle suivant assurent la promotion de la commodité, ouvrant la voie à ce qui deviendra le confort, en modifiant en profondeur la distribution3. Le débat sur la dévolution et les aménités des appartements, l’ordonnancement des façades ou la convenance d’une rue ou d’un quartier traverse tout le xviiie siècle. Il encourage la différenciation ségrégée des espaces urbains modernes4. Il s’agit par conséquent de prendre la mesure du décalage entre un discours architectural théorique et la réalité des usages, par la façon dont la bourgeoisie investit ses différents territoires. Aussi faut-il revenir à la dimension empirique de la construction des espaces vécus : comment s’opère l’ajustement des territoires aux mobilités ? Les décalages, les retards ou la persistance de pratiques anciennes éclairent la nature et le rythme du déplacement social. Le bourgeois devient-il, au final, l’espace qu’il occupe ?
Dynamiques sociales et différenciation des territoires
2La paroisse et le quartier sont les univers les mieux investis par l’historiographie. Ils ont permis une bonne connaissance des redistributions urbaines5. La géographie des propriétés relevant des mobilités sociales en élargit les horizons. La carte du patrimoine immobilier donne à lire une archéologie des formes d’acquisition, de la simple masure, autour de 1600, à l’achat massif de domaines considérables, après 1750. La signification sociale des territoires emboîtés de l’ascension favorise l’acquisition de nouveaux codes sociaux. Les Le Couteulx expérimentent, au xviiie siècle, les usages de la résidence multiple qui reflètent leurs mobilités vécues : durablement dynastiques pour les sièges, lignagères pour les seigneuries, elles se veulent d’agrément et plus « intimes » dans les campagnes. Toutes ne répondent pas aux mêmes critères de localisation, aux mêmes logiques de distribution, aux mêmes usages distinctifs. Les stratégies de leur acquisition diffèrent sensiblement et ne se résument guère à leur seule valeur vénale6.
Évaluer la propriété
3La valeur d’un bien relève d’une combinaison d’indicateurs à la fois quantifiables (sa valeur vénale, le nombre de ses mutations) et qualitatifs (les acteurs de sa circulation, sa valeur de prestige). La double logique économique et sociale de cette circulation implique une approche à la fois horizontale, par l’analyse des réseaux sociaux et financiers nécessaires à l’acquisition et verticale, en ce qu’elle suppose une compréhension de la formation de la valeur distinctive du bien.
4L’évaluation de la valeur vénale rencontre des obstacles significatifs : le fonctionnement spécifique du marché immobilier d’Ancien Régime et ses fluctuations nous échappent encore ; la constitution du prix peut, pour des raisons fiscales principalement, comporter des pots-de-vin, inclure du mobilier ou être révisée en cours de vente7. Le bien est également pesé à l’aune d’une valeur symbolique fluctuante en termes d’investissement social et patrimonial.

Graphique 1. – La valeur vénale des acquisitions rouennaises et parisiennes (valeurs non déflatées).
5L’augmentation de la valeur des acquisitions ne peut surprendre : elle accompagne la montée des capacités économiques de la famille, aux xviie et xviiie siècles, un seuil étant franchi avec les anoblissements de 1756 et 1764. Le décalage entre les prix d’acquisition normands et parisiens s’inverse, peu avant 1720, la valeur moyenne des biens rouennais ne dépassant pas les 100 000 livres, tandis que celle de leurs associés parisiens approche du double. Certes, à pression foncière égale, les prix dans la capitale demeurent plus élevés et les investissements immobiliers y sont plus tardifs. Mais il faut aussi prendre en compte l’étendue des dynamiques sociales : l’écart se confirme avec les anoblissements et la spécialisation financière. Après 1750, la valeur moyenne des biens oscille autour de 250 000 livres à Paris, contre 150 000, à Rouen.
6Il est utile de rapporter ces valeurs au nombre des mutations de biens, afin de mesurer la fréquence et le volume de la circulation immobilière à Rouen et à Paris. Les périodes de fortes mobilités sociales sont propices, dans les deux cas, à une plus grande activité. L’ascension marchande, entre 1600 et 1650, puis l’anoblissement, après 1750 sont l’occasion d’une accélération sensible du nombre des mutations. Modestes et encore proches de la thésaurisation foncière, au xviie siècle, elles privilégient le plus souvent de petites propriétés rurales dans les environs de Paris et de Rouen (Orgérus, Courbevoie, Guyencourt, Saint-Jean-du-Cardonnay), dont la valeur excède rarement les 10 000 livres, avant 1650, ainsi que de petits investissements locatifs au sein de la capitale normande. Elles sont, en revanche, fastueuses au xviiie siècle. Entre les deux, la période de consolidation du capital se caractérise par des acquisitions en commun et une circulation familiale interne des biens : la solidarité des directions, lors de l’acquisition des sièges, se double de transmissions dans le cadre restreint du lignage (donations, ventes aux enfants). Plus tard, des pratiques collectives d’acquisitions dynastiques de seigneuries permettent des achats d’ampleur, constituant de véritables territoires familiaux. Les acquisitions immobilières soutiennent, après 1750, plusieurs dynamiques sociales synchrones : l’achat de seigneuries dans le cadre de l’anoblissement, l’achat de campagnes animant des réseaux de sociabilité d’affaires (Malmaison, Louveciennes), enfin, la conversion spéculative du capital vers l’immobilier locatif urbain (le cour Mandar) et les biens nationaux (Meung-sur-Loire). La branche rouennaise connaît une augmentation plus mesurée de ses transactions, tant en valeur qu’en volume, tandis que le capital est mobilisé par les dots et les manufactures. La propriété y joue un rôle plus secondaire qu’au xviie siècle : elle accompagne la mobilité par des achats de prestige plus qu’elle ne la suscite (Verclives, Canteleu). Le cas parisien s’interprète différemment : la mobilité sociale passe davantage, après 1789, par la circulation immobilière, sans doute parce que les événements politiques s’y font sentir plus durement, touchant la finance plus vite que la manufacture. Comme la dot consanguine, l’immobilier peut apparaître comme une valeur refuge dans des temps troublés : il autorise une redistribution accélérée et réversible du capital, souvent profitable dans le contexte spéculatif d’urbanisation active de Paris. La valeur de ses propriétés particulières devient considérable : Jacques-Jean acquiert, en 1789, une maison rue de Richelieu, construite par l’architecte Brongniart, pour 350 000 livres, Barthélemy-Jean-Louis possède à Paris, à la même époque, une « maison bâtie nouvellement », sur 544 toises de terrain, estimée à 400 000 livres8. Moins exposés, les Verclives, à Rouen, privilégient jusque sous l’Empire la préservation et la transmission du capital entrepreneurial, favorisant un marché familial interne de compensation immobilière, parallèlement à celui de la dot considérable versée lors du mariage d’Anne Le Couteulx : Jean-Barthélemy cède à bon prix les propriétés accumulées autour de Canteleu à Barthélemy-Pierre de Verclives.
7La presque totalité des acquisitions de seigneuries se concentre sur une période de dix ans, entre 1757 et 1768 pour étayer un anoblissement récent. Les propriétés recouvrent des réalités juridiques très variables et peuvent être fieffées en partie ou en totalité9. En revanche, elles ne se réduisent jamais, concernant les Le Couteulx, aux droits féodaux et comportent toujours un domaine, assorti de droits banaux qui en soulignent le double caractère symbolique et foncier. Le prestige du bien dépend, en effet, pour partie des revenus induits par l’affermage de terres cultivables, l’exploitation des bois, ainsi que de l’ensemble des droits et redevances qui lui sont attachés. L’ascension du bourgeois anobli s’inscrit dans les structures économiques, sociales et institutionnelles très anciennes de la seigneurie féodale, par une porosité singulière des modèles sociaux : souvent réformateur sur le plan économique ou social, l’anobli récent est aussi vétilleux quant aux prérogatives seigneuriales qui symbolisent le mieux sont ascension.
8L’hypothèse d’un comportement mimétique d’intériorisation des codes du second ordre doit être nuancée par la redistribution de la sociologie des acquisitions : Jean-Marie Constant observe, pour la Beauce, le poids déterminant de l’office qui représente, au xviie siècle, les deux tiers des acquéreurs, tandis que la part de la marchandise est en constant recul sur la même période, passant de 20 % à 6,5 %10. Le sens de l’acquisition d’une seigneurie par cette noblesse récente confirme tout de même une prise de distance avec le mode de vie suranné de la petite aristocratie rurale : les Le Couteulx se veulent grands seigneurs et ne se retirent guère sur leurs terres (à part du Molay et opportunément), mais inscrivent la seigneurie dans les réseaux de leurs résidences multiples ; cette dernière, pas toujours patronymique, n’étant, in fine, qu’une composante nécessaire de leurs mobilités11. Elle complète le processus d’anoblissement, lui conférant une assise et un certain lustre, intégrant une mobilité récente dans des structures sociales séculaires : les Le Couteulx ont les moyens de ne retenir de leur anoblissement que les mobilités compatibles avec les composantes majeures de leur identité. Sans doute auraient-ils pu être anoblis plus tôt : ils n’en acceptent le principe, au fond, que dans un compromis de ce qu’ils sont (citadins, négociants et financiers) avec ce qu’ils deviennent (éponymie, revenus de la terre, réseaux de sociabilité).
9Les acquisitions de seigneuries marquent surtout une étape dans le niveau des investissements fonciers : les plus modestes valent 130 000 livres (Vertron, Verclives), les plus conséquentes plus de 400 000 livres (Molay, Farceaux). Enfin, elles cristallisent les mobilités en associant le prestige de l’anoblissement à la conversion du capital dans le champ d’investissements fonciers de rapport : Barthélemy III adopte, à partir de 1752, le patronyme de sa seigneurie de Vertron, en perçoit les droits de champart, de chasse et de pêche, ainsi que « cens, rentes et redevances, tant en argent qu’en grain » et en exploite profitablement les bois vendus à la Marine royale12.
L’investissement foncier spéculatif
10La vente des biens nationaux encourage la spéculation foncière et consacre, dans une période trouble, un retour des élites urbaines vers la terre13. Laurent-Vincent de La Noraye, pourtant auteur, en 1790, d’un opuscule qui prône un usage mesuré des biens nationaux dans le financement de la dette, ne rechigne guère à en faire pour lui-même un usage immodéré avec son associé Canteleu14 : la baronnie normande de Neuilly et ses 300 hectares de terres sont acquis pour plus de 750 000 livres15. Barthélemy-Jean-Louis de La Noraye fait, pour sa part, un emprunt de 80 000 livres, pour l’achat d’une propriété dans le district de Gonnesse. La majorité de ces biens est acquise durant l’an III et l’an IV, essentiellement à l’aide des fonds que l’État bloquait depuis l’an II. La plupart sont affermés, les revenus finançant, en partie, l’investissement dont le remboursement est échelonné sur plusieurs années16. Une quantité considérable de ces biens est acquise en Belgique, dans les provinces occidentales, les plus proches de la frontière, constituée par des bâtiments ecclésiastiques et les nombreuses fermes en dépendant. La liste en est établie par Jean-Barthélemy, lors du procès qui l’oppose à la banque Saint-Charles, à partir de 179517. Condamné à verser 2 125 000 francs au gouvernement espagnol, en 1809, le dirigeant parisien est contraint, on l’a vu, de garantir l’emprunt de la somme sur ses biens immeubles dont il doit vendre la quasi-totalité18.
11La rentabilité des biens nationaux doit être prise en compte pour en mesurer la valeur en termes d’investissement : en 1791, du Molay acquiert la propriété de Meung-sur-Loire, ancien château de l’évêque d’Orléans, pour 300 000 livres19.
12La reconstitution des revenus de la châtellenie, à la fin du xviie siècle, en mesure l’importance : ils représentent 66 % des ressources temporelles de l’évêché. Cela n’a sans doute pas échappé à l’ancien trésorier de la Caisse de l’extraordinaire. Ces revenus viennent, un siècle plus tard, s’ajouter à ceux du domaine de la Malmaison, du cour Mandar et de l’hôtel de la rue de Richelieu loué, pour 20 000 francs par an, au glacier napolitain Paul Garchi qui y installe le café Frascati, en 178920. Les projets immobiliers et fonciers constituent l’essentiel du patrimoine et des revenus de l’ancien banquier, après la Révolution, et participent d’un repli stratégique de son capital, consolidé par un lent glissement vers la rente, entamé au milieu du siècle. L’investissement immobilier spéculatif favorise une dispersion sensible des capitaux dynastiques. Il différencie les stratégies sociales et éclaire le rôle variable de la combinaison des propriétés dans la construction des territoires identitaires.
13Le fonctionnement du marché immobilier d’Ancien Régime, pour les biens d’exception, nous est encore mal connu. La constitution progressive du patrimoine immobilier des Le Couteulx nécessite des relais, d’autant que les biens sont éloignés et difficiles à estimer : le prestige du nom du vendeur, le bon rapport financier de la propriété en mesurent très approximativement la valeur. Aussi, la circulation de la propriété nécessite de solides réseaux qui mettent en relation vendeurs et acquéreurs, certes, en fonction de disponibilités financières, mais aussi de liens de sociabilité et d’une certaine concordance des mobilités : le bien ne doit pas être hors des moyens de l’acheteur qui le paie le plus souvent comptant et en aucun cas être déclassant21. L’acquisition favorise la fluidité des imaginaires sociaux par certaines circulations culturelles ascendantes, en termes de cadre de vie, de normes de confort ou d’apprentissage des convenances. Les Le Couteulx tiennent leurs propriétés presque toujours de familles plus intégrées au monde marchand, mieux instituées par les offices, puis, dans la seconde moitié du xviiie siècle, des cercles aristocratiques les mieux en Cour. Cette relative perméabilité des modèles sociaux, par la circulation sélective du patrimoine immobilier, constitue un marqueur sûr de mobilité et un outil solide de transformation de l’identité. Le prestige du propriétaire antérieur est un élément de valorisation symbolique ; il détermine davantage les réseaux de recrutement du successeur que la valeur vénale du bien elle-même : dans le dernier tiers du xviiie siècle, la sélectivité extrême des biens retenus pour la constitution d’un réseau de campagnes à proximité de Paris (Louveciennes, Auteuil, Malmaison), n’offre plus de corrélation exacte entre le niveau social très élevé du vendeur et la valeur vénale, relativement moyenne, du bien : leur prix oscille autour de 200 000 livres, valeur intermédiaire dans le patrimoine des Le Couteulx, loin en deçà des grandes seigneuries et des importantes demeures parisiennes. Le décrochement entre valeur de prestige et valeur vénale est significatif, à la veille de la Révolution : la circulation des campagnes implique les plus hautes sphères de la Cour (de Chaulnes), de l’armée (marquis de Béthune et Castellane), de la justice (d’Aguesseau) ou des finances (Grimod de La Reynière) et participent à l’intégration de la dynastie aux réseaux de la mondanité salonnière la plus sélective. La rentabilité n’est guère pour autant négligée : la Malmaison conjugue un parc à l’anglaise avec une exploitation agricole qui ne comprend pas moins de dix-neuf fermes, réparties sur 260 hectares de champs, de vignes et de bois. Mais plus encore, la campagne offre, au-delà des revenus de ses domaines, un patrimoine de jouissance, cadre raffiné d’une sociabilité d’exception, qui installe les Le Couteulx dans une tout autre dimension sociale. Elle constitue, en ce sens, un point de rupture dans la mobilité résidentielle, à la synthèse du patrimonial, du culturel et des réseaux de sociabilité : elle n’implique pas seulement le brouillage des codes entre la ville et la campagne, mais aussi une certaine porosité des conditions sociales par une circulation des propriétés qui encourage le métissage des modes de vie : certaines sont cédées avec l’ensemble de leur mobilier et placent, d’emblée, l’acquéreur dans le goût et les représentations de ses prédécesseurs. Silencieusement, la bourgeoisie se glisse dans les draps de la noblesse. La raison en est triviale : la valeur des meubles échappe à la fiscalité, permettant de basculer une partie, parfois non négligeable, du prix de l’immeuble hors de l’imposition. Cette pratique, qui n’est pas l’apanage de l’aristocratie, constitue parfois un vecteur significatif de diffusion culturelle par l’univers matériel ; le mobilier représente une valeur, loin d’être insignifiante, comprise souvent entre le quart et le tiers de celle de l’immeuble.
Propriétés | Dates et nature de la transaction | Valeurs de la propriété | Valeur du mobilier cédé (% de la valeur de l’immeuble) |
Vertron | 1752 achat | 130 000 livres | 42 000 livres (32 %) |
Hautot-sur-Seine | 1768 estimation | 30 000 livres | 10 000 livres (33 %) |
Malmaison | 1771 achat 1799 vente | 180 000 livres 325 000 francs | 40 000 livres (22 %) 37 000 francs (11 %) |
Domaine de Villeflix | 1782 achat 1795 vente entre époux 1809 vente | 200 000 livres 900 000 livres 320 800 francs | 14 382 livres (7 %) 100 000 livres (10 %) |
Louveciennes | 1787 achat | 121 000 livres | 30 000 livres (24 %) |
Auteuil | 1792 achat | 4 000 livres de rente | 10 000 livres |
Tableau 7. – La valeur du mobilier vendu avec les propriétés.
14Les estimations ne correspondent pas toujours à la valeur réelle du mobilier : la vente de la Malmaison aux Le Couteulx, en 1771, s’accompagne d’une évaluation visiblement généreuse du meuble en comparaison de celle de l’acte de vente de 179922. Âprement négocié par Joséphine, le prix de la Malmaison fait l’objet d’un compromis : la propriété est cédée 225 000 francs, contre 300 000 exigés au départ, mais l’estimation du riche mobilier est méticuleuse et porte à 37516 francs et 65 centimes la part exempte de droits. Le mobilier d’occasion est rarement conservé : la campagne n’est pas le lieu de la mondanité informelle qu’elle prétend être, mais demeure la vitrine, transposée dans un cadre naturel idéalisé, d’une mise en scène étudiée. La bourgeoisie recycle, dans les campagnes, le cadre de vie des élites aristocratiques pour en faire le théâtre de sa propre réussite. Elles deviennent le lieu de transmissions symboliques et de réseaux solidement ancrés et cédés avec les murs, mais ajustés aux mobilités du nouveau propriétaire : les Le Couteulx acquièrent aussi les sociabilités et les représentations des propriétaires antérieurs. Les architectes Percier et Fontaine, qui rechignent, en 1799, à « rétablir une mauvaise maison qui tombe en ruine et qui n’avait été bâtie que pour un personnage très ordinaire », ignorent la convergence profonde des formes distinctives méticuleusement accumulées entre ses murs par le monde de la finance, depuis le xviie siècle23. Lorsque du Molay la cède, en 1799, la Malmaison est, depuis longtemps, un laboratoire du goût distinctif, par un tissage lent de sociabilités et de cooptations resserrées.
15Jusqu’en 1750, les acquisitions de propriétés s’articulent en périphérie des mobilités principales, centrées sur les sièges et constituent des territoires sociaux limités (beaux-pères, héritages). La valeur vénale connaît son apogée au moment de l’anoblissement : un basculement est observable du capital, vers les acquisitions les plus chères jamais opérées par la famille, tandis que la centralité des sièges sociaux est remise en cause. Ce déplacement du centre de gravité patrimonial aboutit à leurs ventes par licitation et à la formation de territoires immobiliers très différenciés, à la fin du xviiie siècle. Le rythme de la circulation immobilière n’est pas indifférent et les cas parisiens et rouennais ne se superposant pas.
16Pour autant, les stratégies dynastiques perdurent longtemps. La part notable d’un marché familial interne renvoie à la synchronie des ascensions, comme à l’économie d’échelle dans la constitution de territoires à plusieurs dimensions : placement garanti de la fortune commerçante, la propriété devient un vecteur de modèles sociaux dans le cadre d’un anoblissement de fraîche date, puis un moyen d’intégration symbolique, inscrit dans des réseaux hérités de sociabilités aristocratiques.
17La géographie d’un territoire social implique de situer convenablement les enjeux de la propriété dans les processus ségrégatifs : la compréhension des stratégies d’acquisitions urbaines en constituent un aspect essentiel.
La rue Saint-Honoré
« L’habitat du peuple parisien parle moins de la manière définitive dont pour lui les jeux sont faits, que de la façon dont il en manipule les règles24. »
18Les mobilités introduisent dans l’espace des discontinuités qui font sens : tant à l’échelle de l’organisation urbaine, qu’à celle plus modeste de la distribution domestique25. Il importe d’en saisir les processus de différenciation : comment se construit le territoire résidentiel, quand les impératifs de l’habitation se détachent des exigences de la localisation professionnelle ? La ségrégation spatiale a beaucoup à faire avec la porosité conflictuelle de ses frontières et la redistribution des hiérarchies et des activités dans l’espace urbain. La péremption d’un lieu distinctif est toujours possible par l’émergence de nouveaux quartiers ; le tumulte laborieux de la rue Saint-Denis ou la simple absence d’une porte cochère saisissent rues et immeubles d’insuffisance, au détour de nouveaux impératifs de représentation ou de confort : l’itinérance locative, la réhabilitation du bâti, enfin l’abandon d’un quartier sont autant de réponses à l’exploration permanente de nouvelles formes de distinction résidentielle. L’enjeu consiste à retrouver la trajectoire d’une notion : celle de la ségrégation urbaine, reliée aux dynamiques sociales, afin d’affiner la cartographie territoriale de l’ascension bourgeoise.
19Au milieu du xviie siècle, Jacques Ier quitte le siège de la rue de la Grande Truanderie pour occuper une maison de la paroisse Saint-Roch, rue Neuve-Saint-Honoré26. Après son décès, sa veuve acquiert l’ensemble immobilier composé de trois corps de logis avec porte cochère, bordé par la rue de Gaillon, l’hôtel de Vendôme et le couvent des Jacobins réformés, en décembre 1660, moyennant une rente de 1925 livres27. L’absence d’héritier favorise ce transfert d’une partie du capital entrepreneurial vers le patrimoine de jouissance, sans pour autant lui ôter sa dimension de rapport : les deux autres corps de logis sont loués, dès 1660.
20Le choix de la rue n’est pas anodin : la première moitié du xviie siècle favorise l’extension des beaux quartiers vers l’ouest parisien. L’aménagement des parcelles bordant le palais du Louvre et, plus tard, la destruction de l’enceinte de Charles V, entre 1633 et 1636, prolongent la rue Saint-Honoré par la construction d’une nouvelle porte en gagnant de nouveaux terrains sur le faubourg. À l’initiative de promoteurs privés, de nouvelles rues sont tracées, des parcelles viabilisées et, dans le contexte du renouveau catholique de la Contre-Réforme, Anne d’Autriche pose, en 1653, la première pierre de l’église Saint-Roch28. Ce nouveau quartier à l’environnement clair, presque campagnard, au parcellaire spacieux et aux constructions récentes se tient à l’écart des activités industrieuses et de l’habitat vétuste et malsain des quartiers centraux : plus que la concentration d’habitants de statuts sociaux comparables, la bourgeoisie marchande recherche, avant tout, une séparation des logiques fonctionnelles, entre l’échoppe de l’artisan et les immeubles à usage de commerce et de résidence. Si le siège social reste attaché au cœur économique du quartier des Halles, il a quitté depuis longtemps la rue Saint-Denis : la ségrégation commence par un phénomène de dispersion contrôlée des élites vers les axes nouveaux de la capitale. Lieu de spéculation foncière et immobilière, la rue Neuve-Saint-Honoré attire de nombreux marchands des Grands-Corps dans la proximité d’une clientèle riche et aristocratique, tandis que s’observe une redistribution parallèle des activités artisanales vers les faubourgs populaires de Saint-Antoine et de Saint-Marcel29. On retranche de l’espace ascendant le bruit et la promiscuité, en multipliant les intermédiaires sociaux qui mettent à distance les contraintes. Les marchands-merciers et la boutique, tout en donnant l’impulsion au monde de l’artisanat, participent, avec d’autres, à une différenciation de l’espace commercial qui annonce la mise à l’écart de l’échoppe et du cabaret30. Elle contribue indéniablement au déclin de l’attractivité des axes industrieux de l’est parisien31. Cette différenciation fonctionnelle des espaces urbains précède une véritable séparation sociale des quartiers. Le processus ségrégatif ne relève guère d’une « ghettoïsation » qui enfermerait la population selon des critères catégoriels, mais d’un travail de mise à distance de la contrainte et de l’indésirable, qui relève d’un double processus empirique : celui de l’étalement des espaces intermédiaires qui repoussent la frontière du public en favorisant l’intimité et celui de la production d’espaces symboliques qui en modifie le rapport. La boutique protège de l’artisan et l’hôtel éloigne de la rue et de ses nuisances, avec sa lourde porte cochère gardée par un concierge32. Enfin, la polarisation d’un milieu social homogène affine un processus de sélectivité par la valeur ascendante des propriétés et des loyers. L’acquisition d’un bien dans un quartier valorisé tient aussi de l’investissement rentable dans une stratégie de corésidence, les loyers perçus par le propriétaire réduisant d’autant la charge financière de l’acheteur ou celle du bailleur principal, comme l’observe à Lyon Olivier Zeller. La ségrégation urbaine relève de logiques sociales multiples et évolutives33 : elle superpose les mobilités sociales avec la redéfinition constante des avantages comparatifs offerts par la dynamique urbaine, contribuant à la redéfinition continue des composantes identitaires collectives. La morphologie du quartier de la rue Neuve-Saint-Honoré ne cesse d’évoluer pour se voir bientôt intégrée à l’espace urbain et prolongée vers les faubourgs. Elle passe pour l’une des artères les plus prisées de Paris, et concentre les élites liées à la Cour, à la finance, au commerce. Sa notoriété trouve son plein épanouissement au xviiie siècle, pour devenir l’univers des marchands les plus opulents et les plus célèbres de la capitale34. Par un effet de concentration commerciale lentement construit s’y retrouvent les drapiers, les fourreurs, les merciers, les bonnetiers ou les orfèvres qui y tiennent à la fois boutique et en investissent les vastes habitations, à l’abri des hôtels de leur prestigieuse clientèle35. Le cycle ségrégatif se prolonge suivant l’évolution du quartier dont l’agrément, lié à l’origine à l’espace et aux commodités des logements, se transforme progressivement en un souci de rentabilité d’un immobilier de rapport : la résidence multiple redistribue, au xviiie siècle, vers les campagnes les aménités des jardins urbains, tandis que se densifie le parcellaire destiné à la spéculation locative. L’exemple le plus abouti de cette conversion d’un patrimoine ségrégé vers l’économie de rapport est, sans conteste, l’aménagement de la rue Mandar, à la fin du xviiie siècle. L’évolution du ratio locatif constitue alors une mutation qualitative de la dynamique urbaine, l’achèvement du cycle survenant avec le déplacement des formes ségrégatives vers les nouveaux espaces périurbains gagnés sur les faubourgs (Chaussée-d’Antin).
21La circulation dans la ville et entre les propriétés induit des pratiques sociales liées aux déplacements qui participent à la production d’espaces différenciés et définissent le niveau de centralité d’un lieu. L’économie du déplacement demeure mal connue, elle est pourtant une des conditions de la mobilité sociale. La porte cochère n’a pas qu’une valeur symbolique de prestige : elle est censée indiquer la présence d’écuries, de voitures, de chevaux qui constituent un puissant appareil distinctif. Si l’équipage est dissocié de l’hôtel de direction rouennais qui ne l’héberge pas, l’exiguïté du parcellaire pouvant l’expliquer, il en va autrement dans les résidences parisiennes36. Jacques Ier dispose, en 1652, d’une écurie pouvant accueillir six chevaux et d’un carrosse « écussonné à l’or fin37 ». L’équipage contribue à la diffusion, dans la bourgeoisie marchande, d’un luxe et d’un mode de vie qui relevaient naguère du privilège de la noblesse. Il représente un marqueur social distinctif, efficace et revendiqué, car moins aisément rattrapé par la petite bourgeoisie, à cause du coût de son entretien, de la domesticité qui lui est dévolue, mais aussi de l’organisation spécifique de l’habitat qu’il impose38. Plus qu’une porte cochère, dont le prestige n’annonce pas toujours celui d’un équipage, la cour de l’hôtel, qualifiée de « grande » ou « d’honneur », autorise les remises, les écuries et le logement des gens de maison, parfois une sellerie. Elle représente un espace intermédiaire indispensable, tant pour la préparation de l’attelage que pour le chargement des passagers, à l’abri de l’espace public. Le carrosse est, par excellence, le « meuble » qui véhicule le mieux, si l’on peut dire, l’ambition sociale, à l’extérieur de la sphère privée. Il est l’objet d’une attention particulière : en 1750, Jean X possède deux berlines, dont une est estimée à 1 000 livres, et deux chevaux hongres, évalués avec leurs harnais et leurs brides à 250 livres39. Les frais annuels d’entretien de la ferrure s’élèvent à 72 livres en 174940. En 1794, Laurent-Vincent dispose, place Vendôme, d’un ensemble de plusieurs voitures, représentant une valeur totale de 1400 livres : trois berlines à quatre places, une diligence anglaise et une calèche en mauvais état41.
22La mobilité pose, en termes renouvelés, le problème du mode de déplacement par la mise à distance des contraintes de la circulation. L’équipage et son luxe transposent, au cœur de l’espace public, la barrière sociale et produisent autant de tensions distinctives. Le déplacement est l’occasion d’une manifestation de la prétention sociale, entre compétiteurs pour « tenir le haut du pavé ». Autant que l’outil ou le mode de circulation, la trajectoire, les hésitations, voire la violence, qui accompagnent tout cheminement sont une projection de la position sociale, réelle ou prétendue. La circulation transpose l’inégalité sociale au cœur même de la rue : elle alimente une histoire de la violence urbaine et de sa régulation42. La possibilité de circuler constitue, dans les faits, un privilège qui permet la résidence multiple, déployant ainsi les nouveaux territoires de la mobilité sociale. La fluidité de la circulation et l’accessibilité des quartiers ségrégés s’opposent à l’exiguïté et l’enclavement des quartiers populaires, dans une logique poussée à son terme par l’haussmannisation, au siècle suivant. Une géographie de la circulation s’ébauche, redistribuant les effets distinctifs de concentration : elle place la rue Saint-Honoré au cœur d’une mobilité parisienne, à la fois sociale et géographique.
23Bientôt les grands boulevards parisiens viennent compléter cette géographie de la mobilité urbaine, inaugurant la sociabilité de la promenade et des grands cafés. Parcouru par Balzac, le boulevard devient le lieu d’observation de la posture du marcheur et de la circulation des équipages, sous la Restauration : elle personnifie l’identité fluide, par l’évolution des pratiques de publicité de l’ascension sociale réelle ou prétendue43. De la porte cochère aux grands boulevards, l’ascension combine désormais les cycles de la ségrégation urbaine avec la mobilité des apparences, dans un espace social où la circulation devient l’élément central du travail distinctif : celle d’une bourgeoisie qui gagne le contrôle de la rue où s’organise dans la conflictualité la mise en scène de sa réussite. Une histoire des mobilités sociales d’Ancien Régime passe par une compréhension du mouvement (la démarche, le corps, la posture ou l’allure) : elle affirme, au xviiie siècle, un déplacement des marqueurs de la position sociale vers les promenades et les terrasses. Elle ébauche une nouvelle géographie urbaine, moins centrée sur l’hôtel, plus exposée sur la rue, dans une complémentarité qui participe d’une redéfinition conjointe des dynamiques urbaines et des formes de production des identités sociales44.
24La rue Neuve-Saint-Honoré met en évidence le fait que la concentration socialement homogène d’une rue ou d’un quartier constitue l’un des aboutissements du processus ségrégatif, sans en être l’objectif initial. Ce dernier se veut plus large : il est d’abord le produit de potentialités différenciées de l’espace, accentuées, ensuite, par l’empirie des pratiques sociales : l’étendue du parcellaire disponible, l’interface de circulation et les connexions aux pôles majeurs de l’activité (les Halles pour les marchands et le Palais pour la robe), les possibilités de filtrage par les espaces intermédiaires entre public et privé (les cours d’honneur, les jardins clos de murs), enfin, la pression spéculative sur les terrains. L’ensemble de ces dispositions créent les conditions d’un tropisme social, et conjuguent plusieurs niveaux de mobilité, lisibles dans la formation du territoire investi (prestige, confort, investissement, construction récente)45.
25La polarisation constitue le second volet du processus ségrégatif : la pratique du patrimoine de rapport dans les immeubles bien situés encourage la concentration d’une population socialement homogène, quand elle n’est pas familiale. Au xviie siècle, les activités à forte nuisance cèdent la place, en partie sous le coup d’une compétition foncière, aux boutiques qui se rapprochent de leur clientèle46. Ce déplacement accélère la recomposition sociale de l’espace urbain en faveur des nouveaux axes, puis des faubourgs. L’entre-soi facilite, ensuite, la recomposition interne des îlots permettant la reconstruction à neuf des hôtels, ou la réhabilitation des corps de logis les plus anciens. La valorisation foncière d’un quartier autorise des revenus locatifs substantiels et encourage l’orientation vers l’immobilier de rapport (Mandar, Richelieu), tandis que les processus de mobilité se déplacent vers l’ouest parisien (la rue Mont-Blanc ou le boulevard des Italiens). Saisie comme un univers en soi, la rue Neuve-Saint-Honoré renouvelle, à son propre rythme, les stratégies de différenciation sociale et contribue ainsi à la mise en évidence de certaines composantes identitaires bourgeoises.
26La notabilité s’inscrit dans un territoire : la rue et la paroisse forment le cadre du contrôle social à travers les réseaux d’acquisition et de sous-location, les recompositions du parcellaire, les responsabilités paroissiales et édilitaires partagées. Le territoire fait la synthèse des mobilités, lorsque le public s’attache à peser la recevabilité de l’ascension et la légitimité de ses manifestations par l’adéquation du statut et de l’adresse. Les processus ségrégatifs s’accompagnent de stratégies de compensation, par l’effectivité des mécanismes de fidélité et de solidarité, en renforçant, autour de la famille, les liens et les services de voisinage, de clientèles, de dépendance de la pauvreté honteuse du quartier. L’appropriation de l’espace ne se réduit pas à la propriété : elle forme une géographie des rapports sociaux. Aussi faut-il replacer les territoires dans une architecture à plus grande échelle qui permette une appréhension plus globale des processus à l’œuvre.
Une géographie de l’ascension : architecture des territoires résidentiels
27On a longtemps considéré que les logiques résidentielles marchandes se confondaient suffisamment avec la géographie entrepreneuriale pour ne pas être prises en compte comme un objet historiographique spécifique : le destin du négoce se trouvait indissociablement lié à la boutique ou au siège de l’entreprise. Sans être inexacte, cette idée doit être nuancée : l’ascension des Le Couteulx combine des stratégies spatiales à plusieurs échelles. Si la boutique et le logement se superposent durablement, à Rouen comme à Paris, la résidence multiple fait évoluer sensiblement le territoire de la mobilité, au xviiie siècle47. Il faut attendre la Révolution pour observer une inflexion complète des pratiques résidentielles parisiennes : elle se comprend à l’aune d’une diversification des champs de la promotion sociale et de l’obsolescence des hôtels de direction en matière de transmission du capital, mais aussi de l’active spéculation immobilière qui touche les quartiers neufs de Paris48. La cohabitation dynastique cède le pas à des réseaux familiaux de propriétés dont il importe de saisir le mode de formation.
Les rythmes de la superposition de la résidence et du siège
28Avant 1750, l’espace résidentiel des Le Couteulx semble progressivement s’immobiliser pour se confondre totalement avec les hôtels de direction. La stratégie dynastique privilégie encore la concentration du capital et la cohésion familiale, sur la dispersion des résidences et les acquisitions de prestige. La polyvalence des sièges assure durablement, par un ajustement continu de la morphologie du parcellaire, l’adéquation entre la position sociale et les dynamiques urbaines. Après 1750, les territoires résidentiels se déploient, se dissociant partiellement de l’emprise des sièges : plus vite et plus complètement à Paris qu’à Rouen, où les dynamiques urbaines ne justifient guère le déplacement du siège de la rue aux Ours. Histoire des structures urbaines et territoires de l’ascension se rejoignent.
29Entre 1620 et 1823, 72 % des adresses de dirigeants mentionnées dans les actes se trouvent dans les sièges et ce pourcentage s’élève à 90 % avant 1789. Cette superposition se prolonge de façon résiduelle, jusque sous l’Empire, lors des dernières créations de banques, rues du faubourg Saint-Honoré et d’Hauteville. Le nombre des adresses recensées pour chaque dirigeant ne dépasse guère un maximum de trois dans le courant d’une existence, ce qui est, en définitive, assez peu, d’autant qu’elles se concentrent dans un périmètre de plus en plus restreint après 1650, faisant de la paroisse ou du quartier l’horizon d’une vie. Certains dirigeants demeurent très longtemps au même endroit : Jacques III réside quarante-six ans rue de la Grande Truanderie, Jacques VII, trente ans rue Montorgueil, tandis que Jacques VI et Jean-Jacques-Vincent ne sont connus qu’à cette seule adresse, entre 1738 et 1765. L’abandon de l’hôtel d’Auch marque la fin de cette très forte stabilité résidentielle. La durée moyenne d’occupation d’une adresse parisienne s’effondre, de plus de vingt-sept ans avant la Révolution, à moins de huit ans après : Jacques-Jean du Molay en change en moyenne tous les trois ans et n’apparaît jamais deux fois au même endroit dans les actes notariés après 1789, Jean-Barthélemy de Canteleu, tous les cinq ans. La pratique de la résidence multiple réduit bientôt le logement parisien à un simple pied-à-terre, le plus souvent chez un fils, les autres biens dans la capitale étant vendus ou cédés en location.
30La seconde caractéristique de la résidence parisienne est sa durable localisation, entre 1630 et 1789, dans la paroisse Saint-Eustache. La stabilité résidentielle est alors un facteur de la mobilité sociale, au moins jusqu’à la Révolution. La pérennité des sièges favorise l’emprise sociale sur l’espace : elle implique une présence continue et identifiable, la lente élaboration de la réputation, et l’établissement des réseaux de la solidarité et du clientélisme ; toute délocalisation ayant pour effet la déconstruction complète du territoire et une acculturation durable des migrants.
31La dissociation de l’espace résidentiel et du siège correspond à une différenciation des hiérarchies par le cumul des mobilités : le déplacement du centre de gravité de la finance parisienne, l’acquisition de résidences d’agrément extra-urbaines, enfin la montée en puissance d’un patrimoine de rapport, provoquent des mutations quinquennales, en moyenne, des adresses parisiennes à partir de la Révolution. La carte met en évidence un changement de paradigme profond concernant la localisation des résidences parisiennes après 1750. La formation des territoires ne relève plus seulement d’un travail d’implantation à long terme dans les réseaux d’une paroisse ou d’un quartier dans un tropisme économique, mais de l’adéquation de la résidence, séparée du siège, avec les nouveaux lieux d’une sociabilité de prestige, dans les espaces fraîchement acquis par la périurbanisation, autour du boulevard des Italiens : ce changement de l’ancrage urbain, dans la proximité d’un axe de circulation mondain, reflète la mobilité nouvelle dans le cadre des résidences multiples (campagnes et seigneuries). Ces propriétés forment un véritable réseau qui constitue un objet historiographique négligé. Il complète la construction sociale du territoire urbain, par la mise en évidence de complémentarités fonctionnelles et stratégiques49.
Articuler la ville et la campagne : les réseaux de la propriété
32Le territoire social des Le Couteulx comprend l’ensemble des propriétés acquises et conservées par la dynastie. Sa cartographie en montre la cohérence pour en faire une composante majeure de l’identité bourgeoise. La manière dont la dynastie constitue et articule, par des acquisitions convergentes, ces territoires parfois considérables doit être précisée50.
33Le processus d’ancrage des propriétés dans l’espace ne s’établit pas au hasard : le plus souvent, la construction d’un nouveau territoire se fait en fonction de repères connus et partagés. Pour autant, il faut opérer une distinction, à l’intérieur d’un groupe social, entre la transmission mimétique de modèles ascendants et le moment où la transgression de ces modèles modifie les formes de l’appartenance collective, pour encourager une inflexion des pratiques. Au fil du temps, le territoire revêt un caractère différent, dans la mesure où les enjeux sociaux de la mobilité ne cherchent plus la même traduction spatiale. Cette individualisation des territoires se se construit encore en lien avec une logique pérenne d’acquisitions dynastiques qui traduit la forte empreinte familiale sur l’espace.

Carte 2. – Les réseaux de la propriété dans la vallée de la Seine.
34Les propriétés appartenant aux Parisiens relèvent, au milieu du xviie siècle, d’un emboîtement des espaces : le choix fait par Jacques Ier d’un investissement de taille au sud de Mantes, à Orgérus, l’intègre, comme il a été dit, dans les territoires de son beau-père, le marchand Jacques Lustin51. Ce dernier ouvre la carrière à ses gendres, dans un processus de transmission qui les inscrit dans l’espace social de sa propre ascension. Cette forme de transmission consolide aussi la forte emprise familiale du marchand sur un territoire, produisant les cadres durables d’un contrôle dynastique : Catherine Lustin, la veuve de Jacques Ier, cède avantageusement la ferme à son neveu, Antoine Ier, qui succède à son mari comme dirigeant parisien de Le Couteulx et Cie. Elle prévoit, par ses dispositions testamentaires, la fondation d’une école charitable pour les filles d’Orgérus et des donations à la confrérie du rosaire et aux pauvres du village, chargeant un ecclésiastique de la famille de leur bonne administration. Par un effet de polarisation, d’autres membres de la famille viennent consolider le territoire familial à Orgérus : la branche des Aubris tire son nom d’une ferme acquise dans le bailliage proche de Montfort-l’Amaury52. Il s’agit de la tentative la plus précoce d’appropriation suivie d’un territoire en grappes d’acquisitions familiales.
Date et acquéreur | Localisation | Nature du bien | Valeur |
1740 Antoine III | Hameau de Dieppedale | Un héritage | Vendu par la marquise de Flavacourt |
Avant 1757 Jean-Étienne Ier des Aubris | Hautot-sur-Seine | Propriété dominant la vallée avec des terres | Estimée lors du décès de son fils, en 1768, à 30 000 livres et 10 000 livres pour le mobilier. |
1754 Antoine-Louis de la Noraye | Saint-Martin-de-Canteleu | Maison, masure et autres bâtiments, jardins, quinze acres de terre, bois taillis et arbres de haute futaie | 35 000 livres vendu par Heuter, marchand à Rouen. |
1777 et 1778 Antoine-Louis | Croisset | Bois, terres et prairies | 20000 livres |
1780 Jean-Barthélemy | idem | Rachat des terres par licitation entre les héritiers lors de la succession d’Antoine-Louis pour 66 000 livres. | |
1780 Jean-Barthélemy de Canteleu | Canteleu, Bapeaume, Croisset | Terres, seigneuries, fief et châtellenie | 165000 livres |
1792 Barthélemy-Pierre de Verclives | idem | idem | Rachat de l’ensemble pour 133 000 livres |
Tableau 8. – « Grappe d’acquisitions » dans le méandre de Canteleu.
35C’est à la commune de Canteleu, à quelques kilomètres de Rouen, que le nom des Le Couteulx est le plus facilement associé aujourd’hui. Même s’ils ne l’adoptent que très tardivement, leur lien avec la seigneurie est ancien : il remonte au mariage de Guillaume de Vigneral, écuyer et sire de Canteleu avec Marie-Catherine Le Couteulx, une fille de l’échevin Étienne Ier, en 1697. Le contrat de mariage comprend la donation par le père de l’époux de la seigneurie de Canteleu53.
36La solide emprise des Le Couteulx sur ce territoire passe par une succession d’acquisitions associant plusieurs membres de la famille. Sa constitution implique une dépense de plus de 360 000 livres, entre 1740 et 1780. Dans un second temps, par un effet de concentration, l’ensemble bascule entre les mains des La Noraye : en 1780, Jean-Barthélemy capte la succession de son oncle, Antoine-Louis et acquiert, la même année, la seigneurie principale de Canteleu dont il adopte le nom, sans en conserver les terres, qu’il cède avantageusement, en 1792, à Barthélemy-Pierre de Verclives. La création d’un pôle lignager normand, équilibrant celui des La Noraye à Paris. Les stratégies dotales se complètent ainsi d’une redistribution des territoires. Le patronyme demeure une composante aboutie de l’identité d’un lignage (Canteleu), mais se détache d’un ancrage territorial effectif : avec la Révolution, la seigneurie éponyme se transforme en vaste propriété bourgeoise dans une relation plus distante aux marqueurs de l’anoblissement.
37À mi-chemin de la capitale et de Rouen, sur la rive gauche de la Seine, une autre fratrie Le Couteulx acquiert plusieurs propriétés dans la région de Saint-Just, près de Vernon. L’endroit fait l’objet d’une implantation dynastique précoce, puisque Jean IV y tenait une masure de son épouse, Marie Barbot, dès 165054. Le patronyme des La Noraye vient probablement d’une ferme dont Barthélemy Ier hérite à quelques kilomètres à l’est de Saint-Just. Ses descendants en conservent le nom, même après avoir acquis des seigneuries considérables. Le noyau de propriétés formé par deux frères, Barthélemy Ier à Rouen, Jacques VI à Paris, dans le premier tiers du xviiie siècle, constitue un relais entre les deux sièges jusqu’à la Révolution, comme le remarque l’avocat de la famille :
« Tous les ans, les deux familles de Paris et de Rouen, femmes, enfants et petits-enfants, se réunissaient à jour fixe, sur la route de Paris à Rouen, en une vaste maison dont elles étaient propriétaires en commun, sise à moitié chemin, près de Vernon. Là, étaient apportés tous les registres des deux établissements ; on procédait à un inventaire annuel, qui était signé par les chefs ; après quoi l’on se séparait, et chacun retournait à sa destination55. »
38Les fils de Barthélemy Ier de La Noraye privilégient l’achat massif de seigneuries sur la rive droite de la Seine, entre 1760 et 1768. Ils acquièrent conjointement, dans un périmètre restreint et à un rythme soutenu, une série de propriétés considérables : ils s’associent, lors de l’achat de Hacqueville et de Richeville, en 1760, puis pour acquérir la seigneurie de Farceaux, en 1768, valant plus de 410 000 livres, l’ensemble formant un second centre de gravité géographique pour la société, sur la route de Paris à Rouen56. La même année, le dirigeant rouennais, Antoine III, rejoint le territoire des La Noraye par l’achat de la seigneurie de Verclives, dont il adopte aussitôt le nom. Ces opérations marquent un changement d’échelle dans la construction en réseau de territoires en grappe de propriétés : l’emprise de la dynastie s’étend sur un espace de plus de 600 hectares qui rassemble huit seigneuries, dans un triangle compris entre Saint-Clair-sur-Epte, Étrépagny et Fleury-sur-Andelle. Elle représente un investissement de plus de 830 000 livres, en moins de dix ans, dont la plus grande partie a été payée comptant. Outre la motivation de former une étape par la rive droite de la Seine, l’immense domaine manifeste la montée en puissance du lignage des La Noraye qui contrôle les deux sièges, traduisant spatialement son emprise sur le capital dynastique : influents, ils font converger vers leur lignage les premiers effets de la concentration du capital par des alliances consanguines avec les Molay à Paris et les Verclives à Rouen et bénéficient de la faveur du pouvoir, qui anoblit Barthélemy Ier par lettre patente, en 1756 et favorise la carrière de ses fils : Barthélemy-Thomas au Parlement, Antoine-Louis comme maire de Rouen et Jean-Jacques-Vincent, comme député du bureau de commerce de Paris.

En gras : les acquéreurs de seigneuries. Les flèches : les transmissions internes de la propriété. En italique : l’introduction de pratiques endogamiques consanguine.
Généalogie 6. – Territoires et dynamiques sociales des La Noraye.
39Après le départ de Jean-Barthélemy pour la capitale, vers 1788, les La Noraye n’exercent plus au sein de la direction rouennaise : leur territoire se replie dans la périphérie du siège parisien, ouvrant la voie à de nouvelles constructions en grappes d’acquisitions autour des campagnes (Louveciennes, Auteuil, Malmaison). La construction des territoires de propriétés suit les dynamiques sociales : les solidarités lignagères constituent le premier cercle des processus de concentration, élargi, par la consanguinité, aux autres branches de la dynastie. À la veille de la Révolution, les La Noraye incarnent le lignage dont la mobilité réunit les compétences les plus variées et la plus forte synergie ascendante : la reconnaissance lentement acquise dans le cadre entrepreneurial se diffuse plus rapidement, au milieu du xviiie siècle, vers les registres nouveaux de l’anoblissement et des affinités avec le pouvoir, offrant à la fratrie des fils de Barthélemy Ier de nouveaux horizons de promotion. L’essentiel n’est pas l’anoblissement en soi qui n’est guère, on l’a vu, un aboutissement, mais le caractère polysémique d’une ascension dynastique, infléchissant le sens et l’intensité du lien familial en fonction des composantes de la mobilité : les La Noraye connaissent plusieurs ascensions, menées de front, traversant les catégories économiques, sociales et politiques, favorisant, dans la seconde moitié du xviiie siècle, un processus composite de formation des identités sociales.
40Le territoire aggloméré des campagnes autour de Paris relève, à la fin du xviiie siècle, d’une ultime forme d’emprise sur l’espace. Il opère la synthèse, à proximité des directions, de la résidence multiple et des nouveaux réseaux de sociabilité de la dynastie. Leur valeur foncière, sans être négligeable, importe moins, désormais, que les réseaux de leur transmission symbolique : la Malmaison est cédée, en 1771, par les d’Aguesseau, le château de Voisin, en 1787, à Louveciennes, par la marquise de Castellanne ; enfin, en 1792, l’importante propriété d’Auteuil, par Laurent Grimod de la Reynière et Joly de Fleury57. Les campagnes ne sont plus guère acquises en indivision, mais participent de parcours sociaux plus individuels, dans des territoires de sociabilités qui demeurent dynastiques, consolidés par l’endogamie familiale : Geneviève-Sophie du Molay, propriétaire de la Malmaison, est la sœur de Laurent-Vincent de La Noraye, propriétaire de Louveciennes. Durant plus de quarante ans, les trois campagnes sont le cadre d’une vie salonnière croisée, dans le prolongement des salons aristocratiques parisiens. Le territoire des campagnes parisiennes est sans doute le plus abouti en termes de construction sociale de l’espace : il concilie la polarisation des acquisitions, l’articulation en réseau avec le siège et les flux de sociabilité les plus prestigieux.
41Les campagnes normandes, même s’il est question d’une « société de Farceaux », n’égalent guère les propriétés parisiennes. Une différence notable distingue la construction des promotions parisiennes et provinciales, à la fin du xviiie siècle. Les Verclives manquent de réseaux, pour relayer leur ascension et en renouveler les composantes. Leur monde demeure celui de la marchandise et des manufactures locales : ils se tournent vers une riche alliance avec le négoce havrais et la famille Foäche, dans une endogamie négociante, certes de haut niveau, mais avec une faible diversification des processus de mobilité.
42La morphologie des territoires produit une géographie concrète des mobilités sociales. La propriété participe à la construction hiérarchisée d’une identité patrimoniale, à la fois dynastique et lignagère, qui agrège les composantes successives de la mobilité, dans une stratification des logiques consécutives d’appropriation : la redistribution des territoires dynastiques (sièges sociaux) entre les branches (seigneuries) et les individus (campagnes) restitue le fil conducteur d’une identité sociale en apparence fragmentée. La carte se fait chronologie : l’emboîtement des logiques territoriales prend en compte les nouvelles mobilités de l’entrepreneuriat anobli aux mondanités. Elle révèle, au fil de l’ascension, la fine topographie de la propriété et de ses territoires.
43Il faut alors changer de nouveau la focale de l’analyse pour comprendre comment la bourgeoisie s’approprie les espaces domestiques de ses propriétés, revenant à la question initiale du décalage entre discours et pratiques vécues. Rompant avec l’approche distributive théorique des architectes du xviiie siècle, une lecture pragmatique des manières d’occuper l’espace relance la réflexion sur la relation entre univers domestiques et constitution des identités.
L’espace habité : mobilités sociales et système de distribution
44Les modèles distributifs préconisés par les œuvres de Blondel ou de Jombert, au milieu du xviiie siècle, ne se retrouvent guère dans les logements qu’occupent les Le Couteulx58. La façon dont ils investissent leurs espaces domestiques traduit davantage une plasticité des repères et la superposition des modèles. L’évolution constatée des territoires résidentiels modifie leur rapport à l’espace habité par touches successives. Une conquête empirique de l’espace s’engage par la juxtaposition de logiques distributives d’époques différentes, adaptées à la vocation particulière de chaque propriété.
45Le rythme de l’innovation distributive n’est pas homogène entre ces différents types d’espaces, les seigneuries connaissant la plus lente évolution, tandis que les sièges et les campagnes sont plus régulièrement mis au goût du jour : la segmentation entre cour et jardin, la spécialisation de l’affectation des pièces ou la circulation ancillaire autonome, par les corridors et les dépendances59. Ces évolutions précisent les notions de confort, d’intimité ou de sphère privée60.
Une mesure statistique de l’expansion
46L’expansion de l’espace résidentiel des dirigeants est quantifiable : il se compose, pendant la première moitié du xviie siècle, d’un nombre de lieux inventoriés compris entre cinq et dix. Ce nombre connaît une progression lente, entre 1650 et 1750, avec une moyenne située autour d’une vingtaine, tandis qu’une faible évolution de la nomenclature est observable. Des caves et des cuisines, jusqu’aux galetas les plus misérables sous les combles, l’espace habité des Le Couteulx se trouve enserré, entre deux univers ancillaires, tandis que les « corridors » et les « passages » constituent l’armature continue du service. Pour le reste, la distribution renvoie à l’ajustement successif des affectations, à la partition provisoire des espaces, dans une souplesse certaine d’utilisation : rien n’est jamais figé et tout relève autant des circonstances de la vie, que des usages improvisés des espaces vacants.
47Une augmentation mécanique du nombre des pièces inventoriées accompagne la diffusion de la résidence multiple, dans la seconde moitié du xviiie siècle : l’espace habité comprend alors, en moyenne, quelque cent quarante à cent cinquante lieux inventoriés ; Laurent-Vincent dispose, place Vendôme, de quarante-deux pièces, en 1794. Les inventaires après décès n’enregistrent que tardivement l’expansion de l’espace habité, le plus souvent en décalage avec les impératifs distinctifs, familiaux ou professionnels de la jeunesse : ils invitent à distinguer, de façon pragmatique, l’espace habitable de celui réellement vécu. Plus que la progression prévisible de la courbe après 1750, il faut retenir son extrême instabilité qui éclaire la diversité des situations des dirigeants. La chute brutale du nombre des lieux inventoriés à Paris sous l’Empire (entre deux et cinq) montre le déplacement géographique des mobilités sociales hors de la capitale : les défunts, parce qu’ils sont préfet (Jacques-Félix), rentiers retirés dans leurs propriétés de province (Jacques-Jean) ou très âgés à la charge de leurs enfants (Jean-Barthélemy), ne disposent plus que d’un pied-à-terre dans la capitale. Enfin, les difficultés financières notables de Barthélemy-Jean-Louis expliquent que l’ensemble de sa succession soit rassemblé, en l’an VIII, dans une seule chambre de la rue Mont-Blanc61. Le veuvage et la vieillesse s’accompagnent, pour les femmes, d’un rétrécissement net de l’espace habité et, pour les hommes, de l’espace vécu. Si l’inventaire de Laurent-Vincent, comprenant le logement de la place Vendôme et la campagne de Louveciennes, énumère plus de cinquante-sept chambres, celui de sa veuve, Charlotte Pourrat, deux ans plus tard, compte un total de dix-sept pièces62. À Rouen, l’inventaire d’Antoine IV recense cent cinquante-trois lieux différents, répartis sur trois propriétés (Rouen, Canteleu, Verclives). Il en occupe, à lui seul, quarante-quatre dans l’un des corps de logis du siège de la rue aux Ours. Pour autant, l’espace qu’il investit véritablement est restreint à quelques pièces et les salons de réception ne semblent plus guère utilisés63. Le veuvage, les longues absences, ainsi que le retrait progressif de la vie publique expliquent le caractère réversible de l’expansion, selon les circonstances de la vie. La distribution relève, pour les Le Couteulx, d’un territoire potentiellement disponible, pas toujours transformé et inégalement investi ou spécialisé, s’inscrivant dans une logique fonctionnelle, dont la frontière est mobile, avec de vastes périphéries sous-employées.
48La plasticité des lieux peut être précisée par l’évolution de la nomenclature. La dénomination des pièces relève d’une déclinaison de la trilogie salle, chambre, cabinet, dont l’usage reflète davantage le volume que l’affectation64. Elle peut excéder, dans les inventaires les plus riches, la quarantaine de dénominations, à la fin du xviiie siècle. Les chambres occupent près de la moitié des lieux énumérés dans les actes et l’apparente imprécision de leur dévolution est significative : elle confirme l’indétermination et la réversibilité de l’affectation d’une grande part des lieux dont la spécialisation est modifiée au gré des besoins, voire des saisons.
49Les pièces des logements du xviie siècle se distinguent par leur polyvalence et l’imprécision de leur dénomination : en 1652, la salle de Nicolas Ier sert, tour à tour, de réception, de cadre de vie familial, aux activités de musique, ainsi que de rangement pour les vêtements. En revanche, d’autres lieux semblent très tôt spécialisés, comme les cabinets ou les chambres d’apparat, favorisant une codification de la distribution du mobilier dans l’espace65. Certains, enfin, demeurent à la périphérie de l’espace conquis, comme indéterminés (chambres d’étage, dégagements). Aussi, faut-il accepter que la faiblesse de la dénomination notariale recouvre une réalité d’usage très hétérogène : il n’est pas rare de trouver un couchage dans des cabinets plus faciles à chauffer et qui ne soit pas toujours destiné à la domesticité. Le fonctionnement distributif du logement n’est pas l’objectif de l’inventaire qui se contente d’en « photographier » le contenu. C’est aussi, inversement, l’inflation du nombre des pièces, plus que leur spécialisation, parfois supposée ou temporaire, qui exige progressivement une nomenclature plus affinée.
50La déclinaison de la trilogie distributive, sur deux siècles, met en évidence le rythme et la diversité des formes de l’expansion. La corrélation est évidente entre l’ampleur de la nomenclature et la pratique de la résidence multiple : avant 1750, la faible mobilité résidentielle fait peu de place à l’innovation, il en va autrement, dans la seconde moitié du siècle. La diversification de la nomenclature traduit une spécialisation fonctionnelle : la salle, d’abord polyvalente, déploie progressivement ses fonctions dans l’espace. Elle se prolonge de salons, de salles de compagnie ou de billard, puis, au début du xixe siècle, de salons de musique et d’étude. La spécialisation recouvre également une différenciation par le genre, avec la féminisation de certains lieux, comme les boudoirs, la distinction des appartements féminin et masculin, parfois séparés d’un étage, et l’articulation avec les espaces consacrés aux jeunes enfants66. Les chambres inemployées servent de fruitier, de bibliothèque, d’archives ou encore d’infirmerie. La même déclinaison est observable concernant les cabinets dont les fonctions se démultiplient : d’abord liés à l’hygiène et aux vêtements (garde-robe), ils abritent les activités les plus diverses, les rattachant à l’intimité, aux activités intellectuelles et spirituelles (bibliothèque, cabinet de travail) et, plus généralement, comme débarras ou simple passage.
51La déclinaison renvoie, dans un second temps, à une inflation des volumes disponibles. Avec l’acquisition de propriétés de plus en plus importantes, les affectations connaissent un redimensionnement de leur espace : les chambres font office de cabinet de garde-robe, de toilette ou de bain, les salons sont précédés d’antichambres. On trouve « une salle de bain » qui souligne la promotion d’une pratique issue, à l’origine, des étroits cabinets et promue, successivement, au rang de chambre, puis de salle. Cette inflation encourage l’introduction précoce de nouvelles formes distributives : la première mention d’une salle à manger remonte en 1698 et celle de commodités à l’anglaise, en 1771. Les pièces destinées au bain sont fréquentes, après 176067. La spécialisation n’est guère le fruit d’une construction théorique de la distribution, mais renvoie bien à l’usage pragmatique que font les Le Couteulx de leur espace disponible. L’expansion autorise la nouvelle affectation et la combinaison en « système » de plusieurs pièces : la chambre devient appartement, au xviiie siècle, intégrant une antichambre, une série de cabinets entourant l’alcôve, puis un salon particulier. Antichambres et cabinets viennent compléter les salons dans un appareil dosant de manière variable apparat et sociabilité. La place disponible autorise duplication, fragmentation et recomposition en systèmes des fonctions quotidiennes : elle permet un mode de vie plus confortable, segmentant les activités, éloignant la promiscuité. Ici prend véritablement naissance l’intime.
52La déclinaison recouvre, enfin, une troisième dimension avec la duplication des pièces à des niveaux variables de distinction. La « grande chambre » d’apparat, richement meublée, devient une constante, au xviie siècle, articulée avec une antichambre et un boudoir. Elle est toujours associée à l’étage noble, prolongeant de plain-pied les pièces de réception. La chambre demeure l’élément de la trilogie qui participe le mieux à la hiérarchisation de l’espace. Puis la règle se conjugue suivant l’étage : l’ornementation et l’ameublement deviennent moins recherchés à mesure que l’on s’élève dans le logement ; les chambres des étages supérieurs reçoivent, par « évaporation », le mobilier ancien, abîmé ou démodé des pièces nobles, la valeur des couchages, la taille des trumeaux surmontant les cheminées se réduisent à mesure. Avec la hauteur, l’affectation devient plus floue : les chambres servent à entreposer, sous les devantures de porte, le linge de maison, le mobilier inemployé, voire les fruits, puis à loger la domesticité fidèle, les autres étant relégués sous les combles avec le garde-meuble.
53La distribution révèle toute l’empirie du déploiement et de l’ajustement des systèmes fonctionnels (dormir, manger, recevoir, ranger, se laver…) dans l’espace potentiellement exploitable, ainsi que leur duplication par les résidences multiples. En définitive, la spécialisation n’a que peu à voir avec la transposition de modèles théoriques d’habitation, mais souligne, au contraire, le caractère pragmatique de l’investissement distributif d’Ancien Régime. L’espace disponible accueille les fonctions et les différencie, favorisant les principes d’intimisation, d’hygiénisation, de confort ou de prestige à l’intérieur de distributions parfois anciennes68.
La transformation différenciée des espaces résidentiels
54Toutes les propriétés ne répondent pas aux mêmes évolutions de la distribution : celle des châteaux dans les seigneuries est rarement modifiée. Les Le Couteulx s’installent dans des logiques spatiales héritées, dont ils acceptent parfois l’incommodité, comme ils acceptent le cadre juridique de la féodalité, dans un transfert culturel qui les projette dans une représentation aristocratique du monde. En revanche, les cohabitations urbaines au sein des sièges adaptent rapidement la distribution aux impératifs nouveaux du confort : au xviiie siècle, les hôtels de direction sont rénovés à grands frais, la polyvalence recule devant les affectations souples et des articulations plus nettes entre les systèmes fonctionnels. Ce différentiel dans l’adaptation distributive donne à voir la juxtaposition des logiques résidentielles au sein des territoires : elle confirme le caractère composite des repères spatiaux et identitaires de la grande bourgeoisie anoblie, qui ne tend pas exclusivement vers un mimétisme des habitudes résidentielles aristocratiques, entre hôtels urbains et châteaux, auquel on la réduit trop volontiers69. Les sièges sociaux demeurent durablement au centre d’un système concentrique de résidences multiples, inscrit dans les réseaux de la circulation familiale et dans l’emboîtement des territoires dynastiques70.
55Comment rendre compte de l’imbrication de modes de vie si hétérogènes ? Les inventaires autorisent une mesure de l’expansion des espaces ancillaires. Leur distribution reflète, au xviiie siècle, leur prise en charge différenciée par les gens de maison. Ainsi, deux lectures non exclusives sont-elles possibles, selon que l’on place l’individu ou le groupe social au centre de l’analyse : la première organise le logement autour de la notion d’intimité qui tient à l’écart la domesticité, la seconde articule les espaces ancillaires à la périphérie de la scène sociale, centrée sur les pièces d’apparat71. En fait, pudeur et mise en scène de soi renvoient à deux processus de mobilité très complémentaires : la distribution, en précisant le positionnement du domestique, distingue les usages de l’espace. La hiérarchie du service recoupe la distribution par étage : dans la proximité immédiate des maîtres ou de leurs enfants se tiennent la femme de chambre et le valet, logés convenablement dans des cabinets ou des chambres meublés. Les nombreux lits qui encombrent les cabinets et les garde-robes rappellent souvent le caractère ambulant du couchage domestique. La condition ancillaire se dégrade à mesure que l’on gagne les greniers réservés aux aides et aux laquais, véritables petites mains de la gestion quotidienne. Mais la distribution renvoie également, autour de la cour, à une seconde périphérie domestique, sédentaire, distribuant le logement de la cuisinière, du jardinier, du cocher ou la mansarde de la fille de ferme, plus attachés sans doute au domaine et à son entretien qu’à la personne des maîtres, dans une différence certaine de statut. L’ampleur et la diversité de l’espace consacré au service constituent un indicateur fiable des formes de l’élévation sociale et de la variété des objectifs distinctifs assignés aux nouveaux territoires gagnés par l’ascension72.
56Les sièges sociaux comptent, en moyenne, sur l’ensemble de la période, un peu plus de trois serviteurs par famille, l’espace leur étant consacré se réduisant à une chambre avant 1750, pour connaître un maximum de sept dénominations différentes (communs, laverie, office), entre 1794 et 180573. Sans doute, l’espace restreint des propriétés urbaines n’autorise-t-il pas une affectation généreuse aux fonctions de service et ce dernier se réduit-il avec l’âge à la cuisinière et au valet. La mobilité des gens de maison trace une ligne de partage entre le personnel stable et identifiable lors des inventaires, dont on récompense la fidélité et celui, invisible dans les actes, de passage ou d’appoint, que l’on loge sur des paillasses sous les toits. Les espaces dévolus aux serviteurs dans les seigneuries sont plus étendus et relèvent autant de contraintes fonctionnelles que de choix distinctifs : l’entretien et la sécurité de propriétés occupées de façon très discontinue impliquent la présence in situ de gardiens, de jardiniers, parfois de gérants pour les domaines, tandis que valets et femmes de chambre se déplacent avec leurs maîtres. Est-on loin, pour autant, du train de vie préconisé par Audiger dans sa Maison réglée au début du xviiie siècle ? Un maître d’hôtel, un postillon, un charretier et un écuyer sont en charge de l’économie du service et des déplacements des Le Couteulx à Villeflix, après 178274. À Auteuil, Jean-Barthélemy s’entoure d’un docteur, d’une dame de compagnie et d’un frotteur, sans compter la domesticité ordinaire, distinguant valets, domestiques et garçons. Il y a bien un changement du rapport à la domesticité dans les processus de mobilité des Le Couteulx, dans la seconde moitié du xviiie siècle. L’emboîtement des territoires a un coût et une empreinte sociale : le terme de laquais (100 livres annuelles, en 1700) qui constituait un intermédiaire entre le valet (200 livres) et le garçon (75 livres), tend à être remplacé par celui, plus indéterminé, de domestique, dont les revenus ne diffèrent pas de ceux d’une femme de chambre. Progressivement, la nomenclature se simplifie : le terme de domestique recouvre l’ensemble des fonctions, mais ne dissimule guère la hiérarchie entre les serviteurs. Lors de son décès, en 1780, le dirigeant rouennais, Antoine-Louis, acquitte à ses onze domestiques une somme totale de plus de 4 000 livres, leurs gages oscillant, toutefois, entre 200 et 455 livres75. À Canteleu, en 1805, le jeune dirigeant Barthélemy-Pierre dispose de onze chambres destinées uniquement à son service, un maître d’hôtel en réglant le détail. Si Antoine IV accorde, par ses dispositions testamentaires, 200 livres de rente viagère à son premier domestique, il n’en cède que 150 au second, mais les deux se partagent pour moitié les habits de leur maître76. Cette pratique se révèle être un instrument de fidélisation : avec l’âge, le nombre de domestiques se restreint et la loyauté du personnel est récompensée.
57Il en va différemment dans les campagnes, où l’économie de l’espace ancillaire prend un sens particulier, partagé entre les impératifs d’une propriété foncière et ceux d’un lieu de sociabilité. La distribution des chambres de domestiques laisse penser qu’il ne s’agit pas toujours d’espaces au service des seuls propriétaires, mais d’espaces dévolus à la domesticité de leurs invités : dans les étages, de petits appartements regroupent, autour d’une pièce principale, un cabinet, une garde-robe et une chambre de service. Ainsi, la domesticité se déploie en périphérie des espaces de réception de la sociabilité salonnière. L’ensemble du personnel dispose, à Louveciennes, d’une salle à manger des domestiques et d’une salle de billard pour les gens de maison.
58L’exemple le plus abouti de la partition des espaces ancillaires en fonction de dynamiques sociales différenciées se donne à lire dans la distribution de la Malmaison. La branche des Molay l’occupe durant près de trente ans, entre 1771 et 179977. Il s’agit de l’un des biens de la famille dont la distribution est la mieux connue et a été la mieux préservée. Une analyse des pratiques distributives y est exceptionnellement possible, pour la seconde moitié du xviiie siècle. Le rez-de-chaussée révèle une forte stabilité, le retrait total de la domesticité, ainsi que la spécialisation poussée de l’appareil distinctif le caractérisent. Un système de réception, passant de trois à sept pièces sur la période, s’articule autour de la chambre d’apparat de la propriétaire, prolongée d’un boudoir de forme ovale, meublé luxueusement et couvert de panneaux de glace. L’espace de réception conjugue des formes distinctives pérennes (un lit à la polonaise hérité des d’Aguesseau), dans une relative permanence de la distribution, avec la mise au présent de la décoration par les étoffes précieuses et le mobilier.
59La vie s’organise, à la Malmaison, autour de la mise en scène de la sociabilité, tant au rez-de-chaussée que dans le parc. La distribution du premier étage, centrée en 1765 autour de l’appartement principal de M. d’Aguesseau, est abandonnée au profit d’une segmentation en plusieurs appartements, le nombre des pièces recensées passant de vingt et une à trente-trois. Le second étage, initialement destiné à la domesticité, est fragmenté en chambres plus petites : le nombre des pièces inventoriées se trouvant multiplié par près de trois. Le total des lieux recensés, pour les deux niveaux destinés au logement, passe de trente-quatre à soixante-huit. Les Le Couteulx transforment une propriété, dont la structure originelle est assez proche des seigneuries classiques qu’ils acquièrent au milieu du xviiie siècle, en un espace conçu pour recevoir et héberger une assemblée importante, sans y mêler leur intimité pour autant : ils résident ordinairement dans un corps de logis voisin doté de son propre système ancillaire. Une hiérarchie certaine existe entre les convives et trouve sa traduction dans la distribution des chambres, en fonction de l’éloignement du « théâtre social », la chambre d’apparat de Geneviève-Sophie Le Couteulx Du Molay en constitue le centre de gravité. La domesticité, attachée à l’exploitation du domaine, se trouve renvoyée à la périphérie de la cour et du corps de ferme.

Plan 2. – Reconstitution du rez-de-chaussée de la Malmaison en l’état de 1799.

Tableau 9. – États successifs de la distribution du rez-de-chaussée de la Malmaison.
60L’espace ancillaire soutient et encadre concentriquement le système distinctif. Il éloigne les nuisances et sert d’interface avec l’espace public, selon le degré variable d’intimité exigé par les propriétaires. En définitive, l’ascension sociale affine chez les Le Couteulx la capacité à hiérarchiser les espaces et les personnes et encourage la spécialisation des besoins, au xviiie siècle. Elle développe une économie savante de la distance.
61La Malmaison constitue une nouvelle étape de la valorisation sociale dans un processus d’ascension qui privilégie la mondanité et l’étiquette. La réputation de la demeure est établie, lorsque la duchesse d’Abrantès, en habituée, la fréquente sous l’Empire :
« Propriété d’une famille riche aimant à tenir un grand état et mettant de l’orgueil à imiter les Anglais dans leurs coutumes de château, la Malmaison était déjà, à l’époque de l’acquisition qu’en fit Mme Bonaparte, une délicieuse demeure78. »
62L’anglomanie de la fin du xviiie siècle, inspirée des country houses, concilie une sociabilité raffinée dans un cadre paysager très élaboré, alliant la préciosité des pièces de réception à la rusticité choisie des parties d’habitation :
« Les meubles en étaient fort simples. […] Les chambres n’étaient pas parquetées, ce qui me surprit, sachant à quel point Mme Le Couteulx était elle-même recherchée. Elles donnaient toutes sur un long corridor auquel on montait par une marche […] fort étroite, carrelé comme le reste et donnant sur la cour79. »
63La campagne associe, de façon complémentaire, dans un même espace, des logiques d’organisation qui diffèrent radicalement : la distribution héritée des d’Aguesseau, l’exploitation agricole du domaine, les impératifs de la réception d’une vaste assemblée et les agréments d’une maison de campagne. De plus, elle intègre pleinement la géographie des territoires dynastiques, entrecroisant les réseaux de ses sociabilités. Mais il ne faut guère s’y tromper : la campagne, véritable synthèse de la vie sociale, du prestige et de la solidité terrienne se déploie dans la dépendance du siège social : leur proximité les inscrit dans un prolongement efficace de la sociabilité entrepreneuriale. L’espace y est mesuré, investi, valorisé, prolongé par une nature domestiquée, convoquant les trois dimensions du prestige : la magnificence, la réputation et la mise en scène maîtrisée, véritable discours construit de l’ascension sociale. Cette différenciation de nature dans la dilatation des espaces (ancillaires, de prestige, d’agrément, de sociabilité) n’a que peu à voir avec une dispersion ou un essoufflement du potentiel d’ascension : la campagne relance les mobilités, et distingue progressivement l’individu de la dynastie et du groupe par la maîtrise progressive de la distance, comme expérience sociale lente de la valeur de soi.
64L’analyse particulière des espaces ancillaires vient compléter, en l’affinant, celle des dynamiques distributives. Elle montre les logiques parallèles qui organisent l’espace vécu à différentes échelles : celles du corps de logis, du domaine et des territoires. Elle replace les propriétés dans l’emboîtement des composantes de mobilité. Mais il existe d’autres espaces où s’expriment de façon inattendue les dynamiques sociales.
L’ascension sociale dans le jardin
65Le bâti ne peut rendre compte, à lui seul, de toutes les mobilités sociales. Les jardins ont déterminé précocement le choix des logements urbains et expliquent, en partie, la mobilité géographique vers les nouveaux quartiers : il forme une dimension particulière de la construction sociale de l’espace. Dès 1632, Jacques Ier entretient des arbres fruitiers dans le siège de la rue de la Grande Truanderie80. La vaste demeure, qu’il occupe, plus tard, rue Neuve-Saint-Honoré, présente l’avantage de comporter plusieurs jardins :
« Sur ladite terrasse avec sa marchère par où l’on descend dans le premier jardin à parterres au coin duquel est appliquée une salle à claire-voie recouverte d’ardoises après laquelle est un grand jardin potager où il y a des arbres fruitiers et autres arbres du côté bas81. »
66La description de l’inventaire donne à voir l’organisation en transitions successives des jardins dans un quartier neuf de la seconde moitié du xviie siècle : une nature ordonnancée dans un espace clos82. À proximité du logis, le jardin d’agrément est autre chose qu’un interstice végétalisé : il ouvre des perspectives, ainsi que des possibilités de promenades ou de retraite contemplative. Il constitue une forme verticale d’extension de l’espace, à la fois culturelle et symbolique. On trouve dans la bibliothèque du marchand-banquier des ouvrages qui nourrissent de représentations littéraires cette sensibilité nouvelle et qui rappellent ce que le jardin à la française doit à son modèle italien : un exemplaire de l’Orlando Furioso de l’Arioste, ainsi que La Jérusalem délivrée du Tasse montre une sensibilité qui se construit, aussi, par des correspondances intellectuelles83 : dans des registres différents, les deux ouvrages confèrent au jardin toute sa dimension poétique et spirituelle. Il constitue un univers ordonné, infini mais clos, à la fois sensible et raffiné qui introduit un imaginaire d’agrément au cœur de la sphère privée84.
67Un verger et un potager le prolongent en légère déclivité, soulignant l’essor récent des racines et des légumes verts dans l’alimentation, les nécessités du corps succédant, en périphérie, à celles de l’esprit. Le progrès de l’usage des légumes, à cette époque, est mesuré par les livres de recettes : s’ils ne sont présents que dans moins de 10 % des plats recensés aux xve et xvie siècles, ce pourcentage dépasse les 20 % au siècle suivant, au détriment des féculents, des légumineuses et des céréales85. La représentation mentale, héritée du Moyen Âge, qui attribue le fruit, produit noble perché dans l’arbre, à l’élite sociale et le légume, issu de la terre et bon marché, au commun n’est pas observable dans la seconde moitié du xviie siècle : plus qu’à une distribution sociale des pratiques, la consommation de légumes renvoie à une adaptation des besoins et à l’évolution de l’hygiène alimentaire, la qualité et l’abondance des produits annonçant les antiennes de la cuisine bourgeoise. La production des jardins est tenue pour saine, à la différence des produits du marché. Elle est une réponse à la précarité alimentaire de l’époque moderne86 : le verger et le potager assurent, en période de disette, la sécurité alimentaire et constituent un luxe d’importance, au regard d’une majorité de la population exposée aux difficultés d’approvisionnement et à la culture de la faim87. L’autoconsommation alimentaire est une composante oubliée du processus d’ascension sociale. Compte tenu du parcellaire urbain des quartiers centraux, au xviiie siècle, les jardins cultivés constituent un véritable privilège, consolidé par la production domestique des fermes, des seigneuries et des campagnes. Parallèlement, les espaces consacrés à la conservation et au stockage des aliments se multiplient dans les inventaires (fruitier, cellier, garde-manger et caves multiples). Dans la seconde moitié du xviiie siècle, une indépendance quasi complète caractérise l’alimentation des Le Couteulx qui disposent de leur propre boucherie, d’élevages de porcs, de vaches, de poulaillers, de laiteries, de serres chaudes et froides, de potagers, de vergers, d’orangeries, d’une melonnière, de vignes et de pressoirs, de moulins et même, à Canteleu, d’un jardin à fleurs destiné à la composition de bouquets. La table offre aux convives une alimentation abondante, variée, parfois exotique (oranges, figues) et surtout saine, dans des conditions de fraîcheur et de qualité difficilement égalables par les réseaux de l’approvisionnement urbain. L’autoconsommation conjure à la fois la peur ancienne de la corruption de l’aliment d’origine inconnue, celle de la rupture de l’approvisionnement et celle, plus nouvelle, des miasmes et des nuisances qui polluent l’air urbain.
68Les Le Couteulx se tiennent loin des contingences alimentaires et peuvent consacrer une part non négligeable de leurs jardins à l’agrément. Un parc paysagé, dévolu entièrement aux plantes rares et aux espèces exotiques sous serres, constitue un luxe précoce et considérable : les orangers, les figuiers et les jasmins ornent le petit jardin du siège de la rue de l’Épicerie, à Rouen, dès 1698. Des lauriers-roses et des grenadiers, ainsi que plusieurs centaines de pots de fleur agrémentent la maison de Canteleu, où une pièce d’eau est aménagée sur laquelle se trouvent deux barques, à la fin du xviiie siècle. Lorsque les Le Couteulx acquièrent la Malmaison, le parc est organisé en deux séries de parterres géométriques et en allées plantées. Jacques-Jean du Molay consacre des sommes considérables à sa mise en valeur. Avec l’aide de l’architecte Morel, à partir des années 1770, il aménage un parc de 75 arpents dans l’esprit des paysages à l’anglaise, en s’appuyant sur les théories publiées par Thomas Whately88 : il creuse une rivière qui serpente entre deux îles artificielles et aménage six bassins, plante une grande quantité d’essences rares et installe des fabriques, comme le pavillon de la Liberté, aidé par l’architecte François Cointereaux. Ces aménagements font du parc le centre de gravité de la propriété. La brillante société qui la fréquente ne s’y trompe guère : Delille, auteur des Jardins en vante, dans ses Pièces fugitives, les eaux, les bois, les vues et la situation de la Malmaison89. Dès 1803-1805, Ventenat publie un Jardin de la Malmaison, illustré des célèbres planches de Rédouté, qui immortalise une capitalisation lente de l’agrément de plus de vingt ans et inscrit, par la continuité des processus distinctifs, le nouveau pouvoir consulaire dans un espace conçu et dessiné par les mobilités sociales de l’Ancien Régime90. L’impression dominante est celle d’un contraste entre la richesse du parc et l’apparente rusticité de la demeure, qui n’échappe guère à la comtesse Potocka :
« Quant à l’architecture de la maison, elle est non seulement défectueuse, mais vulgaire. Un corps de logis écrasé et bas, sous un toit à mansarde ; des fenêtres étroites et petites, des portes chétives, quelques lourds ornements, – en un mot du mesquin sans simplicité et des prétentions de grandeur. […] Lorsqu’on évalue approximativement les frais énormes de l’établissement et de l’entretien de ces jardins, on ne saurait douter qu’à tout le luxe dont Joséphine s’est entourée pendant dix années, elle ne préférât celui des plantes et des fleurs91. »
69Fontaine et Percier n’obtiennent pas l’autorisation de raser cette « mauvaise maison » destinée à des « gens très ordinaires » et se voient adjoindre l’architecte-paysagiste Morel, afin de poursuivre, à la demande de Joséphine, l’aménagement d’un espace qu’il connaît bien. Ce parc participe pleinement d’une mondanité qui se reflète dans une nature à la fois idéalisée et close sur elle-même : « rousseauiste et anglophile » pour qui s’attache aux étiquettes au goût du jour, la vie salonnière y trouve bien davantage le prolongement organique de son rapport au monde, en adéquation avec les conceptions littéraires et philosophiques de l’époque et transpose, dans une nature maîtrisée, les pratiques codifiées de la spontanéité et de l’authenticité. Cette « nature » de convention est, en fait, le fruit anthropisé de la représentation de l’ordre social et l’instrument de sa production : le parc de la Malmaison est le témoignage le plus abouti du travail distributif de la bourgeoisie ascendante dans la différenciation de ses espaces.
70La distribution nous enseigne une règle simple : la mobilité sociale transforme l’espace en usages. La construction empirique de l’affectation fonctionnelle par la distribution prolonge l’idée que ce ne sont pas les modèles théoriques, mais les dynamiques sociales qui produisent les territoires. Une ascension n’est pas le cumul des propriétés, nous n’en doutions guère : elle est davantage l’exercice d’une différenciation sociale de l’espace qui éclaire la diversité des stratégies d’appropriation du monde : familiale dans les premiers sièges, mondaine dans les campagnes, à la fin du xviiie siècle. Entre ces deux pôles, la pluralité des modes de vie, menés de front, accompagne une irisation des composantes identitaires. La souplesse et la réversibilité en caractérisent les affectations spatiales, précisant les rapports sociaux domestiques, l’articulation en systèmes fonctionnels distributifs autonomes ou la capacité à produire des périphéries hiérarchisées et complémentaires. La mobilité sociale éclaire la résidence multiple d’un jour nouveau : il ne s’agit pas d’un simple changement de logement, mais d’une translation radicale et continue, à la fois, entre des modes de vie juxtaposés et articulés en système.
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71Les stratégies spatiales sont une composante déterminante des identités bourgeoises. Elles se manifestent au travers de la mutation des territoires résidentiels. L’usage social de l’espace se complexifie à mesure de l’ascension : les fermes du xviie siècle relèvent encore de l’ancienne logique foncière bourgeoise de préservation du capital, mais elles s’inscrivent déjà dans le territoire social des beaux-parents. La ferme éponyme (La Noraye, Aubris) se transforme, au siècle suivant, en seigneurie, puis en campagne, chaque propriété ajoutant une composante supplémentaire à la précédente (la terre, le prestige, les réseaux). Graduellement, la signification sociale des territoires se densifie, basculant, après 1750, d’une économie du capital vers la densification des rapports sociaux : l’identité s’élargit à la fonction symbolique de la propriété, dans un système qui intègre, à la veille de la Révolution, toutes les composantes de la mobilité (du jardin d’agrément à l’investissement locatif). La différenciation des parcours redéfinit nettement la hiérarchie des territoires, avec de fortes inerties identitaires (implantations collectives, éponymies) : dans le centre de gravité des sièges, le déploiement des territoires lignagers conserve, jusqu’à la Révolution, sa cohérence dynastique par la circulation interne et croisée des propriétés, nouant indissociablement trajectoires individuelles et collectives.
72Ces différentes stratégies emboîtées éclairent la nature clivée des identités sociales bourgeoises. Les Le Couteulx renoncent rarement aux composantes antérieures de leur mobilité, donnant à leur ascension une certaine historicité : la stabilité entrepreneuriale exceptionnelle de la dynastie se double d’une construction que l’on peut qualifier de sédimentaire de leurs territoires résidentiels et de leurs modes de vie, consolidée par une emprise collective forte et durable sur l’espace : l’intégration patrimoniale, comme l’empreinte sociale sur les territoires constituent des marqueurs pertinents de leurs mobilités. En définitive, une archéologie de l’espace social des Le Couteulx nous enseigne que la bourgeoisie n’a pas un mode de vie qui lui est propre, et auquel son identité peut être réduite, mais qu’elle se trouve en mesure d’en articuler plusieurs simultanément, fruit du mode de production de ses territoires résidentiels successifs : à la fois urbains et ruraux, négociants et aristocratiques.
Notes de bas de page
1 Audiger, La maison réglée et l’art de diriger la maison d’un grand seigneur, Amsterdam, Marret, 1700.
2 Le Muet P., Manière de bien construire pour toutes sortes de personnes, Paris, Melchior Tavernier, 1623 et Savot L., L’architecture française des Bastiments particuliers, Paris, Cramoisy, 1624.
3 Briseux C., Architecture moderne, ou l’art de bien bâtir pour toutes sortes de personnes, Paris, Jombert, 1728, et Blondel J.-F., Traité d’architecture dans le goût moderne, Paris, Desaint, 1737-1738.
4 Descimon R. et Nagle J., « Espace et fonction sociale : les quartiers de Paris du Moyen Âge au xviiie siècle », Annales. Économies, sociétés, civilisations, vol. XXXIV, n° 5, 1979, p. 956-983 ; Fourcaut A. (dir.), La ville divisée. Les ségrégations urbaines en question, France, xviiie-xxe siècle, Grâne, Créaphis, 1996.
5 Poussou J.-P., « Dix années d’histoire urbaine de la France des xviie et xviiie siècles », in J. Meyer et J.-P. Poussou, Études sur les villes françaises. Milieu du xviie siècle à la veille de la Révolution française, Paris, SEDES, 1995, p. 331-375.
6 Vigneron S., La pierre et la terre. Le marché foncier et immobilier dans les dynamiques sociales du Nord de la France aux xviie et xviiie siècles, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2007.
7 Gérard Béaur a tenté l’expérience autour de trois critères : la circulation des biens, le volume des investissements et le prix des maisons dans cinq villes, durant la période révolutionnaire. Beaur G., L’immobilier et la Révolution. Marché de la pierre et mutations urbaines, 1770-1810, Paris, Armand Colin, 1994.
8 Arch. nat., et/CXVIII/680, 22 octobre 1789, achat d’une grande maison avec jardin ; Arch. nat., et/CXVII/974, 28 thermidor an II (15 août 1794), état de la fortune de Barthélemy-Jean-Louis.
9 Aubin G., La seigneurie en Bordelais au xviiie siècle d’après la pratique notariale, 1715-1789, Rouen, Presses universitaires de Rouen, 1989, p. 29.
10 Constant J.-M., La société française aux xvie, xviie et xviiie siècles, Gap/Paris, Ophrys, 1994, tableaux statistiques, p. 144.
11 Mension-Rigau É., « La persistance du modèle du “château”, ou les limites de la fusion des élites dans l’univers de la ville », in C.-I. Brelot, Noblesses et villes (1780-1950), Tours, Maison des sciences de la ville, 1995, p. 215-225.
12 L’investissement des Le Couteulx dans les seigneuries participe du réveil d’un marché foncier languissant, dans la première moité du xviiie siècle, Vigneron S., La pierre et la terre…, op. cit., p. 335.
13 Ibid., p. 348.
14 Le Couteulx de La Noraye Laurent-Vincent, Observations sur la vente des biens nationaux, Paris, s. n., 1790.
15 Arch. nat., et/XCVIII/705, 6 novembre 1794, inventaire des papiers de Laurent-Vincent.
16 Le paiement des biens français est étalé sur plusieurs années, entre 1791 et 1795. Bodinier B., « La noblesse et les biens nationaux dans le département de l’Eure », in Révolution et mouvements révolutionnaires en Normandie, Le Havre, ShaN, 1990, p. 72.
17 Arch. hist. del Banco de Espana, leg. 552, état des biens nationaux pour compte de la liquidation de Le Couteulx et Cie. Cité dans Zylberberg M., Capitalisme et catholicisme dans la France moderne. La dynastie Le Couteulx, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, p. 346.
18 Pour la liste exhaustive des biens acquis, voir Szramkiewicz R., Les régents et censeurs de la Banque de France nommés sous le Consulat et l’Empire, Genève, Droz, 1974, p. 220-221.
19 Charoy M., « Étude historique sur le château de Meung-sur-Loire », Mémoires de la société d’agriculture d’Orléans, Orléans, Auguste Goût, 1908, p. 218-226 et 245.
20 Arch. nat., et/CXVII/985, 2 messidor an VI (20 juin 1798), contrat de location.
21 Beaur G., « Le marché foncier éclaté. Les modes de transmission du patrimoine sous l’Ancien Régime », Annales HSS, vol. XLVI, n° 1, 1991, p. 189-203.
22 Arch. nat., et/CVIII/590, 23 mars 1771, état et estimation du mobilier existant à la Malmaison et Arch. nat., et/LXVIII/670, 2 floréal an VII (21 avril 1799), état descriptif et estimatif du mobilier de la Malmaison.
23 Chevallier B., Malmaison. Château et domaine des origines à 1904, Paris, RMN, 1989, p. 36.
24 Roche D., Le peuple de Paris. Essai sur la culture populaire au xviiie siècle, Paris, Aubier-Montaigne, 1981, p. 171.
25 Fourcaut A. (dir.), La ville divisée…, op. cit.
26 Arch. nat., et/XX/272, 15 mars 1650, contrat de location de Jacques Ier.
27 Arch. nat., et/XVI/434, 10 décembre 1660.
28 Babelon J.-P., Demeures parisiennes sous Henri IV et Louis XIII, Paris, Hazan, 1991, p. 45.
29 Boudon F., « Tissu urbain et architecture : l’analyse parcellaire comme base de l’histoire architecturale », Annales ESC, vol. XXX, n° 4, juillet-août 1975, p. 773-818 ; Coquery N., Tenir boutique à Paris au xviiie siècle. Luxe et demi-luxe, Paris, Éditions du CTHS, 2011.
30 Ibid.
31 Descimon R. et Nagle J., « Espace et fonction sociale… », art. cité, p. 956-983.
32 Milliot V., « Cachez ce peuple que l’on ne saurait voir. Image des petits métiers parisiens et ségrégation sociale au xviiie siècle », in A. Fourcaut (dir.), La ville divisée…, op. cit., p. 139-151.
33 Zeller O., « Un mode d’habiter à Lyon au xviiie siècle. La pratique de la location principale », RHMC, t. XXXV, n° 1, 1988, p. 36-60. Hontebeyrie J. et Rosental P.-A., « Ségrégation sociale de l’espace et dynamiques longues de peuplement : la rue Wacquez-Lalo à Loos-lès-Lille (1866- 1954) », in Y. Grafmeyer et F. Dansereau (dir.), Trajectoires familiales et espaces de vie en milieu urbain, Lyon, PUL, 1998, p. 73-100.
34 Pardailhe-Galabrun A., La naissance de l’intime. 3 000 foyers parisiens, xviie-xviiie siècles, Paris, PUF, 1988, p. 150.
35 Coquery N., L’hôtel aristocratique. Le marché du luxe à Paris au xviiie siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 64.
36 Est-il logé à l’enseigne d’un cocher qui hébergerait voitures et chevaux ? Est-il relégué dans le domaine de Canteleu, nécessitant une organisation précise du déplacement ?
37 Arch. nat., et/XX/272, 5 mai 1650, contrat de location.
38 Pardailhe-Galabrun A., La naissance de l’intime…, op. cit., p. 130. L’équipage demeure, selon l’auteur, l’apanage des fortunes dépassant les 10 000 livres.
39 Arch. nat., et/XCVIII/512, 26 décembre 1750, inventaire de Jean X.
40 Arch. nat., et/XCVIII/509, 19 février 1750, comptes d’exécution testamentaire de Jean X.
41 Arch. nat., et/XCVIII/705, 28 brumaire an III (18 novembre 1794), inventaire de Laurent-Vincent.
42 Beik W., Urban Protest in Seventeenth-Century France. The Culture of Retribution, New York, Cambridge University Press, 1997, p. 29.
43 Balzac H. de, Théorie de la démarche, Paris, Eugène Didier, 1856, p. 48-49.
44 Corbin A., « De l’histoire des représentations à l’histoire sans nom », Politix, vol. VI, no 21, 1993, p. 7-14.
45 Vigneron S., La pierre et la terre…, op. cit., p. 50.
46 Coquery N., Tenir boutique à Paris au xviiie siècle, Paris, CTHS, 2011.
47 Ruggiu F.-J., « Les logiques résidentielles des élites dans les villes de province françaises », in J. Dunne et al. (dir.), Living in the City. Elites and their Residences, 1500-1900, Turnhout, Brepols, 2008, p. 109-135, et Zeller O., « La mobilité résidentielle de François Valesque, épicier en gros et échevin de Lyon (1706-1791) », Cahiers d’histoire, vol. XLIV, n° 4, 1999, p. 559-572.
48 Harouel J.-L., « La question financière et ses rapports avec l’aménagement urbain », in R. Monnier (dir.), À Paris sous la Révolution. Nouvelles approches de la ville, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008, p. 29-38.
49 Gribaudi M., « Réseaux égocentrés et inscriptions sociales. Continuités et discontinuités dans les formes de structuration de l’espace parisien », in M. Gribaudi (dir.), Espaces, temporalités, stratifications. Exercices sur les réseaux sociaux, Paris, Éditions de l’EHESS, coll. « Recherches d’histoire et de sciences sociales », 1998, p. 71-120.
50 Gribaudi B., « Identité sociale et territoire, Naples entre centre et périphérie », in M. Gribaudi (dir.), op. cit., p. 145-168.
51 Arch. nat., et/LVIII/18, 22 mars 1609, inventaire de Jacques Lustin.
52 Arch. nat., et/XCVIII/539, 13 juillet 1757, succession de Jean-Étienne Ier.
53 Arch. dép. Seine-Maritime, 2E 5/11, 24 août 1697, contrat entre de Vigneral et Marie-Catherine.
54 Arch. dép. Seine-Maritime, 2E1/2644, 16 octobre 1653, succession de Jean IV.
55 Berryer P.-N., Souvenirs de M. Berryer, doyen des avocats de Paris (1774-1838), Paris, Ambroise Dupont, 1839, t. I, p. 251.
56 Arch. dép. Seine-Maritime, 2E2/81, 12 novembre 1760, achat d’Hacqueville et de Richeville par Antoine-Louis et Jean-Jacques-Vincent ; Arch. nat., et/CXVIII/562, 13 octobre 1768. Antoine-Louis et sa belle-sœur Hélène-Olympe Palerne achètent les seigneuries de Farceaux, Suzay, Neuville, Harcourt, Bonnemare et Villers.
57 Arch. nat., et/CVIII/590, 23 mars 1771, achat de la Malmaison par du Molay ; Arch. nat., et/ XCVIII/668, 16 mars 1787, acte de vente de Louveciennes ; Arch. nat., et/XCVIII/692, 26 mai 1792, achat par Canteleu d’une propriété à Auteuil.
58 Concernant l’historicité de la notion de distribution, voir dans Cabestan J.-F., « Infortunes de l’art de la distribution : le cas de l’hôtel de Belle-Isle », in T. W. Gaehtgens (dir.), L’art et les normes sociales au xviiie siècle, Paris, Éditions de la MSH, 2001, p. 79-99.
59 Babelon J.-P., Demeures parisiennes sous Henri IV et Louis XIII, op. cit., p. 190.
60 Eleb-Vidal M. et Debarre-Blanchard A., Architecture de la vie privée, xviie-xixe siècles, Bruxelles, Éditions AAM, 1989, p. 178.
61 Arch. nat., et/CXVII/988, 2 vendémiaire an VIII (24 septembre 1799), inventaire de Barthélemy-Jean-Louis.
62 Arch. nat., et/CVIII/705, 28 brumaire an III (18 novembre 1794), inventaire de Laurent-Vincent ; Arch. nat., et/CXVII/980, 18 nivôse an IV (8 janvier 1796), inventaire de Charlotte Pourrat.
63 Arch. dép. Seine-Maritime, 2E2/158, 10 décembre 1810, inventaire d’Antoine IV de Verclives ; Flamein Richard, « Mobilité sociale et univers matériel, le 34 de la rue aux Ours à Rouen », Annales de Normandie, 59e année, n° 1, janvier-juin 2009, p. 11-34.
64 Savot L., L’architecture française des Bastiments particuliers, Paris, Robinot, 1642, p. 60 sq.
65 Arch. nat., et/LXI/217, 11 avril 1652, inventaire de Nicolas Ier. Sur l’évolution de la distribution au xviie siècle, Babelon J.-P., Demeures parisiennes sous Henri IV et Louis XIII, op. cit., p. 184-185 ; Courtin N., L’art d’habiter. L’ameublement des hôtels particuliers à Paris au xviie siècle, thèse de doctorat, université Paris IV, 2007.
66 Delon M., L’invention du boudoir, Paris, Zulma, 1999.
67 Arch. nat., et/XV/363, 26 et 28 novembre 1698, inventaire d’Antoine Ier et Arch. nat., et/ CVIII/590, 23 mars 1771, achat de la Malmaison par du Molay ; Guerrand R.-H., Les lieux, histoire des commodités, Paris, La Découverte, 1985 ; Wright L., Clean and Decent. The Fascinating History of the Bathroom and the Water Closet., Londres, Routledge & Kegan Paul, 1960.
68 Carbonnier Y., Maisons parisiennes des Lumières, Paris, PUPS, 2006, p. 280.
69 Mension-Rigau É., « La persistance du modèle du “château”… », art. cité, p. 215-225.
70 Daridan Geneviève, Les Le Couteulx et Cie, banquiers à Paris. Un clan familial dans la crise du xviiie siècle, Paris, Loysel, 1994, p. 78-79.
71 L’opposition n’est guère aussi tranchée : la maîtrise des normes de l’intimité et de la pudeur est aussi un élément constitutif du positionnement de l’individu dans le groupe social, Roche D., Le peuple de Paris…, op. cit., p. 150.
72 Gutton J.-P., Domestiques et serviteurs dans la France de l’Ancien Régime, Paris, Aubier-Montaigne, 1981.
73 Carbonnier Y., Maisons parisiennes des Lumières, op. cit., p. 230-238.
74 La maison d’un grand seigneur représente une dépense annuelle d’environ 4 000 livres, Audiger, La maison réglée…, op. cit., p. 21 et 22.
75 Arch. nat., et/CXVIII/635, 30 juillet 1780, succession d’Antoine-Louis.
76 Arch. dép. Seine-Maritime, 2E2/158, 10 décembre 1810, Second testament d’Antoine IV.
77 Chevallier B., Malmaison…, op. cit.
78 Permon L., duchesse d’Abrantès, Mémoires de la duchesse d’Abrantès, Paris, Nelson Éditeurs, 1917, t. I, p. 275-278.
79 Ibid.
80 Arch. nat., et/LXI/205, 29 mars 1645.
81 Arch. nat., et/XVI/434, 10 décembre 1660, achat de la maison de la rue Saint-Honoré.
82 Brunon H. et Mosser M., « L’enclos comme parcelle dans la totalité du monde : pour une approche holistique de l’art des jardins », Ligeia. Dossiers sur l’art, n° 73-76, janvier-juin 2007, p. 59-75.
83 Arch. nat., et/LXI/219, 21 et 22 avril 1653, inventaire de la bibliothèque de Jacques Ier.
84 Ariosto L., Orlando Furioso, Paris, De Pélafol, 1818, chant I, strophe 42-43, p. 16 et Tasso T., La Jérusalem délivrée, Paris, s. n., 1784, chant XVI, p. 243.
85 Flandrin J.-L. et Montanari M. (dir.), Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996, p. 658-660.
86 Quellier F., « Le jardin fruitier-potager, lieu d’élection de la sécurité alimentaire à l’époque moderne », RHMC, vol. III, n° 51, 2004, p. 66-78 ; Ferrières M., Histoire des peurs alimentaires, du Moyen Âge à l’aube du xxe siècle, Paris, Seuil, 2002.
87 Quellier F., « Le bourgeois arboriste (xviie-xviiie siècle). Les élites urbaines et l’essor des cultures fruitières en Île-de-France », Histoire urbaine, n° 6, décembre 2002, p. 23-42.
88 Whately T., L’art de former les jardins modernes ou l’art des jardins anglais, Paris, Gérard Monfort, 2005, et Morel J. M., Théorie des jardins, Paris, Pissot, 1776.
89 Delille J., Les jardins, Paris, Michaud, 1824, p. 64. Le comte de Buffon avance que le poème aurait été composé vers 1782 quand l’abbé Delille passait les mois d’été à la Malmaison.
90 Ventenat É.-P., Les jardins de la Malmaison, Paris, s. n., 1803.
91 Comtesse Potocka, Mémoires, 1794-1820, Paris, Plon, 1897, p. 260.
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