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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral L’homme qui a frappé le Christ sur la joue La légende de Malchus Cartaphile Une légende chrétienne médiévale Le bon pécheur Le témoin de la Passion Cartaphile et le folklore des maudits Cartaphile et le folklore de l’immortalité Cartaphile et le phénix De Cartaphile à Joannes Buttadeus La légende de Boutedieu et le pèlerinage à Jérusalem La relation d’Antonio di Francesco di Andrea (vers 1415) Juan de Vota Dios : Le Crotalon (vers 1553)
    Le procès d’Antonio Ruiz (1546-1547)
    Malchus redivivus ou la renaissance de Malchus Notes de bas de page

    Le cordonnier de Jérusalem

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre I. La vengeance de Notre Seigneur

    p. 13-64

    Texte intégral L’homme qui a frappé le Christ sur la joue La légende de Malchus Cartaphile Une légende chrétienne médiévale Le bon pécheur Le témoin de la Passion La Venjance Nostre Seigneur Cartaphile et le folklore des maudits Cartaphile et le folklore de l’immortalité Cartaphile et le phénix De Cartaphile à Joannes Buttadeus La légende de Boutedieu et le pèlerinage à Jérusalem La relation d’Antonio di Francesco di Andrea (vers 1415) Juan de Vota Dios : Le Crotalon (vers 1553)
    Le procès d’Antonio Ruiz (1546-1547)
    Malchus redivivus ou la renaissance de Malchus Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Les premiers siècles du christianisme voient fleurir, on le sait, à côté des textes que l’Église considère comme authentiques, bien d’autres qui seront rejetés comme apocryphes : c’est un corpus vaste, comprenant de véritables évangiles (Actes de Pilate, Protévangile de Jacques, Evangile du Pseudo- Thomas, L’Histoire de Joseph le charpentier...) ; ces textes rejetés ont donné naissance à des traditions qui se sont perpétuées d’âge en âge jusqu’à nos jours et l’iconographie chrétienne y a abondamment puisé :

    « C’est [dans les apocryphes], non dans l’Évangile, que l’on trouve, entre autres détails estimables, le boeuf et l’âne, la grotte de la Nativité, la couronne des Mages [...]. Mais surtout ces écrits ont façonné, quoi qu’on dise, l’essentiel de la piété mariale. Nulle part ailleurs ne se racontent l’enfance de Marie, la vie de ses parents, Joachim et Anne, la présentation au temple, la virginité perpétuelle1 ».

    2De nombreuses légendes isolées sont apparues aussi à cette époque, depuis l’Égypte jusqu’à Byzance, dans ce contexte, méditerranéen, de foi chrétienne folklorisée : la légende de la Croix, celle de Longin, celle de sainte Véronique (et de la Sainte Face), la légende de l’Antéchrist, celle de Judas, celle des Sept Dormants d’Ephèse...

    L’homme qui a frappé le Christ sur la joue

    3C’est là qu’on relève la première occurrence, suffisamment formalisée, de ce qui s’appellera, bien des siècles plus tard, la légende du Juif Errant. L’anecdote est racontée par Jean Moschos, un moine né à Damas, au vie siècle (entre 540 et 550) et mort dans les premières décades du viie siècle (entre 619 et 634) : il est l’auteur d’un recueil de vies de pieux ermites, de saints, et d’historiettes monastiques qu’il a recueillies dans les couvents de la Thébaïde (en Egypte), de la Syrie, de la Cilicie, de la Palestine, du Sinaï, au cours de voyages, de séjours, de visites. Son oeuvre, Le Pré Spirituel (Pra-tum Spirituale, traduction du grec Leimonarion), a connu une très large dif-fusion : la Bibliothèque Nationale en possède, à elle seule, une dizaine de manuscrits assez complets ; quant aux manuscrits incomplets, le père Rouët de Journel déclare « qu’on ne peut même pas en dire le nombre2 ». Dans ce classique abondamment recopié, abondamment pillé, on peut lire au chapitre XXX un récit concernant un moine, Isidore de Mélitène, qui était abbé du monastère de Philoxène, à Chypre, quand Jean Moschos le rencontra :

    « Nous le vîmes, dit l’auteur, perpétuellement pleurer et gémir. Comme tous l’invitaient à se remettre un peu de son affliction, il n’y consentait pas, mais à tous il disait : "Je suis un grand pécheur, comme il n’y en a pas eu depuis Adam jusqu’à ce jour." » On cherche à le consoler : « Personne n’est sans péché. » Et Isidore raconte alors l’énorme péché qu’il a commis quelques années plus tôt, alors qu’il vivait dans le siècle. Il était marié ; sa femme, un jour, communia malgré son interdiction ; l’ayant appris, il lui fit rejeter l’hostie qui tomba dans la boue et, « aussitôt je vis, poursuit-il, quelque chose de brillant qui, à l’endroit même, recueillit la sainte communion. » Ce qui l’assure de la gravité de sa faute et qui explique ses larmes et son désespoir, c’est que, deux jours après son geste sacrilège, il vit « un Éthiopien, vêtu de haillons » qui lui dit : « Toi et moi nous avons été condamnés au même supplice. » Isidore lui ayant demandé qui il était, l’Éthiopien3 qui lui était apparu lui répondit : Je suis celui qui a frappé sur la joue le créateur de l’univers, Notre Seigneur Jésus-Christ, au temps de la Passion. Voilà pourquoi je ne puis m’empêcher de pleurer4 ».

    4L’allusion est rapide, fragmentaire, mais pour la même raison que le seront au xviie siècle les indications du passage d’Ahasvérus dans telle ville d’Europe : la légende et le personnage sont connus ; pourquoi développer ? L’homme vêtu de haillons qu’a vu Isidore ne raconte pas son histoire, il se contente d’y faire référence ; il lui suffit de se présenter, tout le reste est supposé connu de son interlocuteur. C’est un personnage mystérieux : son apparition, juste après le sacrilège, ne semble-t-elle pas supposer un savoir merveilleux ? Pour le reste, nous reconnaissons dans cette anecdote le noyau de la légende du Juif Errant : le péché qui appelle une expiation exemplaire (« frapper sur la joue le Christ lors de la Passion ») ; la durée indéterminée de la peine et, par là même, la longévité exceptionnelle de ce pécheur exceptionnel : cela fait six cents ans que le Christ est mort et que son offenseur expie sa faute. Le personnage vient d’on ne sait où, paraît étranger et misérable, ses vêtements surprennent : on retrouvera tout cela des siècles plus tard dans le folklore européen, mais lié explicitement au thème de l’errance. Toutefois ici, l’accent nous semble plutôt mis sur l’association, le lien existant entre le péché monstrueux et le sentiment de désespoir absolu, comme c’est aussi le cas dans l’histoire de Judas : mais Judas se pend et connaîtra donc dans l’Autre Monde (de façon en quelque sorte banale) son châtiment, éternel comme il se doit, tandis que l’homme qui a giflé le Christ est encore en vie, sur terre, six siècles après son geste ; sa peine, indéfinie dans le temps (et non infinie) a pour originalité de devoir être accomplie ici-bas : voilà encore un trait spécifique qui constitue un marqueur de la légende.

    La légende de Malchus

    5Ce personnage anonyme qui a frappé le Christ sur la joue, au moment de la Passion, la tradition, disent certains, la légende, disent d’autres, lui donne un nom : Malchus. C’est LÉvangile de Jean qui sert de support à l’histoire de Malchus ; son nom est cité et le personnage figure un instant sur le devant de la scène, lors de l’arrestation de Jésus au Jardin des Oli-viers, la nuit qui précède sa Crucifixion :

    « Il y avait là un jardin, dans lequel il entra, ainsi que ses disciples. Judas, le traître, connaissait bien l’endroit [...]. Menant la cohorte et des gardes détachés par les grands prêtres et les Pharisiens, Judas arriva avec des lanternes, des torches et des armes. Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : "Qui cherchez-vous ?" Ils lui répondirent : "Jésus le Nazaréen". "C’est moi", leur dit-il. Judas, qui le livrait, se tenait là avec eux. Quand Jésus leur eut dit : "C’est moi", ils reculèrent et tombèrent à terre. Il leur demanda à nouveau : "Qui cherchez-vous ?" Ils dirent : "Jésus le Nazaréen". "Je vous dis que c’est moi, reprit Jésus. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez ceux-là partir." [...]. Alors Simon-Pierre, qui portait un glaive, le tira ; il en frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille droite. Ce serviteur s’appelait Malchus5 ».

    6Un autre passage du récit de la Passion vient étoffer la légende de Mal-chus et lui fournir un élément décisif, son trait spécifique. Le Christ est traîné devant le grand prêtre qui « l’interrogea sur ses disciples et sur sa doctrine. Jésus lui répondit : "C’est au grand jour que j’ai parlé au monde, j’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, où tous les Juifs s’assemblent ; je n’ai rien dit en cachette. Pourquoi m’interroges-tu ? Demande à ceux qui m’ont entendu ce que je leur enseigné ; eux savent bien ce que j’ai dit". À ces mots, l’un des gardes, qui se tenait là, gifla Jésus en disant : "C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ?" » (« Sic respondes pontifici ? »)6.

    7La tradition qui identifie le garde qui gifle le Christ dans la maison du grand prêtre Anne, au « serviteur du grand prêtre » dont l’oreille a été coupée par Pierre lors de l’arrestation du Christ, fait de ce personnage (Malchus) un être particulièrement odieux pour la conscience chrétienne, car non seulement il a frappé le Christ, mais à la brutalité il a ajouté l’ingratitude : L’Évangile de Luc nous apprend, en effet, qu’après le geste de l’apôtre, le Christ intervient. « Jésus prit la parole et dit : "Laissez ; cela suffit." Et, lui touchant l’oreille, il le guérit » (Luc, XXII, 50-51).

    8De nombreux textes littéraires (Mystère(s) de la Passion, Livre de la Passion, Passion du Palatinus...) permettent d’avoir une idée de la diffusion dans la France médiévale de cette tradition : Malchus figure dans toutes ces oeuvres ; son rôle est plus ou moins fidèle aux indications des textes évangéliques, les exigences théâtrales l’emportant parfois sur l’exactitude littérale. Cependant l’esprit de la tradition chrétienne est toujours respecté : le personnage est toujours odieux à souhait, mais plus, évidemment, quand la fantaisie de l’auteur, élargissant son rôle habituel, l’associe à d’autres moments de la Passion et lui attribue la responsabilité d’autres souffrances du Christ.

    9Le Livre de la Passion, poème rédigé au xive siècle par un clerc, appelle le serviteur de Caïphe Marcus (« Marcus out non, che dit l’escrit »)7. Le « dous Jhesu » gronde saint Pierre, qui, ayant « sache » (dégainé) une épée, a coupé l’oreille droite (« destre ») de Marcus ; puis il guérit miraculeusement le serviteur (645-646). Mais, mené ensuite « chiez Kaïphas », c’est par un « ribaut » anonyme que le Christ est frappé, lorsqu’il refuse d’exposer au grand prêtre sa doctrine8.

    10En revanche, dans la Passion du Palatinus, mystère du xive siècle, c’est, conformément à la tradition, le même personnage qui a l’oreille coupée (puis miraculeusement guérie) et qui frappe le Christ (ici devant Pilates, Cayfas et Herodes) en ajoutant ironiquement : « Qui t’a feru [frappé] ? Or le devine !9 ». Son rôle s’étend : c’est en réponse à ses questions, que l’apôtre Pierre, par peur et par lâcheté, renie le Christ (vers 525-531) ; c’est lui qui, à la demande d’Hérode, va jusqu’à la forge pour chercher les trois clous qui fixeront le Christ à la croix : on le représente s’exécutant avec empressement, bousculant le « fevre » (le forgeron), se louant, en revanche, de la bonne volonté de la « fevresse » qui remplace à la forge son mari. Fait significatif de la promotion du personnage dans l’imaginaire, son nom (ici Marques) est associé à celui de Judas, de Pilate, d’Hérode, de Caïphe, par Joseph d’Arimathie dans une tirade qui dénonce les maudits dont les for-faits ont conduit le Christ au Calvaire : « Qu’avez-vous fait, vous qui avez détruit le beau joyau (« le biau joël ») ; qu’avez-vous fait, hommes de sale race (« gent de put lin », « gent de put aire ») » :

    Comment est-ce que terre n’euvre* * ne s'ouvre
    Pour transgloutir ceus qui tele œuvre* * oeuvre
    Ont pourpensee et amenee ?

    11Dans le Mystère de la Passion Nostre Seigneur (milieu du xve siècle), le personnage, appelé tantôt Marquin, tantôt Malquin, se voit attribuer comme dans la Passion du Palatinus une place importante ; il est aidé d’un compagnon nommé Haquin, et son rôle, en se diversifiant et en s’étendant, se banalise : Marquin et son associé Haquin appartiennent au type bien attesté dans le théâtre religieux médiéval du bourreau sadique et imaginatif. C’est eux qui battent le Christ, le bousculent, l’insultent, lui placent sur la tête la couronne d’épines, lui arrachent la robe blanche donnée par Hérode et la remplacent par une robe rouge. C’est Marquin, qui, préposé au soufflet, attise le feu pendant que Maragonde, la « favresse », forge les trois clous ; Marquin et Haquin attachent, avec une jouissance sadique, Jésus à la croix et jouent aux dés les vêtements du Christ. Autant que leurs actes, leurs propos, leur registre sont ceux, quasi interchangeables, qu’attend des bourreaux le public médiéval des mystères10.

    12À côté de ces amplifications qui situent à la rencontre de l’exergèse médiévale du Nouveau Testament et des traditions du théâtre religieux, Fierabras, chanson de geste anonyme de la fin du xiie siècle, a conservé une variante de la légende de Malchus, dans laquelle on voit Dieu le punir. Y apparaît le thème du châtiment (terrestre) du persécuteur du Christ qui sous-tend des récits légendaires concernant Malchus, bien attestés à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance. Comme dans le Livre de la Passion, l’odieux personnage y est appelé Marcus, altération évidente de Malcus ; il n’est pas désigné comme celui qui a souffleté le Christ, mais comme celui qui l’a attaché à la colonne (« l’estake ») où ensuite il fut torturé et outragé. Marcus (comme Marquin du Mystère de la Passion cité plus haut) participe aux humiliations, aux insultes infligées à Dieu. Or ce tortionnaire est un ingrat : c’est le lépreux guéri par le Christ (Matthieu, VIII, 1-4 ; Marc, I, 40-45 ; Luc, V, 12-16). Différence considérable par rapport aux Mystères, fidèles, eux, à la tradition évangélique, Marcus, le miraculé ingrat est, dans Fierabras, maudit par le Christ : (« Tu le maudesis ») : par la faute de Marcus, la lèpre est inguérissable (« jamais... ne fust lepreus sanés [guéri] »)11.

    Cartaphile

    13En somme, exception faite de cette variante atypique (mais peut-être significative d’un corpus de traditions non collectées au Moyen Âge), la légende de Malchus, si elle est familière au public médiéval, n’est connue que par des textes ou fidèles à la tradition évangélique, ou conformes à son esprit (même s’ils renchérissent, « amplifient »). En revanche, d’autres versions d’une légende de personnage maudit par le Christ pour l’avoir frappé, sont, à partir du xiiie siècle, relatées avec plus ou moins de détails.

    14La plus ancienne relation, encore assez allusive, se situe dans une chronique monastique italienne, du début du xiiie siècle : Ignoti Monachi Cis-terciensis S. Mariae de Ferraria Chronica. Le passage concernant le Juif maudit pour l’éternité se trouve dans la narration des faits retenus par l’auteur pour l’année 1223 : le chroniqueur signale qu’en février de cette année, des pèlerins de Terre sainte avaient fait étape dans leur monastère (sainte Marie de Ferrare, monastère de Cisterciens). Ils racontèrent à l’abbé et aux frères,

    « qu’ils avaient vu en Arménie un Juif qui avait été présent à la Passion du Christ et qui, alors que le Christ allait à son martyre, l’avait frappé ignominieusement en lui disant : "Va, trompeur, recevoir ce que tu mérites." On dit que le Christ lui répondit : "Moi je vais, et toi, tu m’attendras jusqu’à ce que je revienne." Ce Juif, rajeunit (dit-on) tous les cent ans, pour ne plus avoir que trente ans, et il ne peut mourir jusqu’à ce que le Seigneur revienne12 ».

    15Quelques années plus tard, une version plus complète de la même légende est consignée dans sa chronique (intitulée Flores Historiarum, « Anthologie d’histoires ») par Roger de Wendover, moine à Saint-Albans, un monastère situé près de Londres. Le récit est situé en 1228 et mis au compte d’un évêque d’Arménie, venu en pèlerinage en Occident : c’est à l’occasion de son séjour au monastère de Saint-Albans qu’il a raconté l’histoire de « Joseph, qui attend, toujours vivant, l’ultime venue du Christ. » (« De Joseph, qui ultimum Christi adventum adhuc vivus exspectat »)13.

    16Matthieu Paris, après la mort (en 1236) de Roger de Wendover, lui succéda à Saint-Albans comme chroniqueur, et, selon une pratique courante à l’époque dans ce cas, ses Chronica Majora reprennent jusqu’à cette date le texte de son prédécesseur : le récit qui nous intéresse se situe dans cette partie de sa chronique et il s’agit donc d’une reprise quasi textuelle de la relation de Roger de Wendover. Voici la traduction de ce texte capital dans l’histoire de la légende du Juif Errant :

    « Cette année-là vint en Angleterre un archevêque de la grande Arménie qui s’y rendait en pèlerinage pour visiter les reliques des saints et les lieux consacrés du pays anglais, ainsi qu’il avait fait dans les autres royaumes. Il présenta aux religieux et aux prélats des églises, des lettres de recommandation du seigneur pape, qui les exhortait à le recevoir avec le respect convenable et à le traiter honorablement. Cet archevêque étant venu à Saint-Albans pour y implorer le premier martyr d’Angleterre, fut accueilli avec respect par l’abbé et le couvent. S’y étant arrêté quelque temps à cause de la fatigue du voyage et pour s’y refaire lui et les siens, il se mit à s’enquérir avec curiosité, par le moyen de ses interprètes, des cérémonies, du culte et du genre de vie de l’Angleterre, racontant à son tour sur l’Orient des particularités étonnantes [...] » [On l’interrogea sur la célébration en Orient de la Conception de la bienheureuse Marie, puis,] « Entre autres choses, on l’interrogea semblablement sur le fameux Joseph dont il est souvent question parmi les hommes, lequel était présent à l’époque de la passion du Sauveur, lui a parlé et vit encore en témoignage de la foi chrétienne. L’archevêque répondit en racontant la chose en détail ; et après lui un chevalier d’Antioche, qui faisait partie de sa suite pour lui servir d’interprète et qui était connu d’Henri Spigurnel, l’un des familiers du seigneur abbé, traduisit ses paroles et dit en langue française : "Mon seigneur connaît bien cet homme, et avant qu’il partît pour les pays d’Occident, ledit Joseph mangea en Arménie, à la table de mon seigneur l’archevêque qui l’avait déjà vu et entendu parler plusieurs fois." Comme on lui demandait ce qui s’était passé entre notre Seigneur Jésus-Christ et le dit Joseph, il reprit : "Au temps de la passion, lorsque Jésus-Christ, saisi par les Juifs, était conduit dans le prétoire devant le gouverneur Pilate pour être jugé par lui, et que les Juifs l’accusaient avec fureur, Pilate, ne trouvant en lui aucun motif de le faire mourir, leur dit : "Prenez-le et jugez-le selon votre loi" ; mais comme les clameurs des Juifs devenaient plus violentes, Pilate, sur leur demande, mit en liberté Barrabas et leur livra Jésus pour être crucifié. Or, tandis que les Juifs entraînaient Jésus hors du prétoire, Cartaphile, portier du prétoire de Ponce-Pilate, saisit le moment où Jésus passait le seuil de la porte, et le frappa avec mépris d’un coup de poing dans le dos, en lui disant d’un ton railleur : "Va donc, Jésus, va donc plus vite : qu’attends-tu ?" Jésus se retourna, et, le regardant d’un oeil sévère, lui dit : "Je vais et tu attendras que je sois venu" ; selon qu’il serait dit plus tard par l’évangéliste : "Le fils de l’homme marche selon qu’il a été écrit sur lui : pour toi, tu attendras mon arrivée." Or, ce Cartaphile, qui, au moment de la passion du Seigneur était âgé d’environ trente ans, attend encore aujourd’hui, selon la parole du Sauveur. Chaque fois qu’il a atteint le terme de cent ans, il est saisi d’une maladie qu’on dirait incurable et ravi comme en extase ; puis il est guéri, revient à la vie, et se retrouve dans le même état et au même âge qu’à l’époque de la passion du Seigneur ; en sorte qu’on peut dire véritablement avec le Psalmiste : "Ma jeunesse se renouvelle comme celle de l’aigle." Lorsque la foi catholique se répandit après la passion du Seigneur, ce même Cartaphile fut baptisé et appelé Joseph par Ananias, qui baptisa le bienheureux Paul apôtre. Il demeure ordinairement dans les deux Armé-nies et dans les autres pays d’Orient, vivant parmi les évêques et les autres prélats des églises. C’est un homme de pieuse conversation et de moeurs religieuses qui parle peu et avec réserve, et qui ne prend la parole que si les évêques ou autres hommes religieux lui font des questions. Alors il raconte les choses anciennes et ce qui s’est passé à l’époque de la passion et de la résurrection du Seigneur. Il parle des témoins de la résurrection, c’est-à-dire de ceux qui ressuscitèrent avec le Christ et vinrent dans la cité sainte et apparurent à plusieurs. Il parle aussi du symbole des apôtres, de leur séparation, de leur prédication ; et cela sans sourire ou sans prononcer aucune parole légère qui puisse provoquer le blâme ou le reproche : car il est dans les larmes et dans la crainte de Dieu, soupçonnant et redoutant toujours l’arrivée de Jésus-Christ qui viendra au milieu des éclairs juger le monde ; et il craint d’éprouver sa colère dans l’examen dernier, lui qui a provoqué le Seigneur à une juste vengeance, en le raillant lorsqu’il marchait à la passion. Beaucoup de gens viennent le trouver des contrées les plus lointaines, et se réjouissent de le voir et de l’entretenir ; si ce sont des personnes recommandables, il répond brièvement aux questions qui lui sont faites. Il refuse tous les présents qu’on lui offre, et se contente d’une nourriture frugale et de vêtements simples. Ce qui met en lui l’espérance du salut, c’est qu’il a péché par ignorance et que le Seigneur a dit dans sa prière : "Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font." Paul lui-même, qui a péché par ignorance, a mérité sa grâce. Il en est de même pour Pierre qui a renié le Seigneur par fragilité, c’est-à-dire par peur. Quant à Judas, qui a livré le Seigneur par iniquité, c’est-à-dire par avarice, il a déchiré ses entrailles, et, en se pendant, il a terminé sa misérable vie sans espoir de salut. Par cette considération, Cartaphile espère dans l’indulgence de Dieu et a un moyen d’excuser son erreur. On fit aussi des questions audit archevêque sur l’arche de Noé, qui, dit-on, s’est arrêtée et est encore aujourd’hui dans les montagnes d’Arménie, ainsi que sur plusieurs autres choses. Il affirma qu’il en était ainsi, en rendant témoignage à la vérité, et comme c’était un personnage respectable dont la véracité était garantie par une lettre du pape, ses paroles firent impression sur les auditeurs, et son récit parut scellé au sceau de la raison. D’ailleurs ce sont là des faits que personne ne peut accuser de fausseté ; car ils sont attestés par un chevalier fameux et illustre dans la guerre, Richard d’Argentan, qui, avec plusieurs autres, visita pieusement en personne, à titre de pèlerin, les contrées d’Orient, et, qui dans la suite, mourut évêque14 ».

    17Une seconde référence à la légende est enregistrée quelques années plus tard par Matthieu Paris : en 1252, un nouveau groupe d’Arméniens est hébergé au monastère de Saint-Albans ; c’est l’occasion pour les moines de poser à leurs hôtes les questions auxquelles des Arméniens, mieux que d’autres, peuvent apporter des réponses : qu’en est-il des invasions des Tartares, que savent-ils sur l’arche de Noé (qui s’est arrêtée en Arménie), ont-ils des nouvelles de Joseph (i.e. Cartaphile) ?

    «Année 1252. À la même époque, quelques Arméniens [...] vinrent à Saint-Albans pour y prier. La pâleur de leurs visages, la longueur de leurs barbes, l’austérité de leur vie, témoignaient de leur sainteté et de leurs moeurs sévères. Or ces Arméniens, qui paraissaient gens dignes de foi, répondirent véridiquement aux questions qui leur furent faites ; à savoir que par la vengeance de Dieu plutôt que par celle des hommes, les Tartares avaient été affaiblis, massacrés, vaincus [...]. Ils assuraient de plus savoir, à n’en pas douter, que ce Joseph, qui avait vu le Christ sur le point d’être crucifié, et qui attendait le jour où il doit nous juger tous, vivait encore selon son habitude : et c’est là une des choses merveilleuses de ce monde et une grande preuve de la foi chrétienne. » [Ils confirment enfin que l’arche de Noé se trouve bien en Arménie...]15.

    18La légende de Cartaphile est encore attestée au xiiie siècle par un autre document, français cette fois. Il s’agit d’un passage de la Chronique rimée de Philippe Mousket, contemporaine des Chronica Majora de Matthieu Paris et des Flores Historiarum de Roger de Wendover : elle s’achève, en effet, en 1243, date que l’on suppose être également celle de la mort de cet historien appartenant au patriciat de Tournai16. Son récit, qui laisse dans l’anonymat le blasphémateur maudit par le Christ, concorde avec celui des deux chroniqueurs de Saint-Albans, mais la référence précise au séjour à Tournai, pendant le Carême, de l’évêque arménien suggère l’hypothèse d’une source indépendante des chroniques insulaires. Rien, en effet, n’empêche d’envisager une halte à Tournai de « l’om de Ninivée », dont on sait qu’après avoir prié sur la tombe de saint Thomas de Cantorbéry il allait en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle et à Cologne (où Frédéric Barberousse avait fait transporter les reliques des « Trois Rois » Mages) : Philippe Mousket pourrait donc avoir recueilli lui-même, dans sa bonne ville, la matière de ce récit bien moins détaillé que les deux précédents. On peut le lire aux vers 25.485-25.558 de sa chronique : « Adonques vint uns arceveskes/De çà mer [...], /et fu d’Armenie. » Cet évêque venu d’Outre-mer « pour faire pèlerinage » n’avait avec lui qu’une suite réduite. Et, poursuit Mousket :

    « il disait qu’il avait vu l’homme qui assista à la crucifixion du Christ : cela on l’entendit le témoigner. Et quand les perfides Juifs menèrent Dieu au lieu de la crucifixion, cet homme leur dit : "Attendez-moi, j’y vais aussi (« Atendés moi, g’ivois »), le faux prophète va être mis en croix." Alors le vrai Dieu le regarda, et lui dit de ne pas tarder : "Ils ne t’attendront pas, eux, mais sache-le, toi, tu m’attendras" (« Icist ne t’atenderont pas,/Mais saces, tu m’atenderas »). Et, en effet, cet homme attend toujours, car il n’est pas mort depuis, ni trépassé (« Et encor atent cil ensi »...). Tous les cent ans, on le voit rajeunir [...] et là-bas d’aucuns disent qu’il fut baptisé par Ananias, l’un des vrais prophètes. C’est ainsi qu’il attendra sa punition, et qu’il ne mourra pas jusqu’au jour du Jugement Dernier17 ».

    19On a bien le sentiment, à lire ces quatre documents, qu’il s’agit de quatre (ou plutôt de trois) témoignages sur une même légende. Le récit de Roger de Wendover (et celui de Matthieu Paris, qui en est une simple variante) est le plus long, le plus détaillé, le plus dramatique, et aussi le plus didactique, tandis que l’allusion contenue dans la chronique italienne, dans sa brièveté, a pour mérite essentiel de permettre un recoupement supplémentaire et de témoigner de la diffusion de la légende vers 1220-1230 depuis Ferrare jusqu’à Londres. Entre ces deux extrêmes se situe la relation de Philippe Mousket, plus longue (et plus complète) que la référence italienne, nettement plus brève (et incomplète) que le(s) récit(s) anglais. Le coup porté au Christ l’a été impie (« de façon impie ») dans Roger de Wendo-ver ; contemptibiliter (« d’un ton railleur, méprisant ») dans Matthieu Paris. Matthieu Paris donne le nom (Antiochenus) de l’interprète de l’archevêque d’Arménie ; Roger de Wendover ne le donne pas. Matthieu Paris ajoute au témoignage de l’archevêque celui de Richard d’Argentan (Ricardus de Argentomio), chevalier fameux qui aurait fait le pèlerinage de Terre sainte et serait mort évêque ; aucune mention de ce personnage dans Roger de Wendover. Le châtiment de celui qui a frappé le Christ est, dans toutes les versions, l’attente jusqu’au Jugement Dernier ; elles ont, en outre, en commun le fait que « des paroles dites par le héros du récit au Christ sont reprises par celui-ci, et deviennent le texte même de sa sentence » (Gaston Paris). Mais chez Matthieu Paris, les paroles adressées au Christ par Cartaphile trahissent la dureté et le mépris (contemptibiliter) et « appellent » une riposte : « Va donc Jésus, va donc plus vite : qu’attends-tu ? » (« Vade Jesu citius, vade, quid moraris ? »), alors que les propos tenus par le héros (anonyme) de la version (plus imprécise) de Philippe Mousket sont tellement innocents que la malédiction du Christ paraît d’une sévérité inouïe : « Attendez moi, j’y vais aussi. » Signalons, enfin, que dans la version italienne, il s’agit d’un Juif anonyme (« quendam Judaeum ») alors que Roger de Wendover et Mat-thieu Paris ne précisent pas ce point, mais donnent en revanche un nom au personnage : Cartaphile (nom grec) avant son baptême, Joseph (nom juif) après son baptême...

    20On pourrait continuer ainsi à examiner attentivement les quatre textes pour en souligner les écarts de détail ; et ce travail ne serait pas sans intérêt, même s’il ne faisait que confirmer un fait aussi banal que fondamental : le caractère encore si fréquemment oral (donc soumis aux aléas de ce type de transmission que menacent oublis, contaminations, distorsions de toutes sortes...) de la culture narrative médiévale.

    21Mais, au-delà de ces variantes de détail, un même noyau narratif se repère aisément : il se caractérise essentiellement par le mélange de motifs attachés à la légende de Malchus (qui a frappé et offensé le Christ), à la légende de l’immortalité de saint Jean (l’attente sur terre du retour du Christ au Jugement Dernier), et plus largement à celle de la Vengeance [de] Nostre Seigneur.

    Une légende chrétienne médiévale

    22La légende de Cartaphile, dans ses variantes du xiiie siècle, développe, en effet, un certain nombre de thèmes que l’on retrouve souvent par ailleurs dans la culture chrétienne des premiers siècles de l’Église et qui perdurent jusqu’au Moyen Age. Ces thèmes majeurs autour desquels s’organise le récit nous semblent au nombre de trois : Cartaphile incarne le type du bon pécheur ; c’est aussi le témoin de l’événement central du christianisme : la Passion du Christ ; il manifeste enfin la toute puissance d’un Dieu dont la vengeance est terrible. Ces thèmes sont, comme ici, fréquemment associés à la Passion, mais, plus largement, ils sont caractéristiques de la mentalité chrétienne (particulièrement médiévale) et apparaissent donc dans d’autres contextes.

    Le bon pécheur

    23On peut passer rapidement sur le premier thème : Cartaphile est un pécheur exemplaire, il incarne le type même du pécheur modèle selon l’Église. D’abord, après la faute, il se convertit à la foi catholique ; baptisé par Ananias (comme l’apôtre Paul, lui aussi un pécheur repenti), il a reçu le nom de baptême de Joseph, celui même de l’époux de la Vierge Marie, nouveau nom qui symbolise un nouveau départ, voire la naissance d’un homme nouveau et la mort de Cartaphile, le pécheur. La description de la vie qu’il mène a pour fonction de souligner que le baptême a entraîné chez lui une véritable conversion : piété, réserve, sérieux, crainte de Dieu, frugalité dans la nourriture, simplicité du vêtement. C’est le portrait d’un converti qui s’achemine vers la sainteté. Le narrateur, de façon très didactique, précise le message dans le parallèle final : le cas de Joseph (Cartaphile), on ne peut être plus clair, est assimilé à celui de (saint) Pierre et (saint) Paul, pécheurs repentis et donc rachetés. Mais à ces trois pécheurs repentis et rachetés (ou rachetables, situation de Cartaphile), s’oppose Judas : non seulement son péché est plus grave (parce que prémédité), mais en outre il s’est suicidé, sans faire confiance à Dieu ; à sa faute initiale, il a donc ajouté le péché de désespoir, insulte à l’égard de la capacité infinie de pardon de Dieu...

    Le témoin de la Passion

    24Si avec ce thème, le récit se situe dans un catholicisme quasi atemporel, avec le thème du témoin de la Passion, on touche à des aspects plus spécifiques de la mentalité religieuse médiévale. L’accent est mis tout au long du texte sur cette fonction du personnage, et c’est cet aspect qui est privilégié dans la présentation globale de « Joseph » qui sert d’introduction au récit : l’évêque arménien fut, dit Matthieu Paris, « interrogé sur le fameux Joseph [...] lequel était présent à l’époque de la Passion du Sauveur, lui a parlé et vit encore en témoignage de la foi chrétienne » (« qui adhuc vivit in argu-mentum fidei christianae »). Il ne manque pas d’ailleurs de souligner que l’évêque est lui-même un témoin : si Joseph-Cartaphile a vu le Christ et lui a parlé, l’évêque arménien, lui, a vu (« viderat ») et entendu (« audierat loquentem ») ce témoin privilégié. Quant aux informations qui sont appor-tées sur Joseph, sur sa vie, elles sont pour une large partie la pure et simple glose de la présentation initiale : si on vient voir ce témoin c’est pour lui demander de témoigner « de ce qui s’est passé à l’époque de la passion et de la résurrection du Seigneur ». Image du futur auditoire du récit de Matthieu Paris, les gens viennent de loin pour le plaisir de le voir et l’entendre (« delectantes in ejus visione et confabulatione »). C’est en quelque sorte un nouvel évangéliste, mais que l’on peut voir et entendre. Ce personnage qu’il suffit d’interroger, répond aux attentes, à la sensibilité d’une bonne partie du peuple chrétien du Moyen Age massivement constitué d’illettrés qui doivent s’en remettre totalement à ce qu’ils voient (sur les murs des Églises), ou à ce qu’on leur dit (à la messe) :

    Femme je suis povrecte et ancienne,
    Qui riens ne sçay, onques lettres ne leuz.
    Au moustier voy, dont suis parroissïenne,
    Paradis paint, où sont harpes et leuz* *luths,
    Et ung enffer, où dampnez sont bouluz* ;18* bouillis

    25Les mystères dramatiques médiévaux n’ont pas d’autre ambition, d’autre fonction que de faire voir et entendre à ceux qui « n’entendent les escriptures » « les fais de Jhesucris », tels qu’ils sont consignés dans ces « escripts », ces « livres de saincte Eglise » qui leur sont inaccessibles. C’est en tout cas la belle déclaration qu’Eustache Mercadé (mort en 1440) met dans la bouche du prédicateur, à la fin de la première journée du Mystère de la Ven-geance Nostre Seigneur :

    A plusieurs gens ont moult valu* *été très utiles
    Qui n’entendent les escriptures,
    Exemples, histoires, peintures
    Faictes es moustiers et palais,
    Ce sont les livres des gens lais*. * ignorants
    En especial l’exemplaire* * la représentation
    Des personnages leur doit plaire
    Qui sont des fais de Jhesucris,
    Selon que mettent les escrips
    Et les livres de saincte Eglise19.

    26Pour les mêmes raisons (qui tiennent au public, à sa culture, à sa mentalité), la véracité historique revendiquée par la chanson de geste s’appuie, à l’instar du dogme, du message de l’Église (du moins dans sa version ad usum populi), sur l’objet, l’enseigne (« la preuve matérielle »). Ainsi, dans le prologue de La Prise d’Orange, ce que le jongleur déclare apporter comme preuves de ses dires, ce sont des enseignes que l’on peut voir à Brioude (« Bride ») (« Icil le sevent qui s’en vont a Saint Gile,/Qui les ensaignes en ont veü a Bride »). Ces enseignes sont l’escu Guillelme (« l’écu de Guillaume ») et sa targe florie (« son bouclier décoré d’une fleur en rosace »), l’écu aussi de Bertrand, son neveu ; preuves matérielles qu’il oppose à l’escripture, au livre, recours ultime des clercs, adversaires désignés, antagonistes naturels du jongleur : « Ge ne cuit [crois] mie que ja [jamais] clers m’en desdie/Ne escripture qu’en [on] ait trové en livre » Se définit ainsi la culture du témoignage (oral, ou visuel) contre la culture de l’écrit : celle du jongleur et de son public populaire qu’il prend à témoin, contre celle du clerc20.

    La Venjance Nostre Seigneur

    27Attardons-nous in fine sur le thème qui sous-tend l’ensemble de la légende, celui du châtiment indéfini imposé sur terre au personnage (juif ou non) qui a frappé le Christ. Cette attitude vindicative du Christ, qui heurte aujourd’hui les consciences chrétiennes, plus sensibles qu’au Moyen Âge au message de pardon, qui leur paraît essentiel dans le christianisme, est largement attestée dans la culture religieuse médiévale. La Venjance Nostre Seigneur, au titre explicite, légende pieuse qui a eu au Moyen Âge un succès considérable, suffirait, à elle seule, à attester l’existence, dans la chrétienté, d’une volonté de voir vengées les souffrances et les humiliations subies par le Christ, lors de sa Passion. Et ce sentiment est si assuré de sa légitimité qu’on va jusqu’à le prêter au Christ lui-même : d’où le titre de la chanson de geste française. La Venjance Nostre Seigneur a été largement diffusée et elle est conservée dans neuf manuscrits, qui représentent cinq rédactions du xiie au xve siècle21. Elle raconte comment, par l’intermédiaire de Vespasien et de Titus, le Christ a tiré vengeance de Pilate et des Juifs qui l’ont crucifié : la vengeance de Nostre Seigneur c’est la destruction de Jérusalem et un terrible châtiment pour les Juifs et pour Pilate. Les deux premières strophes annoncent sans détour le sujet de la geste ; voici un passage de la laisse 2 :

    2
    Baron, ceste chançons n’est mie de folie,
    [...]
    Ainz est de la vangance al fil* sainte Marie, * fils de
    Que Judeau travaillerent, la pute gent aïe* ; * haïe
    En la croiz lo pandirent, ce fu grant felonie.
    Titus en prist vangance a l’espee forbie
    Et Vapianus a la chïere* hardie. *au visage
    [...]
    28 Et cil murent* la guerre envers la Juërie. * visage
    Pilate(s) en fu destruiz et la lor loiz* honie ;22 * religion

    28Lorsque la ville de Jérusalem est sur le point d’être détruite par « Vapianus », le narrateur se garde bien d’oublier de souligner qu’il s’agit de la vengeance du Christ ; les Juifs ont bien eu tort de supplicier Jésus sur la croix (« Mar i firent Jhesum en la croiz travaller »), voici qu’est venu le moment où il va se venger (« Venus est li termines qu’il se voudra venger », vers 2111-2112). Ensuite le narrateur décrit, non sans complaisance, le massacre des Juifs. Les survivants sont achetés par les soldats romains au prix de trente Juifs pour un denier, rappel évident du « salaire de Judas », qui avait, lui, vendu le Christ pour trente deniers. Mais si les soldats les achètent, c’est pour aussitôt les tuer (« ils les fendent par le milieu comme s’ils fussent bûches », dit la geste) ; ils ont appris, en effet, que les Juifs, sur les conseils de Pilate, ont avalé leur or et leur argent (2120-2125) et, de la sorte, ils récupèrent « l’avoir » que leurs victimes avaient dans le corps :

    Ainsi lurent destruit la pute gent aïe*, * haïe
    Et tot por la venjance del fil Sainte Marie.

    29Et la laisse conclusive de la geste réaffirme une dernière fois, clairement, le message de La Venjance Nostre Seigneur (2348-2351 ) :

    Ce conte l’escripture, dont la raisons est voire*, *vraie
    Que ainsi prist venjance li poissanz Rois de Gloire.
    Grant paor puet avoir qui envers lui mesoirre*, * agit mal
    Car contre sa puissance n’avra ja nus victoire.

    Cartaphile et le folklore des maudits

    30Si l’enracinement de la légende de Cartaphile dans la culture chrétienne et particulièrement dans les traditions canoniques ou apocryphes concernant la Passion, est le fait massif qui s’impose d’emblée à l’analyse, toutefois les thèmes qu’elle développe ne peuvent bien se comprendre, dans leur spécificité, que resitués plus largement dans la culture narrative, essentiellement judéo-chrétienne, mais aussi éventuellement islamique, où elle a pris naissance, où elle s’est développée. De ce point de vue, Cartaphile appartient au type du maudit au chàtiment exemplaire, et sa légende prend donc place à côté de celles de Caïn, de Samiri, de Pilate, de Judas, de Cayphe, ou de celle des Danseurs de Kölbigk.

    31Caïn est, en quelque sorte, le premier Juif Errant. Jaloux d’Abel son frère que Dieu (Yahvé) semble préférer, il le tue. Au crime il ajoute l’insolence : lorsque, après l’assassinat, Yahvé demande à Caïn où se trouve son frère, Caïn lui répond : « Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ? » Yahvé alors le maudit : « Maintenant sois maudit [...]. Si tu cultives le sol, il ne te donnera plus son produit : tu seras un errant parcourant la terre. » Dieu, en outre, marque d’un signe Caïn, « afin que quiconque le trouverait ne le tuât point. » (Genèse, 4 : 1-15).

    32Une tradition recueillie par Niccolo da Poggibonsi au xive siècle en Terre sainte, à l’occasion d’un pèlerinage à Jérusalem, affirme que les descendants de Caïn ont hérité de la malédiction jetée sur leur ancêtre : ils ne peuvent rester plus de trois jours dans un endroit ; s’ils le font, leur corps se couvre de vermine et la vie semble les quitter23.

    33Sur l’épisode biblique du Veau d’or (Exode, 32) s’est greffée la légende d’un autre maudit : il s’agit d’un personnage qui apparaît de façon épisodique dans le Coran (Sourate XX, versets 89 et suivants). Il s’appelle Samiri ; c’est lui qui a fabriqué le Veau d’or pour le peuple d’Israël pendant que Moïse, sur le mont Sinaï, recevait de Dieu les Tables de la Loi. Moïse, redescendu du Sinaï, le maudit d’avoir fabriqué cette idole et Samiri s’éloigne aussitôt des tentes d’Israël. Depuis ce temps, il erre, dit-on, comme une bête sauvage, d’un bout du monde à l’autre. Chacun fuit à son approche. Il ne faut surtout pas le toucher : une fièvre ardente consumerait l’imprudent. Son errance perpétuelle explique son surnom : Al Kharaiti (« Le Tourneur »)24.

    34La vengeance de Notre Seigneur, selon certaines traditions fort répandues au Moyen Âge, se serait abattue sur Pilate. Fait prisonnier par les Romains de Vespasien et de Titus, lors de la prise de Jérusalem, il aurait été conduit en France, à « Vienne sor le Roigne » (vers 2257) pour y recevoir son châtiment. On l’y aurait pendu par les pieds dans un puits que l’on aurait ensuite fermé par une porte cadenassée (« Dex em prist sa venjance issi [ainsi] com je vous cont », vers 2345). De là, on le transporta (au bout de deux ans !) dans une prison, dont les murs « fondent » ; le sol se dérobe : voilà Pilate entraîné « aval enz en Enfer ». L’auteur le certifie : il a vu le puits (2346-7), l’eau (« l’aigue ») au fond d’un trou rond (« partuis raont ») :

    Encor trovoie l’aigue en un partuis raont ;
    Maint home l’an* veü et voient et verront.25 * ont

    35Il semble qu’au xviie siècle on connaissait encore cette légende puisque Pierre Victor Cayet la rapporte dans sa Chronique septénaire : « De Pilate, dit-il, il y a une certaine histoire dans Vienne en Dauphiné, qu’il est dans le puits de la tour de Pilate, où il est entendu crier et faire ses hurlements26 ».

    36Mais, plus encore que Pilate, parmi les responsables des souffrances du Christ lors de la Passion, celui que la mémoire chrétienne poursuit de sa vindicte, celui pour qui la légende médiévale a imaginé toutes sortes de souffrances extrêmes et éternelles, c’est Judas, l’apôtre qui a trahi, la créature qui a désespéré de son créateur. Benedeit, au début du xiie siècle, dans Le Voyage de saint Brandan, fait le récit de la rencontre du saint navigateur et de Judas. Judas, cramponné à un rocher battu des flots, en pleine mer, connaît là son répit hebdomadaire. Le reste de la semaine, damné parmi les damnés, il doit souffrir (il est le seul dans ce cas) les peines infligées dans les deux Enfers (l’Enfer chaud et l’Enfer froid)27.

    37Influencée selon toute apparence à la fois par la légende de Pilate et par celle de Judas (du moins dans la version qu’en donne Benedeit), la légende du châtiment éternel de Cayphe (autre protagoniste de la Passion) est attestée dans certaines rédactions du Tristan en prose28. Galaad, Bohort, Perceval, embarqués sur une nef merveilleuse symbolisant l’Église sont conduits (par Dieu, évidemment) jusqu’à un îlot qui n’est qu’une petite roche extrêmement haute et couverte d’arbres. Là ils découvrent un être âgé, nu ; ses cheveux blancs, démesurément longs lui recouvrent le corps. À leurs questions, il répond qu’il s’appelle Cayphas ; jadis il fut « évêque de Jérusalem ». À cause du péché des Juifs contre le prophète, il a été condamné par Vespasien à être déposé dans un bateau sans voiles ni rames « pour qu’il reçoive la mort que Dieu voudrait lui donner ». Cela fait deux cents ans qu’il dérive ainsi, sans boire ni manger, échouant ici ou là, repoussé aussitôt lorsqu’il raconte son histoire :

    « Je n’ai jamais rencontré, dit-il, quelqu’un qui me recueille. Dès que je racontais ma vie, on me prenait pour un misérable, on me maudissait sans pitié et on ne voulait même pas me tuer [...]. Voilà comment, pendant deux cents ans, j’ai navigué, chaque jour mourant de faim et de souffrance, sans pouvoir mourir. »

    38Un jour il est arrivé sur cette île ; il est descendu à terre ; quand il a voulu repartir, son bateau avait disparu. Le voilà donc condamné à rester là sans manger ni boire. Les compagnons, devant cette « merveille » se signent, puis demandent à Galaad :

    « Que ferons-nous de cet homme ? Le mettrons-nous dans notre nef et l’emmènerons-nous au royaume de Logres ? - Il ne peut pas entrer dans notre nef, dit Galaad, car elle est l’image de la Sainte Église. Il ne peut y séjourner, car il n’a ni foi ni croyance et il n’en a jamais eu. Au contraire, il est responsable de bien des maux, lui qui a consenti à la mort du Roi des Rois et a été le complice de la grande trahison dont il a été la victime. C’est pourquoi je vous demande de l’abandonner ici, car Notre-Seigneur veut qu’il endure ce qu’il endure en pénitence des torts causés au fils de Dieu.
    À ces mots ils dirent : "Messire Galaad a dit ce qu’il fallait. S’il plaît à Notre-Seigneur qu’il soit sauvé, il le sauvera quand il le voudra. S’il doit être damné, cela ne nous regarde pas puisqu’il n’est pas de notre foi." Ils le laissèrent assis entre deux arbres et revinrent vers leur nef. »

    39Amalgame de motifs empruntés à la légende de Cartaphile, à celle de Pilate, et à celle de Judas dans sa version brendanienne, cet épisode constitue un bon témoignage sur les modes et les voies multiples de l’essaimage des légendes pieuses au Moyen Âge, sur leur incessante réécriture aussi. La large diffusion du Lancelot en prose auquel l’aventure merveilleuse et édifiante de Cayphe remonte en dernier ressort, permet ici de reconstituer les étapes successives de la légende. Le fait n’est pas si fréquent... Il faut, bien sûr, partir des Évangiles canoniques qui décrivent le rôle majeur joué par Cayphe, au moment de la Passion du Christ. On passe ensuite aux retouches encore mineures apportées par les apocryphes : Évangile de Nico-dème (en particulier les Actes de Pilate qui en forment la première partie), Vindicta Salvatoris (La Vengeance du Sauveur). Vient alors l’intervention décisive, celle de Robert de Boron dans son Roman de l’Estoire dou Graal (fin xiie-début xiiie siècle) : le romancier y fait le « raccord » entre d’une part les apports des évangiles (canoniques ou apocryphes), la légende de Joseph d’Arimathie, celle de Véronique, celle du Précieux Sang, celle de l’empereur malade (que l’on retrouve dans la Vengeance de Nostre Seigneur) et d’autre part la légende arthurienne telle qu’elle apparaît dans Geoffroi de Monmouth, Wace, Chrétien de Troyes. Il s’agit pour lui d’écrire un roman des origines et d’enraciner dans la tradition judéo-chrétienne (biblique et évangélique) les généalogies des héros bretons, et les objets prestigieux et/ou merveilleux (Table Ronde, Graal) qui font rêver ses contemporains. Or c’est dans le Roman de L’Estoire dou Graal qu’on lit pour la première fois l’histoire d’un Juif, épargné par Vespasien pour avoir été le seul à consentir à indiquer où était emprisonné Joseph d’Arimathie : l’empereur, désormais converti, le fait embarquer, avec toute sa famille, dans un bateau que l’on pousse en haute mer. Ils pourront être sauvés, dit Joseph d’Arimathie « s’ils veulent croire au fils de Marie, qui est seigneur de la charité, et à la Sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint Esprit, comme notre religion l’enseigne29 ». Il ne restera plus, quelques années plus tard, à l’auteur anonyme de L’Estoire del saint Graal (qui sert d’introduction au Lancelot en prose) qu’à clarifier le message et à le rendre à la fois plus lisible et plus spectaculaire : le Juif anonyme est remplacé par Cayphe, sa famille disparaît. Le voilà, seul désormais, comme Judas, comme Pilate, comme tous les grands maudits mythiques, dans sa barque sans voile ni rames livrée au caprice des flots, ou plutôt à la Providence divine : il illustre à la fois le châtiment du pécheur et la chance de pardon qui lui est malgré tout accordée :

    « Se Dix [Dieu] veult que il vive, il vivera, et s’il plaist qu’il muire [meure], il n’en escapera mie [...]. A tant [Alors] [...] Vaspasiens le fist maintenant metre en un batiel [bateau], si [et] le fist aus marouniers [mariniers] eslongier [éloigner] del rivage ; et tant que il le laissèrent aler la u [où] avanture le mena. Issi [ainsi] venja Vaspasiens Jhesu-Crist [...]30 ».

    40Bien qu’associés au légendaire de la Passion, bien que significatifs, comme la légende de Cartaphile, de cette tentation de revanche, ou de vengeance qui anime encore au Moyen Âge certaines sensibilités chrétiennes (et qu’elles prêtent à Dieu), les tourments éternels que, selon la tradition médiévale, subissent Pilate et Judas, sont ceux des damnés : ils nous renvoient, somme toute, à la représentation commune au Moyen Âge de l’Enfer et de ses supplices. La légende de Cayphe s’écarte, elle, de celle de Cartaphile par l’introduction de la notion de relativité de la peine à côté de celle de châtiment exemplaire, et par le caractère ordalique de cette peine ; le lieu d’expiation, enfin, nous entraîne dans un monde maritime de type brendanien, sorte d’entre-deux, d’intermédiaire aux connotations celtiques entre ce monde-ci et l’Autre Monde.

    41La légende des Danseurs de Kölbigk, nous ramène, en revanche, au coeur de la légende de Cartaphile, c’est-à-dire au thème de la punition exemplaire imposée par Dieu sur terre, du vivant même du pécheur (et non pas dans l’Au-Delà) ; on y retrouve aussi un traitement du temps, une relation quasi-mécanique entre le délit et le châtiment, qui accentuent encore les similitudes avec le récit de Roger de Wendover ou celui de Matthieu Paris.

    42On connaît plusieurs versions, latines, allemandes, françaises, de cette légende qui a connu une large diffusion au Moyen Âge31. L’histoire se situe au début du xie siècle, et a pour théâtre le cimetière du village de Kölbigk, en Saxe. Là, un groupe d’hommes et de femmes (18 ou 26, dont la fille du prêtre, dans certaines versions) avaient passé toute la nuit de Noël à danser dans le cimetière : leurs cris et leurs chants troublaient même la messe de minuit : « menoient les karolles et faisoient au moustier si grand noise en trepant et dansant, qu’ilz enpeschoient le prestre et le service. » Le prêtre sortit, les invita à arrêter chants et danses ; et, devant leur refus, il les maudit : « Je prie a Dieu et a monseigneur saint Mangne que vous chantés et soiez en tel point desja ung an. » Les paroles du prêtre furent entendues de Dieu :

    « Pendant une année entière, ils continuèrent leur ronde et leur chant ; ils ne sentaient ni le froid ni le chaud, ils étaient insensibles aux pluies et aux orages ; ils n’éprouvaient aucune des nécessités de la nature physique ; leurs ongles et leurs cheveux ne poussaient pas ; et toujours chantant, sautant, battant des mains et frappant du pied, ils tournaient, la terre qu’ils foulaient s’enfonçant peu à peu sous leurs pas, si bien qu’ils finirent par y être engagés jusqu’à la ceinture. » (« et tant comme l’an dura, nulle pluye ne cheÿ sur eulx, ne froit, ne chault, ne ilz n’eurent ne fain ne soif, ne ne furent oncquez lassez, ne leurs robes, ne leurs soulliers ne furent deschirez ne usez. La terre s’abaissa soubz eulx, sique ilz furent premierement jus-quez. aux jenoulx, et puis aprez jusquez aulx fesses, et l’an passa. »)32.

    43Un an plus tard, jour pour jour, les effets de la malédiction prirent fin : on les vit tous s’arrêter, puis rentrer dans l’église. Certains moururent, d’autres se relevèrent ; plusieurs d’entre eux quittèrent le pays et se mirent à vagabonder par le monde, faisant appel à la pitié et racontant leur aventure : « Dieu voulant montrer à tous par leur exemple à quelle vengeance s’exposent ceux qui négligent ses préceptes et qui n’obéissent pas à ses prêtres33 ». Grâce aux annales des monastères où ils se rendaient pour qué-mander des aumônes, on a retrouvé la trace d’imposteurs qui se faisaient passer pour des survivants du groupe des danseurs maudits : ainsi l’anna-liste Lambert de Hersfeld rapporte qu’en 1038 un certain Ruthart (« unus ex illis qui in Collebecce coream illam famosam duxerunt »), ayant été guéri par le bienheureux Wigbert, patron de l’abbaye, « se consacra à son ser-vice34 ». En 1065 à Wilton, près de Salisbury, se présenta au monastère de Sainte-Edith, un autre (prétendu) danseur de Kölbigk, du nom de Thierri ; cela ne surprit pas : avant lui, trois de ses compagnons avaient déjà fait quelque séjour au monastère. Thierri « racontait qu’il avait parcouru toute la chrétienté et enfin passé la mer, demandant vainement à tous les sanctuaires la guérison de l’agitation qui secouait ses membres. » On se doute bien que ce fut, pour la plus grande gloire du monastère, sainte Edith qui le guérit (le jour de l’Annonciation). Un clerc mit par écrit, et en latin, cette belle histoire exemplaire, témoignant de la puissance et de la bonté divines35.

    Cartaphile et le folklore de l’immortalité

    44Pour un homme du Moyen Âge, la légende de Cartaphile fait aussi partie d’un autre type de récits qui lui sont familiers et qui sont centrés autour de personnages auxquels ont été conférées ou l’immortalité ou une longévité exceptionnelles : ce sont les analogies et les différences avec ces légendes qui lui permettent à la fois de reconnaître Cartaphile comme appartenant à sa culture, mais aussi d’en apprécier les traits spécifiques, facteurs d’identification et de mémorisation.

    45Au xiiie siècle, Cartaphile a un rival, ou un émule, dans la personne de l’écuyer de Charlemagne. Vincent de Beauvais l’appelle Joannes de Tem-poribus (« Jean des Temps ») et signale sa mort en 1139 dans son Speculum Historiale (achevé vers 1257-1258) : « Mort de Jean des Temps, qui avait vécu trois cent soixante et un ans depuis l’époque de Charlemagne dont il était l’écuyer » (« Joannes de Temporibus moritur, qui vixerat annis trecentis sexaginta uno a tempore Karoli Magni, cujus armiger fuerat »)36.

    46Guido Bonatti, célèbre astrologue italien, contemporain de Vincent de Beauvais, a vu, lui, en 1223, à Ravenne, Richard, l’écuyer du preux Olivier (« unum qui vocabatur Ricardus ») : « il disait qu’il s’était trouvé à la cour de Charlemagne, roi de France, et qu’il avait vécu quatre cents ans. » (« dicebat se fuisse in curia Caroli magni, regis Franciae et vixisse quadringentis annis »)37.

    47Enfin, Albéric (ou Aubri) de Trois-Fontaines signale pour 1234 la mort en Apulie de Gaidon qui prétendait avoir été l’écuyer de Roland : confusion, due à des sources orales, entre les deux héros (et amis) de la Chanson de Roland, ou versions concurrentes d’un même type de récits légendaires38 ? Au xviie siècle, et cela donne une idée de la diffusion de ces récits, on évoque encore ces personnages légendaires que l’on n’a pas complètement oubliés ; Pierre Victor Cayet cite dans sa Chronique septénaire (1605), à l’appui de la thèse de ceux qui pensent que le Juif Errant est « vray homme naturel », la légende de [Jean] des Temps : « [ils] disent que du temps de Charlemagne a esté le bonhomme des Temps (dont est faict mention en nos histoires), lequel a vescu plus de trois cents ans39 ».

    48Mais, plus encore que les légendes des écuyers de Charlemagne, de Roland, d’Olivier, la légende de l’immortalité de saint Jean, « le disciple bien aimé » (en grec karta philos), a pu servir, en quelque sorte, de caution à celle de Cartaphile, et l’on s’est demandé si le nom même du personnage ne témoignait pas de quelque contamination entre les deux légendes. Le point de départ de la légende de l’immortalité de saint Jean se situe dans l’Évangile selon saint Jean (XXI, 20-23) : après avoir prophétisé « le genre de mort par lequel Pierre devait glorifier Dieu », le Christ répond à l’apôtre qui lui demande ce qu’il adviendra « du disciple que Jésus aimait, celui qui, durant le repas [la Cène], s’était penché vers sa poitrine » (XXI, 20) et Jésus lui répond : « "S’il me plaît qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ?" [...] Le bruit se répandit alors parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas40 ».

    49Cette croyance était renforcée par la possibilité d’appliquer à saint Jean une autre déclaration du Christ à ses disciples rapportée par les (seuls) évangiles synoptiques : « En vérité je vous le dis : il en est d’ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venant avec son Royaume » (Matthieu, XVI, 28), ou « d’avoir vu le Royaume de Dieu venu avec puissance » (Marc, IX, 1), ou « d’avoir vu le Royaume de Dieu » (Luc, IX, 28). La légende de l’immortalité de saint Jean est attestée dès les premiers siècles du christianisme : Tertullien (iiie siècle), Sulpice Sévère (début du ve siècle) y font allusion41. Jacques de Voragine, contemporain de Matthieu Paris, raconte dans la Légende Dorée, les circonstances merveilleuses de sa disparition : le Christ, à Ephèse, apparut à Jean (alors âgé de 98 ans), pour lui dire de se préparer « à manger à sa table avec ses frères ». Alors il fit creuser près de l’autel de l’église une fosse carrée ; puis il y descendit, s’y allongea. Alors qu’il priait, « une lumière aveuglante l’entoura. Et lorsque la lumière se dissipa, le saint avait disparu, et la fosse était remplie de manne42 ». Certains affirmaient que son corps avait été transporté au paradis, d’autres pensaient que saint Jean n’était point mort43. Théodore de Bèze, au xvie siècle, dans ses Annotations Majeures sur le Nouveau Testament, commentant le fameux passage de l’Évangile de saint Jean qui a pu servir de fondement à la légende de l’immortalité de l’évangéliste, signale que, de son temps encore, ces « fables » étaient connues, qu’un imposteur qui prétendait être saint Jean avait été brûlé à Toulouse44.

    50Au xviie siècle, en Angleterre, Georges Horn, commentant un passage de la Vita Martini où Sulpice Sévère signale (fin ive-début du ve siècle) l’apparition d’un pseudo-saint Jean en Orient, déclare qu’il est une secte en Angleterre formée de gens qui se font appeler Expectantes (« Ceux qui attendent ») : ils attendent l’apôtre Jean qu’ils croient encore vivant » (« Hi expectant Apostolum Joannem, quem adhuc vivere credunt »). Certains, dit-il, prétendaient qu’on l’avait vu dans le Suffolk ; selon d’autres, Jean était en Transylvanie : les Expectantes lui avaient envoyé une lettre dans laquelle ils lui demandaient de se hâter de venir en Angleterre. L’auteur ajoute enfin, que chaque fois qu’ils rencontrent un pèlerin, leur habitude est de lui demander s’il n’est pas l’apôtre Jean45.

    Cartaphile et le phénix

    51Même si l’immortalité (terrestre) de Cartaphile est un châtiment (et non une récompense comme pour saint Jean), ce trait distinctif, essentiel pour la fonction de la légende, n’empêche pas ce personnage, immortel, d’appartenir, dans la culture médiévale, à un type caractérisé par un certain nombre de motifs, qui accompagnent d’ordinaire ce thème. C’est le cas, dans les chroniques de Roger de Wendover et de Matthieu Paris, du motif du rajeunissement périodique du héros :

    « Chaque fois qu’il a atteint le terme de cent ans, il [Cartaphile] est saisi d’une maladie qu’on dirait incurable et ravi comme en extase : puis il est guéri, revient à la vie, et se retrouve dans le même état et au même âge [trente ans] qu’à l’époque de la passion du Seigneur ; en sorte qu’on peut dire véritablement avec le Psalmiste : "Ma jeunesse se renouvelle comme celle de l’aigle46" ».

    52Le commentaire de Matthieu Paris fait référence à la croyance largement partagée au Moyen Âge de la capacité infinie de rajeunissement de l’aigle et oriente le lecteur moderne vers l’un des référents culturels qui constituaient « l’horizon d’attente » du lecteur médiéval : comment, en effet, douter du rajeunissement cyclique de Cartaphile, puisque l’aigle et le phénix ont cette aptitude et qu’on peut le lire dans ces trésors de savoir que sont les Bestiaires ?

    53L’article « Aigle » du Bestiaire de Pierre de Beauvais (début du xiiie siècle) s’ouvre précisément sur la citation du psaume CII auquel renvoie Matthieu Paris ; suit la description de la merveilleuse aptitude de l’aigle au rajeunissement qui vient en commentaire de cette citation :

    « David dit dans le psaume CII : "Ta jeunesse te sera renouvelée comme celle de l’aigle." Physiologue affirme que l’aigle possède une nature telle que lorsqu’il vieillit, ses ailes deviennent lourdes, son oeil s’obscurcit et s’emplit d’humeur. Il cherche alors une source, et s’envole dans le ciel en direction du soleil. Là, il consume ses ailes et brûle l’inflammation de ses yeux aux rayons du soleil. Ensuite, il redescend vers la source et s’y plonge par trois fois ; et aussitôt, ses ailes retrouvent leur jeunesse, ses yeux s’éclaircissent, et il redevient tout aussi jeune qu’autrefois et encore plus47 ».

    54Si l’aigle cumule rajeunissement par le feu (du soleil) et par l’eau (de la fontaine), le phénix, lui, n’a recours qu’au feu pour « renaître identique à lui-même, entièrement rajeuni ». Pierre de Beauvais invoque, encore, l’autorité du Physiologus avant de raconter sa mort sur le bûcher qu’il a lui-même construit et embrasé, puis sa « résurrection » au troisième jour (« Cet oiseau, conclut-il, est fait à la ressemblance du Christ »)48.

    55Parmi les récits qui au Moyen Âge banalisent les thèmes, (parfois) conjoints, du rajeunissement périodique et de la longévité exceptionnelle, il y a ceux qui ont trait au mythe de la fontaine de Jouvence. C’est, selon l’auteur anonyme du fabliau « De Cocaigne » (xiiie siècle), l’une des merveilles de cette terre quasi paradisiaque (vers 151-161) :

    Encore i a autre merveille,
    Conques n’oïstes sa pareille,
    Que la fontaine de Jouvent
    Qui fet rajovenir la gent,
    I est, et plusor autre bien.

    56Tout homme aussi vieux soit-il, toute femme aussi chenue et grisonnante (« chanue ne ferranz ») soit-elle, qui peut venir à la fontaine se retrouve « en l’age de XXX anz »49.

    57De manière habituelle, la fontaine de Jouvence est associée au merveilleux géographique ; la Lettre du Prêtre Jean la revendique pour les territoires de ce souverain mystérieux, auquel on assigne souvent la souveraineté de l’Éthiopie. Dans une lettre adressée au roi de France, le Prêtre-Jean déclare :

    « Item sachez que decousté celle partie a une fontaine que qui en peut boire de l’eaue troys foys a jun il n’aura maladie de trente ans [...] ; elle est toute pleyne de la grace du Saint-Esprit. Et qui se peut baigner en la fon-tayne, s’il est en l’age de cent ans ou de mille, il retourne en l’âge de trente et deux ans50 ».

    58Ce que l’on attribue à la nature de l’aigle, ou à celle du phénix, ce que peut faire la fontaine de Jouvence, pourquoi une fée ne pourrait-elle pas le réaliser ? L’on n’est pas surpris d’apprendre que, grâce à une bague dont la fée Morgane lui a fait cadeau, Ogier le Danois, le héros des Enfances Ogier, de La Chevalerie Ogier de Danemarche, « revient à l’âge de trente ans aussitôt qu’il a accompli sa centième année51 ».

    59En un mot, tout cet ensemble de récits empruntés à des genres aussi différents que l’épopée romanesque ou la littérature de type encyclopédique (Bestiaires ; littérature géographique) encadrent au Moyen Âge la légende de l’immortalité de Cartaphile, la cautionnent, l’accréditent : le public y reconnaît sa culture, des thèmes qui lui sont familiers et qu’il peut d’ailleurs connaître aussi bien par l’iconographie religieuse (et profane) que par la littérature.

    De Cartaphile à Joannes Buttadeus

    60Si le nom de Cartaphile n’est pas attesté en dehors de Matthieu Paris et Roger de Wendover, les témoignages en revanche ne manquent pas, à partir du xiiie siècle, sur le personnage de l’offenseur que le Christ a maudit, mais on lui donne désormais le nom de Joannes Buttadeus (en français : Jean Boutedieu ; en italien : Giovanni Bottadio ou Zan Butadio). Dans ce nom il faut voir une référence au geste sacrilège : c’est « celui qui a frappé (afr. bouter) Dieu ». Cette interprétation est en tout cas, celle des contemporains ; Guido Bonatti (xiiie siècle) écrit : « vocabatur Joannes Buttadeus, eo quod impulisset Dominum quando ducebatur ad patibulum » (« il était appelé Joannes Buttadeus, parce qu’il avait frappé Dieu, quand il était conduit au gibet » [de la croix])52.

    61La plupart des textes qui font référence à Joannes Buttadeus sont brefs : ce sont souvent de simples allusions à la longévité exceptionnelle (et pas-sée en proverbe) du personnage dont on rappelle en une phrase la faute et la punition. Quelques témoignages signalent le passage ici ou là, à telle date, de Joannes Buttadeus : on rapporte ses propos, on décrit telle attitude, tel comportement qui ont frappé les témoins. À peine écarté, le voile retombe sur Buttadeus, mais, mises bout à bout, ces références jettent quelque lumière sur la légende et attestent en tout cas de sa large diffusion, d’Italie en Terre sainte, sur la route du pèlerinage à Jérusalem.

    62Le premier témoignage est d’ailleurs celui d’un juriste né en Italie, et installé en Terre sainte, Philippe de Novare, auteur de Mémoires (dont on n’a conservé qu’une partie, recopiée dans les Gestes des Chiprois). Celui que l’on appelait « le meillor pleidiour [plaideur] deça la mer », a écrit, entre 1252 et 1257, un traité de droit, le Livre en forme de plait : à la fin de cet ouvrage, il énumère les meilleurs spécialistes du droit qu’il a pu connaître dans les royaumes de Jérusalem et de Chypre. Il ne cite, dit-il, que les morts, se réservant de parler des « bons plaideurs » qui sont encore vivants, si du moins il leur survit, mais il faudrait pour cela qu’il vécût aussi longtemps que Jehan Boute Dieu : « vivre longuement et bien, et enssi auroit il passé Jehan Boute Dieu. »53. Allusion intéressante, par sa brièveté même, puisqu’elle suppose la légende bien connue à cette date. Mais dans quels milieux ? Les milieux « francs » de Terre sainte où vivait l’auteur depuis bientôt quarante ans, et auxquels il s’adressait en rédigeant en français son ouvrage, ou l’Italie dont il est originaire ? Peut-être les deux : on constate, en tout cas, que dans l’Italie des xiiie-xive siècles, la longévité de Boutedieu est, littéralement, devenue proverbiale : « vivre très longtemps », c’est « vivre plus longtemps que Boutedieu » (« vivar piu che Botadeo ») : Cecco Angioleri (1250 ?-l319) et Niccolo de Rossi (vers 1300). « Al tempo de Zan [Jean] Butadio », sous la plume de Francesco Vannozzo (xive siècle), désigne une durée indéfinie, extrêmement longue54.

    63Le témoignage de Guido Bonatti, à peu près contemporain de celui de Philippe de Novare, est d’une autre nature : plus long, bien plus circonstancié, il nous apprend en quelques lignes une foule de choses sur la légende de Joannes Buttadeus. Bonatti est un astrologue, un franciscain, assez célèbre à son époque (il est mort vers 1300) pour s’attirer les foudres de Dante qui l’a placé au huitième cercle de son Enfer, parmi les trompeurs, dans la quatrième fosse, celle des « devins et sorciers »55. Le thème qui amène Guido Bonatti à faire référence à Joannes Buttadeus est à nouveau celui de la longévité exceptionnelle : un certain nombre d hommes, dit-il, ont vécu bien au-delà de la normale. De son temps il n’en a vu personnellement qu’un seul : Richard, qui disait avoir été à la cour de Charlemagne et avoir vécu quatre cents ans.

    « Et l’on disait alors qu’il y en avait un autre qui avait vécu au temps de Jésus-Christ et était appelé Joannes Buttadeus, parce qu’il avait frappé le Seigneur quand il était conduit jusqu’au gibet [de la croix), et le Christ lui dit : "Tu m’attendras jusqu’à ma venue !" J’ai vu Richard à Ravenne en 1223, et ce Joannes passa par Forli en allant à Saint Jacques [de Compostelle] en l’an 1267 du Christ56 ».

    64La faute, le châtiment, la longévité exceptionnelle, l’attente, l’errance, le repentir (c’est un pieux pèlerin) : Guido Bonatti a rassemblé là en quelques lignes les motifs sur lesquels on brode et va broder pendant des siècles. Notons cependant que si tout cela concorde pour l’essentiel avec la légende de Cartaphile, le témoignage de Bonatti apporte une information nouvelle : la légende du Juif Errant semblait jusqu’ici exclusivement orientale et toutes les chroniques citées faisaient état de relations faites par des pèlerins venant du Moyen-Orient. La relation du passage de Joannes Buttadeus à Forli indique avec certitude que le personnage et la légende sont devenus, ou sont en train de devenir européens.

    65Sigismondo Tizio, chroniqueur siennois, qui a lu et cite Guido Bonatti, connaît la même version de la légende de Joannes Buttadeus ; il affirme qu’il l’a recueillie auprès des anciens de la cité de Sienne (« ab antiquis civi-bus percepimus »). Ces vieilles personnes lui ont affirmé que le personnage est passé par Sienne il y a quelques années. Mais au thème du passage, s’ajoute celui du témoignage : Buttadeus s’arrêta devant un tableau qu’Andrea di Vanni (1369-1413) venait de peindre : il représentait le Christ portant sa croix ; Buttadeus déclara que c’était le portrait du Christ le plus ressemblant qu’il ait jamais vu57. Il n’est pas inintéressant non plus de noter que la légende de Joannes Buttadeus fait partie aux xiv-xve siècles de la culture populaire, de la culture orale : Tizio affirme la connaître par cette voie depuis sa plus tendre enfance. Il nous apprend aussi les réticences des gens sérieux (« viros graves ») à l’égard de la légende : y croire c’est, selon eux, faire preuve de crédulité et de naïveté. À chacun d’en décider, conclut l’auteur qui était enclin au scepticisme (« fabulosa existimavimus ») jusqu’à ce qu’il l’ait lue dans le savant traité d’astrologie de Guido Bonatti : la caution de ce maître en astrologie (« astrologum peritissimum ») l’a amené à reviser ses positions58.

    La légende de Boutedieu et le pèlerinage à Jérusalem

    66Si aux xiiie-xive siècles, la légende semble bien connue en Italie, un certain nombre de textes constituent autant d’indices sur le rôle qu’ont pu jouer les pèlerins dans sa diffusion : pèlerins venant de Palestine (ou d’Arménie) en Europe, pèlerins (aussi et surtout) faisant le voyage en Terre sainte.

    67Dans un poème italien du xiiie siècle, c’est un pèlerin revenant de Palestine où il a visité « Belleem e Montuliveto e Gerusalem » (vers 64) et même « l’uomo per kui Christo é atenduto » (vers 65) qui raconte la légende, ou plutôt une version de la légende qui laisse le protagoniste dans l’anonymat et met l’accent sur l’attente, sans mentionner ni faute ni châtiment. L’homme qui attend le [retour du] Christ a vu le Sauveur lorsqu’il était frappé de verges par les Juifs qui le battaient et le traitaient comme s’Il était un voleur (« com a ladrone battendo e dando », vers 69). Cet homme, alors, par sympathie et par pitié (« puose mente e [...] pietosamente ») lui a dit : « Avance plus vite, ainsi tu recevras moins de coups » (« Va tosto ke non ti deano si spesso », vers 72). Le Christ, tournant les yeux vers lui, lui dit : « Je vais y aller, et toi tu m’attendras jusqu’à ce que je reviendrai. » (vers 73-75) :

    e Christo si rivuolse ad esso,
    si li disse : io anderoe
    e tu m’aspetta k’io torneroe.

    68Puis le Christ fut mis en croix au milieu des cris et des hurlements du peuple, et toute la terre trembla59.

    69On n’a pas du tout le sentiment que l’attente éternelle soit ici un châtiment : les propos du personnage sont inspirés par la pitié et la sympathie. La périphrase introductive qui définit le personnage, met l’accent sur l’attente et non sur la faute : « celui qui attend le Christ », et non « celui qui a frappé le Christ », ou « celui qui lui a parlé durement ». C’est, vraisemblablement, une version de la légende influencée par les récits d’immortalité où l’immortalité est conférée comme une récompense ; peut-être même est-il possible d’être plus précis et d’y voir une version contaminée par la légende de l’immortalité de saint Jean ? Quoi qu’il en soit, le rôle joué par le personnage dans la Passion évoque davantage celui de Simon de Cyrène ou celui de Véronique, que celui de Malchus, de Cartaphile, ou de Boutedieu. Il y a ici, ou la trace (unique, et donc suspecte) d’une autre tradition, ou une version aberrante de la légende habituelle : dans tous les cas, ce poème nous transporte au coeur même du folklore religieux de la Passion et jette quelque lumière sur les processus d’élaboration et d’évolution des légendes pieuses au Moyen Âge.

    70À côté de ce poème, la légende est attestée dans des textes plus classiques : guides de pèlerinage en Terre sainte et/ou relations de voyages de pèlerins. Ainsi vers 1350, un frère dominicain, Pierre de Penna, note à son retour de Palestine dans son Libellus de Locis Ultmmarinis qu’à Jérusalem, près de l’endroit où Simon de Cyrène commença à soulager le Christ du poids de la croix,

    « le peuple montre le lieu où Johannes Butadium frappa N.S. Jésus Christ lorsqu’il allait à la mort, chargé de liens, insultant le Seigneur en lui disant : "Avance, avance vers la mort". Le Seigneur lui répondit : "Moi je vais à la mort, mais toi, jusqu’au jour du jugement, à cause de ta faute tu ne mourras pas." Aussi dit-on qu’à cause de la faute qu’il a commise envers Notre Seigneur Jésus-Christ, il ne mourra pas jusqu’au jour du jugement. Et, selon du moins ce que disent les simples, il est arrivé à beaucoup de gens de le voir. Mais cela, les sages ne l’affirment pas, car ledit Johannes, que l’on nomme improprement Johannes Butadium, s’appelle en réalité (« sano vocabulo appellatur ») Johannes Devotus Domini, qui fut l’écuyer de Charlemagne et vécut deux cent dix ans60 ».

    71Cette notice a été recopiée par le compilateur anonyme d’un manuscrit de la fin du xive siècle (conservé à Evreux, sous le numéro 36) qui contient un guide pour les pèlerins intitulé Liber terrae sanctae Jerusalem61 : c’est ainsi que, de compilations en compilations, circule et acquiert une sorte de légitimité la légende de Joannes Buttadeus.

    72La confusion (était-elle fréquente ?) entre l’offenseur du Christ et l’écuyer de Charlemagne à qui s’attachait aussi une légende de longévité prodigieuse, ne surprend pas ; dans l’univers instable, sans cesse en mouvement de la culture orale, les motifs, les qualificatifs, glissent aisément d’un récit à l’autre, lorsque, comme ici, ils appartiennent à un même type : Johannes a Temporibus (Jean des Temps), l’écuyer, et Johannes Butadium, l’offenseur, deux personnages légendaires, héros à la longévité prodigieuse, ont même prénom. Rien de surprenant que l’on confonde leurs qualificatifs.

    73Quant au qualificatif de Devotus Domini, il appartient bien à l’offenseur du Christ : dans un dialogue espagnol du xve siècle, on relève entre d’autres noms de héros populaires, celui de Juan de Voto-a-Dios62 ; au début du xviie siècle, le Tesoro de la lengua castellana de Sebastian de Covarrubias pose l’équivalence entre Juan de Espera en Dios et Juan de Voto a Dios (ou : Juan Devoto a Dios), comme désignations de l’offenseur du Christ63. Un appendice lexicographique ajouté en 1543 par Alejo Venegas à L’Agonia del transito de la muerte, propose une clé pour l’interprétation de cette appel-lation qu’il utilise à l’exclusion de tout autre. Ce Juan devoto a Dios « est un homme qui vit toujours depuis Jésus-Christ notre Rédempteur ». Cet homme, il l’identifie sans hésiter avec saint Jean l’Évangéliste, le dévot et bien-aimé disciple, et il cite le célèbre passage de l’Évangile de Jean, qui est à l’origine de la légende de l’immortalité de saint Jean64. Juan Devoto a Dios nous renverrait ainsi à Cartaphile, le « bien aimé »... On voit à quel point se télescopent, mais aussi s’accréditent mutuellement, non sans quelque confusion cependant, les légendes de personnages promis ou à l’immortalité terrestre ou à la longévité prodigieuse : Jean Boutedieu, l’offenseur du Christ, Jean des Temps, l’écuyer de Charlemagne, Jean l’évangéliste.

    74Si la confusion entre l’offenseur et l’écuyer peut paraître assez grossière, la concurrence en cette fin du Moyen Âge entre le qualificatif de Boute-dieu (Botadeo, Botadio) et d’autres comme Devotus Domini (Pierre de Penna) ou Devoto a Dios (Vanegas, Covarrubias en Espagne) révèle sans doute aussi des éclairages différents de la légende, et, pour le second, une lecture plus indulgente qui met l’accent non plus sur la faute (« bouter Dieu »), mais sur le repentir du personnage (désormais voué au service de Dieu) : le pénitent aurait ainsi tendance à prévaloir sur le pécheur. Le flo-rentin Salvestro Mannini consigne dans son journal, pour le 23 juin 1416, le passage de Giovanni servo di Dio (« Giovanni, le serviteur de Dieu »)65. Antonio di Francesco di Andrea, raconte comment en 1411 (ou plutôt en 1416, d’après les recoupements que l’on peut opérer) il a été secouru par « un homme appelé Giovanni Votaddio66 » qu’il appelle plus loin Giovanni Botadio67, mais qui se faisait nommer Giovanni servo di Dio : flottement linguistique qui en dit long sur le caractère polysémique de la légende. Ces qualificatifs multiples, il faut se garder de les expliquer seulement par des confusions (phonétiques) accidentelles, superficielles, entre légendes et personnages analogues ; ils révèlent, à l’intérieur même de la légende, les lectures multiples et divergentes auxquelles elle se prête, et entre lesquelles le Moyen Âge ne parvient pas à faire de choix clair, définitif.

    75Ser Mariano de Sienne, quant à lui, ne confond pas l’écuyer de Charlemagne et l’insulteur du Christ, mais un détail de sa relation, en revanche, est particulièrement intéressant, dans la mesure où il confirme à la fois les réticences de l’Église à l’égard de cette légende, et son caractère essentiellement populaire. Ser Mariano de Sienne est un prêtre italien qui a visité les Lieux saints en 1431 ; ce pèlerinage, il l’a raconté dans son Viaggio in Terra Santa68. À Jérusalem il a eu pour guide un religieux franciscain, Frère Louis de Bologne : depuis 1350, en effet, l’accueil des pèlerins à Jérusalem a été confié aux franciscains. Et, sous la conduite de Frère Louis qui lui fait des commentaires qu’il a dû déjà faire à beaucoup de visiteurs et surtout des commentaires orthodoxes, de « guide autorisé », Ser Mariano refait le chemin qu’a suivi le Christ jusqu’au Golgotha ; il note, à propos de la porte par où est passé le Christ avec sa croix quand il montait au Calvaire, que c’est là que « Johanni Botadeo », rencontrant le Christ portant sa croix (« colla crocie in collo »), a prononcé les paroles ironiques (« Va ! Presse-toi ! »), qui lui ont valu, en réponse, la malédiction de Jésus : « Je vais y aller, mais tu m’attendras jusqu’à mon retour » (« Io andaro, tu m’aspecterai tanto che io torni »). Rien jusque là qui ne soit banal. Le détail intéressant, c’est la phrase finale qui clôt la notice : « Non ci e perdonanza. » (« Il n’y a pas ici d’indulgence ») ; cela signifie que, contrairement aux autres stations sur la Via Crucis, auxquelles sont attachées des indulgences, il n’en est point pour le lieu où la tradition place la rencontre entre Johanni Botadeo et le Christ. Le franciscain P.B. Bagatti qui cite cette phrase dans un article de 1949, la commente de façon lapidaire et juste : « No indulgence meant no veneration69 ». On n’ira pas jusqu’à affirmer, comme il le fait, que l’absence d’indulgence, a porté un « coup mortel » (« a mortal wound ») à cette légende, elle dit cependant clairement que l’Eglise ne la prend pas (ou plus) à son compte. Cette notation de Ser Mariano de Sienne confirme les réti-cences des « viros graves », des gens sérieux, ou des sages (« sapientes ») devant une légende qui, en revanche, circule dans les couches populaires (« ut dicunt simplices ») ; son témoignage va dans le même sens que ceux de Sigismondo Tizio et de Pierre de Penna. Faut-il, pour expliquer le fait, songer seulement à l’opposition entre culture religieuse des clercs et culture religieuse du peuple ? Ou faut-il aussi faire intervenir l’histoire, l’évolution des mentalités religieuses, et plus précisément ici une exigence accrue de rigueur à l’égard du folklore religieux, à l’égard des traditions apocryphes ?

    La relation d’Antonio di Francesco di Andrea (vers 1415)

    76Toujours est-il qu’au moment même où le texte de Ser Mariano de Sienne témoigne des réserves, des réticences de l’Église officielle à l’égard de la légende de Jean Boutedieu, le florentin Antonio di Francesco di Andrea, dans une relation restée manuscrite jusqu’au xixe siècle, atteste sa diffusion dans la culture populaire italienne, sous une forme qui présente bien des analogies avec la légende d’Ahasvérus au xviie siècle : c’est un personnage que l’on rencontre au hasard de ses errances, il apparaît et disparaît sans crier gare ; il est doté d’un certain nombre de savoirs, de pouvoirs qu’il met éventuellement au service des gens qui l’accueillent, le consul-tent70...

    77Le récit, très circonstancié, s’ouvre par d’amples et vigoureuses protestations de bonne foi du narrateur et par le rappel d’un précédent passage en Italie de « Giovanni Votaddio, autrement Giovanni servo di Dio » (« c’est ainsi qu’il se fait nommer ») vers 1310-132071. Il rappelle que Giovanni Votaddio « reste environ cent ans à revenir dans un pays » : il n’est donc pas surprenant qu’on l’ait revu aux environs de Noël 1411. À cette date, le frère du narrateur Andrea, accompagnant un exilé bolognais Giano di Duccio qui rentrait chez lui avec ses deux petits enfants fut surpris dans les montagnes par une terrible tempête de neige : il arriva un moment où les chevaux ne réussissaient plus à avancer, et même tombaient dans la neige épaisse. Les voyageurs, et particulièrement les enfants, étaient en grand péril, lorsqu’apparut, marchant d’un bon pas, Giovanni Votaddio, en habit de membre du tiers ordre de saint François. Giovanni proposa de mettre les enfants en sûreté et, avec l’accord de leur père, il les prit avec lui, un sur chaque épaule ; puis il se remit en route vers l’auberge où voulaient se rendre les voyageurs et ceux-ci le perdirent de vue très vite. Quand ils arrivèrent à l’auberge de Scaricalasino, ils trouvèrent Giovanni avec les enfants, auprès d’un bon feu, attendant le repas qu’il avait commandé. Après le repas, tout le monde retourna près du feu où cuisaient des châtaignes ; et là, en bavardant avec Giovanni, l’aubergiste en vint à se plaindre de sa pauvreté qui l’empêchait de doter, et donc de marier, ses filles. Rire de Giovanni servo di Dio qui réplique qu’il s’agissait de bourdes : l’hôte avait 240 florins d’or cachés dans un endroit de l’auberge qu’il indiqua avec précision. Le lendemain, au moment du départ, il invita l’aubergiste à marier ses filles avant qu’elles ne tournent mal ; impressionné, l’hôte promit de le faire. « Et j’ai dit tout cela jusqu’à présent, ajoute le narrateur, afin que vous entendiez comment les choses secrètes sont pour lui manifestes72 ». Il prédit ainsi le retournement de la situation politique à Bologne. Giovanni, cependant, quitta Bologne pour Vicence ; là, on voulut le pendre comme espion, mais quoi que l’on fit, on ne put trouver de corde assez solide pour procéder à l’exécution : les plus grosses cordes cassèrent, et le capitano, « voyant le grand miracle » (« lo gran miracholo »), se résolut à le relâcher. Il repartit, passant par Trévise, Venise, Ancône. Partout où il passait, dès son arrivée, il était entouré de gens qui le pressaient de questions : combien de temps leur restait-il à vivre ? Auraient-ils des fils ?

    78Il revint une première fois à Florence, se logea chez l’auteur ; là encore on accourait pour le voir. Leonardo d’Arezzo [L’Arétin], chancelier de la Seigneurie, personnage docte, et de grand savoir, après avoir conversé avec Giovanni pendant trois heures, déclara à ceux qui lui demandaient ce qu’il pensait de cet homme : « Ou c’est un ange de Dieu, ou c’est le diable, car il a toutes les sciences du monde, il connaît toutes les langues, et les mots les plus rares de toutes les provinces. »73. Un an plus tard, il revint au mois de mai ; la foule de ceux qui venaient chez le narrateur pour le voir était énorme ; bientôt « toute la place des Alberti et toutes les rues se remplirent de monde ». La nuit venue, craignant pour sa maison, « qui était petite et vieille », Antonio, son frère Bartolomeo et quelques autres personnes, escortèrent Giovanni Votaddio à travers la foule jusqu’à son nouveau logis. Por-tant des torches, ils traversèrent toute cette foule si serrée qu’ils pouvaient à peine passer et cependant personne ne les vit : « Ô vrai Dieu, combien tes oeuvres sont admirables ! » (« mai da persona fumo veduti ! O vero Iddio quant’è mirabile le tua opere ! »). L’un des curieux, Morelli, désappointé, jura que si Giovanni se trouvait un jour sous sa juridiction, il ne se jouerait certes pas ainsi de lui « en allant par les airs ». Un an plus tard, il eut l’occasion de mettre à exécution sa menace et fit enfermer Giovanni « dans une honnête prison, qui est une bonne chambre, laquelle est dans le roc sous le fondement de la tour, et dans laquelle sont deux fenêtres toutes petites, avec du fer très gros et si serré qu’un rat n’y passerait pas, et une porte basse de grosses planches toutes bardées de gros fer avec une grande serrure74 ». Le lendemain il n’y avait plus personne dans la prison !

    79Morelli, un peu humilié sur le moment, se consola par la suite : sa femme, jusque là stérile, eut bientôt un fils comme le lui avait annoncé Giovanni.

    80Au cours d’un autre séjour à Florence, il étonna Bartolomeo, frère du narrateur, en assurant qu’Antonio, qu’il savait parti pour un voyage de plusieurs jours, était bien chez lui. Bartolomeo, persuadé de l’erreur de Giovanni, se rendit quand même chez son frère qui se trouvait bien chez lui, en effet : il était revenu à l’improviste ; il passa ainsi en un instant du doute sur les pouvoirs de Giovanni à l’émerveillement. Quant au narrateur, s’étant rendu à l’auberge où était logé Giovanni servo di Dio, il osa enfin ce jour-là demander à son étrange ami s’il était bien Giovanni Botadio. Voici, sans coupures, le récit de la scène :

    « J’allai chez lui, qui avait ordonné un dîner très large, avec beaucoup de poissons, et il était déjà à table quand j’arrivai. Il me fit mettre à table, et nous mangeâmes de grand coeur, et quand je voulus payer, l’aubergiste ne le voulut en aucune façon ; ce fut Giovanni qui paya, quoi que j’en eusse. Nous allâmes à la maison, et, comme c’était samedi, je lui demandai en grâce de se laisser laver la tête par moi, ce qu’il voulut bien, et je la lui lavai en grande révérence, et il en sortait une grande odeur. Et quand sa tête fut essuyée, je commençai à parler, et je lui demandai de m’accorder une grâce que je voulais de lui. Il dit : "Demande !" Et je lui dis : "C’est que vous me répondiez bien clairement, et que vous disiez si vous êtes Giovanni Botadio." (« e ditemi se voi siete Giovanni Botadio. »)75. Il me répondit que nous faussions le mot. "Comment cela ?" lui dis-je. "Il faut dire, me répondit-il, Giovanni Battè-Iddio, c’est-à-dire Giovanni frappa Dieu (perchosse-Iddio). Quand Jésus gravissait la montagne où il fut mis en croix, et que sa mère avec d’autres femmes en grandes lamentations et plaintes allait derrière, il se retourna pour leur parler et s’arrêta quelque peu ; sur quoi ce Giovanni le frappa (perchosse) par derrière dans les reins, et dit : Va vite ! Et Jésus se tourna vers lui : Et toi, tu iras si vite que tu m’attendras. Et celui-là est ce Giovanni que vous dites." Et je lui dis : "Est-ce vous ?" Il me répondit : "Antonio, ne cherche pas plus avant !" Et là-dessus il baissa les yeux, et laissa tomber quelques larmes, et il ne dit plus rien. Et il partit et s’en alla. — Et il y en a qui disent et qui affirment qu’il sera le troisième témoin des faits du Seigneur ; car il y en a deux dans le paradis terrestre, c’est Enoch et Elie76, et en terre il y a ce Giovanni. - Il va, et il ne peut rester que trois jours dans une province, et il marche vite, visible ou invisible ; et il a à dépenser à son plaisir, bien qu’il aille dégarni, sans bourse et sans sac ; il porte seulement la tunique avec un chaperon, il est ceint d’une corde, et nu-pieds le plus souvent ; il arrive aux auberges et mange et boit du bon, puis il ouvre la main et laisse tomber ce que l’hôte doit recevoir, et tu ne vois jamais d’où lui vient l’argent, et jamais il ne lui en reste. Il a toutes les trois sciences, hébraïque, grecque et latine, et il connaît tous les langages et a à sa disposition tous les mots les plus choisis de toutes les provinces, en sorte que s’il parle avec des Florentins tu diras qu’il est né et nourri à Florence, et ainsi avec des Génois et avec des Bergamasques et avec des Siciliens, et avec des gens de n’importe quel autre lieu, si bien que c’est une chose de grande admiration que le fait de cet homme77 ».

    81Le narrateur raconte, pour conclure, comment il a bénéficié lui-même des dons extraordinaires de Giovanni : il a guéri son épouse qui était gravement malade, alors que les médecins, les amis d’Antonio ne savaient plus que lui conseiller la résignation. C’était en juillet 1416, lors du dernier passage de Giovanni à Florence. Dès son arrivée, il se rendit chez son ami Antonio, au chevet de sa femme, qui déjà délirait.

    « Giovanni me réconforta et dit : "Elle guérira, je te ferai un bref." Il le fit et dit : "Pends-le lui au cou avec révérence de Dieu". Et je le fis, et aussitôt elle sortit du lit saine comme si elle n’avait jamais eu de mal : Dieu en soit loué ! Et avec ce bref j’ai guéri beaucoup de malades de diverses maladies. Je l’ai prêté à qui ne me l’a jamais rendu : Dieu lui pardonne !78 ».

    82Là-dessus l’auteur enchaîne immédiatement sur le récit de la fin de ses relations avec Giovanni :

    « Giovanni, quand il partit, m’embrassa, ce qu’il n’avait jamais fait. Je m’étonnai, et je lui dis : "Est-ce que je ne vous reverrai plus jamais ?" Il me répondit : "Jamais avec les yeux corporels." Il s’en alla. Il vint au Paradiso79, où les frères le mirent en prison et voulaient le livrer à l’autorité, mais la nuit il s’en alla invisible, et les frères restèrent avec leur courte honte. Et depuis il n’est plus revenu dans ce pays.
    Et il va ainsi vagabondant par le monde, et il ira jusqu’à ce que Dieu vienne juger les vivants et les morts en sa majesté dans la vallée de Josaphat. Puisse-t-il prier pour nous, que Dieu nous pardonne nos péchés et nous conduise au ciel ! Amen !80 »

    83Cette relation se présente comme historique et elle met en scène, en effet, des personnages qui ont pu être identifiés par Salomone Morpurgo, l’érudit italien qui a publié ce texte. Le personnage central paraît bien être l’un de ces imposteurs qui savent exploiter tantôt la croyance à la survie de l’écuyer de Charlemagne, tantôt la légende de Boutedieu, ou telle autre encore. On verra le même type d’impostures se greffer au xviie siècle sur le légendaire d’Ahasvérus, sans compter les pseudo-Antéchrist, les faux saint Jean... Sur ce phénomène culturel largement répandu dans les sociétés européennes traditionnelles vient se greffer une version étendue de la légende de Jean Boutedieu qui présente de nombreuses contaminations avec d’autres matériaux légendaires. Le thème de la perpétuelle errance sans destination particulière s’est précisé, amplifié : le personnage est décrit comme sans cesse apparaissant, disparaissant ; il arrive et repart avec la même soudaineté. Il y a là quelque chose d’irrationnel, voire de merveilleux que viennent confirmer d’autres faits : Giovanni peut se rendre invisible et même rendre ses compagnons invisibles ; il s’échappe d’une cellule de prison totalement fermée ; il dispose toujours d’autant d’argent qu’il en a besoin. En cela, d’ailleurs, il fait penser à Fortunatus, héros d’un conte largement diffusé dans toute l’Europe, l’un des classiques de la littérature de colportage. On lui attribue le miracle de la pendaison impossible, la corde se rompant chaque fois qu’on veut le pendre ; preuve d’innocence du coupable dans d’autres contextes, c’est ici le rappel de la volonté du Christ que Boutedieu ne meure pas avant son retour81. L’homme ne peut aller à l’encontre de la malédiction jetée par Dieu : il ne peut arriver aucun mal à Boutedieu. Ahasvérus, de la même manière, traversera, indemne, les champs de bataille.

    84Ces caractéristiques merveilleuses du personnage lui valent dès lors de se voir attribuer des pouvoirs magiques, analogues à ceux que l’on prête aux sorciers : Giovanni sait localiser le trésor, pourtant bien caché, de l’aubergiste ; il ne rechigne pas à exercer ses pouvoirs guérisseurs. Enchanteur (il peut se rendre invisible), magicien (quand il sort de prison, on ne sait comment), guérisseur, le personnage prédit aussi l’avenir, et ce, avec le même détachement, un peu cynique, un peu sceptique, que l’on prête à Merlin. D’ailleurs, avant d’user de son don de prophétie, de son pouvoir surhumain, Giovanni rit, comme Merlin, avant chacune de ses devinailles. Rire ironique de celui qui sait la futilité de ce que veulent savoir les hommes, rire ironique aussi de celui qui, grâce à son savoir, n’est pas dupe des apparences82.

    85En somme, la version d’Antonio di Francesco di Andrea, véritable combinaison de motifs courants dans la tradition orale, témoigne de la place prise au xve siècle, en Italie, dans la culture populaire, par le personnage de Giovanni Botadio : le dynamisme, le caractère vivant de la légende se mesurent à cette capacité de se nourrir, de s’amplifier en attirant à elle tout le matériau narratif que nous venons de répertorier ; elle est, désormais, à l’évidence, parfaitement intégrée à la culture populaire.

    Juan de Vota Dios : Le Crotalon (vers 1553)
    Le procès d’Antonio Ruiz (1546-1547)

    86Autant la version d’Antonio di Francesco di Andrea traduit le respect du narrateur pour Giovanni Botadio, autant un récit littéraire espagnol inclus dans le Crotalon, recueil « d’histoires divertissantes et de relations d’événements contemporains [...], composé à Valladolid vers 1553 », révèle le scepticisme de l’auteur anonyme espagnol. Le héros du Crotalon, vit d’expédients ; il porte longue barbe,

    « et, suivant les pays, il revêt un long vêtement de bure brun foncé, ou bien un sayon et un scapulaire d’ermite, costume qu’il complète avec un grand bâton et un long rosaire aux grains énormes. Il fait savoir partout qu’il devine l’avenir, retrouve les gens perdus, réconcilie les amoureux, découvre les voleurs, révèle les trésors, guérit aisément les malades et ressuscite même les morts. »

    87Il est ainsi l’objet d’une grande vénération, « fait de nombreuses dupes en Portugal et en Castille, particulièrement parmi les gens riches et superstitieux [...]. Mais un des plus sûrs moyens qu’il ait de tromper le monde consiste à se faire passer pour Juan de Vota Dios :

    LE COQ. - Nous disions que j’étais Juan de Vota Dios.
    MYCILLE. - Qu’est-ce que cet homme-là ?
    LE COQ. - Les zarlos [charlatans] superstitieux et vagabonds prétendent que c’était un cordonnier qui habitait dans la rue d’Amertume à Jérusalem ; et que, au moment où l’on conduisait le Christ prisonnier par cette rue, il sortit en frappant avec une forme sur son établi en disant : "Va donc, va donc, fils de Marie !", et que le Christ lui avait répondu : "Moi, j’irai, et toi tu resteras pour rendre à tout jamais témoignage de moi." En foi de quoi je montrais une forme marquée sur mon bras : je la faisais avec certain procédé bien facilement et elle semblait être naturellement empreinte à cette place. »

    88Suit la description précise du mécanisme de l’escroquerie :

    « J’avais toujours avec moi un camarade du même métier de perdition, et plus vieux que moi, de telle sorte que, nous révélant l’un à l’autre les entretiens que nous avions avec les gens en secret et confession, et nous montrant tantôt l’un, tantôt l’autre, nous leur apparaissions comme doués d’une espèce de divination et d’esprit de prophétie, ce que précisément nous voulions toujours donner à entendre. Et nous le leur faisions facilement croire parce que nous mettions chaque jour de la variété dans notre comédie. »

    89Après cette digression, le héros en revient à la description du personnage dont il « usurpait » l’identité :

    « Et je leur disais que, quand j’étais devenu vieux, j’allais me baigner au fleuve Jourdain, et qu’aussitôt je revenais à l’âge de trente-trois ans, qui était l’âge où le Christ mourut. D’autres fois, je leur disais que j’étais un pèlerin de Jérusalem, homme de Dieu, envoyé par Lui pour révéler et absoudre les nombreux péchés secrets qu’il y avait de par le monde, et que la honte empêche les hommes de découvrir et confesser à aucun confesseur83 ».

    90Prétendant être « un des douze pèlerins qui résident en permanence au Saint-Sépulcre de Jérusalem à la place des douze Apôtres du Christ », Juan de Vota Dios expliquait à ses dupes que le péché — abominable — qu’on lui confiait devait « être absous avec trois signes, trois croix, trois psaumes et trois messes solennelles. Celles-ci doivent être dites, ajoutait-il, au temple du Saint-Sépulcre de Jérusalem, et ce sont messes de grand prix et de grande difficulté. Car elles doivent être dites par trois cardinaux, et avec eux doivent officier trois évêques à l’autel. Et il faut qu’à chaque messe brûlent trois cierges, chacun pesant six livres de cire84 ». La victime « chargeait alors le pèlerin de faire dire ces messes et lui remettait dix ou vingt ducats, selon ses moyens. Le pèlerin promettait de revenir au bout d’un an ou deux [...]. Il lui offrait une participation au mérite que les douze pèlerins de Jérusalem acquéraient chaque année par leur périlleuse expédition à la Tour de Babylone, où ils allaient pour Pâques, avec douze chevaux, chercher les saintes huiles destinées à la chrétienté, non sans livrer bataille aux géants gardiens du saint chrême. Il offrait encore à sa pénitente de se baigner pour elle dans le Jourdain85 ».

    91Ce personnage évoqué dans le Crotalon a toutes chances d’être fidèle à la réalité espagnole du xvie siècle, du moins pour l’essentiel, puisque Marcel Bataillon a trouvé un procès d’Inquisition où sont évoqués des faits très proches qui se sont déroulés en 1546. Lin jeune homme d’une vingtaine d’années se faisait passer cette année-là auprès des villageois des Monts de Tolède pour Juan de Espera en Dios. Antonio Ruiz (ou Rodriguez) fut arrêté, et le dimanche 13 mars 1547 on lisait publiquement à Tolède le texte de sa condamnation : Antonio avait été condamné à abjurer ses erreurs et à recevoir cent coups de fouet, tandis qu’on le promènerait dans la ville et que le crieur public proclamerait son délit. L’alcade chargé de l’enquête le définissait comme « un homme vagabond et trompeur qui allait de village en village, abusant de la parole de Notre-Seigneur, trompant les gens, confessant hommes et femmes, et leur soutirant deniers, anneaux, petites croix d’argent, à chacun ce qu’il pouvait » ; cet homme disait « porter le nom de Juan Desperandios86 ». Les témoins, ses victimes, tous gens du peuple, plus prolixes, permettent de reconstituer avec plus de précision, le mécanisme de l’escroquerie et la connaissance de la légende du Juif offenseur du Christ qu’elle suppose chez eux. Voici par exemple, la déposition de Mari Garcia la Veuve :

    « Elle était malade, au lit, quand une huitaine de jours avant la Saint-Michel, elle entendit parler de ce jeune homme et dire qu’il s’appelait Juan de Espera en Dios. Elle demande et obtient qu’il vienne la voir. Il lui dit qu’elle avait commis certain péché étant fillette, et aussi qu’elle était responsable de l’âme de son second mari qui était en peine en Purgatoire, "avec des flammes de feu sortant par la bouche".
    Il fallait, pour libérer cette âme, faire dire pour elle trois neuvaines en neuf jours, au Sépulcre de Jésus-Christ à Jérusalem, à Rome et à Saint-Jacques. Mais comment faire en si peu de temps ? "J’ai commission de six personnes, disait le pèlerin ; je me chargerai de vous et cela fera sept." La naïve Mari Garcia voulut emprunter douze réaux à sa mère en lui donnant un boeuf en gage. Mais la vieille répondit : "C’est une piperie. J’ai plus besoin de mon argent que cet homme à qui vous voulez le donner !" Le pèlerin n’obtint donc pas les douze réaux de Mari Garcia. Mais écoutons comment il l’avait persuadée de son merveilleux pouvoir : « Je lui demandai : "Qui êtes-vous ?" Et il me répondit : "Je suis Juan de Espera en Dios". Au moment où l’on emmena Jésus-Christ pour le crucifier, j’étais dans la rue d’Amertume, dans une boutique de cordonnier, et je sortis avec une forme, me frappant des coups sur la main, et disant : Va donc, va donc ! enchanteur, fils de l’enchanteresse !Et le Christ me répondit : J’irai, et tu resteras à tout jamais ! » Puis le pèlerin lui montra une forme marquée dans une de ses mains, la gauche, croit-elle. Et cette marque allait depuis l’articulation inférieure du pouce jusqu’à la ligne qui est en travers de la main87 ».

    92M. Bataillon peut donc conclure :

    « L’Espagne connaît au xve siècle [...] la légende proto-évangélique du disciple immortel du Christ, qui attend sur terre le retour de son maître. Ce personnage mythique a nom Juan, comme l’Apôtre bien-aimé. Les uns le surnomment Devoto a Dios, les autres Espera en Dios. Sous cette deuxième appellation surtout, son omniscience, sa longévité sont proverbiales. [...]
    Au xvie siècle, on commence à lui rapporter l’histoire de Jean Boute-dieu ou Giovanni Buttadio, l’homme qui repoussa Dieu, et qui, parce qu’il avait dit au Christ d’aller vers son supplice, fut condamné à rester sur terre jusqu’au Jugement88 ».

    93Le récit qui figure dans le Crotalon et le procès d’Antonio Ruiz (ou Rodriguez) permettent d’observer « le moment décisif [...] où [en Espagne] Jean Dévot à Dieu, saint personnage d’une longévité fabuleuse, cède la place à Jean Boutedieu, le brutal qui fut condamné par le Christ à l’immortalité89 ». Le récit littéraire et le procès nous renseignent aussi, et peut-être surtout, sur le rôle « qu’ont dû jouer nécessairement, comme propagateurs de la fable du Juif Errant, les malins vagabonds qui se faisaient passer pour Boutedieu, Buttadio ou Votadios90 ».

    94En somme, les faits espagnols viennent opportunément rappeler que, parmi les vecteurs de la diffusion de cette légende il faut songer aux sources livresques (l’Historia Major de Matthieu Paris, par exemple), aux pèlerins authentiques et à leurs récits écrits ou oraux, mais aussi au monde des vagabonds, aux imposteurs audacieux et fins psychologues comme ceux que nous venons d’observer en Espagne et en Italie.

    Malchus redivivus ou la renaissance de Malchus

    95Au moment même où en Italie, avec la version d’Antonio di Francesco di Andrea, la légende de Giovanni Botadio connaît son apogée et où en Espagne, la légende du Juif Errant approche de sa forme définitive, on voit se multiplier les occurrences d’un légendaire de Malchus, le serviteur du grand prêtre à l’oreille coupée par Pierre et miraculeusement restituée par le Christ, l’ingrat qui aurait frappé le Sauveur lorsqu’il subissait l’interrogatoire chez Anne, le grand prêtre.

    96Jusque là les mystères de la Passion qui le mettaient en scène se contentaient de broder des variantes sur le motif des tourments qu’il aurait infligés au Christ, mais rien (sauf peut-être Fierabras) n’indiquait qu’était associée à Malchus (ou Marcus, voire Marc ou Marquin...) une légende de personnage maudit pour l’éternité par le Christ présentant quelqu’analogie avec celle de Jean Boutedieu.

    97Or, à partir du xve siècle, des voyageurs revenant de Terre sainte font état d’une rumeur selon laquelle Malchus serait condamné à attendre le jour où le Christ viendra juger le monde, enfermé dans un cachot à Jérusalem ; certains racontent même qu’ils ont vu le condamné et décrivent plus ou moins longuement dans quelles circonstances.

    98Une des versions les plus anciennes, celle du dominicain allemand Félix Schmid (dit Faber) dans son Evagatorium in terrae sanctae, arabiae et Egypti peregrinationem91, est aussi l’une des plus intéressantes ; le récit en cette fin du xve siècle (1480-1483), n’est pas encore standardisé comme il le sera pratiquement un siècle plus tard, les auteurs de relations de voyage recopiant souvent celles des prédécesseurs, et le pèlerinage ne consistant dès lors qu’en la vérification de l’exactitude des renseignements fournis par les devanciers. En outre, dans ce passage (et dans bien d’autres) Félix Schmid n’est pas avare de détails autobiographiques qui non seulement donnent de la couleur à son récit, mais permettent de saisir sur le vif le contexte (les mentalités) dans lequel s’épanouissent ces légendes chrétiennes. On y voit aussi leur cheminement, avec des échanges plus complexes qu’on ne l’imaginerait, entre la culture populaire (représentée ici par deux vagabonds flamands pratiquant avec habileté l’escroquerie religieuse) et la culture des clercs (représentés par le dominicain Félix Schmid, et le franciscain qui lui sert de guide à Jérusalem) : l’évangile de saint Jean et saint Augustin sont cités pour répondre aux « erreurs mensongères » (« falsitas mendosa ») de ceux qui, à l’instar des « vagabonds extravagants et trompeurs » (« fatuos et deceptores gyrovagos »), colportent la légende du châtiment de Malchus. Ajoutons qu’on y voit enfin comment parviennent à se faire les échanges culturels de chaque côté de la Méditerranée : à une question de Félix Schmid suscitée par le récit que lui ont fait à Ulm deux vagabonds flamands, son guide franciscain à Jérusalem répond par une légende locale de métamorphose et une tradition en vigueur chez les « chrétiens orientaux » ( « christiani orientales »), c’est-à-dire arméniens.

    99Dans le détail, Félix Schmid racontant, jour après jour, sa visite des Lieux Saints à Jérusalem, en arrive à la description de l’endroit où s’élevait la maison d’Anne, le grand prêtre. Il fait référence en le glosant au passage de l’évangile de Jean concernant cet épisode de la Passion : l’interrogatoire qu’Anne fait subir à Jésus, le coup très rude porté à Notre Seigneur par l’un des serviteurs du grand prêtre : « il frappa le visage du Christ d’une main furieuse et le coup fut si rude que selon certains le Christ en eut des dents arrachées et de sa bouche coula un flot de sang. Mais Jésus ne répliqua à ce coup par aucune parole dure, par aucun geste, et il n’infligea aucun châtiment à l’auteur du coup » (« ad quam percussionem Dominus Jesus nihil durum dixit aut fecit, nec percussori poenam aliquam inflixit »). Il cite à ce propos saint Augustin qui rappelle que le créateur du monde aurait pu, s’il l’avait souhaité, répliquer par un châtiment terrible à la hauteur de sa puissance, « s’il n’avait pas préféré nous enseigner la patience qui vient à bout du monde »92.

    « Dès lors est évidente, poursuit-il, la fausseté mensongère de ceux qui disent que le Seigneur Jésus a puni aussitôt celui qui l’a frappé en lui disant sur-le-champ : "Tu resteras ici, et jusqu’au jour du Jugement Dernier tu serviras de témoignage à mon innocence, et alors tu seras sauvé." Aussi depuis ce jour il reste là et il vit, mais cependant il ne mange pas, ne boit pas, ne dort pas, mais il attend avec beaucoup d’impatience la fin du monde, afin qu’il soit libéré et il interroge les pèlerins qui arrivent, leur demandant si les femmes obéissent toujours aux hommes ; il dit, en effet, qu’à l’approche de la fin du monde, les femmes cesseront d’obéir aux hommes ; et il se tient là ainsi, posant des questions et répondant aux questions qu’on lui pose. »

    100Félix Schmid s’emporte alors contre cette légende et contre ceux qui la diffusent :

    « tout cela n’est que mensonges frivoles contre l’Écriture et l’Évangile, contraires à la foi et à la vérité, inventés par des vagabonds extravagants et trompeurs, qui, se déplaçant sans cesse d’un endroit à l’autre sous prétexte de piété, incapables de se gorger de vérité, imaginent de tels mensonges et trompent les gens simples ; et parfois aussi ceux qui semblent sages leur prêtent l’oreille et leur donnent des présents en échange de leurs mensonges93 ».

    101Cette remarque introduit une longue digression autobiographique, où le narrateur raconte comment lui-même, l’année où il se préparait à partir en Terre sainte, a été la dupe de deux vagabonds flamands de passage à Ulm : ils prétendaient revenir de Jérusalem et du mont Sinaï. On accourait écouter leurs récits, et il alla lui aussi bavarder avec eux chez une « veuve honorable » qui leur donnait l’hospitalité. Il s’entendit ainsi déconseiller le voyage par mer, et conseiller vivement le voyage par terre, à travers Hongrie et Dalmatie, vers Constantinople : l’empereur de Constantinople lui donnerait cinquante ducats, comme à tous les pèlerins se rendant en Terre sainte. Félix Schmid fit remarquer que l’empereur, désormais, était turc, mais les vagabonds surent aussitôt réfuter ses arguments. Ils lui apprirent aussi que le roi de Jérusalem et la cité toute entière s’étaient convertis à la foi chrétienne. Ils lui décrivirent Jérusalem, ses splendeurs, et, à l’appui de leurs dires, lui montrèrent une pierre précieuse brute trouvée, disaient-ils, à Jérusalem, sur une place. Enfin et surtout, l’un des vagabonds, dénudant son épaule droite, montra au narrateur une cicatrice circulaire qu’il prétendait faite par l’abbé du monastère de sainte Catherine du mont Sinaï : l’abbé la lui avait faite à l’aide d’une petite roue d’or qu’il tenait posée sur des charbons ardents avant de l’imprimer sur l’épaule du pèlerin. La légende de Malchus figurait à leur répertoire, et c’est apparemment de leur bouche que Félix Schmid l’apprit : « Il ne craignirent pas non plus de raconter le mensonge consigné plus haut au sujet de celui qui donna un coup à Jésus : ils disaient qu’ils lui avaient parlé et que tous les pèlerins n’étaient pas admis auprès de lui94 ».

    102Puis le narrateur, refermant cette longue parenthèse, reprend sa description de ce qui fut la demeure d’Anne, en déclarant que, faisant référence à cette légende, il demanda, par plaisanterie (« jocose ») au frère mineur qui lui servait de guide où se trouvait l’homme qui donna le souf-flet à Jésus. Et le récit rebondit alors de façon inattendue, car son guide ignore la légende que connaît Félix Schmid, mais connaît une autre ver-sion, sans compter une légende locale contée par les chrétiens arméniens, ou chrétiens orientaux, installés près de l’Église qui s’élève à l’emplacement de la maison du grand prêtre :

    « Ce frère me conduisit par l’extérieur sur un côté de l’église et me montra un olivier qui se trouvait là en me disant : le voici l’homme dont vous parlez ; Malchus se serait, après son forfait, métamorphosé en olivier, ses ongles en poussant, dans la terre sont devenus des racines et sa barbe en s’allongeant des rameaux. Les chrétiens orientaux vénèrent cet arbre : ils disent que c’est l’olivier contre lequel a été attaché le Christ. Pour cette raison, nous aussi nous embrassons avec vénération cet arbre...95 »

    103Si Félix Schmid considère la tradition attachée à l’offenseur du Christ comme une fable populaire, dénuée de fondement sérieux, opposée même à l’enseignement de l’Église, Jan Aerts, son contemporain flamand (il est originaire de Malines), ecclésiastique pourtant, n’a pas les mêmes réticences. Il a, lui, voyagé en Orient de 1481 à 1484 : il accompagnait un grand digni-taire portugais, « le grand facteur de Portugal », « sorte d’ambassadeur chargé de visiter ou d’installer les premiers établissements commerciaux des Portugais aux Grandes-Indes96 ». À l’occasion de ce voyage, Jan Aerts a fait deux séjours à Jérusalem, l’un en allant vers le Golfe Persique, l’autre à son retour (fin 1483). C’est lors de son deuxième séjour à Jérusalem qu’il a vu dans sa prison l’homme qui insulta le Christ et que Jésus a condamné à l’attendre jusqu’à son retour. Le schéma général du récit est celui de la légende de Malchus : l’introduction présente le personnage (un Turc) et les circonstances qui ont rendu possible à « l’élu » la visite qu’il a faite au maudit. Puis vient le récit de la visite proprement dite : la progression tou-jours lente vers le cachot situé dans les profondeurs et bien protégé ; la des-cription de Malchus et de ses tourments, le rappel éventuel de son forfait, la relation des paroles qu’il a prononcées... Le récit de Jan Aerts est conforme à ce schéma, sauf sur deux points : le personnage ne s’appelle pas Malchus, mais Jean Baudewyn ; son forfait n’est pas celui de Malchus, mais celui qu’on attribue un siècle plus tard à Ahasvérus : le personnage (« un Juif ») se trouvait sur le seuil de sa maison lorsqu’il aperçut le Christ qui montait au Calvaire, en portant sa croix ; c’est là qu’il a insulté le Christ (« Marche, marche... ») et que le Christ a riposté en le maudissant : « Je marcherai, et toi tu t’arrêteras, et chaque année tu aspireras après mon retour. » Il ne s’agit pas de Malchus, le serviteur du grand prêtre qui a donné le fameux soufflet (« alapam ») au Christ dans la maison d’Anne, et on a donc là un témoignage sur l’existence, à cette date, d’un personnage légen-daire d’insulteur du Christ (qui n’est ni Cartaphile, ni Boutedieu), tellement proche de celui de Malchus que des voyageurs un peu pressés, comme Jan Aerts, les confondent97.

    104Voici d’ailleurs ce curieux récit qui attribue donc au futur Ahasvérus le châtiment dévolu à Malchus ; Jan Aerts raconte que c’est

    « grâce au crédit du grand facteur de Portugal, [que] le Soudan lui avait accordé l’autorisation de visiter ce personnage, qui n’a cessé de vivre depuis la mort de Jésus-Christ.
    Cet homme est soigneusement gardé dans une demeure fermée par huit portes de bois et par une dernière porte de fer. Personne au monde ne peut pénétrer dans ce lieu, si ce n’est par faveur expresse du Soudan, qui néan-moins l’accorda au grand facteur de Portugal par bienveillance et moyen-nant quarante ducats.
    Il faut quinze jours d’attente avant de pouvoir arriver jusqu’à ce réduit : car il faut le temps nécessaire de réunir les clefs des diverses portes, puisque la garde de chacune de celles-ci est confiée à huit chefs différents éparpillés dans le pays. La neuvième est entre les mains du Soudan lui-même.
    Lorsque toutes les clefs furent parvenues à Jérusalem, le grand facteur et ses amis furent admis à la visite.
    Les huit portes s’ouvrirent sans peine ; mais, arrivé à la neuvième, le secrétaire du prince parla à travers la serrure au personnage mystérieux, l’avertissant de ne se montrer à aucun autre qui ne fût chrétien, par le motif que tout infidèle qui arrête ses regards sur le prisonnier ne peut résister à une inspiration surnaturelle qui l’oblige à embrasser la foi du Christ.
    La retraite de cet être étrange est à un jet de pierre de la porte de Boue, par laquelle Jésus passa sous le faix de sa croix. Au moment où le Sauveur se trouvait à cet endroit, chargé de l’instrument de son supplice, le détenu était, lui, sur le seuil de sa maison ; lorsqu’il aperçut le Rédempteur, son coeur s’enflamma de colère ; il invectiva l’Homme-Dieu, lui criant : "Marche, marche, il y a longtemps que tu aurais dû prendre ce chemin." Jésus se retournant lui dit : "Je marcherai, et toi tu t’arrêteras, et chaque année tu aspireras après mon retour."
    Chaque année, en effet, il demande si l’homme à la croix n’est pas encore revenu.
    Quand le secrétaire nous eut ainsi exposé les faits, nous entrâmes dans un couloir, long d’une enjambée. Les diverses portes qui mènent à cette place sont si rapprochées que lorsque l’on en ouvre une, l’on est forcé de fermer celle qui précède.
    Enfin nous arrivâmes au lieu désiré. C’est ce que l’on appelle aux Pays-Bas "une allée". La place est soutenue par quatre colonnes, dont deux en marbre blanc, deux en granit ordinaire. Les arceaux qui relient ces piliers entr’eux sont également en marbre blanc : là se trouvait le fameux Juif.
    Le facteur et toute sa suite furent saisis d’effroi à son aspect ; car il est horrible à voir : son corps, sans aucun vêtement, n’est voilé que par une épaisse chevelure qui lui tombe depuis la tête jusqu’aux pieds. Nous cir-culâmes autour de sa personne, sans qu’il bougeât. Un peu remis de son saisissement, le grand facteur lui adressa la parole en hébreu, mais il n’obtint aucune réponse ; puis il lui parla vainement en grec, en latin et en italien, car ce Juif ne fait entendre le son de sa voix qu’une seule fois par an, le jour du Vendredi-Saint, lorsqu’il demande si l’homme à la croix a déjà reparu et si les femmes conçoivent encore.
    Son nom est Jean Baudewyn.
    Nous le considérâmes pendant une grosse demi-heure ; de tout ce temps pas un membre de son corps ne trahit le moindre mouvement, mais ses yeux roulaient dans leur orbite et l’on percevait distinctement les contrac-tions respiratoires de son ventre et de sa poitrine. La chambre où le Juif attend jusqu’à la fin des siècles s’élève exactement à l’endroit où il insulta le Sauveur. Si aujourd’hui ce lieu est à trente pieds de la rue, il faut en rechercher la cause dans la destruction de Jérusalem, à la suite de laquelle la voie publique fut détournée.
    Ceci vu, nous regagnâmes nos galères, qui prirent la direction du Portugal98 ».

    105Sous une forme très proche, et restituée à Malchus, la légende est éga-lement attestée en France à cette date : le prédicateur Michel Menot la cite dans un sermon de Carême prononcé à Tours vers 1510, en en précisant l’origine orale. Le contexte est une paraphrase de la Passion : Menot suit le récit des évangiles en intervenant ici et là pour un commentaire, une anec-dote. Il raconte donc l’interrogatoire du Christ par Anne dans la maison du grand prêtre et le refus de Jésus de répondre de façon précise, chacun, dit-il, ayant pu entendre son enseignement :

    « Alors qu’il parlait de la sorte, l’un des serviteurs donna un soufflet (« alapam ») à Jésus en disant, etc. Ce serviteur était appelé Malchus et son méfait ne resta pas impuni. Un noble baron angevin du nom de Maréchal, m’a raconté l’histoire suivante que lui-même avait apprise d’un autre che-valier99 :
    Un chevalier qui s’était rendu à Jérusalem pour accomplir la promesse qu’il avait faite fut aimé d’une femme du Sultan ; elle lui demanda ins-tamment de rester avec elle et de la servir. Il accepta à la condition qu’il pût servir son Dieu. Elle lui donna un prêtre pour qu’il vécût selon la loi de Dieu ; et, alors qu’il se trouvait là-bas, vint le trouver l’un des esclaves de cette épouse du Sultan, qui lui dit : "Tu veux que je te montre un grand secret dans ta Loi ? - Oui, dit-il." Et alors il le conduisit dans un endroit où l’on entrait par une porte de fer. Et au fond ils trouvèrent un grand lac plein d’eau trouble et de soufre ; et là, au milieu, il y avait un homme qui était torturé continuellement, et dont la main sans un instant de repos fai-sait le mouvement d’une roue de moulin. Adoncques [sic], celui qui l’accom-pagnait dit au chevalier : voici Malchus le maudit, qui, dans la maison d’Anne, donna un soufflet au Christ et depuis ce temps-là la terre l’a englouti, et il ajouta qu’il faisait là sa pénitence100 ».

    106Mais c’est autour d’une variante moins romanesque de ce récit que se fixe en France au xviie siècle la légende de Malchus avant d’être balayée par celle d’Ahasvérus : le héros en est non plus un soldat, mais un religieux franciscain, témoin plus fiable pour une légende pieuse, signe aussi, peut-être, de temps moins héroïques. Parmi les versions que nous connaissons, il en est deux longues, très proches l’une de l’autre : l’une a été adjointe au xviie siècle par un notaire royal de la ville d’Auch à la relation manuscrite du Voyage à Jérusalem de Philippe de Voisins, seigneur de Montaut ; l’autre a paru en plaquette à Paris en 1623 sous le titre de Récit véritable et mira-culeux de ce qui a esté veu en Hierusalem par un religieux de l’Ordre S. François et autres personnes de qualité101. Le religieux qui raconte l’aventure est appelé en 1623 Dominique Auberton et non Dominique Dauterlin ; le séjour de ce personnage à Jérusalem est placé en 1507 et non en 1547 ; le nom donné au renégat qui conduit les pèlerins voir Malchus est également différent. P.-V. Cayet en 1605 dans sa Chronique septénaire, à la suite de la traduction du livret allemand de 1602 faisant le récit de la récente ren-contre à Hambourg entre Paul de Eitzen et Ahasvérus, le Juif Errant, résume le récit de Dominique Auberton. Il va droit à l’essentiel, omettant, par exemple, le début du récit qui met en scène le renégat qui aurait servi de guide au religieux franciscain dans sa visite. Voici son texte :

    « Touchant Malchus, Dominique Auberton de l’ordre de saint Fran-çois a escrit, qu’estant en Jerusalem l’an 1507, en la compagnie d’un evesque nommé Touque, et autres seigneurs chrestiens qui y estoient allés en pelerinage, ils furent au lieu nommé Atrium Pontificis, d’où ils descen-dirent quarante trois degrés, et entrerent dans une grande cohorte si longue, qu’un homme en deux traits de boulle ne sçauroit tirer d’un bout à l’autre, où on leur ouvrit une porte d’un cachot auquel ils entrerent et virent un homme qui leur dict qu’il s’appelloit Malchus, lequel estoit rousseau, long de visage, avec une grande barbe, aagé de trente cinq à quarante ans, vestu de drap blanc, sa robe faicte à l’esguille, estant dans terre jusques au nom-bril, à moitié du ventre, lequel ne parloit qu’aux chrestiens ; et que l’evesque Touque luy demanda ce qu’il faisoit, lequel Malchus luy respondit, sic respondes Pontifici, avec plusieurs autres paroles, en allemand et latin, disant audict evesque et à ceux qui estoient avec luy, le lieu d’où ils estoient, leur parenté, les nommant tous par nom et surnom, leur demandant aussi quand seroit le jour du jugement. Que ledit Malchus ne parle qu’aux chres-tiens, a toujours la veue baissée, et se frappe la poictrine, faisant plusieurs autres choses qu’il raconte sur ce subject, lesquelles il afferme avoir veues sur sa part de paradis102 ».

    107Un bon nombre de versions de la légende de Malchus proviennent aux xvie-xviie siècles de relations de voyages à Jérusalem rédigées par des reli-gieux italiens. Il s’agit d’un corpus d’une grande homogénéité : ces versions sont bâties sur un même schéma ; elles ne s’écartent l’une de l’autre que sur des points de détail. Elles commencent en général par une brève présenta-tion du narrateur : pèlerin revenant de Jérusalem, il a été témoin de ce qu’il va raconter. C’est un gentilhomme de Venise dans un manuscrit palatin anonyme du xviie siècle et il s’appelle Carlo Ranzo ; Francisco Quaresmi et Domenico Laggi, l’appellent Petrus Brantius Pennalius (Pennaglio) ; c’est un gentilhomme de Vicenza pour le premier ; le second en fait un turi-nois103. Divergences de détail significatives d’une italianisation de l’histoire à l’intention du public de Venise, de Vicenza, de Turin ; adaptation qui va jusqu’à des localisations plus précises, en fonction des publics régionaux visés par le narrateur : c’est un processus classique dans la culture orale (le héros dans la version de Michel Menot est un Français...).

    108Pour le reste, le récit se caractérise par sa construction en deux temps à peu près équilibrés. Le premier temps est consacré à l’accréditation du « témoignage » : le narrateur raconte quelles circonstances exceptionnelles lui ont permis de voir celui que personne ne devait voir, et que presque per-sonne, de fait, n’a vu : Malchus. Michel Menot imaginait un roman d’amour entre un chevalier français et une des femmes du « Soudan » ; les récits italiens ont, eux, un ancrage réaliste plus vraisemblable dans le monde méditerranéen des xvie-xviie siècles : ils décrivent en préambule les liens d’amitié, de reconnaissance qui se seraient créés à l’occasion d’une captivite en Italie entre un Turc exerçant désormais des fonctions importantes à Jérusalem et le héros-narrateur italien (le gentilhomme).

    109C’est lui l’introducteur, le guide du héros, celui qui détient la connais-sance de la merveille (il raconte l’histoire de Malchus), et le pouvoir d’y faire accéder l’élu.

    110On peut voir là la transposition, l’historicisation d’un schéma de conte merveilleux (voire de lai) médiéval dans la réalité de la Jérusalem des xvie-xviie siècles : il s’agit de l’opposition entre deux mondes (celui du quoti-dien, du jour, de la place publique et de l’auberge d’une part ; et l’autre, nocturne, caché, difficile d’accès, protégé par portes de fer et pont-levis, où l’on ne retourne plus jamais, où habite l’être merveilleux)104. Mais au-delà de la pérennité de schémas narratifs, la séquence dit long aussi sur les sen-timents de frustration des chrétiens de l’époque en pèlerinage dans leur Ville sainte aux mains des Turcs, et elle jette quelque lumière sur les fan-tasmes de compensation qu’elle développe chez eux.

    111La seconde séquence est constituée par le récit de la visite du narrateur à Malchus : on insiste sur les précautions prises par le guide (obscurité, secret exigé...), sur le caractère inviolable de la prison de Malchus : impré-cision totale sur son emplacement, pont-levis qu’il faut franchir, portes de fer successives à ouvrir ; pas de cheminement souterrain ici, mais il faut quand même se munir de torches, de lanternes sourdes. C’est la classique mise en scène du motif de la transition, du passage d’un monde dans un autre, avec ses étapes (les portes), la progression du héros élu et de son guide, motif des récits d’initiation, de quête.

    112Après la quête, vient d’ailleurs le moment de la révélation : les deux hommes pénètrent, enfin, dans une grande et belle salle voûtée (marbre au sol, mosaïque sur la voûte). Il y a là un homme revêtu d’une armure à l’ancienne, avec une hallebarde sur l’épaule gauche et une épée au côté. L’homme marche sans trêve d’un côté à l’autre de la pièce. Impossible de l’arrêter : le narrateur, à la demande du Turc, l’a essayé, mais en vain. Suit la description du personnage : de stature moyenne, maigre, noir de poil et de barbe, avec des yeux enfoncés dans les orbites. Après avoir juré qu’il gar-derait le secret pendant dix ans, le gentilhomme apprend de la bouche du Turc que cet homme est le serviteur qui frappa le Christ devant le grand prêtre Anne... En punition de ce forfait, le Christ l’a condamné à rester ainsi enfermé dans cet endroit : il ne mange pas, ne boit pas, ne dort pas, ne prend jamais de repos et marche tout le temps en agitant le bras droit.

    113Suit le récit, rapide, du retour dans la Jérusalem quotidienne : chez le Turc, puis à l’auberge. Nouvelles recommandations et protestations d’ami-tié du Turc. Récit de la rentrée en Italie du narrateur et l’on en revient à la situation initiale : le gentilhomme est face à son auditoire italien (à Turin, à Vicenza...) et lui explique que plus de dix ans s’étant écoulés depuis les faits, il peut désormais raconter cette histoire qu’on lui avait demandé de tenir secrète pendant ce laps de temps.

    114Ce que l’on peut ajouter, c’est que Quaresmi aussi bien que Laffi ne prennent pas ce récit à leur compte : ils se retranchent, comme plus tard le franciscain français Léonard de Clou, derrière la relation (datant de 1595) attribuée à un autre voyageur, Francisco Alcaroti, chanoine de la cathédrale de Novara : c’est son récit, disent-ils, qu’ils reproduisent105. Quaresmi pré-cise que la légende a été plusieurs fois imprimée (« in chartulis pluribus [...] impressis legitur »), elle est connue du peuple (« in vulgi ore habe-tur ») ; il en existe plusieurs variantes (« Hanc eamdem relationem alii ali-ter retulerunt »). Lui-même a entendu raconter la légende de façon diffé-rente par plusieurs personnes qui se prétendaient témoins oculaires ; et ensuite, après avoir été convaincus d’erreur, ils se sont réfugiés dans le mutisme106. Quant à Domenico Laffi, il rappelle que plusieurs voyageurs ont raconté cette légende, mais lui, malgré une longue fréquentation à Jéru-salem des séculiers aussi bien que des religieux, il n’a pu voir Malchus : à chacun d’en penser ce qu’il veut107.

    115Avant de conclure, il faut enfin dire un mot d’une légende que plusieurs relations de voyages en Terre sainte datant des xvie-xviie siècles associent à la légende de Malchus108. Une brève analyse fait apparaître les analogies thématiques entre les deux traditions : de même que Malchus connaît sur terre un châtiment qui durera jusqu’au Jugement Dernier, de même ceux qui ont flagellé le Christ pendant la Passion, eux aussi, depuis ce jour, ne cessent d’expier dans la souffrance leur crime et attendent le retour du Christ. Et, pour être le témoin des cris que poussent les suppliciés, il faut (comme pour Malchus) des circonstances exceptionnelles, dont la des-cription sert de préambule ou de première partie au récit : une structure bipartite sous-tend par conséquent le récit, analogie formelle qui vient dou-bler les analogies thématiques. Mais cette analogie structurelle, relative-ment anecdotique, est à nos yeux moins intéressante que les informations supplémentaires que nous apportent les versions de cette légende sur les sentiments antijuifs dans lesquels s’enracinent aussi bien cette tradition que celle du châtiment de Malchus, sentiments qui ne tiennent même pas compte du texte de l’évangile, comme le rappelle à l’occasion l’auteur de la relation109. Le clerc qui tient la plume se refuse ainsi à faire siens sinon les excès, du moins les inexactitudes que charrient ces récits où se mani-feste avec force la conviction de la légitimité de l’expiation, du châtiment pour les déicides, certes, mais aussi pour les persécuteurs du Christ, la légi-timité en un mot de La Vengeance [de] Nostre Seigneur. Ajoutons néanmoins que cette légende est connotée comme populaire : dans la relation de Boni-face Estienne c’est une vieille femme qui la raconte à l’ecclésiastique ; si cette connotation lui vaut d’être accueillie par les clercs avec quelque sus-picion, cela n’en reste pas moins une « légende pieuse » (Léonard de Clou) ce qui justifie à leurs yeux quelqu’indulgence110. Indulgence, suspicion : ce sont bien les deux pôles entre lesquels oscille le développement que lui consacre Jean Zuallart, chevalier du Saint Sépulcre, mayeur de la ville d’Ath en Hainaut, dans son Très dévôt voyage de Jérusalem (Anvers, 1608). Il cite cette tradition au chapitre XVI où il décrit sa visite au lieu où s’éleva le palais de Pilate : il y a là aujourd’hui, dit-il, une chapelle transformée en écurie par les Mahométans. Indignation de Jean Zuallart qui rappelle que c’est là que le Christ fut flagellé... Mais il coupe court et poursuit son récit :

    « Mais de crainte de trop nous esloigner nous retournerons à notre nar-ration delaissee, touchant ceste triste estable, de laquelle aussi bien que du pretoire susdit, l’acces est fort difficile aux Chrestiens, à cause de la pre-sence du gouverneur, la multitude de ses femmes et concubines ou esclaves, et de ses domestiques : neantmoins le reverend pere et Evesque Boniface Estienne111 dit, qu’estant gardien du mont Syon, il avoit par l’espace de sept ans, cherché les moyens d’y entrer, pour adorer en ce lieu, où tant de pretieux sang avoit esté respandu. Finablement, que par le moyen de beau-coup de presens, remuneration, prieres et sollicitations envers une vieille femme, il obtint ceste saincte visite, tandis que le Prince et ses domestiques estoyent allez hors de la saincte Cité, et y estant, il dit y avoir entendu, sans voir personne, donner des coups incessamment, et faire du rumeur, comme si avec grande furie on eust fouetté quelqu’un continuellement, et deman-dant à ceste vieille, mesme à ses confreres s’ilz oyoient ce bruict, ilz respon-dirent qu’ouy, et lors ladite vieille femme d’abondant, dit qu’elle avoit demeuré et frequenté en ce lieu, l’espace de soixante ans et plus, et que nuict et jour, elle l’avoit tousjours ouy, puis estant interrogee par ledit pere Gardien, que ce pouvoit estre, elle dit avoir entendu, par tradition de ses ancestres que c’estoyent des Juifz, detenuz en ce lieu en horrible prison, jusques au dernier jugement general, et que lors ilz descenderoyent aux Enfers, pour y avoir flagellé leur Messie ; et comme le reverend pere luy repliqua que ceux qui avoyent commis ce faict, estoyent les satellites de Pilate, elle respondit qu’iceux estoyent Juifz mauditz ; et ainsi luy et ses freres sortirent de ce lieu, craignans d’y estre surprins. »

    116Quand le frère franciscain Eugène Roger visite les lieux, l’endroit où fut flagellé le Christ est toujours une écurie, propriété du pacha de Jérusalem, Moustafa Bay, qui n’hésite pas à confirmer la légende :

    « A quarante pas des degrez du Palais de Pilate, vers l’Orient, de l’autre costé de la ruë, est une sale basse de treize pas de longueur, et neuf de lar-geur, que les Chrestiens avoyent enrichy de quelques jolies colonnes de marbre et de riches peintures dont il paroist encore quelque reste [...]. En ce lieu Nostre Seigneur fut cruellement flagellé, puis couronné d’espines : de sorte que toutes les parois et la terre furent teintes de son sang précieux. Il est à présent tellement prophané qu’il ne sert plus qu’à mettre des che-vaux. Moustafa Bay, fils de Mahomet, Bacha de Jerusalem, a reduit ce lieu en Escurie depuis l’an mil six cens vingt trois. Ce Moustafa Bay dict, et a asseuré diverses fois à nos Religieux, que souvent la nuict il avoit entendu un bruict et rumeur, comme si on souffletoit et flagelloit quelqu’un ; mais le jour on n’entend rien, peut estre à cause du bruict qui se fait en la ruë. Lors que ce Moustafa Bay fit de ce lieu une Escurie, il bastit au dessus une chambre où ses femmes pouvoient venir de leur logement ; mais aussitost qu’elle fut achevée, elle tomba et se demolit ; et derechef l’ayant fait rele-ver, et estant presque achevée, elle tomba pour la seconde fois ; si bien que ce sacré lieu est demeuré en son entier comme il estoit auparavant112 ».

    117Légendes locales, véhiculées en dehors de Jérusalem, par les pèlerins (vrais ou faux) et par les relations de voyage ; légendes populaires, suspectes aux yeux de plus d’un clerc : telles apparaissent aux yeux des contempo-rains la légende de Malchus comme celle des flagelleurs du Christ113. Il est des esprits un peu naïfs (comme Frère Eugène Roger) qui les accueillent sans sourciller, d’autres comme Félix Schmid au contraire dénoncent leur message, à leurs yeux non conforme à l’esprit de pardon et de patience qui leur paraît être celui de l’Évangile... Entre ces réactions fortement contrastées se situent celles de la plupart des témoins : on rapporte ces histoires (en émettant, certes, quelques réserves) parce que ce sont de belles histoires qui satisfont le goût du public pour le merveilleux, parce que ce sont des histoires édifiantes, des légendes pieuses qui constituent d’excellentes mises en garde pour le peuple chrétien (elles s’insèrent parfaitement dans une pas-torale de la peur des châtiments éternels), parce qu’elles concordent bien aussi avec les sentiments antijuifs profondément ancrés dans la tradition chrétienne, parce qu’enfin elles sont cautionnées par des légendes chré-tiennes du même type (légende d’Enoch et Elie, légende des Sept Dormants d’Ephèse)114. Sauf modification importante de son environnement cultu-rel (mentalités religieuses, exégèse biblique...), la légende de Malchus paraît, vers le milieu du xviie siècle, appelée à poursuivre une honorable carrière de légende pieuse.

    Notes de bas de page

    1 Évangiles apocryphes, réunis et présentés par France Quéré, Paris, Seuil, 1983, p. 14.

    2 Jean Moschus, Le pré spirituel, intr. et trad. de M.-J. Rouët de Journel, Paris, Cerf, 1946, p. 12 ; le traducteur a suivi le texte grec donné (avec la traduction latine d’Ambroise le Camaldule) dans la Patrologie Grecque de Migne, vol. 87, col. 2851-3316 ; chap. 30, col. 2878, « Vita Isidori monachi Melitinensis » ; p. 70-71 dans la trad. de Rouët de Journel.

    3 Le texte dit précisément : « un homme vêtu, comme un Éthiopien, de haillons » (« Virum quasi Aethio-pem semicinctiis vestitum »).

    4 « Post biduum vero aspicio virum quasi Aethiopem semicinctiis vestitum, dicentemque mihi : " Ego et tu simul in unum supplicium condemnati sumus." Et ego ad eum : "Tu, inquam, quis es ?" Respondit : "Ego sum qui conditorem omnium Dominum Jesum Christum in maxilla percussi pas-sionis tempore. Atque hac de causa a fletu temperare non possum" ». La ponctuation adoptée par l’éditeur dans la Patrologie indique qu’il attribue la phrase finale à l’Éthiopien, hypothèse que nous adoptons ; Rouët de Journel doit ajouter dans sa traduction : "dit le moine," pour la transférer à Isidore...

    5 Évangile selon saint Jean, XVIII, 1-10, trad. de l’École Biblique de Jérusalem, Paris, Cerf, 1955.

    6 Ibidem. XVIII, 20-22.

    7 Le Livre de la Passion, poème narratif du xive siècle, éd. Grace Frank, Paris, Champion, C.F.M.A., 1930, p. 22.

    8 Ibidem, p. 26.

    9 La Passion du Palatinus, éd. G. Frank, Paris, Champion, C.F.M.A., 1922, p. 16.

    10 Le Mystère de la Passion Nostre Seigneur, éd. Graham A. Runnalls, Genève, Droz, T.L.F., 1974.

    11 Fierabras, éd. A. Kroeber et G. Servois, Paris, 1860, p. 37 ; vers 1186-1193 ; sanés (pour savés) est une correction de Gaston Paris.
    Dix, tu garis Marcus, ki tous estoit lieprés,
    Mesiaus fu de viaire et de bouce et de nés,
    Li premiers hons en tere ki eu fu encombrés.
    Ice fu li premiers, dire l’oï letrés,
    Ki te mist à l’estake quant tu i fus menés,
    Et tu le maudesis, méismes Damedés,
    Ke jamais pour s’amour ne fust nus hon sanés ;
    Ne sera il pour voir, ja Dix n’en ert faussés.

    12 « Eodem anno quidam transeuntes per Ferrariam ex ultramontanis partibus retulerunt abbati et fratribus ejusdem loci, quod viderant in Armenia quendam Judeum, qui fuerat in paxione Christi et iniuriose pepulerat eum euntem ad paxionem, dicens ei ; « Vade, seductor, ad recipiendum quod mereris. » Cui fertur respondisse dominum : « Ego vado et tu expectabis me donec revertar. » Qui Judeus, sicut dicitur, per omnia centenaria annorum de sene juvenescit in actatem XXX annorum nec potest mori quousque dominus veniat », éd. A. Gaudenzi, Naples, 1888 ; cité par L. Neubaur, Zur geschichte der sage wom ewigen Juden », Zeitschrift des vereins für volkskunde, 1912, t. XXII, p. 37, note 3.

    13 Roger de Wendover, Flores Historiarum, éd. Hewlett, Londres, 1889, 3 vol., Rerum Britannica-rum Medii Aevi scriptores, Rolls Series ; t. II, p. 352-355.

    14 Matthieu Paris, Grande Chronique, trad. Huillard-Brézolles, Paris, 1840, t. III, p. 390-395 ; pour le texte latin, voir l’éd. des Scriptores rerum britannicarum, Rolls Series, Londres, 1872-1883, 7 vol. ; t. III, p. 161-163.

    15 Matthieu Paris, Grande Chronique, op. cit., t. VII, p. 351-352.

    16 Philippe Mousket, Chronique rimée, éd. F. de Reiffenberg, Bruxelles, 3 vol., 1836-1845.

    17 Philippe Mousket, op. cit.. t. Il, p. 491-494.

    18 François Villon, « Ballade pour prier Nostre Dame », Le Testament, éd. J. Rychner et A. Henry, Genève, Droz, 1974, p. 80, vers 893-897.

    19 Cité par Pierre Champion, Histoire poétique du xve siècle, Paris, Champion, 1923, 2 vol., t. II, p. 154.

    20 La Prise d’Orange, éd. Cl. Régnier, Paris, Klincksieck, 1967.

    21 The oldest version oj the XIIth century Poem « La Venjance Nostre Seigneur », éd. Loyal A.T. Gryting, University of Michigan Press, 1952 et Alvin E. Ford, La Vengeance de Nostre Seigneur : the Old Nostre Seigneur a été imprimé par Antoine Vérard en 1491, et réédité six fois au moins jusqu’en 1539 ; tous ces textes (poème, mystère) remontent à deux récits apocryphes du viie siècle : la Cura sanitatis, et la Vindicta Salvatoris ; voir Alexandre Micha, « La légende de l’empereur malade et de la vengeance du Sauveur dans les récits en prose française », Mélanges Jeanne Lods, Paris, E.N.S., 1978, 2 vol., p. 433-446.

    22 À compléter par Edélestand Du Méril, Poésies populaires latines du Moyen Âge, Paris, 1847, p..350-368 ; Arturo GRAF, Roma nella memoria e nelle immaginazioni delmedio evo, Turin, 1923, p. 285-373.

    23 Niccolo da Poggibonsi, Libro d’Oltramare, publié par Alberto Bacchi Della Lega, Bologne, 1881, vol. II, p. 25.

    24 « Verset 90. [...] On nous a commandé [disent les Israëlites] d’apporter nos ornements les plus pesants ; nous les avons rassemblés, et Sameri les a mis en fonte. Il en a formé un veau mugissant, et les infidèles ont dit : "Voilà notre dieu".
    Verset 96. "Qu’as-tu fait ?" demanda le prophète à Sameri. J’ai, dit-il, des connaissances que le peuple n’a pas. [Il décrit la fabrication du Veau d’or].
    Verset 97. Fuis loin d’ici. Tu diras à tous ceux qui te rencontreront : "Ne me touchez pas." C’est une punition à laquelle tu seras soumis jusqu’à la mort. [...] " Le Coran, trad. Savary, Paris, Garnier, s.d., p. 307. Pour la légende, voir s.v. « Juif Errant », dans le Dictionnaire des Légendes du chris-tianisme, (Encyclopédie théologique de Migne), op. cit.

    25 The oldest version of the XIIth century Poem « La Venjance Nostre Seigneur », éd. citée plus haut. Le Dictionnaire des Légendes du Christianisme, op. cit., s.v. « Pilate », fait le point sur le légendaire de Pilate et cite une variante de notre récit, extraite d’une Vie de Jésus avec sa Passion, imprimée au xvie siècle.

    26 P.-V. Cayet, Chronique septénaire, éd. Buchon, Paris, 1836, 2 vol. ; t. II, p. 470

    27 L’épisode occupe les vers 1215 à 1498 du Voyage de saint Brandan, éd. E.G.R. Waters, Oxford, 1928. Sur la légende, outre l’article « Judas Iscarioth » dans le Dictionnaire des Légendes du christianisme, op. cit., p. 714-726, voir de P.F. Baum, « The medieval legend of Judas Iscarioth », Publications of the Modern Language Association of America, t. XXXI, 1916, p. 481-682.

    28 Manuscrit F. 24.400 de la B.N. (folios 135 d - 136 c.). C’est un manuscrit tardif du xve siècle. Eilert Loseth, Le roman de Tristan, Paris, 1890, donne en note p. 359, d’après plusieurs manuscrits dont 772 (xiiie siècle) l’analyse d’une rédaction identique à celle de F. 24.400. Nous citons la traduction donnée dans Scènes du Graal (textes trad. et présentés par Danielle Buschinger, Anne Labia et Daniel Poirion), Paris, Stock, 1987, p. 157-160.

    29 Robert de Boron, Le Roman de l’Estoire dou Graal, éd. W. Nitze, Paris, Champion, 1927, vers 2287 et suiv. :
    Vaspasyens a un seul mot
    Fist des Juïs ce que lui plot* * plut
    Celui qui avoir enseignié
    La u Joseph avoient mucié* * caché
    Fist metre en mer a grand navie,
    Avec lui toute sa lignie* * famille

    30 Tome II, p. 118-119 de l’éd. Eugène Hucher du Saint-Graal (ou Joseph d’Arimathie), Le Mans, Monnoyer, 1875-1878, 3 vol.

    31 La légende a été étudiée dès 1896 par Edward Schröder, « Die Taenzer von Kölbig, ein mirakel des 11. Jahrunderts », Zeitschrift für Kirchengeschichte, t. XVII, p. 94-164 ; j’utilise ici le compte-rendu de Gaston Paris, Journal des Savants, 1899, p. 733-747.

    32 Je cite entre parenthèses le texte de Renart le Contrefait (début du xive siècle) : voir Gaston Ray-Naud, « Deux nouvelles rédactions françaises de la légende des Danseurs maudits », Mélanges Maurice Wilmotte, Paris, 1910, p. 569-580 ; p. 570-571 pour la version de Renart le Contrefait.

    33 Gaston Paris, op. cit., p. 735-736 ; analyse d’une relation du milieu du xiie siècle.

    34 Ibidem, p. 738, note 4.

    35 Ibidem, p. 740-741.

    36 Cité par Gaston Paris, « Le Juif Errant », art. cité, p. 200-201.

    37 Ibidem, p. 202 ; en note, Gaston Paris ajoute le témoignage de Tommaso Tusco, chroniqueur du xiiie siècle, qui avait vu Richard en 1231.

    38 « In Apulia mortuus est hoc anno [1234] quidam senex dierum, qui dicebat se fuisse armigerum Rollandi Theodricum [Thierri], qui dux Guidonius [sic, pour Gaidonius] dictus est, et imperator multa ab eo didicit. », Monumenta Germanica, S.S., t. XXIII, p. 936. Gaidon, est le surnom de Thierri, fils de Geoffroi d’Anjou, le roi gonfanoner de la Chanson de Roland : Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, Paris, 1905, p. 323.

    39 P.-V. Cayet, Chronique septénaire, op. cit., t. II, p. 470.

    40 Trad. sous la direction de l’École Biblique de Jérusalem, Paris, Cerf, 1955, p. 1622-1623.

    41 Tertullien, De anima, cap. 50 : « Obiit et Johannes, quem in adventum Domini fuisse remansurum falsa fuerat spes » ; Septime Severe, Vita Martini, cap. 24 (25) : « Plerique etiam nobis e fratribus retulerunt, eodem tempore in oriente quendam exstitisse, qui se Joannem esse jactita-ret. » ; textes cités par L. Neubaur, Die sage vom ewigen Juden, op. cit., p. 106, notes 1 et 4.

    42 « Saint Jean, apôtre et évangéliste » (27 décembre), La Légende Dorée, trad. de Teodor de Wyzewa, Paris, 1913, p. 55-56.

    43 Flottement perceptible dans le témoignage de Jean de Mandeville qui note d’abord : « Dans son tombeau il n’y a que de la manne, car son corps fut transporté dans le paradis. », mais ajoute : « saint Jean se coucha [dans son tombeau] étant encore plein de vie. Et l’on assure qu’il n’est point mort, mais qu’il repose jusqu’au jour du jugement [thème de la dormition]. Et l’on dit que, parfois, cette tombe s’agite et se meut, comme s’il y avait dessous des choses vivantes. » ( Voyages, ca. 1355-1357) ; cité s.v. « Juif Errant » par le Dict. des légendes du christianisme, op. cit.

    44 Théodore de Beze, Annotationes majores in Novum Testamentum, s.l., 1594, p. 446 {Jean, XXI, 20-23) : « Unde variae sunt ortae fabulae, quodam etiam agyrta nostris temporibus auso sese hunc ipsum Johannem esse palam profiteri [...]. Et ille quidem Tolosae fuit crematus ».

    45 Sulpicii Severi Opera omnia, éd. G. Hornius, Leyde, 1647, p. 491 : « Ultimis his in Anglia annis secta quaedam exorta est eorum qui se Quaerentes vocant sive Expectantes. Hi expectant Aposto-lum Joannem, quem adhuc vivere credunt [...]. Alii dixerunt eum jam in Suffolcia conspectum. Juxta alios vero in Transsylvania adhuc haeret ; et eo destinarunt litteras, quibus ipsum hortantur, ut maturet in Angliam ventre. Ideo mos apud eos est, cum peregrinum aliquem vident, inquirendi, num is Johannes apostolus sit. »

    46 « Et semper cum usque ad centum attigerit aetatem redeuntium annorum, corripitur quasi incurabili infîrmitate, et rapitur quasi in extasim ; et convalescens, redit redivivus ad illum aetatis sta-tum, quo fuit anno quando passus est Dominus, ut vere possit dicere cum Psalmista : "Renovatur ut aquilae juventus mea." », Matthieu Paris, op. cit., t. III, p. 163.

    47 Le Bestiaire de Pierre de Beauvais, éd. Guy R. Mermier, Paris, Nizet, 1977 (texte, p. 65, corrigé par les variantes, p. 100 et 101, de S., Ms. Paris, B.N., fr. 944). Traduction de G. Bianciotto dans Bestiaires du Moyen Age, Paris, Stock, 1980, p. 29-30.

    48 Bestiaires du Moyen Âge, éd. Bianciotto, op. cit., p. 30-31.

    49 Veikko Väänänen, « Le fabliau de Cocagne », Neuphilologische Mitteilungen, t. 48, 1947, p. 3-36.

    50 Cité par Jules de Douhet, Dict. des lég. du christianisme, s.v., « Juif-Errant », col. 745-746.

    51 Jules de Douchet, Dict. des lég. du christ., op. cit., col. 746 ; Aubri de Trois-Fontaines, auteur d’une chronique universelle rédigée entre 1227 et 1241, signale sa mort en 1211 : « A partibus Hispanorum venit hoc tempore quidam senio valde confectus miles grandaevus qui se dicebat esse Oge-rum de Dacia [Ogier le Danois], de quo legitur in Historia Caroli Magni [...]. Hic itaque obiit hoc anno in Diocesi Nivernensi, villa quae ad sanctum Patritium dicitur, prout illic tam clerici quam laici qui viderunt, postea retulerunt. » (Ad annum 1211 ; vol. II, p. 456, éd. Leibniz, Leipzig, 1698).

    52 Guido Bonatti, Introductorius ad judicia stellarum, Augsbourg, 1491, tractat. 5, consideratio 141.

    53 « Et s’il plaist à nostre Seignor que celui qui ores a loé les autres vesquit tant en bon estat et en bone memoire que il, après lor longe vie et lor bone fin, peust loer ceaus qui ores sont et metre en haute memoire, volentiers et hautement les loereit et prisereit après lor decet : et de ce fait il bien à creire, ja n’i eust il plus d’avantage que de vivre longuement et bien, et enssi auroit il passé Jehan Boute Dieu », Livre eu forme de plait, éd. Beugnot, dans Assises de Jérusalem, Paris, 1841, t.I, p. 570.

    54 Cecco Angioleri, dans un sonnet cité par Salomone Morpurgo, L’Ebreo errante in Italia, Flo-rence, 1891, p. 9. Niccolo de ROSSI dans un sonnet contre les dirigeants de Trévise, cité par Sal. Morpurgo, ibidem, p. 9-10. Il s’agit pour Francesco Vannozo d’un mauvais repas : le digérer prendra une éternité, voir Ezio LEVI, Francesco di Vannozo, Florence, 1908, p. 359.

    55 Dante, La Divine Comédie, Trad. Alexandre Masseron, Paris, 1947, vol. I, Enfer, p. 174.

    56 « Accidit aliquando quod aliqui vixerunt secundum annos maximos Alcocoden, de quibus tempore meo non vidi nisi unum qui vocabatur Ricardus qui dicebat se fuisse in curia Caroli magni, regis Franciae et vixisse quadringentis annis. Et dicebatur tunc quod erat quidam alius qui fuerat tempore Jesu Christi et vocabatur Joannes Buttadeus, eo quod impulisset Dominum quando ducebatur ad patibulum, et ipse dixit ei : « Tu expectabis me donec venero. » Et vidi Ricardum Ravennae aera Christi millesima ducentesima vigesima tertia, et ille Joannes transivit per Forlivium vadens ad sanctum Jacobum aera Christi millesima ducentesima sexagesima septima. », Introductorius ad judicia stellarum ; cité plus haut.

    57 Sigismondo Tizio est né à Castiglione vers 1458, s’est installé à Sienne en 1482 et y est mort vers 1528 ; les faits ici cités sont, dans sa Chronique, consignés sous 1400 : « Hoc profecto libuit annotare, quoniam tempestate nostra ab antiquis civibus percepimus Johannem Buttadeum, qui olim Christum, dum ad patibulum duceretur, inhumaniter impulerat, cui a Christo fuit dictum : « Expectabis me dum venero », Senis aliquando transivisse, imaginemque ipsius ab Andrea isto, ut diximus, in angulo pictam, crucem ferentem inspexisse, seque Christo similiorem haudquaquam vidisse fuisse testatum », cité par Alessandro D’Ancona, « Le Juif Errant en Italie au xiiie siècle », Romania, t. X, 1881, p. 213.

    58 « Quae autem de Johanne Buttadeo in vulgus spargi a teneris nos etiam audivimus, fabulosa existimavimus. Verum Senae agentes, priusquam sacris initiaremur ordinibus, profitentes astrologiae disciplinam, Guidonem Bonatum forolivensem, astrologum peritissimum, in libro decimo tractatuum, qui Introductorius ad divina nuncupatur, consideratione 141, legimus hunc Johannem ponere, et anno Christi 1267 transivisse Forolivio ad S. Jacobum proficiscentem, ut quandoque ad credere adduceremur, si apud viros graves nimiae argueremur credulitatis ac simplicitatis ; in suo igitur quisque intellectu dijudicet », cité par Al. D’Ancona, ibidem

    59 « Rime inedite dei secoli xiiie xive », publ. par Tommaso Casini, Il Propugtiatore, t. XV, Bologne, 1882, p. 337.

    60 « Le Libellus de Locis Ultramarinis de Pierre de Pennis », publié par Charles Kohler, Revue de l’Orient latin, t. IX, 1902, p. 313-383 ; chap. XI « De quibusdam locis memorabilibus et sanctis existentibus infra urbem Ierusalem », p. 358-359 : « et ibi prope monstratur locus a vulgo ubi Johannes Butadium impulit Christurn dominum quando ibat ligatus ad mortem insultando dicens Domino : « Vade ultra, vade ad mortem. » Cui respondit Dominus : « Ego vado ad mortem, sed tu usque ad diem iudicii non morieris pro tua culpa. » Unde dicunt quod, propter culpam quam commisit in dominum Jhesum Christum, non morietur usque ad diem judicii. Et, ut dicunt qui-dem simplices, visus est aliquando a multis. Sed hoc non asseritur a sapientibus, quia dictus Johannes, qui corrupto nomine dicitur Johannes Butadium, sano vocabulo appellatur Johannes Devotus Domini, qui fuit scutifer Karoli magni et vixit CCX annis. »

    61 Le texte du manuscrit est cité par Gaston Paris, « Le Juif Errant » (seconde étude, 1891), op. cit., p. 198-199 ; voici la notice de H. Omont concernant ce texte dans le Catalogue des bibliothèques des départements, t. II, p. 419 : « Guide pour les pèlerins, compilé d’après Ludolf de Sudheim et Philippus, troisième quart du xive siècle ; très peu de notices originales. »

    62 Gaston Paris, op. cit., p. 196 qui cite Carolina Michaelis de Vasconcellos, « O Judeu errante em Portugal », Revista Lusitana, I, 1887-89, p. 34-45.

    63 Marcel Bataillon, « Pérégrinations espagnoles du Juif Errant », Bulletin Hispanique, vol. 43, avril-juin 1941, p. 92.

    64 Breve declaracion de los sentencias y vocablos obscuros en el libro del transito de la muerte ; cité par M. Bataillon, op. cit., p. 93-94.

    65 Salomone Morpurgo, L’Ebreo errante, op. cit., p. 45 : « Ricordo di quello mi disse Giovanni servo di Dio a di 23 di giugno 1416... »

    66 Sal. Morpurgo, ibidem, p. 9 : « uno homo detto Giovanni Votaddio, altrimenti Giovanni servo di Dio (e chosi si fa nominare) », « Un homme appelé Giovanni Votaddio, autrement Giovanni servo di Dio (et c’est ainsi qu’il se fait appeler) ».

    67 Ibidem, p. 37, « e ditemi se voi siete Giovanni Botadio ». Esso mi rispose che noi ghuastavamo el vochabolo. Io dissi : « Quai è la chagione ? » Disse : « Vuolsi dire Giovanni Batté-Iddio, cioé Gio-vanni perchosse-Iddio » (« Dites-moi si vous êtes Giovanni Bottadio. » Il me répondit que nous faussions le mot. « Comment cela ? » lui dis-je. « Il faut dire, me répondit-il, Giovanni Batté-Iddio, c’est-à-dire Giovanni frappa Dieu. »).

    68 « Dicesi che qui era quello che é chiamato Johanni Botadeo, e dixe per dispecto a Jhesu : « Va’ pur giú, che tu n’arai una tua, una ! » Rispose l’umile Jhesu : « Io andaro : tu m’aspecterai tanto che io torni. » Non ci è perdonanza. », Viaggio in Terra Santa fatto e descritto da Ser Mariano da Siena nel secolo XV (1431), Firenze, 1822, p. 29 ; cité par Sal. Morpurgo, L’Ebreo errante in Italia, op. cit., p. 7, note 2.

    69 P.B. Bagatti, « The legend of the Wandering Jew », Franciscan Studies, vol. 9, mars 1949, p. 2 : « No indulgence meant no veneration, and since the great majority of the pilgrims depended enti-rely on the Franciscans for their information about the Holy Places, we can readily understand that this omission had inflicted a mortal wound. »

    70 Relation publiée in extenso par Salomone Morpurgo, L’Ebreo errante in Italia, op. cit., p. 15-40 ; longue analyse et nombreux passages traduits dans Gaston Paris, « Le Juif Errant. Seconde étude (1891) », op. cit., p. 203-220.

    71 « uno homo detto Giovanni Votaddio, altrimenti Giovanni servo di Dio (e chosi si fa nominare) », Sal. Morpurgo, op. cit., p. 15.

    72 Gaston Paris, op. cit.. p. 209.

    73 Gaston Paris, op. cit., p. 211.

    74 Ibidem, p. 212-213.

    75 Sal. Morpurgo, op. cit., p. 37.

    76 Allusion à la croyance, largement attestée au Moyen Âge, qu’Enoch et Élie attendaient dans le paradis terrestre le jour du jugement.

    77 G. Paris, op. cit., p. 215.

    78 Ibidem, p. 216.

    79 Monastère voisin de Florence.

    80 Gaston Paris, op. cit., p. 216.

    81 Voir Gaël Milin, « De Saint-Jacques de Compostelle à Notre-Dame du Folgoët : le dossier breton d’un motif hagiographique médiéval (« Le pendu miraculeusement sauvé ») ». Annales de Bretagne, t. 101, 1994, p. 7-47.

    82 Note sur « le rire de Merlin », dans Paul Zumthor, Merlin le prophète, Lausanne, 1943, p. 45-47. C’est cette dimension de prophète qui a intéressé un contemporain d’Antonio, le florentin Sal-vestro Mannini ; dans son journal, il consigne soigneusement les prédictions politiques que lui a faites Giovanni servo di Dio, en 1416 (le 23 juin) alors qu’il était podestat à Agliana, en Toscane (« Ricordo di quello mi disse Giovanni servo di Dio, a di 23 di giugno 1416... ») : « Je lui demandai ce qui arriverait du fait de l’empereur, et il me dit que nous n’eussions pas de crainte, et que s’il passait nous le fissions passer sans encombre et que s’il voulait de notre argent nous lui en donnassions, et que nous fissions en sorte qu’il nous confirmât la possession de Pise, et que nous ne fissions de ligue avec personne contre lui ni contre d’autres, et que nous attendissions paisiblement, parce que les cieux et Dieu étaient avec nous. » (G. Paris, op. cit., p. 218 ; Salomone Morpurgo, op. cit., p. 46).

    83 Citation de M. Bataillon, « Pérégrinations espagnoles du Juif Errant », art. cité, p. 100-102.

    84 Ibidem, p. 102.

    85 Ibidem, p. 102.

    86 Ibidem, p. 105.

    87 Ibidem, p. 107-108.

    88 Ibidem, p. 116.

    89 Ibidem, p. 117.

    90 Ibidem, p. 117.

    91 Nous citons l’’éd. Conrad Dietrich Hassler, 1843-1849, 3 vol. Le chapitre qui nous intéresse (« De loco in quo fuit Domus Annae, primi judicis Domini Jesu ») va de la p. 261 à la p. 264 (t. I).

    92 « Unde Augustinus : Si cogitemus, quis acceperit alapam, nonne vellemus eum qui percussit, aut coelesti igne consumi, aut terra dehiscente consumi [...] aut aliqua hujus modi qualibet poena vel etiam graviori puniri. Quid enim horum per potentiam jubere non potuisset, per quem factus est mundus ; nisi patientiam nos maluisset docere, qua vincitur mundus. », ibidem, t. I, p. 261.

    93 « Haec autem sunt frivola mendosa contra Scripturam et Evangelium, fidei et veritati contraria, per fatuos et deceptores gyrovagos ficta, qui vagantes sub specie pietatis per loca, veritate se ingurgitare non valent, talia mendacia confingunt, et simplices homines seducunt, et nonnunquam etiam, qui videntur prudentes esse, eis attendunt et pro mendaciis dona eis conferunt », ibidem, p. 262.

    94 « Non etiam veriti recitare mendacium praedictum de illo qui dedit alapam Jesu, dicentes, se cum eo locutos fuisse, et quod non omnes peregrini ad eum admitterentur », ibidem, p. 263.

    95 « Ego dum essem in domo Annae, jocose a quodam fratre minore ductore nostro quaesivi, ubi ille vir staret qui alapam Domino Jesu dedit ? Frater autem ille ad latus ecclesiae ab extra me duxit et unam olivam ibi stantem ostendit, dicens : ecce ille est vir, de quo dicunt quod ungues digitorum ejus creverunt in terram [...] », ibidem, p. 263-264.

    96 Voir Emmanuel Neeffs, « Un voyage au xve siècle », Revue Catholique, Louvain, t. 35, 1873, p. 271.

    97 Confusion que l’on trouve aussi sous la plume d’Emmanuel Neeffs qui déclare, en présentant le texte (p. 577), qu’« ils se trouvèrent face à face avec Ahasvérus, le Juif-Errant... » Le récit de Félix Schmid rentes, dans une ville où cohabitaient catholiques, orthodoxes, chrétiens orientaux, musulmans, juifs ne manquaient pas. On peut ainsi lire dans la relation de Jan Aerts que, grâce à un firman octroyé par le Soudan au grand facteur du Portugal, il a pu visiter pendant deux heures le temple de Salomon, désormais interdit sous peine de mort à quiconque ne professe pas l’Islam. Il y a vu une partie des trente deniers de Judas, il y a vu la verge avec laquelle Moïse a fait jaillir l’eau du rocher, et, pour en revenir à Malchus, ceci qui fait allusion à une tradition originale : « Au troi-sième pilier nous découvrîmes, attachée à un clou, la main sacrilège du soldat [Malchus] qui souf-fleta Jésus dans la maison d’Anne », p. 431.

    98 E. Neeffs, « Un voyage au xve siècle », op. cit.. p. 577-579.

    99 « Audivi a quodam nobili barone, vocato Marescallus, andegavensis, quod ipsemet ab uno alio milite, hoc quod sequitur audivit », Michel Menot, Sermons choisis (1508-1518), éd. Joseph Neve, Paris, Champion, 1924, p. 186 ; vérifié sur l’éd. de Paris, 1525, fol. 163 verso et 164 recto.

    100 « unum magnum lacum plenum aqua turbida et sulplhure ; et ibi erat unus in medio qui continue cruciabatur, cuius manus sine quicte movebatur sicut rota unius molendini. Adoncques, ille dixit militi : Ecce ille maledictus Malchus qui in domo Anne dedit alapam Christo et ab illo tempore terra absorbuit eum et dixit quod ibi faciebat penitentiam », op. cit., p. 186.

    101 « Malcus en vie ensepvely jusques au nombril. » est recopié par le notaire d’Auch selon la copie qui lui aurait été donnée par un serviteur de Mgr l’archevêque d’Auch ; le récit, dont ni lui, ni l’évêque « n’assurent le contenu », a été publié à la suite du Voyage de Philippe de Voisins, par Ph. Tamizey de Larroque, Arch. hist. de La Gascogne, fasc. 3, 1883, p. 47-49. Le livret de 1623 a été publié par Emile Picot dans son compte-rendu de l’ouvrage précédent, Revue critique d’his-toire et de littérature, mars 1884, p. 222-226.

    102 Pierre Victor Cayet, Chronique septénaire de l’histoire de la paix entre les roys de France et d’Espagne, Paris, Jean Richer, 1605, p. 471, col. A.

    103 Pour le récit mis au compte de Carlo Ranzo, voir Alessandro D’Ancona, « La Leggenda dell’Ebreo Errante », Saggi di Letteratura popolare, Livorno, 1913, p. 152-153. Carolus Ranzus est connu du franciscain français Léonard de Clou, ltinerarium breve Terrae Sanctae, Florence, 1891 (son voyage date de 1668). Francisco Quaresmi, Historia theologica et moralis Terrae Sanctae elucida-tio, Venise, Antonelliani, 1882, cap. III, p. 141 col. B - p. 142 col. B ; témoignage à situer entre 1616 et 1626. Domenico Laffi, Viaggio in Levante al Santo Sepulcro di N.S.G. Cristo e altri luoghi di Terra Santa, Bologne, Pisani, 1708, chap. XXII, p. 162-167 (La 1re éd. est de 1683).

    104 Voir Jean Frappier, « Remarques sur la structure du lai. Essai de définition et de classement », La littérature narrative d’imagination, (Colloque de Strasbourg, 1959), Paris, PUF., 1961, p. 32.

    105 Léonard De Clou, op. cit., après avoir cité ses sources (« Carolus Ranzus » et « Joannes Francis-ais Alcaroti », p. 161), et brièvement analysé la légende, conclut que c’est au lecteur de juger quel crédit méritent à ses yeux ces « pieuses narrations » (« piae narrationes »).

    106 « Hanc eamdem relationem alii aliter retulerunt ; et ego qui aliquando eos fui allocutus, qui nobis haec se vidisse testati sunt, varie etiam tradiderunt, et fabellam concinnarunt, sed postea de falsitate redarguti obmutuerunt, » Francisco Quaresmi, op. cit., p. 142 B.

    107 « Alcuni Peregrini che sono stati in Gierusalemme, hanno scritto et affermano con testimonii, che si ode e si vede un’Huomo, che sta in una sala sotto terra [...]. Ma essendo stati tanti altri in Gierusalemme senza me, cosi Religiosi, come secolari, non hanno mai potuto avere cognizione di questo, or sia come si voglia lascio la verita a suo luoco », Domenico Laggi, op. cit., p. 164.

    108 Relations de Jean Zuallart, Léonard De Clou, Francisco Quaresmi, Pietro Della Valle.

    109 Dans le texte de Jean Zuallart que nous citons, on relève : « elle dit avoir entendu, par tradition de ses ancestres que c’estoyent des Juifz [...] ; et comme le reverend pere luy repliqua que ceux qui avoyent commis ce faict, estoyent les satellites de Pilate, elle respondit qu’iceux estoyent Juifz mauditz, » Jean Zuallart, Le Très dévot voyage de Jérusalem, chap. XVI, « De Lythostratos, lieu de la flagellation de Nostre Rédempteur : Palais de Pilate et Église du Spasme », p. 113. Zuallart traduit là le texte original, italien, de sa relation. Il Devotissimo viaggio di Gierusalemme, Rome, 1587.

    110 « quae piae narrationes » écrit Léonard De Clou, Itinerarium breve, op. cit., p. 162 (il associe légende de Malchus et légende des flagelleurs du Christ.).

    111 Référence au Liber de perenni cultu Terrae Sanctae de Bonifacio Stefani de Raguse, évèque de Stagna ; ce frère franciscain qui vécut à Jérusalem de 1552 à 1562, est aussi la source de Francisco Quaresmi, de J.-F. Alcaroti (cité par Léonard De Clou) ; la première éd. du Liber date de 1573 ; la légende se trouve p. 223 dans la rééd. de Venise, 1875.

    112 Frère Eugène Roger, La Terre sainte ou Description topographique des Saints Lieux et de la Terre de Promission, Paris, Bertier, 1646, p. 101.

    113 Pietro Della Valle écrit d’Alep, le 15 juin 1616 : « L’histoire imprimée à Naples que Notre Sei-gneur Andrea m’a envoyée à Constantinople, fait mention du lieu [où le Christ fut flagellé] en faisant allusion à je ne sais quel bruit de flagellation qu’on y entend : c’est un mensonge (« è bugia ») ; comme l’est aussi la fable de celui qui a donné le soufflet. » Il avait apporté l’histoire avec lui, dit-il, a fait des recherches, et n’a rien trouvé de tel ; et pourtant, ajoute-t-il perfidement, « si l’une ou l’autre histoire avait été vraie, les Turcs m’auraient montré pour quelques deniers ce qu’il y avait à voir » (« per denari mostrebbero i Turchi »), Viaggi di P. della Valle, Rome, 1662, IV, p. 282.

    114 C’est le seul argument qui amène Frère Mariano Morone da Maleo, à ne pas rejeter absolument la possibilité de cette légende ; ce franciscain, Gardien de la Terre sainte de 1652 à 1658, est pour-tant tout à fait convaincu que cette histoire ne mérite aucun crédit : voir sa Terra Santa Nuova-mente lllustrata, Piacenza, 1669, vol. I, p. 88.

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    1 Évangiles apocryphes, réunis et présentés par France Quéré, Paris, Seuil, 1983, p. 14.

    2 Jean Moschus, Le pré spirituel, intr. et trad. de M.-J. Rouët de Journel, Paris, Cerf, 1946, p. 12 ; le traducteur a suivi le texte grec donné (avec la traduction latine d’Ambroise le Camaldule) dans la Patrologie Grecque de Migne, vol. 87, col. 2851-3316 ; chap. 30, col. 2878, « Vita Isidori monachi Melitinensis » ; p. 70-71 dans la trad. de Rouët de Journel.

    3 Le texte dit précisément : « un homme vêtu, comme un Éthiopien, de haillons » (« Virum quasi Aethio-pem semicinctiis vestitum »).

    4 « Post biduum vero aspicio virum quasi Aethiopem semicinctiis vestitum, dicentemque mihi : " Ego et tu simul in unum supplicium condemnati sumus." Et ego ad eum : "Tu, inquam, quis es ?" Respondit : "Ego sum qui conditorem omnium Dominum Jesum Christum in maxilla percussi pas-sionis tempore. Atque hac de causa a fletu temperare non possum" ». La ponctuation adoptée par l’éditeur dans la Patrologie indique qu’il attribue la phrase finale à l’Éthiopien, hypothèse que nous adoptons ; Rouët de Journel doit ajouter dans sa traduction : "dit le moine," pour la transférer à Isidore...

    5 Évangile selon saint Jean, XVIII, 1-10, trad. de l’École Biblique de Jérusalem, Paris, Cerf, 1955.

    6 Ibidem. XVIII, 20-22.

    7 Le Livre de la Passion, poème narratif du xive siècle, éd. Grace Frank, Paris, Champion, C.F.M.A., 1930, p. 22.

    8 Ibidem, p. 26.

    9 La Passion du Palatinus, éd. G. Frank, Paris, Champion, C.F.M.A., 1922, p. 16.

    10 Le Mystère de la Passion Nostre Seigneur, éd. Graham A. Runnalls, Genève, Droz, T.L.F., 1974.

    11 Fierabras, éd. A. Kroeber et G. Servois, Paris, 1860, p. 37 ; vers 1186-1193 ; sanés (pour savés) est une correction de Gaston Paris.
    Dix, tu garis Marcus, ki tous estoit lieprés,
    Mesiaus fu de viaire et de bouce et de nés,
    Li premiers hons en tere ki eu fu encombrés.
    Ice fu li premiers, dire l’oï letrés,
    Ki te mist à l’estake quant tu i fus menés,
    Et tu le maudesis, méismes Damedés,
    Ke jamais pour s’amour ne fust nus hon sanés ;
    Ne sera il pour voir, ja Dix n’en ert faussés.

    12 « Eodem anno quidam transeuntes per Ferrariam ex ultramontanis partibus retulerunt abbati et fratribus ejusdem loci, quod viderant in Armenia quendam Judeum, qui fuerat in paxione Christi et iniuriose pepulerat eum euntem ad paxionem, dicens ei ; « Vade, seductor, ad recipiendum quod mereris. » Cui fertur respondisse dominum : « Ego vado et tu expectabis me donec revertar. » Qui Judeus, sicut dicitur, per omnia centenaria annorum de sene juvenescit in actatem XXX annorum nec potest mori quousque dominus veniat », éd. A. Gaudenzi, Naples, 1888 ; cité par L. Neubaur, Zur geschichte der sage wom ewigen Juden », Zeitschrift des vereins für volkskunde, 1912, t. XXII, p. 37, note 3.

    13 Roger de Wendover, Flores Historiarum, éd. Hewlett, Londres, 1889, 3 vol., Rerum Britannica-rum Medii Aevi scriptores, Rolls Series ; t. II, p. 352-355.

    14 Matthieu Paris, Grande Chronique, trad. Huillard-Brézolles, Paris, 1840, t. III, p. 390-395 ; pour le texte latin, voir l’éd. des Scriptores rerum britannicarum, Rolls Series, Londres, 1872-1883, 7 vol. ; t. III, p. 161-163.

    15 Matthieu Paris, Grande Chronique, op. cit., t. VII, p. 351-352.

    16 Philippe Mousket, Chronique rimée, éd. F. de Reiffenberg, Bruxelles, 3 vol., 1836-1845.

    17 Philippe Mousket, op. cit.. t. Il, p. 491-494.

    18 François Villon, « Ballade pour prier Nostre Dame », Le Testament, éd. J. Rychner et A. Henry, Genève, Droz, 1974, p. 80, vers 893-897.

    19 Cité par Pierre Champion, Histoire poétique du xve siècle, Paris, Champion, 1923, 2 vol., t. II, p. 154.

    20 La Prise d’Orange, éd. Cl. Régnier, Paris, Klincksieck, 1967.

    21 The oldest version oj the XIIth century Poem « La Venjance Nostre Seigneur », éd. Loyal A.T. Gryting, University of Michigan Press, 1952 et Alvin E. Ford, La Vengeance de Nostre Seigneur : the Old Nostre Seigneur a été imprimé par Antoine Vérard en 1491, et réédité six fois au moins jusqu’en 1539 ; tous ces textes (poème, mystère) remontent à deux récits apocryphes du viie siècle : la Cura sanitatis, et la Vindicta Salvatoris ; voir Alexandre Micha, « La légende de l’empereur malade et de la vengeance du Sauveur dans les récits en prose française », Mélanges Jeanne Lods, Paris, E.N.S., 1978, 2 vol., p. 433-446.

    22 À compléter par Edélestand Du Méril, Poésies populaires latines du Moyen Âge, Paris, 1847, p..350-368 ; Arturo GRAF, Roma nella memoria e nelle immaginazioni delmedio evo, Turin, 1923, p. 285-373.

    23 Niccolo da Poggibonsi, Libro d’Oltramare, publié par Alberto Bacchi Della Lega, Bologne, 1881, vol. II, p. 25.

    24 « Verset 90. [...] On nous a commandé [disent les Israëlites] d’apporter nos ornements les plus pesants ; nous les avons rassemblés, et Sameri les a mis en fonte. Il en a formé un veau mugissant, et les infidèles ont dit : "Voilà notre dieu".
    Verset 96. "Qu’as-tu fait ?" demanda le prophète à Sameri. J’ai, dit-il, des connaissances que le peuple n’a pas. [Il décrit la fabrication du Veau d’or].
    Verset 97. Fuis loin d’ici. Tu diras à tous ceux qui te rencontreront : "Ne me touchez pas." C’est une punition à laquelle tu seras soumis jusqu’à la mort. [...] " Le Coran, trad. Savary, Paris, Garnier, s.d., p. 307. Pour la légende, voir s.v. « Juif Errant », dans le Dictionnaire des Légendes du chris-tianisme, (Encyclopédie théologique de Migne), op. cit.

    25 The oldest version of the XIIth century Poem « La Venjance Nostre Seigneur », éd. citée plus haut. Le Dictionnaire des Légendes du Christianisme, op. cit., s.v. « Pilate », fait le point sur le légendaire de Pilate et cite une variante de notre récit, extraite d’une Vie de Jésus avec sa Passion, imprimée au xvie siècle.

    26 P.-V. Cayet, Chronique septénaire, éd. Buchon, Paris, 1836, 2 vol. ; t. II, p. 470

    27 L’épisode occupe les vers 1215 à 1498 du Voyage de saint Brandan, éd. E.G.R. Waters, Oxford, 1928. Sur la légende, outre l’article « Judas Iscarioth » dans le Dictionnaire des Légendes du christianisme, op. cit., p. 714-726, voir de P.F. Baum, « The medieval legend of Judas Iscarioth », Publications of the Modern Language Association of America, t. XXXI, 1916, p. 481-682.

    28 Manuscrit F. 24.400 de la B.N. (folios 135 d - 136 c.). C’est un manuscrit tardif du xve siècle. Eilert Loseth, Le roman de Tristan, Paris, 1890, donne en note p. 359, d’après plusieurs manuscrits dont 772 (xiiie siècle) l’analyse d’une rédaction identique à celle de F. 24.400. Nous citons la traduction donnée dans Scènes du Graal (textes trad. et présentés par Danielle Buschinger, Anne Labia et Daniel Poirion), Paris, Stock, 1987, p. 157-160.

    29 Robert de Boron, Le Roman de l’Estoire dou Graal, éd. W. Nitze, Paris, Champion, 1927, vers 2287 et suiv. :
    Vaspasyens a un seul mot
    Fist des Juïs ce que lui plot* * plut
    Celui qui avoir enseignié
    La u Joseph avoient mucié* * caché
    Fist metre en mer a grand navie,
    Avec lui toute sa lignie* * famille

    30 Tome II, p. 118-119 de l’éd. Eugène Hucher du Saint-Graal (ou Joseph d’Arimathie), Le Mans, Monnoyer, 1875-1878, 3 vol.

    31 La légende a été étudiée dès 1896 par Edward Schröder, « Die Taenzer von Kölbig, ein mirakel des 11. Jahrunderts », Zeitschrift für Kirchengeschichte, t. XVII, p. 94-164 ; j’utilise ici le compte-rendu de Gaston Paris, Journal des Savants, 1899, p. 733-747.

    32 Je cite entre parenthèses le texte de Renart le Contrefait (début du xive siècle) : voir Gaston Ray-Naud, « Deux nouvelles rédactions françaises de la légende des Danseurs maudits », Mélanges Maurice Wilmotte, Paris, 1910, p. 569-580 ; p. 570-571 pour la version de Renart le Contrefait.

    33 Gaston Paris, op. cit., p. 735-736 ; analyse d’une relation du milieu du xiie siècle.

    34 Ibidem, p. 738, note 4.

    35 Ibidem, p. 740-741.

    36 Cité par Gaston Paris, « Le Juif Errant », art. cité, p. 200-201.

    37 Ibidem, p. 202 ; en note, Gaston Paris ajoute le témoignage de Tommaso Tusco, chroniqueur du xiiie siècle, qui avait vu Richard en 1231.

    38 « In Apulia mortuus est hoc anno [1234] quidam senex dierum, qui dicebat se fuisse armigerum Rollandi Theodricum [Thierri], qui dux Guidonius [sic, pour Gaidonius] dictus est, et imperator multa ab eo didicit. », Monumenta Germanica, S.S., t. XXIII, p. 936. Gaidon, est le surnom de Thierri, fils de Geoffroi d’Anjou, le roi gonfanoner de la Chanson de Roland : Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, Paris, 1905, p. 323.

    39 P.-V. Cayet, Chronique septénaire, op. cit., t. II, p. 470.

    40 Trad. sous la direction de l’École Biblique de Jérusalem, Paris, Cerf, 1955, p. 1622-1623.

    41 Tertullien, De anima, cap. 50 : « Obiit et Johannes, quem in adventum Domini fuisse remansurum falsa fuerat spes » ; Septime Severe, Vita Martini, cap. 24 (25) : « Plerique etiam nobis e fratribus retulerunt, eodem tempore in oriente quendam exstitisse, qui se Joannem esse jactita-ret. » ; textes cités par L. Neubaur, Die sage vom ewigen Juden, op. cit., p. 106, notes 1 et 4.

    42 « Saint Jean, apôtre et évangéliste » (27 décembre), La Légende Dorée, trad. de Teodor de Wyzewa, Paris, 1913, p. 55-56.

    43 Flottement perceptible dans le témoignage de Jean de Mandeville qui note d’abord : « Dans son tombeau il n’y a que de la manne, car son corps fut transporté dans le paradis. », mais ajoute : « saint Jean se coucha [dans son tombeau] étant encore plein de vie. Et l’on assure qu’il n’est point mort, mais qu’il repose jusqu’au jour du jugement [thème de la dormition]. Et l’on dit que, parfois, cette tombe s’agite et se meut, comme s’il y avait dessous des choses vivantes. » ( Voyages, ca. 1355-1357) ; cité s.v. « Juif Errant » par le Dict. des légendes du christianisme, op. cit.

    44 Théodore de Beze, Annotationes majores in Novum Testamentum, s.l., 1594, p. 446 {Jean, XXI, 20-23) : « Unde variae sunt ortae fabulae, quodam etiam agyrta nostris temporibus auso sese hunc ipsum Johannem esse palam profiteri [...]. Et ille quidem Tolosae fuit crematus ».

    45 Sulpicii Severi Opera omnia, éd. G. Hornius, Leyde, 1647, p. 491 : « Ultimis his in Anglia annis secta quaedam exorta est eorum qui se Quaerentes vocant sive Expectantes. Hi expectant Aposto-lum Joannem, quem adhuc vivere credunt [...]. Alii dixerunt eum jam in Suffolcia conspectum. Juxta alios vero in Transsylvania adhuc haeret ; et eo destinarunt litteras, quibus ipsum hortantur, ut maturet in Angliam ventre. Ideo mos apud eos est, cum peregrinum aliquem vident, inquirendi, num is Johannes apostolus sit. »

    46 « Et semper cum usque ad centum attigerit aetatem redeuntium annorum, corripitur quasi incurabili infîrmitate, et rapitur quasi in extasim ; et convalescens, redit redivivus ad illum aetatis sta-tum, quo fuit anno quando passus est Dominus, ut vere possit dicere cum Psalmista : "Renovatur ut aquilae juventus mea." », Matthieu Paris, op. cit., t. III, p. 163.

    47 Le Bestiaire de Pierre de Beauvais, éd. Guy R. Mermier, Paris, Nizet, 1977 (texte, p. 65, corrigé par les variantes, p. 100 et 101, de S., Ms. Paris, B.N., fr. 944). Traduction de G. Bianciotto dans Bestiaires du Moyen Age, Paris, Stock, 1980, p. 29-30.

    48 Bestiaires du Moyen Âge, éd. Bianciotto, op. cit., p. 30-31.

    49 Veikko Väänänen, « Le fabliau de Cocagne », Neuphilologische Mitteilungen, t. 48, 1947, p. 3-36.

    50 Cité par Jules de Douhet, Dict. des lég. du christianisme, s.v., « Juif-Errant », col. 745-746.

    51 Jules de Douchet, Dict. des lég. du christ., op. cit., col. 746 ; Aubri de Trois-Fontaines, auteur d’une chronique universelle rédigée entre 1227 et 1241, signale sa mort en 1211 : « A partibus Hispanorum venit hoc tempore quidam senio valde confectus miles grandaevus qui se dicebat esse Oge-rum de Dacia [Ogier le Danois], de quo legitur in Historia Caroli Magni [...]. Hic itaque obiit hoc anno in Diocesi Nivernensi, villa quae ad sanctum Patritium dicitur, prout illic tam clerici quam laici qui viderunt, postea retulerunt. » (Ad annum 1211 ; vol. II, p. 456, éd. Leibniz, Leipzig, 1698).

    52 Guido Bonatti, Introductorius ad judicia stellarum, Augsbourg, 1491, tractat. 5, consideratio 141.

    53 « Et s’il plaist à nostre Seignor que celui qui ores a loé les autres vesquit tant en bon estat et en bone memoire que il, après lor longe vie et lor bone fin, peust loer ceaus qui ores sont et metre en haute memoire, volentiers et hautement les loereit et prisereit après lor decet : et de ce fait il bien à creire, ja n’i eust il plus d’avantage que de vivre longuement et bien, et enssi auroit il passé Jehan Boute Dieu », Livre eu forme de plait, éd. Beugnot, dans Assises de Jérusalem, Paris, 1841, t.I, p. 570.

    54 Cecco Angioleri, dans un sonnet cité par Salomone Morpurgo, L’Ebreo errante in Italia, Flo-rence, 1891, p. 9. Niccolo de ROSSI dans un sonnet contre les dirigeants de Trévise, cité par Sal. Morpurgo, ibidem, p. 9-10. Il s’agit pour Francesco Vannozo d’un mauvais repas : le digérer prendra une éternité, voir Ezio LEVI, Francesco di Vannozo, Florence, 1908, p. 359.

    55 Dante, La Divine Comédie, Trad. Alexandre Masseron, Paris, 1947, vol. I, Enfer, p. 174.

    56 « Accidit aliquando quod aliqui vixerunt secundum annos maximos Alcocoden, de quibus tempore meo non vidi nisi unum qui vocabatur Ricardus qui dicebat se fuisse in curia Caroli magni, regis Franciae et vixisse quadringentis annis. Et dicebatur tunc quod erat quidam alius qui fuerat tempore Jesu Christi et vocabatur Joannes Buttadeus, eo quod impulisset Dominum quando ducebatur ad patibulum, et ipse dixit ei : « Tu expectabis me donec venero. » Et vidi Ricardum Ravennae aera Christi millesima ducentesima vigesima tertia, et ille Joannes transivit per Forlivium vadens ad sanctum Jacobum aera Christi millesima ducentesima sexagesima septima. », Introductorius ad judicia stellarum ; cité plus haut.

    57 Sigismondo Tizio est né à Castiglione vers 1458, s’est installé à Sienne en 1482 et y est mort vers 1528 ; les faits ici cités sont, dans sa Chronique, consignés sous 1400 : « Hoc profecto libuit annotare, quoniam tempestate nostra ab antiquis civibus percepimus Johannem Buttadeum, qui olim Christum, dum ad patibulum duceretur, inhumaniter impulerat, cui a Christo fuit dictum : « Expectabis me dum venero », Senis aliquando transivisse, imaginemque ipsius ab Andrea isto, ut diximus, in angulo pictam, crucem ferentem inspexisse, seque Christo similiorem haudquaquam vidisse fuisse testatum », cité par Alessandro D’Ancona, « Le Juif Errant en Italie au xiiie siècle », Romania, t. X, 1881, p. 213.

    58 « Quae autem de Johanne Buttadeo in vulgus spargi a teneris nos etiam audivimus, fabulosa existimavimus. Verum Senae agentes, priusquam sacris initiaremur ordinibus, profitentes astrologiae disciplinam, Guidonem Bonatum forolivensem, astrologum peritissimum, in libro decimo tractatuum, qui Introductorius ad divina nuncupatur, consideratione 141, legimus hunc Johannem ponere, et anno Christi 1267 transivisse Forolivio ad S. Jacobum proficiscentem, ut quandoque ad credere adduceremur, si apud viros graves nimiae argueremur credulitatis ac simplicitatis ; in suo igitur quisque intellectu dijudicet », cité par Al. D’Ancona, ibidem

    59 « Rime inedite dei secoli xiiie xive », publ. par Tommaso Casini, Il Propugtiatore, t. XV, Bologne, 1882, p. 337.

    60 « Le Libellus de Locis Ultramarinis de Pierre de Pennis », publié par Charles Kohler, Revue de l’Orient latin, t. IX, 1902, p. 313-383 ; chap. XI « De quibusdam locis memorabilibus et sanctis existentibus infra urbem Ierusalem », p. 358-359 : « et ibi prope monstratur locus a vulgo ubi Johannes Butadium impulit Christurn dominum quando ibat ligatus ad mortem insultando dicens Domino : « Vade ultra, vade ad mortem. » Cui respondit Dominus : « Ego vado ad mortem, sed tu usque ad diem iudicii non morieris pro tua culpa. » Unde dicunt quod, propter culpam quam commisit in dominum Jhesum Christum, non morietur usque ad diem judicii. Et, ut dicunt qui-dem simplices, visus est aliquando a multis. Sed hoc non asseritur a sapientibus, quia dictus Johannes, qui corrupto nomine dicitur Johannes Butadium, sano vocabulo appellatur Johannes Devotus Domini, qui fuit scutifer Karoli magni et vixit CCX annis. »

    61 Le texte du manuscrit est cité par Gaston Paris, « Le Juif Errant » (seconde étude, 1891), op. cit., p. 198-199 ; voici la notice de H. Omont concernant ce texte dans le Catalogue des bibliothèques des départements, t. II, p. 419 : « Guide pour les pèlerins, compilé d’après Ludolf de Sudheim et Philippus, troisième quart du xive siècle ; très peu de notices originales. »

    62 Gaston Paris, op. cit., p. 196 qui cite Carolina Michaelis de Vasconcellos, « O Judeu errante em Portugal », Revista Lusitana, I, 1887-89, p. 34-45.

    63 Marcel Bataillon, « Pérégrinations espagnoles du Juif Errant », Bulletin Hispanique, vol. 43, avril-juin 1941, p. 92.

    64 Breve declaracion de los sentencias y vocablos obscuros en el libro del transito de la muerte ; cité par M. Bataillon, op. cit., p. 93-94.

    65 Salomone Morpurgo, L’Ebreo errante, op. cit., p. 45 : « Ricordo di quello mi disse Giovanni servo di Dio a di 23 di giugno 1416... »

    66 Sal. Morpurgo, ibidem, p. 9 : « uno homo detto Giovanni Votaddio, altrimenti Giovanni servo di Dio (e chosi si fa nominare) », « Un homme appelé Giovanni Votaddio, autrement Giovanni servo di Dio (et c’est ainsi qu’il se fait appeler) ».

    67 Ibidem, p. 37, « e ditemi se voi siete Giovanni Botadio ». Esso mi rispose che noi ghuastavamo el vochabolo. Io dissi : « Quai è la chagione ? » Disse : « Vuolsi dire Giovanni Batté-Iddio, cioé Gio-vanni perchosse-Iddio » (« Dites-moi si vous êtes Giovanni Bottadio. » Il me répondit que nous faussions le mot. « Comment cela ? » lui dis-je. « Il faut dire, me répondit-il, Giovanni Batté-Iddio, c’est-à-dire Giovanni frappa Dieu. »).

    68 « Dicesi che qui era quello che é chiamato Johanni Botadeo, e dixe per dispecto a Jhesu : « Va’ pur giú, che tu n’arai una tua, una ! » Rispose l’umile Jhesu : « Io andaro : tu m’aspecterai tanto che io torni. » Non ci è perdonanza. », Viaggio in Terra Santa fatto e descritto da Ser Mariano da Siena nel secolo XV (1431), Firenze, 1822, p. 29 ; cité par Sal. Morpurgo, L’Ebreo errante in Italia, op. cit., p. 7, note 2.

    69 P.B. Bagatti, « The legend of the Wandering Jew », Franciscan Studies, vol. 9, mars 1949, p. 2 : « No indulgence meant no veneration, and since the great majority of the pilgrims depended enti-rely on the Franciscans for their information about the Holy Places, we can readily understand that this omission had inflicted a mortal wound. »

    70 Relation publiée in extenso par Salomone Morpurgo, L’Ebreo errante in Italia, op. cit., p. 15-40 ; longue analyse et nombreux passages traduits dans Gaston Paris, « Le Juif Errant. Seconde étude (1891) », op. cit., p. 203-220.

    71 « uno homo detto Giovanni Votaddio, altrimenti Giovanni servo di Dio (e chosi si fa nominare) », Sal. Morpurgo, op. cit., p. 15.

    72 Gaston Paris, op. cit.. p. 209.

    73 Gaston Paris, op. cit., p. 211.

    74 Ibidem, p. 212-213.

    75 Sal. Morpurgo, op. cit., p. 37.

    76 Allusion à la croyance, largement attestée au Moyen Âge, qu’Enoch et Élie attendaient dans le paradis terrestre le jour du jugement.

    77 G. Paris, op. cit., p. 215.

    78 Ibidem, p. 216.

    79 Monastère voisin de Florence.

    80 Gaston Paris, op. cit., p. 216.

    81 Voir Gaël Milin, « De Saint-Jacques de Compostelle à Notre-Dame du Folgoët : le dossier breton d’un motif hagiographique médiéval (« Le pendu miraculeusement sauvé ») ». Annales de Bretagne, t. 101, 1994, p. 7-47.

    82 Note sur « le rire de Merlin », dans Paul Zumthor, Merlin le prophète, Lausanne, 1943, p. 45-47. C’est cette dimension de prophète qui a intéressé un contemporain d’Antonio, le florentin Sal-vestro Mannini ; dans son journal, il consigne soigneusement les prédictions politiques que lui a faites Giovanni servo di Dio, en 1416 (le 23 juin) alors qu’il était podestat à Agliana, en Toscane (« Ricordo di quello mi disse Giovanni servo di Dio, a di 23 di giugno 1416... ») : « Je lui demandai ce qui arriverait du fait de l’empereur, et il me dit que nous n’eussions pas de crainte, et que s’il passait nous le fissions passer sans encombre et que s’il voulait de notre argent nous lui en donnassions, et que nous fissions en sorte qu’il nous confirmât la possession de Pise, et que nous ne fissions de ligue avec personne contre lui ni contre d’autres, et que nous attendissions paisiblement, parce que les cieux et Dieu étaient avec nous. » (G. Paris, op. cit., p. 218 ; Salomone Morpurgo, op. cit., p. 46).

    83 Citation de M. Bataillon, « Pérégrinations espagnoles du Juif Errant », art. cité, p. 100-102.

    84 Ibidem, p. 102.

    85 Ibidem, p. 102.

    86 Ibidem, p. 105.

    87 Ibidem, p. 107-108.

    88 Ibidem, p. 116.

    89 Ibidem, p. 117.

    90 Ibidem, p. 117.

    91 Nous citons l’’éd. Conrad Dietrich Hassler, 1843-1849, 3 vol. Le chapitre qui nous intéresse (« De loco in quo fuit Domus Annae, primi judicis Domini Jesu ») va de la p. 261 à la p. 264 (t. I).

    92 « Unde Augustinus : Si cogitemus, quis acceperit alapam, nonne vellemus eum qui percussit, aut coelesti igne consumi, aut terra dehiscente consumi [...] aut aliqua hujus modi qualibet poena vel etiam graviori puniri. Quid enim horum per potentiam jubere non potuisset, per quem factus est mundus ; nisi patientiam nos maluisset docere, qua vincitur mundus. », ibidem, t. I, p. 261.

    93 « Haec autem sunt frivola mendosa contra Scripturam et Evangelium, fidei et veritati contraria, per fatuos et deceptores gyrovagos ficta, qui vagantes sub specie pietatis per loca, veritate se ingurgitare non valent, talia mendacia confingunt, et simplices homines seducunt, et nonnunquam etiam, qui videntur prudentes esse, eis attendunt et pro mendaciis dona eis conferunt », ibidem, p. 262.

    94 « Non etiam veriti recitare mendacium praedictum de illo qui dedit alapam Jesu, dicentes, se cum eo locutos fuisse, et quod non omnes peregrini ad eum admitterentur », ibidem, p. 263.

    95 « Ego dum essem in domo Annae, jocose a quodam fratre minore ductore nostro quaesivi, ubi ille vir staret qui alapam Domino Jesu dedit ? Frater autem ille ad latus ecclesiae ab extra me duxit et unam olivam ibi stantem ostendit, dicens : ecce ille est vir, de quo dicunt quod ungues digitorum ejus creverunt in terram [...] », ibidem, p. 263-264.

    96 Voir Emmanuel Neeffs, « Un voyage au xve siècle », Revue Catholique, Louvain, t. 35, 1873, p. 271.

    97 Confusion que l’on trouve aussi sous la plume d’Emmanuel Neeffs qui déclare, en présentant le texte (p. 577), qu’« ils se trouvèrent face à face avec Ahasvérus, le Juif-Errant... » Le récit de Félix Schmid rentes, dans une ville où cohabitaient catholiques, orthodoxes, chrétiens orientaux, musulmans, juifs ne manquaient pas. On peut ainsi lire dans la relation de Jan Aerts que, grâce à un firman octroyé par le Soudan au grand facteur du Portugal, il a pu visiter pendant deux heures le temple de Salomon, désormais interdit sous peine de mort à quiconque ne professe pas l’Islam. Il y a vu une partie des trente deniers de Judas, il y a vu la verge avec laquelle Moïse a fait jaillir l’eau du rocher, et, pour en revenir à Malchus, ceci qui fait allusion à une tradition originale : « Au troi-sième pilier nous découvrîmes, attachée à un clou, la main sacrilège du soldat [Malchus] qui souf-fleta Jésus dans la maison d’Anne », p. 431.

    98 E. Neeffs, « Un voyage au xve siècle », op. cit.. p. 577-579.

    99 « Audivi a quodam nobili barone, vocato Marescallus, andegavensis, quod ipsemet ab uno alio milite, hoc quod sequitur audivit », Michel Menot, Sermons choisis (1508-1518), éd. Joseph Neve, Paris, Champion, 1924, p. 186 ; vérifié sur l’éd. de Paris, 1525, fol. 163 verso et 164 recto.

    100 « unum magnum lacum plenum aqua turbida et sulplhure ; et ibi erat unus in medio qui continue cruciabatur, cuius manus sine quicte movebatur sicut rota unius molendini. Adoncques, ille dixit militi : Ecce ille maledictus Malchus qui in domo Anne dedit alapam Christo et ab illo tempore terra absorbuit eum et dixit quod ibi faciebat penitentiam », op. cit., p. 186.

    101 « Malcus en vie ensepvely jusques au nombril. » est recopié par le notaire d’Auch selon la copie qui lui aurait été donnée par un serviteur de Mgr l’archevêque d’Auch ; le récit, dont ni lui, ni l’évêque « n’assurent le contenu », a été publié à la suite du Voyage de Philippe de Voisins, par Ph. Tamizey de Larroque, Arch. hist. de La Gascogne, fasc. 3, 1883, p. 47-49. Le livret de 1623 a été publié par Emile Picot dans son compte-rendu de l’ouvrage précédent, Revue critique d’his-toire et de littérature, mars 1884, p. 222-226.

    102 Pierre Victor Cayet, Chronique septénaire de l’histoire de la paix entre les roys de France et d’Espagne, Paris, Jean Richer, 1605, p. 471, col. A.

    103 Pour le récit mis au compte de Carlo Ranzo, voir Alessandro D’Ancona, « La Leggenda dell’Ebreo Errante », Saggi di Letteratura popolare, Livorno, 1913, p. 152-153. Carolus Ranzus est connu du franciscain français Léonard de Clou, ltinerarium breve Terrae Sanctae, Florence, 1891 (son voyage date de 1668). Francisco Quaresmi, Historia theologica et moralis Terrae Sanctae elucida-tio, Venise, Antonelliani, 1882, cap. III, p. 141 col. B - p. 142 col. B ; témoignage à situer entre 1616 et 1626. Domenico Laffi, Viaggio in Levante al Santo Sepulcro di N.S.G. Cristo e altri luoghi di Terra Santa, Bologne, Pisani, 1708, chap. XXII, p. 162-167 (La 1re éd. est de 1683).

    104 Voir Jean Frappier, « Remarques sur la structure du lai. Essai de définition et de classement », La littérature narrative d’imagination, (Colloque de Strasbourg, 1959), Paris, PUF., 1961, p. 32.

    105 Léonard De Clou, op. cit., après avoir cité ses sources (« Carolus Ranzus » et « Joannes Francis-ais Alcaroti », p. 161), et brièvement analysé la légende, conclut que c’est au lecteur de juger quel crédit méritent à ses yeux ces « pieuses narrations » (« piae narrationes »).

    106 « Hanc eamdem relationem alii aliter retulerunt ; et ego qui aliquando eos fui allocutus, qui nobis haec se vidisse testati sunt, varie etiam tradiderunt, et fabellam concinnarunt, sed postea de falsitate redarguti obmutuerunt, » Francisco Quaresmi, op. cit., p. 142 B.

    107 « Alcuni Peregrini che sono stati in Gierusalemme, hanno scritto et affermano con testimonii, che si ode e si vede un’Huomo, che sta in una sala sotto terra [...]. Ma essendo stati tanti altri in Gierusalemme senza me, cosi Religiosi, come secolari, non hanno mai potuto avere cognizione di questo, or sia come si voglia lascio la verita a suo luoco », Domenico Laggi, op. cit., p. 164.

    108 Relations de Jean Zuallart, Léonard De Clou, Francisco Quaresmi, Pietro Della Valle.

    109 Dans le texte de Jean Zuallart que nous citons, on relève : « elle dit avoir entendu, par tradition de ses ancestres que c’estoyent des Juifz [...] ; et comme le reverend pere luy repliqua que ceux qui avoyent commis ce faict, estoyent les satellites de Pilate, elle respondit qu’iceux estoyent Juifz mauditz, » Jean Zuallart, Le Très dévot voyage de Jérusalem, chap. XVI, « De Lythostratos, lieu de la flagellation de Nostre Rédempteur : Palais de Pilate et Église du Spasme », p. 113. Zuallart traduit là le texte original, italien, de sa relation. Il Devotissimo viaggio di Gierusalemme, Rome, 1587.

    110 « quae piae narrationes » écrit Léonard De Clou, Itinerarium breve, op. cit., p. 162 (il associe légende de Malchus et légende des flagelleurs du Christ.).

    111 Référence au Liber de perenni cultu Terrae Sanctae de Bonifacio Stefani de Raguse, évèque de Stagna ; ce frère franciscain qui vécut à Jérusalem de 1552 à 1562, est aussi la source de Francisco Quaresmi, de J.-F. Alcaroti (cité par Léonard De Clou) ; la première éd. du Liber date de 1573 ; la légende se trouve p. 223 dans la rééd. de Venise, 1875.

    112 Frère Eugène Roger, La Terre sainte ou Description topographique des Saints Lieux et de la Terre de Promission, Paris, Bertier, 1646, p. 101.

    113 Pietro Della Valle écrit d’Alep, le 15 juin 1616 : « L’histoire imprimée à Naples que Notre Sei-gneur Andrea m’a envoyée à Constantinople, fait mention du lieu [où le Christ fut flagellé] en faisant allusion à je ne sais quel bruit de flagellation qu’on y entend : c’est un mensonge (« è bugia ») ; comme l’est aussi la fable de celui qui a donné le soufflet. » Il avait apporté l’histoire avec lui, dit-il, a fait des recherches, et n’a rien trouvé de tel ; et pourtant, ajoute-t-il perfidement, « si l’une ou l’autre histoire avait été vraie, les Turcs m’auraient montré pour quelques deniers ce qu’il y avait à voir » (« per denari mostrebbero i Turchi »), Viaggi di P. della Valle, Rome, 1662, IV, p. 282.

    114 C’est le seul argument qui amène Frère Mariano Morone da Maleo, à ne pas rejeter absolument la possibilité de cette légende ; ce franciscain, Gardien de la Terre sainte de 1652 à 1658, est pour-tant tout à fait convaincu que cette histoire ne mérite aucun crédit : voir sa Terra Santa Nuova-mente lllustrata, Piacenza, 1669, vol. I, p. 88.

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    • Carreto, Carlos F. Clamote. (2023) Arrêt sur image. Carnets. DOI: 10.4000/carnets.14626

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    Le cordonnier de Jérusalem

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    Milin, G. (1997). Chapitre I. La vengeance de Notre Seigneur. In Le cordonnier de Jérusalem (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.17107
    Milin, Gaël. « Chapitre I. La vengeance de Notre Seigneur ». In Le cordonnier de Jérusalem. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 1997. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.17107.
    Milin, Gaël. « Chapitre I. La vengeance de Notre Seigneur ». Le cordonnier de Jérusalem, Presses universitaires de Rennes, 1997, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.17107.

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    Milin, G. (1997). Le cordonnier de Jérusalem (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.17101
    Milin, Gaël. Le cordonnier de Jérusalem. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 1997. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.17101.
    Milin, Gaël. Le cordonnier de Jérusalem. Presses universitaires de Rennes, 1997, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.17101.
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