Femmes et Résistance (1943-1945) en Italie : les pratiques et leurs représentations
Antécédents et postérité d’une ambivalence
p. 175-190
Texte intégral
Les antécédents : Grande Guerre et fascisme
1La courte période de la Résistance italienne – septembre 1943-avril 1945 – se présente comme le dénouement d’une histoire beaucoup plus longue qui commença en mai 1915, comme le point culminant, donc, d’une véritable guerre de Trente Ans1.
2Or, la question des rapports entre la guerre et la place de la femme dans la société apparaît dès l’entrée du pays dans la Grande Guerre. Et elle se posa sur deux plans distincts. Celui de la sortie de la femme du foyer familial et de sa présence accrue dans l’espace public en remplacement des hommes engagés au front, d’une part. D’autre part, cette question met en exergue le rôle parfois de premier plan pris par les femmes dans les mouvements de protestation contre l’engagement militaire du pays, autant dans les milieux ouvriers que parmi les masses paysannes d’où venait l’immense majorité des soldats envoyés au front2. Dans les deux ans du biennio rosso (« les deux années rouges », 1919-1920), les femmes jouèrent également un rôle non secondaire dans l’ébullition sociale dont l’occupation des usines de l’été-automne 1920 ne fut que le moment culminant. Ce n’est donc pas un hasard si pendant ces années-là put prendre forme, entre autres, un processus aboutissant à l’adoption par la Chambre des députés élue en 1919 d’une loi octroyant le droit de vote aux femmes. Hélas, la loi ne fut jamais promulguée car entre-temps la chambre élue en 1919 fut dissoute et dans la nouvelle chambre élue en 1921 – un nombre non négligeable de députés fascistes y siégeait déjà – la loi sur le vote des femmes ne figura plus parmi ses priorités. La suite est connue : les squadre fascistes détruisirent par le fer et le feu, avant de les interdire purement et simplement par voie législative, toutes les organisations politiques, syndicales ou tout simplement de socialisation des classes populaires. Le régime auquel ces violences par en bas et par en haut frayèrent un boulevard conduisit à une régression généralisée de la société italienne dans son ensemble, dont la relégation de la femme aux rôles d’autrefois – mère et femme au foyer – fut l’un des aspects, accompagné, par ailleurs, par une législation interdisant aux femmes des professions qui leur étaient auparavant accessibles. Une place, celle de la femme, qui était, par ailleurs, strictement complémentaire à celle que le régime assignait à l’« homme nouveau » qu’il préconisait3. L’embrigadement généralisé de la société, dans la multiplicité de ses strates, fut apparemment couronné de succès, autant que l’on peut en juger par l’absence d’une quelconque opposition digne de ce nom pendant toute la durée d’une génération, même si l’absence de toute expression licite de dissension laisse ouverte la discussion sur le degré d’adhésion effective aux visées poursuivies par le régime. Toutefois, à en juger par la rapidité avec laquelle tout l’échafaudage institutionnel mis en place pendant vingt ans s’écroula comme un château de cartes dans l’espace de vingt-quatre mois devant les insuccès militaires répétés, on peut légitimement s’interroger sur la teneur de cette adhésion ; mais ce n’est pas ici le lieu pour se lancer dans cette querelle qui a déjà rempli des rayons entiers de bibliothèques4.
3Il s’agira par contre d’attirer l’attention sur le fait que le modèle de virilité guerrière que le régime avait voulu imposer au pays semble avoir déteint à son tour sur le modèle antagoniste que beaucoup d’antifascistes ont opposé au régime. Tout se passe comme si, une fois réalisé qu’ils avaient été battus sur le terrain du rapport de force physique, ce n’était que sur ce terrain qu’ils pouvaient se mesurer victorieusement avec l’adversaire. De là, le grand succès de la formule de Carlo Rosselli, lors de l’émission de novembre 1936 depuis Radio Barcelona : Oggi in Spagna domani in Italia (« aujourd’hui en Espagne demain en Italie »)5. De là aussi, une explication possible d’un des paradoxes que les travaux plus ou moins récents de Giovanni De Luna6, Noëmi Crain Merz7, Isabelle Richet8, Patrizia Gabrielli9 ont souligné au sujet de quelques personnalités marquantes de l’antifascisme non communiste, à savoir l’existence dans leur entourage de femmes remarquables par leur autonomie de pensée, leur culture, leur familiarité avec l’écriture allant de pair avec l’acceptation d’un rôle subalterne et complémentaire par rapport à leur mari ou compagnon : Marion Cave Rosselli, Ada Gobetti, Giuseppina Trentin, Vera Modigliani, Joyce Salvadori Lussu. Par ailleurs, la position de la femme dans l’échafaudage totalitaire du fascisme avait partie liée avec le rôle qu’assignait à la femme l’Église catholique et ce tout autant sur le plan de la sexuophobie10 que sur celui de l’importance stratégique de la maternité et du privilège à accorder aux murs domestiques. Sur ce dernier point, néanmoins, on n’a pas manqué de souligner que finalement les visées de l’Église et celles du régime pouvaient, à partir d’un certain moment, entrer en conflit dans la mesure où les organismes d’embrigadement spécifiquement destinés aux femmes que le régime avait fini par multiplier surtout à partir de la deuxième moitié des années 1930, faisaient sortir de plus en plus fréquemment les femmes des murs domestiques et du huis clos familial11.
La guerre au féminin : quelques volets
4Dans un essai du début des années 1990, Ernesto Galli della Loggia12 parle de la guerre de 1939-1945 comme de la première grande guerre féminine. Ce qu’il entend par là c’est que l’implication des femmes dans la guerre, aux titres les plus divers, mais surtout en tant que victimes des déportations, bombardements, et massacres, était tout à fait comparable à celle des hommes engagés dans les combats sur les différents fronts, quand elle ne la dépassait pas.
5Parmi les aspects que je viens d’évoquer de la guerre au féminin il y en a un qui a été l’objet d’un refoulement massif aux ressorts variés : la femme en tant que proie sexuelle réservée au vainqueur. Dans un livre paru au milieu des années 1990, donc en plein déferlement des guerres de l’ancienne Yougoslavie où le phénomène était redevenu d’une brûlante actualité, Anna Bravo et Anna Maria Bruzzone13 évoquent la manière très embarrassée, nourrie d’euphémismes, dont quelques-unes des femmes interviewées parlent des viols systématiques et souvent collectifs qu’elles avaient dû subir de la part des fascistes de la République de Salò. L’embarras et le recours aux euphémismes, font-elles remarquer, étaient d’autant plus fréquents que la violence était subie non pas en tant que l’un des sévices employé en rétorsion de leurs agissements de partisanes combattantes – aspect sur lequel je reviendrai plus loin en parlant justement des résistantes et de leur endurance à l’égard de la douleur physique subie – mais en tant que corps humain faisant partie légitime, en quelque sorte, des proies offertes aux vainqueurs en territoire conquis, presque comme une annexe de ce dernier.
6Dans les récits des péripéties de leurs combats de la part des anciennes résistantes – qu’elles aient été agents de liaison, ou membres actives des GAP14 ou des SAP15 – le langage employé pour rendre compte de ce qu’elles avaient subi est plus franc et explicite, comme si la levée du tabou en matière de sexualité, ne serait-ce que sur le plan langagier, était partie d’un processus d’affranchissement, pour douloureux et tourmenté qu’il ait pu être. Longtemps, ce tabou est resté, permettant d’occulter et d’enfouir dans un silence assourdissant les dizaines de milliers de viols multiples, suivies souvent des morts à la fois des femmes elles-mêmes et des personnes de sexe masculin – le plus souvent des religieux – s’étant interposées pour les protéger. Les coupables appartenaient à une partie des forces militaires relevant du corps expéditionnaire français en Italie, lors de la bataille ayant fait rage dans les mois qui ont précédé et dans celui qui a suivi la libération de Rome début juin 1944.
7Dans un article récent16, Tommaso Baris cerne, avec précision et rigueur, les tenants et aboutissants de ce silence au sujet d’un crime de guerre particulier qui toucha un très grand nombre de femmes – les chiffres avancés vont d’un minimum de 12000 à un maximum de 60000, probablement excessif mais plus proche de la réalité – et qui ne fut dépassé par son ampleur que par les viols commis par l’Armée rouge au fur et à mesure de son avancée en territoire allemand. Du côté français, plusieurs facteurs – difficiles à démêler les uns des autres – ont joué : le ressentiment envers le peuple italien en tant que tel pour le tristement célèbre « coup de poignard dans le dos » de juin 1940 qui sembla légitimer toutes sortes d’offenses à son égard, doublé d’un réflexe colonialiste amenant l’Armée française à recourir à des troupes comme les goumiers couramment utilisés au Maroc dans leur fonction de répression des révoltes locales et connues pour leur sauvagerie et brutalité, ce à quoi il faut ajouter la fierté d’avoir pu gagner des galons auprès des Alliés anglo-américains grâce au caractère décisif de la contribution française au percement de la ligne Gustav sur un territoire montagneux particulièrement âpre et difficile17.
8Quant à la place relativement modeste18 qu’occupe la question dans la mémoire italienne officielle, Baris fait valoir 1) le poids de la guerre froide dans les années 1950 et l’existence de l’Alliance atlantique qui empêchait de s’en prendre à un Allié ; 2) « le processus de reconstruction d’un sentiment masculin national valorisant », dont le héros partisan en armes était la figure prédominante. La thématique des viols obligeait au contraire à se confronter avec la défaite italienne, avec l’effondrement des institutions de l’État, et surtout avec l’incapacité attestée des hommes à défendre leurs femmes… Les auteurs de ces viols, qui plus est, n’étaient pas des ennemis (les Allemands) contre qui une communauté masculine « retrouvée » (les partisans) prenait les armes, mais au contraire des « alliés », au côté desquels on combattait pour faire renaître la nation détruite par le fascisme19.
La Résistance au féminin dans la diversité de ses composantes
9En ce qui concerne la Résistance proprement dite, l’un des plus grands écrivains de la Résistance, Beppe Fenoglio, présente ainsi les femmes combattantes lorsqu’il décrit l’entrée des partisans dans la ville d’Alba provisoirement libérée : « Avec les hommes défilèrent les partisanes en habits masculins, et là quelqu’un dans la foule présente commença à ronchonner : – Pauvre Italie ! Voici où nous en sommes – car ces filles avaient des têtes et une allure qui amenèrent tout un chacun à cligner de l’œil. La veille, les commandants, qui, à ce sujet, ne se faisaient pas d’illusions, avaient donné l’ordre qu’il n’était pas question que les partisanes quittent les collines, mais elles les avaient envoyés se faire foutre et s’étaient ruées sur la ville20. » Or, ce texte date de 1952, et il fut très mal accueilli par la presse communiste. À cette date une certaine vulgate relative à la Résistance, à ce qu’il fallait célébrer en elle et à ce qu’il fallait soit occulter soit refouler, s’était déjà consolidée. En 1949, un autre ouvrage sur la Résistance, écrit qui plus est par une femme, elle-même ancienne résistante et femme d’un résistant, s’était imposé auprès du public : L’Agnese va a morire de Renata Viganò21. La protagoniste ici n’est pas jeune, pas jolie mais elle est courageuse, protectrice, et animée par un grand esprit de sacrifice. Elle est donc beaucoup plus à même de correspondre à l’image de la femme maternelle, sérieuse, non susceptible d’induire en tentations et de briser des ménages22.
10Or, en fait, la Résistance au féminin fut importante quantitativement et très variée dans ses manifestations. Dans ce sens-là, il est vrai que, pour une période relativement longue, disons grosso modo jusqu’à la moitié des années 1970, cette importance et cette variété furent soit minimisées soit carrément occultées. Le titre, donc, d’un livre du milieu des années 1970, la Resistenza taciuta (« La Résistance silencieuse ») sonnait tout à fait juste23. Depuis, une littérature importante a vu le jour, qui a abordé le sujet à partir de registres et angles d’attaque très différents : se sont multipliés tout d’abord les écrits de genre autobiographique et ceci autant de la part de figures majeures de la résistance que de la part de figures n’ayant pas eu des responsabilités particulières et n’étant pas par ailleurs des professionnels de la plume, tout comme, ces derniers temps24, par des enfants des protagonistes féminins de cette période. De ce dernier point de vue, l’imposante collection d’écrits réunis par l’Archivio diaristico di Pieve Santo Stefano (mais aussi des institutions moins connues et plus récentes du même genre) a fourni un apport de grande importance qui n’a été exploité qu’en toute petite partie. Si cette exploration systématique et relativement ininterrompue de la Résistance au féminin a pu voir le jour depuis le milieu des années 1970, elle a trouvé son impulsion dans deux phénomènes majeurs : d’un côté un phénomène historique, propre à l’Italie, et relativement ponctuel et limité dans le temps, comme la multiplication des groupements radicaux d’extrême gauche qui entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980 se sont engagés dans la lutte armée et dans lequel le nombre de femmes était relativement important, de l’autre le développement du féminisme et, sur la lancée entre autres de celui-ci, le développement de ce qu’il est convenu d’appeler les gender studies sans lesquelles le présent volume n’aurait pas été envisageable.
11Je commencerai par aborder la question de l’importance quantitative de l’apport féminin à la Résistance en m’interrogeant sur sa signification. J’aborderai ensuite la question de la variété de formes prise par cette participation en essayant d’en dresser une sorte d’inventaire.
12Commençons par les chiffres. Prenons en considération les tableaux suivants.

Tableau 1. – Partisans et patriotes tombés.
Source [www.Storiaxxisecolo.it/Resistenza/cifre.html].

Tableau 2. – Les femmes dans la lutte partisane.
Source [www.Storiaxxiseclo.it/Resistenza/cifre.html].

* Voir plus haut pour ces deux acronymes.
Tableau 3. – Femmes dans la Résistance italienne région par région (corpus des notices biographiques de l’Associazione Nazionale Partigiani d’Italia).
Source [www.anpi.it/donne-e-uomini/].
13On remarquera en rapprochant le tableau 2 relatif aux femmes du tableau 1 relatif aux hommes que le poids spécifique des premières est loin d’être négligeable. La nature des deux documents n’est pas la même car les catégories employées tout comme la base du décompte, région par région pour les hommes, nationale pour les femmes ne sont pas identiques. Un travail spécifique relatif à la manière de travailler des commissions qui dans l’après-guerre ont reconnu l’appartenance aux différents groupes des uns et des autres, appartenance à laquelle étaient généralement attachées des récompenses plus ou moins importantes, n’existe pas, à ma connaissance. Probablement l’ensemble des chiffres devrait être revu à la baisse. Plus pour la composante féminine que pour la masculine ? On peut légitimement en douter car son poids spécifique, pour les raisons que nous avons déjà vues et pour d’autres que j’évoquerai plus loin, a été plutôt minimisé pendant longtemps. Qui plus est, dans la plupart des travaux consacrés à des groupes plus restreints de femmes, et basés sur des interviews ou bien des récits écrits circonstanciés, il apparaît qu’un nombre très important des femmes en question n’a présenté après la guerre aucune demande de reconnaissance officielle de leurs faits et gestes pendant la guerre. C’est pourquoi il est préférable de s’appuyer sur des corpus quantitativement plus restreints mais pour lesquels on dispose d’un nombre de renseignements qualitatifs assez important pour permettre quelques considérations relatives aux pratiques réelles, aux représentations, et dans certains cas, aux autoreprésentations des femmes résistantes.
14Mais avant d’en venir aux récits individuels, il convient de s’arrêter un instant sur une sorte de registre intermédiaire entre l’individuel et le sériel : le tableau 3 que j’ai élaboré moi-même avec les moyens du bord à partir d’un corpus d’à peu près 3000 notices biographiques de résistants que l’on peut lire sur le site en ligne de l’ANPI, Associazione Nazionale Partigiani d’Italia. Il n’est pas possible de savoir à partir de quels critères l’ensemble des notices a été réuni. Probablement l’aléatoire et la circulation d’informations au sein de réseaux d’anciens résistants y ont joué un grand rôle. Les femmes sont de toute évidence sous-représentées par rapport aux hommes si on les compare aux chiffres de la base nationale apparaissant sur les deux tableaux précédents. N’empêche que si l’on prête attention à leur distribution par région et par catégories tout comme au fait que la quantité d’informations que chaque notice individuelle fournit est à peu près comparable, le tableau semble refléter le déploiement de la Résistance italienne aussi bien dans l’espace que dans le temps.
15Arrêtons-nous sur l’ordre de grandeur de ces chiffres : le nombre de femmes recensées comme partisanes, agents de liaison, membres des GAP25 et/ou des SAP26, c’est-à-dire comme des femmes ayant soit utilisé soit transporté des armes est très important. Il représente 1/6 des hommes. Giovanni de Luna, dans son dernier livre, La Resistenza perfetta (La Résistance parfaite)27, le compare à juste titre avec le nombre de femmes qui avaient eu maille à partir avec le régime fasciste : entre 1926 et 1943, 748 femmes ont été incriminées devant le Tribunal spécial pour la Défense de l’État contre 15806 hommes. De ces 748 femmes, 124 seulement avaient été effectivement jugées et condamnées contre environ 5620 hommes et 145 envoyées dans des lieux de relégation contre 15000 hommes. Le fait socio-culturel d’un bouleversement majeur dans les rapports entre les femmes et l’espace public paraît donc indiscutable. En amont duquel on ne peut que rappeler les différents aspects de cette guerre féminine d’où j’étais parti.
16De cette guerre totale qui fut à l’origine de ce bouleversement, les femmes ont été à la fois victimes et agents actifs. Victimes à l’occasion de l’avancée des troupes alliées entre Naples et la Toscane méridionale au cours de l’hiver-printemps 1944, victimes à nouveau lors des innombrables massacres perpétrés par les troupes allemandes dans l’Italie centrale pendant l’été 1944, parfois tout simplement dans le cadre d’une guerre aux civils ayant pour seul but d’instaurer une sorte de terreur préventive décourageant à l’avance une initiative quelconque des populations, parfois à titre de représailles contre des actions de la Résistance qui ne sut pas toujours mesurer les risques encourus avec certaines actions ou qui en tout cas apparut, à tort ou à raison, incapable de protéger la population civile sur place, composée essentiellement de femmes, enfants et vieillards, des représailles implacables de l’occupant28.
17Mais les femmes furent aussi des agents actifs de cet arrachement violent au foyer familial dont la guerre fut à l’origine. C’est là que le petit tableau 3 que j’ai élaboré et surtout les corpus, quantitativement moins importants mais qualitativement plus riches en informations, d’interviews et d’écritures personnelles évoqués plus haut deviennent significatifs. Dans la première colonne du tableau 3, on remarquera qu’il y a une corrélation entre le nombre de partisanes femmes recensées et une trajectoire spatiale allant du sud de l’Italie vers le nord. Il n’y a aucun déterminisme ethnico-géographique là-dessus, mais une coïncidence purement fortuite, mais en sens inverse, entre les temps de la guerre mondiale et la durée de l’occupation d’une part et les temps de la naissance et de la progression du fascisme de l’autre. Autrement dit, les régions où l’affrontement entre répression du maillage associatif, syndical et multi-partisan de l’Italie préfasciste et fascisme triomphant fut le plus âpre furent aussi, à quelques rares exceptions près, celles où l’occupation allemande dura le plus longtemps et qui furent donc libérées le plus tardivement.
18C’est aussi là qu’une analyse plus fine d’un nombre de cas individuels relativement modeste nous montre une panoplie de cas de figure très riche. Cette complexité, relative à la place de la femme dans les combats de la Résistance, tout comme dans l’imaginaire de ces combattants trouve une expression, une figuration – pourrait-on dire – déjà dans les fictions de quelques grands écrivains qui furent aussi, dans leur jeunesse29, des partisans : Italo Calvino (Sentiero dei nidi di ragno et des contes plus brefs) pour la Ligurie, Beppe Fenoglio (avec presque toute son œuvre), pour le Piémont, Luigi Meneghello (I Piccoli maestri et Bau Set) pour la Vénétie. Il faudrait peut-être y ajouter le poète Giorgio Caproni toujours pour la Ligurie et Romano Bilenchi pour la Toscane, mais cela nous renverrait à une génération qui était déjà adulte au moment où la guerre éclata et compliquerait mon propos.
19Ceci dit, ce n’est pas ici le lieu pour aborder la question complexe et plus que controversée du rapport entre fiction littéraire et réalité historique. C’est pourquoi, laissant de côté l’apport, imposant et varié, de la littérature sur le sujet, dont le passage de Fenoglio cité plus haut n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres, je me limiterai ici à l’examen d’un corpus de récits autobiographiques30, d’interviews31 et de notices biographiques où il nous est donné d’appréhender l’imbrication qu’il peut y avoir entre représentations et autoreprésentations. Or, ce qui ressort de l’examen de ce corpus est la grande variété des cas de figure même si, quant à l’appartenance sociale, on remarque une nette prédominante ouvrière32. Pour le reste, si la figure de la femme agent de liaison plus que combattante l’emporte sur le plan quantitatif, le nombre des femmes ayant participé à des actions armées comme les attentats dans les grandes villes ou ayant fait partie intégrante des bandes partisanes combattant dans les montagnes (comme dans le récit de Fenoglio cité plus haut) n’est pas du tout exceptionnel. Or, cette présence des femmes dans les bandes combattantes écorne considérablement le stéréotype des « combats » féminins, censés être étrangers au maniement des armes et relevant plutôt de ce que Jacques Semelin a répertorié comme résistance civile33. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que sur le plan strictement quantitatif la résistance non armée n’a pas été la forme dominante prise par la résistance des femmes et que c’est justement cet aspect-là qui rend compte, entre autres, du fait qu’elle ait été pour longtemps ignorée par une mémoire et une historiographie exclusivement focalisées sur la dimension armée des combats résistants. Mais il faut tout de même souligner à quel point cette participation effective des femmes aux combats armés était particulièrement transgressive par rapport au modèle maternel et domestique de la femme italienne traditionnelle, ce qui expliquerait, entre autres, pourquoi la chape de plomb sous laquelle l’Italie était retombée dans les années 1950 a pu avoir raison de son souvenir avec la complicité du parti communiste lui-même, comme on a pu le constater au sujet de l’accueil réservé à la représentation que Beppe Fenoglio en avait donné. Qui plus est, cette présence féminine était d’autant plus remarquable que son caractère volontariste était certainement plus accusé que dans le cas des hommes pour lesquels l’engagement dans les bandes partisanes de montagne était motivé, entre autres, par le souci d’échapper à l’engagement forcé – sous peine d’être passé par les armes – dans l’armée de la République néofasciste de Salò.
20Parmi les nombreux volets de la pratique combattante féminine, il y en a au moins deux qui méritent tout particulièrement d’être soulignés. Sur l’un d’entre eux c’est Santo Peli, dans son livre sur les GAP34, qui s’y attarde avec de nombreux exemples : la résistance face à la torture. En Italie, comme en France d’ailleurs, le principal talon d’Achille des petits groupes de combattants urbains auxquels on doit quelques-unes des entreprises les plus audacieuses de déstabilisation de l’ennemi (attentats, sabotages, libération de prisonniers politiques, etc.) était l’incapacité de nombreux combattants à tenir devant la torture. Or, sur ce terrain, il semblerait que, contrairement à un cliché très répandu35 et malgré le fait qu’elles aient été généralement soumises à des sévices encore plus durs, y compris sexuels, les femmes se soient moins souvent donné la mort et qu’elles n’aient presque jamais mis fin aux sévices en donnant des noms et en permettant ainsi le démantèlement de réseaux entiers de combattants36.
21Un exemple particulièrement révélateur, à plusieurs égards, à la fois de l’audace de certaines femmes et de leur résilience devant les tortures les plus perverses fut celui de Tosca Bucarelli, Florentine, affectueusement appelée par ses camarades de combat la Toschina, qui a bien mérité du prénom prédestiné qu’elle portait et dont Romano Bilenchi a dressé le portrait tout en en célébrant les exploits dans un très beau conte : L’attentato. Avec un camarade, elle était censée faire exploser dans le bar élégant du centre de Florence, Paskowski (qui existe toujours), un engin destiné à tuer le plus grand nombre d’officiers allemands habitués de cet établissement. Or, une erreur de manipulation compromit l’opération tout en attirant l’attention d’un policier italien présent dans le bar. Tosca réussit à attirer sur elle l’attention en laissant ainsi le temps à son camarade de fuir et endura ensuite des journées entières de sévices en tout genre par le tristement célèbre maggiore Carità et ses acolytes en maintenant sa version des faits : à savoir qu’elle était une prostituée et qu’elle ignorait même le nom et le prénom de la personne qui se trouvait avec elle dans le bar, qui n’était qu’un client occasionnel rencontré quelques minutes auparavant sous les porches limitrophes.
22Mais des séquences analogues apparaissent également dans d’autres profils bio- ou autobiographiques37. Il est significatif que parfois dans les attendus de textes officiels accompagnant des remises de médaille d’or ou d’argent à la valeur militaire à quelques-unes de ces femmes on trouve l’emploi de l’adjectif « viril » pour mieux valoriser leur comportement devant l’ennemi. L’autre aspect qui ressort souvent est la pratique de la violence à la fois sous la simple forme d’utilisation des armes à feu, mais aussi sous la forme plus choquante et plus difficile aussi à assumer des coups portés à des personnes précises avec lesquelles on a des comptes à régler. C’est A. Bravo et A. M. Bruzzone qui font remarquer, à juste titre, que rendre compte de la violence que l’on a soi-même pratiqué est parfois aussi difficile que de nommer la violence sexuelle que l’on a subie. Elles font cette remarque au sujet d’une des leurs interviewées qui raconte avec la plus grande franchise son histoire : sage-femme, de son état, pendant toute la durée de l’occupation, dans sa maison de Turin, elle avait hébergé avec générosité et sans jamais rechigner des prisonniers, de partisans, des insoumis, mais elle avait dû subir à plusieurs reprises des incursions de la police italienne ou de la Gestapo suite à des délations de la part d’une citoyenne allemande habitant dans les parages de sa maison. Or, elle n’a aucune réticence à admettre qu’à la Libération, loin de s’adresser à la justice, elle se rendit elle-même à la maison de cette Allemande, et après avoir été tentée de la tuer se limita à bien la rosser38.
23J’ai évoqué plus haut le corpus d’interviews réunies en 1977 par Bianca Guidetti Serra. Or, les écrits successifs de cette dernière semblent tout particulièrement intéressants car l’auteure associe dans sa trajectoire personnelle, à la fois professionnelle, militante et d’écrivaine, plusieurs traits qui en font un témoin et un observateur hors pair à la fois de la pratique politique et militaire des femmes résistantes et de la manière dont on a pu l’apprécier au fil du temps. Dans sa longue vie (décédée en 2014, elle était née en 1919, la même année que Primo Levi dont, par ailleurs, elle avait été très proche dès leur jeunesse commune dans le Turin de la fin des années trente et de la promulgation des lois raciales) elle avait débuté comme assistante sociale pendant la guerre, étant ensuite un cadre communiste de la Résistante turinoise39. Elle devient après la guerre avocate pénaliste, est élue parlementaire indépendante dans la liste d’un parti de la gauche radicale dans le courant des années 1980, après avoir quitté le parti communiste en 1956. L’évolution, après 1968, d’une partie de la jeunesse italienne politisée vers la lutte armée l’amena à revenir sur les années de la guerre et à réunir en deux volumes40 une série de 48 interviews (auxquelles s’ajoutent 3 biographies de résistantes décédées racontées par des tierces personnes) réalisées avec des anciennes résistantes qu’elle avait côtoyées lors de leur combat commun pendant la guerre. Onze ans plus tard, en 1988, elle aborda, dans une revue scientifique d’histoire contemporaine41, le sujet de la place des femmes dans les épisodes de lutte armée liés au terrorisme des années de plomb à partir de son expérience d’avocate dans un certain nombre de procès et surtout en s’appuyant sur une consultation systématique des dossiers judiciaires concernant ces épisodes. Elle fait tout d’abord remarquer que, face à six cents et quelques individus de sexe masculin impliqués dans ces épisodes, en d’autres termes ayant fait le choix de la lutte armée, il y avait 206 individus de sexe féminin également impliqués, à peine moins, donc, de 25 % par rapport aux hommes. Un chiffre particulièrement élevé. Ce qui l’avait surtout frappée c’est qu’il s’agissait là d’une proportion largement supérieure à celle des femmes ayant eu recours aux armes dans la criminalité de droit commun, proportion qui, elle, avait eu tendance à plutôt baisser dans les années précédentes pour se stabiliser autour d’un relativement modeste 13 %. Pour élargir son propos Bianca Guidetti Serra aurait souhaité réunir un nombre assez conséquent de témoignages de femmes s’étant engagées, en 1943-1945, dans le Saf (Servizio ausiliario femminile), un corps paramilitaire basé sur le volontariat et officiant dans l’armée de la Repubblica di Salò sous l’autorité du parti fasciste républicain. Elle fut obligée d’y renoncer faute d’un nombre suffisant de femmes ayant répondu à son appel à témoin. Mais depuis, un certain nombre de travaux ont vu le jour mettant en évidence les contradictions auxquelles ce type d’engagement extrême de quelque six mille femmes (ce qui est loin d’être négligeable) donna lieu entre la volonté affichée de défendre le régime mussolinien en réclamant le droit de porter et utiliser les armes et la conception traditionaliste de la femme mère et vouée aux tâches domestiques que le régime avait colportée tout au long de sa trajectoire42.
24En amont de l’article que nous venons d’évoquer, Bianca Guidetti Serra avait pris part à un séminaire qui s’était tenu dans un lieu de détention turinois avec la participation d’un certain nombre d’individus, des deux sexes, qui y séjournaient suite à des condamnations à de longues peines pour faits de terrorisme. C’était pour constater que les femmes manifestaient, beaucoup plus que les hommes, leur désir de revenir avec moins de réticences sur leur rapport aux armes et à leur utilisation. Une courte note historique, sans aucune prétention scientifique, suggérait quelques rapprochements avec un certain nombre de précédents historiques (depuis l’antiquité jusqu’à la résistance italienne, justement43) de femmes en armes44. À la fin de sa vie, elle est revenue, avec l’aide de Santina Mobiglia, sur l’ensemble de son parcours à la fois de militante et d’avocate en livrant une véritable autobiographie, Bianca la rossa45, dans laquelle elle réfléchit à la fois sur sa propre expérience de résistante, sur son enquête de 1977 et sur son expérience d’avocate dans les procès pour terrorisme. Elle fait remarquer, entre autres, et ce sera là ma conclusion, qu’au sujet de la place des femmes dans la Résistance, il faudrait aussi s’interroger sur la place que la participation féminine à la Résistance a eu dans le processus d’émancipation de la femme et de son autonomie croissante par rapport aux hommes.
25Ce faisant, elle revient entre autres, sur une double constatation qu’elle avait faite lors du séminaire de la prison de Turin consacré à la lutte armée, à savoir que non seulement, comme cela a été mentionné plus haut, le poids spécifique des femmes avait été considérable mais que, dans la grande majorité de cas, le choix de s’engager dans la lutte armée avait été un choix autonome par rapport à leurs partenaires, compagnons ou conjoints masculins et que parfois il avait même été à l’origine d’une rupture avec ces derniers.
Notes de bas de page
1 L’expression « guerre de Trente ans » a été employée à plusieurs reprises dans ses écrits et ses discours par le général de Gaulle surtout pendant la guerre de 1939-1945 et au lendemain de celle-ci. Mais il est évident que ce qui était visé dans ce cas était l’affrontement entre la France et l’Allemagne en tant qu’États-nations. En Italie par contre, l’expression, qui n’a fait son apparition que tout récemment, à l’occasion du 70e anniversaire de la Libération, vise plutôt les rapports conflictuels entre une partie du peuple italien et ses dirigeants à l’occasion des deux guerres mondiales dans lesquelles il a été entraîné contre son gré.
2 Cf., à titre d’exemple, Giovanna Procacci, « La protesta delle donne delle campagne », Dalla rassegnazione alla rivolta. Mentalità e comportamenti popolari nella Grande guerra, Rome, Bulzoni, 1999, p. 207-250.
3 Sur la place des femmes dans les structures du régime, cf. notamment Victoria De Grazia, How Fascism ruled Women. Italy 1942-1945, Berkeley, University of California Press, 1992 ; version italienne : Le donne nel regime fascista, Venise, Marsilio, 1993.
4 Sur la teneur de l’adhésion populaire au régime déjà dans les années précédant l’entrée en guerre de l’Italie en juin 1940, il peut être néanmoins utile de se référer au récent Paul Corner, The Fascist Party and Popular Opinion in Mussolini’s Italy, Oxford, University Press, 2012 et, pour la version italienne comportant quelques variantes, Italia fascista. Politica e opinione popolare sotto la dittatura, Rome, Carocci, 2015.
5 Carlo Rosselli, Scritti dall’esilio, vol. II, Turin, Einaudi, 1992, p. 428.
6 Giovanni De Luna, Donne in oggetto, L’antifascismo nella società italiana 1922-1939, Turin, Bollati Boringhieri, 1995.
7 Noemi Crain Merz, L’illusione della parità. Donne e questione femminile in Giustizia e libertà e nel Partito d’azione, Milan, Franco Angeli, 2013.
8 Notamment ses travaux sur Marion Cave Rosselli.
9 Cf., entre autres, Patrizia Gabrielli, Tempio di virilità. L’antifascismo, il genere, la storia, Milan, Franco Angeli, 2008.
10 À partir de 1931 un exemplaire de l’encyclique papale Casti connubii était donné d’office aux nouveaux époux par l’officier d’état civil.
11 Cf. Victoria De Grazia, Le donne, op. cit. p. 275-309.
12 « Una guerra “femminile” ? Ipotesi sul mutamento dell’ideologia e dell’immaginario occidentali tra il 1939 e il 1945 », in Anna Bravo (dir.), Donne e uomini nelle guerre mondiali, Rome/Bari, Laterza, 1991, p. 3-27.
13 In In guerra senza armi. Storie di donne. 1940-1945, Rome/Bari, Laterza, 1995.
14 Gruppi di Azione Patriottica.
15 Squadre di Azione Patriottica. Pour les GAP comme pour les SAP, voir plus loin.
16 Tommaso Baris, « Le corps expéditionnaire français en Italie. Violence des « libérateurs » durant l’été 1944 », xxe siècle, Revue d’Histoire, n° 93, janvier-mars 2007, p. 47-61.
17 C’est dans ces termes que le général de Gaulle (in Mémoires de guerre, t. II : L’Unité, 1942-1944, Paris, Plon, 1956, p. 350 et s.) parle des exploits de l’armée française en Italie sans la moindre allusion au contentieux relatif au comportement des troupes marocaines malgré un échange de lettres qui avait eu lieu entre lui et le pape Pie XII d’un côté et le général Guillaume, responsable des troupes marocaines, de l’autre. Mais il s’agit là d’une sorte de négationnisme par défaut ou par omission. Et puis de Gaulle ne prétendait pas faire œuvre d’historien. C’était un livre écrit dans l’entre-deux d’un ancien et d’un futur acteur de la scène politique française et internationale. Le livre récent de Jean-Christophe Notin (Jean-Christophe Notin, La Campagne d’Italie [1943-1945]. Les victoires oubliées de la France, Paris, Perrin, 2002 [republié en poche à l’identique chez le même éditeur cinq ans plus tard], en revanche, laisse pantois par la désinvolture et la désinformation [apparemment l’auteur s’est lancé dans un livre de presque 800 pages en prétendant faire le point sur la campagne d’Italie de l’armée française en 1944, sans connaître un traître mot d’italien. D’où l’absence de la moindre trace des sources ou des références bibliographiques italiennes dans son appareil critique] négationniste avec lesquelles est expédié le sujet. En invoquant des arguments franchement irrecevables dont les pièces à l’appui relèvent, qui plus est, de l’extravagance).
18 Modeste mais non inexistante car la question, en plus des rumeurs qui ont couru au fil du temps, fut soulevée d’abord, en 1951, par les communistes. Elle est au centre d’un roman – La ciociara – publié par Alberto Moravia en 1957 (et traduit aussitôt en France où il connut, comme en Italie, un très grand succès attesté par des rééditions multiples) et a atteint le grand public en 1960 grâce au remarquable film de Vittorio De Sica, avec Sofia Loren et Jean-Paul Belmondo.
19 C’est justement ce statut – pour être exact non pas de véritables alliés mais au moins de cobelligérants – que la France (sous prétexte que le général de Gaulle n’avait pas été associé à la signature – le 3 septembre 1943 – de l’armistice entre le gouvernement Badoglio et les alliés anglo-américains) refusa d’accorder aux Italiens qui permettra à un certain nombre d’officiers français de couvrir, voire carrément d’encourager le comportement des goumiers marocains (envoyés par ailleurs à risquer leur vie dans les opérations militaires les plus désespérées et les plus risquées) à l’égard de femmes italiennes rencontrées sur leur passage (cf. sur ce point, Gabriella Gribaudi, Guerra totale. Tra bombe alleate e violenze naziste. Napoli e il fronte meridionale 1940-44, Turin, Bollati Boringhieri, 2005 et notamment le chapitre 10 : « Gli stupri di massa »).
20 « Fu la più selvaggia parata della storia moderna : solamente di divise ce n’era per cento carnevali… Cogli uomini sfilarono le partigiane, in abiti maschili, e qui qualcuno tra la gente cominciò a mormorare : – Ahi, povera Italia ! – perché queste ragazze avevano delle facce e un’andatura che i cittadini presero tutti a strizzare l’occhio. I comandanti, che su questo punto non si facevano illusioni, alla vigilia della calata avevano dato ordine che le partigiane restassero assolutamente sulle colline, ma quelle li avevano mandati a farsi fottere e s’erano scaraventate sulla città !!!… », Beppe Fenoglio, I ventitre giorni della città di Alba, in Gabriele Pedullà (dir.), Racconti della Resistenza, Turin, Einaudi, 2005, p. 90.
21 Renata Viganò, L’Agnese va a morire, Prefazione e note di Sebastiano Vassalli Torino, Einaudi, Letture per la scuola media, 1974 (mais 1949 pour la première édition).
22 D’après Santo Peli (in La Resistenza in Italia. Storia e critica, Torino Einaudi, 2004, p. 215-216), c’est pour ces raisons qu’à l’époque de sa première parution, Carlo Salinari et Davide Lajolo tirèrent à boulets rouges sur le livre de Fenoglio dans l’Unità, l’organe officiel du Parti communiste, le premier qualifiant le livre d’une « mauvaise action », le second l’accusant de donner un coup de main aux gens désireux de dénigrer la Résistance.
23 Anna Maria Bruzzone et Rachele Farina, La Resistenza taciuta. Dodici vite di partigiane piemontesi, Milan, La Pietra, 1976.
24 Particulièrement significatif, de ce point de vue, Elvira Pajetta, Compagni, Varese, Pietro Macchione Editore, 2015, pour la place qu’elle accorde non seulement aux faits et gestes de son père Giuliano, beaucoup plus connu, mais aussi à ceux de sa mère Claudia Banchieri en 1944-1945.
25 Gruppi di azione patriottica, créés en partie sur le modèle des FTP français à la composante MOI (Main-d’œuvre immigrée) desquels quelques-uns de leurs membres avaient appartenu avant de rentrer en Italie. Leurs membres, tous triés sur le volet, appartenaient au Parti communiste et ont été à l’origine des attentats les plus spectaculaires contre les troupes d’occupation ou contre des personnages en vue de la Repubblica Sociale Italiana (République de Salò). Ses membres se déplaçaient en permanence pour ne pas se faire repérer et respectaient la clandestinité la plus stricte.
26 Squadre di azione patriottica, comme les précédents, formés pour la plupart de communistes, mais aux effectifs plus nourris ne serait-ce que parce qu’ils n’étaient pas contraints à la clandestinité, étant actifs sur leurs lieux de travail, la plupart du temps dans les grandes usines de villes industrielles du nord, mais pas uniquement. Il y en avait par exemple en grand nombre dans les grands domaines agricoles de l’Émilie-Romagne.
27 Giovanni De Luna, La Resistenza perfetta, Milan, Feltrinelli 2015.
28 Sur les innombrables massacres perpétrés par les troupes allemandes en Italie surtout dans la période mars-septembre 1944, il existe une littérature importante nourrie à la fois par des controverses sur les responsabilités respectives des uns et des autres (relevant de celle que l’historien Giovanni Contini a appelé La memoria divisa, Milan, Rizzoli, 1997) et par de solides travaux historiographiques parmi lesquels Michele Battini et Paolo Pezzino, Guerra ai civili. Occupazione tedesca e politica del massacro. Toscana 1944, Venise, Marsilio, 1997 ; Lutz Klinkhammer, Stragi naziste in Italia, La guerra contro i civili (1943-1944) Rome, Universale Donzelli, 1997 ; M. Franzinelli, Le stragi nascoste. L’armadio della vergogna : impunità e rimozione dei crimini di guerra nazifascisti 1943-2001, Milan, Le Scie Mondadori, 2002.
29 Une seule exception parmi les écrivains-partisans : Renata Viganò (1900-1976) qui avait déjà à son actif une production poétique antérieure à la guerre et qui aurait pu être la mère, justement, de la plupart des écrivains évoqués ici.
30 Le premier dans l’ordre chronologique est celui publié, à l’occasion du trentième anniversaire de la Libération, par Anna Maria Bruzzone e Rachele Farina, La Resistenza taciuta, op. cit.
31 Dont celui publié dans les années 1990 par A. Bravo et A. M. Bruzzone (Anna Bravo et Anna Maria Bruzzone, In guerra senza armi. Storie di donne. 1940-1945, Rome/Bari, Laterza, 1995) est particulièrement riche, à la fois par le grand nombre de cas pris en considération et par la richesse des réflexions à laquelle les deux auteures se livrent.
32 Qui nous renvoie aux proportions entre les différents groupes sociaux d’appartenance des condamnés du Tribunal Spécial pour la défense de l’État tout au long de la durée du régime (hommes et femmes confondus) : 3898 ouvriers, 546 paysans, 221 membres de professions libérales, 238 commerçants, 296 employés, 164 étudiants, 37 femmes au foyer (cf. Giovanni De Luna, Donne in oggetto, op. cit., p. 17-18).
33 Jacques Semelin, Sans armes face à Hitler. La résistance civile en Europe 1939-1943, Paris, Payot, 1989.
34 Santo Peli, Storie di Gap. Terrorismo urbano e Resistenza, Turin, Einaudi, 2014.
35 Giorgio Amendola, par exemple, essaye de s’opposer au recrutement dans les GAP romain de la jeune Marisa Musu, future coorganisatrice du célèbre attentat de via Rasella, à l’origine des affreuses représailles allemandes des Fosses ardéatines, sous prétexte qu’elle ne pourrait certainement pas résister à la torture en cas d’arrestation.
36 Cf. Santo Peli, Storie di Gap. Terrorismo urbano e Resistenza, Turin, Einaudi, 2014, p. 220-225.
37 Cf., par exemple, la très belle histoire de Antizarina Cavallo vedova Gaeta, interviewée par B. Guidetti Serra, in Bianca Guidetti Serra, Compagne. Testimonianze di partecipazione politica femminile, Turin, Einaudi, 1977, vol. I, p. 221-262 tout comme celle de Elsa Oliva (Elsinki son nom de bataille) interviewée par A. M. Bruzzone et R. Farina, in La Resistenza taciuta, ad nomen. Le journal que cette dernière écrivit à chaud au lendemain de la Libération fut publié en Italie en 1970 et traduit en français en 1971 (Elsa Oliva, La partisane Elsa, Paris, Denoël/Gonthier, 1971, traduit et présenté par Fernand Rude).
38 En revanche, je ne suis pas sûr de pouvoir suivre, dans leur raisonnement, les deux auteures lorsqu’elles donnent l’exemple d’une femme ayant osé parler de la violence (sous la forme la plus extrême de torture) qu’elle aurait elle-même infligée, celui de Marguerite Duras. Cette dernière dans un des textes accompagnant La douleur (Paris, Gallimard, 2011, mais 1985 pour la première édition et 1986 pour la traduction italienne à laquelle se réfèrent nos deux auteures) et plus exactement dans celui portant comme titre « Albert des Capitales » – où il est question d’une certaine Thérèse présidant une séance de torture d’un donneur au lendemain de la Libération de Paris – fait précéder le texte du récit par une sorte de courte introduction en italique que l’on peut présumer écrite après coup et dans laquelle il est précisé ceci : Thérèse c’est moi. Celle qui torture le donneur c’est moi. Faut-il la croire ? Ou bien s’agit-il d’un exemple parmi tant d’autres d’une ruse littéraire – le clin d’œil au « Madame Bovary c’est moi » saute aux yeux – s’amusant à brouiller les pistes entre le je et la troisième personne du singulier ? Personnellement je serais plutôt enclin à opter pour la deuxième solution.
39 Nom de bataille : Nerina.
40 Bianca Guidetti Serra, Compagne, op. cit.
41 Bianca Guidetti Serra, « Donne, violenza politica, armi : un’esperienza giudiziaria », in Rivista di storia contemporanea, XVII, aprile 1988, p. 218-245.
42 Cf. Maria Fraddosio, « La donna e la guerra. Aspetti della militanza femminile nel fascismo : dalla mobilitazione civile alle lorigini del Saf nella RSI », in Storia contemporanea, n° 6, dicembre 1989, p. 1105-1181.
43 En citant quelques chiffres qui, à quelques exceptions près, reprennent ceux des tableaux présentés plus haut.
44 Quelques années plus tard Paola Di Cori reviendra à son tour (Paola Di Cori, « Partigiane, repubblichine, terroriste. Le donne armate come problema storiografico », in Gabriele Ranzato [dir.], Guerre fratricide. Le guerre civili in età contemporanea, Turin, Bollati Boringhieri, 1994, p. 304-329) sur le problème plus général du rapport des femmes à la violence, subie ou infligée.
45 Bianca Guidetti Serra, avec Santina Mobiglia, Bianca la rossa, Turin, Einaudi, 2009.
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