L’engagement des réfugié·e·s espagnol·e·s dans la Résistance en Limousin
La « secrétaire » et l’« instructeur » ?
p. 139-154
Texte intégral
Introduction
1Longtemps, la mémoire collective de la Résistance en France pendant la Seconde Guerre mondiale s’est restreinte à son aspect militaire : elle aurait été une suite de combats menés par des hommes français héroïques. Le récit, ainsi militarisé, nationalisé et masculinisé, rendait alors invisible la participation des femmes et des étrangers·ères au phénomène résistant, en même temps qu’il créait une « deuxième » Résistance qui serait hiérarchiquement moins importante alors qu’elle en est l’activité principale en termes de durée, de multiplicité des pratiques et de nombre de personnes y prenant part. En effet, la désobéissance civile1 (aussi qualifiée de « petite Résistance » par certains protagonistes) est un milieu mixte, dans lequel hommes et femmes partagent des tâches communes et équivalentes. Pourtant, elle a souvent été présentée comme une résistance féminine, passive, opposée à la lutte armée masculine ; et jusqu’à une date relativement récente, elle était souvent délaissée par l’historiographie au profit d’un récit des actes héroïques qui semble avoir tendance à « falsifier l’histoire2 ». La Résistance dans son ensemble est un milieu politique, sexué et marqué par la violence, dans lequel se construisent différentes identités (politiques, genrées, combattantes…). Les pratiques résistantes sont multiples et se développent tant face à l’occupant nazi que face aux collaborateurs français pendant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale. Malgré cela, deux groupes souffrent d’une forme d’invisibilité dans la construction de la figure du Résistant et dans un récit mythifié de la Résistance comme un phénomène à la fois viril et national : les femmes et les communautés de nationalité non française, c’est-à-dire les étrangers. C’est pourquoi cette étude s’inscrit dans une double problématique identitaire, à la fois liée au genre et à la nation.
2En 1936, le Limousin est une région rurale, avec une population peu nombreuse et vieillissante. En ce début de xxe siècle, les jeunes Limousins ont pris l’habitude d’émigrer, surtout vers la région parisienne, et la région accueille alors peu d’étrangers3. Au vu de ces éléments et de la démographie de l’époque, on peut imaginer l’impact sur les imaginaires locaux du passage de près de 11000 à 12000 réfugiés espagnols entre 1936 et 19394. Ces premiers réfugiés, essentiellement des femmes et des enfants, envoyés en Limousin pour répartir l’effort de l’accueil sur tout le territoire national, sont pour la plupart dispersés dans de nombreuses communes en petits contingents. Quelques exceptions, comme le centre d’accueil de la caserne de Magnac-Laval, en Haute-Vienne, où sont réunis près de 700 réfugiés, font vivre à ces femmes et ces enfants espagnols une expérience de regroupement forcé bien différente de la majorité de leurs compatriotes envoyés en Limousin. Après l’entrée en guerre de la France en septembre 1939, les déplacements non forcés et surtout les incorporations aux groupements de travailleurs étrangers (GTE) remodèlent la présence espagnole en Limousin en créant des concentrations d’hommes, souvent triés par nationalités, dans des territoires ruraux et isolés. En effet, sur toute la période de leur existence effective (de 1940 à 1944), 19 GTE existent en Limousin (mais tous n’existent pas pendant toute la période), ce qui représente 4700 travailleurs étrangers (TE) incorporés dans ces structures. Parmi eux, on recense près de 3500 Espagnols puisque 14 GTE sont entièrement ou à majorité composés d’Espagnols. La proportion de travailleurs espagnols parmi les incorporés est surtout très forte en Corrèze5.
3À l’heure actuelle, nous avons recensé près de cinq cents noms de probables résistants espagnols en Limousin, dont, pour l’instant, moins d’une dizaine de femmes6. Cela soulève une question : y avait-il réellement si peu de femmes résistantes espagnoles par rapport aux hommes, ou bien leurs noms sont-ils moins restés en mémoire ? Si les deux hypothèses semblent valables (et cumulables), une première explication pourrait tenir à ce que nous indiquions plus haut : seuls les combattants seraient de « vrais résistants » et donc retenus comme tels, or, on sait que les femmes ont été numériquement minoritaires dans les groupes de combat, mais plus présentes (voire majoritaires parfois) dans d’autres activités de la Résistance. Ce recensement individuel que nous menons est à mettre en parallèle avec les rares données chiffrées existantes sur les Résistants du Limousin. L’ANACR de la Corrèze7 avance l’estimation de 2000 Résistants espagnols en Limousin, dont 600 rien qu’en Corrèze, ce qui peut sembler cohérent avec la surreprésentation des Espagnols parmi les travailleurs incorporés dans les GTE de ce département. Si l’on se fie aux chiffres des combattants de la Résistance publiés par le ministère des Armées, ces 2000 Espagnols représenteraient alors un peu moins de 5,5 % des effectifs homologués8. Tous ces chiffres sont à considérer avec un recul certain, et ne permettent de donner qu’une vague image de ce qu’a été la participation des Espagnol·e·s à la Résistance en Limousin.
4C’est pourquoi, en suivant deux parcours individuels, un masculin et un féminin, nous nous proposons d’étudier quels ont été les rôles réels et fantasmés des résistants espagnols en Limousin ainsi que les identités qu’ils se sont construites en même temps qu’on les leur construisait. En effet, dans le cas des Résistant·e·s espagnol·e·s, deux mémoires se superposent mais ne sont pas agissantes de la même manière. Dans un premier temps, ils et elles ont été des combattant·e·s de la guerre d’Espagne, au début de laquelle la figure de la miliciana9, bien que minoritaire, avait acquis une popularité internationale. Pourtant, arrivés en France, et intégrés à la Résistance, cette première expérience combattante ne semble plus influencer que les parcours masculins10. Dans un deuxième temps, ils et elles sont donc des Résistant·e·s aux activités diverses mais qui ne leur sont pas toutes reconnues. Il faut se demander pourquoi, et surtout comment, le fait d’être une femme ou un homme espagnol, ayant une expérience préalable du combat, modèle l’engagement dans la Résistance et produit des identités (d’homme et de femme, de Résistant·e, de combattant·e, de militant·e…) dissemblables. Si leurs parcours diffèrent, nous chercherons surtout à comprendre comment ces rôles stéréotypés ont pu devenir une mémoire dominante de la participation des Espagnol·e·s à la Résistance en Limousin voire la seule identité attribuée aux Résistants espagnols des deux sexes.
Un parcours masculin : Miguel Lopez, l’instructeur espagnol
5Miguel Lopez, de son vrai nom Vidal de Juana Baldazo11, est l’exemple typique du résistant espagnol à la fois difficile à retrouver et omniprésent dans certaines mémoires. Difficile à retrouver car pendant longtemps il n’a été connu que sous son pseudonyme, tant dans les récits des témoins que sur les stèles et les documents officiels. Mais sous ce pseudonyme, il est omniprésent dans les mémoires locales creusoises, auréolé à la fois de gloire et de mystère, semblant être la figure emblématique du résistant espagnol en Limousin12. Eugène Odru, futur commandant FTP13 en Corrèze, rencontre Vidal en arrivant à son premier camp de réfractaires :
« J’y ai trouvé […] un petit groupe d’Espagnols dont l’un attirait tout de suite l’intérêt par l’impression qu’il donnait de calme et de force tranquille. Nous l’appelions Vidal, mais ce n’était pas son nom ; c’était, m’a-t-on dit, un ancien officier de la République espagnole. Il avait entrepris de faire notre instruction militaire ; ainsi, il nous expliquait le démontage et le fonctionnement de son pistolet Berrat et nous faisait manœuvrer dans la forêt, à l’entour du camp, pour simuler l’attaque d’un poste ennemi14. »
6Vidal de Juana Baldazo est né le 3 novembre 1903 à Cevico Navero, dans la province de Palencia, en Espagne15. Il aurait été, pendant la guerre d’Espagne, « lieutenant de l’armée républicaine espagnole et […] garde du corps du président de la République, Azaña16 », des fonctions qui sont souvent rappelées dans les récits et qui contribuent à lui donner une envergure plus importante. On sait peu de choses sur le reste de sa vie en Espagne, si ce n’est qu’il venait sûrement d’une famille aisée. On ne dispose pas d’information sur son métier17 ou son éventuel engagement politique, tant les récits ne font écho que de son passé militaire. À son arrivée en France, début 1939, il est interné, comme beaucoup d’autres hommes espagnols, au camp d’Argelès-sur-Mer ; puis s’engage en mai comme volontaire dans la Légion étrangère. Affecté au 58e régiment de francs-tireurs de Casablanca (au Maroc), il y reste pendant toute la « drôle de guerre » sans être envoyé sur le front. Rentré en France après la débâcle, il est incorporé au 420e GTE de Clocher, sur la commune de Saint-Sulpice-le-Guérétois (Creuse) en 1940. C’est là qu’il est choisi en 1941 par Pierre Sinaud, agriculteur à Nouvelours, pour travailler dans sa ferme.
7En juin 1943, après deux ans dans la ferme des Sinaud, Vidal est convoqué pour le STO18, mais il refuse de partir en Allemagne et prend le maquis avec d’autres Espagnols19. À cette occasion, il veut convaincre ses compatriotes de le suivre et Marc Parrotin, un jeune résistant de 19 ans, assiste à leurs discussions20. Il est marqué par la gravité et l’inquiétude dont Vidal faisait alors preuve : entrer en clandestinité n’était pas un acte anodin, la répression, particulièrement contre les Espagnols, était très importante. Pourquoi Vidal entre-t-il en résistance ? Existe-t-il des motivations idéologiques ? Difficile à dire. Si d’autres résistants espagnols ont clairement évoqué une poursuite logique de leur lutte contre un fascisme européen ou une volonté de se retourner ensuite contre Franco, Vidal n’a laissé aucun écrit qui permette de faire de telles hypothèses. Il semble que des événements extérieurs, tels que les lois françaises sur les réquisitions de main-d’œuvre et l’accentuation de la répression avec la menace croissante de la déportation, aient eu dans le cas de Vidal une influence importante sur sa décision. D’après les témoignages des contemporains, c’est seulement le refus du STO qui le mène à la clandestinité et donc au maquis. Pourtant, son certificat d’appartenance aux FFI21 de la Creuse22 daté de 1949 indique qu’il a servi dès le 1er janvier 1942. On peut alors s’interroger sur cette première période de janvier 1942 à juin 1943 : elle n’apparaît dans aucun des récits que nous avons pu consulter jusqu’à présent. Est-ce parce qu’il ne réalisait alors aucune opération d’ordre militaire ? Est-ce parce qu’il était un « légal23 » qui devait conserver son travail (et les apparences) ? Cette première période, absente des mémoires et des récits, a-t-elle été gommée parce qu’alors Vidal ne remplissait aucune des missions attendues d’un homme combattant de la Résistance ? On peut aussi penser qu’il s’agit d’une simplification administrative : si le groupe auquel Vidal appartenait a été homologué à partir de janvier 1942, il se peut que son certificat reprenne cette date sans aucune cohérence avec son engagement individuel et personnel24.
8Il s’installe donc dans les bois en 1943 avec d’autres réfractaires espagnols : la nuit, ils réalisent des sabotages ou attaquent les Allemands. Ils reçoivent l’appui de la population qui les ravitaille et des parachutages venus d’Angleterre. En août, il échappe à une première attaque et est condamné par contumace à quinze ans de travaux forcés, sous un nom encore différent25. L’hiver suivant, il revient avec un petit groupe de Résistants espagnols s’installer dans le grenier du couple Sinaud, qui leur laisse la porte ouverte. Ils y passent les nuits, avec leurs armes, et Vidal agit comme s’il était chez lui. Tous portent alors de faux noms mais dans le petit village tout le monde sait qui ils sont et qu’il y a un dépôt d’armes important dans une grange. Le 20 mars 1944, le village est encerclé par les GMR26 sur dénonciation. Vidal et trois autres résistants espagnols sont arrêtés à la sortie de la maison de Pierre Sinaud, appréhendé également et déporté à Buchenwald27. Blessé lors de son arrestation, Vidal est soigné à l’hôpital de Naugeat à Limoges pour être interrogé. Condamné à mort comme les trois autres Espagnols28, il est fusillé à la prison de Limoges le 19 mai 1944 et enterré au cimetière de la ville. En 1950, il reçoit le titre de « Mort pour la France » et en 1957, son corps est transféré à la nécropole nationale de Chasseneuil-sur-Bonnieure où il a une tombe individuelle sous son vrai nom suite aux démarches de son frère.
9La fille29 de l’agriculteur ayant embauché Vidal, qui avait 20 ans à l’époque, est restée très marquée par cet homme. Elle se rappelle assez peu de son aspect physique : il aurait été de taille moyenne et parlait bien le français, l’ayant probablement appris avant d’arriver en France. Elle se souvient surtout de son caractère : un gradé de l’armée, un meneur d’hommes, pas mauvais mais qui ne pardonnait pas la trahison30. Cette idée qu’il était un meneur se retrouve dans plusieurs témoignages, notamment dans ceux des jeunes hommes l’ayant côtoyé à l’époque : tandis que Vidal a quarante ans en 1943 lorsqu’il passe au maquis, la plupart des Français qui l’entourent ont à peine vingt ans. Ainsi, on peut s’interroger sur le rapport, presque filial, qu’ont pu établir ces jeunes avec Vidal, dont les faits d’armes sont rapportés dans des récits épiques, avec des formules emphatiques très marquées : « Alors Vidal, […] le courageux combattant de la guerre d’Espagne, se lève et balance des grenades qui explosent plus bas dans un fracas terrible et assourdissant. L’élan des mercenaires est brisé31. » Vidal leur apparaissait-il comme un modèle à suivre ? Pouvait-il remplir le rôle d’un père de substitution pour des jeunes de la région, réfractaires au STO et qui se retrouvaient dans la clandestinité au moment même où ils devaient se construire en tant qu’hommes adultes dans une France en crise ? Cette interrogation reste ouverte, d’autant que Vidal aurait rempli le rôle « d’instructeur compétent et sérieux32 » et est souvent présenté comme secondant le chef du groupe. Ces deux rôles sont souvent justifiés par son passé militaire lors de la guerre d’Espagne, son expérience dans la Légion n’étant, elle, jamais rappelée à la mémoire. Peut-être que Vidal lui-même n’utilisait pas cette expérience pour se positionner en tant qu’instructeur ? En effet, on sait qu’il n’a pas été envoyé sur le front, ce qui peut entrer en contradiction avec l’attitude attendue d’un combattant. Les Espagnols ont l’expérience d’une première guerre (à laquelle peut s’ajouter une expérience militante, plus théorique) et donc une formation militaire que n’ont souvent pas les très jeunes recrues de la Résistance. Cela leur donne une forme d’« autorité légitime », qui semble dans le cas présent renforcée par l’âge de Vidal. Par ailleurs, les GTE sont des concentrations d’hommes étrangers parmi lesquels on trouve des Espagnols militaires de carrière. C’était probablement le cas de Vidal : il connaissait le maniement des armes et des explosifs et apparaît plusieurs fois dans les témoignages en train de sermonner d’autres Résistants pour des imprudences ou des erreurs techniques compromettant l’utilisation des armes ou leur vie. Adrien Bouneaud, réfractaire au STO puis lieutenant FFI, rapporte plusieurs anecdotes qui montrent cet aspect : « Vidal se chargeait des rondes ; un matin, je l’entendis jurer : le canon d’une des mitraillettes avait été planté dans le sol ; plein de terre il aurait éclaté si l’on avait dû tirer… » ; « Vidal, qui veillait à tout, jura grossièrement ; en se baissant, il avait failli écraser la bombe […]. Alors, l’explosif à la main, il maudit l’inconscience, le manque de sérieux de cet acte qu’il jugea criminel33. »
10Les qualités morales de Vidal sont aussi mises en avant, mais là encore seulement si elles sont utiles au combat : « Les maquisards dont la moitié seulement était armée ne purent résister longtemps malgré leur courage et l’abnégation dont fit preuve Vidal, le républicain espagnol34. » S’il lui a finalement été reconnu le grade de lieutenant dans les FFI, aucun témoignage n’y fait allusion.
11Le groupe que dirige Vidal est exclusivement composé d’hommes espagnols, comme l’ont souhaité les chefs de la Résistance locale en demandant leur regroupement au sein d’une unité FTP-MOI35 basée à Nouvelours, où Vidal a noué des relations avec la population locale lorsqu’il était travailleur étranger détaché dans la ferme des Sinaud. Il en a également assuré le recrutement : des réfugiés issus comme lui du 420e GTE. Comme les hommes espagnols étaient réunis au sein de ce groupement de travailleurs, le recrutement uniquement masculin a été facilité. Par ailleurs, la plupart n’ont pas de famille sur place36 et n’ont que peu de liens avec les réseaux traditionnels de recrutement. Ainsi, par exemple, on ignore toujours comment Vidal est entré en contact avec la Résistance locale.
12L’omniprésence de Vidal dans les mémoires locales creusoises se vérifie encore aujourd’hui : lors de la cérémonie annuelle sur la stèle des Espagnols à La Montagne, le 23 juin 2016, et bien qu’y figurent quatre noms, seul Vidal de Juana a été nommé37.
Un parcours féminin : Neus Català, l’agent de liaison déportée
13Lorsqu’elle arrive au camp de concentration pour femmes de Ravensbrück, alors qu’elle pense qu’elle va mourir, Neus Català se remémore ainsi sa vie :
« Je me rappelais : mon enfance rebelle, ma jeunesse joyeuse, avoir organisé les JSUC, avoir été membre fondateur du PSUC38, amené à bon port les cent quatre-vingts enfants de la colonie “las Acacias” à Premià de Dalt, accompli scrupuleusement tous mes devoirs envers la Résistance française et résisté aux terribles interrogatoires sans donner de noms39. »
14Cet extrait de son témoignage montre comment la participation à la Résistance s’insérait dans la logique d’un parcours militant commencé bien plus tôt en Espagne. De même, ses écrits montrent que, pour elle, la lutte contre l’occupation allemande et la lutte contre les troupes franquistes faisaient partie d’un même combat global contre le fascisme : « Nous [les antifascistes] le savions et savions aussi que ce ne serait rien d’autre qu’une nouvelle bataille à mener contre le fascisme international40. »
15Neus Isabel Català i Palleja est née le 6 octobre 191541 à Els Guiamets, dans la province de Tarragona, en Espagne. En 1937, alors qu’elle étudie pour devenir infirmière, un groupe du PSUC vient tenir un meeting dans son village : elle part avec eux à Barcelone42. Là, elle se spécialise en chirurgie, à cause de la guerre, et adhère au PSUC, se sentant désormais trop âgée pour les Jeunesses du parti dont elle était membre à Els Guiamets. Elle accepte le poste à la colonie pour enfants de Premia de Dalt, à contrecœur, car elle souhaitait travailler dans un hôpital mais considère finalement que « c’était aussi un lieu de lutte pour aider la République43 ». On peut penser que sa première expérience d’un militantisme actif dans des organisations communistes et ce sentiment de « sacrifice44 » que ressent Neus en restant si longtemps à la colonie ont des conséquences sur son engagement futur : d’une part dans sa prise de décision personnelle, d’autre part dans les tâches qui lui sont confiées.
16Dès 1942, elle s’investit dans la Résistance et est active en Corrèze, en Dordogne et en Haute-Vienne. Neus indique ainsi :
« Une armée de femmes et d’hommes aguerris s’était formée parmi les réfugiés espagnols, qui deviendrait partout un puissant bastion de résistance au nazisme. Il n’y a eu ni combat, ni prison, ni exécution capitale, ni camp de la mort où les Espagnols, hommes et femmes, ne se soient distingués45. »
17Son certificat d’appartenance aux FFI46 daté de 1948 lui reconnaît des services au sein des FTPF dans le Groupe Roland du 31 mai 1943 au 12 novembre de la même année, date de son arrestation. Pourtant, et comme elle le signale elle-même, « les vrais débuts de la Résistance concordent peu avec les dates officielles47 ». En effet, elle a épousé le 29 décembre 1942 Albert Roger48, militant anarchiste, prisonnier de guerre libéré. Le soir même, ils hébergeaient les deux premiers combattants49 du futur maquis de Turnac50. Et avant cette date, elle aurait déjà été dénoncée deux fois à la Kommandantur S.S. de Périgueux, pour des activités « subversives51 ».
18Dans la Résistance, elle accomplit des missions très variées, comme elle le rappelle elle-même :
« Nous, les femmes espagnoles et les jeunes militantes des JSU, nous nous sommes lancées dans le combat de diverses façons. Nous n’étions pas seulement des auxiliaires, mais des combattantes actives. La vie de dizaines de maquisards dépendait quelquefois de notre esprit d’abnégation, de notre sang-froid, de notre rapidité à détecter et à localiser le danger52. »
19On constate qu’elle se définit selon de multiples appartenances : femme, de nationalité espagnole, jeune, militante, mais surtout « combattante active », un terme qu’elle utilise rarement pour se qualifier elle-même mais qui apparaît lorsqu’elle s’englobe dans un groupe.
20Avant les débuts de la Résistance organisée dans la région, elle contribue à diffuser oralement des informations : les dimanches, jour de marché, Neus, accompagnée d’une jeune réfugiée basque prénommée Julieta, parcourt les villages alentour à vélo pour alerter la population des répercussions négatives de l’armistice et convaincre les gens de ne pas collaborer avec les Allemands53. Dès lors, au fur et à mesure qu’elle apprend à connaître la région et ses habitants et qu’elle améliore son français, elle prend confiance en elle et établit le contact avec les Résistants locaux54, Français et Espagnols. Ses activités se multiplient et se diversifient. Sa maison est un point de rencontre, une boîte à lettres, un lieu de refuge et de réunions auxquelles elle participe ; s’y préparent avec elle les plans militaires et les sabotages. Sans distinction, son mari et elle accomplissent ensemble certaines missions : l’approvisionnement des maquisards, la réception et la fabrication d’explosifs, la recherche de nouveaux lieux d’accueil, de faux papiers, d’armes. Ils sont également chargés d’interroger et de contrôler les candidats au maquis. Plus tard, elle se charge des transmissions et de la distribution des consignes et participe également à l’appareil politique. Pendant cette période, elle est aussi infirmière d’urgence pour le maquis, conformément à sa formation professionnelle.
21Pour son homologation FFI, elle fournit une attestation de l’Association nationale des Anciens Francs-Tireurs et Partisans français, datée de décembre 1947, qui indique :
« S’est engagée volontairement dans les rangs des FTPF, partie intégrante des Forces françaises de l’intérieur, en mai 1943 sur la région de la Dordogne. Affectée au service de liaisons et transmissions, elle a rempli de dangereuses et périlleuses missions dans les conditions les plus difficiles. A toujours combattu avec courage et honneur55. »
22On peut s’étonner de trouver le verbe « combattre » dans une attestation qui fait référence aux activités d’agent de liaison d’une femme résistante et rédigée par un homme, militaire de carrière, le lieutenant-colonel Scolari. Est-ce une forme d’autocensure de Neus dont le témoignage a été publié près de trente ans après l’établissement du document ? Est-ce une formule générique employée à l’époque sur les attestations sans distinction de sexe56 ? Neus ne revendique pas personnellement avoir combattu, mais utilise ce verbe lorsqu’elle s’inclut dans le groupe des femmes résistantes. Ce document semble pourtant dans un premier temps coïncider avec ses souvenirs personnels :
« Comme la majorité des femmes, j’ai fait l’agent de liaison. Ce travail apparemment facile présentait cependant d’énormes dangers et demandait une grande résistance, aussi bien morale que physique, car c’est nous qui nous exposions le plus à l’ennemi et étions plus facilement soumises à la torture, en cas d’arrestation. “Nos agents de liaison, disaient nos chefs, sont sacrés, ils ne doivent effectuer aucune autre tâche.” Hum, hum… et qui faisait le reste57 ? »
23Ce « reste » dont parle Neus Català n’est pas forcément très clair. Peut-être s’agit-il des tâches considérées comme « traditionnellement féminines » et reproduites par les femmes dans le milieu militant car elles leur reviendraient « naturellement58 » : dactylographe, infirmière, intendante, cuisinière… De plus, lorsque Neus remet en cause la mémoire dominante et officielle qui limite l’action des femmes dans la Résistance aux activités classiques d’une « secrétaire », c’est toujours en utilisant la première personne du pluriel, en faisant appel à une expérience résistante partagée par les femmes.
24Par ailleurs, Neus se sert des préjugés sexistes omniprésents dans la société de l’époque59 dans ses activités résistantes : pour se donner une contenance, elle utilise la technique dite « du rendez-vous amoureux » avec ses contacts à Brive. Devant le théâtre ou dans un restaurant, le « couple » ainsi formé prenait le temps de se voir et de se transmettre les documents de façon discrète. Le paternalisme ambiant, associé à des préjugés de classe renforcés pendant la période de l’Occupation, a d’ailleurs pu être utilisé à rebours par les résistantes : une jeune fille bien habillée était insoupçonnable et pouvait transporter des documents ou des armes dans une valise ; une résistante séduisante et avenante pouvait obtenir de précieux renseignements… Neus indique ainsi que « l’astuce des femmes » c’était « qu’elles se faisaient passer pour des jeunes filles innocentes » et rappelle que « les messages étaient cachés dans leurs cheveux qu’elles roulaient60 ».
25Sa famille participe elle aussi à la Résistance. Son père, Baltasar Català, fournit les informations les plus récentes au maquis et il en est également le coiffeur bénévole. Quant à sa mère, Rosa Pallejà, elle accueille chez elle les maquisards, les soigne, les nourrit, cache des armes. Rien, dans le récit de Neus et dans les documents que nous avons pu consulter jusqu’à présent, ne nous permet de déterminer qui a rejoint la Résistance en premier et si l’un des membres de la famille y a entraîné les autres. Il en est de même pour Neus et son mari, Albert. Les raisons « affectives » souvent invoquées pour justifier l’engagement des femmes en résistance, niant ainsi l’existence d’un engagement politique féminin autonome, ne semblent pas être pertinentes ici car, même si nous avons relevé plusieurs cas de femmes espagnoles réfugiées en Limousin entrées en Résistance par le biais d’un homme de leur famille61 (époux ou frère), leurs activités ne se sont que rarement limitées à en être l’agent de liaison62. Il est cependant intéressant de noter que dans le cas de la famille de Neus, aucune autre femme n’a revendiqué son activité résistante, ni sa mère qui accueillait les maquisards à son domicile, ni sa belle-sœur qui partait à vélo sur les lieux de combat pour apporter les premiers soins : Neus, elle, les considère pourtant comme des Résistantes63.
26Arrêtée pour faits de résistance sur dénonciation en novembre 1943, Neus est emmenée à Périgueux puis à Limoges le jour même. Internée ensuite à Compiègne64, elle est déportée à Ravensbrück en janvier 1944, sous son nom d’épouse, probablement sans avoir été identifiée comme Espagnole. Elle obtient le grade d’assimilation de soldat de deuxième classe pour la période de son internement et de sa déportation (et non pour sa participation à la Résistance) et elle est considérée comme blessée de guerre. Rapatriées par les Américains avec des prisonniers de guerre, Neus et d’autres femmes déportées ont dû à nouveau faire face au sexisme ambiant, dès leur passage du Rhin :
« Nous avons été accueillies par des représentantes de la Croix-Rouge française (au comportement indigne à mes yeux). En guise de bienvenue, elles nous ont fait remarquer que si nous étions restées dans nos logis à laver les couches de nos morveux, cela ne nous serait pas arrivé65. »
27Cette remarque, qui peut sembler très dure aujourd’hui, s’inscrit cependant dans un cadre historique précis : avant la guerre, les femmes françaises étaient déjà peu émancipées et souvent réduites à une fonction domestique. Le régime de Vichy66 a renforcé cette tradition en mettant l’accent sur la jeunesse et la famille : les femmes devaient se racheter par la fécondité67 (l’avortement étant ainsi devenu un « crime contre la race » puni de la peine de mort, tout comme l’adultère d’une femme de prisonnier). Cette reconfiguration de l’identité nationale, organisée autour de la revalorisation d’une figure masculine virile et de la mise en avant d’une idéologie familialiste qui enferme les femmes dans un statut inférieur de soumission au père ou au mari, n’a pas facilité le retour des femmes déportées pour faits de Résistance qui avaient outrepassé de multiples façons leurs rôles sociaux et n’avaient pas respecté les injonctions identitaires, malgré l’inflexion qui s’observe à partir de 1945 avec l’obtention du droit de vote. On peut aussi imaginer que cette réflexion a été d’autant plus mal perçue par Neus, Espagnole et militante communiste ayant vécu la brève amélioration du statut des femmes sous la Seconde République espagnole. En effet, la Constitution de 1931 et les réformes qui en découlent permettent de modifier à la fois la place des femmes dans la société (avec notamment la reconnaissance de l’égalité juridique des sexes, l’instauration du mariage civil et égalitaire ou du divorce) et leurs possibilités d’actions et d’engagements, notamment au niveau politique, en les rendant éligibles puis électrices dès 1931, soit treize ans avant les Françaises.
28Dans son recueil de témoignages publié en 1984, Neus place en premier son propre récit, écrit a posteriori, avec un recul critique et historique. Elle indique ainsi :
« Comme tant d’autres, j’ai simplement fait mon devoir. On m’a appelée et j’ai répondu. Ou plus exactement, j’ai cherché et j’ai trouvé, puis j’ai organisé la guérilla dans la montagne68. »
29Ce type de minoration des faits accomplis allant avec une forme de modestie apparaît de façon récurrente dans les récits des femmes, alors qu’il est presqu’inexistant dans les récits des hommes. Pourtant, ici, Neus s’en détache presqu’immédiatement en s’affirmant clairement comme individu actif. Cela s’oppose au rôle de victime dans lequel ont souvent été cantonnées les femmes pendant toute la durée de la guerre, leurs quelques revendications étant soit reliées à un référent masculin (ainsi sont interprétées par exemple les manifestations pour le retour des prisonniers de guerre), soit à leur rôle de mère et de gardienne du foyer, comme dans le cas des manifestations de ménagères s’opposant au rationnement jugé drastique. Par ailleurs, l’impression de simplicité et d’évidence qui transparaît dans cette phrase est récurrente dans le discours de Neus, au point de considérer comme inutiles des explications sur la façon concrète dont elle a rejoint la Résistance et commencé à agir. Mais, le plus souvent, s’incluant dans le groupe social des femmes résistantes espagnoles, Neus met en avant d’autres femmes :
« La seule discrimination était de ne pas avoir combattu les armes à la main, même si c’était nous qui les transportions. Si nous avons rarement été au-delà du grade de lieutenant, il y a eu des femmes espagnoles que j’aurais honorées du titre de “Grand Capitaine”69. »
30En dehors du cas relativement connu de Neus Català, il nous est apparu assez difficile jusqu’ici de retracer les parcours des femmes espagnoles ayant pris part à la Résistance en Limousin. Et cela soulève des questions. Certaines pistes semblent ouvertes : comme nous venons de l’indiquer, les femmes elles-mêmes minorent la portée de leurs activités. Par ailleurs, après la guerre, rares semblent avoir été les femmes (et encore plus les Espagnoles) à avoir cherché à obtenir des titres ou de la reconnaissance ou à rejoindre les associations d’anciens combattants et résistants. Là encore, Neus Català semble faire figure d’exception puisqu’elle a effectué des démarches pour obtenir des certificats de résistance et a rejoint une association de déportées. Les quelques femmes que nous avons retrouvées semblent enfermées dans une identité d’agent de liaison et de secrétaire, excluant toute image de combattante et réduisant leur participation à la Résistance à une aide auxiliaire apportée aux hommes. Pour l’instant, la seule autre femme espagnole résistante que nous ayons retrouvée et qui ne soit pas agent de liaison était infirmière du maquis : il s’agit d’Araceli Barratini, dite « Conchita », et active en Corrèze.
Conclusion
31Ces deux individus, Résistants espagnols en Limousin, n’ont pas été choisis par hasard. D’un côté, nous trouvons Vidal, une figure masculine aux contours assez flous et qui a pourtant laissé une trace très importante dans les mémoires locales de l’est de la Creuse. De l’autre, nous avons Neus Català, une figure féminine reconnue à l’échelle européenne pour sa lutte pour la mémoire de la déportation mais effacée des mémoires locales résistantes malgré la diversité et la durée de son action. On peut se demander pourquoi une figure masculine combattante reste prégnante dans une mémoire très localisée alors qu’une figure féminine ne laisse pas de trace similaire. Plusieurs hypothèses peuvent être proposées ici. D’une part, Vidal est mort tragiquement pendant les événements, presqu’en martyr. Il n’a donc lui-même opéré aucun choix dans un récit postérieur qui aurait participé à construire une mémoire : ce sont avant tout les populations locales qui l’avaient aidé dans la clandestinité qui l’ont créée. Elles ont gardé de lui l’image du combattant héroïque, tout comme les Résistants l’ayant côtoyé et qui ont institutionnalisé cette image dans leurs récits et ouvrages de témoignage. À l’inverse, Neus Català, revenue vivante de sa déportation, a pu participer elle-même à produire la mémoire qui l’entoure. En dehors de la publication de son recueil de témoignages en 1984 et des démarches effectuées entre la fin des années 1940 et le début des années 1970 pour obtenir les certificats liés à son engagement, elle ne semble pas avoir spécifiquement porté de mémoire résistante. Installée en région parisienne à son retour de déportation puis à Barcelone, Neus n’a pas entretenu de liens avec son ancienne région de Résistance ou ses habitants, n’ayant plus de raison d’y séjourner lorsqu’elle découvre à son retour que son premier mari est mort en déportation. Un temps présidente de l’amicale de Ravensbrück, elle a porté la mémoire de sa déportation, et celle des autres femmes espagnoles, sans insister sur le parcours qui les avait amenées dans les camps d’extermination nazis. D’autre part, Vidal semble être un exemple de « héros viril » : un meneur d’hommes, détaché de tout lien familial ou amoureux, qui vit caché dans la forêt avec d’autres Espagnols et mène des actions violentes contre les Allemands en les combattant directement les armes à la main ou en utilisant des explosifs pour les sabotages. Il semble correspondre en tout point à une image préalablement construite par les Français, à travers la presse notamment, puis les récits des réfugiés, du combattant républicain de la guerre d’Espagne. Il pourrait donc incarner à lui tout seul l’engagement des Espagnols dans la Résistance en Limousin, le personnifier d’autant plus qu’il a été au bout de sa démarche, en la payant de sa vie. À l’inverse, les femmes espagnoles ne bénéficient pas de la même manière de la répercussion de leur identité de combattante dans la guerre d’Espagne sur leur image de Résistante et souffrent des injonctions identitaires imposées aux femmes françaises qui semblent rendre inimaginable toute participation aux formes armées de la Résistance.
Notes de bas de page
1 Jacques Sémelin, « Résistance civile », in François Marcot (dir.), Dictionnaire Historique de la Résistance, Résistance intérieure et France Libre, Paris, Robert Laffont, 2006, p. 691-693 : « La résistance civile prend littéralement forme dans des modes d’action non armés, politiques, juridiques, économiques et sociaux. » S’en suit une énumération des modes d’action : manifestations publiques, propagande, aide aux clandestins, sauvetage des juifs…
2 Margaret Collins Weitz, Les combattantes de l’ombre : histoire des femmes dans la Résistance 1940-1945, traduit de l’anglais par Jean-François Gallaud, Paris, Albin Michel, 1997, p. 15 : mettre l’accent sur les actes héroïques « serait revenu à falsifier l’histoire des femmes dans la Résistance. Car une partie de leur contribution a consisté à accomplir jour après jour un nombre incalculable de besognes matérielles et répétitives – de celles que, généralement, l’historiographie traditionnelle ne retient pas ». Pour une histoire novatrice qui rend compte de la complexité de l’engagement des femmes dans la Résistance, voir Catherine Lacour-Astol, Le genre de la Résistance. La Résistance féminine dans le Nord de la France, Paris, Presses de Sciences Po, 2015.
3 Vincent Brousse et Annette Marsac, « Les lieux de l’immigration ouvrière en Limousin », in Vincent Brousse et Philippe Grandcoing (dir.), Un siècle militant, Engagement(s), Résistance(s) et Mémoire(s) au xxe siècle en Limousin, Limoges, Pulim, 2005, p. 155. En 1936, il y a 8407 étrangers recensés en Limousin (dont 1040 Espagnols) pour un total de 798176 habitants. Ils sont alors essentiellement employés dans l’agriculture et les mines. En y ajoutant les données des recensements de l’INSEE de 1946, on constate que, alors que la population globale a diminué (779156 habitants), le nombre d’étrangers a lui augmenté (10619, dont 3500 Espagnols).
4 Ils sont 7000 présents en même temps sur le sol régional au plus fort de l’hébergement au début de l’année 1939. Cf. Tiphaine Catalan, Entre mémoire des lieux et lieux de mémoire, quelle place pour une histoire des Espagnols en Limousin ?, mémoire de master 2 sous la direction de Thomas Faye, université de Limoges, 2012.
5 Ibid.
6 Margaret Collins Weitz, op. cit., p. 40 : « Des étrangères (femmes originaires de l’Europe de l’Est, Belges, Espagnoles, Anglaises, Américaines et mêmes Australiennes) participèrent à la Résistance française, quoique, pour d’évidentes raisons, leur nombre ait été plus restreint. »
7 Mémorial de la Résistance et de la Déportation en Corrèze 1940-1945, [Brive], ANACR (Association nationale des anciens Combattants de la Résistance) de la Corrèze, 2015, p. 115.
8 Le bilan dressé par le général de la Barre de Nanteuil en 1974 à la demande du ministère des Armées à partir des documents individuels d’homologation des membres des réseaux et maquis reconnus comme unités combattantes met en lumière que 36620 résistants ont été homologués en Limousin sur les 39051 revendiqués par les différentes organisations. Général de la Barre De Nanteuil, Historique des unités combattantes de la Résistance (1940-1944) : Haute-Vienne, ministère des Armées, État-Major de l’Armée de terre, Service historique, château de Vincennes, 1974, 175 p. ; et général de la Barre De Nanteuil, Historique des unités combattantes de la Résistance (1940- 1944) : Corrèze, Creuse, ministère des Armées, état-major de l’Armée de terre, Service historique, château de Vincennes, 1974, 185 p.
9 La miliciana est la figure de la femme combattante, en armes, sur le front, durant la première période de la guerre d’Espagne.
10 En plus du sexisme latent dans la société française de l’époque, on peut penser que le petit nombre de femmes milicianas ait pu jouer un rôle dans cette construction. Pourtant, celui-ci n’avait pas empêché une forte médiatisation et une popularité importante, y compris en France.
11 Miguel Lopez est le pseudonyme qu’il adopte lors de son passage à la clandestinité et qui a figuré sur la stèle des quatre Espagnols arrêtés à Nouvelours le 20 mars 1944 à partir de son inauguration par la mairie du Grand-Bourg en 1978 et jusqu’en septembre 2006, date à laquelle la famille a obtenu de l’ANACR de la Creuse l’ajout de son vrai nom.
12 On pourrait ainsi s’interroger sur l’oubli, au profit de Vidal de Juana Baldazo, d’autres résistants espagnols du Limousin : son propre frère, Téogenes, ou bien les trois autres Espagnols arrêtés avec lui à Nouvelours en sont de bons exemples.
13 FTP : Francs-Tireurs et Partisans, mouvement de résistance intérieure français créé en 1942 par le Parti communiste français, très implanté en Limousin.
14 Marc Parrotin, Immigrés dans la Résistance en Creuse, Ahun, Éditions Verso, 1998, p. 36.
15 Acte de naissance de Vidal de Juana Baldazo, « Dossier Vidal », fonds privé Raoul Vaugelade. Cependant, comme pour d’autres Résistants espagnols, les date et lieu de naissance peuvent varier, ainsi, il indique 1906 lorsqu’il entre dans la Légion étrangère et parfois son lieu de naissance devient « Valencia ».
16 Marc Parrotin, Immigrés…, op. cit., p. 36.
17 Entretien avec Gabrielle Bouloir, le 30 juin 2016 à son domicile, Huviers, commune du Grand-Bourg. Elle est la fille de Pierre Sinaud, l’agriculteur qui a embauché Vidal comme TE à partir de 1941. Selon elle, Vidal n’était pas agriculteur mais il faisait ce qu’il pouvait à la ferme. Il est possible qu’il ait été militaire de carrière.
18 Service du travail obligatoire : instauré le 16 février 1943 par Laval, il ne devait au départ concerner que des Français ; mais la pénurie de volontaires et l’évasion des requis, notamment vers le maquis, pousse les autorités à compléter les contingents par des réfugiés, pris notamment dans les GTE, mais aussi dans les Centres de Séjour Surveillé.
19 Il est alors considéré comme « déserteur » du 420e GTE.
20 Marc Parrotin, Le temps du maquis, Histoire de la Résistance en Creuse, Ahun, Éditions Verso, 1981, p. 206. À ce moment-là, Marc Parrotin, jeune instituteur, est un « légal » qui travaille pour la Résistance en gardant son emploi.
21 Forces françaises de l’intérieur : nom que prennent les principales formations paramilitaires de la Résistance intérieure (Armée Secrète – AS, Organisation de résistance de l’armée – ORA et FTP) après leur fusion en février 1944.
22 Certificat d’appartenance aux FFI de la Creuse, « Dossier Vidal », fonds privé Raoul Vaugelade. On ignore sur quelles bases a été établi ce certificat précis, mais il s’agissait généralement de témoignages d’autres Résistants.
23 Les « légaux » sont des Résistants sédentaires qui gardent leur emploi et leur vie quotidienne (au moins en apparence). Ils constituent une force d’appui qui peut aider les maquisards (les « illégaux ») sur certaines actions précises ou opérations importantes. Souvent, ils sont aussi chargés du recrutement, du renseignement, du ravitaillement…
24 Ces questions appelleraient une réflexion plus générale sur la façon dont ont pu être recensés et comptabilisés a posteriori les actes et les périodes de résistance d’une part ; et sur les sources utilisées dans une telle étude d’autre part, notamment leur biais genré puisque c’est une logique militaire qui prime lors de l’établissement de ces certificats.
25 Marc Parrotin, Immigrés…, op. cit., p. 37. L’auteur, qui a lui-même des difficultés à établir la véritable identité de Vidal, indique ainsi : « Cet Espagnol, dont les juges ne connaissaient pas la véritable identité, c’était Miguel Lopez, dit Vidal. » Il est en effet condamné sous le nom de « Delgano Baldazo ».
26 Groupes Mobiles de Réserve : force de maintien de l’ordre, de type paramilitaire, créée par le gouvernement de Vichy par une loi du 23 avril 1941. À partir de la fin de l’année 1943, et particulièrement dans le Limousin, leur mission principale devient la répression des Résistants.
27 Il est rentré chez lui à la fin du mois d’août 1945.
28 Les trois autres Espagnols sont : José Fuentes, né en 1914 à Madrid ; Ramón Marco, né en 1922 à Barcelone ; Francisco Roberto, né en 1915 à Graus. Tous trois ont été exécutés le 4 avril 1944 à la prison de Limoges.
29 Entretien avec Gabrielle Bouloir, le 30 juin 2016 à son domicile, Huviers, commune du Grand-Bourg. Elle est née en 1921.
30 Quelques jours avant d’être arrêté, Vidal aurait confié à Gabrielle savoir qu’ils avaient été dénoncés et par qui et être disposé à le tuer.
31 Marc Parrotin, Le temps du maquis, op. cit., p. 159.
32 Marc Parrotin, Immigrés…, op. cit., p. 36.
33 Ibid., p. 45.
34 Ibid., p. 36.
35 Francs-Tireurs et Partisans – Main-d’œuvre immigrée (ou Mouvement ouvrier international) : d’abord organisation syndicale rattachée à la Confédération générale du travail dans les années 1920, elle devient un groupe d’organisation d’obédience communiste des Résistants étrangers pendant la Seconde Guerre mondiale, à Paris puis dans toute la France. On y retrouve une part importante d’Espagnols.
36 On sait cependant que Vidal entretenait une correspondance avec son frère et la famille de celui-ci, principalement son épouse et sa fille. Une lettre a notamment été confiée par la nièce de Vidal à Raoul Vaugelade.
37 C’est Raoul Vaugelade, président de l’ANACR de la Creuse, qui s’est chargé du discours. Il a par ailleurs lu des extraits de documents d’époque, qui, eux aussi, ne concernaient que Vidal.
38 JSUC : Joventuts Socialistes Unificades de Catalunya [Jeunesses socialistes unifiées de Catalogne]. PSUC : Partit Socialista Unificat de Catalunya [Parti socialiste unifié de Catalogne].
39 Neus Català, Ces femmes espagnoles de la Résistance à la Déportation : Témoignages vivants de Barcelone à Ravensbrück, traduit par Caroline Langlois, Paris, Éditions Tirésias, coll. « Ces oubliés de l’histoire », 1994, p. 16.
40 Ibid., p. 18.
41 On retrouve souvent la date du 15 juin : c’est celle enregistrée officiellement par sa marraine après la disparition des archives due aux dommages de guerre. Neus l’a elle-même souvent utilisée dans des documents officiels.
42 Elisenda Belenguer Mercadé, Neus Català : memoria i lluita, Barcelone, Fundacio Père Ardiaca et De Barris, 2006, p. 41.
43 Elisenda Belenguer Mercadé, op. cit., p. 43 : « Eren nens abandonat que necessitaven que els estimessin… Em vaig dexar portar pel sentiment humanitari i vaig pensar que també era un lloc de lluita per ajudar a la República ! »
44 Elisenda Belenguer Mercadé, op. cit., p. 47 : « Era el lema de totes les dones que s’havien llançat a defensar la República. »
45 Neus Català, op. cit., p. 18.
46 Ce document ainsi que les suivants sont consultables au Service historique de la Défense, au château de Vincennes, sous la cote SHD GR 16 P 111 616, qui correspond au dossier individuel d’homologation de Neus Català.
47 Neus Català, op. cit., p. 19.
48 Elle prend alors le nom de Neige Roger (Neige étant la traduction française de son prénom) et obtient la nationalité française.
49 Elisenda Belenguer Mercadé, op. cit., p. 63 : il s’agirait de deux jeunes charbonniers espagnols, convoqués pour le STO et déserteurs.
50 Ce maquis se trouvait sur la commune de Domme (Dordogne). Le 16 novembre 1943, une note des services de renseignements de Périgueux indique pouvoir confirmer « la présence, dans la région de Domme (Dordogne), d’un groupe d’une trentaine de terroristes, tous de nationalité espagnole ». AD 24, 1W1838.
51 Neus Català, op. cit., p. 18. Cette information est reprise par les deux biographes, Elisenda Belenguer Mercadé et Mar Trallero, sans qu’aucune ne cite de source complémentaire.
52 Ibid., p. 18.
53 Mar Trallero, La dona antifeixista a Europa : Neus Català, Barcelone, Mina, 2008, p. 95. Entretiens avec Neus Català, Els Guiamets, novembre 2016.
54 La façon dont le contact s’est établi reste assez floue, y compris lorsqu’on interroge directement Neus qui semble considérer que tout était évident et facile (entretiens avec Neus Català, Els Guiamets, novembre 2016).
55 SHD GR 16 P 111 616.
56 On peut s’interroger sur l’influence, d’une part, de la construction mémorielle a posteriori et, d’autre part, de l’historiographie qui ont hiérarchisé les faits de Résistance. En effet, il semble que dans l’immédiat après-guerre, et au moins pour certain·e·s Résistant·e·s, la distinction entre la résistance combattante héroïque et les autres formes de résistance n’ait pas été aussi marquée qu’elle a pu le devenir par la suite.
57 Neus Català, op. cit., p. 21.
58 Margaret Collins Weitz, op. cit., p. 82 : Agnès Humbert est la dactylographe et la secrétaire du groupe du musée de l’Homme, « le rôle lui revenait, dit-elle, tout naturellement (sous-entendu : en tant que femme) ».
59 On pourra se référer ici utilement aux travaux réunis dans le dossier consacré par le premier numéro de la revue Clio aux femmes et à la Résistance en France : « Résistances et Libérations France 1940-1945 », sous la direction de Françoise Thébaud, Clio. Femmes, Genre, Histoire, n° 1, 1995.
60 Entretiens avec Neus Català, Els Guiamets, novembre 2016.
61 Par exemple, Maria Valero, militante politique catalane, jeune veuve et mère d’une petite fille, est entrée dans la Résistance via son frère, Francisco Valero, dit « Capitaine Tito », commandant d’un groupe de Résistants près de Bellac (87).
62 Araceli Barranco, par exemple, est ainsi souvent réduite à un soutien de son mari alors même qu’elle remplissait bien plus de missions et qu’elle a continué ses activités après le décès de Luis Bueno Perez, son époux, le 22 avril 1944.
63 Entretiens avec Neus Català, Els Guiamets, novembre 2016.
64 Son dossier de déportée de la Résistance lui reconnaît une période d’internement du 12-11-1943 au 30-01-1944 à la prison de Limoges et à Compiègne ; et une période de déportation à Ravensbrück du 31-01-1944 au 19-05-1945. Elle est rapatriée le lendemain de sa libération.
65 Neus Català, op. cit., p. 52-53.
66 Francine Muel-Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin : contribution à une sociologie politique de l’ordre des corps, Paris, Seuil, 1996, 384 p.
67 Margaret Collins Weitz, op. cit., p. 58 : les femmes seraient responsables de la défaite car elles n’auraient pas fait assez d’enfants et seraient donc vaniteuses et égoïstes.
68 Neus Català, op. cit., p. 19.
69 Ibid., p. 27.
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