Chapitre 5 : La ḥawmat masǧid : son organisation et son rôle dans le fonctionnement de la ville
p. 101-124
Texte intégral
Organisation spatiale : le masǧid et ses afniya
1Si Ibn Sahl ne nous laisse aucune donnée relative aux limites de la ḥawma, il nous livre en revanche de précieuses indications sur le cœur de celle-ci, la mosquée et ses alentours immédiats (afniya). Finā' (pl. afniya) désigne un espace non construit, cour, esplanade ou place; les chercheurs qui se sont attachés à définir le contenu du terme l'ont fait en relation avec l'espace domestique : R. Brunschvig signale le concept à propos de la voirie et de la propriété privée, finā' en étant l'indispensable notion complémentaire. Il s'agit, écrit-il,
« d'un espace libre qui entoure ou longe un immeuble bâti : dans la conscience musulmane, le propriétaire de tout immeuble possède sur ledit finā' des droits d'usage privilégiés1 ».
2Ils se traduisent, dans la pratique journalière, par un droit préférentiel de stationnement, d'attache des bêtes, de chargement et de déchargement, mais signifient surtout que « la propriété de l'immeuble bâti déborde virtuellement autour de lui ». D'où la tentation d'accaparer cet espace qui borde la maison : les réponses des juristes aux empiétements sur cette bordure de la voie publique qui sert de finā' aux maisons riveraines font preuve d'une grande tolérance face à l'occupation définitive de leur finā' par des propriétaires riverains. On retrouve cette définition du finā' dans les travaux postérieurs, comme ceux de B. S. Salim ou d'A. Raymond :
« le mot de finā, qui signifie cour, espace, extension désigne, chez les juristes, l'espace additionnel qui s'étend autour d'une construction et dans les impasses, et qui est considéré par eux et par les habitants comme espace semi-privé, possédé collectivement2 ».
3De même, finā' conçu comme un espace entre rue et maison figure dans les travaux de J.-P. Van Staëvel qui le définit comme un
« espace libre, virtuel, qui entoure une propriété construite le long de ses murs, et sur lequel le propriétaire de la maison possède un droit d'usage privilégié pour attacher ses bêtes, charger ou décharger des marchandises, exercer une activité commerciale et, même, déposer ses ordures ou placer ses latrines3 ».
4La recherche a donc établi un lien étroit entre finā' et maison, laissant dans l'ombre les relations entre finā' et mosquée : or, celles-ci sont très fortes, si l'on veut bien se souvenir de la tradition relative à la fondation de la mosquée de Médine. Elle rapporte comment le Prophète arrive à Médine monté sur un chameau : l'animal s'arrête sur le finā' d'Abū Ayyūb, où Mu-ḥammad fait la prière et ordonne de bâtir à cet endroit même la mosquée4.
5Par ailleurs, les travaux qui s'attachent aux places dans les villes d'al-Andalus les évoquent comme des rihāb (sing. raḥba) : c'est le terme qui figure dans l'article que L. Torres Balbás a consacré, en 1957, aux places, marchés et boutiques dans les villes d'al-Andalus, et c'est celui qui revient dans l'ouvrage de J. Zanón Bayón sur la Cordoue almohade5. Les données qui figurent chez Ibn Sahl sur les afniya des mosquées apparaissent comme d'autant plus précieuses que l'une des rares informations concernant la place qui jouxte la mosquée est l'affirmation, assez abrupte, de L. Torres Balbás selon laquelle « auprès des mosquées, l'existence d'une place est obligatoire» : elle est illustrée, à partir d'informations extraites de la documentation chrétienne, par les cas des grandes-mosquées de Cordoue, de Séville, de Valence et de Grenade6. Et c'est en cela aussi que les données qu'Ibn Sahl nous livre sur les afniya des mosquées sont infiniment précieuses : elles mettent cette fois-ci en scène non seulement la grande-mosquée (ǧāmi), mais aussi et surtout la mosquée de quartier (masǧid).
6Masǧid, nom de lieu de saǧada, se prosterner, désigne le lieu où l'on se prosterne dans l'exercice du culte et, à l'origine, le terme a le sens général de sanctuaire, avant de désigner l'édifice consacré au culte musulman7 ; mezquita sert d'intermédiaire entre le terme arabe et le vocabulaire de bien des langues européennes, mosquée, mosque, Moschee, moschea8. La distinction entre grande-mosquée (masǧid ǧāmi) et mosquée de quartier (masǧid) vient du fait que la prière du vendredi, précédée de la ḫuṭba, harangue de caractère politico-religieux, doit rassembler l'ensemble de la umma : dans les premiers temps de l'Islam, toutes les parties du camp musulman qui s'en tiennent à leurs mosquées particulières les autres jours se réunissent dans la mosquée principale le vendredi. Cette mosquée se distingue donc rapidement des autres par ses dimensions, mais aussi par sa forme et ses fonctions : la ḫuṭba, qui y est prononcée au nom du souverain et pour lui, implique la présence du minbar, chaire à degrés sur laquelle monte le ḫaṭība; l'inséparable union entre la religion et le politique en terre d'Islam fait ainsi de la grande-mosquée l'espace où s'affiche le pouvoir de la dynastie et le siège de la puissance temporelle et spirituelle du souverain. Il conviendra donc d'évoquer successivement la mosquée principale de Cordoue et les oratoires de quartier. Mais il faut auparavant signaler que les mosquées apparaissent comme l'un des aspects de l'urbanisme les moins bien connus de la ville d'al-Andalus, surtout si l'on compare l'état de nos connaissances relatives aux sanctuaires avec celui concernant les structures fortifiées de la ville ou même ses bains : certes, les transformations subies par les oratoires au moment où la ville quitte la dār al-islām y sont pour quelque chose et l'on s'est déjà à plusieurs reprises penché sur cette conversion des mosquées en églises9. Toutefois, à l'exception de quelques travaux de synthèse consacrés à un aspect particulier de la mosquée, le mihrāb, la qibla10, les études sur les mosquées d'al-Andalus restent dispersées; par ailleurs, les travaux n'ont guère quitté le domaine de l'histoire de l'art et, de ce fait, ne se sont pas attachés à la place des mosquées dans l'espace urbain et encore moins à leur rôle dans le fonctionnement de la ville11.
7L'histoire de la grande-mosquée de Cordoue, et en particulier celle de ses agrandissements successifs, est bien connue12 : le bâtiment que connaît Ibn Sahl forme un quadrilatère d'environ 180 m sur 130 m, les deux tiers de l'espace étant occupés par la salle de prière, le dernier par la cour (ṣaḥn) complantée d'orangers (fig. 7). La mosquée primitive, celle que fonde 'Abd al-Raḥmān ie en 786/170, est un sanctuaire aux proportions somme toute modestes, de neuf nefs; son successeur Hišām le, y installe des galeries destinées aux femmes et un minaret pour l'appel à la prière. Al-Hakam ie ne modifie pas le bâtiment; en revanche, 'Abd al-Raḥmān II agrandit par deux fois l'édifice, en largeur en 833/218, par l'ajout de deux nefs, en longueur en 848/234, par le déplacement du miḥrāb vers le sud. A partir de Muḥammad ie, tous les Omeyyades posent leur marque sur l'édifice : Muḥammad ie, y installe une maqṣūra, loge de bois travaillée réservée à son usage personnel, al-Munḏir y fait placer le trésor des fondations pieuses dans une dépendance et restaurer le bassin aux ablutions et les galeries, 'Abd Allāh y fait construire le passage vers l'Alcazar. La grande-mosquée doit à 'Abd al-Raḥmān III un nouveau minaret, la consolidation de la façade septentrionale de la salle de prière, et à al-Hakam II une nouvelle extension de l'édifice vers le sud et le riche décor de mosaïques et de panneaux de marbre du nouveau miḥrāb. C'est au ḥāǧib al-Manṣūr que la grande-mosquée doit son dernier agrandissement, huit nouvelles nefs édifiées à l'est du bâtiment, dans lesquelles C. Ewert voit un acte de soumission à la dynastie omeyyade et une tentative pour échapper à toute accusation d'usurpation : l'agrandissement d'al- Manṣūr embrasse toute la profondeur des extensions antérieures, celles des Omeyyades, il renonce à un nouveau miḥrāb et à une nouvelle nef centrale et s'efforce au contraire d'établir une relation étroite avec les structures préexistantes13. La grande-mosquée de Cordoue apparaît bien, non seulement pour sa ville mais aussi pour tout al-Andalus et même pour l'ensemble de l'Occident musulman, comme un édifice à part : son architecture, en particulier la richesse de son miḥrāb, ses dimensions qui en font la plus grande mosquée de l'Occident, tout concorde pour en faire avant tout un espace du pouvoir, celui des Omeyyades.
8Et dans l'œuvre d'Ibn Sahl, l'allusion faite aux alentours de la grande-mosquée participe de cette conception d'un édifice à part des autres : c'est ce qui ressort d'une consultation des mušāwarūn de Cordoue effectuée par Ibn Sahl lui-même, en juillet-août 1064, alors qu'il se trouve à Tolède, exerçant les fonctions de secrétaire du cadi de la ville14. Il demande s'il est licite d'appuyer des constructions (bunyān) sur les murs des mosquées et Ibn 'Attāb formule sa réponse en distinguant le cas du masǧid de celui du ǧāmi' : dans le cas d'une grande-mosquée, il ne faut pas y adosser ('aliqa) de boutiques (ḥawānīt) ; le finā' de la grande-mosquée doit en effet servir à la prière lorsque l'édifice devient exigu15 et pour les bêtes de somme de ceux qui viennent prier. En dehors de cette allusion au finā' de la grande-mosquée, qui ne peut être utilisé comme le finā' d'un oratoire de quartier, Ibn Sahl ne fournit aucune indication sur la ḥawmat al-ǧāmi' : on sait qu'elle existe, mais on ignore tout de son mode d'organisation; la présence de l'Alcazar et de l'Omeyyade laissent toutefois supposer qu'elle fonctionne sur un mode sensiblement différent de la ḥawmat masǧid fulān qui peut, elle, être définie comme l'espace de sociabilité de ceux qui vivent dans le voisinage de l'oratoire.
9Pour redonner à cet espace de sociabilité son visage, il n'est pas inutile de rappeler sous quels traits il se manifeste dans le paysage urbain. Au cœur de la ḥawma, en son centre symbolique, c'est-à-dire là où ses forces sont concentrées et d'où elles rayonnent, se trouve la mosquée, modeste oratoire de quartier, dont il reste aujourd'hui des vestiges pour quatre édifices 16 : San Juan, Santiago, Santa Clara et Fontanar (fig. 8). Des trois premiers, seul est conservé le minaret, transformé en clocher. Celui de l'église San Juan, ou du Sagrado Corazón, est une tour de plan carré, de 3,70 m de côté et d'environ 10 m de haut; à l'intérieur, un escalier en colimaçon s'enroule autour d'un noyau central rond : ce minaret, décoré d'ouvertures jumelées surmontées d'une frise d'ouvertures arquées, est considéré comme appartenant à la fin de la période émirale17. Cette mosquée se trouve à un peu plus de 400 m au nord de la grande-mosquée, à l'écart du grand axe nord-sud qui traverse Cordoue, sur une placette formée par le carrefour de quatre rues. L'église de Santiago, dans l'Ajerquia, conserve également un minaret, de plan carré, considéré comme d'époque califale : l'édifice se trouve à l'angle des actuelles rues Briceño et Moreno; la rue Moreno, artère importante de l'Ajerquia, permet de la traverser dans sa partie méridionale et de gagner la porte située au sud-est de la muraille. La mosquée convertie en église du couvent de Santa Clara est aussi appelée mosquée de la rue Rey Heredia ; elle se trouve à quelque 200 m au nord-est de la grande-mosquée, à l'angle de deux rues et au bord d'une artère qui dessert les souks avant de passer la muraille de la médina par la Porte de Saragosse. Edifiée au temps d'al- Manṣūr sans doute18, elle dessine un rectangle de 17 m sur 33,20 m et elle conserve aujourd'hui encore son minaret, sobre tour carrée d'environ 4,30 m de côté, située dans l'angle nord du bâtiment et au-dessus du carrefour entre les actuelles rue Rey Heredia et rue Osio (fig. 9). Si le périmètre muré de l'édifice a été respecté, en revanche la salle de prière a été fortement remaniée et son plan reconstitué par l'architecte V. Escribano Ucelay : il se trouvait là, selon lui, un espace couvert large de 17 m et profond de 19,20 m, divisé en trois nefs, la médiane étant plus large que les latérales; les nefs, prolongées vers le ṣaḥn, formaient deux portiques latéraux, et sous chacun d'eux s'ouvrait une porte19 La mosquée de Fontanar, mise au jour par la fouille dans la zone d'expansion occidentale de Cordoue, est sans conteste l'oratoire de quartier le mieux connu : elle se trouve dans un tissu urbain organisé autour de voies de circulation orthogonales; neuf rues ont pu être documentées et l'une d'elles, la n°5, qui est l'un des principaux axes médina-faubourgs, met en relation les deux espaces publics de la zone fouillée, une place de belles dimensions, d'un peu plus de 1500 m2, et la mosquée20 (fig. 10). Le bâtiment, de forme rectangulaire, aux dimensions maximales de 49,48 m sur 21,92 m, est entouré sur chacun de ses côtés par une rue ; celle qui se trouve au sud-est est plus large que les autres et mène vers la place : cette grande rue, la rue n°5, mesure plus de onze mètres de large, tandis que la rue qui borde l'édifice au nord-ouest a une largeur de cinq mètres (fig. 11). La salle de prière mesure 18,27 m sur 18,41 m et elle est formée de trois nefs perpendiculaires à la qib1a, la nef centrale étant plus large que les autres21; la cour, de 24,9 m sur 18,27 m, est dotée d'un portique, parallèle au mur nord-occidental de la mosquée. Dans l'angle septentrional de l'édifice, se dresse le minaret, de plan carré (4,18 m x 4,24 m). Les trois murs qui ferment la cour vers les rues sont chacun percés d'une porte : la mosquée se trouve ainsi ouverte sur trois des voies de communication qui l'entourent. La mosquée de Fontanar s'inscrit dans l'école cordouane, dont L. Golvin a défini les traits caractéristiques; il s'agit d'un édifice d'époque califale, qu'il faut chronologiquement situer entre la mosquée de Madīnat al-Zahrā' et l'agrandissement de la grande-mosquée de Cordoue par al-Manṣūr22.
10Quels traits caractérisent donc l'édifice qui est le cœur de la ḥawma, tel que nous le connaissons aujourd'hui ? Des dimensions relativement modestes qui n'excluent d'ailleurs pas, dans le décor du minaret, une certaine richesse de la construction : la mosquée de quartier à trois nefs fait figure de très petit édifice par rapport à la grande-mosquée cordouane, dont on a rappelé le caractère exceptionnel pour la ville et pour l'ensemble de l'Occident musulman ; en revanche, il ne faut pas oublier que, dans certains chefs-lieux de cora à l'époque omeyyade, la grande-mosquée n'est qu'une mosquée à trois nefs : c'est le cas, par exemple, de la mosquée de Cabra; c'est le cas, aussi, de la mosquée d'Almeria à la fin du xe siècle, soit l'édifice dans son état premier, avant qu'il ne devienne la mosquée à sept nefs du siècle suivant. Autre trait du masǧid de quartier, son emplacement : au bord d'une artère de la ville, à un carrefour ou sur une placette, l'édifice est aisément accessible, comme en témoigne l'inscription de ses vestiges dans l'espace urbain ou comme l'atteste dans les Aḥkām la mention d'un masǧid, celui du cimetière de la tour, placé sur la sikka a1-'uzmā ; cœur symbolique de la ḥawma, la mosquée se trouve en poste avancé sur la rue et apparaît comme la figure de proue du quartier. Enfin, il faut voir dans les espaces libres qui avoisinent la construction, rues et places, les afniya de la mosquée, sur lesquels les gens de la ḥawma disposent de droits d'usage privilégiés.
Le masǧid et ses afniya : l'espace de sociabilité du quartier
11Que représentent alors le masǧid et ses afniya pour les habitants du quartier23 ? C'est, avant tout bien entendu, le lieu de la foi : se rendre à la mosquée constitue une œuvre méritoire, celui qui s'y rend obtient le pardon de ses fautes et gagne la protection d'Allāh lors du jugement dernier. Les cinq prières quotidiennes de l'aube, de midi, de l'après-midi, du coucher du soleil et du soir, qui peuvent être faites partout, exception faite de celle du vendredi midi, prennent une valeur particulière si elles sont accomplies à la mosquée, car la mosquée exprime l'adhésion à la communauté des fidèles; une ṣalāt al-ǧāmā' a vaut, dit-on, 20 à 25 fois plus que la ṣalāt d'un isolé dans sa maison ou sa boutique et certains ḥadīṯs blâment même les prières privées24. D'où cette affaire sur la prière dans les souks, à propos de laquelle Ibn 'Attāb est consulté : un individu se met à faire la prière de midi et celle de l'après-midi dans le souk et il incite ceux qui se trouvent dans les boutiques à le suivre, alors que, non loin de là, se trouvent trois mosquées pourvues d'un imām; or, ceux qui font la prière dans le souk ne fréquentent plus les mosquées. Ibn 'Attāb répond que cela est illicite et que ces personnes doivent prier dans les mosquées et non dans les boutiques, réponse approuvée par Ibn Sahl25. L'affaire du muezzin trop matinal qui monte sur le toit de la mosquée pour y lancer l'appel à la prière rappelle aussi que l'oratoire de quartier est avant tout le lieu de la foi pour les gens de la ḥawm26 Des autres activités religieuses qui se tiennent dans les mosquées, la récitation du Coran, les fêtes du mois de ramaḍān par exemple, il n'est pas question dans les Aḥkām et l'affaire qu'Ibn Sahl tire du recueil d'Ibn Ziyāḍ, à propos de l'enseignement dispensé par les ulémas le vendredi, concerne la grande-mosquée : si Ibn Ziyāḍ permettait qu'on s'y assoit en cercle pour donner des fatāwā ou traiter de questions relatives à la science religieuse ( 'ilm), Ibn Sahl nuance l'opinion de son prédécesseur et s'oppose à cette pratique dans certaines circonstances27. Et la réunion, sous l'égide du souverain de la taifa cordouane, des fuqahā', des juges et des gens (nās) dans une mosquée de quartier, celle d'Ibn 'Attāb, a un caractère tout à fait exceptionnel, lié à l'affaire criminelle en cours d'instruction, l'assassinat d'al-Ṭubnī28.
12Le masǧid et ses afniya représentent également le cœur économique de la ḥawma, par leurs activités économiques et par les fonds qui leur sont liés. On sait bien qu'à l'époque médiévale, du Maġrib au Mašriq, la mosquée ne perd jamais sa nature de lieu public de réunion et qu'on s'y rend dans d'autres buts que celui d'honorer la divinité; à l'époque omeyyade, on conclut des affaires dans la mosquée et, à Kairouan au xie siècle, on fait sécher dans la cour de la mosquée de l'orge verte et des figues et on y étend du linge29. Au début du xiie siècle à Séville, les mosquées servent toujours « pour des discussions en matière d'impôts, des procès [et] toute affaire d'objet mondain », ainsi que de local pour l'instruction des enfants30. Au xive siècle encore, l'Egyptien Ibn al-Ḥāǧǧ se plaint de ce qu'on fait du commerce dans la mosquée, que les femmes y vendent du fil et que les courtiers y vantent leurs marchandises à voix haute, bref qu'on s'y croirait dans un marché. Dans la Cordoue d'Ibn Sahl, c'est autour de la mosquée de quartier que se trouvent des espaces destinés, de façon permanente mais aussi temporaire, au commerce de détail des produits d'usage courant. Une fatwā du Cordouan Ibn Zarb (m. 991/381), compilée par al-Wansǎrīsī, évoque clairement cette association topographique entre masǧid et suwayqa (petit marché, marché de quartier) : sur l'ordre du mufti, un bâtiment est annexé à « la mosquée dite masǧid a1-Sīra ( ?), près de Suwaydat (sic) a1-Yarbū' (petit marché de la gerboise), ou non loin de là31 ». Ces lieux de transaction se distinguent de la zone commerçante de la ville, où l'on se livre en outre au commerce d'objets de luxe, de produits spécialisés ou d'usage moins courant32. Au début du xe siècle, c'est dans les éventaires de la mosquée (dakākīn a1-masǧid) d'al-Šifā'33 qu'on vient s'approvisionner en céréales (zar), en bois de chauffage (ḥaṭaba) et en légumes (buqūl)34 : ces dakākīn sont des banquettes aménagées sur les faces extérieures des murs des mosquées, sur lesquelles les marchands installent des éventaires et peut-être même de petites échoppes35. Deux siècles plus tard, à Séville, Ibn 'Abdūn prescrit au responsable des marchés de rendre à ces banquettes leur fonction cultuelle :
« certaines personnes installent sur les banquettes du mur extérieur de la mosquée des éventaires et des boutiques sur lesquels finit par s'exercer comme un droit de propriété : cela doit être interdit par le cadi, pareilles installations empêchant des fidèles de faire leur prière sur ces banquettes36 ».
13Le finā' de la mosquée sert également aux échanges : c'est au sud de la mosquée d'al-Šifā' qu'est situé son finā', où sont parquées les brebis pour la traité. L’approvisionnement des états en marchandises et le parces des ovins, avec leurs déjections et la poussière qu'ils soulèvent, souillent la mosquée et causent à l'édifice une nuisance à laquelle le cadi doit remédier37 : on retrouve ce problème à Séville au début du xiie siècle, où Ibn 'Abdūn rappelle au responsable des marchés qu'il
« doit interdire qu'on laisse stationner quelque bête de somme sur le parvis de la mosquée, car sa fiente ou son urine pourraient mettre les gens en état d'impureté38 ».
14L'existence de véritables boutiques cette fois, appartenant à une mosquée en tant que bien habou, est attestée dans un document du début du xe siècle, concernant la mosquée du cimetière de la tour39 ; les précisions apportées à propos de l'ouverture d'une porte dans le bâtiment indiquent que l'échoppe est adossée à la mosquée, l'ouverture de la porte ayant eu pour conséquence un déplacement de la boutique (ḥānūt). De ces boutiques des villes d'al-Andalus, sur lesquelles les sources ne sont guère prolixes, on s'attache aujourd'hui à signaler la relation étroite qui existe entre lieu de résidence et lieu de travail, comme les fouilles l'ont bien montré à Murcie40 : les boutiques qui ont été mises au jour dans deux secteurs de la ville41 s'ouvrent sur les voies de communication les plus importantes de la ville; elles se présentent sous la forme de petites parcelles allongées, avec une grande ouverture sur la rue qui devait servir de présentoir. La demeure se trouve en arrière de la boutique, à l'écart de la rue passante et au cœur du pâté de maisons (fig. 12); c'est aussi en arrière des boutiques qu'ont été localisées des installations artisanales, dont les productions étaient commercialisées dans les boutiques voisines : le critère de la proximité entre lieu de production et lieu de commercialisation l'emporte de la sorte sur celui d'une moindre valeur du terrain dans des zones plus éloignées du centre de la ville, mais aussi sur celui des risques d'incendie et de pollution.
15Lieu de la prière, lieu des échanges, le masǧid et ses afniya constituent également un espace où circulent des revenus au profit de l'édifice cultuel : à travers le habou, fondation pieuse par laquelle un propriétaire se dessaisit de biens au profit d'œuvres de bienfaisance, il existe en effet, au niveau de la ḥawma, des mouvements de fonds. Dans le recueil d'Ibn Sahl, les données relatives aux habous restent toutefois discrètes; la seule mention d'un habou appartenant à une mosquée concerne cette boutique de la mosquée du cimetière de la tour42. Or, on connaît bien maintenant l'importance des habous pour la mosquée : dans sa belle thèse consacrée aux habous en al-Andalus, A. Garcia Sanjuán montre que la mosquée représente la finalité essentielle des habous43. Les sources analysées, formulaires notariaux, mais surtout recueils de consultations juridiques, fondamentalement celui d'al-Wanšarīsī, mais aussi celui d'Ibn Sahl, le mènent au résultat suivant : 64,9% des textes concernant des donations pieuses sont des habous constitués en faveur des mosquées, les autres l'étant en faveur des pauvres, des malades, de la guerre, qu'il s'agisse de libérer des prisonniers ou de réparer des murailles. Les habous ont aussi des finalités culturelles et éducatives : destinés aux étudiants, ils permettent l'achat de livres ou l'attribution d'une pension. Enfin, mais bien plus rarement, les habous sont constitués au profit d'un cimetière.
16A quoi servent donc les habous ainsi constitués en faveur des mosquées ? Selon A. Garcia San juan, ils jouent un grand rôle dans l'entretien des édifices, permettant de les maintenir en bon état; les habous servent aussi à couvrir les dépenses courantes du matériel fongible (huile, bois, nattes d'alfa) et, enfin, à payer les salaires du personnel44. Citons pour exemple cette consultation, vraisemblablement de Muḥammad b. Muḥammad al-Anṣārī al-Saraqusṭī (m. 1459/861), rapportée par al-Wansǎrīsī à propos du personnel des mosquées de Baza :
« quid des traitements du personnel des mosquées de Baza qui sont prélevés sur des habous mêlés les uns aux autres [et qui] ne parvenaient pas à couvrir toutes les dépenses, traitements des fonctionnaires du culte (waẓā’if) et entretien de toutes les mosquées ?45 »
17Dans les mosquées de quartier, le personnel religieux (muezzin, imām) ne fait qu'un avec le personnel technique (domestiques), c'est-à-dire que la mosquée de quartier ne doit guère compter qu'un employé, faisant office d'imām, de muezzin, de domestique et sans doute aussi de maître d'école46 : cette confusion entre tâches spirituelles et matérielles peut néanmoins exister dans les grandes-mosquées, comme le cas est attesté à Fès au xiiie siècle, où le muezzin, qui se tient dans l'édifice jour et nuit,
« en ouvre et ferme les portes, y fait une tournée d'inspection chaque nuit après le départ des fidèles à l'issue de la dernière Prière, alimente les lampes, balaie, coud les nattes, expulse ceux qui voudraient y passer la nuit, empêchant ainsi qu'on ne vole les lustres de cuivre, les lampes de verre irakien, les nattes...47 ».
18Pour Ceuta dans le premier quart du xiie siècle, D. Serrano Ruano indique également que les revenus des habous servent à payer le salaire de l'imām et les travaux d'entretien des mosquées de quartier; si ces revenus s'avèrent insuffisants, on peut faire appel au trésor des fondations pieuses48. Le habou représente donc une forme de subsistance des hommes de religion, qui en contrôlent d'ailleurs une partie de la gestion : si le cadi supervise les habous, en est l'administrateur suprême et en gère une partie des biens par l'intermédiaire de son délégué, le ṣāḥib al-aḥbās, l’imām reste le percepteur des rentes des habous; en revanche, les données manquent pour saisir les liens qui existent entre la gestion des habous par le pouvoir souverain et sa gestion locale au niveau du quartier 49. On peut rappeler les propos, tardifs pour la Cordoue d'Ibn Sahl, de cette personnalité magistrale du xive siècle qu'est Ibn Ḫaldūn :
« les mosquées réservées à une communauté ou à un quartier citadin sont administrées par ceux qui vivent dans leur voisinage. Elles n'ont pas besoin d'être surveillées par le calife ou le sultan50 ».
19Dans la Grenade naṣride, les habitants peuvent trouver un accord directement avec l'imām qui dessert leur mosquée :
« un imām s'entend avec des gens pour assurer le service de leur mosquée aux conditions suivantes : ils prélèveront la gratification lui revenant sur les habitants et lui remettent une certaine somme prise sur les bénéfices de la mosquée et qu'il perçoit51 ».
20Dans quelle mesure l'évocation de la réalité des xive et xve siècles peut-elle permettre d'envisager sans trop risquer de la déformer la situation du xe siècle ? On semble en effet commencer à percevoir les transformations qui affectent, par exemple, la charge de l’imām : D. Serrano Ruano a mis en évidence, à partir des formulaires notariaux, la professionnalisation de cette charge52. Si les juristes malékites montrent une certaine réticence à envisager comme un salaire l'argent perçu par l'imām pour remplir ses fonctions, à l'époque almoravide, ils admettent clairement que ce qui est versé à l'imām n'est plus une simple gratification, mais est un véritable salaire, dont le versement repose sur un contrat d'embauche : dans le recueil du cordouan Ibn al-’Aṭṭar (m. 1009/399), ne figure aucun modèle d'acte de ce type; en revanche, il est présent dans le formulaire du tolédan Ibn Mugît (m. 1067/459), puis dans celui d'al-Ǧazīrī, cadi d'Algeciras (m. 1189/58-5)53
21Dans ce dernier, le modèle de contrat d'embauche commence ainsi : « Un tel, responsable des habous de telle localité, sur désignation du cadi un tel, fils de un tel, embauche X pour le service de telle mosquée... ». La formule « un tel, responsable des habous de telle mosquée» qui figure chez Ibn Muġīṯ est remplacée, chez al-Ǧazīrī, par la formule « un tel, responsable des habous de telle localité» : D. Serrano Ruano voit, dans cette modification, le passage à une administration centralisée des habous, « l'unité administrative passant de la mosquée à l'origine bénéficiaire du habou à une démarcation territoriale indéterminée54 ». L'hypothèse est séduisante; toutefois, E. Lévi-Provençal avait signalé la présence d'un modèle de contrat d'embauche du desservant des mosquées de quartier chez al-Qaysī, juriste d'Alpuente (m. 1070/462), auteur d'un recueil de formules qui est une compilation réalisée à partir de formulaires plus anciens de juristes du xe siècle55. Des recherches restent à mener pour saisir les nuances entre permanences et transformations dans l'administration des mosquées : les sources juridiques que les travaux d'édition et d'analyse rendront accessibles fourniront, peut-être, de précieuses indications à ce sujet. Ibn Sahl est loin de nous introduire dans les contrats d'embauche du personnel de la mosquée; il informe simplement de l'existence, dans le premier quart du xe siècle, d'un muezzin attitré à une mosquée, dont le domicile se confond avec l'édifice sur lequel il est chargé de veiller56 et, au xie siècle, de mosquées de quartier pourvues d'imām s permanents57.
22Le masǧid et ses afniya représentent, on l'a compris, l'espace de sociabilité de la ḥawma, le lieu de rencontre pour les habitants du quartier, là où se tissent les liens entre les hommes et les solidarités de voisinage. Même si elle concerne une période antérieure à la Cordoue évoquée par Ibn Sahl, il faut rappeler cette anecdote relative à l'émeute survenue dans le faubourg de Šaqunda en 818/202 : depuis quelques années, le temps est à l'orage dans la capitale et, en mai 805/189, la découverte d'une conspiration contre l'émir entraîne une répression impitoyable de ses instigateurs, dont les cadavres sont exposés sur le Raṣīf58. L'exécution sommaire des notables qui ont comploté contre al-Ḥakam ie ne fait qu'exacerber le mécontentement des Cordouans ; Muḥammad b. ‘Īsā, dont Ibn Ḥayyān conserve les propos, rapporte ceci :
« les Cordouans entrèrent de nouveau en conflit avec l'émir, se remirent à le malmener et à blâmer sa conduite. Leur attitude malveillante contre lui redoubla en 202/818 : ils ne cessaient de médire de l'émir et leurs meneurs en venaient à tenir des réunions, la nuit, dans leurs mosquées (masāǧid-hum), afin de se cacher du sulṭān contre lequel ils conspiraient59».
23Le masǧid et ses afniya constituent donc bien le lieu où se nouent les solidarités de voisinage : au cœur de la ḥawma et pour elle, les afniya de la mosquée représentent l'espace du commerce de détail, tandis que le masǧid lui-même apparaît comme le lieu de la foi, un espace où l'on peut se réunir, mais aussi une voie de passage, par laquelle on accède à la salle aux ablutions. C'est ce qui ressort d'une affaire remontant au xe siècle, concernant le déplacement de la porte d'accès à la salle aux ablutions d'une mosquée, celle de 'Aǧab ; cette affaire fournit d'intéressantes précisions sur la gestion du quartier par ses habitants, sur laquelle il convient maintenant de se pencher.
La gestion du quartier par ses habitants : domaines d'intervention et acteurs de la vie urbaine
24Sur la gestion du quartier par ses habitants, Ibn Sahl fournit deux types d'indications, les unes concernant les domaines dans lesquels les gens du quartier sont amenés à agir pour leur ville, les autres touchant aux acteurs de cette vie urbaine. Dans quels domaines le quartier est-il donc géré par ses résidents ? L'indigence des données relatives aux habous n'autorise aucune hypothèse sur le rôle que peuvent jouer les gens du quartier dans la gestion des biens appartenant à leur mosquée. En revanche, le domaine dans lequel on observe une intervention active des citadins dans la vie de leur quartier est celui de l'urbanisme : les gens du quartier s'efforcent en effet d'adapter à leurs besoins l'édifice qui se trouve au cœur de leur espace urbain, la mosquée et les structures qui lui sont liées, telle la salle aux ablutions. Les gens du quartier peuvent en effet décider de l'ouverture ou de la fermeture des portes du masǧid et de ses annexes, comme on le note dans l'affaire relative au déplacement de la porte d'accès à la salle aux ablutions de la mosquée de 'Aǧab.
25Il s'agit d'un cas ancien, qu'Ibn Sahl prend chez Ibn Ziyāḍ60 : à l'origine, la porte de la salle aux ablutions donne directement sur la rue ; par la suite, et sans qu'on sache pourquoi, cette porte est déplacée, de telle sorte que la salle aux ablutions se trouve désormais ouverte sur la mosquée, et non plus sur la rue, et que des enfants et des personnes qui ne doivent pas entrer dans la mosquée s 'y faufilent pour gagner la salle aux ablutions. La porte de celle-ci est alors de nouveau déplacée, pour être réinstallée à l'extérieur de la mosquée, comme elle l'était autrefois. Ce désaccord, survenu entre les habitants du quartier de la mosquée de 'Aǧab à propos de l'emplacement de la porte de la salle aux ablutions de leur mosquée, est porté devant l'appareil judiciaire : consulté sur le cas, Ibn Lubāba estime que la porte doit donner sur la rue, afin que la mosquée ne subisse aucun préjudice. Cette affaire demande à être replacée dans le quartier, entendu à la fois comme espace et comme micro-société, celle des gens qui y résident. Comment s'organisent, tout d'abord, l'espace de la mosquée et celui de la salle aux ablutions ? Par mīḍa'a, on désigne le lieu où les musulmans effectuent l'ablution mineure (wuḍū’) qui permet de retrouver l'état de pureté rituelle nécessaire pour réciter la prière61 ; ce bâtiment n'a guère retenu l'attention et son existence est, dans le meilleur des cas, simplement signalée. Dans l'ouvrage classique d'O. Grabar sur l'art islamique, il est signalé que
« nous ne possédons pas d'information contemporaine sur le lieu où se faisaient les ablutions aux débuts de l'Islam. Il semble à peu près certain que ce rite purificateur ne s'accomplissait pas à l'intérieur de l'enceinte de la mosquée avant une époque beaucoup plus avancée62 ».
26O. Grabar donne l'exemple de Sīrāf, port du Golfe Persique : les fouilles de la grande-mosquée de la ville, bâtie au ixe siècle, ont montré que les ablutions se pratiquaient en dehors et le long du bâtiment. En ce qui concerne al-Andalus, E. Lévi-Provençal écrivait, à propos de la grande-mosquée : « parmi les dépendances, sans compter le minaret, il y avait la salle d'ablutions et un réduit [... ] où l'on transportait à certaines heures les cadavres pour la prière rituelle63 ». Les récentes découvertes de deux salles aux ablutions, à Séville et à Cordoue, fournissent pour la première fois des données précises sur la mīḍa'a : la salle aux ablutions de la grande-mosquée almohade de Séville a été mise au jour en 1994 ; adossée à la muraille qui unit l'Alcazar à la grande-mosquée, elle se trouve à l'extérieur de la Aljama64. Il s'agit d'un bâtiment de plan rectangulaire, d'environ 10 m sur 20 m, construit pour l'essentiel en brique; une canalisation fait, par l'intérieur, le tour de l'édifice. Celui-ci est divisé en trois pièces, deux latérales avec les latrines et une fontaine au milieu de la pièce, la médiane étant de taille plus modeste. La salle aux ablutions de la grande-mosquée de Cordoue a été découverte en 199865 : elle se trouve en face de la partie de l'édifice qui correspond à l'agrandissement d'al-Manṣūr, de l'autre côté de la rue qui longe la façade orientale du bâtiment; il s'agit d'un édifice de plan rectangulaire, d'environ 16 m sur 28 m, pourvu d'une canalisation qui parcourt son périmètre intérieur66 (fig. 13). Il comprend une cour où se trouvent les latrines et un vestibule. On dispose donc, pour al-Andalus, de deux exemples documentés de salles aux ablutions : il s'agit, à chaque fois, de la salle aux ablutions d'une grande-mosquée; celle de Cordoue date de la fin du xe siècle, celle de Séville du dernier quart du xiie siècle. Les données fournies par Ibn Sahl à propos de la salle aux ablutions d'une mosquée de quartier, pour le début du xe siècle, sont donc particulièrement intéressantes : sa localisation, à l'extérieur de la mosquée mais adossée à elle, s'inscrit dans l'organisation des espaces qu'on vient d'évoquer. Par ailleurs, la salle aux ablutions de la mosquée de 'Aǧab doit, comme le signale A. J. Montejo Córdoba, inciter à comprendre la mosquée non comme un édifice isolé, mais intégré dans un complexe architectonique et urbanistique : il n'a, jusqu'à présent, guère retenu l'attention, tout comme la mosquée n'a guère été envisagée comme l'élément structurant de la ḥawma. Pour en terminer avec la mosquée de 'Aǧab, il faut signaler que, si l'on ignore ce qui motive le déplacement de la porte, l'on sait en revanche que ce sont des gens du quartier qui le décident : une partie d'entre eux (ba 'ḍ min kāna fi al-masǧid) est d'avis de placer la porte à l'intérieur de la mosquée, sans que le document ne donne davantage de précision à leur sujet. La šūrā est d'ailleurs interrogée sur ce qu'il convient de faire « si certains habitants du quartier (ba ' ḍ al-ǧīrān) veulent ouvrir la porte de la salle aux ablutions vers l'intérieur de la mosquée67 ».
27On trouve chez Ibn Sahl deux autres affaires qui montrent les initiatives prises par les gens du quartier en matière d'urbanisme et qui indiquent aussi quel rôle jouent les autorités urbaines dans de telles circonstances : dans le cas de la mosquée du cimetière de la tour, un certain 'Abd al-Malik b. Ḥawṯara veut, au début du xe siècle, ouvrir une porte dans le bâtiment, ou plus précisément d'ailleurs rouvrir une porte percée une cinquantaine d'années auparavant par Sa ‘īd b. al-'Abbās68. Sa décision soulève l'opposition de plusieurs personnes, qui viennent attester devant le cadi que de tels travaux causeraient un préjudice à la mosquée; la discussion qui s'ensuit porte sur le tort que peut causer une telle ouverture au masǧid, tort financier, car une boutique habou se trouve à l'emplacement de la porte et tort moral, car une telle ouverture crée une voie de passage à travers la mosquée, une sorte de raccourci, et elle multiplie les souillures, certains empruntant le passage ainsi créé en étant sales, avec des jambes maculées de boue69. Il faut, dans cette affaire, souligner comment l'un des témoins rapporte l'ouverture de la porte par Sa 'īd b. al-'Abbās : ce dernier a agi, précise Muḥammad b. Ḥāzim, selon son bon vouloir et en Abusant de son autorité. On ne sait hélas rien d'autre de ce personnage, qu'on voit également à l'œuvre dans la mosquée de Hišām70 ; il n'est pas impossible qu'il soit investi d'une fonction officielle et travaille en relation avec le ṣāḥib a1-bunyān. Cette affaire doit être rapprochée de celle qui concerne, à la même époque, la mosquée de l'émir Hišām71 : l'une des portes de cette mosquée, située dans la nef orientale de l'édifice, a été fermée, ce qui provoque la plainte d'un groupe de notables, des Qurayšites (qawm min Qurayš), membres de l'aristocratie cordouane72. Le motif de leur plainte est particulièrement intéressant : ces Qurayšites prétendent en effet que la décision de condamner la porte a été prise sans l'ordre ni l'avis de l'émir et des juges (ḥukkām), mais simplement par l'opinion populaire (ra ' y 'āmma) et sans disposition judiciaire. Il n'est pas impossible que s'affrontent ici deux groupes sociaux, la ḫāṣṣa des gens de Qurayš et la 'āmma; Ibn Ġālib73 rapporte en effet que la porte avait été ouverte pour voir les deux partis (a1-farīqāni) s'accorder et pour éviter l'animosité entre eux : il s'agit vraisemblablement de la ḫāṣṣa et de la 'āmma. Mais, par ailleurs, dans la plainte déposée par les Qurayšites, figure également l'opposition entre l'avis de l'émir et l'opinion populaire, c'est-à-dire non investie d'un pouvoir décisionnel : autrement dit, on voit ici les deux acteurs de la vie urbaine, le pouvoir officiel de l'émir et des membres de l'appareil judiciaire, d'un côté, et le pouvoir agissant des citadins, de l'autre. On retrouve d'ailleurs cette opposition dans une affaire postérieure, qui concerne la grande-mosquée de Cordoue, et sur laquelle al-Wanšarīsī nous informe, à partir de l'opinion formulée par Abū l-Ḥasan 'An al-Qarafayāqī74 : lorsqu'al-Ḥakam II (961-976/350-366), appuyé en cela par des cosmographes et des imām /s faisant autorité, veut déplacer la qib1a de l'édifice75, il doit y renoncer « car le peuple ('āmmat al-nās) [est] bouleversé à l'idée de rompre avec la pratique ancestrale ».
28Au total, de ces trois affaires rapportées par Ibn Sahl à propos de modifications réalisées dans la mosquée de quartier à la fin de l'émirat, se dégage le sentiment que le pouvoir sultanien conserve un rôle dans les travaux entrepris, rôle actif en particulier en cas de litige survenu entre les habitants du quartier; dans la pratique toutefois, l'on constate que les citadins prennent, au niveau du quartier, la décision d'effectuer certaines transformations dans l'édifice qui est au cœur de leur cadre de vie. Une fatwā compilée par al-Wanšarīsī et concernant Kairouan au xe siècle rappelle d'ailleurs les limites que le pouvoir sultanien rencontre dans les travaux d'urbanisme des quartiers, puisqu'il s'avère en effet impossible de contraindre des gens à réparer leur mosquée qui menace ruine : si des gens ont laissé leur mosquée se délabrer, certes, ils ont péché, mais « on ne les contraindra pas à rendre sa prospérité à la mosquée76 ». Il faut, enfin, rapprocher ce qui précède du fait que ceux qui vivent dans le voisinage immédiat de la mosquée considèrent, appuyés en cela par les juristes, que les murs du masǧid sont soumis aux mêmes règles que celles qui concernent les murs de la propriété du voisin : il est licite d'introduire des poutres dans le mur de la mosquée pour y appuyer une construction, ce qu'on peut aussi rapprocher des droits privilégiés détenus par les gens de la ḥawma sur le finā' de la mosquée; autrement dit, les murs extérieurs de la mosquée semblent appartenir comme en co-propriété à ceux qui vivent autour du bâtiment. Ces derniers sont libres d'y adosser des constructions, à condition bien entendu de ne pas causer de tort à l'édifice77.
29Une question demeure, et non des moindres, à propos de l'intervention des gens du quartier dans les travaux de réfection de leur mosquée : celle du financement78. Ibn Sahl n'en dit rien, ne fait aucune allusion susceptible de suggérer des hypothèses sur l'origine des fonds ayant permis le déplacement d'une porte ou sa réouverture. Il faut sans doute songer aux habous, dont les revenus servent à financer de tels ouvrages, comme d'autres sources l'attestent pour des époques postérieures : à Tlemcen, Ibn Marzūq (m. 1439/842) est consulté à propos d'un inspecteur des habous (nāẓir) qui souhaite effectuer un transfert de fonds entre les revenus de deux mosquées richement dotées, dans le but de faire une construction dans l'un des édifices79. Mais si les récentes études consacrées aux habous en al-Andalus poussent en effet à formuler l'hypothèse qu'il faut chercher là les fonds nécessaires aux travaux de réfection des mosquées 80, faut-il pour autant exclure un autre type de financement, une contribution financière des gens du masǧid ? A propos d'un système politique où le pouvoir central est tout-puissant et omniprésent, la proposition ne peut manquer de surprendre; on sait bien, en effet, qu'en al-Andalus seul l'Etat peut percevoir l'impôt et que la fiscalité est organisée par les agents de l'Etat sans possibilité d'intromission réelle de pouvoirs locaux81. Toutefois, il semble que les gens du masǧid interviennent dans la gestion financière de leur quartier, selon des modalités qui nous échappent, mais qu'on devine à travers certaines fatwā/s, comme la suivante :
« n'est tenu de contribuer au paiement des honoraires de l'imām que celui qui s'est engagé à le faire personnellement et de son plein gré 82 ».
30D'où les difficultés qui ne peuvent manquer de surgir au moment où les contribuables doivent payer et les questions posées aux muftis sur les possibilités de contraindre les récalcitrants; on a signalé, ne l'oublions pas, les limites du pouvoir à obtenir la réfection d'une mosquée qui menace ruine. Exceptionnels demeurent toutefois les témoignages indiquant la trace d'une intervention des contribuables en matière de levée fiscale, comme la fatwā suivante, qu'al-Wansǎrīsī attribue à un certain Abū 'Abd Allāh Muḥammad b. 'Abd al-Karīm al-Aġṣāwī :
« des notables et des gens sensés fixent par écrit le montant de leur zakat de fin de jeûne après avoir quitté l'oratoire le jour de la Fête de rupture du jeûne ou le lendemain, agissant de la sorte pour contraindre à la verser en leur faisant honte la plupart des gens qui ne s'en acquittent pas de bon gré83 ».
31Il n'est donc pas impossible que les gens de la.ḥawma jouent un rôle dans les levées fiscales de leur quartier, en marge des toutes puissantes structures étatiques : certaines de ces levées ont-elles pu servir à financer des travaux de réfection du masǧid ? CeI1ains juristes attribuent à la communauté musulmane des droits sur la mosquée, en l'occurrence le droit de consommer les fruits produits par les arbres plantés dans la cour du bâtiment84 ; ces droits ont-ils pour corollaire des devoirs, dont celui de maintenir en état l'édifice cultuel à partir des ressources privées des ahl al-masǧid85 ? Les études qui restent à mener sur la documentation juridique permettront peut-être de confirmer, ou d'infirmer, cette suggestion.
32Il convient maintenant d'évoquer un domaine dans lequel on suppose que les gens du quartier sont amenés à agir pour leur ville, celui de sa défense; on a, en effet, rappelé que de brèves allusions dans les chroniques laissent entrevoir une organisation par quartier, Ibn 'Iḏārī signalant qu'à Cordoue, en 1125/519, les habitants de chaque quartier (ahl kull masǧid) réparent la partie de l'enceinte qui leur correspond depuis toujours86. Cette allusion peut être rapprochée d'une situation plus tardive, celle de Fès à l'époque mérinide, où les 'oratoires suspendus', c'est-à-dire construits au-dessus d'une ruelle, deviennent des postes de gué à la tombée de la nuit, commandant l'accès aux quartiers87. Mais ce domaine d'intervention des citadins dans la vie de leur ville ne peut être évoqué, dans les Aḥkām, qu'au négatif : rien dans ces textes ne peut laisser penser que les gens du quartier interviennent dans la défense de leur quartier88, ni non plus que le quartier peut se fermer sur lui-même pour se protéger. Rappelons à cet égard que la seule allusion, vague d'ailleurs, à un repli du quartier sur lui-même se trouve chez Ibn 'Iḏārī : entre l'été 1016/407 et le printemps 1018/408, les Cordouans subissent les persécutions de 'Alī b. Ḥammūd ; surchargés de taxes, privés de leurs terres, ils
« s'enferment dans leurs maisons et se mettent dans les entrailles de la terre, à tel point que leurs apparitions diurnes se font rares; les souks se vident, et ce n'est que lorsque la nuit approche et que cesse la persécution que les Cordouans se découvrent pour subvenir à leurs besoins89 ».
33Cette absence, chez Ibn Sahl, de données relatives à la défense de la ville par ses habitants ne peut manquer de surprendre le lecteur familier du Mi’yār, car ce recueil fourmille de consultations juridiques rendues à propos de la réfection des enceintes et des acteurs qui y œuvrent90. Il a semblé utile de rassembler ici les plus significatives, à partir de l'analyse qu'en propose V. Lagardère, afin de montrer les ressources de cette documentation juridique, mais aussi ses limites :
341 - Cordoue, Ayyūb b. Sulaymān (m. 914/302)91 :
« les habitants d'une ville en guerre avec l'ennemi conviennent d'envoyer des groupes d'éclaireurs [...] pour surveiller les défilés [...] Pour les rétribuer, chaque homme marié verse une certaine quantité (de blé ?) évaluée au moyen d'une mesure déterminée et exigible à période fixe ».
352 - Kairouan, al-Laḫmī (m. 1085-487)92 :
« quand il faut réparer l'enceinte (sūr) englobant des jardins (ǧannāt), les intéressés doivent s'entraider pour en colmater les brèches ».
363 - Mahdia, al-Māzarī (m. 1141/536)93 :
« par un acte dressé fin rabī’ l 523/mars 1129, de nombreux témoins ont déclaré avoir constaté que les remparts de Kairouan étaient délabrés et que presque toutes ses tours (abrāǧ) n'avaient plus de toiture et qu'en conséquence il fallait que les habitants vendent les matériaux en question, en consacrant le prix à la réfection des remparts et les réparent avec des briques et du plâtre; il n'est pas possible de refaire les toits des tours tels qu'ils étaient jadis mais on ne peut les laisser en leur état actuel en attendant qu'Allāh procure les fonds nécessaires, car si ce qui reste des remparts disparaît, s'en sera fait de la sécurité de la ville ».
37Le mufti opine que
« si les tours haboussées menacent de s'effondrer et qu'on ne peut les réparer, on les démolira afin de disposer de leurs matériaux »
384 - Grenade, Ibn Lubb (m. 1381/782)94 :
« un quidam vivant de son métier de maçon (ṣinā' at al-binā') travaille pendant des années à la construction des remparts (binā' al-sūr) en étant payé sur la taxe (waẓīf)95 perçue sur les habitants pour la construction de leurs remparts ».
39Cela est jugé illicite.
405 - Tunis, Abū l-Qāsim al-Ġubrīnī (m. vers 1410/813)96 :
« un individu est nommé administrateur du habous du rempart (ḥubus al-sūr) par le cadi. [Il doit entériner] toute recette et toute dépense et [il reçoit] un traitement prélevé sur lesdits revenus dudit habous du rempart. [Lors du contrôle de sa gestion, il appert] qu'il a payé de la main-d'œuvre pour l'entretien du rempart».
41On apprend également que l'administrateur a fait des dépenses pour réparer la prison de la ville avec de l'argent destiné au rempart, alors que dans les archives de la grande-mosquée, un acte de l'an 744/1343 stipule que la coutume veut que les réparations à effectuer dans la prison soient à la charge du maḫzan : l'administrateur a agi de la sorte, sans l'autorisation du cadi, pour obéir aux injonctions du gouverneur.
426 - Tunis, Ibn 'Arafa (m. 1401/803)97 :
« dans une localité des boutiques haboussées au profit de ses remparts (sūr) sont inhabitées depuis un certain temps alors que lesdits remparts jouissant de faibles revenus (qalīl al-ḫarāǧ) ont besoin de réparations. Peut-on contraindre les gens à habiter les boutiques des remparts (ḥawānīt al-sūr) pour maintenir ceux-ci en bon état dans l'intérêt des habitants bien que cela nuise aux propriétaires des autres boutiques et autres artisans et marchands en les affaiblissant et en leur faisant peur ? Réponse : en aucune matière on ne peut contraindre les gens à habiter les boutiques précitées ».
437 - Tlemcen, Qāsim al-'Uqbānī (m. 1427/830)98 : interrogé à propos des remparts (sūr) de Mazzūna, en partie détruits, le mufti répond que
«la plupart des autorités de basse époque sont d'avis qu'on ne doit contraindre personne à participer à une réfection de cette nature ».
44Il cite, à propos de la possibilité de contraindre un voisin à participer à une dépense collective, l'opinion de deux malékites cordouans que nous connaissons bien dorénavant : Ibn al-Ḥāǧǧ (m. 1135/529) est d'avis qu'on peut contraindre un homme à participer aux frais engagés par des voisins pour payer le gardien qui surveille leurs récoltes99 ; Ibn 'Attāb (m. 1069/462) opine de même à propos de la réfection d'un darb entreprise en commun accord par les voisins. Qāsim al-'Uqbānī conclut que la position des Andalous
« est la meilleure si la sécurité de l'agglomération dépend de l'accomplissement de la réparation; mais s'il est avéré que rien ne peut empêcher un injuste d'arriver à ses fins, nul ne sera contraint de participer à ladite réparation ».
458 - Tunis, Abū l-Qāsim al-Burzulī (m. 1438/841)100 :
« si, comme c'est le cas dans certains qaṣr/s, le mur d'une maison constitue une partie du rempart (sūr) de la cité, le propriétaire sera contraint de réparer son mur ou, en cas de carence de sa part, de vendre sa maison à quelqu'un qui s'en chargera. Si le rempart est isolé et que la maison ne fait que s'y appuyer ou en être proche, on fera appel aux revenus des habous constitués pour l'entretien du rempart, et tout un chacun devra en exiger l'emploi pour le réparer. En l'absence de habous de ce genre et si la sécurité générale exige la réparation du rempart, chaque propriétaire devra y contribuer au prorata de sa fortune et s'il ne le peut, sera contraint de vendre son immeuble à quelqu'un pouvant participer au financement de l'entreprise ».
469 - Tunis, Abū l-Qāsim al-Burzulī (m. 1438/841)101 :
« dans une citadelle (ḥiṣn), une maison a un mur constituant une partie intégrante du rempart (sūr) ; il se démolit et le propriétaire refuse de le réparer ».
47Le mufti répond ainsi :
« si la coutume veut que, comme c'est le cas pour certains qaṣr/s, quelqu'un ayant construit à proximité d'un habous le fait à ses risques et périls, le propriétaire sera astreint à réparer son mur à ses frais. Dans le cas contraire, la réfection sera financée par les revenus des habous constitués à cet effet; en l'absence de habous de cette sorte ou en cas d'insuffisance de leurs revenus, la réparation incombera à tous les habitants au prorata des propriétés de chacun dans l'agglomération dont la sécurité dépend de ladite agglomération ».
4810 - Tlemcen, Ibn Marzūq (m. 1439/842)102 :
« une partie des remparts (sūr) d'une ville a besoin d'une réfection et il n'existe pas de habous ad hoc. Incombe-t-elle à tous les habitants, riches et pauvres, ou uniquement aux gens aisés ou aux notables en particulier ? Faut-il faire une distinction entre une ville-frontière et une ordinaire ? »
49Le mufti répond qu'on ne peut user de contrainte.
5011 - Fès, sans date ni auteur103 :
« les remparts (sūr) de Fès exigent d'importantes réparations fort onéreuses et entièrement à la charge des propriétaires (arbāb al-amlāk). Pour alléger cette lourde contribution, on propose de faire appel au surplus des recettes des habous des zāwiya’s ».
51De la lecture de ce qui précède, se dégage l'impression qu'il existe des cas de figure très divers quant au rôle que peuvent jouer, dans l'entretien de leur muraille, les hommes vivant à l'ombre du rempart104. A y regarder de plus près, deux cas de figure doivent être distingués. Le premier est très simple : lorsqu'il existe un habou constitué au profit du rempart, ses revenus servent à financer les travaux de réfection, comme cela est attesté dans des consultations rendues à Tunis et à Tlemcen par des muftis du premier xve siècle105 La seconde situation, en revanche, est plus complexe : en l'absence de habou constitué en faveur du rempart, les habitants sont amenés à participer aux travaux, soit en versant une taxe, soit en tant que main-d'œuvre106. La taxe est versée au prorata de la fortune de chacun; un mufti est interrogé sur une éventuelle exemption des plus pauvres107. On ne peut s'empêcher de songer ici au fameux ta 'tīb, levé en 1125 pour la réfection des murailles de plusieurs villes d'al-Andalus, et aux protestations que cette levée fiscale soulève. La question qui revient le plus fréquemment à propos du versement des taxes est celle de la possibilité ou de l'impossibilité à contraindre des gens à une dépense collective, sans doute car les réponses que lui apportent les muftis divergent et que notre compilateur a à cœur de transmettre des opinions différentes sur un même point de droit : les réponses des muftis changent selon l'époque, comme l'explique très clairement Qāsim al-'Uqbānī. Elle divergent aussi selon la coutume locale, à en suivre Abū I-Qāsim al-Burzulī, mais aussi sans doute en fonction des circonstances militaires, les nécessités de la défense permettant d'imposer la contrainte108. Il n'existe donc pas une, mais deux sources de financement pour les travaux d'entretien des murailles : les revenus des habous, certes, mais aussi des contributions fournies par les citadins, situation qui ne peut manquer de faire songer au financement des travaux d'entretien de la mosquée.
52Ces notices mettent donc en scène, du moins pour les xive-xve siècles, des citadins participant activement aux travaux de réfection de leur muraille. L'absence, chez Ibn Sahl, de fatwā/s concernant de tels ouvrages surprend, car les soucis de défense sont loin d'être absents dans la Cordoue qu'il évoque : les textes anciens renvoient à la fin de l'émirat, marquée par la Etna; sous le règne de 'Abd Allāh (888-912/275-300), Ibn Ḥafṣūn vient camper jusque sous les murs de la capitale omeyyade. Quant à la Cordoue que connaît Ibn Sahl, n'est-elle pas celle de la lutte entre taifas et de l'annexion de Cordoue par Séville en 1069 ? Bornons-nous à constater cette absence de données; on peut d'ailleurs ajouter que d'autres domaines de l'urbanisme dans lesquels les citadins jouent un rôle n'apparaissent pas non plus dans les Aḥkām : les habitants construisent, et vraisemblablement entretiennent, le four de leur quartier109; les habitants maintiennent en état les canalisations qui les approvisionnent en eau110.
53Quant aux acteurs de la gestion du quartier, Ibn Sahl n'en conserve que de bien vagues silhouettes : il les désigne la plupart du temps par l'expression ah1 a1-masǧid, les gens de la mosquée ou, plus rarement, par le pluriel a1giran, les voisins, à l'image de ces personnes qui se plaignent de ce que les enfants se faufilent dans la mosquée de 'Aǧab. Ces termes permettent de représenter ceux qui vivent dans la ḥawma comme un groupe d'individus dépourvu de reconnaissance institutionnelle, le droit musulman ne pouvant attribuer, on l'a rappelé, à un groupe de citadins un statut spécifique. Néanmoins, il faut signaler qu'aux yeux de l'appareil judiciaire, les ah1 a1masǧid constituent un groupe avec une identité propre : dans une affaire qui, au xe siècle, oppose deux voisins à propos d'un mur, on distingue le témoignage des gens de la mosquée du témoignage de ceux qui ne sont pas de ce quartier (ġayr ah1 a1-masǧid)111. De temps à autre, apparaissent quelques groupes plus restreints, comme ces gens de Qurayš qu'on vient de voir à l'œuvre; parfois aussi, les personnalités du quartier figurent dans le document comme a1-wuǧūh, les notables : dans l'affaire de la salle aux ablutions de la mosquée de 'Aǧab, ce sont les notables du quartier (wuǧūh ah1 a1masǧid) qui estiment que la porte donnant vers la mosquée cause un préjudice à celle-ci. De ces groupes qui agissent collectivement pour leur quartier, émerge très rarement un acteur de la vie urbaine : on a ainsi signalé l'existence, pour les ḏimmī du quartier, d'un système de procuration. Un individu anonyme vient se plaindre auprès du cadi d'un dysfonctionnement : c'est un homme du quartier de 'Aǧab (ragu1 min ah1 masǧid 'Aǧab) qui vient voir le juge pour lui signaler le déplacement de la porte de la salle aux ablutions et les difficultés que cela engendre. L'acteur du quartier dont on conserve le nom est cet individu dénoncé auprès du cadi, car il veut rouvrir une porte de la mosquée, 'Abd al-Malik b. Ḥawṯara. Mais il arrive aussi que surgisse, agissant pour la ville, une individualité en apparence bien connue : le muḥtasib. Acteur de la vie urbaine, le muḥtasib dans les Aḥkām réclame toutefois que soient revus les contours qui servent traditionnellement à le définir.
Notes de bas de page
1 Brunschvig 1947, p. 131-134.
2 Raymond 1989, p. 199.
3 Van Staëvel 1995, p. 57 ; ibid. 2001 a, p. 45.
4 Rappelons aussi que l'espace libre autour de la Ka'ba s'appelle finā' al-Ka 'ba.
5 Torres Balbás 1957 b, p. 437-446; Zanón Bayón 1989, p. 65-66.
6 Torres Balbás 1957 b, p. 441 ; Zanón Bayón 1989, p. 65, reproduit simplement l'affirmation de L. Torres Balbás.
7 Sur la mosquée, voir l'article de J. Pedersen et R. Hillenbrand dans l'EI2, t. VI, p. 629-676.
8 Selon S. de Covarrubias, mezquita vient de l'arabe à travers la forme mezquidum. Il faut noter le sort de l'occlusive : sonore en arabe (la dāl de masǧid), sourde dans les langues européennes (t du castillan mezquita ou du portugais mezquita), [k] du français mosquée).
9 Voir Orlandis 1979 et, plus récemment, Buresi 2000.
10 Sur le miḥrāb, Lillo 1988; sur la qibla, Jiménez 1991, Rius 2000. Nous avions rassemblé les données relatives au nombre de nefs et aux dimensions des minarets dans Mazzoli-Guintard 1996, p. 85-86.
11 On trouve quelques réflexions générales sur le rôle de la mosquée dans la vie économique et sociale de la ville dans Marin 1992 a ou Garcia Sanjuán 1999 a. D'où l'intérêt des réflexions développés par ce dernier sur le rôle des habous : cf. Garcia Sanjuán 1998. Signalons toutefois l'existence d'une thèse récente, que nous n'avons pu consulter, sur les petites mosquées dans leur contexte historique et culturel : Calvo Capilla 2001.
12 Voir les synthèses de Lévi-Provençal 1953, p. 384-395 et de Golvin 1979, p. 21-92 ; sur la salle d'ablutions d'al-Manṣūr, cf. Pinilla Melguizo 1998 et Montejo Córdoba 1998; voir dans Rius 2000 une vue récente sur la qibla ; pour les derniers travaux effectués dans la mosquée cordouane, cf. Marfil Ruiz 1996 b, 1997 et 2000.
13 Ewert 1995.
14 'umrān, p. 75-77 ; annexe : 'umrān, 9.
15 'inda ifiq-hu. De façon, sans doute, à éviter des cas d'expropriation forcée pour agrandir la grande-mosquée: voir, à ce sujet, les cas de Ceuta dans le premier quart du xiie siècle, de Murcie dans les années 1110-1120 et de Fès au début du xvie siècle, cas analysés dans Carmona Gonzalez 2001.
16 Castejon 1929, p. 283-284 signale des bâtiments qui ne figurent pas dans les pages que Torres Balbás 1957 a et Golvin 1979 consacrent aux mosquées cordouanes, à savoir les mosquées San Nicolas de la Villa et San Miguel qui, à la fin des années 1920, conservaient encore leur minaret.
17 Torres Balbás 1957 a, p. 402 ; Golvin 1979, p. 95-96 : la hauteur du minaret, évaluée à environ 8 m, pouvait sans doute atteindre 10 à 12 m.
18 Selon la chronologie proposée par V. Escribano et F. Hernández ; les parallèles existant avec la mosquée de Fontanar pourraient l'inscrire en époque califale (Luna Osuna et Zamorano Arenas 1999, p. 157). Voir, dans Marfil Ruiz 1996 a et 2000, le bilan des dernières fouilles réalisées dans la mosquée de la rue Rey Heredia.
19 Escribano Ucelay 1964/65 ; Golvin 1979, p. 93-95.
20 Luna Osuna et Zamorano Arenas 1999.
21 Nef occidentale : 6,12 m; nef orientale : 5,47 m à 5,55 m; nef centrale : 6,60 m à 6,67 m.
22 Luna Osuna et Zamorano Arenas 1999, p. 158.
23 La littérature s'est en effet surtout préoccupée des fonctions de la grande-mosquée : cf par exemple la synthèse de Garcia Sanjuān 1999 a.
24 Sur la prière, G. Monnot, « ṣalāt », EP2; Serrano Ruano 2000.
25 ‘umrān, p. 50-53 et commentaire de M Hallaf, p. 16; annexe : ‘umrān, 2. Outre le problème de la proximité des mosquées, se pose celui de la possible usurpation des terres sur lesquelles se trouvent les boutiques.
26 Annexe : 'umrān,3.
27 'umrān, p. 63-66 ; Marin 1996; annexe : 'umrān,4.
28 Cf. supra, note 76.
29 Selon une fatwā rendue par 'Abd al-Hamīd b. al-Ṣā'iġ (m. 1093/486) qui interdit une telle pratique, les mosquées devant être vouées à la prière et aux œuvres pies et ne pouvant être utilisées à d'autres fins (Lagardère 1995, p. 314).
30 Ibn 'Abdūn, Séville musulmane au début du xiie siècle, p. 53.
31 Lagardère 1995, p. 57. La transformation des voyelles longues qu'elle impliquerait empêche d'envisager la correction de masǧid al-Sīra en masǧid al-Šifā'.
32 Sur le marché en al-Andalus, l'ouvrage essentiel reste Chalmeta Gendrón 1973. Signalons la récente découverte, dans le centre de Murcie et à quelque distance de la grande-mosquée, d'un lieu de production d'objets en verre, qui fonctionnait au xiie siècle (Jiménez Castillo 2000). Il y a là un four de grandes dimensions et un atelier avec trois fours pour la fusion du verre, un pour le métal et un dernier servant peut-être de four de refroidissement.
33 'umrān, p. 66-67 ; annexe : ·umrān,5.
34 Dozy 1881 donne pour ce terme : salade, mélange d'herbes assaisonnées.
35 Selon Dozy, dakākīn (sing. dukkān) désigne à la fois le banc, de pierre ou maçonné, et l'échoppe.
36 Ibn 'Abdūn, Séville musulmane au début du xiie siècle, p. 50.
37 ’umrān p, 66-67.
38 Ibn 'Abdūn, Séville musulmane au début du xiie siècle, p. 52.
39 'umrān, p. 71-72 ; annexe : 'umrān, 8.
40 Jiménez Castillo et Navarro Palazón 2001, p. 90-100 en rappellent les principaux résultats. Les fouilles menées dans l'expansion occidentale de Cordoue ont mis au jour un vaste espace entouré de petites cellules, interprété comme une zone de marché; plus récemment, un petit marché de quartier a été découvert (Acién Almansa 2001 b, p. 30).
41 A savoir : plaza Belluga et c/ San Pedro.
42 Un autre document concerne les jardins constitués en habous au profit de la grande-mosquée de Cordoue; il est relatif au sinistre qui les affecte en 1015-1016/406-407 (Ḥisba, n° 4; Lévi-Provençal 1953, p. 269-270).
43 Garcia Sanjuán 1998, chap. 8 et 9. Voir aussi ce qu'il écrit à propos de Séville : Garcia San juan 1999 b.
44 Garcia Sanjuán 1998, chap. 9.
45 Lagardère 1995, p. 264. Calero Secall 2002 donne, pour l'époque naṣride, de nombreux exemples de l'utilisation des habous au profit de l'imām, de récitateurs, de maîtres, de témoins, d'étudiants pauvres et de membres de confréries mystiques.
46 Lévi-Provençal 1953, p. 461. En revanche, la grande mosquée dispose souvent d'un personnel nombreux, dont des exemples tardifs donnent le détail, comme celui-ci, qui concerne Tlemcen au xve siècle : on y trouve, dans une fatwā rendue par Muḥammad b. Marzūq (m. 1439/842) signalée la présence d'un imām, d'un lecteur (qāri’), d'un secrétaire (kātib), d'un muezzin, de récitateurs (ḥazzābīn) et d'employés (ḫuddām) (Lagardère 1995, p. 227).
47 Abū I-Ḍiyā’ Miṣbāḥ al-Yāliṣūṭī (m. 13051705) est consulté à propos de ce muezzin débordé qui, ne parvenant pas à assurer sa subsistance, réclame un salaire (Lagardère 1995, p. 228).
48 Serrano Ruano 2000, p. 235. Signalons toutefois qu'à Fès au xve siècle, le salaire de l'imām provient de la ǧizya perçue sur les juifs (question posée à Muḥammad b. Qāsim al-Qawrī (m. 1467/872), transmise par al-Wanšarīsī : Lagardère 1995, p. 251-252).
49 Sur le rôle du ṣāḥib al-aḥbās et de l'imām en al-Andalus : Garcia San juan 1998, chap. 1 et 5. Pour Ceuta, Serrano Ruano 2000 indique (p. 248) que les cadis sont les administrateurs suprêmes des habous constitués en faveur des mosquées et qu'ils peuvent augmenter le salaire de l'imām.
50 Ibn Ḫaldūn, Al-Muqaddima, p. 340.
51 Fatwā d'al-Mawwāq (m.l492/897) compilée par al-Wanšarīsī (Lagardère 1995, p. 287).
52 Serrano Ruano 2000, p. 250-253.
53 Ibid. On trouve d'autres cas de salaires versés à l'imām dans des consultations juridiques rendues à Tlemcen aux xiiie et xive siècles : un imām, qui perçoit un salaire ( ‘umāla) de 3,33 miṯqālls alors que le revenu de la mosquée dans lequel il exerce n'est que de 2/3 de miṯqālls, obtient un traitement supérieur aux autres imam/s, situation à laquelle il convient de mettre fin selon Ibn al-Imam (Lagardére 1995, p. 224). Un cadi ayant affecté le habou d'une mosquée à celle où il exerce comme imam afin d'obtenir une rétribution doit être destitué (id).
54 Ibid, p. 252. Je ne suis pas D. Serrano Ruano dans cette dernière affirmation, la ville constituant une unité territoriale déterminée, dont les limites sont fixées par l'enceinte urbaine.
55 Lévi-Provençal 1953, p. 462, note l : al-Qaysī, f°102 vo. Par ailleurs, il signale qu'al-Ǧazīrī reproduit dans son recueil des modèles remontant, pour la plupart, au califat.
56 ‘umrān, p. 71-75 ; annexe : ‘umrān, 8.
57 Ibn 'Attāb est consulté sur l'affaire de la prière récitée dans les souks, à quelque distance de trois mosquées pourvues d'un imām (‘umrān, p. 50-53 ; annexe : ‘umrān, 2).
58 Pour un récit de ces épisodes, cf. Lévi-Provençal 1950, t. 1, p. 160-173.
59 Ibn Ḥayyān, Muqtabis, 796-847, éd. p. 35, trad. p. 60.
60 ‘umrān, p. 67-68; annexe : ‘umrān, 6. Al-Wansǎrīsī compile aussi cette affaire : voir son résumé dans Lagardère 1995, p. 347.
61 On peut rappeler l'opinion d'un mufti de Tunis, Abū l-Ḥasan al-Rammāḥ (m. 1348/749), opinion consignée par al-Wansǎrīsī : « il n'est pas méritoire de faire ses ablutions dans les mīḍā’āt [... ] un šayḫ a dit que l'ablution accomplie chez soi vaut un dinar et celle faite au mīḍā’āt une pièce d'argent (bayḍa). Le récipient passe de main en main dans les mīḍā’āt contrairement à ce qui a lieu à la maison ». On trouve une interprétation similaire en ce qui concerne la valeur du lavage corporel fait au ḥammām (Lagardère 1995, p. 132).
62 Grabar 2000, p. 171-172.
63 Lévi-Provençal 1953, p. 464.
64 Vera Reina 1995.
65 Sur les salles aux ablutions de la grande-mosquée de Cordoue, on ne disposait jusque-là que d'informations fournies par les textes; elles signalent qu'Hišām 1er fait construire une mīḍa'a à l'est de la grande-mosquée (Ibn 'Iḏārī, Kitāb al-Bayān al-Muġrib, 2, éd. p. 245 : bi-šarqī, sans autre précision) et que quatre salles aux ablutions sont édifiées sur l'ordre d'al-Ḥakam II, à l'est et à l'ouest du bâtiment (Torres Balbás 1957 a, p. 369 et 579).
66 Montejo Córdoba 1999.
67 ‘umrān, p. 67.
68 umrān, p. 71-72; annexe : ‘umrān, 8.
69 On peut, à ce propos, signaler l'opinion contraire, que formule Ibn 'Arafa (m. 1401/803), mufti à Tunis, et que rapporte al-Wanšarīsī : « on peut cheminer en traversant une mosquée. La maison d'al-Bawdarī (m. 1348/749) [... j, professeur à la madrasat al-Tawfiq, était située au sud-est du ǧāmi’ ' al-Tawfiq. Pour se rendre à la médersa, il pénétrait dans le ǧāmi’ ' par la porte méridionale et en sortait par la porte septentrionale. Comme on lui en faisait le reproche, il invoqua une opinion de Malik citée dans la Mudawwana d'après laquelle quelqu'un n'ayant pas fait ses ablutions peut traverser une mosquée» (Lagardère 1995, p. 32).
70 De Sa’īd b, al-'Abbās, on sait par les Aḥkām qu'il est chargé, au début du règne de Muhammad IOC (852-886/238-273), de travaux de construction dans au moins deux mosquées de Cordoue, celle du cimetière de la tour et celle de l'émir Hišām ; son fils lui succède dans ses fonctions. On ne sait rien d'autre de ce personnage, comme le signale aussi M. Ḫallāf; il ne figure pas dans le corpus de noms propres établis par J. A. Souto Lasala à partir des signes lapidaires se trouvant dans la grande-mosquée de Cordoue (Souto Lasala 2001).
71 ‘umrān, p. 69-70 ; annexe : ‘umrān, 7.
72 L'expression 'gens de Qurayš' désigne l'élite cordouane de souche arabe (Lévi-Provençal 1953, p. 188-192). Surie qawm, groupe agnatique, cf. Guichard 1977, en part. chap. 4 et 9.
73 . Membre de la šūrā cordouane au temps du cadi Ibn Ziyāḍ, mort en 907/295.
74 Lagardère 1995, p. 55.
75 Sur ce problème de l'orientation de la qibla, Rius 2000 fournit une excellente analyse des données disponibles. On peut également relire avec profit la mise au point proposée dans Jiménez 1991.
76 Opinion d'Ibn Abī Zayd (m. 996/386) figurant dans Lagardère 1995, p. 118 et p. 211. Des documents plus tardifs formulent toutefois l'opinion contraire : al-Ġubrīnī, grand cadi de Tunis, mort vers 1410/813, stipule que « des villageois peuvent être contraints de participer aux frais de construction d'une mosquée et au traitement d'un maître d'école et de l'imām» (avis transmis par al-Wansǎrīsī : Lagardère 1995, p. 36). Il faudrait, bien entendu, connaître les circonstances dans lesquelles ces opinions ont été formulées pour pouvoir saisir les divergences de prises de position entre docteurs appartenant au même maḏhab; on touche là, me semble-t-il, l'une des limites de la littérature juridique, qui prive souvent la fatwā de son contexte.
77 ‘umrān, p. 75-77 ; annexe : 'umrān, 9.
78 Il convient de rappeler que, de manière générale, le domaine de la fiscalité reste assez mal connu : il ne paraît guère possible, dans l'état actuel de nos connaissances, d'aller au-delà des 'traditionnelles distinctions opérées par les auteurs entre impôts versés par les musulmans/par les non-musulmans, impôts légaux/taxes extraordinaires, impôts sur la propriété mobilière/sur la propriété foncière. Pour une présentation générale de ces distinctions, cf. Chalmeta Gendrón 1988. Sur ces distinctions, qu'on retrouve tout au long de l'histoire d'al-Andalus, voir pour une présentation détaillée et les nuances à apporter au schéma général, pour l'époque omeyyade : Lévi-Provençal 1953, p. 35-41 ; pour le xie siècle : 8enaboud 1994, p. 248-255 ; pour les temps almoravides et almohades : Molina Pérez 1997, p. 244-258 ; pour l'époque naṣride : Arié 1973, p. 215-222 et Torres Dalgado 2000, p. 552-557. On est donc bien loin, quant aux villes d'al-Andalus, des problématiques mises en œuvre autour de la fiscalité des villes de l'Occident méditerranéen au Moyen Age (Menjot et Sanchez Martinez (coord.) 1999).
79 Opinion transmise par al-Wansǎrīsī (Lagardère 1995, p. 145).
80 Il faut consulter, à ce sujet, les données rassemblées dans Garcia San juan 2002 a.
81 Barceló 1984-85, Chalmeta Gendron 1988.
82 Avis d'Abū 'Abd Allāh Muḥammad b. Muhammad al-Saraqusṭī (m. 1084/477), compilé par al-Wanšarīsī (Lagardère 1995, p. 61).
83 Ibid., p. 206. Faut-il exclure aussi une levée exceptionnelle, sur le mode du ta 'tīb ? Al-Wansǎrīsī consigne en effet ce qui suit : à Tlemcen, Abū 'Uṯmān (m. 1408/811) rapporte que des gens d'une localité ayant réclamé au gouverneur la construction d'une grande-mosquée, celui-ci a procédé à une réquisition forcée de main-d'œuvre et de bêtes de somme pour le transport de matériaux (ibid., p. 41).
84 Fatwā d'Ibn Lubb (Grenade, m. 1381/782) analysée dans Lagardère 1995, p. 478 ; cf. annexe : 'umrān, 1.
85 . Il y aurait là non une véritable transformation de ressources privées en ressources publiques, mais une transformation de ressources privées en ressources semi-publiques, au bénéfice de la ḥawma et des gens du quartier.
86 Ibn 'Iḏārī, Kitāb al-Bayān al-Muġrib, 4, éd, p, 74,
87 Touri 1992,
88 J,-P, Van Staëvel (2001 b, p. 222-226) note le même mutisme chez Ibn al-Imām (m. 990/380 ou 996/386) : il n'y a dans l'œuvre aucune mention relative à la construction ou à la réparation des murailles urbaines, tout comme d'ailleurs il ne s'y trouve aucune mention relative à la construction des mosquées, ce que l'auteur explique par « l'hégémonie du privé », par le fait qu'Ibn al-Imām se préoccupe fondamentalement du domaine de la construction privée, et non de la construction publique,
89 Ibn 'Iḏārī, Kitāb al-Bayān al-Muġrib, 3, trad., p. 123. On trouve, dans le Mi’yār, une autre allusion à un quartier qui se ferme sur lui-même, dans un avis rendu à Fès au xve siècle par Abū Muḥammad 'Abd Allāh b. Muḥammad al-'Abdūsī (m. 1446/849) : « de nombreuses boutiques appartenant à la mosquée et situées dans le souk de Tazā ont été mises à mal et ont perdu leur toiture parce que c'est là que les deux factions se sont affrontées pendant la fitna [...] Pour aménager des venelles (durūb, adrāb) afin d'assurer la protection de leurs maisons et des boutiques, les gens du quartier voudraient disposer d'un mois de loyer de ces boutiques» (Lagardère 1995, p. 146)
90 Sur les ressources de la documentation juridique quant à la défense de la ville, voir les
hypothèses de travail réunies dans Marin 1998.
91 Lagardère 1995, p. 54.
92 Ibid., p. 124.
93 Ibid., p. 218.
94 Ibid., p. 479.
95 Parmi les impôts dont l'existence est signalée pour l'époque naṣride (Arié 1973, Torres Delgado 2000), n'apparaît pas le waẓīf. Il faut sans doute le rapprocher de la waẓīfa, ainsi définie pour l'époque omeyyade : l'un des impôts légaux, à la différence des maġārim, qui porte sur la propriété mobilière et qui est perçu en nature, à la différence du nāḍḍ, perçu en numéraire (Lévi-Provençal 1953, p. 37-38). De naḍḍ (monnaie d'or ou d'argent, monnaie sonnante et trébuchante), vient nāḍḍ, argent de la vente des produits.
96 Lagardère 1995, p. 223.
97 Ibid., p. 219.
98 Ibid., p. 144.
99 . On trouvera dans Lagardère 1995, p. 362 davantage de détails sur cette affaire de frais communs de gardiennage qui est soumise à Ibn al-Ḥāǧǧ.
100 Ibid., p. 138.
101 Id.
102 Ibid, p. 146.
103 Ibid, p. 254.
104 Les notices rassemblées concernent davantage le Maġrib et la basse époque, ce qu'il faut imputer aux origines de notre compilateur.
105 Voir les notices 5, 6, 8 et 9.
106 Taxe perçue sur les habitants : notices 1 et 4. Dans le texte n03, les habitants sont chargés d'effectuer les opérations de vente des matériaux, puis des travaux de réparation.
107 Notices 8, 9 et 11.
108 Ce dernier point met en lumière, me semble-t-il, la difficulté majeure de lecture de ces consultations juridiques : lorsqu'on ne peut avoir accès aux circonstances (temps de guerre, particularité coutumière, etc.) dans lesquelles se produit l’istiftā', ce qui est souvent le cas, il s'avère bien difficile de saisir la subtilité de la réponse du mufti.
109 On en trouve un exemple bien documenté dans une fatwā rendue à Grenade par Abū Sa’īd Faraǧ b. Lubb (m. 1381/782) : les habitants d'un quartier construisent un four et constituent ses revenus en habou au profit d'une rābita (fatwā consignée dans le Mi’yār : Lagardère 1995, p.280).
110 Voir cette plainte déposée par des habitants de Tāzā à propos de la mise en place d'un canal de dérivation à partir de la conduite principale et la fatwā rendue par Abū 'Imran b. Muḥammad b. Mu'ṭī al-'Abdūsī (m. 1374/776), citée dans le Miy’ār (ibid., p. 337).
111 ’umrān, p. 81 ; annexe : ·’umrān, 10.
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Vivre à Cordoue au Moyen Âge
Ce livre est cité par
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