Le ministère de la Guerre sous la Deuxième République et le Second Empire
p. 347-355
Texte intégral
La Guerre et les conflits
1Entre 1848 et 1870, l’action militaire française s’étendit sur tous les continents et prit de multiples formes. Celle d’abord d’une opération extérieure de maintien de l’ordre international avec l’occupation de Rome entre 1849 et 1870 pour protéger l’autorité temporelle du pape puis, en 1860-1861 en Syrie, pour défendre les chrétiens du Liban. La guerre constituant un des piliers du régime, comme sous le Premier Empire, Napoléon III entreprit une guerre de coalition en Russie, comprenant une expédition en Baltique en 1854 et une guerre en Crimée entre 1854 et 1856. Les interventions militaires en Extrême-Orient, menées essentiellement par les troupes de marine, marquèrent en 1858 le début de la présence française en Indochine et rouvrirent en 1860 les portes de la Chine aux commerçants français et anglais. Les armées de Napoléon III se portèrent au Mexique de 1861 à 1867 pour défendre des intérêts religieux, économiques et monétaires. Or, le bilan de ce conflit ne peut se résumer au destin de Maximilien, frère cadet de l’empereur d’Autriche, « nommé » empereur par une assemblée de notables mexicains en juin 1864 et fusillé, presque jour pour jour, trois ans plus tard. Les armées françaises participèrent également à deux guerres en Europe occidentale : pour l’indépendance de l’Italie en 1859-1860 et contre une alliance d’États allemands en 1870-1871. Par ailleurs, la colonisation progressive, suivant les voies de pénétration, suite aux expéditions répétées de Faidherbe à partir des côtes du Sénégal, permit d’étendre la zone d’influence française en Afrique noire. Enfin, sous la direction de ses gouverneurs, notamment les généraux d’Hautpoul en 1850-1851 et Randon en 1852-1858, l’Algérie resta l’affaire des militaires qui poursuivirent les opérations de « pacification », en 1864-1865 notamment, lors de la répression de la grande insurrection en Kabylie.
Armée et politique
2Après les journées de février 1848, les républicains épurèrent la haute hiérarchie de l’armée et du ministère de la Guerre. Deux décrets du 17 avril 1848 placèrent à la retraite d’office 38 généraux de division, 27 maréchaux de camp, 25 colonels et cinq lieutenants-colonels, proches du roi Louis-Philippe ou de sa famille. Parmi eux, quatre directeurs au ministère de la Guerre furent exclus1. Pourtant, après la révolution de Février, où l’armée fut débordée à Paris, aucune velléité militaire de résistance en faveur de la famille des Orléans n’apparut au sein des régiments.
3Durant la Deuxième République, dans des camps politiques différents, les généraux Cavaignac, Charras, Changarnier, Bedeau, Lamoricière ou encore Saint-Arnaud représentaient l’archétype du militaire devenu politique. Après la répression de l’insurrection de juin 1848, avec le général Cavaignac, principal ministre, Lamoricière ministre de la Guerre, Charras sous-secrétaire d’État à la Guerre et Changarnier commandant en chef des gardes nationales de la Seine (puis de la première division militaire en 1849), les « Africains » façonnèrent une République de l’ordre et une démocratie sous surveillance. L’état de siège fut maintenu jusqu’en octobre 1848.
4Parallèlement, tous les militaires, électeurs et éligibles depuis mars 1848, furent courtisés par les partis. Ils votaient dans leur régiment pour des candidats de leur département d’origine. Or, une soumission politique totale était demandée aux troupes et aux officiers. L’épuration des militaires républicains militants s’amplifia, la mutation en Algérie étant la sanction la plus fréquente. L’élection à la Chambre en 1849 de trois sous-officiers démocrates-socialistes (Boichot, Rattier et Commissaire) représenta un choc pour la hiérarchie militaire, même s’ils furent mis en accusation – puis détenus ou exilés – après l’échec de la tentative insurrectionnelle d’appel aux armes du 13 juin 1849.
5À partir de l’élection présidentielle de décembre 1848, l’armée fut appelée à jouer le rôle d’arbitre de la situation politique entre l’Assemblée constituante puis législative et Louis-Napoléon Bonaparte. Le coup d’État fut l’œuvre d’une partie de l’armée sous les ordres de Saint-Arnaud et Magnan notamment, mais celle-ci n’en fut pas l’instigatrice. Ce coup de force apparut aussi, pour certains militaires, comme une revanche de 1848 et de l’humiliation subie par les troupes de ligne. Le 2 décembre et les jours suivants, des militaires arrêtèrent d’autres militaires, figures de proue de l’opposition, comme Cavaignac, Charras, Lamoricière et Changarnier notamment. L’armée réprima dans le sang, surtout en province, toute volonté de résistance. Après le coup d’État, les militaires qui s’étaient opposés au plébiscite de décembre 1851 furent écartés. Ainsi, après les orléanistes et les républicains avancés, les non-bonapartistes furent sanctionnés ou chassés des rangs de l’armée lors d’une troisième vague d’épuration. Avec le décret du 2 février 1852, les militaires ne pouvaient plus voter que dans leur commune d’origine : cela revenait pratiquement à leur supprimer ce droit. En revanche, pour les plébiscites, dont celui portant sur le rétablissement de l’Empire en décembre 1852, ils conservèrent la possibilité de voter au sein de leur corps. Leurs opinions politiques restèrent très surveillées durant le Second Empire.
6Par ailleurs, la mise en veille de la garde nationale après les journées de juin 1848 accrut dans un premier temps l’importance de l’armée de ligne dans le maintien de l’ordre parisien. Puis, au cours des troubles que connut la capitale à l’occasion des campagnes électorales de 1868-1870 – quand la parole était libérée et les réunions libres –, l’armée joua un rôle dissuasif mais plus rarement répressif : les effectifs en hausse de la police parisienne et de la garde de Paris autorisaient en effet une répression graduée, posant les bases d’un maintien républicain de l’ordre avant la Troisième République2.
7L’emprise géographique des positions militaires à Paris se renforça pendant le Second Empire. Ainsi, des constructions décidées sous la Deuxième République furent achevées (casernes Lobau et Napoléon près de l’Hôtel de ville) et de nouveaux chantiers furent lancés, s’intégrant dans le projet haussmannien qui prenait notamment en compte les impératifs du maintien de l’ordre (caserne du Prince-Eugène, aujourd’hui Vérines sur l’actuelle place de la République, caserne de la Cité et aujourd’hui préfecture de police, caserne Schomberg sur les terrains de l’ancienne île Louviers rattachés à la rive droite). Les troupes « de l’armée de Paris » se répartissaient intra-muros : à l’état-major de la place de Paris place Vendôme, à l’état-major de la 1re division militaire, rue de Lille, mais surtout dans les casernes anciennes ou construites durant le premier xixe siècle (Reuilly, Gros-Caillou…), les nombreux postes de garde, les quartiers militaires comme ceux d’Orsay, de Sens ou de l’École militaire. L’armée occupait également l’enceinte fortifiée réalisée pendant la monarchie de Juillet et des casernements en proche et lointaine banlieue, à l’image par exemple de la garde impériale. Théâtre récent de plusieurs guerres des rues, Paris demeura entre 1848 et 1870 une place de guerre où le ministre avait aussi pour mission de protéger le gouvernement. Jusqu’à cette époque, jamais les militaires n’avaient été aussi présents au sein et autour de la capitale.
8En province, l’armée participa également à la défense du régime contre les opposants. Ainsi, la création en 1858 de cinq grands commandements confiés à des maréchaux répondait-elle à des objectifs militaires et civils de surveillance et de renseignement politique3. L’année suivante étaient organisés cinq, puis six « corps d’armée » permanents de troupes métropolitaines, qui dirigeaient des divisions militaires (22 en 1860) regroupant des subdivisions départementales. Cette répartition territoriale était davantage destinée au maintien de l’ordre qu’à une mobilisation contre une armée étrangère4.
9Enfin, la reformation en 1854-1855 de la garde impériale5, véritable armée dans l’armée entièrement dévouée à l’empereur, témoigne à sa manière de la politisation de la troupe. Chef des armées, Napoléon III accordait une place prépondérante aux militaires au sein de son régime autoritaire. Pourtant, le budget du ministère de la Guerre resta constamment contraint, hormis celui de la Marine et le coût des conflits financé essentiellement par sept emprunts.
Le budget de la Guerre
10Après une réduction continue du budget de la Guerre entre 1848 et 1851, qui passa de 421 à 316 millions de francs, les premières années du Second Empire le maintinrent aux environs de 320 millions de francs6. Exceptés les pics de dépenses de 1854-1856, 1859 et 1870-1871, correspondant à des années de campagnes, le budget pour la période 1857-1869 oscilla entre 400 et 550 millions de francs annuels. Entre 1848 et 1870, le budget de la Guerre ne dépassa jamais les 25 % du budget de l’État (autour de 30 % avec la Marine), approchant le plus souvent les 20 % (sans les dépenses de la Marine). Pour Jean Delmas, les dépenses d’armement « même à 4 % constituent une part très faible du budget de la Guerre où les dépenses de fonctionnement pèsent lourdement. Toutefois, un brutal changement intervient à la fin du Second Empire avec la décision d’adopter le fusil Chassepot : en 1867-1869, les dépenses d’armement terrestre atteignent une moyenne de 31 millions de francs par an, alors qu’elles n’étaient que de 3,7 millions en 18657 ». Néanmoins, les dépenses militaires demeurèrent modérées – les résistances parlementaires à leur accroissement étant fortes – et la garde nationale mobile créée en 1868 en fit notamment les frais.
11Parallèlement, justifiée par le secret de l’armement des forces françaises, le Second Empire connut une transparence financière minimale. Le vote des dépenses se fit en bloc par ministère de 1852 à 1861, puis par section au sein d’un budget ministériel à partir de 1861. Prévu pour l’exercice 1871, le vote par chapitres budgétaires, dont le nombre ne cessa de croître depuis 1848, ne fut pas mis en œuvre. Par ailleurs, le Second Empire fit adjoindre des budgets connexes au budget général de l’État, nuisant par là même à l’unité des comptes et donc à leur clarté. Ainsi, dans le dernier budget de l’Empire, celui de l’exercice 1870, on pouvait additionner des budgets ordinaires, sur ressources spéciales et extraordinaires, avec les comptes de la caisse de dotation de l’armée. De plus, pendant que des virements entre chapitres ministériels demeuraient toujours possibles, le recours aux crédits supplémentaires, entérinés a posteriori par les chambres, fut permanent8.
12À l’instar du puzzle budgétaire, l’administration de la Guerre présentait une organisation mouvante, reflet à la fois des corporatismes et d’un mode de gouvernance spécifique.
L’organigramme ministériel
13La spécialisation administrative du ministère, croissante depuis la Révolution, demeurait encore indécise, oscillant entre une gestion par armes et un commandement unifié des troupes en armées. Par ailleurs, l’absence d’un état-major général des armées facilitait la multiplication des combinaisons organisationnelles, au gré des ministres.
14Outre le cabinet et l’état-major du ministre, permanents durant la période, l’Almanach national puis impérial (1848-1870) présentait en 1848 un secrétariat général et dix directions : cinq services correspondaient à la gestion par armes (infanterie, cavalerie et remontes, gendarmerie, artillerie, génie), auxquels s’ajoutaient un service des états-majors lié aux opérations militaires et au mouvement des troupes, ainsi que les directions de l’administration, des affaires de l’Algérie, de la comptabilité générale et enfin du Dépôt de la guerre. En 1851, l’Algérie, gérée à la fois par un service propre et par le Dépôt de la guerre, rejoignit le service des états-majors. La réforme initiée par le décret du 7 janvier 1852 supprima le secrétariat général et réduisit à sept les directions de l’administration centrale (personnel, affaires de l’Algérie, administration, comptabilité générale, Dépôt de la guerre, artillerie et génie). En 1861, les intitulés des directions furent complétés. On dénombrait ainsi une direction de la correspondance générale, des états-majors, du recrutement, de la dotation de l’armée, de la justice militaire et de l’infanterie ; une direction de l’intendance militaire, des services administratifs, des troupes d’administration, du personnel des officiers de santé et de la solde, ainsi qu’une direction de la comptabilité générale, des pensions et secours, du service intérieur et des archives. Un service de l’Algérie était recréé. Les traditionnelles directions de la cavalerie, des remontes et de la gendarmerie ; de l’artillerie ; du génie et de celle du Dépôt de la guerre conservaient leur dénomination.
15La brève existence – à compter du décret du 24 juin 1858 jusqu’au décret du 24 novembre 1860 – du ministère de l’Algérie et des Colonies amputa un temps la Guerre de sa direction des affaires algériennes, tout comme elle fit disparaître temporairement le gouverneur général militaire de l’Algérie et la direction des colonies du ministère de la Marine.
16Les tribulations administratives de la gendarmerie9 illustrent singulièrement la géométrie variable de l’organisation ministérielle. Le bureau de la gendarmerie fut transformé en service autonome en novembre 1849 ; mais un simple bureau fut rétabli au sein de la direction du personnel en janvier 1852. La décision ministérielle du 11 avril 1855 instaura une direction spéciale de la cavalerie et de la gendarmerie et porta donc à huit le nombre des directions. Une décision ministérielle du 9 février 1867 attribua la gestion des subsistances militaires, de l’habillement et de la solde de l’Arme à trois bureaux différents de la direction de l’administration, et donc distincts du bureau de la gendarmerie maintenu au sein de la direction de la cavalerie, des remontes et de la gendarmerie.
17De 1855 à 1869, le nombre de directions se maintint à huit. En 1868, la nouvelle gestion de la garde nationale mobile fut confiée à la 1re direction (de la correspondance générale, des états-majors, du recrutement, de la justice militaire, de l’infanterie et de la garde nationale mobile), qui fut scindée en 1869, avec une nouvelle direction de l’infanterie et de la garde nationale mobile, ce qui porta à neuf les directions de la Guerre à la fin du Second Empire. Par ailleurs, la dotation de l’armée, gérée par la 1re direction jusqu’au moment de sa liquidation, en 1868, passa sous la responsabilité de la direction de la comptabilité générale du ministère de la Guerre, alors que le service des poudres et salpêtres fut cogéré avec le ministère des Finances à partir de 1865.
18Enfin, le ministère dirigeait des établissements de formation, qui se multiplièrent au cours du siècle : l’École polytechnique créée en 1794, l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1802, la même année que l’École d’artillerie et du génie de Metz, l’École de cavalerie à Saumur fondée en 1814, dissoute en 1822, et refondée en 1825, l’École d’application du corps d’état-major rue de Grenelle-Saint-Germain créée en 1818 et installée en l’hôtel de Sens à partir de 1826, le Collège militaire de la Flèche instauré en 1831 pour les fils de militaires, l’École normale de gymnastique à Joinville instituée en 1852, ainsi que les huit écoles d’artillerie de province. Inauguré en 1858, le plus grand champ de manœuvre français, le camp de Mourmelon-le-Grand, dit camp de Châlons, accueillit en 1864 l’École de tir de Vincennes créée en 1842.
19Une population réduite de fonctionnaires avant la lettre était chargée de faire vivre cet État dans l’État.
Les bureaux et les directeurs
20Entre 1848 et 1870, le nombre de fonctionnaires et d’employés se maintint autour de 500 personnes à l’administration centrale10. La distinction établie en 1844 entre, d’une part, les rédacteurs et les comptables et, d’autre part, les expéditionnaires fut abolie en 1850. Un corps unique de commis perdura jusqu’en 1880. Parmi le personnel civil des bureaux, les surnuméraires candidats à une place de commis devaient passer un concours, tandis que les anciens militaires en étaient dispensés et pouvaient être nommés directement. À compter de 1865, le baccalauréat était théoriquement exigé pour être engagé comme surnuméraire. L’avancement des civils – ceux-ci n’ayant généralement pas réussi à entrer dans une autre carrière plus avantageuse – demeurait lent et restait bloqué aux places de sous-chefs de bureau et très exceptionnellement de chefs de bureau. Pour y remédier en partie, outre une augmentation des traitements, quelques postes de sous-chefs adjoints pour des commis principaux et deux postes de sous-directeurs pour des chefs de bureau méritants furent créés en novembre 1862. D’autres mesures d’amélioration des rémunérations et d’aide à l’avancement furent adoptées en 186911.
21Dans l’administration centrale, la plus importante en termes d’effectifs avec celle des Finances, les militaires occupaient presque tous les postes de directeurs. Le ministre peinait néanmoins à mener son administration comme un régiment. Le conservatisme dans la gestion des affaires courantes et l’inertie des habitudes usaient les réformateurs les plus déterminés, à l’image de l’épuisement du ministre Niel avant son décès en fonction. En outre, des querelles intestines résultaient des rivalités entre civils et militaires, entre directions ou services, et entre officiers d’armes différentes. Les intendants militaires par exemple occupaient une place grandissante dans les bureaux du ministère, ce qui engendrait jalousie et méfiance12 ; il en était de même des officiers d’état-major. Par ailleurs, les directions d’arme œuvraient au sein d’une administration centrale en réalité très cloisonnée. Leurs directeurs, spécialistes dans leur domaine, géraient, sans la commander, leur arme d’origine. La longévité des directeurs renforçait leur autorité sur leurs bureaux, qui eux-mêmes connaissaient des effectifs peu renouvelés.
22Emblématique de cette constance dans les fonctions directoriales, on peut citer la carrière de Nicolas Petitet à la direction de la comptabilité générale. Élève de l’École des ponts et chaussées, entré dans les bureaux en 1817, élu officier de la garde nationale en 1835, sous-directeur de la comptabilité en février 1848, puis directeur la même année, il fut nommé conseiller d’État en service ordinaire en 1852, et resta en fonction jusqu’à son décès, survenu en 186213. Il fut, durant le Second Empire, le seul directeur civil à la Guerre. On peut encore mentionner le parcours du général Lucien-Antoine Blondel. Polytechnicien, ancien ingénieur géographe, chef du bureau des opérations militaires et de la correspondance générale entre 1844 et 1850, directeur du personnel et du cabinet de septembre 1850 à juin 1852, il fut directeur du Dépôt de la guerre de 1852 jusqu’à son décès en 1867 et, en parallèle de 1859 à 1863, directeur du personnel et des opérations militaires14.
23Cette grande stabilité des directeurs en faisait les véritables maîtres du ministère. Leur nomination correspondait soit à une promotion méritée, soit à une faveur personnelle ou à un geste de solidarité familiale. Cette fonction ne revint qu’exceptionnellement à d’anciens chefs de bureaux. Outre l’autorité de l’empereur, le pouvoir au sein du ministère était, dans les faits, partagé entre son cabinet – il y eut seulement quatre chefs de cabinet, à savoir Paul-Étienne de Lamorte Charens Franconière 1851-1859, Pierre-Félix Ribourt 1859-1864, Joseph Colson 1864-1869, Marie-Édouard d’Ornant 1869-1870 –, l’état-major du ministre – dualité spécifique aux ministères militaires dont l’articulation fonctionnelle reste mal connue15 –, les conseils, les commissions et comités permanents par armes16, les directeurs et enfin les bureaux. Dans cette configuration, le ministre de la Guerre apparaît au premier abord comme un rouage administratif de plus.
Les ministres
24Entre l’avènement du gouvernement provisoire de la République, fin février, et l’élection du prince-président, en décembre 1848, cinq ministres se succédèrent. Le général républicain, mais inconnu, Jacques-Gervais Subervie choisi le 25 février, démissionna peu après et fut remplacé le 5 avril 1848, pour un intérim qui dura jusqu’au 11 mai, par Dominique-François Arago, qui cumula alors cette fonction avec le portefeuille de la Marine et des Colonies. Il fut assisté à partir du 5 avril par un sous-secrétaire d’État, le lieutenant-colonel Jean-Baptiste Lalaurencie de Charras, par ailleurs historien militaire, député élu en 1848 et réélu en 1849, qui devint lui-même ministre par intérim du 11 au 17 mai 1848, avant l’entrée en fonction du général Louis-Eugène Cavaignac. Ce dernier, arrivé au gouvernement le 17 mai, obtint les pleins pouvoirs durant la répression des journées de juin 1848, puis dirigea le gouvernement à partir du 28 juin avec le titre officiel de président du Conseil. Combattant rudement durant juin 1848, choisi par Cavaignac qui continuait à superviser les dossiers militaires, Christophe Juchault de Lamoricière, autre général prestigieux des campagnes d’Afrique du Nord, déjà député sous la monarchie de Juillet, devint ministre le 28 juin 1848 et seconda le président du Conseil dans la répression. Lamoricière dut quitter son poste après l’élection du 10 décembre 1848, durant laquelle Cavaignac fut battu. Au cours des deux ministères d’Odilon Barrot où la gauche orléaniste était bien représentée, le général, pair de France et député en 1848, Joseph-Marcellin Rullière fut maintenu jusqu’à la nomination, le 31 octobre 1849, d’un gouvernement fidèle à Louis-Napoléon Bonaparte qui se passa dès lors de président du Conseil jusqu’en 1870.
25Le député, d’abord élu en 1830 – sous la Restauration –, puis réélu en 1834 et en 1849, proche de Louis-Napoléon Bonaparte, Alphonse-Henri d’Hautpoul fut le nouveau titulaire du portefeuille de la Guerre jusqu’à son désaveu par le président à la suite d’un incident l’opposant au général Changarnier. Il démissionna le 22 octobre 1850 et Jean-Paul-Adam Schramm, plus jeune général du Premier Empire, le remplaça. Il se retira à son tour en janvier 1851, refusant de signer la révocation de Changarnier hostile à Louis-Napoléon Bonaparte. Nommé le 9 janvier 1851, le général député Auguste-Michel-Étienne Regnaud de Saint-Jean-d’Angély n’eut pas les scrupules de Schramm. Après l’éviction de Changarnier, Jacques-Louis-César-Alexandre Randon fut désigné le 24 janvier 1851, mais il quitta l’hôtel de Brienne au mois d’octobre suivant, n’acceptant pas la responsabilité du coup d’État à venir. Nommé le 26 octobre 1851, Arnaud-Jacques Leroy de Saint-Arnaud fut, avec le ministre de l’Intérieur Morny, le préfet de police Maupas et les généraux Magnan à Paris et Castellane à Lyon, l’un des principaux maîtres d’œuvre du coup d’État.
26En 1854, après Saint-Arnaud, Jean-Baptiste-Philibert Vaillant, spécialiste des fortifications et grand maréchal du palais depuis 1852, fut choisi. Il resta à ce poste plus de cinq ans avant d’être remplacé par Randon, le 5 mai 1859, qui conserva son portefeuille près de huit ans. Adolphe Niel, aide de camp de l’empereur, fut ensuite nommé à la tête de l’administration de la Guerre, signe du soutien de Napoléon III aux mesures de modernisation militaire prônées par Niel. Les réformes successives, modifiant la durée du service de sept à cinq ans avec une réserve de quatre ans, transformant le système du remplacement par le versement d’une prime à l’État (« l’exonération »), ensuite supprimée, et permettant la lente édification, à partir de 1868, de la garde mobile dans laquelle devaient être versés ceux qui n’avaient pas été tirés au sort pour un service cinq ans dans l’armée active, furent cependant insuffisantes pour préparer la guerre. Niel fut remplacé par Edmond Le Bœuf le 21 août 1869, après un intérim exercé depuis le 7 août par le ministre de la Marine, l’amiral Rigault de Genouilly. Le Bœuf fut confirmé dans ses fonctions en janvier 1870 dans le ministère Émile Ollivier en raison de la volonté de l’empereur de conserver la main sur ce ministère. Après l’entrée en guerre contre la coalition d’États allemands, Le Bœuf partit aux armées et Dejean assura l’intérim parisien à partir du 20 juillet. Le 9 août 1870, Charles Cousin de Montauban, comte de Palikao, forma un gouvernement dont il était le principal ministre et ministre de la Guerre. Il eut une grande responsabilité dans le désastre de Sedan et se montra bien indécis le 4 septembre 1870, empêchant toute action du général Trochu, gouverneur de Paris imposé par l’empereur et en théorie responsable de l’ordre dans Paris.
27Durant le Second Empire, la stabilité ministérielle prévalut. Si la Deuxième République connut onze ministres en trois ans, le Second Empire n’en eut que six en 18 ans. Parmi ceux qui occupèrent le poste de la Guerre de 1848 à 1870, l’astronome Arago demeura le seul civil. Tous les autres comptabilisaient de nombreuses campagnes. Sur les quinze ministres (hors les intérims de Rigault de Genouilly et de Dejean) de la période considérée, on dénombre sept polytechniciens : Arago (1803), Vaillant (1807), Cavaignac (1820), Niel (1821), Lamoricière (1824), Charras (1828) et Le Bœuf (1828). Durant la Deuxième République, certains ministres étaient députés à leur nomination comme Arago, Charras, Lamoricière, Rullière, d’Hautpoul et Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, auxquels on peut associer Schramm, député et pair de France sous la monarchie de Juillet et sénateur du Second Empire. Avec le rétablissement du régime impérial en 1852, les ministres étaient responsables devant l’empereur seul et devenaient en titre des « ministres secrétaires d’État à la Guerre ». Les maréchaux de France17, nommés avant ou après leur ministère et pour des raisons diverses18, furent assez nombreux (Vaillant en 1851, Saint-Arnaud en 1852, Randon en 1856, Niel en 1859, Regnaud de Saint-Jean-d’Angély la même année et enfin Le Bœuf en 1870). Conseillers militaires du prince – parmi d’autres –, proches de l’empereur et fidèles du régime, les ministres de la Guerre en étaient les serviteurs armés. Chefs de guerre, ils n’hésitaient pas à reprendre le commandement de troupes en campagne, à l’instar de Saint-Arnaud en Crimée, de Vaillant en Italie et de Le Bœuf en 1870. Le premier mourut du choléra contracté durant la campagne, le troisième fut fait prisonnier lors de la capitulation de Metz en 1870. D’autres ministres furent contraints à l’exil en 1851 ou en 1870.
28Peu après le 4 septembre 1870 et l’avènement de la République, le ministère de la Guerre, bientôt prisonnier dans Paris assiégé, se divisa. Une délégation du gouvernement de la Défense nationale, composée de quelques représentants de ce ministère, se rendit à Tours à partir du 16 septembre, puis gagna Bordeaux à compter du 10 décembre, avant de rejoindre à Versailles leurs camarades et collègues du ministère exilés de Paris, en raison de l’insurrection du 18 mars 1871. Le ministre y resta jusqu’en 1879 avant d’occuper des locaux de l’îlot Saint-Germain.
Notes de bas de page
1 William Serman, Les officiers français dans la nation, 1848-1914, Paris, Aubier, « Collection historique », 1982, p. 74.
2 Fabien Cardoni, La garde républicaine d’une République à l’autre. Un régiment de gendarmes à Paris, 1848-1871, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 211-256.
3 Voir les quinze carnets du maréchal du Castellane, SHD/GR, 1 M 2252.
4 Jean Delmas (dir.), Histoire militaire de la France de 1715 à 1871, Paris, PUF, 1992, p. 431.
5 Elle est confiée à un proche de l’empereur, ancien éphémère ministre de la Guerre et futur maréchal, Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, qui en conserve le commandement de 1854 à 1869.
6 Les chiffres sont ceux des lois de règlement du seul ministère de la Guerre tels que les a reconstitués Charles Nicolas, Les budgets de la France depuis le commencement du xixe siècle, Paris, Impr. générale A. Lahure, 1882 (posthume), 352 p.
7 Jean Delmas (dir.), Histoire militaire…, op. cit., p. 429.
8 Fabien Cardoni, « La construction d’une architecture budgétaire formelle et l’orthodoxie financière au xixe siècle », dans Philippe Bezès, Florence Descamps, Sébastien Kott et Lucile Tallineau (dir.), La mise en place du système financier public, 1814-1914. Élaborations et pratiques du droit budgétaire et comptable au xixe siècle, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2010, p. 425-451.
9 Voir « Bureau et service de la gendarmerie (1791-1918) », dans Jean-Noël Luc (dir.), Histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie. Guide de recherche, Maisons-Alfort, Service historique de la Gendarmerie nationale, 2004, p. 865-866.
10 Chiffres cités par Vincent Wright, « Les bureaux du ministère de la Guerre (1815-1879) », Revue historique des armées, n° 3, 1993, p. 72.
11 Guy Thuillier, « La gestion du personnel des ministères au xixe siècle. L’exemple de la Guerre (1830-1880) », Revue administrative, n° 183, 1978, p. 261-273.
12 Vincent Wright, « Les bureaux… », op. cit., p. 79.
13 Roland Drago, Jean Imbert, François Monnier et Jean Tulard (dir.), Dictionnaire biographique des membres du Conseil d’État, 1799-2000, Paris, Fayard, 2004, p. 324.
14 [Service historique de la Défense], Guide des archives et de la bibliothèque du Service historique de l’armée de terre, Vincennes, ministère de la Défense – état-major de l’armée de terre, 1998 (2e éd. 2001), p. 165.
15 Pierre Guiral, « Les cabinets sous le Second Empire », dans Origine et histoire des cabinets des ministres en France, Genève, Droz, 1975, p. 56.
16 À noter que le Comité de la gendarmerie recréé le 16 décembre 1851 conserva un rôle purement consultatif.
17 Joseph Valynseele, Les maréchaux de Napoléon III, leur famille et leur descendance, Paris, J. Valynseele, 1980, 600 p.
18 Joseph Valynseele, « Les maréchaux de Napoléon III », dans Jean Tulard (dir.), Dictionnaire du Second Empire, Paris, Fayard, 1995, p. 772-775.
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