Le ministère de la Guerre sous la monarchie de Juillet
p. 273-282
Texte intégral
1Arrivé au pouvoir, Louis-Philippe mit en place une diplomatie prônant ses conceptions pacifiques, tout en affirmant sa résolution de protéger le royaume contre d’éventuelles agressions, mais aussi en sauvegardant les intérêts français sur le plan international. En termes de politique intérieure, fort de sa réputation libérale, il garantissait aux notables de conserver l’ordre social dans le cadre du suffrage censitaire et de ne gouverner que par les lois. Au sein de l’armée, une importante purge permit d’écarter une partie des officiers favorables aux Bourbons. Le nouveau régime naquit dans la douleur et dut s’imposer face au mouvement carliste et aux frustrations des républicains, estimant avoir été privés du pouvoir, ce qui entraîna leur radicalisation. Ces derniers purent cependant développer leurs doctrines et diffuser leurs idées, notamment au travers de la Société des droits de l’homme. Cette propagande, qui toucha une vingtaine de régiments de la ligne et une dizaine de régiments de cavalerie, connut un certain succès jusqu’en 1834-1835. Ces ferments inquiétèrent le gouvernement, qui put douter de l’intervention de l’armée en cas de crise politique majeure1.
2Sur le plan militaire, la monarchie ne s’impliqua dans aucun conflit avec les grandes puissances. Au début du règne de Louis-Philippe, elle dut défendre ses intérêts, au Portugal notamment. Don Miguel ayant refusé de présenter des excuses et de verser des réparations aux ressortissants français victimes de mauvais traitement, l’amiral de Rigny engagea la marine qui captura les navires ennemis et remonta le Tage. La France intervint en 1831-1832 pour soutenir l’indépendance de la Belgique et favoriser la séparation avec les Pays-Bas. En accord avec l’Angleterre, elle encouragea l’accession au pouvoir de Léopold de Saxe-Cobourg. L’armée du maréchal Gérard, composée de 48 000 hommes, permit d’évacuer la Belgique, excepté la ville d’Anvers. Bravant les oppositions des Autrichiens, des Russes et des Prussiens après une nouvelle crise, la France et l’Angleterre décidèrent d’opérer un blocus. Sur le terrain, le maréchal Gérard, fort d’une armée de 55 000 soldats, entama le siège d’Anvers, qui capitula le 25 novembre 1832. La France intervint également en Italie, pour lutter contre l’influence autrichienne. À la suite de la prise de Bologne, Casimir Perier envoya des troupes occuper la ville d’Ancône. Les protestations du pape, Grégoire XVI, aboutirent à la conférence des ambassadeurs, qui rétablit l’autorité pontificale et permit aux Français de stationner dans cette ville jusqu’en 1838. Les interventions en Amérique latine, dans le Pacifique ou dans l’océan Indien demeurèrent prudentes et modestes. La grande entreprise de la monarchie de Juillet fut la conquête de l’Algérie. Hésitant un moment sur la conduite de la France et envisageant un retrait des troupes, le roi et les gouvernements successifs poursuivirent une politique d’expansion, surtout après les années 1840, en s’appuyant sur des effectifs croissants, représentant un volume de 10 000 hommes en 1830 et 58 000 dix ans plus tard.
Les ministres et l’organisation de l’armée
3Dix ministres se succédèrent à la tête de la Guerre entre 1830 et 1848. Plusieurs occupèrent le poste à deux reprises (Gérard, Soult, Rigny, Bernard, Despans-Cubières), ce qui montre à l’évidence que la proximité du pouvoir jouait un rôle central dans l’accession aux responsabilités. Tous furent d’ailleurs pairs de France ou élus dans les chambres. Les ministres de la Guerre faisaient partie de l’élite politique du pays. Ces qualités demeuraient pourtant insuffisantes, dans la mesure où la carrière dans les armées était déterminante dans le choix du ministre. Désignés exclusivement parmi les militaires, ils disposaient d’une position dominante vis-à-vis du commandement supérieur, leur statut leur permettant en principe d’être plus facilement obéis2. Tous ont d’ailleurs pour point commun d’avoir participé aux campagnes de la Révolution et de l’Empire – à l’exception de Despans-Cubières, Saint-Yon et Trézel, nés après 1780 et trop jeunes pour se battre lors des guerres de la Révolution. Les ministres étaient issus majoritairement de la bourgeoisie, fils de notaires, d’huissiers, de médecins ou de parents ayant fait partie des élites municipales. Deux d’entre eux étaient d’origine noble (Rigny et Despans-Cubières), et deux autres provenaient d’un milieu socioprofessionnel modeste (le père de Simon Bernard était plâtrier et celui de Camille Trézel exerçait la profession d’épicier).
4Le ministère de la Guerre fut dominé par la figure du maréchal Soult, demeurant en place, lors de ses deux mandats, près de neuf années, ce qui lui permit d’entreprendre d’importantes réformes et de remodeler la configuration de l’armée. Simon Bernard se maintint à la tête du ministère durant deux ans et demi, Saint-Yon un an et six mois et Maison un an et cinq mois ; les autres durent se contenter d’un temps de commandement inférieur à l’année.
5La monarchie censitaire contribua à renouveler les pratiques gouvernementales, en introduisant notamment les principes de solidarité ministérielle et de responsabilité devant les chambres et le roi. Nommés par ce dernier, les ministres jouèrent un rôle de premier plan dans le fonctionnement de l’exécutif. Les cabinets, remplaçant les secrétaires particuliers, prirent forme pour soutenir le ministre dans ses multiples tâches. Comme le rappelle Claude Carré, les problématiques liées à l’administration posaient de nombreux problèmes. Fallait-il déconcentrer et diluer les pouvoirs au sein des bureaux et divisions, ou bien au contraire limiter le nombre des interlocuteurs ? Quelle devait être la place des secrétaires généraux dans ce dispositif ? La gestion du ministère était devenue complexe sous la monarchie de Juillet et chaque ministre souhaitait en améliorer l’efficacité3. C’est pourquoi ces derniers, à leur arrivée, modifièrent presque systématiquement la conformation et l’agencement des directions et des bureaux.
6Le ministère de la Guerre demeurait un poste clef sous la monarchie de Juillet. Le roi y plaçait à plusieurs reprises des hommes de confiance ou qui lui étaient attachés personnellement. C’était le cas du maréchal Soult ou encore du général Bernard, ancien aide de camp du monarque. Le ministre occupait une position centrale dans le fonctionnement de l’armée ; il administrait notamment le recrutement, l’équipement, le logement, la solde, le mouvement des troupes et gérait les carrières et les budgets.
7Sur le plan de l’organisation territoriale, le ministre exerçait son autorité sur les divisions et les subdivisions militaires, ces dernières étant stationnées dans les départements. Le nombre des divisions varia entre 17 et 22 entre 1815 et 1860. Elles n’étaient pas déterminantes dans le recrutement, qui dépendait en réalité plus du cadre général de l’armée fixant les règles d’engagement. Dépourvues de compétence opérationnelle, elles demeuraient installées dans des points fixes, tandis que les régiments étaient soumis au changement de garnison tous les quatre ans, ce qui explique qu’elles ne possédaient pas d’unités traditionnelles, fixées depuis longtemps dans un même endroit. Le recrutement, établi par la loi du maréchal Soult du 21 mars 1832, ne modifiait guère le système de la conscription, fondé sur la longue durée du service, un faible contingent et le tirage au sort, tempéré par le remplacement.
8L’œuvre du maréchal Soult s’étendit également aux officiers, dont il contribua à stabiliser la situation par une loi du 19 mai 18344. Après avoir subi de plein fouet les purges au moment des changements de régime, ce corps put bénéficier d’un texte, le premier, qui faisait du grade la propriété des officiers et garantissait à ces derniers une carrière et un emploi à l’abri de l’arbitraire du pouvoir. La mise en non-activité ou bien la réforme n’intervenaient en principe que dans les cas prévus par la loi. En revanche, plusieurs circulaires, en 1835 et 1841, limitèrent leur liberté d’expression, en raison de la multiplication des écrits, parfois très virulents, publiés dans la presse. Le maréchal Soult exprimait ainsi sa contrariété dans un courrier du 26 février 1841, paru dans le Journal militaire officiel :
« Des critiques plus ou moins vives contre les lois constitutives de notre organisation militaire ont trouvé place récemment dans les articles de journaux… signés par des officiers appartenant à l’armée d’active. J’ai vu avec un sentiment profond de mécontentement cet oubli de dispositions… S’il arrivait à l’avenir que des militaires se permissent de nouvelles publications… sans l’approbation de l’autorité supérieure, je n’hésiterais pas à leur faire l’application des dispositions de la loi5… »
9Les officiers généraux et les maréchaux faisaient partie de l’état-major général. On en dénombrait 446 sous la Restauration, mais la purge de 1830 – 22 lieutenants généraux et 59 maréchaux de camp furent mis en réforme –, jointe aux économies, ramenait ce chiffre à 283 au début du règne de Louis-Philippe6. L’infanterie constituait l’essentiel des troupes. Elle s’enrichit, sur l’initiative du duc d’Orléans, par la création de bataillons de chasseurs employant la carabine à percussion, améliorant la portée des tirs. Une ordonnance du 28 septembre 1840 confirmait l’instauration de dix bataillons, procédant d’une volonté de disposer d’unités légères susceptibles d’intervenir avec promptitude. Devenus chasseurs d’Orléans en 1848, ils furent rebaptisés chasseurs à pied la même année. Plus généralement, les effectifs de l’infanterie augmentèrent sous la monarchie de Juillet, avec comme point culminant l’année 1840, où la crise internationale laissa craindre le déclenchement de la guerre.
10Les unités d’Afrique apportèrent des innovations. Des bataillons, puis des régiments de zouaves, instaurés en 1830 dans la tribu kabyle des Zouaoua, participèrent à la conquête de l’Algérie. L’armée d’Afrique intégra également des auxiliaires indigènes, regroupés par province en Algérie. Les troupes de cavalerie se développèrent avec la création de trois régiments de chasseurs à cheval à partir de 1831. De recrutement français, ces formations furent rapidement complétées par le corps des spahis, composé d’indigènes encadrés par des Français. L’armée d’Afrique comprenait encore des régiments étrangers – une ordonnance du 10 mars 1831 instaurait une légion étrangère – et disciplinaires, formés aux débuts de la conquête.
11L’Algérie présentait une autre spécificité avec les bureaux arabes, matérialisant les missions politiques et administratives de l’armée auprès des populations locales. Lamoricière, qui était encore capitaine en 1833, dirigea le premier cette entité, qui fut officialisée en 1844 par Bugeaud. Lamoricière favorisa notamment l’irrigation des sols et le développement de l’agriculture. L’essor de ces unités africaines contribua peu à peu à affranchir les régiments métropolitains de leurs déplacements en Algérie. L’instauration d’un bureau de l’Algérie en 1830, devenu division en 1837, marqua également le rôle important du ministre dans ce domaine, qui assumait une fonction politique et administrative avec le gouverneur général de l’Algérie.
12Une certaine constance caractérise les dépenses militaires, représentant environ 30 % des budgets entre 1825 et 1844. En volume, ce sont 256 millions de francs en moyenne annuelle qui furent attribués durant la décennie 1825-1834, puis 297 pendant la période 1835-1844. Ces chiffres masquent de fortes variations provoquées par des événements particuliers comme l’armement de la garde nationale, les guerres ou les périodes de tension internationale7. Si l’on s’en tient aux coûts de l’armement, on s’aperçoit qu’ils varièrent entre 2 % et 4 % des dépenses totales de la Guerre sous la monarchie de Juillet, part relativement faible, qui montre a contrario l’importance des frais de fonctionnement. On peut également remarquer la modeste quotité de la production d’armement par rapport à la valeur totale de la production industrielle en France : elle ne représentait que 0,39 % durant la décennie 1825-1834 et 0,36 % en 1835-18448. Les dépenses d’armement ne constituaient qu’un facteur secondaire de la croissance industrielle sous la monarchie censitaire.
13Le ministère fit des efforts importants dans le développement du système défensif de la France. Sous la Restauration, Gouvion Saint-Cyr avait initié un travail prospectif sur la défense du royaume, qui constatait l’obsolescence des fortifications et évoquait la nécessité d’en réviser l’agencement. Les premiers ouvrages furent entamés sous la Restauration9. Le maréchal Maison décida de réunir une commission de défense en 1836, envisageant notamment la situation aux frontières, mais en tenant compte des contraintes budgétaires. La crise internationale de 1840 allait donner un nouveau souffle à ces projets. Thiers, Soult, puis Guizot parvinrent à faire voter un crédit de 140 millions destiné à la protection de la capitale. L’outil militaire, bâti sous la monarchie constitutionnelle, répondait aux besoins d’une politique extérieure mesurée, visant à conserver l’équilibre issu des guerres de Premier Empire, à maintenir des alliances et accroître l’emprise de la France en Méditerranée. Sur le plan intérieur, les périls semblaient multiples et nécessitaient l’intervention de l’armée.
L’armée et le maintien de l’ordre
14Le maintien de l’ordre demeurait un point capital pour les gouvernants, et l’armée y jouait un rôle éminent. Le système de prévention des désordres, tel qu’il était conçu en France, résultait de l’histoire politique du pays et non d’une réflexion théorique sur la manière et les moyens de maintenir la paix publique10. Plusieurs formations, civiles et militaires, agissaient de concert pour assurer la sécurité. La garde nationale, corps non professionnalisé né sous la Révolution, connut un grand développement sous la monarchie de Juillet et la Deuxième République. Son action versatile, l’amenant parfois à prendre le parti des émeutiers, engendra une méfiance des gouvernants. Aux côtés de ces citoyens armés, l’intervention des commissaires de police était limitée dans la mesure où les agents de police, peu nombreux, ne pouvaient intervenir en force. Toutefois, à Paris, centre des révolutions, la préfecture entretenait des unités, principalement la garde municipale de Paris, intégrée dans la gendarmerie par une ordonnance du 24 août 1838. La loi du 28 germinal an VI (17 avril 1798) désignait la gendarmerie comme un organe chargé du maintien de l’ordre. L’Arme se trouvait dans une situation complexe depuis la Restauration, qui avait réduit les effectifs. À Paris, les événements de 1830 s’étaient notamment déroulés aux cris de « Vive la charte, à bas les gendarmes » ! Ceci explique en partie le marasme de ce corps, peu attractif pour les militaires en raison du niveau des traitements et d’un système de promotion guère favorable. Cette institution, qui avait déjà été fortement purgée en 1815, subit un sort identique en 1830. Il fallut attendre les mesures adoptées par le ministère Soult en 1841, pour voir sa situation s’améliorer, principalement sur le plan de la solde et des effectifs11.
15Son implantation sur l’ensemble du territoire – la gendarmerie était alors la seule force de police à caractère national – lui permettait d’intervenir en regroupant les brigades pour agir en nombre. Cependant, lorsque la situation l’exigeait, et souvent en dernier ressort, les pouvoirs publics faisaient appel à l’armée, réquisitionnée pour rétablir l’ordre. L’autorité militaire, dont l’intervention était précisée par l’article 9 du titre III de la loi du 10 juillet 1791, disposait alors d’une grande marge de manœuvre pour conduire les opérations. Si la superposition des forces pouvait laisser l’impression d’un manque d’organisation, en réalité il n’en était rien. À Paris, le plan du maréchal Gérard était en place depuis 1839-1840 ; ses instructions assignaient à chaque chef d’unité les différents points sur lesquels il devait répartir ses troupes. Ce système, qui supposait une collaboration totale entre la garde nationale et la ligne, devait permettre aux généraux et aux officiers de réunir, au premier signal et en quelques heures, toutes les formations disponibles pour occuper les lieux stratégiques. Les places de la Concorde, du Carrousel, de la Bastille et de l’Hôtel-de-Ville devaient se muer rapidement en centres d’opérations, les uns en rapport avec les autres, et faciliter la libre circulation sur les ponts, les quais, les boulevards et, plus généralement, les voies de communication. D’autres dispositions, prévues en cas d’émeute, furent régulièrement adoptées. Ainsi, en janvier 1848, le maréchal de camp de la place de Paris préparait un programme en seize points12, dispositions classiques qui rappelaient la nécessité d’avoir reconnu le terrain, l’importance de sortir avec des armes chargées et la promptitude nécessaire pour se rendre sur les lieux de la rébellion. En réalité, les plans généraux établis par les militaires se sont succédé à un rythme impressionnant durant les années 1849-185013. Par ailleurs, des militaires envisagèrent des stratégies pour lutter contre les séditions. L’ouvrage du maréchal Bugeaud se fondait sur son expérience de la prise de Saragosse et celle de la répression de l’émeute de la rue Transnonain en avril 1834. Il étudiait, dans cette publication centrée sur la tactique, la préparation des troupes pour donner l’assaut des barricades14. Le général Roguet insistait, dans sa vision stratégique du maintien de l’ordre, sur les grandes décisions que devaient adopter les militaires pour dompter les insurrections. Son manuscrit, très technique, présentait des données quantitatives relatives à ce type de combat15.
16Dès les débuts, le nouveau régime eut à lutter contre une opposition multiple. Arrachés au monde rural et venus dans les villes trouver un gain que la terre ne leur procurait plus, les ouvriers étaient confinés dans une série de dépendances les confrontant à la misère. Même si l’étude des mouvements sociaux en province atteste d’une certaine désorganisation16, l’épisode de la révolte des canuts à Lyon eut un grand retentissement et fit prendre conscience aux élites du danger potentiel des insurrections. Le 21 novembre 1831, à la suite de rassemblements à la Croix-Rousse, une partie de la garde nationale fit feu sur la population, ce qui contribua à déclencher la sédition. Le lendemain, le général Roguet invita, sans succès, la garde nationale à prendre les armes. Deux compagnies du 13e de ligne durent reculer face aux barricades et à la vivacité de la résistance. La ville, aux mains des ouvriers qui détenaient le préfet et général Ordonneau, fut évacuée par le général Roguet en attendant des renforts. Le roi dépêcha le duc d’Orléans et le ministre de la Guerre, le maréchal Soult, pour rétablir l’ordre. Les évaluations de Fernand Rude chiffrent à 600 le nombre de morts, dont plus d’une centaine de militaires17. Une nouvelle sédition éclata dans cette ville en avril 1834. Les combats furent à nouveau violents et nécessitèrent l’utilisation de l’artillerie. La présence de 10 000 soldats ne permit d’apaiser la situation qu’au bout de six journées d’émeutes, où 131 militaires et environ 200 ouvriers trouvèrent la mort18.
17L’émergence de la question sociale se joignait aux oppositions dynastiques et idéologiques, hostiles au régime de Juillet. L’épopée de la duchesse de Berry dans l’ouest de la France et les tentatives de coup de force de Louis-Napoléon Bonaparte montraient que la monarchie de Louis-Philippe pouvait être menacée. Mais surtout, le grand foyer de contestation était constitué par les républicains, jetés dans une dissidence radicale à la suite de l’évolution conservatrice du régime. Les événements de 1832, 1834 ou encore l’insurrection de 1839 organisée notamment par Blanqui et la société des saisons, inquiétèrent durablement les autorités et eurent pour conséquence un rôle accru de l’armée dans ces questions intérieures.
L’administration centrale et les services
18La réorganisation des divisions et bureaux du ministère fut pour ainsi dire constante sous la monarchie de Juillet. Les derniers remaniements de la Restauration remontaient aux mois de décembre 1829 et mars 1830. Une ordonnance du 7 décembre 1830 maintint un secrétariat général et instaura cinq directions (Dépôt de la guerre et opérations, infanterie, cavalerie, administration, fonds et comptabilité) ainsi que deux bureaux (artillerie et génie)19. Ces directions étaient commandées par trois généraux, un conseiller d’État et un maître des requêtes, alors que les bureaux étaient administrés par deux officiers supérieurs. En 1832, le général Schneider, futur ministre, fut nommé directeur du personnel et des opérations militaires et le général Miot sous-directeur chargé du personnel. Le premier dirigeait les bureaux des opérations militaires, de l’inspection, des états-majors, de la remonte, tandis que le second s’occupait plus spécialement des bureaux du recrutement, de l’infanterie, de la cavalerie, de la gendarmerie. Le secrétariat général, la direction de l’administration et la direction des fonds et de la comptabilité générale furent conservés. Ces réaménagements se modulaient autour d’une centralisation du pouvoir ou de la dissémination entre les divisions. Ainsi, le 21 septembre 1836, le secrétariat général fut supprimé et les bureaux de la Guerre partagés en deux directions générales – celle du personnel et des opérations militaires et celle de l’administration et de la comptabilité générale. Cette conformation fut à nouveau modifiée par le maréchal Soult en 1840.
19Une ordonnance du 17 janvier 1844 retouchait le dispositif, qui s’organisait autour de plusieurs pôles à la veille de la révolution de Février. L’administration centrale était composée d’un sous-secrétaire d’État, d’un cabinet, d’un secrétariat général, sous les ordres directs du sous-secrétaire d’État, de deux directions (du personnel et des opérations, et de l’administration), du service de l’artillerie et celui du génie. En outre, le Dépôt de la guerre était dirigé par le général Pelet, avec le titre de directeur général. On dénombrait alors dans cette organisation 23 bureaux et dix sections20. Il faut dire que depuis 1831, les effectifs et le nombre de bureaux s’étaient largement étoffés. Au début de la monarchie de Juillet, le ministère était composé, outre son cabinet et son secrétariat général, de cinq directions et du Comité de la guerre et de la marine, comprenant un nombre limité de bureaux21. En 1846, l’architecture organisationnelle du ministère comprenait un cabinet et un secrétariat général composé d’un secrétariat de cinq bureaux (secrétariat, service intérieur, lois et archives, pensions, solde) et d’une comptabilité générale à quatre bureaux (contrôle et contentieux, fonds et ordonnances, centralisation des comptes, agence comptable). La direction du personnel et des opérations militaires était formée par neuf bureaux (opérations militaires et correspondance générale, recrutement et réserve, états-majors et écoles militaires, organisation et inspection, justice militaire, gendarmerie, infanterie, cavalerie, remonte générale). La direction de l’administration s’articulait autour de cinq bureaux (intendance militaire et personnel administratif, habillement et lits militaires, subsistances et chauffage, hôpitaux, transports et convois militaires). La direction des affaires d’Algérie incluait trois bureaux (affaires politiques et personnel, législation et contentieux, commerce et travaux publics). La direction du Dépôt général de la guerre englobait quatre sections (nouvelle carte de France, travaux topographiques, travaux historiques, statistique militaire et travaux régimentaires). Le service de l’artillerie comprenait six sections (personnel, matériel, armes portatives de guerre, bâtiments, comptabilité-finances, comptabilité-matière). Le service du génie rassemblait cinq sections (personnel, travaux de fortifications, casernement, administration et contentieux, comptabilité). Cet ensemble administratif était complété par les différents comités consultatifs (d’état-major, de l’infanterie, de la cavalerie, de l’artillerie, des fortifications), dirigés par des lieutenants généraux. Enfin, un Comité de la guerre et de la marine, composé de militaires, de conseillers d’État, de maîtres de requêtes et d’auditeurs s’agrégeait à cet ensemble22.
20La conquête de l’Algérie avait également nécessité la création d’une structure administrative, qui connut un certain essor à la suite des succès militaires. Simple section au début de l’expédition, puis bureau en 1831, le service de l’Algérie devint une direction en 1837, puis une division en 1840, composée de trois bureaux. À la veille de la révolution de 1848, il constituait à nouveau une direction des affaires d’Algérie, comprenant cinq bureaux.
21Les agents et les cadres étaient soumis à une réglementation régulièrement renouvelée23. L’organisation du labeur journalier variait selon les choix ou les désirs des ministres. Le maréchal Soult, par exemple, agençait ses relations quotidiennes avec les principaux directeurs en établissant une hiérarchie de ses rendez-vous avec le chef de cabinet, le secrétariat général et les autres instances, précisant qu’il souhaitait « travailler tous les jours, et dans l’ordre réglé24 ». Au sein même des organes directeurs, un comité central, agissant sous la direction du secrétaire général, examinait les questions liées au personnel, à la gestion et plus généralement à l’administration25. L’autorité du secrétariat général sur les bureaux semblait assez ferme, notamment en 1844 où il dénonçait « un grand relâchement dans les bureaux au sujet des dispositions concernant les heures d’arrivée et de départ des commis » et promettait des mesures « d’une extrême vigueur si cela devenait nécessaire26 ». L’inflation des effectifs demeurait un sujet fréquemment abordé. En janvier 1832, le ministre décidait qu’il ne serait « pourvu à aucune vacance d’emplois dans les bureaux du ministère provenant de décès, de réformes ou d’admission à la retraite des titulaires, jusqu’à ce que l’effectif ait été réduit d’un quart du nombre actuel27 ». Ce qui n’empêchait pas les directeurs de service de solliciter, chiffres à l’appui, une augmentation du nombre de fonctionnaires28.
22L’image de ronds-de-cuir, déjà bien présente dans le système de représentation du roman Les Employés de Balzac, semble discutable. Au sein du bureau des états-majors, les commis subirent un contrôle de gestion avant l’heure, après un examen du nombre d’affaires analysées durant l’année 184629 ! Les appointements du personnel étaient déterminés par une ordonnance du 17 janvier 1844 : les directeurs ou secrétaires généraux percevaient 20 000 francs annuels, les chefs de bureaux, divisés en trois classes entre 6 000 et 8 000 francs, les commis principaux 3500 francs et les commis expéditionnaires, partagés dans quatre catégories, entre 1500 et 2400 francs. Ces traitements, en dépit du coût de la vie à Paris, permettaient au personnel, notamment aux commis, de vivre correctement. Les fonctionnaires amélioraient leur salaire grâce à un système de primes. En 1831, ces gratifications étaient ventilées par le secrétariat général à chaque bureau. Celui du « service intérieur » par exemple, put obtenir une somme de 2050 francs, à distribuer aux agents selon le libre choix du chef de bureau et pour des sommes supérieures à cent francs30. Certains employés, dans une situation de détresse, pouvaient également bénéficier d’un élan de solidarité du ministère en profitant d’une indemnité exceptionnelle31.
23Quelques officiers ou hauts fonctionnaires demeurèrent longtemps en place au sein du ministère, leur familiarité avec les dossiers permettant d’assurer une continuité dans la gestion des affaires. Le conseiller d’État Martineau des Chesnez par exemple, directeur de la comptabilité générale à la fin de la Restauration, parvint à sauver son emploi après la révolution de 1830. À la tête de la direction générale de l’administration en 1836, il fut nommé secrétaire général en 1839, poste qu’il conserva jusqu’en 1848. Des militaires, comme Schneider, Saint-Yon, Hautpoul ou Schramm, qui dirigèrent des services, s’y forgèrent une expérience du ministère et une connaissance intime de ses rouages.
24Les ministres de la Guerre contribuèrent à l’augmentation des effectifs de l’armée qui s’élevaient en temps de paix à 20 0000 hommes en 1830 et à près de 330 000 en 1845, et bénéficièrent d’un budget en croissance. Ils jouèrent également un rôle important dans la conquête et la mise en place d’une structure administrative et militaire en Algérie. Malgré ces succès, malgré un dispositif parisien prévu pour enrayer les insurrections, le dernier ministre de la Guerre de la monarchie constitutionnelle, Camille-Alphonse Trézel, ne put s’opposer à l’avènement du nouveau régime, en dépit de son action pour maintenir l’ordre.
Notes de bas de page
1 Jean-Paul Bertaud et William Serman, Nouvelle Histoire militaire de la France, Paris, Fayard, 1998, p. 231.
2 Claude Carré, Histoire du ministère de la Défense et des départements ministériels militaires, Limoges, Lavauzelle, 2001, 581 p.
3 Ibid., p. 155.
4 Annie Crépin, Construire l’armée française. Textes fondateurs des institutions militaires. De la fin de la Révolution à la fin du Second Empire, Brepols, 2006, t. 3, 360 p.
5 Ibid., p. 253-254.
6 Jean Delmas (dir.), Histoire militaire de la France, t. 2 : De 1715 à 1871, Paris, PUF, 1992, p. 431.
7 Antoine Calmon, Histoire parlementaire des finances de la monarchie de Juillet, Paris, Calmann-Lévy, 1899, 302 p.
8 François Crouzet, « Recherches sur la production d’armements en France (1815-1913) », Revue historique, 1974, t. CCLI, p. 45-84 et p. 409-422.
9 Jean Delmas (dir.), Histoire militaire de la France…, op. cit., p. 473-474.
10 Guibert, dans un écrit paru sous la Révolution et intitulé De la force publique considérée sous tous ses rapports, imaginait le concours de plusieurs degrés d’intervention de la force publique pour opérer le maintien de l’ordre. En dehors de ce texte, un nombre restreint d’auteurs s’intéressait à ces questions.
11 Jean-Noël Luc, « La revalorisation de la Gendarmerie nationale sous la monarchie de Juillet », Revue historique des armées, n° 213, décembre 1998, Gendarmerie nationale, réédité comme numéro spécial en 2000, p. 15-26.
12 SHD/GR, F1 1, place de Paris. Dispositions générales pour les émeutes, janvier 1848.
13 SHD/GR, F1 21, F1 22, F1 33, F1 34 par exemple.
14 Bugeaud (maréchal), La guerre des rues et des maisons, Paris, Jean-Paul Rocher Éditeur, manuscrit inédit présenté par Maïté Bouyssy, 1997, 155 p.
15 Roguet (général de brigade), Insurrections et guerres des barricades dans les grandes villes, Paris, Cosse et Dumaine, 1850, 356 p.
16 Jean-Pierre Aguet, Contribution à l’histoire du mouvement ouvrier français. Les grèves sous la monarchie de Juillet, 1830-1847, Genève, Droz, 1954, 408 p.
17 Fernand Rude, La révolte des canuts (1831-1834), Paris, La Découverte, 2007 (rééd.), p. 42.
18 Ibid., p. 166.
19 SHD/GR, Xs 1, aperçu de la composition du ministère de la Guerre, s. d.
20 Ibid.
21 Ministère de la Guerre, Emplacement des troupes du royaume de France à l’époque du 1er février 1831, Paris, Imprimerie royale, s. d., et ministère de la Guerre, Emplacement des troupes du royaume de France à l’époque du 1er janvier 1846, Paris, Imprimerie royale, s. d.
22 Ministère de la Guerre, Emplacement des troupes du royaume de France à l’époque du 1er janvier 1846, Paris, Imprimerie royale, s. d.
23 SHD/GR, Xs 22, voir par exemple Arrêté portant règlement d’exécution des articles 14, 15 et 18 de l’ordonnance royale du 17 janvier 1844 relative à l’organisation de l’administration centrale du ministère de la Guerre, Paris, Imprimerie royale, 1844, 8 p. Voir encore Ordonnance du roi du 17 janvier 1844 portant organisation de l’administration centrale du ministère de la Guerre, Paris, Imprimerie royale, 1844, 12 p.
24 SHD/GR, Xs 21, travail journalier du ministre, 7 décembre 1830.
25 SHD/GR, Xs 69-71, procès-verbaux du comité central (1839-1847).
26 SHD/GR, Xs 21, le secrétaire général aux chefs de bureau du ministère, 26 janvier 1830.
27 SHD/GR, Xs 21, le ministre au secrétaire général, 15 janvier 1832.
28 SHD/GR, Xs 29, observations concernant l’organisation du personnel de la section du ministère de la Guerre chargée du génie, 28 novembre 1843. Le colonel dirigeant la section du génie s’adressait ainsi au ministre pour évoquer le manque d’effectifs et demander du personnel supplémentaire, en appuyant sa démonstration sur un appareil statistique mettant en exergue l’augmentation considérable du nombre des dépêches et des rapports de liquidation.
29 SHD/GR, Xs 22, bureau des états-majors et des écoles militaires, 1846.
30 SHD/GR, Xs 21, le secrétariat général au bureau du service intérieur, 27 décembre 1831.
31 SHD/GR, Xs 21, le colonel directeur de l’artillerie au ministre de la Guerre, 7 novembre 1840.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008