Chapitre I. Le jeu social : l’enquête et son terrain
p. 19-67
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Index géographique : France
Texte intégral
1L’archive judiciaire est au cœur de cette étude. Elle en constitue la source essentielle. Elle est, nous l’avons écrit, le document retenu pour tenter d’aller au plus intime de ce qui constitue la dynamique du jeu social.
2L’objet de ce chapitre est d’abord de présenter l’importance et la nature du fonds sabolien, de s’interroger sur les rapports qui, du point de vue d’une démarche historique, de la construction d’un discours sur le passé, peuvent être établis entre justice et histoire, entre les productions de l’appareil judiciaire et la perception des réalités sociales. Il est encore de poser les problèmes de lecture, de dépouillement et d’utilisation des sources. Il consiste enfin à présenter le lieu de l’enquête, les théâtres et les acteurs du jeu social.
Au cœur de l’enquête : l’archive judiciaire
Le fonds d’une justice seigneuriale
3Le fonds sabolien est, en la matière, abondant. La justice seigneuriale paraît, là encore, bien vivante. Si le fait n’est pas pour le Maine exceptionnel, la puissance du seigneur explique l’importance et peut-être surtout la diversité de l’activité. Sans doute le fait est-il remarquable à une époque où le pouvoir royal, dans une volonté centralisatrice déjà ancienne, s’efforce d’affaiblir les velléités seigneuriales en la matière. Recours au système de la « prévention », droit d’appel, contrôle du personnel et de sa qualification, établissement des « cas royaux » en matière criminelle1, l’arsenal des mesures est déjà en place depuis des décennies. Nicole Castan a bien cerné les difficultés d’existence de ces justices seigneuriales dans le sud du Royaume2. Pour autant, il convient de nuancer, pour l’Ouest de la France, les propos d’un Charles Loyseau qui n’a de cesse de faire le procès de l’institution seigneuriale, arguant que « ces tribunaux n’ont point de consistance » ou qu’ils n’ont pas assez de causes pour y occuper le juge et fixer les avocats3.
4Tel ne paraît pas être le cas dans le Haut Maine4 et plus particulièrement en pays sabolien. Sans doute le maintien d’un établissement judiciaire est-il onéreux puisqu’il faut, entre autres choses, entretenir tribunal, greffe ou encore prison. Mais le maître des lieux a la fortune solide et la part de prestige obtenue en retour n’est pas négligeable.
5Le tribunal sabolien est habilité à rendre basse et haute justice, à prononcer en matière criminelle, des peines capitales : les fourches patibulaires se dressent, suivant l’époque, à la périphérie de la ville, à l’entrée du faubourg Saint-Nicolas ou sur la place publique des halles. Il peut en outre avoir connaissance de l’ensemble des affaires civiles, ce qui permet, sans risque pécuniaire majeur, de fournir une activité suffisante pour maintenir un personnel qualifié. Ces fonctions justifient en effet la présence dans la cité sabolienne d’un monde d’officiers, grands ou petits, souvent bien ancrés par leurs origines familiales, leurs alliances, mais aussi par leurs activités d’édiles dans le tissu social et politique de la ville. La magistrature suprême est là aux mains d’un bailli. Son titre de « juge ordinaire civil et criminel et de police » définit ses champs de compétence. Il est, lors de certaines procédures, assisté ou remplacé par un lieutenant général. Sont en outre rattachés au tribunal un procureur fiscal (représentant le parquet ou ministère public), un greffier et ses commis, plusieurs avocats5
6L’activité est multiforme et les domaines d’action sont variés :
- Juridiction contentieuse qui mêle affaires civiles et criminelles (ou pénales).
- Juridiction gracieuse pour ce qui concerne, en l’absence de conflit, le droit des justiciables : tutelles, curatelles, émancipations, demandes de dispense d’âge, legs, donations, appositions ou levées de scellés.
- Droit des familles : séparations entre époux, demandes d’enfermement, reconnaissances en paternité, abandons d’enfants…
- Affaires de police traitant soit d’infractions mineures soit d’affaires non pénales intéressant la vie de la cité : foires, marchés, réglementations diverses, atteintes à l’ordre public, droits de passage, droits de paissance…
- Attributions administratives, en relais du pouvoir royal : enregistrement des ordonnances et édits royaux, déclarations de grossesses anticipées, contrôle des prix de certaines denrées, contrôle des poids et mesures.
7L’énumération des domaines d’intervention, dans une première approche, suffit à rappeler que cette activité judiciaire est bien en prise directe avec la relation sociale au quotidien et que la justice doit s’appréhender comme un outil au service d’une communauté d’hommes.
8Au-delà de l’intérêt que peut représenter la source quelques réserves s’imposent. Le fonds conservé révèle une activité pluriséculaire qui se maintient jusqu’à la Révolution. Les minutes et les pièces de procédure qui en constituent un des éléments majeurs ne forment pas moins de 88 liasses, de 1584 à 1790. En fait, les séries qui nous sont parvenues sont relativement pauvres avant 1730, elles sont sans doute incomplètes ensuite. Le corpus recueilli ne recouvre probablement pas la totalité des procédures ouvertes devant la justice du seigneur. Les variations annuelles de l’activité du tribunal mesurée à partir du nombre d’affaires reconstituées montrent des fluctuations qu’expliqueraient des problèmes de conservation6. Enfin la consultation de ces pièces de procédure est longue et peu aisée, les minutes ayant été conservées suivant une logique chronologique qui n’enlève rien à la confusion apparente. Dépositions de plaintes, exploits d’assignation à comparaître, interrogatoires, monitoires, quittances de frais de justice, parfois sentences, sont rassemblés en désordre, avec les demandes de dispense d’âge, les affaires de tutelle, les demandes d’apposition de scellés, le tout au milieu d’une quantité de pièces ayant servi à l’instruction des procès : contrats divers, inventaires après décès, montrées, reconnaissances de dettes, rapports de maréchaussée, procès-verbaux d’assemblées d’habitants, lettres privées… Ainsi convient-il d’abord de repérer puis de rassembler les pièces inhérentes à chaque affaire, de reconstituer ce qui en d’autres lieux est conservé et rassemblé dans un même sac à procès7. Ces réserves émises, il reste que le corpus recueilli offre à l’analyse une diversité de situations propres à renseigner tant sur la nature des relations et la dynamique sociale que sur les formes de la sociabilité. À partir de ces pièces de procédure qui relèvent de la justice contentieuse, c’est près de six cents affaires qui ont pu être ainsi reconstituées8. Elles constituent le principal noyau documentaire de cette recherche. Ce corpus a été complété par le dépouillement de cent neuf déclarations de grossesses enregistrées pour la plupart au greffe du tribunal sabolien9, enfin par l’examen de certaines pièces relevant de la justice gracieuse, par exemple les tutelles, ou provenant des registres d’audiences de police10.
9Il convient de montrer que cette justice seigneuriale est d’abord une justice de proximité, qu’elle traite prioritairement de préoccupations familières, enfin qu’elle met en scène un monde ordinaire.
Une justice du quotidien
10La justice sabolienne est bien prioritairement une justice de proximité. À considérer la localisation des affaires révélées par les pièces de procédure, l’action du tribunal peut s’exercer sur une quarantaine de paroisses. En fait, une part essentielle de l’activité judiciaire de notre tribunal concerne bien le traitement d’affaires qui se sont déroulées dans l’une des deux paroisses saboliennes ou dans celles qui lui sont contiguës11. Ainsi 40 % des affaires contentieuses traitées par le tribunal se sont-elles déroulées à Sablé, 21,5 % dans une paroisse voisine et 11,5 % dans celle de Précigné fortement rattachée à la mouvance seigneuriale par la terre de Boisdauphin. Les deux tiers des affaires sont localisées dans la proximité immédiate du tribunal. L’analyse croisée des domiciles des demandeurs (plaignants) et des défenseurs (accusés) confirme le constat et surtout montre que les différends éclatent prioritairement entre gens qui se connaissent ou qui vivent dans une relative proximité. Dans 75 % des situations identifiées, les protagonistes habitent dans la même paroisse. Dans 95 % des cas leur lieu de résidence est à moins de trois lieues. Dans seulement 5 % des affaires répertoriées l’un des protagonistes déclare un domicile éloigné. Il appartient alors au monde des gens de passage qui sont là par nécessité de métier et très minoritairement par désœuvrement. Les différends ou les conflits mis en scène par l’activité du tribunal sabolien concernent essentiellement des gens du lieu. Ils révèlent un jeu de relations circonscrit dans le cadre d’une sphère géographique relativement étroite, celle des paroisses saboliennes ou celles qui leur sont voisines12.
11De la même façon, cette justice traite prioritairement de préoccupations familières. L’affaire par excellence, celle qui constitue le contingent des litanies enregistrées par le greffe, relève bien prioritairement des différends médiocres de la vie quotidienne. Les plaintes pour excès et injures représentent, dans notre corpus, plus de la moitié du contentieux traité. Il conviendra d’en rechercher le sens. D’ores et déjà, apparaît en première lecture la banalité des conflits mis en scène. L’arme du délit est d’abord celle des mots. Insultes, menaces, calomnies et diffamations supposées sont au cœur des récriminations. Le sentiment d’humiliation n’est pas loin. Quand les coups accompagnent le verbe (le plaignant déplorant alors devant le juge que l’on ait voulu « attenter à sa vie » en le laissant au bord de l’agonie), c’est qu’ils naissent souvent des circonstances et de l’impulsion d’hommes et de femmes qui en d’autres circonstances prétendent rechercher la paix. Les violents par défaut de caractère ou troubles pathologiques sont bien identifiés. Ils n’en sont pas moins marginaux dans le lot de ceux qui se laissent aller à des actes supposés de violence. Excès et injures apparaissent de façon effervescente dans les lieux habituels de la sociabilité c’est-à-dire la rue, la place publique, le cabaret, moins souvent dans l’huis clos des demeures. Les conflits ont leurs racines la plupart du temps dans la banalité des relations quotidiennes, à l’occasion de dissensions qui émergent des échanges les plus ordinaires. Ils naissent encore d’honneurs meurtris, de jalousies professionnelles, d’hommes trop épris de vin, de jeunes en mal de défis à relever, maintes fois prompts à menacer l’ordre public. La violence est rarement gratuite, mais aussi rarement préméditée. À entendre les protagonistes ou les témoins, plaideurs et accusés arrivent bien souvent devant le juge pour des causes peu glorieuses ou pour de médiocres susceptibilités.
12La propension chicanière se retrouve dans les affaires où sont transgressés règlements et usages et remis en cause les droits jugés élémentaires par les plaignants (13 % des cas). Prioritairement arrivent sur le devant de la scène judiciaire les problèmes de paissance abusive, de divagations d’animaux, de violation de la propriété d’autrui, d’arbres abattus, de pièces de terre foulées, de délits de chasse, de clôtures ou de murs mitoyens malmenés. De façon secondaire apparaissent les procès provoqués par le non-respect des droits communautaires ou seigneuriaux ou par la transgression de l’ordre et de la tranquillité publique. De même, on retrouve la fonction régulatrice de la justice quand sont portées devant le tribunal les contestations d’engagements contractuels ou les problèmes de dettes non payées. Les oppositions à propos de marchés, de baux ou contrats divers non respectés contribuent à nourrir l’activité du tribunal. Ici, un maître aurait enfreint le contrat d’allouement de son domestique ou de son apprenti ; là, un colon n’aurait pas tenu compte des clauses du bail en n’observant pas les modalités d’un labour, en abattant un arbre sans l’accord du propriétaire ; ailleurs, la quantité de farine livrée ne ferait pas bonne mesure et l’ouvrage commandé n’aurait pas été exécuté dans les délais… Quant à la kyrielle de dettes non payées, elle concerne des sommes souvent bien infimes, ce qui laisse entendre qu’outre la nécessité de recouvrer son bien, il est aussi important de se faire respecter. Ainsi le petit contentieux fait d’injures et d’excès, de règlements et de droits transgressés, de remises en cause de contrats, de dettes représente-t-il 77 % des procédures considérées13. Les affaires de famille sont rares. Elles concernent en priorité des demandes en séparation de biens ou de corps, secondairement des affaires d’héritage, exceptionnellement des demandes d’interdiction (de droits) ou d’enfermement. Les affaires graves, celles qui sont l’objet de peines afflictives et infamantes, sont très minoritaires parmi nos pièces de procédures. Les affaires de mœurs, de « gravidation14 », d’atteintes à la pudeur, de viols, de prostitution sont peu nombreuses15. De même, le corpus rassemblé ne laisse que peu de place aux crimes de sang. Très souvent accidentel, le geste meurtrier naît de tempéraments trop impulsifs plutôt que de l’acte délibéré de gibiers de potence. Enfin, il convient de mettre à part quelques infanticides : ces cas mettent en scène des femmes dont la part de détresse suffirait à éclairer le geste. Des crimes infamants, les vols restent les plus nombreux. Encore est-il nécessaire de remarquer que si le vol organisé existe, il reste l’exception et que l’essentiel des accusations concerne des larcins souvent modestes : branches, fruits et légumes cueillis dans les jardins, étoffes, vêtements… L’analyse des motifs qui conduisent nos protagonistes devant le juge montre que la justice du seigneur a prioritairement à traiter d’affaires quotidiennes et sans importance. Ainsi, à la lecture des actes que produit cette justice contentieuse, il émerge l’impression d’une atmosphère de justice de paix, avec prédominance de conflits mineurs et de délinquants occasionnels. Il reste à montrer que cette justice porte bien sur le devant de la scène un monde ordinaire.
13L’objet est bien de réfléchir ici au problème de la représentativité, du point de vue des critères sociologiques, des personnes saisies dans un jeu de relations par l’archive de justice. Le premier critère à prendre en compte est celui de l’appartenance sociale, du statut et de la place dans la société. Il est d’abord à noter que les protagonistes du duel judiciaire sont très majoritairement identifiés par une fonction ou un état. D’autre part, un premier regard sur les appartenances sociales montre qu’y est représenté un large éventail de la société villageoise : nobles et roturiers, clercs et soldats, notables et petites gens, gens de campagne, nantis ou pauvres. Avec des nuances, nous percevons, tant au niveau des plaignants et des accusés que des témoins, un échantillon relativement complet du monde des bourgs et des campagnes.
14Nous retrouvons d’abord le monde du travail, avec au premier plan celui des marchands et des artisans. Les marchands sont les plus prompts et les plus nombreux à se retrouver en justice. Au premier rang des plaignants mais aussi des accusés16, ils fournissent en outre l’un des plus gros contingents de témoins. Ainsi le groupe apparaît-il au cœur des tensions qui émergent des formes de sociabilité tant en raison de ses activités, de ses modes de vie, que de ses façons de penser. Sans doute la qualité de marchand recouvre-t-elle une diversité de situations dont la source, à sa manière, rend parfois compte. Le clivage est probablement important entre d’une part, le colporteur et le marchand forain qui déclinent pour tout bien le contenu de la balle qu’ils transportent, au mieux à dos d’animal, au pire à dos d’homme, et d’autre part, le négociant qui annonce un réseau de relations dans les plus grandes villes du pays, entre le marchand fermier qui vit de la gestion des biens d’autrui et, le marchand artisan ou le cabaretier. Pour autant, les raisons qui les amènent en justice ne sont pas toujours éloignées. Sans doute leurs activités, mais aussi leur position dans la société, leur degré d’insertion dans la vie sociale les placent-ils plus facilement que d’autres au cœur d’un jeu de relations qui explique leur place privilégiée sur la scène judiciaire. La part des affaires où il est question de biens, de droits, de contrats, de marchés, n’est pas négligeable, que les protagonistes soient dans la position de plaignants ou d’accusés. Elle témoigne sans surprise de leur engagement dans la vie économique. Pour autant, la grande affaire qui les conduit au tribunal reste bien celle des « excès et injures » reçus mais aussi faits à autrui. Sans doute, ces « voies de fait », perçues au travers de la plainte comme la cause directe du traumatisme subi ou provoqué dissimulent-elles une diversité d’antagonismes liés à la vie professionnelle mais aussi à la vie privée, aux façons de concevoir le métier comme à celles d’envisager les relations aux autres et plus généralement de regarder le monde. Il conviendra d’en retrouver le sens. Il est enfin à noter que les affaires de famille relatives aux biens (héritages) mais aussi aux personnes (séparations de biens ou de corps essentiellement), bien qu’en nombre limité, représentent un pourcentage du contentieux non négligeable, supérieur à ce qu’il est dans les autres groupes sociaux. Le monde des gens de métiers au deuxième rang de la représentation sociale qu’offre l’archive de justice, présente un profil relativement semblable, même si le nombre et le pourcentage des accusés sont là sensiblement supérieurs à ceux des plaignants. Sans doute parce qu’ils sont au cœur du jeu social et qu’ils investissent les lieux essentiels de la sociabilité, artisans et compagnons représentent-ils une part importante des plaignants, des accusés et des témoins de notre échantillon. La diversité du monde artisanal est bien sur le devant de la scène. Malgré des sources parfois imprécises, la hiérarchie apparaît avec maîtres, compagnons, garçons et apprentis. D’autre part, la variété des champs d’activités relevés offre un tableau relativement complet du monde de l’artisanat local, métiers courants ou liés aux productions particulières du lieu17. Sans doute certains corps de métiers peuvent-ils être plus prompts que d’autres à se retrouver en justice ; meuniers, cordonniers ou encore nombre de métiers du bâtiment sont aux premiers rangs de ceux-ci. Il reste que le relevé des métiers annoncés par les demandeurs, les défenseurs ou les témoins fait apparaître un nombre de professions suffisamment révélateur de la diversité des activités exercées. Comme pour les marchands, excès et injures sont la première cause des plaintes et des accusations. La part de ce type de « voies de faits » domine, de façon massive, l’ensemble du contentieux : l’effervescence est là à son comble. À nouveau, le phénomène dissimule des problèmes de voisinage, d’incivilités, d’excès de cabarets plus que de réels conflits sociaux. Les différends à caractère professionnel ne sont pas absents : contestations de marchés, ouvrages non exécutés, conflits d’intérêt, travaux non payés, contrats d’association ou d’apprentissage contestés, jalousies de métiers… Ils restent néanmoins relativement rares dans le maquis des affaires qui arrivent devant la justice.
15La scène judiciaire n’est pas réservée au monde des artisans ni à celui des marchands. Les « gens de campagne », particulièrement ceux dont l’activité principale est de travailler la terre et de mettre en valeur les exploitations agricoles, sont aussi représentés dans leur diversité. La source autorise une identification relativement aisée des acteurs : closiers ou métayers qui jouissent des revenus d’une exploitation, domestiques ou valets de ferme, journaliers parfois bêcheurs ou laboureurs qui ponctuellement, viennent louer leurs bras. Si l’on veut bien considérer le corpus recueilli, ils apparaissent plus souvent accusés que plaideurs, plus aptes, peut-être, à être traînés devant le tribunal qu’à y dénoncer les autres. Leur implication dans les scénarios judiciaires est révélatrice de leur place dans la vie économique. Les tensions naissent d’abord autour de la maîtrise de l’espace et des biens : utilisation jugée abusive d’espaces privés, mitoyens ou collectifs, abats d’arbres ou de branches jugés intempestifs, abus de droits de chasse… Elles se cristallisent ensuite autour du travail. Deux types d’affaires dominent la contestation portant sur des engagements contractuels : d’abord celles relatives à la mise en cause par les propriétaires, de closiers ou de métayers qui ne satisferaient pas aux clauses des baux de location ; plus secondairement celles portées devant le tribunal par des domestiques ou valets de ferme contre des maîtres, closiers ou métayers, qui ne respecteraient pas les engagements ou abuseraient de leur autorité. Il s’agit là des risques du métier. La place des autres mobiles qui interviennent dans le jeu des plaintes et des accusations reste encore modeste. Que nos protagonistes soient demandeurs ou défenseurs, la part des affaires privées qui les amènent devant le tribunal est essentielle. Dans tous les cas, l’importance de leur participation aux témoignages atteste de leur place dans la vie de relations. Ainsi le monde des campagnes ne paraît-il pas marginalisé.
16Les groupes sociaux privilégiés par leur état, leur fortune ou leurs fonctions sont globalement représentés à hauteur de leur place dans la société. C’est notamment le cas des notables, membres des professions à talents (droit ou médecine), officiers supérieurs du roi ou du seigneur, « bourgeois » ou « Sieurs » engagés dans la vie publique. Le scénario ne diffère pas : au premier rang des motifs qui les amènent devant le tribunal sont encore les affaires de violences verbales ou physiques. Nos protagonistes sont, dans les différends recensés, à part égale, plaignants ou accusés, victimes mais aussi auteurs des mots, des coups qui sont censés blesser les âmes ou les corps. Les conflits qu’ils développent n’ont pas lieu prioritairement entre pairs, mais sont révélateurs de querelles ou d’antagonismes mettant en jeu des acteurs dont l’origine socioprofessionnelle offre une grande diversité. Ils témoignent de la complexité de leur position dans le tissu social. Dans ces scénarios, il est aussi souvent question d’honneur et de rang, de fierté blessée que d’intérêts lésés : les crises engendrées ne sont pas moins aiguës que pour d’autres catégories sociales. Si les affaires qui traitent de la défense des propriétés, des biens et des droits ne sont pas absentes, elles n’ont, dans notre corpus, qu’une place relativement secondaire. Enfin, les affaires de famille, qu’elles soient relatives aux personnes ou aux biens, ont une importance qu’il convient de souligner. Dans ce monde des privilégiés, nobles et prétendants paraissent bien les plus en retrait de la scène judiciaire. De ces « gens de considération » qui n’ont d’autres raisons d’aller devant le tribunal du marquisat que de vouloir régler des conflits à caractères locaux, nous ne percevons que peu d’échos. Les procès essentiels qui visent à la défense de leurs intérêts de propriétaires ou de seigneurs sont, au demeurant, souvent menés par les officiers ou agents de seigneurie. Les quelques affaires qui nous sont parvenues valent plus par la valeur documentaire des situations qu’elles présentent que par leur nombre. Sont là mis en scène des gens de petite noblesse, hobereaux et seigneurs de fiefs ou prétendants mal assurés de leurs titres. Ainsi, dans les affaires développées est-il prioritairement question d’honneur, de déférence due au rang, de biens, de terres et de droits non respectés. Les situations recensées sont révélatrices des relations que ces gens entretiennent avec le monde villageois. De la même façon, il ne nous est parvenu qu’un petit nombre de procès dans lesquels les hommes d’Église sont directement impliqués. La hiérarchie ecclésiastique n’est pas présente et le clergé régulier n’est évoqué qu’à propos de la défense d’intérêts matériels ou politiques. Le personnel clérical que nous rencontrons au gré des archives judiciaires est prioritairement celui des paroisses : curés, prêtres, vicaires ou clercs tonsurés. Protagonistes directs d’une requête en justice, nos gens d’Église sont alors prioritairement plaignants. Les procès qu’ils engagent sont majoritairement consacrés à la défense de biens et de droits : l’un veut préserver un héritage, un autre les revenus d’un bénéfice ou de ses dîmes, un autre encore s’attache à défendre un droit d’usage qu’on ne saurait lui reprendre impunément. D’autres actions concernent la défense d’un honneur, d’une probité, d’une aptitude aux bonnes mœurs dont leur état ne pourrait se passer. Accusés, ils répondent prioritairement de comportements tendancieux ou d’abus de pouvoir, griefs qui ont à voir avec les choses du siècle et secondairement avec celles de leur sacerdoce. Témoins, ils retrouvent leur mission pastorale pour dénoncer les excès, les violences et les inconduites diverses, pour rappeler les exigences de la morale, les devoirs chrétiens, le respect que l’on doit à Dieu, au dogme et aux rites. Peu nombreux, les tableaux qui émergent de nos sources n’en permettent pas moins d’apprécier la place des clercs dans la vie communautaire, dans les formes diverses de la sociabilité villageoise.
17Ainsi les archives de justice nous permettent-elles d’appréhender la société villageoise dans sa diversité. Il existe sans doute des déséquilibres et des inégalités de représentation suivant les groupes ou les états, notamment en raison des rapports que les individus qui composent ces ensembles entretiennent avec l’appareil judiciaire. Mais le recours en justice ne paraît pas être un acte réservé. Les faits délictueux subis, les infractions commises ou supposées ne sont pas le monopole d’une catégorie sociale. D’autre part, si les déviants et les professionnels du crime existent, ils ne sont pas représentatifs des acteurs qui peuplent le contentieux que nous révèle la justice seigneuriale. Ainsi est-il confirmé que les affaires qui arrivent en justice relèvent davantage des formes effervescentes de la sociabilité que de pathologies criminelles ou perverses. Enfin, La part des témoins renforce la représentativité de l’ensemble.
18Aux diversités sociales, s’ajoute celle des groupes d’âges. Le document en la matière est peu loquace, puisque l’âge des plaignants, comme celui des victimes, n’est quasiment jamais indiqué. Les mentions utiles sont exclusivement qualitatives. Elles autorisent un regard prudent sur l’état de jeunesse d’un certain nombre d’accusés ; elles rappellent qu’ils sont « fils ou fille de… », « garçon… », « apprenti » ou « enfant », qu’ils appartiennent à un groupe de « jeunes gens » ou « de jeunes paysans ». De ces remarques allusives dont il convient d’user avec prudence, il ressort que, dans près de 12 % des différends recensés, les détracteurs appartiendraient à ce monde de la jeunesse. Toutefois si ce groupe d’âge est turbulent, il n’a pas pour autant le monopole de la violence. Parallèlement, l’âge des témoins, chaque fois scrupuleusement indiqué, confirme l’existence sur la scène judiciaire d’un panel relativement représentatif des diverses générations18, des plus jeunes aux plus âgées.
19Sans doute l’élément le plus discriminatoire reste-t-il celui du sexe. À ne considérer que les acteurs directs qui font l’actualité judiciaire, les femmes paraissent sous-représentées19. Les explications sont complexes. Elles tiennent à la fois du rapport que les femmes entretiennent avec les actes délictueux, conflictuels ou violents, de leur position et de leurs droits face à l’appareil de justice, de leur place dans la sphère du public et dans les formes de sociabilité. Le clivage relevé est porteur de sens : nous y reviendrons. Pour autant les femmes ne sont pas absentes des scénarios judiciaires. Elles sont même souvent au cœur du débat ; nombre de procès ou de différends qui sont en apparence affaires d’hommes, ont des genèses ou des déroulements qui les mettent en scène.
20Ainsi cette justice de proximité et du quotidien dont la finalité est de régler les différends de tous les jours plus que de chasser le criminel ou le brigand avéré, a-t-elle cette force de projeter sur le devant de la scène une diversité de situations et d’acteurs qui vont intervenir dans le jeu social. La nature des affaires traitées, leur localisation, l’appartenance sociale des protagonistes attestent qu’au travers du prisme judiciaire, peuvent s’esquisser les traits essentiels de la vie ordinaire, les formes de sociabilité et les sensibilités sous-jacentes. Il reste à mieux cerner la nature et l’intérêt de la source, à préciser la méthode.
Méthode et démarche
21L’utilisation d’un fonds judiciaire à des fins autres que celles d’une étude de la criminalité nécessite que soient posées quelques interrogations essentielles.
22La première a trait au choix de la source retenue : est-il pertinent de vouloir mener une étude des conduites sociales et des sensibilités collectives ordinaires à partir de traces qui sont d’abord révélatrices d’actes déviants ? La deuxième interrogation porte sur le choix des documents à retenir dans le maquis des pièces de procédure. La troisième concerne les méthodes de lecture, de dépouillement et d’exploitation de la source.
Risques et pertinence de la source judiciaire
23La question fondamentale est bien de savoir s’il est judicieux d’entreprendre une étude du jeu social à travers l’analyse de comportements qui seraient par définition criminels ou marginaux. Trois séries d’arguments peuvent être avancées.
24En premier lieu, il convient de rappeler qu’en lisant ces documents, nous rencontrons davantage d’actes de transgressions supposées que de crimes au sens premier du terme. Nous avons souligné ci-devant que notre fonds judiciaire ne relève pas prioritairement de la grande criminalité, que l’affaire par excellence, celle qui vient encombrer la vie du greffe, a le caractère banal des incidents qui ponctuent les formes multiples de l’échange. Le 7 octobre 1787, Julien Marçais, marchand tanneur, est accusé d’avoir cassé les branches d’un prunier dans le jardin de l’hôpital. Le rapport du procureur juge utile de mentionner qu’il paraît bien étonnant que le « Sieur Marçais, homme marié, jouissant d’un état et de la qualité de citoyen de la ville, se soit porté à mépriser les propriétés, surtout celle d’un Hôtel-Dieu20 ». À l’image du dit Marçais, beaucoup de nos contrevenants sont des hommes de la cité, connus et reconnus. Déviants et autres « hommes dangereux », ne sont pas absents ; ils ne sont pas les plus nombreux. Jean-François Rouxel, étudiant la délinquance d’Ancien Régime au travers de l’activité d’une justice seigneuriale en Bretagne, celle du tribunal de l’abbaye Saint-Georges de Rennes (1687-1787)21, conclut que l’« on peut raisonnablement écrire que le grand absent de cette délinquance est le délinquant ». L’assertion mérite débat. Elle n’en est pas moins révélatrice de l’état fort ordinaire de la population qui, par mégarde ou témérité, se retrouve devant le tribunal du seigneur. Au demeurant, les accusés ne sont pas seuls en scène. L’avantage de la source judiciaire est de mettre en perspective le jeu d’une grande quantité d’acteurs. Chaque agression suppose une victime et chaque procès une diversité de témoins. Un des intérêts majeurs de la source est bien, par le jeu des instructions judiciaires, d’avoir autorisé la parole d’un nombre non négligeable de personnes qui sont ainsi parvenues, par bribes, à nous laisser des traces de vie. Car l’archive judiciaire est bien un « lieu de paroles captées22 ».
25Dans une deuxième série d’arguments, il convient de préciser que, dans tous les cas, crimes et actes délictueux sont révélateurs de tensions individuelles et collectives qui sont partie intégrante de la relation sociale. Se lisent dans ces procès les points de rupture que la société n’autorise pas à franchir. Le moteur fondamental de toute organisation sociale est à rechercher dans des règles, des normes, des valeurs intériorisées. Or, règles, normes et valeurs se retrouvent là sur le devant de la scène ne serait-ce que parce qu’elles ont été violées (ou que l’on a bien voulu penser qu’elles l’ont été). On peut supposer qu’il peut y être lu, en filigrane, ce que les sociologues appellent les fondements normatifs ou idéaux de l’action sociale. Avec la mise en scène des conduites s’expose alors un nouveau palier de connaissance possible. Yves Castan a bien montré comment les crimes véritables pouvaient eux aussi témoigner de certaines réalités sociales et qu’il en résulte qu’une étude générale des mentalités est possible à partir des documents judiciaires qui relatent les caractéristiques de l’acte criminel23. Les travaux de Robert Muchembled et de Claude Gauvard qui utilisent comme sources les lettres de rémission révélatrices de la grande criminalité et qui visent à décrire la normalité du jeu social partent de cette assertion24. De la plainte et de l’excès émergent aussi l’ordinaire, l’acceptable, le cours normal des choses.
26Il faut enfin rappeler que, pour qui veut en prendre le temps, l’archive de justice donne bien plus à lire que de simples renseignements sur l’acte délictueux. La lecture des documents montre qu’ils autorisent un champ de connaissances qui dépasse largement le cadre judiciaire.
27Ainsi apparaissent :
- Les situations les plus variées de la vie quotidienne, les lieux privilégiés de la sociabilité. Là s’esquisse la silhouette d’une femme qui revient du four à ban, ailleurs celle d’un enfant pris aux jeux de la rue. Il appert encore des récits la scène d’un cabaret où des compagnons sont à « boire chopine », le bal donné à la métairie, le jeu de boules où s’affairent quelques notables… Ainsi sont mis en scène acteurs et décors de la relation sociale.
- Les rôles sociaux et les conduites, les mentalités et les valeurs perçues à travers le témoignage dépouillé de ceux qui sont les protagonistes du jeu social. Par exemple, Marie Lecormier, épouse d’un meunier, 40 ans, se rappelle avoir dit à la Leroyer, femme de sabotier, soupçonnée d’amours illégitimes, « qu’on ne doit pas voir les jeunes gens quand on a un mari25 ». René Ignace Martin, prêtre, s’indigne des injures proférées contre son honneur et sa réputation, et « qu’étant jaloux de les conserver comme le plus précieux des biens, il lui a été conseillé de porter sa plainte26 ». Nous entrevoyons là des éléments de psychologie collective.
28L’archive de justice nous fournit une multitude de renseignements qui vont bien au-delà de ce qu’elle dit sur l’acte délictueux. Ce qu’elle permet de mettre en perspective dépasse l’analyse du contentieux ou la simple appréhension de l’institution judiciaire. En fait, ce que livre l’archive judiciaire dépend de la façon dont on veut bien la lire. Elle nous offre des décors, ceux des lieux essentiels de la sociabilité. Elle donne à voir une multitude de portraits, d’attitudes surprises dans des moments volés. Elle laisse entendre des bribes de discours. Toutes les pratiques quotidiennes consignées là sont le produit de modes de pensée, de conduites, de systèmes de valeurs. Peuvent être ainsi saisies des façons de vivre, d’être, de paraître. Il est alors utile de lire ces sources comme des miroirs de la sociabilité et des sensibilités collectives. De ces traces minutieusement recueillies, il convient de faire un objet d’histoire.
29D’autres précautions sont sans doute à prendre. Les rapports que le lecteur entretient avec la source peuvent constituer un des obstacles. Le document fascine parce qu’il nous introduit dans l’intimité de vies ordinaires. L’impact que l’archive de justice a sur le chercheur, écrit Arlette Farge, a parfois pour conséquence un déni de sa valeur : « Belle mais piégée, elle aurait tout le corollaire de sa beauté, toute une mise en scène de l’illusion. Elle attire mais trompe et l’historien la prenant comme compagne ne se méfierait pas assez de l’improbable tracé des images qu’elle sécrète27. » Le risque majeur serait de donner à la source un excès de signification. Outre le risque d’anachronisme, se profile celui de la généralisation hâtive faite à partir d’aventures singulières. Encore faudrait-il supposer l’impossible construction, à partir d’expériences particulières, de tout discours historique et refuser a priori de tirer parti d’approches nouvelles, celles par exemple de la micro-histoire italienne. Surtout, la sympathie que génère la lecture de ces archives, l’intimité qui peut s’insinuer entre les acteurs qu’elles mettent en scène et le chercheur, n’empêchent en rien ce dernier d’instaurer, avec autant de pertinence que pour n’importe quelle source, la distanciation nécessaire entre la matière qu’il travaille et lui-même. Au demeurant, toute trace du passé, devenue source, est porteuse de telles ambiguïtés. Sans doute la tentation de laisser parler le document et de croire en la valeur probante de la citation est-elle forte. Le texte relevé est témoignage, trace, il n’est pas gage d’une quelconque vérité. L’essentiel est bien dans le questionnement auquel il faut toujours le soumettre. Le sens de l’archive ne se livre jamais d’emblée. Il convient de le traquer, de le construire à partir des systèmes de représentation repérés. La difficulté est bien dans la mise en cohérence de ces parcelles d’informations qui nous arrivent en miettes pour identifier comportements, règles ou modes de pensée. Le débat est d’ailleurs inhérent à toute construction d’un discours sur le passé qui doit à la fois revendiquer, par déontologie, sa part d’objectivité et se garder de l’illusion d’une vérité définitive.
30Une dernière précaution nous paraît encore nécessaire : prendre garde que le miroir des sources judiciaires ne donne une image déformée de la réalité sociale. Les documents sont le produit d’une institution et des hommes qui la gouvernent. Le discours relevé est, prioritairement, celui des personnes qui en ont la charge. La parole de ceux qui sont amenés à s’exprimer devant le greffier ou le juge y est toujours rapportée, retranscrite. Le risque serait de ne percevoir qu’un discours énonçant une norme – celle par exemple des hommes de loi ou des élites – trop éloignée de ce qui se passe dans la vie réelle. Il y a là des vigilances à exercer. Malgré tout, les actes de plainte et les dépositions de témoins sont suffisamment précis : ils décrivent des situations, des gestes, des faits, rapportent des paroles dont la verdeur laisse à penser qu’elles sont bien des expressions du quotidien.
31L’autre risque serait que la parole de ceux-là même qui ont à s’exprimer devant la justice (plaignants, accusés ou témoins) soit faussée par l’enjeu ou les intérêts à défendre ou simplement parce que, face à la justice, ne pourrait être récité qu’un discours attendu ou convenu. Les hommes de justice peuvent susciter méfiance ou appréhension. Toute parole trop vite prononcée pourrait être source de difficultés. D’une part, la fréquentation de l’archive permet d’affirmer avec Yves Castan que « l’on s’adresse à l’auditoire judiciaire comme on s’adresse à un auditoire universel en ce sens que le sujet se représente les règles de conduite comme universellement valables, à quelques exceptions près28 », et que le discours tenu reste signifiant. D’autre part, en ce qui concerne la véracité des dires, peu importe que le déposant ait dit ou non la vérité. L’historien n’est pas juge. Les plaintes réciproques, quand elles nous parviennent, montrent l’illusion qu’il y aurait à vouloir décrypter la véracité des faits. Tel valet dit que son maître le nourrit mal et qu’il veut le quitter. Peu importe l’exactitude de sa déposition. Tout propos pour être crédible doit se référer à des normes, dire ce qui est recevable ou vraisemblable. Ainsi toute assertion nous fait-elle entrer dans un champ de représentations possibles : c’est ce champ qui nous intéresse ici.
32Les remarques émises ci-dessus appellent à la prudence. Il reste que les documents nous fournissent un angle d’approche original pour, au-delà des dysfonctionnements de la société, appréhender l’ordinaire. Il convient enfin de préciser ce qui fait la grande force des archives de justice.
33Les historiens qui utilisent le document judiciaire aux fins d’écrire une histoire des sociétés s’accordent pour souligner l’intérêt et les apports spécifiques de cette source. Yves Castan, dans ses travaux précurseurs, y voit l’opportunité de saisir dans une réalité concrète la forme habituelle des rapports entre groupes sociaux. Il affirme qu’une étude générale des mentalités est possible parce que la source met en scène les circonstances les plus variées de la vie quotidienne, toutes les classes sociales, tous les tempéraments possibles, et, qu’au demeurant, elle indique de quoi est fait l’équilibre de la société étudiée. Elle permet en outre de cerner des attitudes qui relèvent du champ de la psychologie sociale29. Avec un regard d’ethnologue, Elisabeth Claverie peut écrire que la procédure judiciaire est l’occasion de pénétrer, au fil des témoignages, dans la vie quotidienne d’une société du passé, que les procès révèlent parfaitement le modèle de la structure sociale et que, « la procédure d’enquête dans la mesure où elle permet à chacun d’exprimer son opinion quant à la valeur morale d’autrui, met en valeur […] les pratiques traditionnelles d’évaluation de la conformité30 ». Il y a là prise sur la vie sociale environnante. Robert Muchembled voit dans les lettres de rémission, révélatrices a priori de la grande criminalité, un document sériel de choix pour bâtir une anthropologie historique et permettre une prospection systématique des structures mentales, des mœurs, coutumes et types de comportements31. Les travaux d’Arlette Farge veulent, à partir des archives judiciaires ou des procès de police, saisir les comportements populaires parisiens du xviiie siècle, « retrouver les paroles de ceux qui ne pouvaient pas écrire32 ». Pour tous, la finalité n’est pas de dresser un tableau du regard judiciaire sur la société, mais, à travers un discours certes filtré par l’institution, de repérer les comportements sociaux, les attitudes, les mots prononcés par conviction ou pour la circonstance par ceux qui sont au cœur du jeu social. La force de l’archive de justice est de nous présenter une multitude de scènes animées où s’expriment des façons d’être, de se représenter, de penser. Sa réelle supériorité est dans le fait qu’elle révèle des scènes de vie en actes ou en situations. Les acteurs y sont saisis dans la dynamique du jeu social. Peu de sources ont cette force de pouvoir montrer en mouvement un monde de chair et de sang, de s’immiscer, parfois jusqu’à l’intime, dans les vies de cette multitude d’anonymes qui animent le champ des relations sociales33.
34L’intérêt fondamental de la source est bien de nous introduire au cœur d’un monde en action, saisi dans l’effervescence des jours ou des nuits ordinaires. Il s’agit là d’un des rares documents qui, prenant en compte la diversité des acteurs, appréhende les rapports interpersonnels et les mentalités dans le mouvement du quotidien. Comme dans un théâtre, le tableau est animé. Il reste à l’historien à s’introduire dans ce jeu mouvant des formes de la sociabilité et des sensibilités collectives. Il convient, auparavant, de s’arrêter sur la nature des pièces de procédure qui sont les plus aptes à nous faire entrer dans le champ des conduites sociales et des sensibilités collectives.
Du choix des pièces de procédure
35Nous avons pu souligner combien le corpus documentaire était dense et varié. Les pièces de procédure qui relèvent de la justice contentieuse en forment l’essentiel. Se présentent ainsi en liasses reconstituées, affaires criminelles (on dirait aujourd’hui pénales), et affaires civiles traitant respectivement des délits ou des différends entre parties. Chaque affaire peut produire un nombre varié de documents. Souvent le contentieux ne nous est connu que par une seule pièce, en général la requête qui déclenche l’affaire. Parfois aussi, le dossier est plus conséquent. L’affaire dans laquelle Pierre Fourmont34, métayer, est accusé du meurtre d’un collégien ne produit pas moins de trente-sept pièces. Nous y trouvons, outre la plainte, les interrogatoires et les dépositions de témoins, les exploits d’assignation à comparaître, les décrets de prise de corps et d’assignation pour être ouï, les rapports de médecins, les autorisations à faire publier monitoire, les plaidoiries, le recollement35. Au civil, les dossiers sont souvent moins copieux, comprenant essentiellement requêtes et témoignages, mais aussi parfois rapports d’experts, dépositions contradictoires ou plus exceptionnellement, calcul des dépens ou minutes de jugement. Si a priori aucune pièce n’est à rejeter, requêtes, informations ou dépositions de témoins, interrogatoires sont les documents à privilégier.
36Les requêtes sont le document le plus fréquent. Elles nous sont parvenues dans 76 % des cas étudiés. Elles sont aussi, pour notre étude, les plus riches. La requête introduit l’affaire dans le processus judiciaire. De longueur variable (1 à 5 pages manuscrites), elle expose le point de vue du plaideur et ses prétentions à être entendu. Elle est déposée au greffe du tribunal, rédigée par le greffier à partir des déclarations du plaignant ou « demandeur ». Au pénal, elle est l’acte d’accusation. Sa forme est relativement immuable :
37Lieu et date de la déposition À Sablé, le 20 avril 1752.
38Introduction de la supplique adressée au Bailli « À Monsieur le Bailly de Sablé, supplie humblement.
39Identité, État, Domicile du plaignant (demandeur) Pierre Courtais, marchand hôte, demeurant au bourg du Bailleul, venu exprès du dit lieu pour rendre sa plainte et nous remontre que
40Identité, État, Domicile de l’accusé (défendeur) Le dénommé Jouan, entrepreneur en bâtiment au bourg de Gastines
41Objet de la plainte : Circonstances entourant le contentieux Serait venu loger chez le dit plaignant avec un autre particulier, y aurait soupé et se serait couché dans une chambre haute sur les 10 heures du soir. Le plaignant s’étant levé sur les 2 heures du matin du présent mois pour aller au marché de la Flèche, partit, sa jeune femme dormant dans sa couche et ferma la porte en sortant avec le seul loquet.
42Le plaignant ayant oublié sa tabatière, après avoir fait environ 200 pas, revint pour la chercher. Il voulut mais inutilement ouvrir la porte qu’il avait loquetée. Mais quelle fut sa surprise lorsqu’il la trouva fermée avec le verrouïl.
43Après avoir longtemps appelé, il entendit du bruit et sa jeune épousée sortie par force des bras du dit Jouan qui voullait la violer, luy ouvrit la porte à demi-morte et criant à la force, elle lui fit le récit des violences que le dit infâme lui avait faites pour assouvir sa passion brutalle.
44Dans un contraste aussi critique le plaignant apperçut le dit Jouan encore couché dans le lit qu’il avait souillé, prit une broche à rôtir et le poursuivit jusqu’au milieu du bourg et de retour chez luy, il sacrifia aux flammes la perruque, les souliers, le chapeau et partye de la veste de l’adultère Jouan. La dite Louise Galet, suppliante a d’autant plus lieu de se plaindre d’un tel attentat à son honneur qu’elle est enceinte d’environ trois mois.
45Nature et qualification du préjudice Les voies de fait et l’adultère horrible commis avec violence en la personne de la femme du plaignant les engagent à porter leur plainte au pied de votre tribunal et à réclamer votre justice contre un excès si monstrueux.
46Demande de recevabilité de la plainte et demande d’autorisation « à faire informer » (à faire comparaître les témoins) Ce considéré, Monsieur, il vous plaise de décerner acte aux suppliants de la plainte qu’ils rendent devant vous, leur permettre de faire informer par devant vous des faits mentionnés en icelles circonstances pour l’information faite et communiquée, être ordonné ce qu’il appartiendra sous la réserve de tous les dommages et intérêts des plaignants et sauf à Messieurs les gens du fisc à prendre pour la vindicte publique telle conclusion qui bon leur semblera. »
47Signature Courtais Cosnard36 (greffier).
48Au-delà de l’aspect diplomatique, la requête est un genre. Elle tient du récit avec temps, lieu, acteurs et nature de l’intrigue. Ce récit répond aux logiques descriptives et narratives. Il vise à établir, par le détail des éléments propres à l’affaire ou qui lui sont périphériques, des critères de vraisemblance. Il doit produire sa part de réalisme. La crédibilité est à ce prix. La requête tient aussi du discours argumentatif. L’enjeu est bien de convaincre. Par exemple, toutes les figures de rhétorique peuvent être mobilisées au service d’une cause. Ces effets de style ont pour objet de stigmatiser l’agresseur et d’attirer la sympathie sur la victime. C’est aussi en ce sens qu’il faut appréhender les émotions et les jugements de valeur donnés. Par ce qu’il met en scène, ce type de document nous autorise cette incursion au cœur des sentiments qui régissent les relations interpersonnelles et le jeu social. Son intérêt est bien dans cette combinaison de narration, d’information et d’argumentation qui vise à la construction d’une réalité recevable. Ainsi toute situation est-elle mise en perspective dans un contexte matériel et mental qui doit être objectivement acceptable. On comprend qu’il existe plusieurs niveaux de lecture de la requête. Il convient donc en premier lieu de ne pas s’enfermer dans le piège d’une approche strictement judiciaire. L’intérêt documentaire est aussi ailleurs : il ressortit à l’évocation des faits matériels ou de l’environnement culturel, à la pensée ou aux sensations objectivées par le récit ; c’est cette substance qu’il nous faut cerner. La démarche vaut aussi pour les « informations » ou dépositions de témoins.
49Le corpus recueilli est riche de 390 « informations » qui ont pu donner la parole à 2 275 témoins37Le nombre de témoins par affaire est très variable. Pour une moyenne de 5,8 témoins, les extrêmes vont de l’unité à 64 dépositions38. Soit le « crime de séduction » précédemment évoqué dans la présentation des requêtes. La déposition des témoins est ainsi introduite :
« Information faite à Sablé par nous Urbain Davy de Grandmaison, lieutenant juge général ordinaire civil, criminel et de police au baillage et marquisat payrie de Sablé, pour les partye et requête de Pierre Courtais, marchand hote et Louise Gallet, son épouse, demeurant au Bailleul, demandeurs et accuzateurs en crime de violence et voyes de fait commises en la personne de la dite Gallet, contre le nommé Jouan, entrepreneur de bâtiments dt (demeurant) à Gastines, déffandeur et accuzé en vertu de la plainte à nous rendüe de notre ordre (ordonnance), du vingt juillet présent mois, notre mandement portant permission d’assigner témoins, les assignations données aux d(its) témoins par procès verbal de Gautier, huissier au siège, les vingt et uns et vingt deux de ce d(it) mois, controllé au bureau de cette ville, à laquelle information a été vaquée en assistance de notre greffier ordinaire comme il suit.
Du vingt quatre juillet mil sept cent cinquante deux, René Nail md (marchand), demeurant au bourg de Auvers le Hamon, âgé de vingt huit ans, serment pris de luy de dire vérité ce qu’il a promis et juré faire de comparoir devant nous suivant l’exploit à luy donné par Gautier, sergent, du vingt deux de ce mois par luy présenté connaître les partyes n’estre leur parent allié serviteur ny domestique enquis sur les faits de la plainte dont lecture luy a été faite. Dépose39… »
50Le contexte juridique dans lequel se fait la déposition n’est pas sans intérêt. Les témoins sont assignés à comparaître par décision du juge après avoir reçu un exploit d’assignation. Toute personne ainsi « assignée » est tenue, sous peine d’amende, de se présenter. Chaque partie peut être amenée, après accord du magistrat, à faire mention des témoins qui peuvent déposer en sa faveur. La déposition est faite dans le secret du tribunal, en présence des seuls juge et greffier. Seule l’appartenance à la famille ou à la domesticité des requérants empêche de témoigner. Nous n’observons pas d’autres discriminations. Le témoignage des enfants de l’un ou de l’autre sexe est recevable, « même s’ils sont en dessous de l’âge de puberté40 ». La pratique est bien conforme à la règle.
51Il s’agit pour le juge de commencer, par ces auditions, l’instruction de l’affaire. La procédure est immuable : les témoins sont amenés à réagir à la lecture de l’acte de plainte et du chef d’accusation, le greffier consignant les dires des déposants concernant ce qu’ils ont vu, entendu ou su de l’affaire. Le recours au monitoire, parce qu’il en appelle aux sanctions ecclésiastiques les plus graves en cas de manquement au devoir de venir dire ce que l’on sait, ajoute à la solennité de l’exercice. Il reste toutefois exceptionnellement utilisé41 : on y recourt quand les preuves sont insuffisantes dans l’instruction d’une affaire grave (notamment meurtre, infanticide, vol important). Les dépositions recueillies peuvent être alors très nombreuses, approchant pour quelques rares cas la centaine42. Dans tous les cas, les témoignages sont d’une longueur et d’un intérêt très variables. Ils vont de quelques lignes rapportant des faits ou des commérages (« a ouï dire… »), à plus d’une page : y sont alors exposés avec minutie les données de l’affaire mais aussi les jugements de valeur qu’elle suscite. L’intérêt documentaire est, qu’au travers de ces déclarations, nous observons un contentieux qui vient s’inscrire dans une situation et des schémas de pensées ordinaires. Le contexte judiciaire n’y fait rien, le témoin peut difficilement s’éloigner de la norme que lui dictent sa condition et son appartenance au groupe. Nous intéressent là les mises en scène rapportées, les regards portés sur les actes et les hommes, les sentiments et les interprétations données. Ainsi le déposant, par digressions, dit-il parfois beaucoup plus que ce qui touche directement à l’affaire. Peuvent être consignés là des actes et des expériences de la vie quotidienne, des formes et des lieux de la sociabilité mais aussi, par touches infimes, le jeu subtil des relations, la complexité du paysage social. Les dépositions, qu’elles soient spontanées ou calculées, sincères ou intéressées, donnent accès aux façons dont les contemporains appréhendent les réalités. Y prêter attention est une manière d’entendre ceux dont la parole reste habituellement dans l’anonymat. Le témoignage est, comme l’interrogatoire, le lieu par excellence de la parole interceptée.
52Peu nombreux, les interrogatoires qui nous sont parvenus ne concernent que 15 % des cas du corpus étudié43. L’interrogatoire a les formes et les exigences requises par les ordonnances de Saint-Germain-en-Laye44. On peut y avoir recours tant au criminel qu’au civil.
53Il peut être réitéré à la demande du juge, suivant les nécessités de l’instruction. Il est aussi rappelé, en introduction de l’acte que rédige le greffier, que l’interrogatoire est bien mené par le juge en personne et que, c’est sous serment par lui prêté que l’accusé doit décliner son identité (nom, surnom, âge, domicile) et jurer de dire la vérité45. Le corpus de l’interrogatoire est construit suivant un jeu de questions relativement brèves à partir desquelles l’accusé est amené à s’exprimer sur les faits qui lui sont reprochés. Il est de longueur variée, allant de quelques questions à plus de quarante46.
54L’interrogatoire de Louis Jouan, entrepreneur en bâtiment, impliqué dans l’affaire ci-devant évoquée pour « crime d’adultère et voies de fait », est ainsi conduit :
55Questions du juge Réponses de l’accusé
56Interrogé l’accusé s’il sait les causes de son accusation. L’accusé a dit qu’il a ouï dire que Courtais et sa femme, hôtes au Bailleul luy voulait faire un procès pour des faussetés (sic)…
57Interrogé l’accuzé s’il n’est pas véritable que le 12 juillet dernier étant couché au Bailleul dans l’auberge du dit Courtais et s’étant aperçu qu’y celui Courtais s’était levé et était sorti de sa maison de fort grand matin luy accuzé ne descendit pas d’une chambre haute dans la chambre où la femme du dit Courtais s’était couchée. L’accuzé a dit qu’il était vrai qu’il était descendu de sa chambre que pour aller dans la cour pour un besoin très pressant, qu’il n’eut même pas le temps de se vêtir de son habit et qu’il le laissa en passant avec sa perruque et son chapeau sur une table de la chambre où la dite femme était couchée.
58Interrogé l’accuzé s’il n’est pas véritable qu’il approcha du lit de la d(ite) Courtais, qu’il se coucha même sur le dit lit et voulu la violer. L’accuzé a dényé l’interrogatoire.
59Interrogé l’accuzé s’il n’est pas véritable que Courtais étant revenu dans sa maison et le trouva luy accusé dans la ruelle du lit de la d(ite) Courtais. L’accuzé a dényé l’interrogatoire… convenant qu’il vit le d(it) Courtais avec une broche à la main, voulant le percer…
60Interrogé l’accuzé quelle raison pouvait avoir le dit Courtais d’en user avec luy avec tant de violence. L’accuzé a dit que la veille le dit Courtais en présence du nommé Plaçais, meulnier, l’avait bien menacé qu’il aurait à faire à luy parce qu’il attribut à luy accuzé d’avoir empesché le meulnier de Contigné de payer les gages d’une servante qu’il avait, laquelle est parente du dit Courtais.
61Interrogé l’accuzé s’il n’est pas véritable quelques semaines auparavant le dit jour 12 juillet il s’était proposé dans une auberge à Sablé de donner de fortes raisons de se fâcher au dit Courtais et qu’il luy dit qu’il verrait quelque jour la femme du dit Courtais. L’accuzé a dényé l’interrogatoire.
62Nous avons remonté à l’accuzé qu’il n’a pas répondu la vérité à nos interrogatoires. L’accuzé a dit qu’il avait répondu la vérité à nos interrogatoires.
63L’interrogatoire quelle que soit l’affaire a une forme relativement immuable. Il se termine de façon récurrente sur le reproche que le juge fait à l’accusé de ne pas avoir dit la vérité et sur le démenti de ce dernier. Il vise, du point de vue du juge, à l’édification des faits incriminés. L’accusé est amené à répondre aux chefs d’accusation et aux recoupements d’informations que le juge a pu obtenir par le biais des témoignages. Les questions s’éloignent le moins possible du contexte immédiat dont on attend que jaillisse la vérité des faits évoqués. Dans l’affaire ci-dessus relevée, il y a bien mise en évidence d’un phénomène causal, mais c’est le fait de l’accusé. La plupart du temps l’interrogatoire vise surtout à déterminer si tel acte a été commis, par qui, et dans quelles circonstances. Pour ce qui est de l’accusé, le système de défense le plus souvent utilisé est celui de la dénégation des faits incriminés. La seule réponse est souvent que « l’accusé a dényé l’interrogatoire » : nous y reviendrons. Certains accusés, peu nombreux, peuvent inscrire leur défense dans un processus rationnel de causalité qui vise à faire penser que l’accusation portée est bien le fruit d’une vengeance mesquine ou d’un complot. D’autres encore, par facilité d’esprit, s’efforcent de clamer que se sont eux les victimes et qu’ils n’ont fait tout au plus que répondre à une agression. En toutes situations, il s’agit bien de présenter une ligne acceptable. La valeur documentaire est bien là dans ce jeu des représentations exprimées. Elle est dans cette prise de parole, contrainte et sans doute biaisée, mais révélatrice de sensibilités, de valeurs, de normes, de comportements. Les réponses nous intéressent pour ce qu’elles disent du contexte de l’affaire. Pour qui prend le temps de les lire, elles introduisent aussi dans des formes complexes de relations, d’attitudes qui sont autant de révélateurs des façons de penser les rapports aux autres. Il convient lors de revenir sur les manières d’appréhender la source.
Des méthodes de lecture et d’exploitation de la source
64Les façons d’aller à la rencontre de l’archive de justice sont essentielles. L’obligation première est celle d’une lecture attentive, répétée, obstinée et surtout exhaustive de chaque pièce retenue. L’immersion au plus profond du discours révélé est nécessaire. Le bain n’est pas seulement linguistique. Il ouvre aussi sur un monde qui, étrangement, nous apparaît à la fois énigmatique et familier, un monde que seules des lectures multiples permettent de saisir au travers d’une diversité de tableaux animés. L’intimité avec l’archive est utile pour s’imprégner de ce qu’elle peut nous livrer, en détails infimes, des façons de vivre ou des sensibilités exprimées. La lecture renouvelée est en outre nécessaire au repérage des situations récurrentes, des points d’ancrage qui vont permettre d’interroger la source.
65Pour chaque affaire, les écrits doivent être consignés, inlassablement recopiés ou enregistrés. Le questionnement par lequel va se construire le discours historique oblige à un retour permanent aux textes originels, aux mots qui ont été utilisés, à la façon dont ont été dites ou entendues les choses. Ainsi la prise d’informations doit-elle être des plus scrupuleuses. La part de vérité que l’on souhaite établir est à ce prix. L’impasse n’est guère possible car rien n’est a priori anodin, des informations données aux façons de parler. Les pièces recueillies doivent être appréhendées, avec un regard d’anthropologue, comme des miroirs, comme des vestiges portant trace d’un décor, de comportements, de réalités sociales ou mentales. Il est utile d’en préserver toute la substance. Il reste ensuite à donner un sens aux mots collectés. En première analyse, trois domaines d’investigations et d’interrogations ont été définis avec pour objet de confronter la source à une première grille de lecture.
66Le premier domaine est celui des transgressions. L’objet est de repérer les tensions qui perturbent la vie sociale et d’en saisir les acteurs. Pour chaque affaire ont été ainsi répertoriés :
- La nature (typologie), le moment, les lieux et les circonstances des conflits, crimes ou différends ;
- Les acteurs qui ont été ainsi propulsés sur le devant de la scène par l’acte judiciaire : plaignants, accusés ou témoins saisis au travers de leurs caractéristiques sociologiques (avant-nom, nom, prénom, âge chiffré ou qualifié, situation de famille, domicile, statut, état, profession, hiérarchie professionnelle) ;
- Les formes, modalités, genèses et conséquences des actes de violence ;
- Les antécédents connus de l’affaire.
67L’approche n’est pas sans risque. Le danger est alors de se laisser enfermer dans l’information première que nous livre la source, par exemple d’isoler le phénomène de la criminalité en oubliant la perspective générale d’une étude qui vise prioritairement à saisir la réalité des rapports ordinaires entre les hommes. Crimes, délits ou simples différends nous intéressent, parce qu’ils sont des révélateurs du jeu social. Le risque est bien de se laisser porter par la documentation, d’étudier un phénomène déviant, sans prêter attention à ce qu’il révèle des comportements, des attitudes ou de sensibilités. Il convient donc prioritairement de prendre en compte les champs de l’action et de la psychologie sociales.
68Le second domaine d’investigation est celui des conduites sociales ordinaires. La grille de lecture vise à mettre en évidence :
- Les attitudes au sein ou vis-à-vis des communautés.
- Les rapports au sein du groupe familial : Rapports dans le couple (au travers des solidarités et des conflits, au travers des rôles, au travers des sentiments) ; Rapports parents-enfants (place de l’enfant, solidarités, conflits) ; Problème de la domesticité (fonction, place, rapports).
- Les relations aux autres communautés : Voisinage, communautés d’habitants, de paroisse ; Relation à ce qui est étranger.
- Les rapports fortuits de la vie quotidienne.
- Lieux, rituels et formes de la sociabilité ;
- Relations privilégiées de la vie privée (amitiés, voisinage…) ;
- Effervescences collectives (relations à l’ordre) ;
- Conduites sociales jugées irrégulières.
- Les attitudes à l’égard des autorités et des droits.
- Autorités religieuses ;
- Autorités publiques (lointaines ou locales) ;
- Relations aux droits et aux obligations.
- Les attitudes économiques.
- Autour du travail ;
- Autour des échanges ;
- Autour des biens et de la propriété.
69Le dernier domaine d’investigation concerne le champ des représentations et des aspirations (après les façons d’être, les façons de voir ou de concevoir). Il convient d’interroger la source sur :
- La tenue et la remise en cause des rangs et des rôles.
- Au travers des manifestations sociales élémentaires (façon d’entrer en contact teneur des propos, langages corporels…) ;
- Au travers des statuts et de l’appartenance sociale (façons de se voir et d’être vu) ;
- En fonction du sexe (statuts féminin et masculin).
- Le champ des valeurs et des aspirations.
- Attitudes à l’égard des crimes et des délits (vis-à-vis des meurtres, des vols, des déviances sexuelles, de la violence physique et verbale) ;
- Attitudes, vices et travers dénoncés ;
- Attitudes et valeurs revendiquées comme primordiales.
70Ainsi guidée, la lecture de nos archives peut-elle prendre sens et l’objet de la recherche s’affiner. Il convient lors de préciser un dernier point de méthode. Les modalités de la collecte sont indissociables de la démarche qui consiste à faire varier les échelles d’observation. Pour chaque thème traité, il est utile de repérer la fréquence des éléments récurrents, d’établir des séries, voire de recourir à l’enquête quantitative. Il est par exemple éclairant, lorsqu’on traite de la violence, de mesurer le poids des discriminants sociologiques, de comprendre quelles peuvent être les parts du sexe, de l’âge ou de l’appartenance sociale dans la genèse de l’acte déviant. D’autre part, le fait de retrouver en nombre des situations ou des comportements peut être significatif. Les scènes ou les assertions réitérées font émerger des formes essentielles du jeu social, des façons d’être ou de penser. Il n’est pas moins nécessaire de repérer les aventures et attitudes singulières qui peuvent avoir tout autant de sens dans le cadre du thème traité ; car l’objet n’est pas d’établir un état moyen des conduites ou des mentalités à partir de données statistiques, mais de pouvoir rendre compte de la complexité des situations et des individus. La reconstruction d’une part du réel dans le champ du jeu social perçue au travers des relations quotidiennes, des modes de pensée et des systèmes de valeurs émerge de la variété et de la diversité des situations particulières. L’étude de cas peut être alors essentielle : elle ouvre la voie à une autre perception de la réalité sociale. Faire varier les focales de l’objectif utilisé donne accès à des renseignements qui prennent en compte la part de liberté et d’originalité des individus face à un vécu donné. L’approche de la source peut être parfois quantitative. Elle doit être aussi qualitative pour rendre compte de la façon dont chaque particulier peut vivre une situation. Seule, elle est capable de rendre de l’importance au vécu, de donner vie aux acteurs sociaux. L’unique, l’accidentel peuvent être significatifs : l’épaisseur des relations sociales se perçoit dans les stratégies individuelles. C’est le cas par exemple des relations interpersonnelles. Les enquêtes que l’on mène doivent, dans la phase de collecte des informations, tenir compte de ces variations de l’échelle d’observation utilisée. Ainsi convient-il de ne rien abandonner de ce que l’on perçoit de la source, de « prendre au sérieux cette poussière d’informations… », de ne rien laisser des parcours individuels, pour chercher comment ces détails, « ces bribes d’expériences donnent accès à des logiques sociales et symboliques qui sont celles du groupe, voire d’ensembles beaucoup plus larges47 ». Dans tous les cas, le recours au nombre ne saurait dispenser du retour au texte, au discours d’origine. Des récits de vie, nous ne percevons que des bribes. Mais celles-ci nous permettent, outre le fait de goûter à la saveur des situations décrites ou des mots utilisés, d’aller au plus profond des stratégies ou au cœur des façons de penser. La complexité est bien alors dans le recueil des données. Ainsi, pour chaque thème traité, a-t-il été convenu, une fois les problématiques et les objets de recherche définis, de constituer un corpus documentaire de référence, d’y relever les récurrences mais aussi les affaires singulières, de rassembler l’ensemble des indices à partir desquels il va être possible de construire un discours historique. La qualité de l’enquête est bien au prix de ce travail long et obstiné, de cette quête d’informations toujours recommencée au cœur de l’archive.
71Toute dynamique sociale s’inscrit dans un contexte. Avant d’en venir aux formes élémentaires de la sociabilité et aux sensibilités collectives, il convient de mieux cerner le lieu de l’enquête, de retrouver l’espace dans lequel le jeu social se met en scène, dans ses aspects géographiques, politiques et socioéconomiques.
Le terrain de l’enquête : théâtres et acteurs du jeu social
72C’est le théâtre du jeu social qu’il nous faut esquisser ici. La tâche première est bien de caractériser le terrain de l’enquête. Elle est d’en définir les dimensions géographiques et sociologiques, de présenter l’espace urbain et sa mouvance, enfin d’aller à la rencontre de ceux qui sont les acteurs de l’intrigue sociale. Le corpus documentaire utilisé pour étayer ce propos est vaste : enquêtes d’intendants, documents fiscaux, sources notariales, seigneuriales et communales48.
Le pays sabolien : définition d’une identité
73Le pays de Sablé est une marche dans une trame bocagère, une portion de territoire entre le Maine et les terres angevines49. L’espace se compose d’une vingtaine de paroisses groupées dans un rayon de trois à quatre lieues environ autour d’un petit centre urbain, sans doute modestement peuplé50, mais suffisamment éloigné des capitales mancelle ou angevine pour développer ses pouvoirs et ses attractions. La ville appartient au Haut Maine, lovée dans son angle sud-ouest ; sa mouvance s’étire aussi vers le Bas Maine et l’Anjou. Les influences ne sont pas qu’écologiques, elles se retrouvent aussi dans les structures démographiques, socioéconomiques et même coutumières ; ainsi peut-on en justice se réclamer, suivant les besoins et les combats à mener, de l’une ou de l’autre des coutumes, sans doute fort proches, mais suffisamment nuancées dans le détail pour alimenter les joutes d’avocats. Évoquer la grande ville, c’est indifféremment se référer à l’une ou à l’autre des capitales provinciales. Les distances sont égales mais l’éloignement suffisamment conséquent pour amoindrir leur poids dans la vie locale et faire émerger des interstices d’autonomie. L’essentiel est bien dans le fait que l’espace sabolien fut très tôt perçu comme un carrefour, et la cité comme un lieu de passage obligé entre Bretagne et Touraine, entre Normandie, Maine et pays ligérien51. L’assemblée d’habitants du 28 mars 1788 soulignant le positionnement de la ville au cœur de la généralité de Tours, peut envisager que Sablé puisse servir d’entrepôt à tout le Maine52. La trame bocagère, avec bourgs, hameaux et écarts, donne à l’espace une unité paysagère accentuée par les ondulations tranquilles d’un relief en apparence uniforme, à peine plus marqué au nord, aux abords des cours d’eau, Vaige, Erve et Vègre. Le bocage paraît bien une composante vécue du paysage. La haie est vivante, fossé au pied, talus en support. Elle est l’objet de soins permanents tant on attend d’elle qu’elle régule les écosystèmes, qu’elle fournisse le bois nécessaire ou surtout qu’elle délimite des espaces que d’aucuns ne sauraient franchir sans y avoir été invités. Les baux de location mais aussi les pièces de procédure judiciaire attestent de ces attentions marquées : le fait de mal user des haies et des fossés, de ne pas les entretenir, est toujours une source de conflits.
74De la haie, de la dispersion de l’habitat peuvent naître certaines formes d’isolement. Le chemin creux n’est pas sans danger. Fangeux ou poudreux suivant les saisons, il rend difficile la maîtrise des lieux. Pour autant, rares sont, dans ce milieu, les espaces non maîtrisés ni pour le moins parcourus. De chemins creux en halliers familiers, de prés en pièces de labours, de landes en forêts, de métairies en closeries, d’écarts en hameaux, chacun peut nommer et situer avec grande précision les territoires avoisinants, communs ou privés, tant ils appartiennent à un espace vécu. L’isolement n’est pas solitude ni repli sur soi. Chaque lieu, fût-il privé, est sous le regard des autres. Des habitants d’un hameau, d’une closerie ou d’une métairie, sont connus les mouvements habituels : il peut être dit à quelle heure s’éteint la chandelle d’un écart. La construction écologique, marqueterie de prés et de pièces de terres, de bois et de landes, de haies vives et de chemins creux, n’est pas sans induire certaines formes de mentalités ni de comportements. L’isolement fragilise mais il renforce aussi l’écoute que l’on a d’autrui, celle des bruits familiers ou inhabituels. Il est encore porteur d’entraide entre les gens du lieu, il favorise les solidarités face aux nécessités. Dans tous les cas, il n’empêche pas que l’on se rassemble.
75La rivière Sarthe est l’épine dorsale de cet ensemble : elle partage en deux moitiés sensiblement égales un territoire d’apparence uniforme, mais, dans le détail, contrasté. Le cours d’eau a très tôt favorisé les implantations humaines. L’emplacement des bourgs a été déterminé en fonction des possibilités qu’offrent la rivière et la topographie avoisinante. Lorsque la vallée est dissymétrique et l’escarpement marqué, le bourg s’étire au pied du cap rocheux comme à Avoise ou grimpe jusqu’au sommet comme à Juigné. Mais l’habitat est en général à flanc de coteau (Parcé, Malicorne, La Suze, Noyen). L’intérêt défensif de ces sites, souligné par les châteaux de haute rive qui forment autant de « caps barrés » aux abords de la rivière, n’est plus d’actualité au xviiie siècle. La rivière a bien alors d’autres attraits. Les îles de la Sarthe facilitent la construction des chaussées qui portent les moulins (La Suze, Noyen, Malicorne et enfin Sablé). Ainsi la rivière est-elle d’abord créatrice d’industries. Le moulin, qu’il soit à blé, à tan ou à papier est un des éléments immuables du paysage villageois. La rivière est encore indispensable au travail des chanvres comme à celui des peaux. Les tanneurs, si souvent décriés par les riverains, ont développé une activité importante à Sablé. Surtout, la Sarthe est une garantie contre un isolement qu’accroît l’insuffisance des routes et des chemins : non seulement elle permet des échanges entre les bourgades mais encore elle facilite l’ouverture vers l’Anjou voisin et au-delà vers l’ensemble de l’axe ligérien et la capitale nantaise ; le phénomène est ancien et au xviiie siècle encore, la voie d’eau semble un axe de circulation important dans une région où il a été construit peu de grandes routes. Marchands et voituriers par eau continuent à parcourir les eaux de la Sarthe avec gabares ou « futereaux », à la voile ou à la « halée ». Remontant le cours de la rivière arrivent blés, fèves, sel, poissons, pipes de vin ou d’eau de vie, tuffeaux et ardoises alors que sont ainsi exportés le bois, les cuirs, les toiles et les marbres. Sablé et Malicorne ont leurs entrepôts. Les ports saboliens (port de l’Erve, de la Chounerie ou port des Lavandières) sont toujours évoqués comme autant de lieux animés, avec leurs magasins où sont échangées des quantités de marchandises. Sans doute la voie d’eau a-t-elle aussi ses limites. Les écueils sont multiples : atterrissements, chaussées des moulins barrant la rivière, portes marinières difficiles à franchir, parfois crues ou chômages, enfin insuffisance du tirant d’eau, particulièrement en amont de Malicorne. Ajoutons à cela les multiples conflits entre meuniers et mariniers, les péages seigneuriaux, l’absence d’entretien et l’on aura idée des doléances réitérées des autorités municipales et provinciales53. Il n’y a pas un édile ou un intendant qui ne déplore la situation54. Il reste que la rivière a favorisé l’implantation des bourgs, façonné le paysage et orienté les activités des hommes. Elle a pu limiter l’isolement du pays et a été pour beaucoup une source ou un complément de revenus. Sans être l’élément unificateur essentiel, elle a pu contribuer à construire l’identité de la mouvance sabolienne ou pour le moins à renforcer l’attraction de la cité. Car la cohérence et l’unité du pays tiennent fondamentalement à la force d’attraction du centre urbain et de ses fonctions.
76La ville est d’abord lieu de pouvoirs. Au premier rang de ceux-ci est le pouvoir seigneurial. La puissance du seigneur et l’étendue de la seigneurie sont des facteurs importants de la polarisation. Quand, le 17 janvier 1711, il achète pour 450 000 livres les terres de Sablé et Boisdauphin, Jean-Baptiste Colbert de Torcy55 est un homme au faîte de sa carrière. Grand commis de l’État, diplomate, secrétaire d’État aux Affaires étrangères sous Louis XIV, il est alors probablement un des hommes politiques les plus importants de l’Europe ; allié par son mariage avec Catherine Félicité Arnault de Pomponne à l’une des grandes familles ministérielles de l’époque56, il est, jusqu’en 1721, un homme proche du pouvoir parisien. La fortune du maître des lieux est solide57, faite de rentes diverses, de revenus d’offices et surtout de biens fonciers. À sa mort, en 1746, l’essentiel de ses biens est ainsi constitué : marquisat de Sablé évalué à 848 229 livres, marquisat de Torcy et Collégien (140 067 livres), comté de la Barre (149 711 livres), seigneurie de la Guenaudière (148 720 livres), marquisat de Croissy (428 000 livres), auquel il convient d’ajouter son hôtel parisien, sis rue de Bourbon et évalué à 370 000 livres. La valeur totale de ses biens fonciers s’élève alors à 2 044 727 livres. L’assise financière de ses successeurs ne sera pas moins importante. Quand il passe dans la famille des Colbert, le marquisat comporte trente et un fiefs sis sur treize paroisses, la ville et le fort de Sablé, le château de Boisdauphin, les forêts de Malpaire et de Pincé. La famille jouit alors de nombreux droits seigneuriaux incluant haute, moyenne et basse justice dans le bailliage de Sablé et dans la prévôté de Précigné, et le droit de nommer les officiers de justice dans ces juridictions. À cela s’ajoutent les droits traditionnels : lods et ventes, cens, corvées, droits divers de métrage et de mesurage, de pêche, de péage sur la rivière Sarthe, droits de banalité sur fours, moulins et de banvin sur l’ensemble des paroisses concernées. Tous les seigneurs sauront marquer leur attachement à ces droits58.
77Au-delà des attributions seigneuriales, la polarisation est aussi d’ordre économique. La possession par le marquis d’une diversité de moyens de production est un autre facteur de son emprise sur la mouvance sabolienne. Deux séries de documents de première main permettent d’apprécier l’importance du maître des lieux dans l’économie locale. Le premier document est un registre des comptes du marquisat pour l’année 1745 remis au seigneur par Jean-Baptiste Péan, receveur général du dit marquisat. Sur soixante-six folios manuscrits, sont ainsi déclinées avec parfois commentaires en marge, recettes et dépenses de l’année en cours59. Les chapitres relatifs aux recettes précisent, outre les revenus liés aux fonctions seigneuriales, la part du marquis, par le biais de l’adjudication à ferme, dans les industries de transformation de la ville et des alentours, prioritairement dans les secteurs de la minoterie, de la blanchisserie, de la tannerie, du textile et de la fabrication de papier. Surtout le document révèle l’assise foncière des revenus seigneuriaux : vente de blés et de bois et prioritairement fermages (liés à la possession de diverses métairies et closeries) levés sur trente-trois lieux répartis sur dix paroisses. Ainsi la part touchée sur les seuls fermages représente-t-elle environ 63 % des rentrées d’argent de l’année 174560. L’emprise sur l’économie locale est encore perceptible au travers des dépenses effectuées pour et sur le compte du seigneur, sous forme d’emplois, d’achats ou de travaux. Le personnel attaché directement à la maison seigneuriale est limité mais s’y ajoutent les « journaliers du château » recrutés pour l’entretien du parc, des parterres, des jardins, chemins et fossés. Plus ponctuellement sans doute, le service du seigneur induit une multitude de tâches (charrois, visites des domaines, messagerie, abattage et serrage de bois…) qui sont autant de ressources pour les particuliers qui s’y emploient. Surtout les travaux sur le château et les demeures du domaine nécessitent le recours à une diversité d’artisans du lieu : là, sont représentés l’ensemble des corps de métiers du bâtiment. Sans doute ponctuel, cet apport n’en est pas moins profitable à l’économie locale et aux entreprises qui en bénéficient. C’est ainsi près de 10 000 livres qui sont, pour une année, injectées dans les économies domestiques locales (14 % du total des dépenses +14 % en travaux, marchandises et services divers). Un autre ensemble documentaire original vient confirmer pour la fin du siècle, le poids du seigneur dans l’économie rurale et villageoise. Il est composé d’une série de pièces manuscrites visant au renouvellement des baux à ferme du marquisat pour l’année 178561. Il montre d’abord que l’emprise foncière ne s’est pas affaiblie : d’une part, les sommes à percevoir en loyers restent conséquentes, de même que les prisées de bestiaux et les semences fournies ; d’autre part le nombre de lieux concernés est supérieur à celui exprimé dans le compte de 1745 : 50 lieux, métairies ou closeries, répartis sur dix paroisses. Il souligne ensuite que de nombreux secteurs sont encore sous l’emprise du seigneur62. La lecture attentive des clauses permet de préciser, outre les conditions de chaque bail, les formes par lesquelles le marquis domine soit la production, soit les marchés et les circuits de distribution des produits concernés. L’ensemble tend ainsi à montrer que l’entreprise seigneuriale est bien l’un des pivots de l’économie locale et le château un des centres du pouvoir économique, capable de définir dans l’espace d’alentour une zone d’influence qui contribue à la cohésion du pays.
78Le poids seigneurial n’est pas moins important dans le domaine des pouvoirs judiciaires et politiques. La justice gracieuse et contentieuse du siège sabolien définit une zone d’influence dont nous avons déjà souligné les contours et l’importance. Les services rendus par cette justice locale représentent un facteur non négligeable de l’attraction urbaine. D’autre part dans le champ du politique, s’il existe une assemblée de ville à partir de 1765, il apparaît que bon nombre de pouvoirs sont aux mains du bailli du seigneur, dans le cadre des fonctions de police qu’il exerce sur la ville et les paroisses environnantes, pour des secteurs aussi divers que la réglementation des marchés, la fixation des prix, l’organisation de l’urbanisme et de la voirie, le maintien de l’ordre social et rural, les affaires à caractère familial (nominations de tuteurs et curateurs, demandes de lettres de bénéfice d’âge, abandons d’enfants, enquêtes de bonnes mœurs…)63. Enfin, la politique de bienfaisance à l’égard de la ville et des campagnes environnantes est un dernier aspect de l’influence du château. Sans doute la mesure la plus spectaculaire consiste-t-elle dans la restauration à partir de 1717, puis dans l’entretien de l’Hôtel-Dieu64 de Sablé « pour le soulagement des pauvres malades des terres de Sablé et de Boisdauphin ». Une enquête de juin 1717 faite à la demande de Colbert de Torcy justifie l’implantation de l’hôpital par « la grande utilité » qu’un tel établissement peut avoir pour les plus pauvres mais aussi par le fait que Sablé est le lieu le plus propice de la région parce que « la ville est bien équipée en docteurs et en chirurgiens65 ». On ne saurait mieux exprimer l’importance accordée à la cité. Au demeurant, le registre des décès de l’Hôtel-Dieu atteste de la part importante des ruraux venus des paroisses environnantes dans la fréquentation du lieu66.
79Au-delà du poids seigneurial, d’autres facteurs sans doute plus secondaires peuvent contribuer à donner à la ville sa fonction de lieu central. Le pouvoir du roi y est faiblement représenté. La cité n’est pas chef-lieu d’élection ; pour verser le montant des tailles les collecteurs sont amenés à se déplacer à La Flèche. Elle abrite par contre une brigade de maréchaussée chargée de maintenir l’ordre dans le pays par des tournées quotidiennes et par des contacts avec les brigades voisines67. L’exempt et ses trois cavaliers sont, dans l’espace concerné, connus et reconnus, appelés par la population quand l’ordre est menacé. De la même façon, la présence d’un Grenier à sel (avec président, contrôleur, procureur du roi et greffier) contribue à renforcer l’emprise de la ville et à favoriser les déplacements de particuliers vers le centre urbain. Grenier de vente volontaire et grenier d’impôt, le site sabolien exerce ainsi une influence sur une trentaine de paroisses68. Enfin, dans le champ de l’administration religieuse, la ville est reconnue comme siège d’un archidiaconé et d’un doyenné, avec autorité exercée par le curé de Notre-Dame sur un nombre conséquent de paroisses69.
80Ainsi la concentration de pouvoirs et de services dans la cité contribue-t-elle à construire autour de la ville un espace cohérent. L’attraction de la ville tient encore au fait qu’elle est un lieu d’échanges et de culture. Pour ce qui est de l’échange des biens, marchés et foires donnent à la cité une des raisons importantes de sa fréquentation. Dès la fin du xviie siècle, un rapport d’intendant mentionne que Sablé est l’un des principaux marchés de l’élection70. Gilles Ménage précise qu’il s’y déroule alors quatre foires par an71. Une ordonnance de police du 20 mars 1781, signée du juge général ordinaire civil et criminel, mentionne en préambule l’existence des lettres patentes du roi du mois de novembre 1653 instituant les quatre foires saboliennes qui doivent se tenir, l’une le 1er mercredi suivant les fêtes de Pâques, l’autre le 21 juin, la troisième le 10 septembre, la quatrième le 21 décembre72. L’enquête de 1748, faite par l’intendant Savalette de Magnanville, précise qu’il n’y a d’importante que la première, que l’objet du commerce est alors essentiellement celui des bestiaux (bœufs, vaches, veaux, cochons, agneaux) et secondairement celui des toiles ; elle dit encore qu’à ces rassemblements s’ajoutent, les lundis de Carême et de Pâques, « deux espèces de petites foires de fils de lin et de chanvre » cueillis dans les paroisses voisines tant de l’élection de La Flèche que de celles de Laval et de Château-Gontier73. Sans doute les échanges à dimension régionale sont-ils entravés par le mauvais état des chemins. Les espoirs d’un commerce accru vers la Bretagne, la Normandie, l’Anjou et la Touraine par l’amélioration des infrastructures de communication sont en effet mentionnés tout au long du siècle. Malgré tout, la place sabolienne paraît bien reconnue et la renommée de la ville doit beaucoup, en la matière, à l’activité de son port. Les marchés hebdomadaires ont donc, à grande échelle, un rôle essentiel dans l’attraction qu’exerce la ville. À considérer les relevés opérés dans les pièces de procédure, l’influence reste particulièrement prégnante dans un rayon de deux à trois lieues ; elle se prolonge certes timidement en terre angevine, notamment vers Morannes au sud-ouest ou de façon plus assurée au nord, vers les bourgs de la Charnie. La zone d’influence ainsi délimitée se confond grossièrement avec l’espace judiciaire sur lequel le seigneur exerce son autorité.
81Au-delà de sa fonction économique la ville est aussi un lieu de savoir et de culture. Dès la fin du xviie siècle, Gilles Ménage peut écrire qu’il y a (à Sablé) « un collège fameux pour les humanités », « qu’on y envoie les jeunes enfants non seulement de tous les bourgs voisins mais de la plupart des villes voisines74 ». Si l’activité du collège est attestée jusqu’à la Révolution, l’ampleur de son rayonnement a sans doute varié au cours du xviiie siècle et probablement décru dans les dernières années de l’Ancien Régime. Néanmoins, une enquête de 1764 atteste qu’il y aurait alors encore une centaine d’écoliers75. Les statuts du collège élaborés en 1602 au moment de sa fondation par le donateur et bienfaiteur Olivier Levesque, « prestre protonotaire du Saint-Siège apostolique, conseiller et aumônier du roi » (Henri IV), rappellent les finalités de l’institution : « […] instruire la jeunesse tant ès bonnes lettres que ès mœurs et piété […] tant ès doctrine chrétienne […] qu’aux lettres humaines76 ». Le recrutement paraît essentiellement local, ouvert aux écoliers « moyennez » (qui payent un salaire aux régents) mais aussi aux pauvres écoliers qui peuvent assister gratuitement aux cours, enfin à des élèves boursiers dont les études et la pension sont payées sur la dotation du collège (article 4), et qui sont choisis par ordre de priorité parmi les enfants de la famille du fondateur, parmi les pauvres enfants du faubourg Saint-Nicolas, des autres quartiers de la ville, « du dehors, bourgs et villages avoisinants » (article 27). L’enseignement tel que nous pouvons le percevoir au travers des statuts fait la part belle à la formation religieuse et veut favoriser la vocation de futurs clercs. L’institution reste pour nombre de collégiens un foyer d’apprentissage propre à développer l’humanisme chrétien et à favoriser les ambitions post-tridentines des autorités ecclésiales. L’ouverture du collège et de sa culture sur la cité paraît attestée par les modalités de recrutement et de fonctionnement et, de façon plus anecdotique, par les possibilités qu’ont les ecclésiastiques et les autres personnes de la ville d’emprunter les livres de sa bibliothèque77. Même modeste, la part du collège dans le rayonnement de la ville est à considérer.
82Ainsi, par une diversité de pouvoirs et de fonctions, la ville organise-t-elle autour d’elle un espace justifiant l’appellation de pays sabolien. L’essentiel est bien dans les attractions qu’exerce la cité. Dans un premier cercle, la mouvance paraît constituée d’une quinzaine de paroisses, les plus proches du centre sabolien, situées dans un rayon de deux à trois lieues environ (grossièrement celles qui constituent le canton actuel), avec des extensions vers l’est et le nord-est (Noyen, Malicorne) ; vers le sud et l’ouest (Saint-Denis-d’Anjou, Saint-Loup-du-Dorat), vers les contrées de l’Anjou et du Bas Maine. Tel est le théâtre du jeu social que les archives de justice doivent nous permettre de retrouver. Il nous faut maintenant entrer plus avant dans la mouvance, en retrouver les décors et les acteurs.
L’espace urbain et sa mouvance
83Théâtre essentiel du jeu social dont il nous faudra rendre compte, l’espace urbain est prioritairement perçu comme un espace en mutation.
« Chastel, ville et Isle de Sablé » : un espace en mutation
84Les contemporains auraient en leur temps apprécié la beauté des lieux. Un voyageur anonyme, hôte du maréchal de Tessé au Mans, n’écrit-il pas en 1711 qu’« après la vue des Chartreux de Naples, il n’y a vue qui approche Sablé78 ».
85La cité bénéficie à la fois d’un site de coteau et d’un site de confluence. La fonction défensive est ancienne. La ville fut une des places fortes du Maine. Au xviiie siècle, la fonction militaire n’a plus lieu d’être et le site de coteau est exploité pour reconstruire un château qui symbolise une emprise seigneuriale renouvelée. Le paysage urbain reste aussi profondément marqué par la confluence des trois rivières, Sarthe, Vaige et Erve, « ce qui fait, peut écrire Gilles Ménage, une beauté et une commodité à la ville79 ». Ville de ponts, de berges et d’îles, la cité a dû jouer de la présence de l’eau pour se construire, s’étendre et se transformer.
86Malgré un nombre d’habitants qui reste modeste, la bourgade est depuis fort longtemps perçue comme un espace urbanisé et reconnue en tant que ville. Au début du xviiie siècle la cause est entendue. L’histoire et le regard des contemporains élèvent la cité au rang des petites villes du Maine80. Pour autant, la cité a encore à cette époque son aspect de « ville murée » au pied de la forteresse81. Une gravure anonyme, datant probablement de la seconde moitié du xviie siècle rend compte des aspects hérités82. Au sommet du promontoire, dominant la rivière, est le château. Au pied et à flanc de coteau, une autre enceinte cerne encore la ville ancienne, quartier aux rues étroites et montueuses, avec non loin de l’église Saint-Martin, le palais de la juridiction ordinaire, et proches du dit palais les halles à blé et les boucheries couvertes de tuiles, avec encore en prolongement, port et moulins sur la chaussée barrant la rivière. Pour autant l’habitat s’est étendu bien au-delà de l’enceinte vers le quartier de l’Île, autour de l’église Notre-Dame et du collège. Dans ce cœur urbain sont dénombrés deux cent vingt-sept feux dans un rôle de taille de 170883. Ces quartiers sont faits d’habitations mais aussi d’échoppes d’artisans et de boutiques diverses. Là sont les lieux du pouvoir et les centres vitaux de la vie économique. Plus à l’est, prolongeant l’Île, sur la rive gauche de la Sarthe, le faubourg Saint-Nicolas84 s’étire en direction de La Flèche, avec en bordure de rue, maisons et auberges85. La route a entraîné l’extension du tissu urbain. À l’opposé, près de la porte occidentale, le faubourg de Bouère (vers Laval) est en train de naître86. Ainsi le cœur de la ville et les faubourgs sont-ils déjà en place. C’est pourtant au cours du xviiie siècle et ce jusqu’à la veille de la Révolution, que la bourgade faisant éclater ses murailles, se transforme, du point de vue du paysage urbain, en petite ville.
87Sans doute la mutation est-elle lente ; mais, favorisée à la fois par l’acquisition du lieu par la famille Colbert et, plus tard, par les velléités d’un corps de ville entreprenant, elle n’en est pas moins profonde. Les archives et encore parfois le paysage témoignent de cette mue ininterrompue : elle est inaugurée, dès l’arrivée du nouveau seigneur, par la destruction de l’ancienne forteresse et la construction, à partir de 1715, d’un nouveau château. L’architecte, Claude Desgots, est de renom et le devis à la mesure de la fortune du seigneur87.
88Dominant la ville, la nouvelle demeure construite dans le goût classique a, côté rivière, la silhouette massive, calme et imposante qui sied à l’expression de la puissance seigneuriale. Le chantier, en surplomb de la cité, dure près d’une génération. Au pied, le tissu urbain se densifie, s’étire et, par touches incessantes, s’adapte aux conditions nouvelles, nées des nécessités et de l’idée triomphante qu’il faut œuvrer au « bien public » et au mieux vivre des habitants. La mue est encore timide dans la première moitié du siècle. Halles, palais de ville, prisons et surtout « grand-pont », entre la rive droite et l’Île, viennent pourtant rénover le bâti urbain et dynamiser la vie économique88. Mais la grande affaire du moment est, pour les habitants, la restauration et la réhabilitation de l’ancien hôpital entreprises comme nous l’avons déjà souligné, grâce aux subsides et au soutien du nouveau seigneur. Le souci du bien public s’accorde là avec les nécessités de secourir les plus démunis. Les autorités s’efforceront de développer cette fonction urbaine.
89La seconde moitié du siècle voit s’accélérer les transformations de la ville. La cité vit à l’heure de grands travaux et, pendant de nombreuses années, elle doit apparaître aux yeux des contemporains comme un chantier permanent. Si l’organisation générale n’est pas modifiée, l’espace urbain subit des transformations essentielles. Sous l’impulsion de l’autorité municipale, la ville, entre 1770 et 1780, se débarrasse de ses murs, libérant de nouveaux espaces. De même commence dans le quartier de l’Île la construction d’un quai et d’une voie propre à doubler l’ancienne Grande Rue devenue trop étroite pour les charrois désirant traverser la ville : l’œuvre est réalisée sur ordre royal entre 1780 et 178189. Parallèlement, les archives témoignent de soucis urbanistiques propres à rationaliser l’occupation de l’espace et à améliorer les infrastructures de voirie. Le pavage des rues est reconnu comme une nécessité depuis le milieu des années 177090. En 1779, le général des habitants peut encore déplorer qu’il se soit fait des cavités dans les rues « si nuisibles et multiples qu’on ne peut y marcher qu’avec difficulté », que les voitures de toutes espèces, risquent de s’y briser menaçant d’écraser les passants, enfin que la situation soit « très préjudiciable au bien public et en particulier à l’utilité des habitants et au commerce91 ». Enfin, s’il n’existe pas de véritable plan d’urbanisme, la période est à la rationalisation des espaces de voirie par l’alignement des maisons et la suppression des « saillies » (encorbellements) de certaines habitations qui « non seulement produisent un mauvais effet, mais encore gênent le passage des voitures chargées de foin, de pailles et de fagot92 ».
90Des bribes de discours ou d’informations conservées au hasard des archives émergent les perceptions que l’on a de la cité. La ville est une nécessité, un espace vital ; nous avons souligné ses forces d’attraction. Elle n’en paraît pas moins vécue comme incommode, insalubre, parfois dangereuse. L’étroitesse et le mauvais état des rues, l’existence de portes et de ponts mais aussi l’activité et le tumulte de la vie urbaine expliquent les dangers ressentis. De l’encombrement des rues, des « embarras » causés par les voitures, les charrettes, les chevaux ou les mulets, mais aussi des incivilités de comportement naissent les risques perçus ou vécus. Ainsi, autant que les incommodités d’espaces trop exigus, les rapports de police n’ont de cesse de déplorer les « entestements » d’hommes aux attitudes peu civiques qui osent affirmer « d’un ton menaçant et impérieux » ou encore « plein d’audace » qu’ils ne veulent pas « s’embarrasser d’une ordonnance93 ».
91Du discours reconstitué des citadins s’exprimant sur la façon dont ils vivent la ville au quotidien s’esquisse encore l’image d’un espace urbain insalubre et malsain. Il émerge, là encore, l’idée que le mal, s’il peut être lié à des infrastructures insuffisantes, est tout autant le fait de la négligence et de l’incivisme des hommes. Le processus est classique et la situation peu originale. Tant pour les pollutions domestiques qu’artisanales, il est fait un usage abusif de la rue, quand il n’y a pas quelque malignité à vider ses eaux usées dans la cour ou devant la porte d’un voisin. Immondices et boues mal intentionnellement déversés pour choquer les sensibilités visuelles et olfactives traduisent alors l’expression du mépris que l’on veut exprimer à autrui. Sans doute en fin de période un souci d’hygiène paraît-il s’affirmer parmi les élites municipales mais aussi dans la population. Le discours est récurrent et unanime, qu’il émane de personnes autorisées ou de simples habitants. Tel rapport municipal dénonce « les cavités qui retiennent les immondices qui, par leur séjour et l’impossibilité de les nettoyer, infestent l’air, ce qui est contraire à la vraye police et au bon ordre94 ». Telle assemblée doit statuer sur une plainte d’habitants du faubourg Saint-Nicolas venus expliquer qu’ils n’ont pas de commodités publiques dans leur quartier, qu’il en résulte que bien « des outrages à la bienséance et à la salubrité de l’air se commettent dans les rues ou dans les habitations95 ». La même année, une ordonnance de police déplore l’existence de rues bordées de bâtiments élevés qui empêchent le soleil de pénétrer et l’air de circuler librement, « qu’il en résulte bien des conditions d’habitation désagréables et mêmes dangereuses ». Plus loin est regrettée « la corruption de l’air » par les ordures amoncelées, « matières infectes et disposées à fermenter occasionnellement et nécessairement96 ». Mais si le discours est sans équivoque, les préoccupations visant à la salubrité publique ont encore du mal à aboutir97. Le souci des autorités, conscientes que « rien n’est plus intéressant que la propreté des villes pour entretenir un air pur et sain et prévenir des maladies épidémiques dont on peut attribuer la cause à ce défaut », n’est guère scrupuleusement suivi par les habitants pourtant invités « tous et chacun » à balayer la rue devant leur maison, leur cour, leur jardin deux fois par semaine, le mardi et le samedi, ainsi que le lendemain des foires, la veille des Fêtes-Dieu, de chaque procession en général, le matin, au son de la cloche ou du moins avant 9 heures98. Ce texte est en fait un rappel puisque la première mention de l’obligation faite aux habitants de nettoyer devant leur porte est de 1777, en complément de la création d’un système d’ébouage99. Les débats de l’assemblée et les rappels par ordonnance soulignent les difficultés de mise en place de la mesure100. Nul doute que, pour chacun, la ville représente un risque, qu’elle a ses nuisances et ses dangers. Le premier d’entre eux, au-delà de l’insuffisance reconnue des infrastructures, réside peut-être dans l’indélicatesse d’hommes sans doute soucieux de l’honneur, du respect d’eux-mêmes et de leurs droits et pourtant parfois peu respectueux des lois ou des principes élémentaires. Pour autant, la ville ne paraît pas vécue de façon négative. Au sentiment de danger et d’inconfort qu’elle suscite, s’oppose celui plus apaisant de secours, d’entraide, de convivialité qu’elle peut créer. Il nous faut, en ville et dans les paroisses avoisinantes, retrouver l’activité des hommes.
La terre et l’atelier
92Pour retrouver le niveau local, le recours aux documents de première main est indispensable tant pour la mise en perspective des activités d’échanges et de transformation que pour celles qui sont liées à l’exploitation de la terre.
93Les rapports d’intendants, sans doute trop synthétiques, imprécis ou incomplets permettent malgré tout d’esquisser une première cartographie des activités d’échanges et de transformation. Les enquêtes mettent d’abord en évidence la place modeste, à l’échelle de la province, des activités du lieu mais aussi l’originalité de leurs orientations101. Celle de 1745-1748, ne retient des activités d’échanges que les foires et marchés du centre sabolien : marché hebdomadaire du lundi avec pour objet de commerce toutes sortes de grains ; foires d’après Pâques, de juin, de septembre et de décembre, pour les bestiaux et les matières textiles (lin, chanvre, toiles d’emballage). La perception d’une ouverture locale sur l’extérieur est toutefois soulignée par une mention précisant que le bétail est destiné aux herbages du Maine et de Normandie, et que le fil de lin, le plus fin, est « enlevé » pour les fabriques de Laval et de Château-Gontier, « le surplus employé en grosse toile dans le pays ». La finalité duale de l’économie ne saurait surprendre.
94Concernant les activités de transformation, le pays sabolien paraît bien représentatif de l’appréciation selon laquelle il n’y aurait dans l’élection de La Flèche « aucune forte industrie102 », si ce n’est dans quelques paroisses sises en bordure de rivière. Sans doute, cette portion de la basse vallée de la Sarthe ne fait-elle pas partie des grands secteurs textiles du Maine. Si le travail du lin, du chanvre ou de la laine est bien présent, il n’apparaît pas avoir engendré une activité remarquable à l’échelle de la province. Pour autant, l’enquête de 1745-1748 mentionne que des étamines camelotées sont produites dans les bourgs de Malicorne, Parcé, Précigné et Sablé « se tirant du pays […] vendues surtout aux marchés du Mans pour être envoyées à l’étranger ». De même il est relevé dans le rapport de 1762-1766, que la paroisse de Parcé est un lieu important pour la production des « étamines, des serges de laine, droguets et autres petites étoffes de même espèce ». D’autres activités paraissent suffisamment essentielles pour être remarquées : moulins à papier à Avoise103, poteries et faïences à Malicorne, exploitation du cuir (tannerie, mégisserie, corroierie) à Sablé, ville qui serait au demeurant « renommée » pour sa ganterie, selon le rapport de 1762-1766.
95D’autres sources viennent confirmer la polarisation de l’économie sabolienne autour de quelques activités fondamentales. Ainsi l’analyse fondée sur l’exploitation de rôles de taille montre, au travers des structures socioprofessionnelles, que la cité apparaît comme un centre diversifié, aux activités déterminées d’abord par les besoins d’une économie locale mais aussi par l’existence de secteurs tournés en partie au moins vers l’extérieur104.
96Le travail des cuirs et des peaux semble être l’un des plus actifs, offrant une gamme variée et complète de métiers : mégissiers, corroyeurs, tanneurs, selliers, pareurs de cuir, cordonniers et surtout gantiers105. La ganterie est bien au demeurant l’activité la plus originale, déjà relevée par l’abbé Gilles Ménage106. L’importance des stocks répertoriés à l’occasion de quelques inventaires après décès permet de supposer qu’il existe une commercialisation qui va bien au-delà du lieu107. L’activité du cuir paraît connaître, à partir des années 1730, un déclin lié probablement à des difficultés d’approvisionnement en peau ou en poudre à tan108. Pour autant, elle se poursuit jusqu’à la fin du siècle, dominée par quelques familles qui ont su sinon faire fortune, du moins trouver l’aisance109.
97L’activité textile apparaît comme ayant une place relativement modeste, eu égard aux orientations d’autres secteurs géographiques du Maine. La fabrication des étamines y est marginale110. Le travail du lin et du chanvre, au demeurant diffus, est essentiellement orienté vers des besoins locaux. Ce n’est qu’en fin de siècle que la cité obtient, à la demande du marquis et contre l’avis du contrôleur des manufactures pour qui « la fabrique de ce canton n’est pas assez considérable… », la création d’un bureau de marque des toiles111. Pour autant Sablé possède une blanchisserie de quelque importance, établie selon un rapport de 1785, par le marquis de Torcy « en bordure de la Sarthe, rivière considérable, belle et claire, sans vase, sur un fond de sable, et plus propre au blanchissage que les autres rivières circonvoisines112 ». Selon ce même rapport, plus de quarante paroisses y amèneraient leurs toiles. Le déclin de l’activité, plus tardif que le cuir, n’en est pas moins marqué à partir de 1770.
98À l’inverse, l’activité marbrière est en progression jusqu’à la fin du siècle, soutenue par la valeur marchande de la matière première, par la qualité et la variété des marbres exploités113, par la présence d’une rivière propre à favoriser les exportations114. Sans doute l’impact sur l’emploi local reste-t-il limité. Pour autant, l’activité n’en est pas moins à l’origine de la fortune de quelques familles saboliennes. Celle des Hanuche paraît exemplaire ; constituée à partir de travaux effectués au château de Versailles, elle se maintient au cours du siècle suivant et permet à la famille de concrétiser des velléités d’ascension sociale par un jeu d’alliances propres à la rattacher au meilleur de la notabilité sabolienne115. Au terme de cette approche la carte économique souligne la polarisation des activités majeures d’échanges et de transformation le long de l’axe tracé par la rivière. La cité sabolienne apparaît comme un cœur économique dans un espace surtout façonné par les modalités d’exploitation et du travail de la terre.
99Concernant l’activité agricole, les sources sont d’intérêt divers, mais suffisamment variées pour que puisse être dressé un tableau de la situation sabolienne : enquêtes administratives, baux de location, plans de métairies, montrées, inventaires après décès116. Les documents renseignent d’abord sur la nature et sur la structure de l’exploitation agricole. Nous retrouvons, sans surprise, la dualité métairies-closeries, propre à nos régions révélant non une différence de mode de faire valoir mais essentiellement de superficie. Le seuil de différenciation reste assez difficile à établir. Jeanne Dufour le situe entre 10 et 15 hectares, Paul Bois entre 10 et 12 hectares117. François Lebrun rapporte les estimations de l’agronome Deslandes selon lequel, à la fin du xviiie siècle en pays fléchois, on appelle closerie l’exploitation de 6 à 7 hectares et métairies celles de 20 à 30 hectares118. A. Antoine, étudiant les exploitations du Bas Maine voisin, montre que la superficie moyenne des métairies s’étend à 29,3 hectares, celle des closeries à 7,82 hectares avec parfois des différences locales qui peuvent être sensibles119. Les écarts que nous avons pu observer sont les suivants :
- Métairies : entre 16,5 et 43 hectares ;
- Closeries : entre 6,2 et 9,5 hectares.
100Au-delà de la dualité, la présence d’une exploitation relativement grande à l’échelle de la région semble caractériser le bocage du pays de Sablé. Selon le rôle de taille de 1708, le nombre des métairies de la paroisse est sensiblement égal à celui des closeries. Le phénomène n’est pas sans conséquence sur les structures socioprofessionnelles et les niveaux d’aisance. L’analyse des cinquante fermes qui sont la propriété directe du seigneur120, confirme à la fois les écarts de taille et de richesse qui séparent métairies et closeries mais aussi l’identité de structure de l’exploitation en pays sabolien :
- Corps de ferme pour l’exploitant disposé(s) sur une cour ouverte, parfois entourée de murs ; presque toujours d’un seul tenant pour la closerie, comportant « chambre à feu », étable, grenier sur le toit ; souvent à plusieurs bâtiments pour les métairies avec chambre à cheminée et chambre(s) froide(s), étable(s), écurie(s), toits à porcs ou à brebis, granges, parfois salle à pressoir et cellier. À l’ensemble peut s’ajouter une maison de maître ;
- À proximité, aire à battre, jardins potagers, vergers, « cloteaux » bien fumés et entretenus, à chanvre, mais aussi à verger, froment, seigle ou méteil121 ;
- Terres labourables, nettement distinguées dans nos sources des prés ou pâtis, rarement d’un seul tenant, aux parcelles multiformes, cernées par haies et fossés122 ;
- Prés et prairies sur les basses terres ;
- Parfois terres à vignes et souvent landes, bruyères ou bois123 ;
- L’arbre en haie ou en exploitation est partout présent, sur cours, jardins, « cloteaux », pièces de terre ou prairies124.
101Les modes de cultures paraissent plus difficiles à cerner, particulièrement quand il s’agit de saisir des évolutions. Les baux de location n’ont que des formules très vagues. Lorsque le marquis de Torcy fait procéder au renouvellement des baux de ses fermes125, dans une longue énumération de « clauses et charges générales des métairies et closeries », le notaire note que les preneurs « laboureront, cultiveront et ensemenceront en toute terre dépendant de chacun lieu par soles et saisons convenables ainsi qu’elles se trouvent réglées présentement […] savoir un tiers en gros blé, un tiers en menus ou mars et le dernier tiers en pâtures suivant l’usage pour recevoir les gros blés l’année suivante, sans pouvoir pour les preneurs changer cette uniformité de culture ». L’assolement est traditionnel et l’injonction veut limiter les écarts et les initiatives. Si les clauses précisent que les terres doivent être fumées, il ne semble pas qu’il y ait d’innovations importantes en la matière. Peut-être nos closiers et métayers ont-ils le « génie actif, laborieux et industrieux » que d’aucuns ont bien voulu prêter aux hommes du Maine, « soucieux de ne rien perdre de leurs ressources126 ». Sans doute ont-ils le goût du travail bien fait, de la tâche accomplie127. Chacun sait remarquer la qualité du tracé d’un sillon suffisamment profond pour que soient enfouis les guérets. Pour autant les usages n’encouragent guère les innovations, et les contraintes du milieu sont souvent impérieuses. Quand les sols sont lourds et humides, l’homme doit lutter contre la terre vite envahie, après le repos, de quantité de genêts et d’herbes diverses qu’il faut d’abord détruire. Quand le temps se trouble, une pluie trop rare ou trop vive, un soleil trop brûlant suffisent à détruire la récolte. Or l’essentiel est bien, au quotidien, de ne rien perdre.
102Les produits de l’exploitation tels qu’ils peuvent être perçus au travers des baux de location, bons de prisées, montrées, inventaires après décès, sont révélateurs d’une activité agricole diversifiée. Même si les sols sont peu doués pour les céréales, ces dernières restent essentielles. Quand il renouvelle les baux de ses fermes, en 1785, le marquis de Torcy fournit 1732 boisseaux de grains se répartissant comme suit : froment : 132 boisseaux ; blé méteil : 211 boisseaux ; blé seigle : 1033 boisseaux. À ces trois céréales présentes dans la totalité des baux, s’ajoutent l’avoine, l’orge, le blé noir ou sarrasin semé en avril ou mai, quand la récolte du seigle s’annonce peu favorable. Mais la diversité des sols renvoie à une variété de productions ou d’activités. Inventaires, pièces de procédures judiciaires et baux attestent de la présence dans les greniers, caves ou jardins, de pois, fèves et févettes, citrouilles et melons, noix, guignes, poires, prunes ou pommes, cidre et vin, graines de lin ou de chanvre, mais aussi beurre, œufs, poulets, oies ou canards. Nombre de documents montrent la part essentielle faite aux élevages, confirmant l’assertion selon laquelle l’élection de La Flèche, si elle n’est pas abondante en grains, tire avantage prioritairement de la vente du bétail128. Diverses pièces de procédures viennent souligner l’importance accordée aux transactions de bestiaux. Sans doute trouve-t-on dans ces activités d’échanges l’essentiel des liquidités dont a besoin l’exploitation. L’analyse des inventaires après décès et des bons de prisée permet d’apprécier, sur les métairies notamment, la variété des élevages présents :
- Porcs, truies et « nourritureaux » en nombre souvent limité (quelques unités par exploitation), destinés à la consommation personnelle, aux paiements des subsides, éventuellement aux transactions ;
- « Bergails », moutons, chèvres et boucs, en troupeaux de 15 à 20 têtes, confiés souvent à la garde des enfants et faisant l’objet de ventes ;
- Génisses, vaches, taures, taureaux et veaux (souvent près d’une vingtaine) ;
- Bœufs (entre 2 et 8) propres à tirer charrettes et charrues ;
- Chevaux, juments ou cavales, présents sur nombre d’exploitations.
103Le nombre de têtes reste la plupart du temps limité en raison de l’espace disponible sur l’exploitation. L’activité n’est pas pour autant anecdotique. Elle contribue pour le moins, à la diversité des productions de l’exploitation et s’insère dans une stratégie qui vise à offrir à l’exploitant et au propriétaire les fonds de roulement nécessaires au fonctionnement de l’entreprise129. Sans doute faut-il noter qu’en la matière, métairies et closeries ne sont pas à égalité. La comparaison du cheptel vif est significative des écarts qui séparent les deux types d’exploitations et ne fait que souligner la fragilité des plus petites. Ces dernières sont en effet presque toujours dépourvues de gros bétail, disposant au mieux de quelques têtes d’ovins, de porcs parfois de veaux ou génisses. Au demeurant la différenciation se retrouve au niveau de l’outillage. Charrettes, chartes ou charrues toujours présentes dans les métairies sont exceptionnelles dans les closeries. La possession de ces objets tractés ou roulants n’est pas sans induire des dépendances qui ont leurs prolongements dans les statuts sociaux. De la même façon, l’importance et la variété de l’outillage à bras, qu’il serve au travail de la terre (fourches de fer, tranches plates ou fourchées, pelles à bêcher, crocs), à la récolte ou à l’élagage des végétaux (brocs, râteaux, faux, fléaux, serpes, sermiaux, vouges ou haches130), mettent en évidence des différences qui ne peuvent que renforcer la dichotomie déjà soulignée. Les écarts enregistrés tant dans le domaine des superficies que dans celui des moyens de production laissent supposer l’existence d’une agriculture à deux vitesses, ainsi qu’au sein du monde paysan, la présence de types sociaux marqués.
104Le travail de la terre a bien sûr des implications sociales. Les modalités d’exploitation entraînent suivant leurs caractères des types de relations entre ceux qui possèdent la terre et ceux qui la cultivent. La nature des baux est un premier indice. Le métayage, souvent assimilé à une forme d’exploitation archaïque peut être révélateur d’une situation précaire de la paysannerie131. Surtout, il implique la proximité du propriétaire et des rapports liés à la possibilité d’une étroite surveillance. Le fermage, au contraire, laisse une part importante d’initiative au paysan qui se trouve maître de son travail. Ainsi les modes de faire valoir peuvent-ils être significatifs de la nature des rapports qui s’établissent autour de la terre. D’une part, le fermage semble s’affirmer au cours du siècle. Mais d’autre part, bien qu’en recul, le métayage continue d’être adopté dans un nombre non négligeable de contrats. L’explication la plus plausible réside dans l’existence d’un groupe social issu de la bourgeoisie locale qui intervient entre paysans et propriétaires notamment ecclésiastiques ou nobles. Le phénomène est difficile à percevoir car le bail ne mentionne jamais si le bailleur est aussi le propriétaire. Toutefois l’examen de la qualité des preneurs dans les contrats de fermage nous révèle la présence de nombreux notables locaux qui, de part leurs fonctions ne peuvent que louer la terre qu’ils ont prise à ferme132. En 1785, quand Jean-Baptiste Menelay Colbert renouvelle les contrats de ses fermes, les preneurs des vingt lots constitués133 sont tous « marchands fermiers ». Si le système engendre des dépendances, il peut aussi grâce aux capitaux apportés en semences et bestiaux, être source de dynamisme. Il reste à envisager le jeu social qui émerge de ces activités et de ces structures mais d’abord d’aller plus avant dans la perception des acteurs du jeu social.
Les acteurs du jeu social
105L’objet est maintenant d’aller à la rencontre de ceux qui sont au cœur de l’intrigue. Une des premières approches de l’étude d’une société est de parvenir à une perception des groupes qui la composent et d’évaluer pour chacun limites et contours. Si les catégories peuvent être perçues à travers le statut, la profession, la richesse ou le cadre de vie, la réalité sociale est aussi à saisir dans le champ des relations qu’induit la position de chacun dans le groupe. Concernant les indications de l’appartenance sociale, les documents fiscaux autorisent une première approche. Ils sont à compléter par les sources notariales, contrats de mariage et inventaires après décès.
Documents fiscaux et catégories socioprofessionnelles
106Les rôles d’imposition sont une première source, même si, dans un débat aujourd’hui ancien, les historiens ont souligné combien leur utilisation nécessitait quelques réserves :
- Iniquité de l’assiette de l’impôt en pays de taille personnelle134 ;
- Catégories non (ou mal) perçues : domesticité, gens de très grande pauvreté, « veuves » (sans indication de profession), gens de métier (pas de distinction entre maîtres et salariés), marchands (notion qui dissimule une diversité de situations).
107Ces remarques appellent la prudence. L’image renvoyée ne peut être que grossière. Il reste que le grand avantage de la source est d’autoriser une vision globale d’une société donnée. Nous avons déjà mentionné la rareté de ce type de document en pays sabolien. L’exemple développé ici et qui concerne la cité s’appuie sur un rôle d’imposition ancien, daté de 1708, le seul parmi ceux que nous possédons à être complet135. Les données recueillies présentées sous forme de tableaux permettent de dégager quelques caractéristiques fortes du paysage social sabolien.
108L’éventail des impositions paraît relativement ouvert : de 5 sols à 80 livres. Le quart de la population est imposée à moins de 2 livres et 71 % à moins de 10 livres. À l’opposé, 2 % des contribuables fournissent plus de 40 livres. Nous avons bien là les signes d’une société fragile mais contrastée, caractéristique de l’Ancien Régime. L’examen précis des cotes d’imposition fait toutefois nuancer la dualité de la société sabolienne et montre l’existence d’un groupe moyennement imposé, et qui paraît au demeurant quantitativement non négligeable : 25 % environ des feux (entre 10 et 50 livres)136.
109L’analyse des impositions par catégories socioprofessionnelles permet d’affiner le tableau. Ainsi sont mis en évidence :
- L’existence d’un groupe social quantitativement non négligeable (4 % des feux imposés) fait d’officiers et surtout de personnes exerçant des professions à talents : avocats, notaires, procureurs fiscaux mais aussi médecins et chirurgiens ; là est sans doute une des originalités de la population observée. L’ensemble est bien sûr à mettre en relation avec les fonctions de la ville. La part relativement modeste de ce groupe dans la hiérarchie des impositions (pas d’imposition à plus de 49 livres 19 sols) reflète probablement mal la place et le rôle qu’il joue dans la cité tant sur le plan politique qu’administratif ou culturel.
- Un monde de la marchandise contrasté (9,2 % des feux imposés). La diversité des cotes d’imposition reflète probablement la variété des conditions, le terme de « marchands » masquant des réalités, des fonctions et des situations fort diverses. Le faible niveau des impositions laisse à penser que certains d’entre eux n’ont que des activités modestes.
- Un monde des métiers prépondérant en nombre (26,6 % des feux imposés) mais dont les situations peuvent être tout aussi variées que celles du groupe précédent. La part des cotes inférieures à 10 livres montre la précarité de beaucoup (près de 80 % du groupe imposé à moins de 10 livres). Le document ne permet pas de distinguer la part des maîtres ni celle des compagnons.
- Un groupe d’exploitants agricoles relativement nombreux (89 cotes soit au total, 18 % des feux imposés), mais des écarts de richesse non négligeables entre métayers et closiers (58,6 % de cotes à moins de 10 livres pour les closiers ; 48,8 % de cote supérieures à 30 livres pour les métayers). Il est à relever que les impositions parmi les plus élevées des rôles saboliens sont payées par des métayers137.
- La présence d’un groupe important de femmes vivant seules, veuves surtout ou « filles », chefs de feu en la circonstance. Les niveaux d’imposition soulignent la modestie des conditions de la plupart d’entre elles, le document ne permettant pas d’aller plus avant quant aux fonctions qu’elles peuvent exercer dans la société villageoise138.
- En bas de l’échelle fiscale, le monde des journaliers résidant à parts sensiblement égales en ville, dans les faubourgs ou en campagne. L’imposition ne va jamais au-delà des 10 livres. Il peut en être déduit l’existence de situations la plupart du temps difficiles. En dessous de ce seuil, se rencontrent les « pauvres », reconnus comme tels au sein de la paroisse. Si le rôle de 1708 ne fait aucune mention de leur existence celui de 1709 retient à ce titre le nom de sept habitants (un mendiant, un cloutier et cinq veuves).
110Avec les prudences nécessaires, avec le souci de penser qu’il s’agit là d’un portrait de la société à un moment donné, le document nous autorise bien un premier regard sur ceux qui sont les acteurs du jeu social. Le portrait doit être affiné à partir des sources notariales.
L’apport des sources notariales
111Contrats de mariage et inventaires après décès confirment mais aussi complètent et nuancent le regard que l’on peut porter sur la société sabolienne.
112Les contrats de mariage ont la faiblesse des sources lacunaires139. Les insuffisances du document sont notoires : par exemple, statuts sociaux mentionnés de façon imprécise, particulièrement pour les gens de métiers, nature et origine des apports des époux souvent mal précisées. Ces contrats fournissent malgré tout une estimation globale des niveaux de richesse des époux au moment du mariage. Ils ajoutent aussi aux documents d’origine fiscale un complément d’informations qu’il est utile d’apprécier. Ainsi, permettent-ils d’appréhender certaines catégories sociales jusqu’alors dans l’ombre. C’est le cas des domestiques, essentiellement valets ou filles de ferme. De même, apparaît là, l’indigence ignorée par les rôles d’imposition : voici parmi d’autres, Françoise Rabeau, domestique, qui le 25 juin 1782 déclare devant le notaire ne posséder qu’un coffre (4 livres), un rouet (2 livres 10 sols) et la somme de 4 livres et 10 sols provenant de ses épargnes140 ; voici encore Marguerite Rocquet, veuve, qui, après avoir énuméré son « mobilier » (estimé à 15 livres), annonce n’avoir aucun argent et au contraire être redevable de différentes sommes, tant pour la taille, la capitation et le sel que pour fourniture de blé par le sieur curé de la paroisse de Bouessay pour un montant de 15 livres 1 sol141.
113Globalement, l’analyse de l’apport des époux mentionné dans les contrats vient confirmer l’existence de contrastes sociaux marqués, entre précarité et grande aisance :
- Domestiques et journaliers sont au bas de l’échelle : pour autant les chiffres moyens marquent des disparités importantes : de 20 à 1 800 livres d’apports cumulés, par la présence de droits de successions (ou d’avancement de droits de succession) ou de droits provenant d’une première communauté, plus rarement d’épargne personnelle, même si celle-ci peut être parfois élevée (jusqu’à 600 livres pour certains couples). Globalement il est à noter pour cette catégorie, l’importance de l’initiative personnelle dans la constitution des dots.
- Les gens de métiers relèvent d’une situation globalement moins fragile. Les écarts peuvent être importants (60 à 400 livres) ; une partie essentielle des apports se situe entre 500 et 1 000 livres. Sans doute faudrait-il pouvoir distinguer les situations de maîtres et celles d’employés.
- Un groupe mieux nanti, où se côtoient marchands, officiers ou gens exerçant des professions à talents semble émerger (apports rarement inférieurs au millier de livres mais rarement supérieurs à 5000 livres). Dans la constitution de ces apports, meubles, effets et marchandises ont souvent un rôle essentiel, de même que la contribution des parents sous forme d’avancement de droits successifs.
114L’analyse des inventaires après décès, actes dressés cette fois non au début mais en fin de vie de couples, permettent-ils d’affiner le tableau de la stratification sociale ? L’objet n’est pas de faire l’analyse anthropologique de l’environnement matériel des acteurs du jeu social142, mais d’identifier les écarts socioéconomiques perçus au travers de quelques aspects des conditions de vie des ménages. Les questions posées ici à la centaine d’actes dépouillés portent prioritairement sur le capital de la succession : montant des meubles et effets, liquidités, dettes passives et actives. Secondairement elles concernent encore la prise en compte de l’environnement matériel tel qu’il transparaît au travers des biens énumérés143.
115Sans surprise, nous retrouvons au bas de l’échelle, domestiques, journaliers et veuves. Là est le monde des petites gens qui ne possèdent pour vivre que le minimum décent144. L’image reflétée est celle de la fragilité, parfois de la précarité. Le montant des meubles et effets ne dépassent jamais les 200 livres pour les domestiques et qu’exceptionnellement les 350 livres pour les journaliers145. La situation des veuves est plus variée compte tenu de la diversité des origines sociales mais les estimations de meubles et effets inférieures à 100 livres ne sont pas isolées. Le veuvage paraît bien une source supplémentaire de fragilité. Dans ce monde des petites gens, l’argent thésaurisé est rare. Dans nos dépouillements, seul l’inventaire de Jean Coignard, domestique aux grands moulins du Rougeret à Sablé, fait apparaître une somme conséquente composée de 228 livres retrouvée au fond d’un coffre sous la forme de trente-huit pièces de 6 livres et d’une autre somme de 4 livres et 15 sols gardée dans une tabatière146. L’actif est souvent à amputer des dettes passives. L’inventaire de Julien Coignard, père du précédent, comme lui domestique, décédé un an avant son fils, permet d’établir qu’au capital de 87 livres et 7 sols constitué par les meubles et effets du défunt doivent être retranchées 38 livres et 8 sols pour des sommes impayées (solde de capitation et restant des loyers d’une chambre)147. Pierre Guichard, journalier, dont la femme et décédée en octobre 1783, a alors un actif en meubles et effets évalué à 282 livres et 18 sols, mais un total de dettes passives de 68 livres et 16 sols, faites d’emprunts divers auprès de sa famille mais aussi de sommes dues pour impôts et divers services qui lui ont été rendus (prix de contrat de mariage non soldé depuis 1777, médicaments, travail d’une couturière)148. Dans ce groupe, l’environnement matériel reflète souvent la précarité des conditions de vie. L’ensemble des biens de Jean Coignard, ci-devant rencontré, peuvent être contenus dans un coffre. L’avoir est alors composé essentiellement des habits du défunt : veste et culotte de pluche, habit de toile blanc, veste de bazin, chapeau, deux culottes, guêtres, paire de bas, paire de souliers, une vingtaine de chemises de toiles de brun « tant bonnes que mauvaises », deux mouchoirs de col. Le tout est évalué à 71 livres sur un total de meubles et effets de 106 livres et 3 sols ; le reste étant composé d’une tasse d’argent, de boutons de manche et de col aussi d’argent, et d’une tabatière de fer blanc, de trois mauvais couteaux, d’un chapelet et de plusieurs clous149. Cinquante ans plus tard, l’avoir que Jean Abrivard, garçon domestique à Vion, laisse à ses héritiers n’est guère plus avenant. Évalué à 183 livres, il est essentiellement composé des objets indispensables au quotidien :
- Ustensiles de cuisine avec la crémaillère et son crémaillon, deux marmites, deux chaudrons, une poêle et un poêlon, écuelles et cuillères d’étain, le tout évalué à 20 livres et 9 sols ;
- Mobilier réduit à trois coffres, une huche, une « mauvaise » table, un bois de lit avec paillasse et son tour, couette de plumes mêlées, traversin et couverture de laine blanche (le tout pour 52 livres) ;
- Vêtements du défunt comprenant pour 38 livres, douze chemises, trois mauvais habits, une veste, deux culottes, un gilet, un chapeau ;
- Le reste étant composé de huit draps en guise de linge de maison, de quelques outils, d’un paquet de fils et de guenilles150.
116À la frange de cette catégorie, apparaissent les situations de dénuement. Quand il meurt, François Maupoint, journalier à Souvigné, laisse à sa veuve un héritage de 36 livres et 15 sols, consistant en 43 livres et 15 sols de meubles et effets et 7 livres de dettes pour trois boisseaux de blé fournis par le meunier ; la batterie de cuisine est évaluée à 2 livres et 6 sols (crémaillère, crémaillon, marmite et sa cuillère, rôtissoire à pain), les meubles à 29 livres et 15 sols (marchepied, huche, deux lits avec châlit, tour de lit, « coite et coity », deux draps et une couverture de toile, deux oreillers) ; les vêtements de la veuve ne sont que « lot de hardes », comptés 3 livres151. Sans doute le grand âge augmente-t-il le dénuement matériel. La veuve de François Forget, venue s’installer chez son gendre déclare pour estimation de ses effets la somme de 13 livres152. La veuve de Julien Chevreuil, journalier, « dans un âge avancé et hors de pouvoir gagner sa vie », peut s’installer chez son fils, sous réserve de lui accorder l’ensemble de l’héritage consistant en 20 livres de meubles et effets153.
117Concernant closiers et métayers, les inventaires après décès confirment les clivages déjà entrevus154. La distance entre ces deux groupes est bien celle qui va de la fragilité sociale et économique à un début d’aisance. Les closiers vivent en général dans un environnement matériel moins proche du dénuement que celui des catégories précédemment évoquées. C’est ce que semblent traduire des estimations de meubles et effets qui sont rarement inférieures à 150 livres et qui peuvent aller, certes dans le meilleur des cas, à plus de 800 livres155. Pour autant, les dettes passives, souvent conséquentes, viennent réduire considérablement les actifs. Dans la succession de Pierre Leroy, closier à la Trébussonnière, Souvigné, meubles et effets sont estimés à 197 livres 11 sols, mais les dettes passives s’élèvent à 120 livres 13 sols pour de l’argent emprunté (84 livres) mais aussi pour des journées de travail faites par un métayer, enfin pour un reliquat de tailles restant à payer156. René Poirier, closier à la rue de l’Angevine, Solesmes, laisse à sa veuve et à ses deux enfants, cinq et sept ans, un actif en meubles et effets évalué à 424 livres 2 sols mais, en même temps un ensemble de dettes passives estimées à 490 livres et 12 sols (dont 375 livres d’argent empruntées et à sa famille auxquelles s’ajoutent les gages dus aux domestiques et le solde d’un achat de semences et d’une vache)157. L’ensemble trahit les dépendances qui naissent de l’exploitation d’un lieu sans doute trop petit pour s’insérer dans une économie d’échanges. Pour le monde des métayers, les estimations de meubles et effets sont d’un autre niveau. Dans les cas considérés ici, deux seulement sont inférieurs à 300 livres158. L’évaluation est supérieure à 500 livres dans neuf cas sur quinze, avec un maximum de 2221 livres (non compris les bestiaux estimés dans ce cas à 742 livres) pour François Rezé, métayer au Guignon, Souvigné159. Concernant l’environnement matériel, les biens dont disposent les closiers sont bien en deçà, en qualité et en nombre, de ceux possédés par les métayers. La différence se retrouve sur tous les postes inventoriés. Nous avons déjà constaté le fait pour le cheptel mort ou vif qui peuple les exploitations. Nous le retrouvons pour l’ensemble des objets de la maison. Quand, dans l’inventaire de Louis Viot, métayer à Cachebouton, Gastines, le prix des ustensiles pour la cuisine et pour la table est fixé à 67 livres et 2 sols, dans celui de Toussaint Nail160, closier aux Gigoulières, paroisse de Souvigné, il est de 9 livres et 10 sols ; quand les meubles et la literie appartenant au premier sont estimés à 258 livres 11 sols, ceux du second le sont à 104 livres 10 sols. Le lit principal, souvent révélateur du confort et de l’aisance, est compté, avec sa literie, 102 livres 30 sols dans le premier cas (lit avec châlit à quenouilles et sa carrie161, trois tringles, un tour de couleur verte, coite de coity, traversin de laine blanche, deux draps de grosse toile), mais 59 livres dans le second (bois de lit avec son tour de toile barrée, coite de coity et traversin de plumes d’oies, couverture de serge). Le sentiment d’appartenance au monde des campagnes n’implique pas l’identité des conditions de vie.
118Avec le monde des artisans, plus encore sans doute avec celui des marchands, « bourgeois », et celui des professions à talents, nous pénétrons dans un autre champ social tant du point de vue des niveaux que des modes de vie162. Le groupe le plus fragile, le moins éloigné des petites gens est celui des gens de métiers. Le dénuement n’est pas absent, y compris parfois pour ceux qui ont le statut de maître. L’inventaire de Pierre Mandin, maître cordonnier, fait apparaître un avoir en « meubles et effets » de 44 livres pour un passif de 137 livres, pour des livraisons de cuir non payées163. Au décès de son épouse, Gervais Hayer, tailleur d’habits à Souvigné ne dispose que d’un actif estimé à 79 livres. L’environnement matériel est alors à l’image de l’avoir : ustensiles pour le foyer pour 4 livres (crémaillère, pelle à feu, grill, « poelle et poislon ») ; meubles pour 5 livres et 3 sols (coffre, marchepied, huche, mauvaise table avec deux bancelles) ; lits et literie évalués à 38 livres (« mauvais chaslit et mauvaise couchette ») ; linge de maison pour 9 livres et 15 sols (cinq draps, une nappe, quatre mauvaises serviettes) ; « hardes » de la défunte estimées à 4 livres, une paire de souliers et une paire de sabots pour 1 livre et 4 sols164. La majorité des situations reste malgré tout, plus confortable165. Quelques cas d’aisance relative peuvent même être perçus. Dans la succession de Guillaume Fautrat, maréchal en œuvres blanches, meubles et effets sont évalués à 1 726 livres166, dans celle de René Lemarchand, meunier, à 1 186 livres167, dans celle encore de Henry Hanuche, sculpteur en marbre, à 6 735 livres168. Les situations du monde de l’artisanat paraissent au total fort contrastées. Les écarts observés peuvent être liés aux activités, aux talents, aux compétences et probablement aux histoires personnelles. Au dernier niveau d’aisance évoqué, celui de la famille Hanuche, nous retrouvons le monde des marchands, des « bourgeois » et des professions à talents. Sans doute, la modestie des avoirs peut-elle encore se rencontrer, parfois accompagnée de bilans financiers désastreux. Mais les actifs sont là, en général, d’un autre niveau, rarement inférieurs à 500 livres, plus souvent supérieurs à 1 000 livres169, certains pouvant atteindre des niveaux qui, à l’échelle de la société villageoise, ne peuvent que leur donner une place privilégiée. Au milieu du siècle, la communauté qui a eu cours entre François Legrand, marchand fermier et son épouse, peut se prévaloir de jouir en meubles et effets de la somme de 3 785 livres 13 sols, en argent liquide de celle de 396 livres, en dettes actives de 842 livres, en bestiaux et semences de celle de 5 366 livres170. Plus tard dans le siècle, le sieur Renaud Dubuisson, marchand d’étoffes à Sablé dispose à la mort de son épouse, de 2 781 livres de meubles et effets, de 8 890 livres de dettes actives, mais aussi d’un avoir en marchandises estimé à 30 373 livres171. Si les sommes relevées s’expliquent en partie par l’existence d’un capital en marchandises ou en biens de production, elles n’en sont pas moins constituées d’une part de meubles et effets qui traduisent des conditions de vie plus confortables. La remarque est au demeurant valable pour les hommes qui exercent des professions à talents, pour ceux encore qui se font nommer « bourgeois » et qui peuvent vivre de placements. En tous les cas, les estimations de meubles et effets supérieurs à 2 000 livres, révèlent au niveau de la cité, des situations qui paraissent privilégiées. Le cadre et les objets de la vie domestique soulignent, pour ces groupes, une aisance que l’on ne trouve pas ailleurs, révélant notamment en fin de siècle, des formes de sociabilité et des façons de vivre qui traduisent des aspirations au bien-être et à l’intimité. Au gré des inventaires apparaissent les salles spécialisées : cuisines mais aussi salons, cabinets de travail, chambres multiples. Les objets de l’environnement quotidien se diversifient, révélant des modes de vie dans lesquels le confort et l’aisance ne sont pas exclus. L’équipement autour du foyer où sont toujours plaques de cheminée, chenets, pincettes à feu, soufflets mais aussi, réchauds, casses (lèchefrites) et « garde casses », n’est plus réduit au strict minimum, soulignant la diversité des pratiques culinaires. Les ustensiles de la cuisine et ceux de la table se multiplient. À la vaisselle d’étain s’ajoutent en nombre, plats et assiettes de « fayence » mais aussi soupières, « huiliers », beurriers, salières et moutardiers de cristal, poivrières ou moulins à poivre, bouteilles et carafes de verre, cafetières, tasses à café, petites cuillères et sucriers, avec parfois les couverts en argent. De même, les meubles sont en nombre et se diversifient : buffets, bassets et armoires à plusieurs battants (où sont rangés en quantités draps, serviettes, essuie-mains et nappes), mais aussi tables à pieds de biche, tables pliantes, tables rondes, tables à jeux. Le lit principal et sa literie, souvent évalués à plus de 150 livres, sont toujours objets d’attentions particulières ; le tour d’étoffe et les couvertures sont verts, jaunes ou encore couleur de feuilles mortes. Les objets de confort se multiplient : garde-manger en cuisine, chandeliers avec mouchette et porte-mouchette, rafraîchissoir, fontaines au salon, bassinoires, mais aussi robes de chambre, « têtes à poser perruques », écritoire de marbre… Quelques objets précieux apparaissent : parures de femmes, montres à boîtier d’argent… Le décor n’est pas négligé, avec tapis miroirs, tableaux, figures ou statuettes de la Vierge, cadres avec le visage du Christ. D’autres objets traduisent des pratiques culturelles : instruments de musique (violons, vielles) et surtout livres certes en nombre limité mais souvent présents. Ainsi il apparaît que ce groupe, sans aucun doute privilégié au sein de la cité, se définit pour le moins autant par un mode de vie, que pour un niveau de revenus. Là, est la « meilleure et plus saine partie de la population ».
Conclusion
119La première nécessité a été de cerner la source, de la situer dans le contexte qui l’a produite, de prendre la mesure de la nature des affaires qu’elle nous livre et d’identité des protagonistes qu’elle met en scène. L’archive nous introduit au sein de préoccupations familières, dans le cadre d’une justice qui traite d’abord des dissensions de la vie ordinaire. Cette justice seigneuriale s’exerce bien prioritairement dans la proximité. Parce que l’on peut facilement y recourir, elle a, pour les petites gens, l’importance qu’auront plus tard les tribunaux installés dans les cantons172. Elle est le lieu où s’exposent prioritairement des préoccupations et des conflits quotidiens : litiges de voisinage ou familiaux, problèmes liés au travail ou à des formes effervescentes de la sociabilité. Elle est un révélateur de la substance qui, au jour le jour, fonde la vie de relations. Ainsi autorise-t-elle un regard sur les problèmes que génère et que doit gérer la société villageoise. La nature des affaires traitées, leur localisation, l’appartenance sociale des protagonistes permettent en effet qu’au travers du prisme judiciaire, puissent s’esquisser les formes de sociabilité et les sensibilités sous-jacentes. Ainsi cette justice a-t-elle cet avantage de projeter sur le devant de la scène une grande diversité de situations et d’acteurs qui vont intervenir dans le jeu social. Nous avons souligné les risques qu’il y a à vouloir tenter une histoire des sociétés à partir des sources judiciaires. Nous avons évoqué les tentations qu’il y aurait à donner au discours rencontré un excès de sens. Il reste que, pour notre propos, l’archive judiciaire présente une valeur documentaire estimable, notamment parce qu’elle nous introduit dans la dynamique du jeu social et des relations interpersonnelles. Sa force est de saisir, dans l’action, les scénarios les plus variés de l’intrigue sociale. L’objectif recherché commande aux façons de lire l’archive. Il oriente aussi la méthode. La variation des focales d’observation des réalités sociales conduit parfois à prendre en compte les occurrences ; elle invite en d’autres moments, à considérer les trajectoires individuelles.
120L’autre nécessité a été de caractériser le terrain de l’enquête, d’approcher les réalités écologiques, économiques et sociales du lieu observé. Situé entre les comtés de l’Anjou et du Maine, le pays de Sablé paraît, de par ses caractéristiques écologiques et humaines, représentatif des espaces de l’Ouest bocager. Nous retrouvons, sans doute avec des nuances, des paysages, des formes d’habitats et des modalités d’adaptations au milieu qui rappellent les contrées voisines173. Dans le détail, le pays a aussi sa part d’originalité. L’essentiel est dans l’existence d’un pôle urbain sans doute modeste par sa taille mais capable de polariser l’espace par une concentration de pouvoirs et d’activités. L’interpénétration du rural et de l’urbain en est au demeurant favorisée. Le pays bénéficie d’un champ diversifié d’activités. Le travail agricole est orienté vers une polyculture dominée par la production céréalière mais il ne néglige pas pour autant les aptitudes des terroirs pour l’élevage. L’ensemble contribue à façonner un paysage fait de haies vives et de chemins creux, de pièces de terre et de prés, de landes et de bois, de bourgs, de hameaux et de fermes isolées. L’artisanat traditionnel a une part importante. Les activités de transformation tiennent leur originalité d’orientations particulières qui favorisent le développent du pays. La rivière est un trait d’union entre des terroirs diversifiés. Surtout, elle contribue à modeler l’espace et à favoriser les ouvertures vers les régions voisines.
121Le monde des bourgs et de la ville est fortement hiérarchisé. Le tissu social sabolien est marqué par la présence d’une part non négligeable de personnes issues des professions à talents, « bourgeois » et officiers divers qui revendiquent la notabilité et qui, tout en servant le roi ou le seigneur, ont formé une élite locale capable d’animer la cité et d’y exercer des responsabilités. La part la plus aisée de la bourgeoisie marchande y est associée. Le monde des petites gens est fait des anonymes qui sont petits commerçants, gens de métiers ou journaliers. En transition entre ville et campagne, le monde des marchands fermiers représente un groupe qui a su profiter de ses capacités à investir dans le travail de la terre. Les gens de campagne apparaissent dans nos sources, bien identifiés. Pour autant, ce monde n’est pas homogène si l’on veut bien considérer les statuts et les niveaux de vie. La dynamique sociale vient d’un nombre non négligeable de métayers suffisamment pourvus pour atteindre un début d’aisance.
122Il reste à observer comment chacun, dans les champs de la relation sociale, se met en scène. Au travers des formes élémentaires de la sociabilité, il nous faut maintenant décrire les façons de vivre ensemble. De la lecture des sources émerge d’abord le sentiment de la priorité que l’on accorde aux relations familiales.
Notes de bas de page
1 Ordonnance donnée à Saint-Germain-en-Laye, août 1670, titre 1, article XI. Document consulté : Archives déparementales de la Sarthe : AQ 36.
2 N. Castan, Crime et justice en Languedoc, 1750-1790, thèse pour le doctorat d’État, université Toulouse 2, 1978, p. 207-247.
3 Ch. Loyseau, Discours sur l’abus des justices de villages, Paris, C. Cramoisy, 1628 (nouvelle édition). Sur l’importance des justices seigneuriales en Bretagne : A. Girard, Les justices seigneuriales en Bretagne aux xviie et xviiie siècles, Montfort, Brionne, 1979 (1re éd. 1903).
4 Sur le fonds judiciaire seigneurial du Haut Maine : G. Naud, Guide des archives de la Sarthe, Le Mans, 1983, p. 63 puis 71-76. Cinq fonds judiciaires présentant chacun plus de 100 cotes dont celui du marquisat de Sablé (plus de 200 cotes).
5 Baillis du marquisat : 1661, Guillaume Lepelletier, 1708, Joseph Lepelletier, 1748, Guillaume Joseph Lepelletier, 1776, Jean-Marie Charles Faissot de Brulon, 1774, Florent Chantelou. Les Lepelletier sont, par alliance, liés à la famille des Lévesque dont l’ancêtre, Olivier, est le fondateur du collège (1602).
6 Pour une analyse détaillée du fonds sabolien : M. Heichette, Sociabilité et sensibilités collectives au xviiie siècle, l’exemple du pays sabolien, thèse pour le doctorat d’histoire, université du Maine, Le Mans, 2002, p. 11-16.
7 Voir par exemple Y. Castan, Mentalités rurale et urbaine à la fin de l’Ancien Régime dans le ressort du parlement de Toulouse d’après les sacs à procès criminels, thèse de 3e cycle, Toulouse, 1961.
8 590 affaires reconstituées. Nombre d’affaires.
9 Classées aux Archives départementales de la Sarthe sous la cote B5417.
10 Archives départementales de la Sarthe, B5419.
11 Voir en annexe la carte de répartition par paroisses des affaires reconstituées.
12 Paroisses contiguës : Bouessay (7 cas), Coutillers (9), Gastines (2), Juigné (8), Pincé (8), Sablé (237), Saint-Brice (21), Solesmes (31), Souvigné (19), Vion (22) + Précigné (68).
13 Et même 83,5 % si l’on y ajoute les affaires de famille touchant aux personnes et qui sont majoritairement des demandes de séparations de biens et de corps.
14 Affaires de gravidation : filles séduites et « connues charnellement ».
15 Six procès relevés : 1735, B 527 ; 1749, B 5288 ; 1764, B 5296 ; 1767, B 5298 ; 1776, B 5306 ; 1789, B 531. L’ensemble est à compléter par les informations fournies par le registre des déclarations de grossesse : B5417.
16 26 % des demandeurs (ou plaignants) et 21 % des défenseurs (ou accusés) : des pourcentages probablement supérieurs à celui que représente leur part dans la société.
17 Ganterie ou marbrerie par exemple. Plus de 40 métiers relevés couvrant l’ensemble des secteurs d’activité : textile (sarger, tissier, tisserand, étaminier, tireur d’étain) ; habillement-parure (couturier/e, tailleur d’habit, chapelier, coiffeuse, perruquier) ; bâtiment (tous corps de métiers) ; outillage (charron, cloutier, maréchal, potier, tonnelier, boisselier, sabotier), mais aussi batelier, marinier, pêcheur, meunier, farinier.
18 5-19 ans : 249 cas (dont 6 cas pour les 5-9 ans et 88 cas pour les 10-14 ans)
19 Victimes dans 14 % des cas recensés (82 affaires) ; accusées dans 9 % des cas (51 affaires) En valeurs absolues (nombre d’affaires) :
20 B5317, 7-10-1787, affaire Marçais, Sablé.
21 J.-F. Rouxel, « Quelques particularités d’une délinquance d’Ancien Régime, l’exemple du tribunal de l’abbaye Saint-Georges de Rennes, 1767-1787 », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 97, année 1992, n° 2, p. 160.
22 A. Farge, Le goût de l’archive, Paris, Seuil, 1989, p. 70.
23 Y. Castan, Mentalités rurale et urbaine…, op. cit., p. 16.
24 R. Muchembled, Violence et société. Comportements et mentalités populaires en Artois (1400-1660), thèse de doctorat d’État, Paris I, 1985. C. Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991.
25 B5289, 16-07-1751, affaire Leroyer, Sablé.
26 B5290, avril 1752, affaire Martin, Sablé.
27 A. Farge, La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités à Paris au xviiie siècle, Paris, Hachette, 1986, p. 7.
28 Y. Castan, Honnêteté et relations sociales en Languedoc, 1715-1780, Paris, Plon, 1974, p. 48.
29 Y. Castan, « Les rapports sociaux dans les procédures criminelles du parlement de Toulouse au xviiie siècle », Bulletin d’histoire économique et sociale de la Révolution française, 1969, p. 51-57. Y. Castan, Mentalités rurale et urbaine…, op. cit., p. 4-17. Y. Castan, Honnêteté et relations sociales…, op. cit., p. 33-61.
30 E. Claverie, « L’honneur en Gévaudan, une société de défis au xixe siècle », Annales Économies, Sociétés, Civilisations, juillet-août 1979, p. 745-758 (citation p. 757). Voir aussi E. Claverie, L’impossible mariage : violence et parenté en Gévaudan, xviie-xixe siècles, Paris, Hachette, 1982, p. 9-11.
31 R. Muchembled, Violence et société…, op. cit., p. 323-324.
32 A. Farge, « Entretien » réalisé par Anne-Marie Chartier in Recherche et formation, n° 27, 1998, p. 103-115. Sur même thème : A. Farge, Vivre à Paris dans la rue au xviiie siècle, Paris, Julliard, coll. « Archives », 1979, p. 9-12.A. Farge, La vie fragile…, op. cit., p. 7-12. A. Farge, Le goût de l’archive, op. cit., 1989.
33 C’est le cas de certains actes notariés, de certains mémoires. L’ensemble des travaux d’Anne Fillon est à ce titre révélateur. Voir notamment A. Fillon, Louis Simon, étaminier, 1741-1820, dans son village du Haut Maine au siècle des Lumières, thèse pour le doctorat d’histoire, université du Maine, 1982. A. Fillon, Les trois bagues aux doigts. Amours villageoises au xviiie siècle, Paris, Laffont, 1989.
34 B5319, 22-09-1789, affaire Fourmont, Sablé.
35 Monitoire : procédure par laquelle il est fait appel à l’autorité ecclésiastique pour amener à révélation toutes personnes ayant connaissance d’informations dans une affaire donnée (voir exemple en annexe). Recollement : procédure par laquelle un juge peut demander qu’un témoin soit à nouveau entendu et éventuellement confronté à l’accusé, mais aussi la série des pièces qui ont pu servir à l’instruction du procès (lettres, contrats divers, actes de mariage…).
36 B5290, 27-07-1752, affaire Courtais-Jouan, Le Bailleul.
37 Nous disposons des informations pour 66 % des affaires recueillies.
38 Non compris, les monitoires pour lesquels les dépositions peuvent être encore plus nombreuses les affaires comportant un nombre élevé de témoins indiquent en général des situations graves (meurtres, grossesses celées, infanticides… ou insolites [découverte d’un trésor…]) ou mettant en cause des personnalités locales. Au civil, le nombre des témoins ne peut être supérieur à 10 selon l’ordonnance de 1667.
39 B5290, 27-07-1752, affaire Courtais-Jouan, Le Bailleul. L’information comporte huit témoignages.
40 Ordonnance de Louis XIV pour les matières criminelles, août 1670, titre VI, article II.
41 14 cas relevés entre 1730 et 1789.
42 Exemple : B5319, 21-09-1789, affaire Fourmont, Sablé (meurtre d’un collégien). Le plaignant présentait requête au juge qui donnait permission de quérimonier (formuler plainte), c’est-à-dire d’obtenir et faire publier monitoire.
43 90 interrogatoires pour 590 dossiers rassemblés.
44 Ordonnance de Louis XIV, donnée à Saint-Germain-en-Laye en avril 1766, titre X. Ordonnance de Louis XIV, donnée à Saint-Germain-en-Laye en août 1670, titre XIV. Sur le débat ancien portant sur l’interrogatoire considéré comme un procédé brutal à finalités inquisitoires, voir A. Esmein, Histoire de la procédure criminelle en France et spécialement de la procédure inquisitoriale depuis le xiiie siècle jusqu’à nos jours, Paris, L. Larose et Forcelle, 1882, p. 122. La thèse est reprise par Arlette Farge, Le vol d’aliments à Paris au xviiie siècle : Délinquance et criminalité, Paris, Plon, 1974, p. 44. Voir aussi la réponse de L.-B. Mer, « La procédure criminelle au xviiie siècle, l’enseignement des archives bretonnes », Revue historique, t. 274, 1985, p. 9-42 et plus particulièrement, p. 20.
45 « Interrogatoires et réponses à iceux faits… par nous… bailly, juge général…, de [nom de l’accusé], à la requête de [nom de l’accusateur], accuzateur en crime de…, avons vaqué en assistance de notre greffier ordinaire… serment pris de l’accuzé… »
46 B5286, 3-11-1747, affaire Gandon. L’interrogatoire de Marie Gandon, 19 ans, dans un procès qui l’oppose à sa famille ne compte pas moins de 43 questions.
47 J. Revel, Jeux d’échelles, la micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard-Seuil, 1996, p. 12.
48 M. Heichette, Sociabilité et sensibilités…, op. cit., p. 58-68.
49 Voir en annexe les cartes de situation.
50 Environ 500 feux pour l’ensemble du xviiie siècle.
51 G. Ménage, « Description de la ville de Sablé », Revue historique, littéraire et archéologique de l’Anjou, 1re année, t. II, 1868, p. 93-103. Le manuscrit a été rédigé à la fin du xviie siècle (Bibliothèque municipale d’Angers, ms. 947).
52 Archives communales de Sablé, registre des délibérations de l’assemblée communale (2e moitié du xviiie siècle).
53 Archives départementales de la Sarthe, C add. 187. Voir entre autres la lettre de M. Bertin, ministre et secrétaire d’État, à M. de Lescalopier, intendant de Tours, maintenant le droit de péage de M. de la Galissonière sur les bateaux à sel (1776) sur toute l’étendue de la seigneurie de Pescheseul (paroisses d’Avoise, de Parcé).
54 Voir en particulier le « Tableau de la généralité de Tours depuis 1762 jusques et y compris 1766 », Archives départementales d’Indre-et-Loire, C336. La lettre du contrôleur général à l’intendant du Cluzel (18-10-1766), Archives départementales d’Indre-et-Loire, C94 ; les rapports de la Société royale d’agriculture, après 1763 (Société d’agriculture, sciences et arts de la Sarthe, VII D2 et VII D4).
55 Sur les Colbert de Torcy, un ouvrage de référence : W. C. Roth, The Colbert Family in the 17th and 18th centuries : A social study of the descendants of Nicolas Colbert de Vandières, Charleston (États-Unis), 1983. Ouvrage dactylographié écrit à partir des archives du château de Boisdauphin (Précigné). L’auteur y propose un portrait des trois Colbert qui se succédèrent à la tête de la seigneurie de Sablé : Jean-Baptiste Colbert de Torcy, Jean-Baptiste Joachim Colbert de Torcy, Jean-Baptiste Ménelay Colbert de Sablé.
56 Simon Arnault de Pomponne, père de Catherine, fut ambassadeur et ministre de Louis XIV.
57 Renforcée par une dote de 400 000 livres que lui apporte son mariage.
58 Sur les droits du marquisat, Archives privées de M. Lambert : extrait des « Registres des requestes du Palais » daté du 16 mai 1654 et qui sert toujours de référence au xviiie siècle. Ces droits seront sévèrement défendus jusqu’à la veille de la Révolution. Voir la lettre du 20 juin 1727 adressée par Colbert de Torcy aux commissaires royaux qui enquêtent sur les droits de péage (Archives nationales, H4. 3170).
59 Archives privées de M. Lambert, Sablé. « Compte rendu par Jean-Baptiste Péan, receveur général du marquisat de Sablé à haut et puissant seigneur, monseigneur le marquis de Torcy, Sablé, Boisdauphin et autres lieux, ministre d’État et commandeur des ordres du Roy : de la recette et dépense par lui faites depuis le premier janvier mil sept cent quarante cinq jusques et compris le trente et un décembre de la même année. »
60 Fermages des chapitres 1 et 2 : environ 22 000 livres sur une recette de 35 142 livres.
61 Baux à ferme du marquisat de Sablé, 1785, Archives privées de M. Lambert, Sablé.
62 Ainsi sont renouvelés en l’année 1785 : le bail à ferme des Grands moulins banaux de la ville de Sablé pour 2 013 livres, le bail à ferme des deux moulins de Baïf (Saint-Denis-d’Anjou), l’un pour 600 livres et l’autre pour 625 livres, le bail à ferme de la blanchisserie à toiles de Sablé pour 1 015 livres, le bail à ferme des huit étangs du marquisat pour 510 livres, le bail à ferme des pêches et pêcheries de la Sarthe (entre Solesmes et Morannes) pour 624 livres, le bail à ferme du four banal de Précigné pour 100 livres, le bail de métrage et de mesurage pour 500 livres.
63 Ordonnance de Compiègne de 1764. Le corps de ville était composé de deux échevins, de trois conseillers, d’un receveur-syndic, d’un secrétaire greffier (Archives communales de Sablé : délibérations, 1756-1787).
64 P.-E. Chevrier, Inventaire analytique des archives de l’hospice de Sablé, Sablé, Choisnet, 1877.
65 Archives départementales de la Mayenne, B 2430.
66 Archives départementales de la Sarthe, 2E282, registre des décès de l’Hôtel-Dieu de 1737 à 1789. Pour 668 décès, 202 Saboliens, le reste provenant essentiellement des paroisses voisines.
67 Avec celles de La Flèche et de Château-Gontier notamment. L’ordonnance de 1778 fixe les tâches et uniformise la composition des brigades (quatre hommes).
68 E. Vallée, Dictionnaire topographique de la Sarthe comprenant les noms de lieux anciens et modernes, Paris, 1950 (document établi en 1921, revu et corrigé par Robert Latouche).
69 Doyenné de sablé : 41 paroisses. Archidiaconé : 5 doyennés soit 118 paroisses.
70 Avec La Flèche, Durtal, La Chartre, La Suze. Rapport d’enquête de 1691 : Archives départementales de la Mayenne, ms. 7.
71 G. Ménage, « Description de la ville de Sablé », op. cit., p. 93-103. Bibliothèque municipale d’Angers, ms. 948.
72 B5310, ordonnance du 20-03-1781, signée Hesse de la Mandinière.
73 Mémoire de l’intendant Savalette de Magnanville : « Élections du Maine », 127 feuillets in-f°, 1748, Archives départementales d’Indre-et-Loire, C337-338.
74 G. Ménage, « Description de la ville de Sablé », op. cit., p. 93-103. Voir aussi Archives départementales de la Sarthe, 13 F938.
75 Réponse à la déclaration du 11 février 1764, Archives nationales, M78. Voir J. Boivin, Sablé au xviiie siècle, mémoire de maîtrise, université du Maine, 1970, p. 175.
76 Archives départementales de la Sarthe, 1 J 58, manuscrit en 14 feuillets comprenant l’acte par lequel le général (assemblée) des habitants de Sablé approuve et accepte la dotation et les statuts proposés par le fondateur (le document comporte 33 articles). Sur les finalités de l’institution voir l’article 15. Le collège est fréquenté par les enfants à partir de 10 ou 12 ans, pourvu qu’ils aient quelques rudiments de latin.
77 Cf. note jointe à l’inventaire de la bibliothèque du collège (1733) précisant les conditions du prêt : volumes in-f° prêtés pour un mois, in-4° pour 15 jours, in-12 pour 15 jours, Archives départementales de la Sarthe, 1 Mi 14.
78 B. Haurée, Histoire littéraire du Maine, t. VI, p. 74 (cité dans H. Chardon, Voyages et voyageurs dans le Maine du xviie au xviiie siècle, Le Mans, 1906, p. 8). La citation est extraite d’une correspondance datée du 8-11-1711.
79 G. Ménage, « Description de la ville de Sablé » (fin xviie siècle), op. cit., p. 93-103. Manuscrit : Bibliothèque municipale d’Angers, ms. 946.
80 « La ville de Sablé est une petite ville située sur la Sarthe, au quarante-huitième degré, sur les confins d’Anjou et du Maine » (ibid.).
81 L’expression de « ville murée » est encore utilisée par Le Paige dans son Dictionnaire topographique, historique, généalogique et bibliographique de la province et du diocèse du Maine, Le Mans-Paris, 1777, article « Sablé ».
82 Archives communales de Sablé.
83 Rôle de taille de 1708, Archives privées de M. Lambert.
84 124 feux selon le rôle de taille de 1708, Archives privées de M. Lambert, Sablé.
85 Selon le rôle de taille de 1708, il existe cinq auberges dont celles de La Croix verte et de l’Escu de France.
86 21 feux selon le rôle de taille de 1708.
87 Les frais de démolition et de construction sont estimés en 1714 à 95 000 livres. Construction du gros œuvre achevée en 1728 et aménagements intérieurs en 1741, soit 5 ans avant le décès de Torcy. Sur le château : Archives privées de Boisdauphin, vol. XXXII, L.4, p. 1-18. Voir aussi Y. Marc, Recherches historiques sur Sablé et ses seigneurs, Sablé, 1850, p. 121-128.
88 Halles reconstruites en 1717 : Archives départementales de la Sarthe, 1 Mi 14. Prisons rénovées à partir de 1720 (sur l’état des prisons et les réparations : Archives départementales de la Sarthe, 1 Mi 14). Sur la reconstruction palais de ville : Archives départementales de la Sarthe, B 5281, adjudication donnée au rabais pour la réédification du palais de la ville, 6 août 1742. Sur le pont : Archives départementales d’Indre-et-Loire ; le pont aurait été reconstruit en marbre grossier grâce à une subvention allouée par le roi.
89 Archives d’Indre-et-Loire, C 119.
90 Archives communales de Sablé, registre de délibération de l’assemblée communale : 8-10-1776. Le marquis de Croissy y propose le pavage des places à ses frais et celui des rues au frais des habitants.
91 Archives communales, registre des délibérations, 1756-1787. Délibération du 23-11-1779. Avec l’adjudication du pavage des rues prévu de la porte de Bouère à celle de Saint-Nicolas débute un chantier de plusieurs années propre à ouvrir de multiples cicatrices dans la ville et à gêner pour un temps encore, la circulation. Sur les conditions de l’adjudication : délibération du 26-02-1781. La réception des travaux a lieu le 28-04-1784. Voir aussi l’acte d’adjudication dans B 5310.
92 B5308, 1-06-1778, ordonnance du bailli donnant autorisation pour la réfection d’une maison sise au-devant de la place des halles. Voir aussi B5317, 15-04-1788, sur un problème identique dans la rue de l’Île.
93 B5309, ordonnance du 16-03-1781 (propos d’un maréchal-ferrant).
94 Archives communales, registre des délibérations, 23-11-1779, Sablé.
95 Archives communales, registre des délibérations, 19-06-1787, Sablé.
96 B5307, ordonnance de police du 16-01-1787, faisant obligation aux habitants d’entretenir les rues.
97 Au demeurant, la construction de lieux d’aisance publics n’est que tardive : 1776 près de la porte de Bouère, 1782 à l’extrémité du quartier de l’Île, 1788 dans le quartier Saint-Nicolas, Archives communales, délibérations de l’assemblée communale, 1756-1787.
98 B5317, ordonnance de police du 16-06-1787.
99 Archives communales, registre des délibérations de l’assemblée communale, assemblée du 28-10-1777. Le système propose l’adjudication du nettoyage des rues à un particulier. Le bail prévoit l’enlèvement des boues deux fois par semaine (mardi et samedi) dans l’ensemble des rues, places et faubourgs, avec obligation d’entretenir les grands ponts, d’y mettre de la litière en temps de verglas. Bail de 6 ans adjugé à 60 livres.
100 Archives communales : assemblées du 14-11-1786 et du 29-07-1788. Ordonnance de police du 16-06-1787 : B 5317.
101 Enquête de 1691, Archives départementales de la Mayenne, ms. 7. Enquête de 1745-1748, réponses faites par les subdélégués à un questionnaire de l’Intendance, Archives départementales d’Indre-et-Loire, C 337. Enquête de 1762-1766, tableau de la généralité de Tours, Bibliothèque municipale de Château-Gontier, ms. 11.
102 Expression relevée dans le rapport de 1745-1748.
103 Cf. rapport de 1745-1748 : papier revendu en Bretagne et en Normandie, et fabriqué à partir de « drapeaux ou chiffons du pays ».
104 Rôles de taille de 1708, Archives privées de M. Lambert, Sablé.
105 9 % des foyers saboliens imposables selon les rôles de taille de 1708.
106 G. Ménage, « Description de la ville de Sablé », op. cit., p. 93-103.
107 Mémoire des gants retrouvé dans l’inventaire après décès de la communauté qui a eu cours entre Perrine Planchenault, décédée, et son mari, Pierre Faucoin, gantier. Maître Riffault, 4 ELVII, 17, 1710. Voir aussi l’Inventaire après décès de Jean Minda, marchand gantier : mention de 82 douzaines de paires de gants, Maître Riffault, 4ELVII, 17, 3-12-1710.
108 Sur ces difficultés : Archives départementales d’Indre-et-Loire, enquête de 1735, C 141, Archives départementales de la Sarthe : arrêt du Conseil du roi du 26-09-1759 supprimant les offices de contrôleurs, visiteurs, marqueurs, vendeurs de cuir, 1 Mi 14.
109 Sur le maintien de cette activité au xviiie siècle et sur sa domination par quelques familles : J. Boivin, Sablé au xviiie siècle…, op. cit., p. 149-152.
110 11 métiers à Sablé selon l’enquête de 1762-1766. « Tableau de la généralité de Tours depuis 1762 jusques et y compris 1766 », Archives communales de Château-Gontier, ms. 11.
111 Archives départementales d’Indre-et-Loire, mémoire de 1785, concernant les bureaux de marque des toiles, C128. Archives départementales de la Sarthe, arrêt du Conseil du roi du 19 avril 1785 portant l’établissement de visites et étaient auparavant portées au bureau de Parcé.
112 Archives départementales d’Indre-et-Loire, C 128.
113 Marbre noir ou veiné de noir ou à fond gris veiné de blanc et rouge. L’exploitation concerne en fait les paroisses voisines de Gastines, d’Asnières ou de Juigné.
114 Sur le marbre à Sablé : A. Belin, « Les marbriers du pays de Sablé », La Province du Maine, t. 44, 1942, p. 83-91.
115 Sur ce dossier : J. Boivin, Sablé au xviiie siècle…, op. cit., p. 101.
116 Sur l’analyse des sources, Michel Heichette, Sociabilité et sensibilités…, op. cit., p. 102-105.
117 J. Dufour, Agriculture et agriculteurs dans les campagnes mancelles, thèse pour le doctorat d’État (1979), Le Mans, 1981, p. P. Bois, Paysans de l’Ouest : des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l’époque révolutionnaire dans la Sarthe, thèse, lettres, Paris, 1960, p. 452.
118 F. Lebrun, Les hommes et la mort en Anjou aux xviie et xviiie siècles, Paris, Mouton, 1971, p. 40.
119 A. Antoine, Fiefs et villages du Bas Maine au xviiie siècle, Mayenne, Éd. régionales de l’Ouest, 1994, p. 135.
120 Archives privées de M. Lambert, « Clauses et conditions générales et particulières des baux à ferme du marquisat de Sablé », 1785.
121 Présents sur l’ensemble des exploitations : jardins de 1 à 3 par exploitations, cloteaux de 1 à 4,2.
122 Nombre moyen de pièces de terres labourables par métairie : 10.
123 Sur les 50 exploitations, 12 comportent un clos de vigne.
124 Sur la métairie de la Couasnière, Sablé, ci-devant évoquée, il est dénombré pas moins d’un millier d’arbres de nature et de tailles diverses : arbres à fruits, chênes, ormes, ormeaux, truisses, sauvageons, plants.
125 Baux à ferme du marquisat, 12-09-1785, Archives privées de M. Lambert, Sablé.
126 « Tableau de la généralité de Tours depuis 1762 jusques et y compris 1766 », Bibliothèque de Château-Gontier, ms. 11.
127 Par exemple B 5287, 09-09-1748, affaire Joubert-Jeudy, Saint-Brice. Voir aussi « Tableau de la généralité de Tours depuis 1762 jusques et y compris 1766 », Bibliothèque de Château-Gontier, ms. 11, p. 391.
128 Analyse portant sur 30 inventaires après décès pris dans les liasses cotées : 4 ELVII, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 16, 18 ; 4ELVII, 129, 167, 168, 170 ; 4ELVI, 99, 102, 103. Concernant le nombre de têtes de bétail par exploitation, la situation en pays sabolien est identique à celle du Bas Maine voisin : A. Antoine, Fiefs et villages…, op. cit., p. 316.
129 Sur les stratégies de vente du bétail dans les métairies : ibid., p. 324-332.
130 Broc ou brocq : fourche en bois ou en fer à 2 ou 3 dents pour faner et charger le foin. Sermiau : grande serpe. Vouge : serpe à long manche pour élaguer.
131 Nous ne rencontrons pas dans les baux l’expression de métayage mais celle de colonie partiaire ou celle de bail à moitié (fruits).
132 À partir de 1782, certains baux portent d’ailleurs le titre de sous-fermage. La même année par exemple, sur les 17 contrats à prix d’argent relevés, 7 seulement ont pour preneur un métayer ou un closier. Les autres preneurs sont « marchands fermiers », « bourgeois », « sieurs ». Parmi les bailleurs : deux établissements religieux, un noble, quelques notables ne résidant pas à Sablé.
133 Chaque lot étant constitué de plusieurs métairies ou closeries.
134 Encore qu’on ne saurait exagérer les injustices dans un système de rotation des charges de répartition.
135 Rôle de taille de 1708, Archives privées de M. Lambert, Sablé.
136 Pour comparaison, le village angevin de Mouliherne étudié par François Lebrun, donne l’image d’une communauté rurale pauvre, assez éloignée de la situation des campagnes saboliennes. F. Lebrun, Les hommes et la mort…, op. cit., p. 163.
137 L’interprétation doit toutefois être prudente compte tenu de l’existence de deux rôles d’imposition pour la paroisse, l’un pour la « ville », l’autre pour la campagne.
138 114 cas relevés, soit 22,8 % des feux.
139 Nombre de contrats relevés : 150 (1750-1754 : 75 et 1780-1784 : 75).
140 4 ELVII, 153 : Maître J.-M. Moyré.
141 4 ELVI, 5 : Maître Houdouin, contrat du 15-04-1754.
142 Sur ces approches : A. Fillon, « Les notaires royaux, auxiliaires de l’histoire », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1989, n° 1, p. 3-14. A. Pardailhé-Galabrun, La naissance de l’intime, 3000 foyers parisiens, xviie-xviiie siècles, Paris, PUF, 1988.
143 104 inventaires répertoriés représentant les grandes catégories socioprofessionnelles sur les périodes suivantes : 1707-1711 : 4ELVII, Riffault (10 à 18) ; 4ELVII, Casseroux (10 et 11). 1750-1754 : 4ELVII, Houdouin (99 à 103) ; 4 ELVI, Lemercier (5) ; 4 E 89, Pochard-Houdouin-Moyré (557 à 561). 1780-1784 : 4 ELVII, Moyré Martelière (167 à 169) ; 4ELVII, Houdouin (125 à 132) ; 4ELVI, de la Primaudière (29 à 32).
144 Trente situations étudiées.
145 Un cas : Jean Pincé, journalier en poupées à Sablé (4 ELVII, 130, 10-04-1781, Houdouin) où le montant des meubles et effets est évalué à 1670 livres 14 sols mais avec un avoir en matière première de 965 livres.
146 4LVI, 5, Houdouin, 05-07-1754, Sablé.
147 4ELVI, 4, Lemercier, 29-08-1753, Sablé.
148 4ELVII, 132, Houdouin, 18-10-1783, Gastines.
149 4ELVI, 5, Houdouin, 05-07-1754, Sablé, Bazin : étoffe croisée dont la chaîne est ordinairement de fil et la trame de coton ; toile de brun (ou brin) : filasse de chanvre la plus longue et la plus fine.
150 1 4ELVII, 169, Moyré-Martellière, 09-12-1782, Vion.
151 4ELVII, 125, Houdouin, 22-02-1781, Souvigné. Coite : matelas de plumes. Coity : tissu à coite.
152 4ELVI, 2, Lemercier, 19-04-1751, Sablé.
153 4ELVII, 102, Houdouin, 12-02-1753, Souvigné. Sur la fragilité des aïeuls et les nécessaires solidarités familiales : A. Fillon, « À la recherche des aïeuls du Maine », Annales de démographie historiques, Paris, EHSS, 1991, p. 33-50.
154 Trente situations relevées, 15 closiers et 15 métayers.
155 Un cas inférieur à 150 livres, celui de Louis Lemonnier, closier à la Maladrie, Sablé (estimation des meubles et effets : 82 livres et 6 sols) : 4E89, 557, Houdouin-Pochard-Moyré, 05-12-1750. Une estimation à 882 livres : celle des biens et effets de Michel Gouvaze, closier à la Gélinière, Sablé, 4ELVII, 167, Moyré-Martelière, 30-101780. Les autres estimations sont comprises entre 165 livres et 425 sols.
156 4ELVII, 101, année 1752, Houdouin, Souvigné.
157 4ELVII, 131, Houdouin, 16-11-1782, Solesmes.
158 4 ELVII, 103, Houdouin, 14-09-1754, métairie du Mesny à Auvers (252 livres 5 sols). 4 E 89, 559, PochardHoudouin-Moyré, 26-05-1751, métairie de Coin, Sablé (274 livres 18 sols).
159 4ELVII, 168, Houdouin, 02-01-1781, Souvigné. Cinq cas supérieurs à 1000 livres.
160 4 ELVII, 132, Houdouin, 18-10-1783, total de l’inventaire de Louis Viot 2 245 livres dont 75 livres en argent, dettes actives estimées à 28 livres 8 sols, dettes passives à 560 livres 1 sol. 4ELVII, 131. Houdouin, 14-07-1782, total de l’inventaire de Toussaint Nail 295 livres ; dettes actives : néant, dettes passives 45 livres et 10 sols.
161 Carrie : baldaquin carré des lits à quenouilles. Sur l’importance du lit : A. Fillon, « Comme on fait son lit on se couche. Trois cents ans d’histoire du lit villageois », Populations et cultures, Études réunies en l’honneur de François Lebrun, 1989.
162 Inventaires dépouillés : gens de métiers : 19 ; marchands : 17 ; bourgeois et professions à talents : 8.
163 4ELVII, 99, Houdouin, 13-06-1751, Sablé.
164 4E82, 560, Pochard-Houdouin-Moyré, 22-10-1753, Souvigné.
165 Répartition des estimations de meubles et effets : sur les 19 cas étudiés, 2 cas sont à moins de 100 livres, 9 cas de 100 à 500 livres, 9 cas de 100 à 500 livres, 3 cas de 500 à 1 000 livres, 4 cas de 1 000 à 2 000 livres, 1 cas à plus de 2 000 livres.
166 4E89, 558, Pochard-Houdouin-Moyré, 12-01-1751, Sablé.
167 4E89, 558, Pochard-Houdouin-Moyré, 5-02-1752, Souvigné (un actif évalué à 1287 livres).
168 4E89, 501, Pochard-Houdouin-Moyré, 24-10-1754, Sablé (un actif évalué à 2918 livres).
169 Inventaires inférieurs à 500 livres : 2 cas sur 17. Supérieurs à 1 000 livres : 7 cas sur 17.
170 4ELVII, 102, Houdouin, 22 novembre 1753, Sablé.
171 4ELVI, 29, de la Primaudière, août 1780, Sablé.
172 Sur l’intérêt de cette justice de paix comme source de l’histoire sociale : voir l’article de J.-C. Farcy, « Les archives judiciaires et l’histoire rurale, l’exemple de la Beauce au xixe siècle », Revue historique, n° 524, octobre-décembre 1977, p. 326-345.
173 A. Antoine, Fiefs et villages…, op. cit. A. Fillon, Louis Simon, étaminier…, op. cit.
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