Les données écologiques disponibles dans le cadre de la procédure de classement des espèces d’animaux susceptibles d’occasionner des dégâts
p. 151-168
Texte intégral
1La démarche réglementaire concernant la procédure de classement des espèces d’animaux susceptibles d’occasionner des dégâts (anciennement animaux susceptibles d’être classés nuisibles) a beaucoup évolué au cours de ces vingt dernières années et nécessite maintenant de justifier ce classement par des critères techniques qui, au fil du temps, ont été précisés par la jurisprudence. À première vue, certains de ces critères peuvent être construits sur la base des connaissances en écologie et en biologie des espèces visées mais la terminologie est propre à la réglementation. Nous proposons dans cet article d’examiner quelles données écologiques sont disponibles et utiles dans le cadre de la procédure actuelle de classement, en nous appuyant sur les études et recherche appliquées menées par l’ONCFS sur cette problématique.
Rappels réglementaires
2La démarche de classement des espèces d’animaux nuisibles, présentée dans la circulaire du 26 mars 20121, définit les espèces visées, les motifs du classement et les justifications à apporter dans le cadre du droit national et du droit communautaire.
Les espèces visées
3Les espèces visées par la procédure de classement sont réparties selon trois groupes :
- le 1er groupe (G1) comprend six espèces exotiques envahissantes classées sur l’ensemble du territoire métropolitain, par arrêté ministériel : le chien viverrin, le raton laveur, le vison d’Amérique, le ragondin, le rat musqué et la bernache du Canada ;
- le 2e groupe (G2) regroupe dix espèces classées par arrêté ministériel triennal établissant les listes départementales : 5 espèces de mammifères (la belette, la fouine, la martre, le putois, le renard) et 5 espèces d’oiseaux (le corbeau freux, la corneille noire, la pie bavarde, le geai des chênes, l’étourneau sansonnet) ;
- le 3e groupe (G3) comprend le lapin de garenne, le pigeon ramier et le sanglier, espèces pour lesquelles le statut est défini par arrêté préfectoral annuel.
Les motifs de classement
4L’inscription d’une espèce sur la liste départementale des espèces d’animaux susceptibles d’occasionner des dégâts doit être justifiée par l’un au moins des motifs suivants :
- dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publique ;
- pour assurer la protection de la flore et de la faune ;
- pour prévenir des dommages importants aux activités agricoles, forestières et aquacoles ;
- pour prévenir les dommages importants à d’autres formes de propriété, sauf pour les espèces d’oiseaux ;
- de plus, l’inscription d’une espèce sur la liste départementale doit tenir compte de la situation locale.
Les justifications du classement (G2 et G3)
5L’inscription d’une espèce sur la liste départementale doit être soigneusement justifiée au regard des exigences du droit national et du droit communautaire.
Le contexte du droit national
6La circulaire de 2012 précise que : « D’après la jurisprudence du Conseil d’État, il résulte de ces dispositions qu’il peut être légalement procédé au classement parmi les nuisibles d’une espèce figurant sur les listes nationales établies par arrêtés ministériels :
- dès lors que cette espèce est répandue de façon significative dans le département ET que, compte tenu des caractéristiques géographiques, économiques et humaines de celui-ci, sa présence est susceptible de porter atteinte aux intérêts mentionnés au I-3 de la présente circulaire ;
- OU dès lors qu’il est établi qu’elle est à l’origine d’atteintes significatives aux intérêts protégés par ces mêmes dispositions. Deux hypothèses alternatives sont donc envisageables :
- soit l’espèce considérée est d’ores et déjà à l’origine d’atteintes significatives aux intérêts mentionnés précédemment, auquel cas il suffit, pour justifier son inscription sur la liste, d’établir ces atteintes significatives ;
- soit les atteintes portées par l’espèce ne peuvent être qualifiées de “significatives”, et il est alors nécessaire d’établir, d’une part, qu’elle est significativement répandue dans le département et, d’autre part, que les caractéristiques du département rendent la présence de cette espèce “susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés”. » La circulaire précise que la preuve d’atteintes significatives est, par
7définition, aisée à apporter lorsque « de nombreuses plaintes, des témoignages circonstanciés, des études épidémiologiques ou des évaluations chiffrées auront alerté de manière convaincante sur les nuisances que cette espèce cause ».
8Elle précise également que dans l’hypothèse 2, le juge administratif n’admet aucune « présomption de nuisibilité » et contrôle strictement le respect, pour l’espèce considérée, des deux critères cumulatifs – présence significative et caractéristiques du département – posés par le Conseil d’État.
9Enfin la circulaire indique que
« le Conseil d’État juge qu’en l’absence d’étude scientifique, les réponses faites par les maires, les piégeurs, les lieutenants de louveterie, les comptes rendus de piégeage, les déclarations de dégâts faites par les particuliers, les agriculteurs et les forestiers, les résultats des prélèvements effectués durant les campagnes précédentes, constituent des indicateurs fiables de la présence significative des espèces permettant d’apprécier la situation locale (CE, 20 octobre 1997, n° 121377, Fédération départementale des chasseurs de l’Aisne). L’analyse de ces éléments doit effectivement porter sur les dernières années, de manière à éclairer la décision. Toutefois, il est conseillé de s’appuyer sur l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) pour réaliser, dans la mesure du possible, une mise à jour régulière, voire des études scientifiques permettant d’évaluer, en plus des prélèvements, les effectifs dans le département des espèces figurant sur les listes des groupes 2 et 3 ».
Le contexte du droit communautaire
10Pour certaines espèces, le classement est en outre encadré par le droit communautaire. Pour les oiseaux, en application de la directive 2009/147/CE (du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, article 9), le prélèvement dans la nature de spécimens d’une espèce d’oiseau n’est possible que s’il n’existe pas d’autres solutions satisfaisantes. Cette notion implique que, préalablement au classement de ces espèces, des solutions alternatives à la destruction devront avoir été mises en œuvre ou étudiées. En application de la directive 92/43/CEE (21 mai 1992 dite directive « Habitats Faune Flore »), les mêmes exigences s’appliquent au classement de la martre et du putois. Enfin, les prélèvements de spécimens d’une espèce ne doivent pas nuire à la survie ni au bon état de conservation de sa population.
Conclusion
11La réglementation a évolué en fonction de la réglementation européenne et de la jurisprudence vers de plus en plus de conditions ou critères devant ou pouvant justifier le classement.
Études & recherche et procédure de classement
12Un certain nombre de termes utilisés dans la réglementation, et en particulier la circulaire précitée, n’ont pas de définition en écologie et sont très imprécis. Une étape de reformulation est nécessaire pour identifier les outils d’écologie éventuellement mobilisables.
13Ainsi pour préciser la « présence significative » d’une espèce, les auteurs proposent deux éléments : le suivi temporel et spatial de la répartition des espèces et l’élaboration d’indices d’abondance2. Pour vérifier que le classement « nuisible » ne nuit ni à la survie ni au bon état de conservation d’une population, l’étude de l’impact des prélèvements sur cette population semble indispensable. Sont alors nécessaires les estimations des prélèvements réalisés, quel que soit le mode (chasse ou destruction3) et les études de dynamique des populations qui permettent l’étude de l’impact des prélèvements sur une population. Pour qualifier les atteintes « significatives » et les dommages « importants », des outils d’évaluation, quantitative et qualitative, des atteintes et des dommages doivent être mis en place.
Le suivi de répartition des espèces et les indices d’abondance
L’exemple des mustélidés : du suivi de la répartition à la modélisation de l’abondance à l’échelle nationale
14Jusque dans les années 2000, l’évaluation de la distribution géographique des mustélidés demeurait imprécise à l’échelle du territoire national et reposait sur la compilation des résultats d’inventaires régionaux ou de collecte de données sans protocole précis et sur des pas de temps variables. Le « carnet de bord », introduit en 2001 dans chaque véhicule de l’ONCFS pour consigner en continu toutes les observations de petits et méso-carnivores faites par les agents, a conduit à une première évolution majeure dans la connaissance de la présence de ces espèces en France. En effet, ce travail a permis d’établir des cartes de répartition à partir de données collectées de façon standardisée et selon un pas de temps connu à l’échelle nationale (fig. 1a4). Grâce au groupe de travail « Statistiques pour les sciences participatives5 », réunissant des biométriciens, statisticiens et biologistes de différents organismes (université Paris-Sud, CNRS, Inra, IRSTEA, ONCFS, MNHN), l’analyse et la modélisation du jeu de données « carnets de bord petits carnivores » a abouti à estimer l’abondance relative de six mustélidés6 par petite région agricole (PRA) sur la période 2001-2010 (fig. 1b)7. Le modèle ajusté à ces données est fonction de trois composantes : l’indice de densité, l’effort de recherche (utilisant le kilométrage annuel parcouru par les agents) et la détectabilité des espèces. Dans un deuxième temps, un modèle intégrant l’année a été élaboré (dans un cadre bayésien) pour estimer l’évolution des indices entre les périodes 2004-2008 et 2009-2012 (fig. 1c)8.
15Les suivis des populations de renards par comptages nocturnes à l’aide de phares sont souvent utilisés comme des indicateurs de l’évolution des populations à l’échelle locale d’un territoire d’étude9. Une enquête nationale, réalisée en 2013 auprès des Fédérations départementales des chasseurs (FDC) en collaboration avec la FNC, a permis de rassembler les suivis hivernaux de renards par comptages nocturnes aux phares sur un ensemble de 185 territoires français, collectés auprès de 54 FDC (fig. 2a)10. Au total, 166 territoires, répartis dans 38 départements, remplissaient les conditions requises, pour construire des indices kilométriques d’abondance (IKA), nombre de renards observés de nuit ramené au nombre de kilomètres parcourus. L’IKA est en moyenne de 0,43 ± 0,39 renard/km parcouru, avec de grandes variations d’un territoire à l’autre et d’une année à l’autre. La tendance d’évolution moyenne de l’IKA au cours des dix dernières années, entre 2004 et 2013, est à l’augmentation significative sur les territoires de plus de 50 km2 mais pas sur ceux de moins de 50 km2 (fig. 2b). L’augmentation estimée sur les territoires de plus de 50 km2 reste néanmoins très faible sur dix ans et conduit à conclure à une stabilité moyenne des densités de renards. Un travail complémentaire utilisant la méthode « distance sampling11 » permet d’estimer qu’à l’IKA moyen de 0,43 correspond une densité de 0,97 renards/km2 environ. En 2013, 50 % des IKA étaient compris entre 0,20 et 0,66 et le maximum était de 2,99, soit une gamme de densités allant de 0,45 à 1,49 et un maximum de 6,7 renards/km2.
Conclusions
16Nos connaissances sur les espèces de mammifères du G2 ont progressé et permettent maintenant d’estimer des abondances relatives à l’échelle nationale. Cependant, les outils actuellement disponibles pour suivre les tendances de ces populations ne sont pas toujours adaptés pour faire un diagnostic à l’échelle départementale et sur une fenêtre de temps de trois ans, compatible avec le besoin réglementaire.
L’estimation des prélèvements à l’échelle nationale
17À l’échelle nationale, deux enquêtes récentes ont été réalisées par l’ONCFS concernant les prélèvements de destruction et les prélèvements par chasse à tir. La première avait pour but d’appréhender les prélèvements de destruction réalisés au cours des saisons 2011-2012 et 2012-2013, suite aux modifications de réglementation relatives au classement des espèces d’animaux susceptibles d’être classées nuisibles en 201212. La seconde, menée et financée conjointement par l’ONCFS et la Fédération nationale des chasseurs (FNC), visait à estimer les prélèvements cynégétiques par chasse à tir pour la saison cynégétique 2013-201413. Elle a reposé sur la sollicitation de près de 60000 chasseurs répartis sur tout le territoire national, sélectionnés selon un plan d’échantillonnage, parmi l’ensemble des chasseurs ayant validé leur permis de chasser durant la saison 2012-2013.
18Le renard a été l’espèce la plus chassée à tir avec un tableau national annuel estimé à environ 430000 individus, en 13e position toutes espèces confondues. Cette estimation était très nettement supérieure à celle des prélèvements de destruction par piégeage, six fois plus faible (tabl. 1), le piégeage étant le mode de destruction le plus important pour le renard16. La chasse est donc très clairement le mode de prélèvement le plus utilisé pour le renard.
19Le tableau national annuel de chasse à tir a été estimé à environ 9000 individus pour la martre, le double pour la fouine. Pour cette dernière, l’estimation des prélèvements par chasse à tir était quasi équivalente à celle des prélèvements par piégeage (tabl. 1). Pour la martre, le tableau de chasse à tir estimé était plus important que celui du piégeage, ce qui est à mettre en relation avec la baisse importante du nombre de départements où l’espèce était classée « nuisible », et donc piégée14. Pour la même raison, les prélèvements par piégeage de putois et belette étaient très marginaux.
Tableau 1. – Estimations des prélèvements par piégeage au cours de la saison 2012-2013 et du tableau de chasse à tir au cours de la saison 2013-2014 pour les espèces du groupe 2.
Estimation des destructions par piégeage au cours de la saison 2012-2013 | Estimation du tableau de chasse à tir annuel pour la saison 2013-2014 | |
Renard | 68350 | 388600 – 472000 |
Fouine | 18000 | 15000 – 20500 |
Martre | 5500 | 6800 – 11000 |
Putois | 0 | 2100 – 3700 |
Belette | 420 | 1300 – 2700 |
Corneille noire | 115500 | 329000 – 437000 |
Corbeau freux | 44145 | 191000 – 277000 |
Pie bavarde | 85000 | 129000 – 175000 |
20Parmi les corvidés, la corneille noire arrivait en tête des espèces chassées (tabl. 1). Il est probable que les prélèvements déclarés lors de cette enquête tableau de chasse à tir incluaient en fait des tirs de destruction. Les estimations des prélèvements par destruction comprenant ceux réalisés par piégeage, mais également par tir, étaient d’environ 330000 individus pour la corneille noire et 230000 individus pour le corbeau freux pour la saison 2012-201315, des valeurs du même ordre de grandeur que les estimations du tableau de chasse à tir.
21Des limites sont à souligner pour ces enquêtes. Pour l’enquête sur les prélèvements par destruction, la principale difficulté reste la sous-estimation des prélèvements surtout pour les destructions à tir pour lesquels il n’existe pas, à l’instar du piégeage, de directives nationales prévoyant la restitution des données aux directions départementales des territoires. De même, les confusions semblent importantes dans l’enquête tableau de chasse à tir avec les destructions à tir. Ces limites sont surtout importantes pour les corvidés et le renard. Il reste actuellement très difficile d’obtenir les effectifs réels des prélèvements, destruction et chasse, tous modes de prélèvements confondus.
L’impact des prélèvements et la dynamique des populations
L’exemple de l’étude fouines et martres en Bresse
22Ce programme d’études long (6 ans, décembre 2003 à mars 2009) avait pour principal objectif d’estimer la survie des populations de martres et de fouines dans une zone en Bresse. Il a nécessité la capture, le marquage à l’aide de colliers VHF et le suivi télémétrique de 44 martres et 38 fouines. Sur le même territoire, une enquête annuelle auprès des piégeurs agréés, mise en place en collaboration avec les FDC et Associations de piégeurs agréés de l’Ain et de Saône-et-Loire, a permis de renseigner les pratiques du piégeage et les effectifs de fouines et martres prélevés entre 2004 et 2007. Pour la première fois en Europe, a été estimé, sans biais, le taux de mortalité des fouines et martres adultes : environ 20 % par piégeage et 30 % pour toute autre cause, essentiellement les collisions routières16. L’effet de la pression de piégeage sur le taux de survie de la population a été démontré chez la fouine (fig. 3a) mais pas chez la martre. Il est important de noter que les suivis et estimations ont été réalisés dans les zones où la pression de piégeage à l’échelle locale, c’est-à-dire d’une commune, était la plus importante et que celle-ci s’est avérée très variable d’une commune à l’autre (fig. 3b).
Les prélèvements de renards limitent-ils leur densité ?
23Le débat concernant l’efficacité des prélèvements pour réduire les densités de populations de renards est récurrent. Si leur effet a été démontré à l’échelle locale17 (moins de 10 km2), il est vrai qu’ils ne permettent pas toujours d’atteindre cet objectif à l’échelle régionale (1000 km2). Comment expliquer ces différences de résultats d’une échelle à l’autre ? Une étude, réalisée pendant six ans sur cinq sites en Ille-et-Vilaine puis six ans dans l’Aube (2 sites), en collaboration étroite avec les FDC, a apporté des éléments de réponse18. Le protocole visait à faire varier l’intensité des prélèvements de renards et à observer les éventuels impacts sur leur densité. Ce protocole a nécessité un important travail de terrain réalisé en très grande partie par les services techniques des FDC.
24Pour mesurer l’effet des prélèvements, il fallait calculer des taux de prélèvements annuels, à savoir une proportion de renards effectivement prélevés par rapport à ceux présents sur le territoire. Autrement dit, estimer les densités en renards tous les ans et mesurer le nombre de renards prélevés ; deux mesures difficiles à relever de manière précise et non biaisée, et rarement effectuées en même temps. En complément, les prélèvements ont été collectés pour analyser la structure d’âge et de sexe des populations de renards et leur reproduction. L’estimation des densités de renards a été réalisée à partir d’un protocole de comptage nocturne au phare, répété plusieurs nuits (entre 3 et 10 nuits par site et par an) le long de tronçons ou sur des points d’observation. Les taux de prélèvements sont apparus très variables d’un site à l’autre. L’effort consenti sur le terrain en Ille-et-Vilaine a conduit à des taux de prélèvements allant de 30 % à 80 %, pour une moyenne de 60 % ± 14 %. Dans l’Aube, sur un site il y a eu trois ans de prélèvements intensifiés puis trois ans de prélèvements « normaux », et inversement sur l’autre site. Sur ces deux sites, en période de prélèvements intensifiés, le taux a été en moyenne de 140 % (fig. 4) et l’emploi de tirs de destruction nocturnes a joué un rôle important. Ces taux supérieurs à 100 % signifient qu’un nombre plus important de renards a été prélevé tout au long de l’année que ce qui a été estimé présent sur le terrain en février.
25Parallèlement à ces résultats, les densités de renards adultes ont augmenté en cinq ans de 56 % et 34 % respectivement sur les sites du Bassin de Domagné (35) et de Fougères (35, fig. 4). En revanche, la densité n’a pas augmenté sur le site du Vendelais (35). Enfin, les prélèvements intensifiés ont induit une diminution des densités en adultes de 51 % et 59 % en trois ans sur les sites de l’Aube. Mais en période de prélèvements non intensifiés, dans la Sarce (10), la densité de mâles adultes était restée constante et sur le site du Barrois (10), la densité de renards adultes a réaugmenté de 47 %, après l’arrêt des prélèvements intensifiés.
26Ce travail a permis de proposer un schéma synthétique (fig. 5) expliquant la variabilité de l’effet des prélèvements selon les contextes locaux (taux de remplissage et capacité d’accueil du milieu) et les résultats contrastés observés19. Le mécanisme de compensation des prélèvements par immigration et non par reproduction apparaît comme un concept-clé pour comprendre l’impact des prélèvements sur les populations de renards, même à l’échelle de territoires d’environ 200 km2.
Impact des prélèvements : conclusions
27La recherche a montré qu’il est possible d’évaluer l’impact des prélèvements sur une population mais au prix d’actions de terrain lourdes, limitées dans le temps et l’espace, inenvisageables à l’échelle départementale. Les travaux de modélisation en dynamique des populations pourraient permettre d’aboutir, à terme, à la mise au point d’indicateurs permettant de mesurer simplement cet impact.
Évaluer les dommages : l’exemple du projet DIVA3 « PoulHaieCREM »
28En 2012, dans le cadre des projets DIVA321 s’est mis en place le projet « PoulHaieCREM » qui visait à étudier l’importance du réseau de haies dans la facilitation de la prédation par les petits carnivores, renards, fouines et martres22. Un des volets du projet PoulHaieCREM visait à estimer le taux de prédation dans les élevages AOP du poulet de Bresse. Le taux de perte a été calculé en comptant les poulets de chaque lot de production associé à un parc avicole, toutes les 2 semaines lors de leurs sorties des bâtiments, le matin. Ces comptages ont été réalisés de mai 2012 à septembre 2013, sur 70 lots chez 25 éleveurs différents. À l’âge de 19 semaines, les pertes totales en nature (c’est-à-dire dans parcours herbeux extérieurs, hors des bâtiments), ont concerné en moyenne 13,3 % (± 11,9 %) de l’effectif des volailles (fig. 6). Les autres pertes, intrinsèques à l’élevage comme la mortalité liée aux maladies, étaient détectées par les éleveurs lors de leur visite quotidienne des bâtiments.
29Un suivi a été réalisé sur les quatre lots de poulets concernés par les pertes en nature les plus élevées. Les lots ont été comptés deux fois par semaine et les cadavres de poulets ont été recherchés systématiquement puis examinés pour identifier les éventuelles traces de prédation (plumées, indices de présence…). Pour intensifier cette surveillance, des pièges photographiques ont été installés sur les coulées. Durant le printemps et l’été 2013, 71 visites de parcs ont ainsi été réalisées. Des pertes ont été détectées lors de 78 % des comptages mais, dans plus de la moitié de ces cas, aucun indice de prédation n’a été relevé. De plus, dans les cas où des indices de prédation ont été relevés, ils n’ont bien souvent pas permis la reconnaissance des espèces prédatrices. Ainsi, le plus souvent (62 % des cas avec indices de prédation), seule une distinction entre prédateurs aviaires (20 %) et prédateurs carnivores (40 %) a été possible. Ces résultats montrent une nouvelle fois24 qu’il est très difficile d’estimer la part de prédation, et la part relative pour chaque espèce de prédateurs.
Conclusion et perspectives : la démarche scientifique dans le débat « nuisibles »…
30La démarche appliquée dans le cadre de l’évaluation de l’état de conservation d’une espèce en application de la directive « Habitats Faune Flore » fournit une définition d’un état de conservation favorable d’une espèce dans un domaine biogéographique :
- les données relatives à la dynamique de la population de l’espèce indiquent que cette espèce continue et est susceptible de continuer à long terme à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient ;
- et l’aire de répartition naturelle de l’espèce ne diminue ni ne risque de diminuer dans un avenir prévisible ;
- et il existe et il continuera probablement d’exister un habitat suffisamment étendu pour que ses populations se maintiennent à long terme.
31Cette définition est intéressante et reprend en grande partie les éléments décrits précédemment. Pour les mammifères susceptibles d’occasionner des dégâts (G2) comme le putois et la martre, l’exercice est parfois difficile. En effet, il est clair que 1) les données concernant la dynamique de population font défaut, 2) si l’aire de répartition est connue, les mises à jour régulières et tous les six ans, conformément à la directive « Habitats Faune Flore » sont parfois difficiles et 3) l’habitat de plusieurs de ces espèces généralistes n’est le plus souvent pas un facteur limitant.
32Cet article montre que la démarche scientifique peut permettre de définir et préciser des critères objectifs. Depuis 20 ans, elle a permis d’améliorer les connaissances sur l’état des populations et l’impact des prélèvements sur ces dernières. Pour autant, ces travaux ne permettent pas toujours d’arbitrer le classement des espèces, par manque d’outils simples et validés qui permettraient d’établir un diagnostic fiable. En outre, il y a un réel manque de connaissances sur certaines espèces notamment en dynamique de population, en partie lié à la biologie de ces espèces, nocturnes et discrètes, qui en font des modèles d’étude difficiles.
33D’autre part, les études et recherches en écologie portent leurs limites propres :
- le passage de termes réglementaires à la question scientifique nécessite une reformulation et donc implique des interprétations ;
- le temps de réalisation d’une étude en écologie est long, de l’ordre de cinq à dix ans et n’est pas toujours compatible avec la demande réglementaire et la prise de décision sur le terrain ;
- l’échelle spatiale de réalisation d’une étude est bien inférieure à un département, une région voire la France.
34Et finalement, les études et recherches en écologie sur ces espèces « occasionnant des dégâts », si elles apportent des éléments déterminants dans la procédure, ne peuvent, à elles seules, répondre au débat sociétal. Il est par exemple clair que le choix de seuils définissant les dommages « importants » ou indiquant qu’une espèce est répandue de façon « significative » ne relève pas du seul domaine de l’écologie.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 En l’absence de parution des décrets et circulaires d’application de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, cette circulaire d’application reste en vigueur.
2 Un indice d’abondance est une mesure relative, qui reflète l’abondance sans estimer de valeur exacte.
3 Certaines espèces peuvent être chassées (tir, vènerie…) et également détruites (tir, piégeage, déterrage). En France, les règles liées aux destructions sont différentes de celles liées à la chasse : périodes, personnes, moyens…
4 Cartes disponibles sous Carmen via le site www.oncfs.gouv.fr, portail cartographique de données.
5 [http://informatique-mia.inra.fr/cisstats/].
6 L’abondance relative est un indice compris entre 0 et 1, permettant de comparer des PRA entre elles mais la densité exacte reste inconnue.
7 Calenge Clément et al., « The Spatial Distribution of Mustelidae in France », PLoS ONE, n° 10, vol. 3, 2015 [doi : 10.1371/journal. pone.0121689].
8 Calenge Clément et al., « Premières cartes d’abondance relative de six mustélidés en France. Modélisation des données collectées dans les “carnets de bord petits carnivores” de l’ONCFS », Faune sauvage, n° 310, 2016, p. 17-23.
9 Stahl Philippe, « Suivi de l’abondance d’une population de renards (Vulpes vulpes) par comptages nocturnes : évaluation de la méthode », Gibier faune sauvage, n° 7, 1990a, p. 293-309. Stahl Philippe, « Variabilité et sensibilité d’un indice d’abondance obtenu par comptages nocturnes chez le renard (Vulpes vulpes) », Gibier faune sauvage, n° 7, 1990b, p. 311-323.
10 Ruette Sandrine, Lieury Nicolas, Albaret Michel, Arnauduc Jean-Pierre et Devillard Sébastien, « Évolution des populations de renards en France. Analyse des suivis réalisés par comptages nocturnes (2004-2013) », Faune sauvage, n° 306, 2016, p. 37-42.
11 Ruette Sandrine, Stahl Philippe et Albaret Michel, « Applying Distance Sampling Methods to Spotlight Counts of Red Foxes », Journal of Applied Ecology, n° 40, 2003, p. 32-43.
12 Albaret Michel, Ruette Sandrine et Guinot-Ghestem Murielle, « Nouvelle enquête sur les prélèvements par destruction au cours des saisons 2011-2012 et 2012-2013 en France », Faune sauvage, n° 305, 2014, p. 10-16.
13 Aubry Philippe et al., « Enquête nationale sur les tableaux de chasse à tir saison 2013-2014. Résultats nationaux », Faune sauvage, n° 310, 2016, supplément janvier-mars.
14 Albaret Michel et al., op. cit., 2014.
15 Albaret Michel et al., op. cit., 2014.
16 Ruette Sandrine, Vandel Jean-Michel, Albaret Michel et Devillard Sébastien, « Comparative Survival Pattern of the Syntopic Pine and Stone Martens in a Trapped Rural Area in France », Journal of Zoology, n° 295, 2015, p. 214-222.
17 Devenish-Nelson Eleanor, Harris Stephen, Soulsbury Carl, Richards Shane et Stephens Philip, « Demography of a Carnivore, the Red Fox, Vulpes vulpes : What Have we Learnt from 70 Years of Published Studies ? », Oikos, 2012, n° 122, p. 705-716.
18 Lieury Nicolas et al., « Compensatory Immigration Challenges Predator Control : an Experimental Evidence-based Approach Improves Management », Journal of Wild. Management, n° 79, 2015, vol. 3, p. 425-434.
19 Lieury Nicolas et al., op. cit., 2016.
20 Ibid.
21 En appui notamment à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de la politique « Trame verte et bleue », le programme DIVA-3 « Action publique, agriculture et biodiversité » lancé par le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie a fait l’objet de deux appels à propositions de recherche sur la thématique des « Continuités écologiques dans les territoires ruraux et leurs interfaces » (voir par exemple [https://www6.inra.fr/programme-diva/DIVA-3]).
22 Vandel Jean-Michel, Hemery Arzhéla, Larroque Jérémy, Ruette Sandrine, Monceret Bénédicte, Lubac Sophie et Devillard Sébastien, « Quelle est l’influence du bocage sur les méso-carnivores en région d’élevage avicole de plein air ? », Faune sauvage, n° 308, 2015, p. 31-34.
23 Vandel Jean-Michel et al., op. cit., 2016.
24 Pour une précédente étude, cf. Gros Laurent et al., « L’impact de la prédation sur la production en plein air de volaille de Bresse », Faune sauvage, n° 258, 2003, p. 41-46.
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