Chapitre IX. Prêcher la république… hors de la chaire ?
p. 265-288
Texte intégral
1Prêcher ou ne pas prêcher ? Telle est la question qui a dû occuper l’esprit de certains pasteurs à différents moments de leur existence. Porter la parole de Dieu, écrire des sermons, était-ce pour eux la seule manière de se faire entendre ? Pour certains, indéniablement. Par manque de talent, par manque de temps, par choix. D’autres, en revanche, ne se sont pas limités à la parole de chaire pour expliquer la bien commun. Certains orateurs ont choisi d’autres voies, restant des passeurs d’idées avant tout ou bien s’investissant dans d’autres fonctions à la faveur de circonstances particulières et purement temporelles. Il s’agit de percevoir les prolongements éventuels d’une prédication protestante, de la confronter aussi à d’autres types d’écriture et différents modes d’action, pour en saisir éventuellement les particularités et peut-être les discordances.
L’engagement « historien » des pasteurs comme pédagogie républicaine
2Parmi les figures pastorales de cette enquête et du siècle des Lumières, le fils aîné de Paul Rabaut, Rabaut Saint-Étienne, se trouve en bonne place, pas simplement pour l’historien d’aujourd’hui mais également pour ses contemporains. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à considérer la diabolisation dont le personnage a été victime durant les années 1789-17991. On l’a vu dans ses sermons, prêcher la res publica, le bien commun, expliquer l’importance de la concorde civile et religieuse. Il a aussi poursuivi ce combat en utilisant la voie de l’écriture de l’histoire, dans deux ouvrages plus particulièrement, un roman historique et un livre d’histoire.
Être pasteur, se faire historien
3La tradition des pasteurs historiens existe depuis notamment Jacques Basnage de Beauval (1653-1723) rédacteur d’une Histoire de la religion des Églises réformées (1690). Il avait publié auparavant une Histoire de l’Église depuis Jésus-Christ jusqu’à présent en deux volumes (Rotterdam, 1669) et fait paraître ensuite une Histoire des Juifs depuis Jésus-Christ jusqu’à présent (Rotterdam, 1705). Cette activité d’historien fait de lui l’historiographe des États de Hollande avec ses deux tomes des Annales des Provinces-Unies (La Haye, 1719 et 1726), histoire des Pays Bas depuis les négociations de la paix de Munster jusqu’au traité de Nimègue2. Un autre nom de pasteur-historien est celui d’Élie Benoist (1640-1728) qui publie, à Delft, une Histoire de l’édit de Nantes3 ou encore Antoine Court (1695-1760) qui a notamment laissé une Histoire des troubles des Cévennes ou de la guerre des camisards sous le règne de Louis le grand (Villefranche, 1760)4. La plume pastorale est alerte à évoquer l’histoire de la Réforme, à montrer les difficultés vécues par les huguenots et cela se poursuit durant le xixe et premier xxe siècle : les pasteurs Jacques Peyran (né en 1788), Charles Dardier (1820-1893), Napoléon Peyrat (1809- 1881), Alexis Muston (1810-1888), Albert Réville (1826-1906), Athanase Coquerel fils (1820-1875), Eugène Arnaud (1826-1905), Frank Jean Alexandre Puaux (1844- 1922), ont chacun fait œuvre d’historien de leur communauté religieuse. Entre ces deux moments évoqués, le nom de Rabaut Saint-Étienne complète la liste puisque plusieurs de ses productions touchent directement ou indirectement l’histoire. Le premier texte historique à paraître est Le Vieux Cévenol, publié en 1779 et dont le titre initial a été Triomphe de l’intolérance5. L’accroche historique, bien qu’il s’agisse d’un roman est réelle. En effet, le sujet est la biographie imaginaire d’un protestant des Cévennes, Ambroise Borély. L’histoire du héros commence alors qu’il a quatorze ans et que la révocation de l’édit de Nantes est décrétée. La relation de l’histoire personnelle d’Ambroise se termine dans années 1730 au moment où, las des difficultés, il part vivre à Londres : c’est donc une histoire protestante choisie, celle du premier Désert, avec tout ce qu’elle peut avoir de violences, de brutalité, de vexations et impossibilités de vivre en tant que protestant dans le royaume de France. D’un point de vue législatif, la chronologie narrée est plus large puisque les édits restrictifs des années 1660 jusqu’à l’édit dit de tolérance sont exploités. Rabaut Saint-Étienne publie également d’autres ouvrages à dimension historique. Il poursuit ainsi l’œuvre d’Antoine Court de Gebelin en faisant paraître en 1786 Les Lettres à Monsieur Bailly sur l’histoire primitive de la Grèce dont le thème principal est l’histoire grecque mythologique. Enfin, il fait publier, en 1792, l’Almanach historique de la Révolution française, intitulé dans la seconde édition Précis de l’histoire de la Révolution française6. Il est d’ailleurs son dernier ouvrage. Le Précis de l’histoire de la révolution française en tant que tel, est une narration historique de l’année 1789 à septembre 1791, réalisée en 257 pages et composée de cinq livres. Le récit se déroule chronologiquement et se termine avec l’acceptation, par le roi, de la Constitution du 3 septembre.
4On le voit, les sujets historiques qu’aborde le pasteur sont donc très variés : histoire purement protestante ou plus générale, ancienne ou immédiate. À cela, il faut ajouter des projets éditoriaux qui montrent son intérêt pour l’histoire, mais qui n’ont pas abouti. Le premier, en 1776, était celui d’écrire une histoire des Réfugiés protestants. Le second est l’ébauche d’une histoire générale du protestantisme dont on trouve trace grâce à une préface manuscrite, conservée dans les rares papiers de Rabaut Saint-Étienne et rédigée sans doute vers 17897. La correspondance échangée avec Claude Carloman de Rulhière (1735-1791) indique que Rabaut Saint-Étienne a effectué un travail de relecture et d’amendement du texte de cet historien, ouvrage intitulé Ecclaircissemens historiques sur les causes de la révocation de l’édit de Nantes et sur l’état des protestants en France. Rulhière, reconnaissant et élogieux, encourage alors le pasteur (nous sommes en 1788) à écrire une histoire des Cévennes8. Ce qu’il ne fera jamais.
5L’histoire, à côté des sermons, est donc au cœur de l’écriture de ce pasteur. Il a d’ailleurs un souci de véracité historique y compris lorsqu’il ne s’agit pas de rédiger de purs livres d’histoire. Cela se retrouve notamment dans Le Vieux Cévenol, puisque Rabaut Saint-Étienne y insère des notes de bas de page se rapportant à des textes de lois, à des faits étayés par les témoignages, des écrits et des historiens du protestantisme du siècle (en particulier Élie Benoist). Il travaille sur des sources qu’il veut pouvoir indiquer à son lectorat. Dans le Précis historique de la Révolution Française, il n’y a pas de note de bas de page mais l’attention à la nécessaire réalité des faits – en tout cas telle qu’il la connaît – apparaît en filigrane. Par exemple, il se refuse à faire le récit des massacres de Saint-Domingue d’août 1791 car, écrit-il, « ces événements sont si récents, qu’il nous est impossible d’en donner un récit fidèle ; mais l’histoire fera connaître un jour les traîtres qui ont ourdi ces perfides trames9 ». Il y a chez lui, une volonté de fidélité du récit par rapport aux faits et d’ailleurs la narration demeure souvent très factuelle. Cependant, son souci de véracité ne signifie pas neutralité et exactitude : il écrit avec les connaissances et les interprétations qui sont celles du temps et d’un défenseur de la Révolution, tout comme il est un pasteur qui, à travers l’histoire romanesque d’Ambroise Borély, veut convaincre de la juste cause protestante à demander leur réintégration dans le royaume. Car les deux écrits sont une manière pour le pasteur de servir des causes, certes différentes, mais qui ont l’une et l’autre des objets relevant de la « chose publique ».
La recherche d’un bien commun communautaire à travers un roman historique
6Les discours de chaire ne sont donc pas les seuls écrits dans lesquels Rabaut Saint-Étienne a eu l’occasion d’utiliser sa plume pour s’engager à défendre le bien commun, l’intérêt général, pour discuter sur des éléments structurant la vie en société, sur les lois, sur la justice et d’autres notions encore que l’on a vu être fondamentales pour aborder la res publica. Le Vieux Cévenol permet à son auteur de développer, plus librement qu’il ne pouvait le faire en chaire, une réflexion sur la « chose publique10 ». Ainsi, le portrait du bon et du mauvais monarque est plus précisément dressé et, en toute logique, le portrait de Louis XIV demeure peu flatteur : son règne est décrit comme tout dévoué à sa personne et à sa grandeur alors que « son siècle » s’assimile à la barbarie et à la toute-puissance jésuitique11. À l’inverse, le premier Bourbon est systématiquement présenté comme un bon et grand monarque : Henri IV est d’origine protestante et il a promulgué l’édit de Nantes, il semble donc normal de le louer. Louis XVI est également dépeint de façon positive, ce qui s’explique aisément : il est le monarque en place au moment de la rédaction du roman, et c’est également de lui que les réformés – et Rabaut Saint-Étienne le premier – attendent un changement de législation. Les dernières paroles d’Ambroise Borely, le héros du roman, sont une ultime expression de son attachement à sa patrie et à son roi, mettant les deux derniers monarques sur un pied d’égalité : « L’on dit pourtant que son dernier soupir s’est porté sur la France, et qu’il est mort en prononçant les noms de Henri IV de Louis XVI12. » Il y a donc dans l’ouvrage la même dichotomie de bons et mauvais monarques que celle présente dans les sermons.
7Le patriotisme huguenot est également largement présent, même si l’auteur n’hésite pas à montrer que la politique poursuivit par les monarques depuis Louis XIV, à l’égard des protestants, n’est pas la bonne. Dans le roman, les exilés sont décrits comme profondément liés à la France qu’ils sont obligés de quitter : leur départ n’est pas un choix mais une obligation de conscience. L’amour pour le royaume et pour les Cévennes, terre natale d’Ambroise Borely, reste intact : le héros ne se résout à partir que lorsqu’il comprend qu’aucune possibilité de vivre décemment dans sa patrie ne lui est laissée. Une fois installé à Londres, et alors « qu’il gagna en quelques années des richesses considérables13 », il souhaite revenir car « l’attachement » à la France reprend le dessus : il s’embarque « à Douvres, plein d’impatience de revoir sa chère patrie14 ». Le patriotisme réformé s’accompagne d’un discours profondément respectueux de la monarchie : les huguenots sont attachés à leur roi comme à leur patrie tout au long du roman. Il y a, on le voit, un prolongement de l’écriture homilétique et de la narration romanesque. La meilleure preuve étant l’intégration, dans l’édition de 1788, de passage d’un sermon de 1776. En effet, Le Vieux Cévenol s’inspire très parcimonieusement de passages bibliques jusqu’à la troisième édition (1788), période à partir de laquelle Rabaut Saint-Étienne n’exerce plus de ministère pastoral régulier à Nîmes. C’est à ce moment qu’il remanie le chapitre xvi, « Ambroise va au prêche », pour y introduire des passages du Sermon sur les avantages et la nécessité du culte public15. En 1776, c’était un discours de chaire exhortant à la persévérance religieuse et à l’assiduité au culte, destiné à lutter contre la tiédeur des pratiques collectives et un sermon théologico-politique poussant la réflexion sur les pouvoirs du monarque en termes de conscience. Dans l’édition de 1788, la troisième et dernière du vivant de son auteur, il devient un texte de justification du culte public réformé face aux arguments classiques qui consistent à prôner la pratique du culte domestique ou privé.
8Il y a donc un prolongement entre l’écriture du roman historique et celle des sermons, concordance, en particulier sur des notions qui touchent la res publica. Bien entendu, ces éléments vont dans le sens d’une défense de la cause réformée : l’objectif de Rabaut quand il rédige Le Vieux Cévenol est de « faire sentir l’absurdité barbare des lois portées contre les protestants de France16 ». Il est las de voir la politique répressive inchangée et, finalement, c’est l’opinion du pasteur qu’il faut lire lorsqu’il fait dire à son protagoniste le décalage entre les idées philosophiques publiées en France et la réalité du royaume :
« Je vois, messieurs, que j’ai été bien trompé, lorsque j’ai jugé de ma patrie d’après les livres qui passaient la mer, et que je lisais à Londres. Tant de philosophie et d’humanité, dans les discours, m’avaient persuadé que j’en trouverais dans les actions. Et, cependant, je vois que les protestants sont toujours sujets à des lois impitoyables17. »
9L’écriture de l’histoire protestante, le recours à la temporalité de la souffrance humaine à travers l’histoire romancée de ce personnage imaginaire devient une narration qui doit convaincre de la nécessité de changer le futur de la société dans son ensemble. C’est donc un récit de défense de la cause huguenote qui est une écriture de combat pour un changement social. Le genre n’est pas le même que les sermons mais l’œuvre éducative n’est pas moins forte : le lecteur – et il espère particulièrement toucher le lectorat catholique modéré – doit acquérir la conscience qu’il en va de l’intérêt de l’État, de la France de réintégrer les protestants. Non seulement pour le bien-être des sujets qui ont comme seule particularité de ne pas professer la même religion que le monarque, mais aussi pour le bonheur du royaume. De la sorte, l’argumentaire s’appuie sur l’importance de la religion pour ordonner la société, tout comme cela se retrouvait déjà dans les sermons. Les assemblées religieuses ne doivent plus être vues comme des réunions qui contreviennent à l’ordre public et les protestants ne peuvent être assimilés à des rebelles :
« Nos assemblées ne sont que des attroupements et, ce qui prouve qu’elles n’ont rien de séditieux, c’est que nous y admettons les femmes, les enfants et les étrangers. Elles ne sont suspectes au gouvernement que parce qu’il le veut bien. Qu’il les tolère, qu’il les autorise, que les chrétiens du dix-huitième siècle nous accordent ce que les chrétiens du second demandaient aux empereurs et ces assemblées ne seront que le rendez-vous de gens simples et pieux qui prient, en français, pour leur patrie et pour leur roi18. »
10C’est ainsi que le chapitre xvi du Vieux Cévenol renvoie à cette association du culte public, de la police et de la justice afin de permettre qu’advienne une société paisible, adoucie. Tels sont les garants d’un partage tranquille de l’espace commun sans tenir compte de l’appartenance religieuse des citoyens. Le lien entre le bonheur de l’État et la religion devient pleinement opérant, celle-ci étant nécessaire et associée à un bonheur à venir. La tolérance religieuse devient un impératif de saine gestion politique. Le pasteur devenu romancier poursuit ici une réflexion sur la res publica autour de la question du partage de l’espace public identique à celle qu’il a pu déclamer en chaire. Une continuité de pensée qui se lit également dans l’écriture Le Précis de l’histoire de la Révolution française.
Écrire l’histoire de la Révolution française : pour le bien commun national
11Bien que la nature de l’ouvrage soit différente, bien que la cause du protestantisme soit absente du livre, la tonalité générale est la même dans le Précis de l’histoire de la Révolution française.
12Le titre de la première édition, Almanach historique, correspond à un choix éditorial qui répond à la mode des almanachs, genre littéraire très populaire, en particulier pendant la période révolutionnaire. L’Almanach de Rabaut fait alors partie des almanachs politiques qui ne sont en rien une nouveauté du temps puisque, dans la Grande Encyclopédie de Berthelot, l’article « Almanach » en attribue l’idée à certains pamphlétaires du début du xviiie siècle. Mais il est certain que l’effervescence des événements du début de la Révolution devient propice à une rencontre entre écriture historico-politique et ce genre de support populaire qu’est l’almanach. Des historiens ont relevé comment ce type de publication se métamorphose en « instrument de propagande » et, à partir de 1790, « le paysage naguère paisible des almanachs tend à se transformer en un champ de bataille politique19 ». Les almanachs politiques s’insèrent ainsi dans un débat précis, généralement divisés en deux options : pour ou contre la Révolution. Ici, nous nous situons dans la première catégorie alors que l’Almanach de Rabaut se présente comme un manuel à l’usage des patriotes, soucieux d’avoir une vision des événements des années 1789-179120.
13La volonté d’ancrer dans un engagement politique et dans une écriture de propagande se perçoit également dans les six gravures de l’ouvrage, réalisées d’après des dessins de Jean-Michel Moreau21. Chacune d’elle participe de ce projet éditorial patriote. La première (illustration 19) déploie un frontispice avec un tableau allégorique et une maxime philosophique : « Il vient après mille ans changer nos lois grossières », phrase extraite d’une tragédie de Voltaire, le Fanatisme ou Mahomet, parue en 1736.
14Remarquons rapidement l’importance donnée à la loi dans l’ouvrage, dès le frontispice donc, de même grâce à la liste des décrets qui accompagne l’édition. La nomophilie de l’auteur, commune à l’univers éclairé du temps, n’est sans doute pas étrangère à cela. La loi présentée n’apparaît cependant pas comme immobile, immuable : elle se pense en mouvement, en train d’être changée (comme l’indique la gravure), en train de s’élaborer (comme l’attestent les décrets présents en annexe de l’édition). Là encore, il faut se référer à la personnalité de Rabaut Saint-Étienne qui, en tant que pasteur réformé puis émissaire secret des protestants à la mort de Court de Gebelin, s’est battu pendant de nombreuses années pour faire changer la loi à l’égard de ses coreligionnaires. Il avait déjà écrit l’importance à reconnaître les protestants dans ses sermons, l’impératif de la modification de la loi dans son ouvrage Le Vieux cévenol. Il demeure, une fois dans le cours de la Révolution, particulièrement sensible à une incarnation d’un changement de société par une évolution législative. Un dernier point à relever de ce frontispice est la présence de la sentence philosophique qui renvoie à la figure tutélaire prisée de Voltaire lui-même, personnage emblématique pour le protestantisme du second Désert – depuis l’affaire Calas22. Les écrits de Voltaire sont d’ailleurs présentés dans le Précis comme à l’origine du mouvement révolutionnaire : « Le protecteur infatigable [Voltaire] des malheureux aimait la liberté, parce qu’il aimait avec passion l’humanité. Tous les principes de la liberté, toutes les semences de la révolution, sont renfermés dans les écrits de Voltaire23. » Après cette gravure « philosophique », les cinq autres présentent une tonalité plus événementielle et s’égrènent au fil de la narration : la première s’affirme symbolique (prise de la Bastille), deux se veulent réconciliatrices (serment du jeu de Paume et fête de la Fédération), les deux dernières révèlent la centralité de la personne du roi24. Ce corpus iconographique est celui d’une révolution qui s’expose, qui est fraternelle, monarchique et régénératrice. La seconde édition de l’ouvrage a lieu dès 1792. Il y a cependant des changements dont le premier est le titre. L’Almanach est remplacé par le Précis de l’histoire de la Révolution française. En cela rien d’étonnant : l’ouvrage a connu un réel succès et le récit historique suffit à être le « produit d’appel25. »
15Les objectifs de Rabaut résident donc dans cette écriture « à chaud » de l’histoire avec le désir de « tracer un tableau rapide de la révolution comme on décrit un combat le lendemain du jour où il a été donné26 ». C’est une écriture de défense de la Révolution et de ce qu’elle a pu apporter. Elle est une manière pour lui de témoigner, de donner sa vision de l’événement. Mais il le fait avec un regard particulier du « témoin participatif » qu’il a été en tant que député et qu’il souhaite toujours être sans être membre de la Législative. Il a été acteur des débuts de la Révolution, témoin direct et, alors qu’il n’appartient plus à aucune assemblée révolutionnaire, il ne peut rester simple spectateur et, avec lui, aucun protestant ne doit l’être, semble-t-il. Participer aux changements, les initier et les expliquer fait ainsi partie des missions qu’il doit réaliser. L’écriture de ce Précis devient une continuation de son action dans la défense de l’égalité, de la liberté et de la fraternité, non plus en tant que pasteur lorsqu’il rédigeait ses sermons, non plus en tant qu’homme politique quand il participait à l’élaboration de la loi, mais comme citoyen protestant. Cette écriture de l’histoire de la Révolution s’inscrit comme un engament politique et citoyen tout aussi fort, car cet ouvrage lui permet de remplir une mission éducative : il montre ce qu’a été la Révolution par des faits qu’il estime vrais et il expose ce qu’il faut en retenir.
16Cela se retrouve de manière éclatante dans le livre 1, qui explique les causes de la Révolution, et dans le livre 5, qui en présente les apports, à l’exemple de cette phrase : « La puissance de la révolution française résistera par elle-même à tout, car elle est l’ouvrage des siècles, de la nature, de la raison et de la force27. » C’est ainsi une écriture bilan de l’histoire immédiate et de l’engagement politique – de son engagement politique – une façon de répondre à la question des raisons de cette action publique. D’autant plus que le Précis indique : « La constitution est faite, et le moment est venu où l’on peut écrire l’histoire de la révolution28. » Le livre 5 représente, à ce titre, un inventaire des apports de la révolution, une justification aussi des actions menées par l’ensemble des acteurs (clergé, noblesse, peuple, roi, presse, assemblée, parisiens, étrangers…). L’histoire de la Révolution telle que présentée par Rabaut Saint-Étienne peut être vue comme un « code29 » politique, philosophique et social dont l’articulation s’explique en partie par l’origine – confession et formation – de l’auteur de cette histoire. Ainsi, des éléments de ces différents registres ressortent dans le cours du récit historique. D’une part, le profond attachement à la monarchie. Le rôle important que doit jouer le monarque dans les institutions fait écho au loyalisme réformé constant à l’égard du roi durant tout l’Ancien Régime. Avec la Révolution, sous la plume de Rabaut Saint-Étienne, le régime politique ne peut être autre que celui donné par la Constituante car la république ne peut convenir30. D’autre part, se retrouve également l’importance de l’héritage des Lumières dans cette histoire révolutionnaire. Ici, cela s’explique par la formation lausannoise du pasteur et, en particulier, l’orthodoxie raisonnée enseignée par les théologiens suisses Jean-Alphonse Turettini et Jacob Vernes, dans le Séminaire qui fournit alors tous les ministres au Désert français. Enfin, égalité et liberté sont les socles de la société révolutionnaire et, là encore, il est possible d’y voir un prolongement de son combat ancien pour la défense de la cause réformée autour de l’égalité civile et la liberté de culte et de ses nombreuses prises de parole en chaire.
17Mais la Révolution n’est pas un « code » à concevoir au même titre que l’histoire de l’Ancien Régime. Tout d’abord, car son histoire ne fige pas dans le passé : elle est tout le contraire, elle est rupture radicale. Cette histoire de la Révolution devient l’incarnation même du changement et il y a, de fait, une tension dans l’écriture de Rabaut entre son souci de modération constant et une valorisation permanente de la radicalité révolutionnaire qui s’incarne dans l’idée même du changement. Le lexique en ce sens est omniprésent en particulier dans le dernier livre, celui des apports de la Révolution où « tout est changé » répète-t-il, posant ainsi la Révolution française comme un objet unique en soi, sans équivalent : « L’histoire ne présente aucun exemple d’une révolution intérieure pareille à celle de la France venoit d’éprouver. Elle n’avoit qu’un seul principe ; c’était de réformer les abus. Mais comme tout étoit abus dans cet empire, il en résultat que tout fut changé31. » Se pose, dès lors, la question de la fin de ces changements socio-politiques. L’histoire de la Révolution est finie affirme-t-il dans le Précis, faisant de son ouvrage l’histoire de la Constituante32. Mais, dans les Réflexions politiques sur les circonstances présentes qui lui sont associées et présentées « pour servir de suite au Précis de l’histoire de la révolution françoise » (dès la deuxième édition), il ouvre bien d’autres perspectives en expliquant que la révolution reste à faire : « Réflexion XII – La France n’a pas fait sa révolution, mais elle l’a commencée. » La Constituante est ainsi le début de la révolution qui, logiquement, elle, n’est pas terminée : « Réflexion XXXIV – La révolution sera peut-être finie par un homme, mais elle devait être commencée par tous. »
18L’historien – homme politique – protestant qu’est Rabaut Saint-Étienne éprouve le sentiment que cette histoire de la Révolution, histoire du temps présent changeant, plus qu’histoire du passé, est le début de quelque chose de nouveau. Cependant, la nouveauté trouve une causalité dans le passé et s’inscrit dans une linéarité historique, certes faite de ruptures, mais aussi de continuités attendues. Rabaut Saint-Étienne l’exprime d’ailleurs dans son ultime Réflexion, la soixante-troisième : « L’histoire de la révolution de France est un recueil de prophéties. » Ce mot même de « prophéties » sous la plume d’un ancien pasteur reste le signe qu’il balance entre une expérience chrétienne du temps (tournée autour de l’attente d’un futur) – et nous avons vu à quel point les prophéties sont importantes dans la famille Rabaut – et la conscience d’un nouvel ordre du temps où le passé n’est plus le fondement ou l’éclairage pour l’avenir. D’où sans doute les hésitations de son écriture et de sa pensée, entre une Révolution terminée ou à finir, entre une modération à préserver et une radicalité à utiliser, flottements qui demeurent autant d’indices d’une histoire de la Révolution française complexe à appréhender.
19L’écriture pastorale, celle des sermons, trouve à travers la figure de ce pasteur nîmois des prolongements dans d’autres écrits sans connotation religieuse première ; et même s’il ne prêche plus à partir de ses débuts politiques, il poursuit son œuvre pédagogique ; et sa volonté de façonner la société, selon les principes qui étaient ceux déployés en chaire pour parler de la « chose publique », demeure intacte.
Les discours et actions politiques des pasteurs durant la Révolution française
20Les pasteurs peuvent-ils être amenés à dépasser le strict cadre de la chaire dans leur action ? Alexandre Vinet, dans sa Théologie pastorale, répond à cette question de manière simple. Se fondant sur Talleyrand qui expliquait que la théologie était le meilleur apprentissage pour la diplomatie, il ouvre son propos expliquant qu’il est des « temps [qui] peuvent imposer, des devoirs différents » aux ministres33. Toutefois, il condamne assez rapidement la participation à la vie politique des pasteurs, expliquant qu’il y a trop de distance entre la politique et la vie pastorale34. Il reprend une citation de la préface de A discourse of the pastoral care de Gilbert Brunet (1643- 1715), qui fut évêque de Salisbery après avoir participé à la Glorieuse révolution35. Le jugement négatif que porte ce pasteur sur le mélange entre politique et religion alors que lui-même a pris part à des événements politiques importants de son pays, sert à Vinet pour conclure avec prudence : « En résumé, ne condamnons point d’avance toute extension du ministère, ni ne prétendons marquer la limite : nous croyons qu’il est susceptible, selon les temps, d’une extension indéfinie ; mais ces temps ont leurs signes, qu’il faut savoir attendre et discerner36. »
21Nous avons déjà évoqué le cas d’Athanase-Charles Coquerel dans la première partie de cette enquête, attardons-nous ici sur une période charnière de notre période : celle de la Révolution française. Elle peut en effet correspondre « aux temps » qui impliquent une participation politique des pasteurs. La libération de la parole que constitue la Révolution oblige à se demander si les pasteurs ont pris la parole sur la chose publique à d’autres occasions que leur prêche, s’ils ont choisi d’autres moyens pour œuvrer dans le sens du bien commun par la participation à l’action politique de leur pays. Peut-on voir à travers quelques fragments de discours ou d’actions pastorales politiques le prolongement de paroles prononcées en chaire ou une rupture avec le passé pastoral de ces hommes ?
Quelques fragments de discours pastoraux… nationaux et locaux
22Avec le cas déjà évoqué de Rabaut Saint-Étienne nous savons que certains ministres ne se sont pas limités à la parole en chaire pour aborder les questions qui touchent à la res publica au sens large de ce mot. La participation politique des protestants et notamment des pasteurs dans la Révolution est visible tout d’abord du point de vue de leur présence dans les assemblées révolutionnaires. À l’Assemblée nationale constituante, de juillet 1789 à septembre 1791, sur les 1200 députés, 17 sont protestants et un seul est pasteur (Rabaut Saint-Étienne). Cette première instance révolutionnaire est remplacée par l’Assemblée législative, dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle assurée par la première constitution française du 3 septembre 1791 : on trouve alors – sur les 745 députés – 20 personnes de confession protestante dont 2 pasteurs (Alba-Lasource et Jay). Puis, avec la Convention nationale, à partir de septembre 1792, 36 des 749 membres sont protestants dont 9 pasteurs. Sur les 77 protestants des trois premières assemblées, 10 sont ministres de leur état, même s’ils n’apparaissent pas en tant que tel. Ensuite, vient le temps du Directoire – de 1795 à 1799 – avec le conseil des Anciens (chambre haute qui comporte deux pasteurs, Bassaget et Rabaut-Pomier) et le conseil des Cinq-Cents (chambre basse avec les ministres protestants Bassaget et Cunier)37.
23Dix pasteurs participent au moins à une des trois premières assemblées38 et nous pouvons nous arrêter sur quelques figures pastorales pour comprendre que l’expression de la recherche du bien commun ou l’attention à des éléments constitutifs de ce que l’on a nommé la res publica s’expriment également dans ce cadre. Et donc qu’il y a eu, pour certains d’entre eux, la poursuite, hors de la chaire, de thématiques qui les a occupés face à leur auditoire protestant. Un premier exemple en ce sens est celui d’un discours, célèbre, prononcé au sein de l’assemblée nationale par Rabaut Saint-Étienne, le 23 août 1789. Le contexte est connu, il s’agit des discussions qui tournent autour de la proposition de l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, faite par le comte de Castellane39 et en réaction à l’amendement proposé par l’abbé Dillon, « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses, pourvu qu’elles ne troublent pas l’ordre public40. » Rabaut prononce un discours dans lequel figure un article postulant une totale liberté de conscience et une absolue liberté de culte41. S’il le fait c’est parce qu’il s’agit « d’une mission sacrée », parce qu’il se doit de porter la parole de ses « Commetans » protestants de la sénéchaussée de Nîmes, parce que refuser ce qu’il demande c’est « faire aux autres ce que vous ne voudriez pas qui vous fût fait ». On retrouve, ici, les accents de sa parole de chaire. On les aperçoit encore alors qu’il décrit la situation des huguenots, expliquant que l’édit de 1787 ne va pas assez loin, accordant « ce qu’on n’a pas pu leur refuser ». Mais il parle, et il le répète, « pour tous les non-catholiques du royaume », signe de mise en exergue du lien social au-delà de la religion professée, là aussi, idée maintes fois rappelée dans ses sermons. Car « en déclarant que tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux[, ] les droits de tous les Français sont les mêmes, tous les Français sont Égaux en droits ». Les arguments sont les mêmes que lorsque les pasteurs déclamaient l’importance du culte public protestant et l’absence de danger à le laisser se dérouler dans le royaume. La parole dans la tribune retrouve celle de la chaire. Un autre pasteur montre aussi un prolongement d’une parole protestante dans le registre politique, il s’agit d’Alba-Lasource qui prend la parole, le 25 août 1792, pour défense les prêtres réfractaires et déclare : « Je m’étais imposé la loi de ne jamais prendre la parole lorsqu’il s’agirait de religion et de prêtres – étant moi-même prêtre d’une autre religion – cependant, je parlerai dans le moment et mon opinion ne sera pas suspecte42 », mettant ici en pratique l’idéal de fraternité chrétienne prêchée par les pasteurs d’Ancien Régime.
24D’autres pasteurs prennent la parole non plus à l’Assemblée nationale mais à l’échelle locale, toute aussi importante pour les événements politiques du temps. Simon Lombard, pasteur de Bousquet dont nous avons déjà parlé, s’exprime également dans d’autres contextes que la chaire sur cette thématique de la chose publique. Il abdique ses fonctions de pasteur, le 29 ventôse an II. L’abdication a été imprimée avec celle du prêtre de Beaucaire, Olien. Ce texte, convenu, éclaire toutefois sur l’importance de la perspective collective du bien public et de l’intérêt général qui animait le pasteur jusqu’alors :
« J’ai prêché les vertus sociales […]. J’ai cru devoir discontinuer ces mêmes fonctions lorsque le bien général m’a paru l’exiger. […] Maintenant, […] pour achever de me conformer à l’ordre public que tout vrai Républicain doit respecter et observer exactement, je vous déclare que je ne suis plus pasteur et que je rentre dans la classe générale des citoyens43. »
25Vertus sociales, bien général, conformité à l’ordre public, respect à la loi… des termes que les sermons rappelaient à l’envi. Sa fidélité reste intacte alors qu’il ajoute « vous me verrez toujours, comme auparavant, tout dévoué à ma Patrie, plein d’affection et de zèle pour une parfaite régénération ». Il rédige alors un poème en patois languedocien, en cinq chants, la Jhalësade, qui lui permet de montrer son attachement à la République : l’histoire relate la tentative avortée d’une réaction royaliste et catholique, la « Fédération de Jalès44 ». Il publie également une poésie, toujours en patois, Pierre de Miremont, carbougné de Tardre, à Matthiou Bouscaren, carbougné dou Serre de Gaffe, épître populaire qui permet à l’auteur de vanter les premiers événements de la Révolution. Ces productions écrites, même si elles sont modestes en termes de diffusion et de qualité, sont complétées par des prises de paroles qui indiquent une continuité dans son discours sur la chose publique et les activités qu’il mène alors se placent dans une perspective civique certaine ; jusqu’en février 1796, il est officier municipal, commandant de la garde nationale, assesseur du juge de paix45… Ainsi, il prononce, à Bouquet, un Discours sur les droits naturels de l’homme et du citoyen, le 11 novembre 1794, puis, le 20 mars 1798, un Discours à l’occasion de la Fête de la Souveraineté de la Nation française, déclamé devant l’autel de la Patrie, dans la commune de Garrigues46. Les deux documents, manuscrits, indiquent que la parole de Lombard – qui n’est plus pasteur lors du premier discours mais qui a repris ses fonctions pastorales, à l’occasion du second, bénévolement et en tant que simple citoyen puisque les cultes ne sont pas rétablis – reste toujours attentive à l’intérêt général, au bien public, à la chose publique. Dans le premier texte, il commence par rappeler l’origine commune des hommes qui ne constituent qu’une famille et ont tous les mêmes droits ; il rappelle que la souveraineté appartient au peuple ou à la nation et ajoute : « Ainsi l’homme citoyen, ne doit jamais cesser d’être libre ; il doit l’être même plus surement que l’homme dans l’état de nature47. » Liberté et égalité, respect à la loi et à l’autorité, séparation des pouvoirs législatif et exécutif sont donc les privilèges d’un peuple libre. Ces éléments étaient ceux que l’on trouvait dans sa parole de chaire sur la chose publique. De la même manière, il revient sur le temps passé, celui du despotisme, du pouvoir féodal, celui de l’absence de constitution qui faisait que « le peuple était dans les fers » et connaissait un « sommeil politique48 ». On ne peut s’empêcher de penser aux longues descriptions de l’asservissement de la communauté huguenote en temps de proscription monarchique. Enfin, il justifie toutefois l’usage de la rigueur politique dans la particularité de la situation :
« Comme nous sommes encore en Révolution, le gouvernement de la France est encore Révolutionnaire et il le sera jusqu’à la paix. Cela est dans l’ordre des choses, aux maux violents, il faut des remèdes prompts et vigoureux. La Patrie délivrée de plusieurs grands dangers, allait encore périr. C’est encore l’énergie de la Convention nationale qui la sauvée et ce salut qu’elle travaille à consolider elle l’affermira de plus en plus. Elle remplira nos vœux et nos espérances. Parce qu’elle a pour base la justice, pour règle la sagesse, pour but le maintien des droits de l’homme et du citoyen, le maintien de l’unité et de l’indivisibilité de la République et pour fin le bonheur et la gloire du Peuple Français49. »
26Il rappelle donc les principes de la Convention afin que les citoyens ne fassent qu’un avec elle : « Elle et nous, tous à la chose publique, toujours unis toujours puissamment soutenus, elle par nous et nous par elle. » Et parmi les dernières phrases du discours résonnent des paroles qu’un pasteur ne renierait pas : « Nous verons partout le désordre réprimé, le mal disparaître et le bien germer, s’accroitre et s’étendre de toutes parts50. »
27Le second discours, prononcé en mars 1798, est en fait identique, ou presque, au premier concernant les 6 premières pages51. On retrouve ici l’habitude des orateurs en chaire de recycler les textes qu’ils prononcent. Lombard a cependant adapté les éléments au contexte de 1798, pour ce qui regarde notamment les ennemis de la République et de la Constitution. Ainsi, en 1794, les ennemis étaient nombreux, même si tous matés ou en voie de l’être : « Les despotes coalisés qui nous font la guerre », un « nouveau Cromwel [sic], un hiprocrite profond » (il désigne Robespierre) et ses partisans « faux amis du peuple […] ces corbeaux des tribunes, éternels croasseurs de l’incarnation du sang et de la guillotine », enfin, les partisans du « royalisme, aristocratisme et du fanatisme ». En 1798, les choses paraissent plus simples car « il ne nous reste que l’insolente Albion ». En revanche, les ennemis du dedans sont « non moins dangereux & non moins redoutables [ : ] le Royalisme et l’Anarchie ». Il n’hésite pas à utiliser un mot plutôt inhabituel dans la bouche d’un orateur qui se retrouve également en chaire, celui de « haine ». Mais il le décline différemment en fonction des idées et des hommes qui les portent : « Haine donc au Royalisme ! Haine à l’Anarchie ! Quant à leurs partisans, je ne dis point qu’il faille les haïr, mais il faut les surveiller, il faut sagement les écarter des places de l’autorité. » Car, rappelle-t-il, ces places doivent être occupées par des « patriotes, francs, bien reconnus, éclairez, judicieux et probes ». Une autre adaptation est l’introduction dans le texte de 1798 de mention religieuse, évidemment impossible en 1794. Ainsi, les droits de l’homme ont été retrouvés, rappelle Lombard dans les deux textes, mais il indique aussi qu’ils viennent de « l’Auteur de la nature, que c’est sa main qui les a gravés sur la table de nos cœurs ». Ces prises de paroles locales poursuivent, quand elles le peuvent, avec des mots parfois plus spécifiquement empruntés au registre du politique, des idées que les pasteurs ont pu déployer en chaire52.
28Il y a cependant parfois des discontinuités dans les prises de parole pastorales entre la chaire et les autres lieux ou modalité d’expression. On peut ainsi être surpris de la position de Rabaut Saint-Étienne lors débats sur le projet de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen alors qu’il déclare « les droits que les hommes apportent dans la société, se rapportent à ces trois : liberté, égalité, propriété53 ». On s’attendrait à trouver plutôt la fraternité, même si cette dernière est, nous l’avons dit, plus tardive. Certains ont expliqué cette position par le passé huguenot du député, marqué par les expropriations et difficulté économiques. Une autre discordance, plus forte, peut s’observer dans les prises de positions pastorales autour procès de Louis XVI. À ce moment-là, dix anciens pasteurs sont dans la tribune : Alba-Lasource, Jean Julien, Rabaut-Pomier, Rabaut Saint-Étienne, Louis Bernard, Georges Danzel, Jean Jay, Jean-Louis Lombard, Jean-Gottard Grimmer et Jeanbon Saint-André. Nous verrons que le discours de ce dernier à cette occasion révèle une rupture importante dans une parole de chaire qui, au nom de l’intérêt général et du bien public, n’a cessé de clamer la fraternité, favorisé la modération, valorisé l’amour du prochain… éléments aux antipodes de la peine de mort demandée par certains pour le citoyen Capet. Mais, il s’agit pour les pasteurs qui votèrent en faveur de l’exécution du monarque – ils sont quatre : Jay, Jeanbon, Julien de Toulouse et Alba-Lasource54 – d’ôter la vie à une personne jugée traite à la nation. L’intérêt supérieur de l’État entre toujours dans l’argumentaire, mais il peut difficilement être conciliable, dans le résultat, avec une parole chrétienne.
29Continuité ou rupture, ces discours pastoraux révèlent parfois, on le voit, les ambiguïtés présentes qui affleurent durant la période révolutionnaire. Elles s’expriment notamment dans le parcours d’un pasteur, en poste à Montauban puis Castres jusqu’en 1792, André Jeanbon Saint-André.
De la chaire à la tribune : Jeanbon Saint-André, pasteur et membre du Comité de Salut public
30Une ultime figure pastorale mérite d’être suivie dans ses prises de parole et actions sur la « chose publique », il s’agit de Jeanbon Saint-André (1749-1813). Ministre de son état officiel au moment où débute la Révolution – il a auparavant eu une carrière d’officier de la marine – les engagements politiques de ce pasteur peuvent être étudiés – et ont fait l’objet de travaux parfois fort anciens55 – car il reste un nombre conséquent de sources écrites par ce ministre. Jeanbon Saint-André entre dans l’action politique nationale à partir de septembre 1792, avec son élection à la Convention. Mais son engagement politique ne se mesure pas qu’à cette échelle et, dès avant 1792, son action est visible à l’échelon local de la vie politique.
31Consacré pasteur le 20 avril 1773 et, l’année précédente, le colloque général de la province du Haut-Languedoc ayant autorisé les Églises de Castres, Roquecourbe et Réalmont à faire venir un nouveau ministre, le Consistoire de Castres décide d’adresser un appel à André Jeanbon. Il est officiellement reçu en tant que ministre de la ville, le 28 mai 1773. Quelques années plus tard, en opposition avec son consistoire, Jeanbon demande son congé, pour un an, et disparaît de la scène publique, de mai 1780 à avril 1781. À son retour, en novembre 1781, les différends ne sont pas réglés et Jeanbon démissionne une nouvelle fois et, s’il reste en poste jusqu’au 8 octobre 1783, il disparaît ensuite pendant plus de cinq ans. Ce retrait caractérise l’intransigeance de Jeanbon quant aux idées qui sont les siennes ; il ne s’accommode pas de situation dans lesquelles il ne se retrouve pas. Ainsi, dans une lettre à Paul Rabaut en avril 1782, il indique : « Ne pouvant maintenir l’ordre dans l’Eglise, l’inutilité de mes soins m’impose la loi de ne songer désormais qu’à mon repos56. » Ce retrait montre l’homme d’action qu’est Jeanbon : il écrit à Rabaut Saint-Étienne, le 16 mai 1788, qu’il a passé « six années dans la plus absolue inutilité57 ». De fait, si la carrière pastorale de Jeanbon ne correspondait pas initialement à un zèle religieux ardent, elle doit se lire comme un moyen d’être utile à la société en accompagnant les fidèles, en les conseillant, en les guidant.
32Il paraît même avoir joui d’une autorité réelle, même si des tensions internes – fréquentes dans ces Églises du second xviiie siècle – ont brisé ses élans. Rapidement après sa prise de fonction, il se fait ainsi nommer délégué au synode provincial dont dépend l’Église de Castres, celui du Haut-Languedoc ; il est chargé par le synode de la correspondance concernant les affaires les plus compliquées. Réussissant dans ses fonctions, le synode provincial le délègue, en 1776, pour le synode national (mais il ne se tiendra jamais, comme tous les autres, depuis 1763). Il montre donc une volonté de s’impliquer dans les affaires des Églises, dans les affaires collectives et ne reste pas un pasteur qui se contente uniquement de ses tâches ministérielles. D’ailleurs, pendant sa période « d’inaction », il a produit une brochure intitulée Considérations sur l’organisation civile des Eglises protestantes. Il est difficile de dater ce texte, mais il est sans doute rédigé vers 1787, au moment où se jouent les discussions autour de la question protestante. Il n’est pas le seul à écrire sur ce qu’il serait souhaitable de faire pour les communautés protestantes. D’autres pasteurs « éminents » se livrent à cette activité, comme son ami Rabaut Saint-Étienne. Cela indique indéniablement son intérêt pour les liens entre le religieux et le politique. Les Considérations sont l’œuvre d’un homme attentif à l’actualité législative, et il y analyse quelle organisation civile l’État doit offrir aux Églises, ainsi que les rapports à établir entre elles et lui. On y trouve encore des réflexions sur les idées qu’un gouvernement doit de préférence entretenir dans l’esprit de ses administrés, les procédés à rejeter et certaines de ses idées sont une réflexion autour de l’exercice du pouvoir politique. Il prône, dans ce texte, un retour à l’ordre des Églises en les soumettant à l’État, maître de la formation des pasteurs, chargé de leur nomination et leur déposition, tandis que les actes consistoriaux et synodaux sont validés par lui. Jeanbon manifeste ici une confiance totale dans le roi, Louis XVI, en lui confiant des fonctions capitales d’administration et de contrôle qui auraient pu pourtant favoriser une reprise des persécutions. Les lois de germinal an X ne se sont évidemment pas inspirées des Considérations, puisque ce texte demeure inconnu du public jusqu’à sa publication en 1848 par Michel Nicolas, mais le système napoléonien d’organisation du culte protestant emprunte la direction indiquée par Jeanbon. Donc, dès son ministère, il est un homme d’action et durant sa carrière sacerdotale à Castres, il montre des qualités pratiques réelles. Il retrouve un poste de pasteur, à la faveur de l’édit de 1787 et, en juillet 1788, il est nommé ministre dans sa ville natale, Montauban. C’est à partir de cette date que son arrivée dans l’action politique se fait. De manière graduelle toutefois.
33En effet, l’entrée en politique de Jeanbon est progressive mais il parvient au plus haut du pouvoir politique pendant un temps, homme de terrain avant tout et, en tant que tel, soumis aux difficultés et à la fatigue de l’exercice de la fonction publique d’État. Entre 1789 et 1792, Jeanbon devient l’homme politique le plus en vue de sa ville natale et se fait élire par le département du Lot député à la Convention nationale. Un événement local provoque chez lui une réelle prise de conscience politique. Il s’agit des émeutes de 1790 qui secouent plusieurs villes méridionales du royaume dont Montauban58. Entre le 10 et 29 mai, des violences se produisent entre royalistes et révolutionnaires, oppositions qui croisent les différences religieuses catholiques et protestantes. Le pasteur est obligé de fuir pour Bordeaux car il devient l’objet de la haine contre les protestants et sa vie est en danger59. Dans les lettres qu’il adresse alors au consistoire, il leur demande de tenir bon face aux adversités et, pour la première fois de son existence, il se mêle de politique active se liant, à Bordeaux, avec de nombreux girondins. C’est à son retour à Montauban, en décembre 1790, qu’il va véritablement participer à la politique municipale comme membre du conseil de ville et du club des Amis de la Constitution. Le 3 avril 1791, il fait ses débuts dans ce club révolutionnaire et, le 24 juin, il en est élu président. Cette structure aide les pouvoirs publics à organiser ses permanences, à défendre l’ordre public, à désarmer les suspects et Jeanbon charge les comités de la société de prendre tous les renseignements dans les villes voisines. Sa position est de s’aligner sur les décisions de la majorité de la Constituante, s’affirmant comme homme de gouvernement et d’administration (il intervient pour les questions d’impôts, de ravitaillement, de surveillance des prêtres réfractaires). La présidence de ce club local lui permet de se faire connaître à Paris mais, malgré sa notoriété, il échoue à se faire élire à la Législative à l’été 1791 ; il rebondit toutefois assez rapidement en entrant dans le corps de la municipalité, suite aux élections du 13 novembre.
34Son mandat municipal peut alors être divisé en trois périodes. Jusqu’en mars 1792, il reste à Montauban où il joue à la fois un rôle politique et administratif. À partir du 3 avril 1792, il arrive à Paris, muni d’un mandat de « député extraordinaire » de la ville, il y restera jusqu’au 12 juillet. Ensuite, tout en s’associant aux mesures de défense nationale et de salut public, il prépare surtout les élections à la Convention nationale. Il est élu le 5 septembre 1792 et, le 15, il obtient un congé du consistoire, de la municipalité de Montauban et du club. Il s’installe, le 22 septembre, à Paris. Il n’arrive pas naïf par rapport à l’action politique comme l’indique cette lettre d’avril 1792, dans laquelle il fait une critique sévère de l’Assemblée : « Quelles leçons le peuple pourrait prendre sur le choix de ses députés s’il était à portée de tout voir ! Vous vous rappelez, sans doute, ces deux vers de Voltaire : “J’adore, Dieu puissant, ta sagesse profonde, Mais à quels ignorants as-tu livré le monde”60. »
35Jeanbon Saint-André est actif alors que le contexte est difficile car, depuis avril 1792, la France est en guerre contre l’Autriche, la Prusse et le Piémont-Sardaigne. Les relations diplomatiques entre la France et l’Angleterre sont rompues après l’exécution du roi Louis XVI et de son épouse Marie-Antoinette. Le 1er février 1793, la France déclare la guerre à l’Angleterre, aux Provinces-Unies, à l’Espagne et à plusieurs États italiens. Le péril est extérieur pour la République, il est aussi intérieur avec la Vendée et les Fédéralistes. À Paris, l’ancien pasteur passe son temps aux séances de la Convention, aux comités. Membre des Jacobins, il a facilement l’accès de la tribune et, il intervient dans les débats. Son éloquence, d’abord taxée de bavardage par ses ennemis, s’étoffe progressivement. Dans ses écrits, plus que dans ses discours, il montre qu’il possède un certain sens de l’administration et ce que Daniel Ligou nomme « l’éloquence d’affaires » : il ne se perd jamais dans les énoncés théoriques et se fonde toujours sur le concret des événements.
36Assez rapidement toutefois, et c’est une des caractéristiques de son action politique pendant la Convention, il est envoyé sur le terrain. Tout d’abord, dans son département d’élection. Le 9 mars 1793, l’Assemblée décide de l’envoi de quatre-vingt-deux représentants dans les départements pour accélérer le recrutement de 300000 hommes nécessaires pour l’effort de guerre. Jeanbon est désigné pour parcourir en compagnie d’Élie Lacoste, député de Dordogne, les deux départements dont ils étaient élus. Comme Montagnard, il est élu le 12 juin membre du Comité de Salut public61, en charge de la marine. Ancien officier de marine, Jeanbon s’intéresse depuis 1790 aux questions relatives à la mer mais beaucoup de ses collègues ignorent son passé dans ce domaine : il est connu avant tout comme ancien pasteur. Ses prises de parole sur le sujet sont pourtant nombreuses et régulièrement publiées. En juillet 1793, il est élu président de la Convention et il repart le mois suivant, cette fois-ci avec Prieur de la Marne « aux armées du Nord, des Ardennes, de la Moselle et du Rhin ». Il s’agissait d’une mission d’observation, de contrôle de l’état d’esprit des troupes et celui de leurs chefs. Puis, après le Lot, la Dordogne et le Nord-Est, il est envoyé à Brest (le 22 septembre), de nouveau avec Prieur de la Marne, pour une nouvelle mission, longue cette fois-ci « auprès de l’armée navale commandée par le vice-amiral Morard de Galle pour y prendre telles mesures de salut public que les circonstances exigeraient » (la tâche essentielle était de sauver Brest et la flotte).
37Une fois la réorganisation de la marine brestoise effectuée, Jeanbon rentre à Paris, le 25 janvier 1794, et participe directement à une prise de décision symbolique : le 15 février, a lieu l’adoption dans la marine du drapeau tricolore aux trois bandes égales et verticales. Il remplace un pavillon blanc portant dans un coin les trois couleurs républicaines. Cette innovation était réclamée par les matelots, mais aussi par l’ensemble des patriotes. Mais Jeanbon Saint-André ne reste pas à Paris et repart immédiatement pour la Bretagne avec pour mission d’augmenter la puissance maritime de la France. En quelques mois, il déploie une intense activité administrative. Les historiens louent sa persévérance à insuffler une dynamique à l’administration maritime, attentif à sanctionner les défaillances mais ne ménageant pas son soutien à ceux dont il connaissait le dévouement et les qualités. Cette activité est couronnée par sa participation aux combats de Prairial et les opérations militaires qui ont finalement lieu le 1er juin 1794 font écrire à Jeanbon :
« Nous nous sommes battus pour sauver le convoi chargé de subsistance pour la République et nous l’avons sauvé ; il est mouillé en dehors de la rade de Brest, composé de cent seize navires, chargés à couler bas… Ainsi notre combat est une victoire et la plus belle que nous puissions remporter puisqu’elle assure la subsistance du Peuple62. »
38Cet épisode important est un des derniers de son ascension politique. Par la suite, il rencontre des difficultés, tout d’abord à Brest. Jeanbon s’était mis à dos une partie de la population qui lui attribuait, à tort, le verdict frappant les fédéralistes finistériens (c’était en fait une décision de Prieur pendant son absence). Il préfère quitter Brest et est à Paris, le 11 messidor (29 juin) puis part de nouveau pour Toulon, en juillet. Dans ce voyage, au moment des lois de Prairial qui instaurent la « grande Terreur » (juin 1794), il faut peut-être lire une évolution de son caractère. De manière progressive, il devient ce qu’il sera définitivement sous l’Empire, un haut fonctionnaire actif et lié par les exigences du gouvernement. Il reste sept mois à Toulon soit presque autant qu’à Brest. La ville n’était plus aux Anglais mais la situation en Méditerranée s’avérait difficile. Toutefois il opère à Toulon la même politique de « régénération », selon les mots du temps, qu’à Brest.
39À Paris toutefois, la situation évolue et il est à Marseille lorsqu’il apprend la chute de Robespierre (juillet 1794) mais, pour lui, cela ne marque pas la fin du régime révolutionnaire et il s’occupe des travaux de la marine marseillaise, fait mettre une frégate en chantier, décide l’établissement d’une « école d’hydrographie ». Il demande cependant, en octobre 1794, à rentrer au sein de la Convention ; le Comité souhaite, au nom de l’intérêt général, qu’il reste en place et qu’il veille sur l’escadre. Lorsqu’en pluviôse, il quitte enfin Toulon, la République a à sa disposition vingt-trois navires et des divisions de frégates surveillent les côtes, assurant le cabotage de Sète à Nice.
40À la fatigue de plus d’une année de missions et d’actions incessantes, s’ajoute une cabale contre lui : on l’accuse d’avoir organisé la Terreur à Montauban et d’avoir mis en place le tribunal révolutionnaire à Brest. Ce n’est pas la première fois qu’il est pris à partie : il n’avait pas réussi à se faire élire à Bordeaux comme pasteur, il avait été obligé de partir de Montauban en 1790, il avait connu un premier échec à la Législative. Mais là, les faits qu’on lui reproche sont bien plus graves. On l’accuse d’avoir fait fonctionner la guillotine. Qu’en est-il exactement ? Un décret du 16 février 1794 donnait à Jeanbon des pouvoirs illimités et, dans le ressort de sa mission, était compris la totalité des « départements maritimes de la République ». Il devenait ainsi le directeur général de tous les services maritimes, sur tout le littoral de la République. Sous son action, il y eu 180 accusés devant le tribunal révolutionnaire, 70 condamnés à mort, 12 à la déportation, 19 à la réclusion, 66 acquittés, 69 libérés par le parquet avant de passer en jugement (souvent sur son intervention)63. La période était alors meurtrière et si Jeanbon n’a pas été un tendre, il semble avoir été plus « modéré » que ce que ses détracteurs l’affirment.
41À cela s’ajoute les émeutes de prairial (20 mai 1795) durant lesquelles les Parisiens envahissent de nouveau la Convention. Jeanbon est menacé et il se défend en expliquant qu’il a toujours été en mission et que les grandes décisions du Comité de Salut public ont été prises en son absence ; il ajoute qu’il s’est toujours élevé contre le « système d’oppression », rappelant sa modération. Il se défend aussi dans sa Réponse à la dénonciation des citoyens de la commune de Brest qui fut imprimée le 8 juin 1795. Mais il est arrêté et conformément au décret d’arrestation, enfermé au « collège des quatre nations » avec Lindet, David et Bernard des Saintes, le peintre en profitant pour croquer le pasteur. En messidor, Jeanbon tombe malade et le Comité de sûreté générale l’autorise à se faire soigner chez lui, sous la surveillance de deux gendarmes. Il est finalement libre le 25 novembre 1795. Pour lui, se pose alors la question de savoir s’il souhaite reprendre la carrière de ministre de la parole de Dieu. Certains pasteurs étaient allés plus loin que Jeanbon Saint-André dans le reniement de leur ministère et ils ont trouvé facilement une Église du fait essentiellement de la pénurie de pasteurs64. Si Jeanbon avait voulu faire de même cela n’aurait posé aucun problème, mais tel n’est pas son choix. Il accepte plutôt le poste dans la diplomatie que lui offre le Directoire : il est nommé consul à Gênes, le 15 novembre, puis à Alger, trois jours plus tard. En mai 1798, il doit se rendre à Smyrne. Mais il est arrêté en septembre suite à la défaite française d’Aboukir (1er août 1798)65. Une fois libéré, il décide de se rendre à Paris pour rendre compte de son travail à Bonaparte et ce dernier le nomme, le 1er décembre 1801, « préfet de Mont-Tonnerre, commissaire général des départements de la rive gauche du Rhin ». S’en prendre le temps d’aller à Montauban, il part pour Mayence.
42De cette profusion d’actions que retenir d’un point de vue des idées politiques de Jeanbon, de son positionnement idéologique, des continuités et de ruptures par rapport à ses prises de parole en chaire ? Pasteur défenseur de la monarchie, puis montagnard convaincu, membre du comité de Salut public, puis préfet de Napoléon, ses engagements politiques ont-ils une ligne directrice suivant des principes proches de ceux prononcés en chaire où sont-ils plutôt faits d’aléas résultants des circonstances ?
43La première question à laquelle il faut répondre est de savoir quelles sont les idées politiques de Jeanbon Saint-André. On les retrouve déjà, éparses, dans ses sermons de 1789 à 1791, ainsi que dans ses allocutions et écrits antérieurs à son départ pour la Convention. En homme éclairé de la seconde moitié du xviiie siècle, et en tant que pasteur formé au Séminaire à Lausanne, se retrouvent beaucoup d’idées du temps : pour lui le contrat social est à la base de la société, les hommes ont renoncé à une partie de leur liberté et se sont donnés des gouvernants. Il admet donc la souveraineté du peuple et cela implique que tous les fonctionnaires doivent être élus ; que l’intérêt public et le salut du peuple priment sur tout. Dans un sermon du 9 octobre 1791, il explique : « Le vrai patriote s’oublie lui-même quand il s’agit de l’intérêt public66. » Mais cela ne signifie pas que tout doit être accepté et l’insurrection est un devoir contre le gouvernement oppresseur qui, ne respectant pas le contrat social, confisquerait la souveraineté à son profit67. Il affirme ensuite l’absolue liberté de l’homme : les hommes sont libres, d’abord en tant qu’êtres intelligents, la liberté étant « l’apanage propre et indestructible de leur intelligence68 » ; ils sont libres aussi car « l’homme naît libre et indépendant69 » ; ils sont libres encore, explique-t-il dans son sermon, parce que la religion réprouve l’esclavage qui dégrade l’homme70. Mais cette liberté n’est pas la licence, nous l’avons dit, elle doit respecter l’ordre social. Il propose alors comme modèle les républiques antiques parce qu’elles réalisaient la liberté et l’égalité par la vertu. De qui tient-il ses idées ? De Rousseau, tout d’abord dont il reproduit un extrait dans son sermon de 1791, de Voltaire, également, de Montesquieu encore. Il connaît les philosophes du xviiie siècle, les polémistes du xviie, comme Pierre Jurieu. Mais ses idées ont aussi été forgées par l’expérience, par des événements auxquels il assiste (en particulier son aversion pour le catholicisme lui vient des émeutes du 10 mai 1790 dans Montauban).
44Sa pensée n’est toutefois pas vierge de contradictions et se retrouvent particulièrement deux principes contraires chez lui. Le premier est une tendance à favoriser le développement de l’individu par l’établissement de la liberté et de l’égalité, par l’éducation de la personne morale. Et en même temps, il y a chez Jeanbon une volonté à affermir l’autorité de l’État et à accroitre le plus possible l’action du gouvernement. C’est cette contradiction qui fait de lui un homme dont l’action peut être jugée parfois de manière ambiguë. De la même manière, il prône l’union, la paix, la concorde et prend parallèlement des décisions radicales. Par exemple, il vote pour la mort du roi et ne le regrettera jamais. Lui qui a défendu avec force la soumission au roi dans ses sermons antérieurs à 179171, il explique, dans ses discours au moment du procès du roi, que les peuples ont, non seulement le droit de juger les princes, mais même que c’est un devoir pour eux de le faire et
« [qu’]on a dit à cette tribune que les rois sont les ennemis nés des Nations, qu’ils sont avec elles dans une état de guerre perpétuelle, et qu’un roi, par cela seul qu’il est roi, est coupable envers l’humanité car la royauté est un crime. Cette vérité est frappante. La nature l’inscrivit en caractères de feu dans le cœur de tous les hommes72 ».
45Dans la ville de Montauban royaliste, cela lui valut des lettres de menaces. Mais il tient ferme et au moment des scrutins se prononce pour la culpabilité du roi, puis contre l’appel au peuple et pour la mort en accompagnant son vote par quelques considérations radicales comme celle-ci : « Tous les peuples qui ont voulu être libres n’ont pu l’être que par la mort du tyran73. » Pour Jeanbon, la mort du roi est ainsi une mesure de salut public. Le 20 janvier 1793, la veille de la mort de Louis XVI, il explique à la tribune :
« Une grande révolution ne peut s’opérer que par un grand mouvement. On y trouve à côté des actes les plus éclatants de générosité, de grandeur d’âme, des traits qu’il faut autrement qualifier. La France, esclave depuis quatorze siècles, courbée sous le joug de ses rois et de ses prêtres, a voulu briser ce joug avilissant, mais elle n’a pu le briser sans une commotion violente74. »
46S’il y a des ruptures dans son parcours, apparaissent aussi, dans son action, des continuités. En particulier dans deux domaines que sont l’éducation et l’attention aux plus faibles. L’éducation reste, en effet, au cœur de son cheminement. Avant la Révolution, il montre (dans des missives à sa sœur notamment) une attention constante à l’éducation de son neveu et, de manière moins personnelle, dans une lettre à Rabaut Saint-Étienne, il écrit le 16 mai 1788 : « Il faut, comme vous le dites fort bien, faire de nous un peuple entièrement neuf, et le seul, l’unique moyen pour cela, c’est l’instruction75. » Il participe de fait, à l’Assemblée, aux grands débats sur l’éducation et l’on retrouve ses idées dans un discours qui a été, comme d’autres, publié76. Ainsi, admirateur des républiques antiques, il s’attache à l’éducation qui forme les mœurs et qui prépare aux vertus républicaines. Options qu’il met en pratique alors qu’il était à Brest, chargé de réorganiser la marine. Là, il cherche à développer l’esprit républicain des marins. Pour cela, il utilise des journaux, des manifestations patriotiques, demande aux officiers d’exalter le sentiment révolutionnaire. Comme beaucoup de marins regrettaient leurs aumôniers, Jeanbon leur offre à la place des instituteurs qui doivent procurer aux novices les plus intelligents les connaissances nécessaires pour leur permettre de se présenter aux écoles d’hydrographie d’où l’on sortait aspirant. Instituteurs qui devaient donner, en même temps, aux marins une instruction rudimentaire.
47Un second point constant de son action est la sollicitude à l’égard du peuple et des plus démunis, élément essentiel on l’a vu dans l’homilétique protestante. Ainsi, il s’indigne au début de la Convention que les dispositions décrétées pour le soulagement des femmes et des enfants des défenseurs de la patrie soient restées lettre morte :
« Les mesures qu’on prend pour le soulagement des veuves, des femmes et des enfants des défenseurs de la patrie restent toujours sans exécution. Il est bien étonnant que depuis que vous êtes en guerre, soit avec les ennemis de l’extérieur, soit avec les rebelles de l’intérieur, ces infortunés n’aient encore rien reçu des secours que vous avez décrétés pour eux. Il est scandaleux qu’on laisse dans le dénûment cette partie intéressante du peuple au soulagement de laquelle vous voulez aller. »
48Il en voit deux causes : « D’abord, l’incivisme et la mauvaise volonté des administrations ; en second lieu, la multiplicité des formalités auxquelles sont assujétis ces secours. » Et, il poursuit son intervention en retrouvant les accents du pathos que l’on a vu plusieurs fois être utilisés en chaire pour convaincre de la nécessiter d’aider les plus faibles : « Et, en attendant, les femmes, les veuves, les enfants des défenseurs de la liberté meurent de faim. Voilà des vérités que la Convention doit peser dans sa sagesse s’il est des mesures dont l’exécution doive être de rigueur, ce sont les lois de bienfaisance77. » Après Danton, il affirme la nécessité d’« indemniser la classe du peuple qui sacrifie à l’exercice des droits des moments nécessaires à son existence », et il fait assurer des secours aux citoyens pauvres de Paris, pour leur permettre d’assister notamment aux assemblées des sections78. À Brest, il prend soin de la santé des marins : il suit attentivement le sort des hôpitaux, il multiplie des règlements d’hygiène et, lui qui ne porte pas dans son cœur les catholiques, maintient les sœurs de la charité. Il se montre également attentif à l’amélioration du sort des ouvriers. Les soutiens de famille, lorsqu’ils font preuve d’assiduité au travail et à l’esprit républicain, reçoivent alors des primes. Jeanbon explique ainsi : « Ils servent aussi la Patrie et courent aussi des dangers en exerçant leurs professions79. » On le voit, comme les autres conventionnels, et bien qu’établissant un régime fort que semble imposer les circonstances et sacrifiant tout à l’intérêt de l’État, il essaie de réaliser par ailleurs les idéaux de liberté, d’égalité, de fraternité, prônés par la Révolution française et que l’on a pu identifier dans certains de ses discours antérieurs.
49Son parcours politique oblige toutefois à poser une dernière question : est-il une girouette politique ? Si cette interrogation existe c’est que, comme le pasteur Paul-Henri Marron, le Dictionnaire des Girouettes, qui parait en 1815, lui consacre une notice et se moque particulièrement de sa nomination de 180180. Qu’un ex-commissaire du comité de Salut public, détestant les marques distinctives finisse, comme préfet impérial, décoré par la Légion d’honneur avait en effet de quoi prêter le flanc à la moquerie. Il a été monarchiste convaincu en tant que pasteur, puis républicain acharné comme révolutionnaire, girondin à ses débuts puis Montagnard. Mais il est difficile de faire de lui une girouette car il a toujours été fidèle à ses idées de liberté et d’égalité, d’attention au peuple. Il a toujours été légaliste, profondément respectueux des autorités et lorsque les circonstances l’exigeaient, au nom du bien public, de l’intérêt supérieur de l’État, il n’a pas hésité à prendre des décisions qui peuvent aujourd’hui nous paraître extrêmes. Et comme beaucoup de révolutionnaires (à l’exemple de son collègue Rabaut Saint-Étienne), il a d’abord été convaincu par la monarchie constitutionnelle, avant de rompre avec elle après la fuite de Louis XVI, puis le 10 août : l’adhésion à la République est alors totale. Par la suite, Jeanbon, fatigué comme d’autres par dix années d’agitation politique, semble conquis par Bonaparte (126 anciens conventionnels régicides servent le premier consul). Et lorsqu’il parle en l’an XII du gouvernement consulaire, il utilise le terme de « République » pour le désigner81. Homme d’ordre, garantissant la morale et la religion, Bonaparte représentait sans doute la meilleure des républiques aux yeux de Jeanbon Saint-André qui avait tant œuvré pour la préserver.
50Le parcours de Jeanbon Saint-André est-il représentatif de celui des pasteurs du temps ? Trois cents d’entre eux ont connu la Révolution, seuls une dizaine ont siégé dans les diverses assemblées. Autant dire que Jeanbon, à ce titre, demeure un cas particulier et que, dans l’histoire révolutionnaire protestante, seuls Rabaut Saint-Étienne et Alba-Lasource ont eu un rôle aussi important. Mais l’un comme l’autre ont été guillotinés durant le dernier trimestre 1793. Jeanbon Saint-André a donc su et a pu, traverser la Révolution française, sans être exempts de contradictions comme beaucoup de ses contemporains, dans ses actions et dans ses prises de parole publiques.
Notes de bas de page
1 Voir C. Borello, « Les sources d’une altérité religieuse en Révolution : Rabaut-Saint-Étienne ou la radicalisation des représentations protestantes ? », Annales Historiques de la Révolution Française, 2014-4, p. 29-49.
2 E.-A. Mailhet, Jacques Basnage. Théologien, controversiste, diplomate et historien. Sa vie et ses écrits, Paris, Champion, 1976.
3 É. Benoist, Histoire de l’édit de Nantes, contenant les choses les plus remarquables qui se sont passées en France, avant & après sa publication, à l’occasion de la diversité des religions, Delft, Adrien Beman, 5 tomes in-4°, 1693-1695. Voir H. Bost, « Elie Benoist et l’historiographie de l’édit de Nantes », Ces Messieurs de la R.P.R. Histoire et écritures de huguenots, xviie-xviiie siècles, Paris, Champion, 2001, p. 267-279 ; L. Daireaux, « Écrire l’histoire de la Révocation de l’édit de Nantes : autour de l’œuvre d’Elie Benoist », P. Benedict, H. Daussy, P.-O. Léchot (éd.), L’Identité huguenote. Faire mémoire et écrire l’histoire (xvie-xxie siècle), op. cit., p. 311-327.
4 Sur Antoine Court voir P. Cabanel, P. Duley-Haour (éd.), Mémoires pour servir à l’histoire et à la vie d’Antoine Court, de 1695 à 1729, op. cit. ; H. Bost, C. Lauriol (éd.), Entre Désert et Europe, le pasteur Antoine Court (1695- 1760), op. cit.
5 Voir sur cet ouvrage C. Borello, Du Désert au Royaume, op. cit.
6 J. Poujol, « Monsieur Rabaut de Saint-Étienne saisi par la Révolution », Autres Temps. Les cahiers du christianisme social, n° 22, 1989, p. 29-43 ; P. Cabanel, « Rabaut de Saint-Étienne, Du religieux au politique », BSHPF, t. 147, 2001, p. 113-124. Sur la vie de Rabaut de Saint-Étienne voir l’unique biographie réalisée par A. Dupont, Rabaut de Saint-Étienne. 1743-1793. Un protestant défenseur de liberté religieuse, Genève, Labor et Fides, 1989 (1946). Sur le Précis de l’histoire de la Révolution française voir É. Barrault, Écrire l’histoire de la Révolution Française pendant le premier xixe siècle. Charles de Lacretelle (1766-1855) : un historien « modéré » dans la France post-révolutionnaire, thèse de doctorat (Paris I-Panthéon Sorbonne), 2009.
7 BPF, Ms 329, f° 122.
8 C. Read, « Rulhière et Rabaut Saint-Étienne », BSHPF, t. 33, 1884, p. 222.
9 Rabaut Saint-Étienne, Précis de l’histoire de la Révolution françoise, op. cit., p. 231.
10 Pour plus de détails voir C. Borello, Du Désert au royaume, op. cit.
11 Le Vieux cévenol, Londres, 1788 (3e édition), p. 30-31.
12 Ibid., p. 131.
13 Ibid., p. 98.
14 Ibid., p. 99.
15 Rabaut Saint-Étienne, Sermon sur les avantages et la nécessité du culte public : « N’abandonnons point nos mutuelles assemblées, comme quelques uns ont coutume de faire » (He 10,15), BPF, Ms 717/2-38. Sermon retranscrit dans C. Borello, Du Désert au Royaume, op. cit., p. 317 et suivantes.
16 Lettre de Rabaut Saint-Étienne à Chiron, 21 septembre 1778, Le Vieux Cévenol (édition de 1886), préface de C. Dardier, p. 10.
17 Le Vieux Cévenol, op. cit., p. 127.
18 Ibid., p. 116.
19 A. Soboul, G. Gobel, « Audience et pragmatisme du Rousseauisme : les Almanachs de la Révolution (1788- 1795) », Annales historiques de la Révolution française, 1978 (234), p. 614.
20 Rabaut Saint-Étienne, Précis de l’histoire de la Révolution françoise, Paris/Strasbourg, Onfroy/Treutel, 1792, p. 1-2.
21 Gravées par Coiny, Halbou, Langlois, de Longueil, Hubet et Simonet.
22 Le Vieux cévenol est présenté abusivement dans l’édition de 1779 comme ayant été réalisé à partir de papiers trouvés chez Voltaire, voir C. Borello, Du Désert au Royaume, op. cit., p. 24 et p. 347.
23 Rabaut Saint-Étienne, Précis de l’histoire de la Révolution françoise, op. cit., p. 20.
24 1. Serment du jeu de paume (20 juin 1789), 2. Prise de la Bastille (14 juillet 1789), 3. Entrée du roi à Paris (17 juillet 1789), 4. Confédération des François (14 juillet 1790), 5. Le roi acceptant la constitution au milieu de l’Assemblée nationale (14 septembre 1791).
25 Une fois l’année 1792 commencée, l’idée d’almanach est rendue caduque même si l’ouvrage conserve le calendrier.
26 Rabaut Saint-Étienne, Précis de l’histoire de la Révolution françoise, op. cit., p. 255.
27 Ibid., p. 254-255.
28 Ibid., p. 5.
29 Référence ici à la fameuse phrase de Rabaut « l’histoire n’est pas notre code », Rabaut Saint-Étienne, Considérations sur les intérêts du tiers état adressées au peuple des provinces par un propriétaire foncier, 1788, p. 9.
30 « Il ne falloit pas penser qu’un pays d’une aussi vaste étendue pût être soumis à la forme purement républicaine », Rabaut Saint-Étienne, Précis de l’histoire de la Révolution françoise, op. cit., p. 249-250 et p. 251.
31 Ibid., p. 200.
32 « L’assemblée nationale ordonna que la révolution fut finie […] elle rédigea l’acte constitutionnel », ibid., p. 253.
33 A. Vinet, Théologie pastorale, op. cit., p. 178.
34 « Les pasteurs ne contractent pas dans leurs fonctions le genre d’esprit que demandent ces assemblées, ni réciproquement ; – on peut s’attendre à les y voir prêcher ; – quant aux questions religieuses, qui ne devraient jamais y être traitées, on n’a pas besoin de la présence des ministres pour les y bien traiter ; – les éclaboussures des discussions politiques se voient trop aisément sur la robe pastorale ; – les ministres ne peuvent s’empêcher d’entendre dans ces assemblées des choses auxquelles leur position, tout à la fois, les presse et leur interdit de répondre », ibid., p. 180-181.
35 « La politique et les partis dévorent en nous non seulement l’étude et le savoir, mais la seule chose qui vaille mieux encore que l’étude et le savoir, je veux dire le sentiment religieux, et le zèle sincère à obtenir les résultats pour lesquels le Fils de Dieu a voulu vivre et mourir, et auxquels ceux qui se sont mis à son service ont promis de consacrer leur vie et leurs travaux », ibid., p. 147.
36 Ibid., p. 148.
37 Pour plus de détail sur les positions des protestants dans les débuts de la Révolution voir P. Cabanel, Histoire de protestants en France, op. cit., p. 924 et suivantes. Les chiffres avancés par Timothy Tackett, fondés sur l’ouvrage de Burdette C. Poland ne sont pas les mêmes car ils ne tiennent pas compte des députés alsaciens (T. Tackett, Par la volonté du peuple, op. cit., p. 65 et B. C. Poland, French Protestantism and the French Revolution, op. cit., p. 291-292). Pour les pasteurs voir Y. Krumenacker, « Les pasteurs et la Révolution française », Revue d’histoire du protestantisme, 2016/2, p. 187-206.
38 Alba-Lasource, Jean Julien, Rabaut-Pomier, Rabaut Saint-Étienne, Louis Bernard, Georges Fred. Danzel, Jean Jay, Jean-Louis Lombard, Jeanbon Saint-André, Jean-Gottard Grimmer (suppléant à la Convention).
39 « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses, ni troublé dans l’exercice de sa religion. »
40 N. Weiss, « Les séances des 22 et 23 août 1789 à l’assemblée nationale », BSHPF, t. 38, 1889, p. 561-575.
41 « Tout homme est libre dans ses opinions : tout Citoyen a le droit de professer librement son culte, et nul ne peut être inquiété à cause de sa Religion », Rabaut de Saint-Étienne, Opinion de M. Rabaut de Saint-Étienne sur la motion suivante de M. le Comte de Castellane : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses, ni troublé dans l’exercice de sa religion », Versailles, Baudoin, 1789. Le texte est reproduit en annexe de l’ouvrage d’André Dupont sur Rabaut Saint-Étienne.
42 J. Poujol, « Le changement d’image… », op. cit., p. 507.
43 J. Barral, Du « Désert » au « Réveil ». Simon Lombard, pasteur du Désert, op. cit., p. 209-210.
44 « Le but des fédérés était de marcher sur Pont Saint-Esprit, de s’emparer de l’artillerie et des munitions de la citadelle, et, après avoir réduit successivement Uzès et Alais, d’attaquer Nîmes avec leurs 7000 hommes. Ces bandes, à la tête desquelles se tenaient des curés fanatiques, commencèrent leurs exploits par le pillage des maisons huguenotes et elles revinrent par trois fois à la charge en août 1790, février 1791 et juillet 1792, sur les confins de la Lozère et de l’Ardèche ; elles ne furent dispersées que par les efforts réunis des patriotes et des gardes nationales de la contrée », C. Dardier, La vie des étudiants au Désert, op. cit., p. 99. Le texte de la Jhalésade est publié en 1890 par François Rouvière (Nîmes, Librairie Ancienne).
45 C. Dardier, La vie des étudiants au Désert, op. cit., p. 103.
46 S. Lombard, Discours à l’occasion de la Fête de la Souveraineté de la Nation française, prononcé devant l’autel de la Patrie, dans la commune de Garrigues le 30 ventose an 6e de la République (20 mars 1798).
47 S. Lombard, Discours sur les droits de l’homme et du citoyen, BPF Ms 960-10 f° 236.
48 Ibid., f° 237 et 239.
49 Ibid., f° 241-242.
50 Ibid., f° 242.
51 Ce texte a vraisemblablement été prononcé à la veille des élections des juges de paix. Il est conservé en deux versions qui présentent des changements sur la fin. La première version est accompagnée de chants patriotiques en vers. La seconde version porte un titre qui mixte en fait celui des versions de 1794 et 1798 : Discours sur les droits naturels de l’homme et du citoyen, prononcé dans la commune de Garrigues à l’occasion de la fête de la souveraineté le 30 ventôse an 6 de la République.
52 Il est également possible de penser à la harangue du pasteur Daniel Armand, prononcée le 14 juillet 1791, sur la place d’Espenel, tout à la gloire de la Révolution. Voir à ce sujet A. Maillet, « Un discours patriotique de Daniel Armand, prédicateur du Désert », BSHPF, t. 54, 1905, p. 126-136.
53 F.-A. Boissy d’Anglas, Discours et opinions de Rabaut-Saint-Étienne, Paris, Servier, 1827, p. 31.
54 Seuls deux pasteurs refusèrent la peine de mort : Rabaut Saint-Étienne et Bernard Saint-Affrique. Pour le détail des positions protestantes au moment du procès du roi voir B. C. Poland, French Protestantism and the French Revolution, op. cit., p. 293.
55 M. Nicolas, Jeanbon, sa vie ses écrits, Paris-Montauban, Comptoir des imprimeurs-unis-Rethoré, 1848 ; L. Lévy-Schneider, Le Conventionnel Jeanbon St André, membre du Comité de salut public, organisateur de la marine de la Terreur, 1749-1813, Paris, Félix Alcan, 1901 ; Archives départementales du Tarn-et-Garonne, Exposition Jeanbon Saint-André et la marine révolutionnaire, Montauban, 1957 ; D. Ligou, Jeanbon Saint-André membre du Grand comité de salut public (1749-1813), Messidor/Éditions Sociales, 1989.
56 L. Lévy-Schneider, Le Conventionnel Jeanbon St André, op. cit., t. 1, p. 32.
57 Ibid., p. 33.
58 À Montauban, le 10 mai 1790 une émeute provoque la mort de cinq gardes nationaux et entraîne un exode temporaire de la population protestante (voir D. Ligou, Montauban à la fin de l’Ancien Régime et aux débuts de la Révolution : 1787-1794, Paris, M. Rivière, 1958). À Uzès, en février 1791, des tensions éclatent, fruits des antagonismes des alentours (voir F. Pugnière, Les cultures politiques à Nîmes et dans la Bas-Languedoc oriental du xviie siècle aux années 1970 : Affrontements et dialogues, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 125 et suivantes). D’autres villes méridionales sont touchées par les tensions nîmoises à l’exemple d’Arles (voir P. Serna, Antonelle. Aristocrate révolutionnaire 1747-1817, Paris, Éditions du Félin, 1997, p. 139) ou Nîmes (voir note 110, p. 260).
59 L. Lévy-Schneider, « Quelques recherches sur Jeanbon Saint-André », La Révolution française, Paris, Imprimerie de la cour d’appel, 1893, p. 9-10.
60 L. Lévy-Schneider, Le Conventionnel Jeanbon St André, op. cit., t. 1, p. 134.
61 Parmi les membres du Comité notons : Roberpierre, Saint-Just, Couthon, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, Barère, Carnot, Pierre de la Côte d’Or, Prieur de la Marne, Robert Lindet.
62 Lettre à son épouse de juin 1794, Exposition Jeanbon Saint-André et la marine révolutionnaire, Montauban, Archives de Tarn-et-Garonne, 1957.
63 L. Lévy-Schneider, Le Conventionnel Jeanbon St André, op. cit., t. 2, p. 145.
64 Par exemple Julien de Toulouse et Lonbard-Lachaux, qui avaient abdiqué à la Convention, reprennent leur pastorat ainsi que Jay de Sainte-Foy ou Rabaut-Pomier.
65 Il a laissé un journal de sa captivité (qui dure de septembre 1798 à septembre 1801) qui a été publié en 1848, Récit de ma captivité sur les bords de la mer Noire voir : M. Nicolas, Jean-Bon Saint-André : sa vie et ses écrits, op. cit.
66 Jeanbon Saint-André, Sermon sur la vocation à la Liberté, op. cit., p. 12.
67 « Les conditions du pacte social sont donc violées […] toutes les fois que le citoyen est contraint à se soumettre à un pouvoir qui n’est pas celui de la loi, & qu’il éprouve des vexations & des injustices dans sa personne ou dans ses biens », ibid., p. 8.
68 Jeanbon Saint-André, Considérations sur l’organisation civile des protestants, M. Nicolas, Jeanbon, sa vie ses écrits, op. cit., p. 293.
69 Jeanbon Saint-André, Sermon sur la vocation à la Liberté, op. cit., p. 5.
70 « La religion étant le complément de nos privilèges naturels, ne peut que réprouver l’esclavage qui tend à les anéantir ; nous vous dirons qu’indignement ravalé au niveau de la brute ; & soumis, jusque dans ses pensées, ses sentimens & ses désirs, à la main qui l’enchaîne, l’esclave ne peut ni perfectionner son intelligence, ni rectifier sa volonté », Jeanbon Saint-André, Sermon sur la vocation à la Liberté, op. cit., p. 7.
71 Michel Nicolas évoque ce passage d’un sermon prononcé lors de la naissance de Marie-Thérese de France : « Quelles que soient les révolutions que la monarchie a essuyées, les troubles qui l’ont agitée, les opinions qui l’ont divisée, l’amour des souverains a toujours fait parmi nous le fond du génie national. […] Avant de me persuader qu’il existe en France des hommes ennemis par principe du roi et de l’Etat, je me demanderai : Sont-ils Français ? », M. Nicolas, Jean-Bon Saint-André : sa vie et ses écrits, op. cit., p. 5.
72 Opinion de Jeanbon Saint-André, député du Lot, sur cette question : Louis xvi peut-il être jugé ?, L. F. Jauffrey, Histoire impartiale du procès de Louis XVI, ci-devant roi des Français ou recueil complet et authentique de tous les rapports faits à la Convention Nationale, Paris, Perlet, 1792, t. 1, p. 238.
73 Réimpression de l’ancien Moniteur depuis la réunion des États-géneraux jusqu’au consulat (mai 1789-novembre 1799), Paris, Au Bureau central, 1841, p. 191.
74 L. Thiessé, Débats de la Convention Nationale ou analyse complète des séances : avec les noms de tous les membres, pétitionnaires ou personnages qui ont figuré dans cette Assemblée, Paris, Bossange, 1828, t. 3, p. 180.
75 L. Lévy-Schneider, Le Conventionnel Jeanbon St André, op. cit., t. 1, p. 36.
76 Jeanbon Saint-André, Sur l’éducation nationale, Paris, Imprimerie nationale, 1792.
77 A. Ray, Réimpression de l’ancien Moniteur : Convention nationale, H. Plon, imprimeur-éditeur, 1793, t. 17, p. 673.
78 L. Lévy-Schneider, Le Conventionnel Jeanbon St André, op. cit., t. 1, p. 407.
79 D. Ligou, Jeanbon Saint-André, op. cit., p. 148.
80 « Le citoyen Jean-Bon-Saint-André, qui détestait tant les trônes, et par conséquent tous ceux qui pouvaient s’y assoir, après avoir juré, à la face de la convention, une haine éternelle aux têtes couronnées et à celles qui se feraient couronner, n’en fut pas moins le plus humble, le plus soumis sujets de S. M. l’empereur et roi, et exerça ses fonctions de préfet à Mayence, avec une intelligence et un dévouement à toute épreuve. Il abhorrait les marques distinctives en 1793 ; et cependant il fut membre de la légion d’honneur », Dictionnaire des girouettes, op. cit., p. 204.
81 Discours prononcé le 16 germinal an xii à la première séance publique de la société des sciences et arts de Mayence, M. Nicolas, Jean-Bon Saint-André : sa vie et ses écrits, op. cit., p. 341.
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