Chapitre X. De la traversée du désert aux complots du printemps 1958, les anciens du SO gaulliste restent en contact et en action (1954-1958)
p. 299-333
Texte intégral
Un carré des fidèles dispersé mais toujours mobilisé
1Lorsque fin 1954, Dominique Ponchardier met « en réserve » le SO du RPF, les gros bras quittent la politique et retournent à leurs occupations professionnelles. À commencer par le patron du service d’ordre qui se consacre désormais à ses maquettes, à son harmonica, à ses romans policiers (après une rencontre décisive avec Marcel Duhamel, le patron de la « série noire » chez Gallimard) et bientôt à l’adaptation cinématographique de ces derniers. Le Gorille, cet agent secret musclé, bourru mais bon copain et patriote, s’impose bientôt aux côtés de ses contemporains, James Bond de Ian Fleming, Coplan de Paul Kenny et OSS 117 de Jean Bruce. Pierre Lemarchand est associé à l’élaboration des scénarios de film tirés des aventures du Gorille, « en lesquelles, note-t-il, Goulay et moi reconnûmes souvent une partie des nôtres1 ». Lino Ventura incarne le rôle avant que la productrice Christine Gouze-Raynal, belle-sœur de François Mitterrand, ne fasse appel à un jeune acteur pied-noir, Roger Hanin. De son côté, Pierre Debizet a rejoint une entreprise de moteurs électriques (Segal) en région parisienne tout en assurant de temps à autre la sécurité de chantiers publics. Depuis deux ans déjà, la plupart des gens du SO ont pris du champ devant le déclin accéléré du mouvement. Seule la cérémonie des vœux en fin d’année réunit encore les gros bras et le Général rue de Solférino. Lorsque l’équipe des gardes du corps du Général se rassemble une ultime fois fin 1954, le responsable Noël Loubet remet à chaque gorille en pleurs sa dernière mensualité de 800 F avant de déclarer : « je suis certain que nous nous reverrons car la France ne peut se passer d’un homme exceptionnel comme le général de Gaulle2 ». Dans l’immédiat, c’est la dispersion. Henri Djouder est recruté comme chef du personnel aux usines Simca à Bondy tandis que Georges Huart organise des équipes sportives au sein de la même entreprise. Les syndicats indépendants, puissants dans l’industrie automobile, apprécient les anciens gros bras gaullistes face aux communistes. René Auvray reprend son auto-école. André Michaudet et Roger Tessier deviennent moniteurs de sport, le premier de judo en région parisienne et le second de boxe à Oran.
2L’esprit de compagnonnage, si important au sein du service d’ordre du RPF, empêche l’éclatement total des anciens du SO. Beaucoup de ces gaullistes fidèles restent en contact sur un plan personnel et continuent par ailleurs de militer au sein des nombreuses associations d’anciens combattants existant alors en France. En 1956-1957, figurent parmi les plus importantes en effectifs et/ou celles dans lesquelles les éléments gaullistes sont les plus influents : l’Union nationale des combattants (Alexis Thomas), Rhin et Danube (Pierre Chancogne), l’Association de la 2e DB (M. Jeantin), l’Association des combattants de l’Union française (Yves Gignac), l’Association des Français libres (général de Larminat), la Confédération nationale des combattants volontaires de la Résistance (Maxime Blocq-Mascart), les Commandos d’Afrique (Alexandre Sanguinetti), l’Association des anciens des services spéciaux de la Défense nationale (Paul Paillole). Toutes se sont fédérées dans une association cartel, le Comité d’action des associations nationales d’anciens combattants (Caanac) dont le secrétariat général à partir de 1956 est confié à Alexandre Sanguinetti par le colonel Paillole en liaison avec Michel Debré et Olivier Guichard3. Alexandre Sanguinetti, sous l’influence de Pierre Picard, fait habilement glisser le mouvement vers l’orbite gaulliste au point que le Caanac peut être considéré comme « le Comité anciens combattants » de l’Usraf de Jacques Soustelle4. C’est le même esprit de solidarité entre anciens de la Résistance ou de la France libre qui fait se retrouver des anciens du SO du RPF au milieu d’autres gaullistes au sein du club « Les Vieux de la Vieille » dans un cabaret-restaurant de la rue des Saint-Pères, le Don Camillo. L’association avait été lancée à la Libération par Dominique Ponchardier, Michel Hacq et Jules Murraciole, la légende voulant que ce soit le commissaire des RG, le gaulliste Jean Caille, qui ait trouvé l’adresse. Les gens du SAC y auront leurs habitudes au début des années 1960.
3Interrogés par la commission parlementaire d’enquête sur le SAC, plusieurs anciens du SO du RPF passés par la Résistance insistent sur cette camaraderie de réseau qui permet aux gros bras de rester unis à travers des cérémonies où les compagnons se retrouvent. S’adressant au député socialiste de Seine maritime Pierre Bourguignon, le normand Ambroise Henry témoigne : « Le Général faisait la “traversée du désert” et nous, la jeune garde à l’époque, avons continué à nous voir5. » Cet esprit de groupe, cet entre soi, sont fondamentaux pour comprendre comment les gros bras, sans cadre partidaire, sont restés unis durant la traversée du désert pour se retrouver en mai 1958 au moment du retour du Général puis fin 1959 avec la création du SAC. Devant la commission, Jacques Foccart résume la situation : « Le RPF ayant cessé toute activité en 1954-1955, ceux qui avaient appartenu à son service d’ordre restèrent groupés et formèrent le SAC6. »
4Les anciens gros bras du RPF ont parfois l’occasion de se retrouver pour participer à des manifestations politiques et en assurer si besoin la sécurité. Fin mai 1955, Pierre Debizet mobilise les militants du SO pour assister à une cérémonie organisée par les anciens du corps expéditionnaire d’Extrême-Orient à la mémoire des combattants tombés à Dien Bien Phu. Le secrétariat du Rassemblement lui a demandé de ne pas signer le courrier envoyé aux adhérents en sa qualité de « responsable SO de Paris » pour ne pas donner l’impression que le mouvement participe de manière officielle à l’événement7. Des anciens du SO sont également présents le cas le 24 juin 1956 quand de Gaulle se rend au pied du cirque de Cerdon prononcer un discours devant le nouveau monument du maquis de l’Ain en présence d’une foule considérable. Dans ses mémoires (Le Hussard du Général), Jacques Dauer, qui tente d’entretenir la flamme avec son Télégramme de Paris et ses centaines de cadets toujours mobilisés dans la capitale, se rappelle avoir loué quatre cars pour l’occasion, un pour ses jeunes et trois pour les Volontaires de l’Union française (VUF) de Jean-Baptiste Biaggi qui regroupe essentiellement d’anciens membres du service d’ordre du Rassemblement8. Les soubresauts de la vie politique française des années 1954-1958, marquée par les tensions croissantes liées aux problèmes coloniaux, favorisent l’agitation nationaliste et le recours à la violence militante. Jacques Dauer en fait le constat lucide. « Il faut se rappeler le contexte. À l’époque, on appelait un chat un chat. Se battre faisait partie des mœurs politiques. On pouvait revenir avec le nez cassé mais on ne s’en plaignait pas. Ces actions, dans mon esprit, devaient servir des objectifs à plus ou moins long terme9. » Dans ce contexte de reprise de l’agitation politique, les anciens du SO gaulliste, véritables professionnels de la violence militante, sont à leurs aises.
5Novembre 1956 les voit de nouveau s’engager physiquement contre l’adversaire communiste dans le cadre d’une mobilisation conjointe avec les éléments nationalistes selon une dynamique collective appelée à se répéter jusqu’au printemps 1958. L’assaut mené le 7 novembre contre le siège du PCF rue de Châteaudun puis contre les locaux de L’Humanité boulevard Poissonnière par les éléments durs du gaullisme (jeunes de Dauer et VUF), des syndicalistes de FO, des membres de l’extrême droite et des anciens combattants parachutistes, a été étudié par Jean-Pierre Bernard qui en souligne les enjeux symboliques et en rappelle le bilan dramatique souvent méconnu (trois morts)10. À Paris, l’invasion de Budapest par les troupes soviétiques le 4 novembre avait déjà suscité en réaction, deux jours plus tard, des manifestations de droite marquées par la violence contre les locaux de L’Humanité, de l’association France-URSS et de la librairie Renaissance affiliée au PCF. Rien de comparable toutefois à celle du 7 novembre, « une de ces journées dont l’histoire de la rue et du pavé à Paris est féconde » selon les termes de Jean-Pierre Bernard. L’assaut résulte de la convergence de plusieurs manifestations anticommunistes, celle qui voit 30 000 personnes remonter les Champs-Élysées et dont s’échappent plusieurs milliers de jeunes en fin de cortège aux cris de « À Châteaudun, feu au PC11 » et celle qui s’ébranle rue de Grenelle après un meeting de FO12. Les assaillants se rendent maîtres du rez-de-chaussée du siège du PCF, provoquent un incendie au 2e étage, avant d’être repoussés par les communistes qui utilisent des lances à eau et lancent sur les nationalistes… des statues de Marx. Faute de pouvoir investir un siège protégé par un système sophistiqué de défense avec porte blindée et commandes électriques de verrouillage, les assaillants se tournent vers les locaux de L’Humanité, non sans s’être emparés préalablement de photos encadrées de leaders communistes et de planches de timbres soviétiques en guise de trophées (une pratique fréquente dans l’ancien SO du RPF). Avertis par téléphone, les communistes de L’Humanité opposent une résistance farouche aux nationalistes et gaullistes qui se sont équipés sur un chantier voisin d’armes de fortune : briques et manches de pioche. Les assaillants brisent les vitres, parviennent à allumer un incendie avant d’être repoussés par les militants du PCF. Les blessés sont soignés dans les cafés avoisinants. Aux alentours, la police empêche à coups de gaz lacrymogène les communistes de banlieue de venir secourir leurs camarades du journal mais plusieurs centaines de militants franchissent le cordon des forces de l’ordre pour affronter d’anciens parachutistes en béret vert dans une véritable bataille rangée rue de Lancry dans le 10e arrondissement13.
6Jean-Pierre Bernard voit dans cet affrontement extrêmement violent (et qui tempère la thèse de Michel Pigenet d’un abandon complet et définitif de « la recherche systématique de l’affrontement physique » par les communistes après la manifestation Ridgway du 28 mai 195214) la naissance du personnage du parachutiste fasciste dans le discours de gauche. « Le mythe du para factieux et brutal, transporté de la récente guerre d’Indochine et de la jeune guerre d’Algérie commence à hanter l’imaginaire de la gauche française15. » En termes de géographie de la violence militante s’agissant de l’espace communiste, le même historien note que c’est la banlieue, déferlant sur le centre en début de soirée, qui sauve ce jour-là le parti et non les anciens quartiers ouvriers du nord et de l’est de la capitale. « Le mouvement de déprolétarisation de la capitale est inéluctablement entamé. Novembre 1956, c’est la scène de la Commune rejouée à l’envers. Ce n’est plus la réaction versaillaise qui saigne les faubourgs, c’est la périphérie rouge qui vole au secours du centre, resté emblématique mais devenu vulnérable16. » Si du côté communiste, cette résistance « héroïque » est célébrée sur l’instant comme une victoire contre « la sauvagerie fasciste » (réactivant à gauche le ressort toujours mobilisateur de la lutte antifasciste17) et devient par la suite un lieu de mémoire majeur pour beaucoup de leaders du PCF18, l’assaut contre le comité central puis les locaux de L’Humanité est vécu aussi dans les rangs nationaux-gaullistes comme un événement fondateur. Même si rétrospectivement Jacques Dauer s’en rappelle avec un humour minorant la violence du choc :
« En 1956, nous avons pris notre Bastille, les bureaux de L’Humanité. Nous voulions entrer dans les locaux par l’entrée du boulevard Poissonnière. Les hommes hésitaient. Quatre ou cinq dames, dont la moins âgée dépassait soixante-dix printemps, ont pénétré dans le hall, parapluie en main, en criant : “Place ! Place ! Nous sommes de bonnes Françaises !” Nous avons tous ri, assaillants comme assaillis. Nous étions tellement surpris par cette furia femina francese que nous ne les avons pas suivies tout de suite, alors qu’elles nous traçaient une voie royale. Nous n’avons pas pu aller très loin, mais nous avons partiellement réussi notre coup19. »
7Le succès, en termes de mobilisation militante, de l’attaque des locaux du PCF le 7 novembre 1956 (prolongée le 10 novembre par l’assaut contre le siège de l’association France-URSS et les bureaux des Jeunesses communistes rue Humblot dans le 15e arrondissement), a montré aux anciens du SO du RPF qu’il est possible de rassembler gaullistes et nationalistes (le mouvement Jeune Nation de Jacques Sidos est présent) autour d’une cause fédératrice : défense de l’Empire et/ou l’anticommunisme. Soucieux de capitaliser politiquement ce premier sursaut deux ans après la mise en sommeil du Rassemblement, Jacques Dauer organise avec les VUF une grande réunion publique salle Wagram le 16 novembre en présence de Jacques Soustelle, Michel Debré et le général de Montsabert. Sur le modèle du défilé sur les Champs-Élysées du 7 novembre, Jacques Dauer a prévu en fin de meeting une remontée de la grande avenue jusqu’à la tombe du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe, lieu central des manifestations de droite de l’époque et cristallisant pour certains activistes gaullistes les espoirs de « coup » depuis l’opération avortée de mai 1954. Évitant les policiers qui les attendent avenue de Wagram, 800 personnes sortent par-derrière et atteignent les Champs-Élysées par l’avenue Mac-Mahon. Le défilé se termine devant la tombe du soldat inconnu, éclairée par 200 flambeaux au magnésium. « C’était comme en plein jour ! Nous avons tous chanté La Marseillaise, ça avait de la gueule20 ! »
Des structures militantes de repli pour les anciens du SO : Paix et Liberté, les VUF et le PPR
8Si la plupart des anciens membres du SO gaulliste abandonnent la vie politique active à partir de la mise en sommeil du RPF vers 1953-1954, certains continuent de militer au sein de formations de repli en général marquées à droite. Cet engagement orienté vers un anticommunisme de combat et une défense intransigeante de l’Union française confirme le positionnement globalement plus conservateur des anciens du SO par rapport au reste du RPF, tendance accentuée à partir de 1952 avec l’émergence des nationaux-gaullistes. Ce repli militant vers des structures certes dérisoires par rapport à ce que fut le RPF, limite l’effet de dispersion généré par la traversée du désert et permet aux gros bras de rester en veille active au cas où… La montée en puissance de la problématique algérienne et l’indécision croissante du régime face à ce nouveau défi favorisent la radicalisation politique de nombreux anciens du SO et le choix (pour quelques-uns) de la solution activiste.
9En septembre 1950, Jean-Paul David, député RGR de Seine-et-Oise, crée avec Paix et Liberté, une structure anticommuniste originale visant à terme l’interdiction du PCF21. Cette organisation de guerre froide lancée au début du conflit coréen est soutenue par le gouvernement français (qui lui ouvre les ondes de la radio publique) tandis que l’appui financier d’officines américaines lui permet de diffuser en masse brochures et affiches contre « Jojo la colombe22 ». Pendant longtemps, la direction du RPF a interdit à ses adhérents tous liens avec Paix et Liberté, en qui elle voyait (avec raison) un satellite du « régime des partis ». En janvier 1952, Louis Terrenoire avait contacté ainsi les responsables du SO pour qu’ils empêchent leurs troupes de coller les affiches de l’officine sous peine d’exclusion immédiate. Même si le numéro 2 du SO, Claude Dumont, fréquentait au nom d’un anticommunisme commun Jean-Paul David dont il était le voisin à la villa Bosquet23 et même si des personnalités du RPF avaient été associées au lancement de Paix et Liberté comme Jean Drouot Lhermine, la succursale anticommuniste était officiellement boycottée par la rue de Solférino. Début 1952, l’orateur Jean Braman-Fribourg avait du reste démissionné du Rassemblement pour rejoindre Paix et Liberté tout comme l’avait fait à l’été de la même année l’ancien responsable régional du SO Bernard Rigollier, futur délégué de l’officine en Corrèze24. La mise en sommeil du RPF rend obsolète ces interdits et Claude Dumont montre l’exemple aux anciens gros bras du Rassemblement en animant à partir de 1956 la structure qui a pris la suite de Paix et Liberté : l’Office national d’information pour la démocratie française. Installé villa Bosquet, l’Office dispose grâce aux largesses patronales de services efficaces (documentation, diffusion, imprimerie) lui permettant de toucher les milieux économiques et politiques du pays25. Début 1958, la villa Bosquet abrite les rencontres discrètes entre les soustelliens de l’Usraf, les gens du Caanac et des responsables policiers en mission officieuse.
10Mais l’Office reste une structure trop discrète et tranquille pour des anciens du SO toujours avides d’en découdre avec le « système » et les communistes. Pour les nationaux-gaullistes, il existe des organisations militantes plus tournées vers l’action de rue sinon l’activisme. Certains fréquentent un petit club appelé Honneur et Patrie créé en janvier 1956 par Jacques Dauer et André Figuéras (ce dernier évoluant ensuite vers une extrême droite très anti-gaulliste). C’est le cas de Georges Burnier, un des adjoints du colonel Carré et chargé de mission régional du SO. Monté en grade au sein du Rassemblement à partir de 1952 comme responsable du 11e arrondissement et vice-président de l’entraide du RPF, il devient dès mai 1956 trésorier et animateur du club26. Les Volontaires de l’Union française (VUF) constituent une structure militante plus importante. Le fondateur des VUF, Jean-Baptiste Biaggi, ancien Camelot du roi dans les années 1930, grièvement blessé en 1940, résistant au sein du réseau Orion puis Commando de France avec son ami Griotteray, a participé aux équipes de cogneurs gaullistes. Il a surtout été leur avocat à deux reprises en 1949, d’abord à l’occasion du procès Lamoure puis lors de l’affaire du complot de la Pentecôte. Si l’ancien orateur du RPF, toujours persuadé que de Gaulle seul peut sortir la France du déclin, siège depuis la fin 1955 au Comité directeur des Républicains sociaux et obtient en 1956 l’investiture du parti lors des législatives dans la Marne, la formation des Républicains sociaux ne correspond pas à son tempérament activiste. Après les émeutes du 6 février 1956 à Alger, il crée les VUF27 qui rassemblent des gaullistes de choc comme Roger Delpey, Henri Gorce-Franklin ou le colonel Barberot28. Ce dernier, marin le plus décoré de France à la fin de la guerre, commandeur de la Légion d’honneur à 30 ans, avait combattu à Tobrouk et à El Alamein avant de s’illustrer en Provence puis en Alsace. Celui à qui les Américains ont décerné leur plus haute décoration militaire pour « extrême héroïsme », avait « rejoint la France libre à la nage » (selon son expression) en sautant de son bateau le 10 juillet 1940 en rade d’Alexandrie29. En 1956, cet « orphelin du RPF » selon la formule de Pierre Lemarchand, qui n’a pas appartenu au SO du Rassemblement mais en a partagé en 1947-1949 bien des bagarres, rejoint les VUF. Dans son témoignage oral recueilli au SHD, Jean-Baptiste Biaggi laisse entendre qu’Olivier Guichard, de visite en Algérie le 14 février 1956, lui aurait transmis le soutien du général de Gaulle à son action30. Il peut surtout se prévaloir de l’appui de Jacques Soustelle et de la mobilisation d’anciens combattants de la France libre et de la Résistance. Le mouvement, qui compte 2 000 adhérents et s’est implanté en région parisienne ainsi qu’à Bordeaux, Lille, Marseille et dans la région Rhône-Alpes31, regroupe essentiellement des jeunes attirés par un « gaullisme de choc », comme André Fanton qui vit là sa première expérience militante32.
11Si les VUF disposent de quelques antennes en Algérie (commando VUF à Larba), le mouvement reste essentiellement métropolitain et possède un siège au 5 quai de Grenelle près du Vel d’Hiv, dans une petite maison à un étage33. Comme les VUF reposent entièrement sur la personne de Jean-Baptiste Biaggi dont le domicile avenue Victor-Hugo sert de lieu de réunion, tout le monde rebaptise vite l’association « Chez Biaggi ». Christophe Nick caricature le projet du jeune avocat gaulliste en présentant les VUF comme « des sortes de Brigades internationales chargées de relayer l’armée en Algérie pour combattre les fellouzes34 ». Au-delà du maintien de l’Algérie française, l’organisation développe aussi un discours nationaliste et profondément anticommuniste. L’organisation, pourtant enregistrée légalement en préfecture, revendique une forte dimension paramilitaire. Alors que le mouvement est groupusculaire, il se dote d’un SO confié à Pierre Debizet qui reprend momentanément du service et amène avec lui des gros bras parisiens. Parmi ceux-ci Guy-Pierre Geneuil, un jeune gitan né en 1933, boxeur et catcheur, peintre à ses heures perdues, qui a appartenu au SO du RPF dans les toutes dernières années comme garde du corps de Pierre de Gaulle (il fréquentera plus tard les gens du SAC et sera mêlé à l’affaire Ben Barka). Il a rapporté ses souvenirs dans un ouvrage qui remporta un certain succès à sa sortie en 1987, Le Narvalo. Guy-Pierre Geneuil dispose d’un bureau au siège des VUF d’où il organise la logistique des descentes de commandos pour perturber les meetings communistes.
« Nous, on était des soldats de l’ombre du bord opposé. Je le répète, c’était la guerre. Contre le FLN et ses alliés. Alors, on sillonnait Paris et la France entière, dès qu’un meeting communiste était annoncé quelque part. Pour foutre leurs réunions en l’air. Ils avaient leur service d’ordre à eux, et les gars n’étaient pas des mauviettes, ça a souvent saigné des deux côtés. […] J’en ai peint des toiles de Montmartre pour me payer des billets de train, l’hôtel et les repas comme au temps du RPF. Tout ça parce que j’y croyais. Comme les copains. On était peut-être des cons mais on était comme ça. On avait la conviction de défendre la France avec nos poings nus35. »
12Un passage du livre relate deux affrontements avec les militants communistes, ceux de la salle Sainte-Croix-des-Pelletiers à Rouen et de la salle Wagram à Paris. L’assaut est mené par des militants VUF locaux renforcés d’une petite équipe de professionnels de la bagarre (« Neneuil », le colonel B., G. et P. L.) conduite par un ancien légionnaire corse, « l’Ange noir »… L’évocation des rixes du SO des VUF avec les communistes en 1956 n’est pas sans rappeler celle que proposait René Serre quand il décrivait les affrontements de sa brigade volante avec les mêmes adversaires en 1947-1948. Dix ans plus tard, rien ne semble avoir changé en termes de représentation de la violence militante même si cette dernière est moins présente dans la vie politique depuis que la disparition des gros bataillons du RPF et l’apaisement du contexte de guerre froide ont diminué les rixes entre gaullistes et communistes. Le choc reste toujours aussi brutal, marqué par la volonté évidente de blesser l’adversaire. La bataille est vécue comme un affrontement quasi militaire dont rendent compte l’utilisation d’un registre sémantique guerrier et le recours à des armes artisanales préparées à l’avance (grenades fumigènes utilisées de manière offensive) qui valide la thèse d’une violence préméditée. Même complaisance dans l’évocation précise des coups et des plaies, même valorisation genrée de la brutalité masculine, même surreprésentation d’anciens militaires fraîchement démobilisés, même présence de boxeurs et lutteurs parmi ces gros bras. Les VUF multiplient également les opérations commandos contre les meetings de Pierre Mendès France qui depuis le discours de Carthage concentre les griefs de ces nationaux-gaullistes. En 1956-1957, les libéraux décolonisateurs commencent à remplacer les communistes comme « ennemis de l’intérieur ». Sortant du rôle défensif a priori lié à sa fonction, le SO des VUF semble porté vers l’offensive, perturbant plus les réunions adverses qu’il ne protège les siennes. Sans doute faut-il y voir l’influence de la composante nationaliste du mouvement. Les cultures politiques en termes de violence militante ne sont pas identiques, même si le SO du RPF a pu dans le passé provoquer aussi l’adversaire.
13En janvier 1957, les gros bras des VUF perturbent violemment un meeting de Pierre Mendès France au Vel d’Hiv, un soir de relâche du Cirque de Moscou36. Guy-Pierre Geneuil et Pierre Debizet ont appris par le responsable de la sécurité de la réunion, un certain D., que l’ancien président du Conseil a fait embaucher des lutteurs (recrutés dans une boîte de Pigalle, « Les Trois Canards ») pour le protéger à raison de 1500 F par homme. D., un ancien parachutiste, se dit gaulliste mais comment être certain qu’il ne s’agit pas d’une provocation ? Grâce à des antennes aux RG, le tandem Geneuil/Debizet s’assure de la crédibilité de la source avant de préparer l’infiltration du SO mendésiste. Comme ce dernier a prévu en guise de signe de reconnaissance le jour du meeting un ruban bleu porté à la boutonnière, les gens des VUF achètent tout un rouleau de ruban de la même couleur au Bazar de l’Hôtel de Ville avant de s’équiper de manches de pioche. Ces préparatifs ont sans doute manqué de discrétion car des véhicules de policiers en civil surveillent les déplacements des militants des VUF. Une taupe au ministère de l’Intérieur confirme les soupçons des nationaux-gaullistes, le radical-socialiste Jean Gilbert-Jules a averti Pierre Mendès France que quelque chose se tramait en vue du meeting sans pouvoir donner plus de précision. Le jour de la réunion, le SO mendésiste se met en place à 19 h, deux heures avant l’arrivée de l’orateur. Comme prévu, avec la complicité de D., les gens des VUF installent discrètement parmi l’appareil de sécurité mendésiste leurs éléments équipés de grenades lacrymogènes et de fumigènes artisanaux. « Comme ils se ressemblaient tous, cela n’a pas posé de problème » note Guy-Pierre Geneuil. Après distribution de sandwiches et de bières aux gens du service d’ordre, le public entre et les projecteurs illuminent la tribune et les gradins où les militants de gauche brandissent des banderoles « Paix en Algérie ». Pour être certains de perturber totalement le meeting, les gens des VUF ont envoyé leurs partisans assister à la réunion. « Partout des copains entraient, les poches bien gonflées ». L’ambiance est d’autant plus tendue que les abords du Vel d’Hiv sont remplis de CRS et que dans les dépendances se font entendre les panthères et les lions du Cirque de Moscou. « L’extérieur grouillait de CRS. Dedans, ça sentait le fauve. »
14Guy-Pierre Geneuil rapporte la suite dans ce style « viril » qui lui est cher mais qui reflète bien la valorisation de la violence propre à ces gros bras.
« Mendès s’est pointé et aussitôt les fumigènes lui ont atterri dessus, ça gueulait de partout. Les groupes s’incendiaient mutuellement leurs banderoles, ça toussait, ça crachait. Le président de séance criait dans son micro à Mendès : “Ne pleurez pas, monsieur le Président !” Banquettes et strapontins volaient comme la grêle. La fumée devenait de plus en plus épaisse. Soudain, j’ai vu foncer dans le Vel d’Hiv des masses grises énormes : les éléphants du Cirque de Moscou ! De panique, ils avaient cassé leurs chaînes et ils galopaient partout en barrissant au milieu de la foule qui s’écartait en hurlant. Alors les CRS ont jailli des portes de secours. On se marchait les uns sur les autres, on se piétinait. Et ça été une belle bagarre. Éléphants contre CRS. Moi, j’ai profité du tumulte pour me propulser jusqu’à l’estrade où Mendès s’agitait derrière son micro. Je me suis mis juste sous lui et je lui ai fait : “Coucou !” Il s’est penché, intrigué. Des canettes de bière volaient autour de lui. Je lui ai souri en lui tendant la main. “Venez vite, je vous protégerai.” Il a regardé mon ruban et il m’a sauté dans les bras. Je l’ai pratiquement porté jusqu’à une sortie de secours, derrière laquelle je savais qu’il y avait des copains. Prêts à le secouer un peu. Malchance, un des gars du service d’ordre, un vrai, m’a reconnu : on s’était souvent castagnés. J’ai dû abandonner mon Mendès affolé et m’enfuir37. »
15Un coup de fil apprend à Guy-Pierre Geneuil qu’il a été identifié au Vel d’Hiv par des militants d’en face et qu’il lui faut se cacher pour échapper à la police. Des réseaux gaullistes lui permettent de rejoindre par Dakota la Corse où il passe plusieurs semaines dans un couvent de franciscains pour se faire oublier. La fin de l’épisode révèle autant la prégnance dans l’imaginaire gaulliste du modèle de clandestinité hérité de la Résistance que l’existence bien réelle de réseaux et de filières clandestines remontant à la même époque et qui pour certains seront activés dès l’année suivante lors des événements amenant le retour au pouvoir du Général.
16Jacques Foccart, dont l’influence est grandissante auprès des anciens gros bras gaullistes, suit le lancement des VUF via deux de ses proches, Jean Mauricheau-Beaupré et le colonel Bourgoin qui appartiennent à l’équipe fondatrice. Le mouvement compte également en son sein deux anciens membres ou sympathisants du SO du RPF appelés à jouer un rôle important dans les commandos noirs en Algérie puis dans les réseaux de barbouzes anti-OAS en relation avec le même Jacques Foccart : Pierre Lemarchand38 et André Goulay (ancien des FFL, engagé dans le bataillon français en Corée). Les deux hommes partagent une même pratique assidue de la boxe. Doté d’un physique imposant, André Goulay avait été champion de boxe lors de compétitions militaires tandis que Pierre Lemarchand avait livré quelques combats amateurs par le biais d’un oncle gérant d’une salle de sport. Ce dernier assume volontiers la réputation violente et un peu « voyou » qu’on lui prête déjà. « Un calme violent qui vous parle tranquillement et vous flanque, l’instant d’après, son poing dans la figure sans prévenir. Une sorte de fanatique froid, qui ne peut résister au plaisir de se lever à six heures du matin pour aller se colleter avec les militants communistes à la porte d’une usine, ai-je lu un jour à mon sujet et là, je dois dire que le portrait n’était pas tout à fait faux39. »
17Jean-Baptiste Biaggi, qui, volontaire pour réintégrer l’armée et faire la guerre en Algérie a vu sa demande rejetée par le ministère de la Défense, fait rapidement échouer le mouvement en se laissant emporter par sa nature activiste. Après avoir convoqué les journalistes, il emmène en personne dans une forêt de Fontainebleau un commando VUF en treillis militaire avec cagoules et mitraillettes. « Photos. Parution des clichés dans la presse. Agacés, Barberot et d’autres grands résistants claquent la porte » note Christophe Nick. « Pour eux, l’action, c’est du sérieux. Pour Biaggi, l’agitation passe d’abord par les médias, le cirque40. » Lassé par les tartarinades de l’avocat corse, Roger Barberot demande à un ami d’enfance, le ministre de la Défense Maurice Bourgès-Maunoury, d’être rappelé en activité et de faire la guerre en Algérie. Ce sera l’aventure des commandos noirs41. Pierre Lemarchand partage le même agacement que son ami Roger Barberot devant cette organisation brouillonne et cet activisme médiatique. « L’officine présentait un aspect café du commerce très marqué. Des communiqués fusaient, ronflants et usant de grands mots, promettant les châtiments les plus solennels au personnel politique accusé de “haute trahison”. On retrouvera cette phraséologie plus tard dans les communiqués de l’OAS42. » Il semblerait enfin que les VUF aient été impliqués dans certaines machinations tortueuses contre le régime où se croisent de manière trouble gaullistes et nationalistes durant les dernières années de la IVe République. Guy-Pierre Geneuil assure ainsi avoir été sollicité pour organiser l’enlèvement du maréchal Juin, accusé de « trahir » en soutenant la politique libérale de Pierre Mendès France en Tunisie. Refusant de cautionner cette opération, il démissionne du service d’ordre de l’organisation en février 1957. Les VUF périclitent vite. Mais Jean-Baptiste Biaggi, marqué par sa première expérience ligueuse d’avant-guerre comme par son parcours guerrier dans les commandos, fasciné par le modèle militarisé du SO du RPF, persiste à croire dans une organisation paramilitaire semi-clandestine. Il lance le 10 novembre 1957 salle Wagram le Parti patriote révolutionnaire (PPR)43.
18Ce dernier est structuré autour de ses troupes de choc, les « Volontaires », dirigés par Georges Ferrière et munis d’uniformes avec galons et insignes. Si Georges Ferrière relève de la mouvance monarchiste (il tiendra la rubrique politique dans le journal Action française jusqu’aux années 2000), les Volontaires regardent clairement du côté des Croix-de-Feu. Ils reprennent la terminologie et l’organisation très hiérarchisée des « dispos » en « mains » et « brigades ». L’organisation qui entend réconcilier résistants et pétainistes dans une même lutte contre la IVe République, reste groupusculaire44. Le PPR n’existe que par son service d’ordre aux allures de milice. Ses membres, parmi lesquels figure toujours Pierre Debizet, font le coup de poing contre les communistes et les mendésistes. S’appuyant sur une note d’information de la direction centrale des RG sur le PPR, Christophe Nick résume leurs actions : « ces membres se spécialisent assez vite dans les opérations de commando : descente dans les meetings de Mendès France et autres démocrates, cassages de gueule, débuts d’incendie, destruction de matériel, etc.45 ». L’organisation tente aussi d’infiltrer l’armée par le biais d’ateliers où le jeune Guy Ribeaud (un des responsables des Jeunes Républicains Sociaux plus tard engagé dans la cause de l’Algérie française46) apprend à des officiers les rudiments de la guerre subversive47. Les PPR seront interdits comme d’autres formations nationalistes par un décret de Pierre Pflimlin le 15 mai 1958, dont l’application tarde dans le désordre des événements de mai. Finalement, Jean-Baptiste Biaggi dissout lui-même son organisation le 16 juin 195848.
19Les VUF comme le PPR témoignent de cette logique de tension délibérée avec le régime dans laquelle s’insèrent désormais des anciens du SO du RPF. Choix ou nécessité ? Le basculement dans la violence groupusculaire et bientôt l’activisme paraît inévitable à ces nationaux-gaullistes qui ont gardé du service d’ordre du Rassemblement le goût pour l’action et une certaine intransigeance, et qui refusent les partis classiques à leurs yeux trop liés au « système » comme les Républicains sociaux (surnommés « Républicains soucieux » par Jacques Dauer). Selon Pierre Lemarchand, « de Gaulle ne vit pas d’un mauvais œil l’arrivée de certains des siens, dont j’étais, dans les rangs des Volontaires de l’Union française, un groupuscule fondé par mon confrère Jean-Baptiste Biaggi, et qui rassembla pas mal de personnages pittoresques, dont beaucoup étaient d’origine corse. Il faut dire que nous n’avions plus, hors les partis traditionnels qui n’intéressaient surtout ceux qui voulaient faire carrière, beaucoup d’endroits pour vivre un engagement politique au jour le jour. Le système avait cassé le RPF49 ». Face à un régime perçu comme de plus en plus illégitime puisque préparant l’abandon de l’Algérie, les préventions qui existaient encore du temps du RPF contre le recours à la violence, à la clandestinité et à l’activisme tombent. La rue de Solférino ne fonctionnant plus, il n’y a plus de direction et de responsables politiques pour rappeler à ces militants excités les règles du débat démocratique, le respect de la ligne légaliste et l’interdiction de toute collusion avec l’extrême droite50. Ces anciens gros bras qui ne sont plus tenus donnent libre cours à ce qui chez eux restait jusqu’alors réprimé sous forme de virtualité. La violence et le goût pour le complot de ces nationaux-gaullistes vont désormais irriguer tout le champ de la contestation de droite. S’agissant de l’étude de la violence militante en France, la période 1954-1958 ne constitue donc pas un simple intermède entre la fin du service d’ordre du RPF et la naissance du SAC.
Des anciens du SO du RPF dans le service d’ordre de l’Usraf
20Si le caractère gaulliste des VUF et du PPR reste discutable, il en va différemment de l’Union pour le salut et le renouveau de l’Algérie française (Usraf) lancée en juin 1956 par l’ancien gouverneur général Jacques Soustelle à son retour à Paris avec le soutien de Michel Debré et Roger Frey51. Ce mouvement, très actif dans le domaine de la propagande en faveur de l’Algérie française et qui travaille en liaison étroite avec le monde ancien combattant via le Caanac d’Alexandre Sanguinetti (rallié aux gaullistes après avoir été sauvé de la faillite par les conseils de l’avocat Biaggi52), abrite en son sein de nombreux anciens du SO du RPF. L’Usraf possède en effet un service d’ordre dont les responsables sont tous des anciens de l’équipe Ponchardier. Claude Dumont (qui appartient également au comité directeur de l’ACUF) est le chef de cet appareil de sécurité structuré de manière identique à l’ancien SO du Rassemblement. Il est assisté de Marc Lescure, son adjoint de la rue de Solférino. Interrogé sur le compte de ce dernier par Christophe Nick, le secrétaire général de l’Usraf Pierre Picard constate :
« Lescure est entré au comité directeur de l’Usraf pour s’occuper de cela. C’était assez mystérieux comme activité : moins on en savait, mieux cela valait. Il s’agissait de recruter quelques “gros bras” qui étaient en fait des mercenaires. On les avait sous la main en cas de réunion. Mais ça n’a jamais été des centaines : quelques dizaines oui. Nous étions moins articulés que ce qu’est devenu le SAC, mais le principe était le même : nous étions prêts aux coups durs. D’ailleurs, la plupart des amis de Lescure ont ensuite rejoint le SAC53. »
21En réalité, plus que d’assurer la sécurité des meetings de l’Usraf au demeurant peu nombreux (la formation de Jacques Soustelle assurant surtout une information par le biais de journaux, brochures et tracts), le petit SO de Claude Dumont et Marc Lescure, aux effectifs réduits mais décidés et expérimentés, s’occupe surtout de renseignement et d’infiltration. Se retrouve là cette part d’ombre des services d’ordre militants, dimension quelque peu bridée à l’époque d’un RPF privilégiant la carte légaliste et électorale, mais qui réapparaît de manière accentuée dans ce contexte politique trouble des mois précédant la crise de mai 1958. À propos de Marc Lescure et d’un de ses proches, Charles Fastômes (ancien du SOE, directeur d’une agence de publicité et ami de Jacques Soustelle), le même Pierre Picard ajoute : « Ces deux hommes gravitaient autour de Claude Dumont, qui avait davantage de contacts clandestins que moi puisque, en tant que secrétaire général, j’avais un rôle très public : je m’occupais du journal, du courrier, des réunions et des meetings, je courais partout. Je serais donc incapable de vous dire ce qu’ils ont fait. Comment retracer les choses quand le clandestin se camoufle dans des activités publiques54 ? » L’impression dominante est celle d’un partage officieux des tâches au sein de l’Usraf. Aux politiques (Soustelle, Frey, Debré, Picard) le soin de défendre au Parlement comme dans les médias la cause de l’Algérie française liée à celle du retour au pouvoir du général de Gaulle, aux gens du service d’ordre la mission plus souterraine mais non moins essentielle de promouvoir la même cause par la mise en place de réseaux et l’infiltration de l’administration et des forces de sécurité.
22Claude Dumont assure ainsi la liaison entre l’Usraf et l’Office national d’information qui a pris la suite de Paix et Liberté et qui est animé par Guy Ravyot. Fondé en mai 1956 par Marcel Amiot et Pierre Rostini, l’Office, toujours installé villa Bosquet mais relayé dans les grandes villes du pays par des chargés de mission régionaux, joue le rôle d’agence de presse spécialisée sur le PCF et la CGT. Il offre de la documentation aux milieux d’affaires, aux centrales syndicales et aux cercles politiques inquiets de la menace communiste, tout en livrant clés en main des articles aux journaux provinciaux. Début 1958, les locaux de l’Office abritent les réunions secrètes entre gens du Caanac, responsables de l’Usraf et anciens du SO du RPF emmenés par Pierre Debizet et Dominique Ponchardier. Sur un plan personnel, la situation de Claude Dumont n’est pas claire. Celui que sa fiche de renseignement sénatoriale présente comme un simple « administrateur au ministère de l’Intérieur » (avec une « situation de fortune » correspondant à « son traitement55 ») semble disposer de moyens financiers et d’une influence excédant largement cet emploi de fonctionnaire place Beauvau. Le responsable du SO de l’Usraf est bien avant tout le responsable d’une « officine politico-affairiste56 ». Certains anciens responsables locaux du SO du RPF ont rejoint l’Usraf où ils ont pris des responsabilités politiques, à l’image de Jean Miriot, ancien délégué du service d’ordre du Rassemblement à Lyon et animateur du puissant comité lyonnais du petit parti soustellien.
Les anciens du SO dans les syndicats indépendants
23Il existe un troisième pôle de repli militant pour les anciens du SO du RPF : les syndicats indépendants57. Ces derniers sont antérieurs au Rassemblement puisque la première structure de ce type apparaît en février 1947 avec l’équipe du journal Travail et Liberté, bulletin mensuel d’une officine patronale, le Comité d’études économiques et syndicales. Autour du projet commun de lutter contre l’emprise du communisme sur le monde syndical se réunissent des anciens confédérés ralliés à Vichy, des unitaires en rupture avec le PCF depuis le pacte germano-soviétique et des anciens de la Confédération des syndicats professionnels français du colonel de La Rocque dissoute par Pétain58. Au même moment, le RPF apparaît qui entend aussi combattre l’influence du parti communiste dans les entreprises avec les groupes d’Action ouvrière dirigé par l’ancien CFTC Yvon Morandat. L’alliance entre les deux forces au nom de l’anticommunisme semble possible. Dès l’année 1947, les responsables de Travail et Liberté, Moutardier, Philippot, Bardollet et Houssard rencontrent l’équipe de l’Action ouvrière du RPF emmenée alors par Louis Vallon, Jacques Baumel et Jacques Marette. Mais le passé vichyste de leurs interlocuteurs dissuade les gaullistes de pousser plus loin ce premier contact59. Après les grandes grèves de 1948 qui ont renforcé l’inquiétude des responsables RPF face à la menace communiste, les négociations reprennent sous la forme d’entrevues personnelles entre d’un côté les gaullistes Louis Vallon, Jacques Marette et Manuel Bridier et de l’autre Sulpice Dewez, ancien député communiste, ancien secrétaire général de la CGT Bois et ancien déporté. Comme beaucoup d’adhérents et de responsables de ces syndicats indépendants sont membres du RPF (c’est le cas à l’été 1949 du responsable des syndicats indépendant des mines dans le Pas-de-Calais), le parti gaulliste n’a pas de mal en octobre 1949 à favoriser sous son égide la création de la Confédération générale des syndicats indépendants (CGSI)60. Le secrétaire général est Sulpice Dewez, assisté de l’ancien CGT transports Martin Leymarie et du RPF Manuel Bridier, ancien communiste et ancien résistant, qui diffuse à l’intérieur de la nouvelle formation la doctrine gaulliste de l’association capital/travail. La collaboration avec FO, a priori envisageable sur la base d’un anticommunisme commun, s’avère impossible en raison des inimitiés personnelles entre Sulpice Dewez et le premier secrétaire général de FO, Robert Bothereau. Les gens de FO sont aussi rebutés par l’idéologie d’extrême droite de plusieurs responsables de la CGSI, comme Jacques Sidos, secrétaire de l’Union des Syndicats indépendants des industries chimiques de la région parisienne.
24Bénéficiant au début d’une dynamique porteuse grâce au soutien discret des autorités (comme le préfet de police de Paris Jean Baylot, ancien de la CGT Postes) et du patronat (notamment dans l’automobile où le patron de Simca, Henri Théodore Pigozzi, implante une antenne de la CGSI dans la petite maîtrise), la CGSI semble promise à un bel avenir. Elle obtient un siège au CES en 1951 grâce au RPF et compte au tout début des années 1950 plusieurs dizaines de milliers d’adhérents (le Rassemblement incitant les compagnons ouvriers à s’encarter) ainsi qu’une douzaine d’unions départementales61. Mais rapidement, les querelles personnelles, maladie endémique du syndicalisme indépendant, minent la CGSI. Des tensions apparaissent entre l’aile « vichyste » qui concentre les moyens financiers et l’équipe gaulliste à qui l’accès aux locaux est refusé. Il faut une intervention du SO du RPF pour régler par la force le blocage. Mais les problèmes persistent et aboutissent à une scission lors du congrès d’octobre 1952. La CGSI de Sulpice Dewez proche des gaullistes et majoritaire se sépare de la CGSI d’André Puech (dit Parsal) qui devient la Confédération syndicale travail et liberté (CSTL). Cette aile, très marquée à droite, est soutenue par les réseaux Delarue/Dides et par l’officine Paix et Liberté62. Le responsable du SO du RPF lyonnais, M. Getto, sollicité par Luc Collet, bras droit de Dominique Ponchardier, pour assurer la protection du courant Dewez, est consterné par le spectacle de ces divisions, ainsi que par le passé de son contact au sein de la CGSI, Pierre Maintrieu (cadre du Syndicat indépendant Renault), qui ne lui cache pas son engagement dans la Légion des volontaires français contre le bolchevisme63. Manuel Bridier évoqua plus tard à l’historien Patrick Guiol des éléments se situant à l’extrême droite du RPF, « à la fois en son sein et à l’extérieur64 ». Entre ces deux courants antagonistes tente d’exister le « syndicat Simca » animé par un ancien communiste de la CGTU rallié au gaullisme, Christian Jacquet. En avril 1957, la CGSI Dewez exclut deux de ses cadres, Pierre Maintrieu et Raymond Houssard (Métaux), qui étaient partis en Algérie offrir aux ultras le soutien de leurs militants ouvriers. Un secrétaire confédéral lui aussi épuré, Jacques Simakis (agent de maîtrise chez Rhône-Poulenc), crée avec eux une nouvelle organisation, la Confédération française des syndicats libres (CFSI).
25Dès ses débuts, le service d’ordre gaulliste a été associé aux syndicats indépendants. Il n’est pas anodin d’ailleurs que rue de Solférino, le secrétariat du SO reçoive le courrier concernant la CGSI. Parce que les syndicats indépendants partagent l’anticommunisme des gros bras, qu’ils font souvent office de milice patronale dans les entreprises où ils sont implantés en affrontant la CGT (soit une mission voisine de celle du SO du RPF face au PCF dans les meetings) et que beaucoup de leurs adhérents sont encartés au RPF, les deux structures sont liées. Aussi les syndicats indépendants servent-ils logiquement de base de repli à certains gros bras du Rassemblement après la mise en sommeil du RPF. Le cas des deux anciens de la brigade volante, Henri Djouder et Raymond Huart, embauché après 1954 au service du personnel de Simca (bastion gaulliste parmi le syndicalisme indépendant) a déjà été cité. Pierre Debizet (qui fera entrer Pierre Maintrieu au bureau du SAC après 1969) est personnellement lié à plusieurs responsables de la CGSI rencontrés entre 1952 et 195865. Interrogé par la commission d’enquête parlementaire sur le SAC, le leader cégétiste Marcel Caille, spécialiste des syndicats indépendants, souligne : « Le SAC a commencé chez Simca d’où sont venus en 1958 les commandos qui ont assuré le service d’ordre du général de Gaulle66. » Dans son ouvrage sur les « truands du patronat », le même leader syndicaliste insiste sur le rôle joué par les gaullistes des syndicats indépendants dans les « complots » de mai 1958. « Comme on pouvait s’y attendre, divers “syndicalistes indépendants” travaillent activement à la préparation du complot du 13 mai 1958. Dans toutes les usines où ils sont représentés, les hommes de ces CGSI fondent des “comités de salut public”. Aussi fantômes qu’éphémères, ces organismes n’existent guère que sur les en-têtes de quelques tracts hâtivement glissés sous les portes des vestiaires, mais, ajoutées aux sympathies qui s’étaient nouées dans les mille et un complots préparatoires, cette activité “nationale” vaut aux “indépendants” la faveur du nouveau régime gaulliste67. » Allusion au rôle joué par les cinq futurs « députés SIMCA » gaullistes de Seine-et-Oise en novembre 1958 : Robert Calmejane (secrétaire de la fédération des métaux CGSI et secrétaire de l’intergroupe des syndicats indépendants du groupe des usines Simca), Jean Bernasconi (secrétaire du syndicat indépendant « pièces détachées » et secrétaire administratif du Rassemblement ouvrier), Albert Marcenet, Jean-Marie Toutain et Jean Drouot Lhermine. Les trois premiers s’occuperont entre le printemps et l’automne 1958 du Comité ouvrier pour l’appel au général de Gaulle (structure artificielle n’existant que sur l’usine Simca de Nanterre mais donnant l’impression d’un soutien des masses ouvrières au retour au pouvoir de l’homme du 18 juin) dont ils seront respectivement secrétaire, trésorier et vice-président.
De la réactivation de l’hiver 1957 aux « complots » du printemps 1958 : des acteurs importants du retour du Général au pouvoir
26Sans être des acteurs majeurs du retour au pouvoir de de Gaulle au printemps 1958, les anciens du SO du RPF jouent dans cette entreprise complexe mais désormais historiographiquement bien couverte68, un rôle qui n’est pas négligeable. S’y mêlent, comme souvent avec le service d’ordre gaulliste, des actions ouvertes et publiques, relevant de la classique dimension militante (affichage, distribution de tracts, protection de personnalités et de meetings), et des actions plus clandestines, à la frange parfois de l’illégalité (infiltration des forces de l’ordre et de l’armée, pressions et manipulations diverses). Comme le note Jérôme Pozzi, « tout l’art des gaullistes qui ont participé aux événements de mai 1958 est d’avoir su osciller entre ces deux formes d’engagement, en fonction des événements politiques et des objectifs poursuivis69 ». Ayant quitté depuis 1953-1954 l’univers partidaire pour celui des réseaux, officines et groupuscules activistes, les anciens gros bras gaullistes, entraînés et sous tension depuis plusieurs années, sont prêts. Le savoir-faire acquis en matière d’encadrement des masses, maîtrise de la violence et collecte de renseignements politiques, les contacts pris avec des responsables administratifs, policiers et militaires, vont se révéler utiles. Ils se meuvent avec aisance dans ce monde de l’ombre, de l’influence et de l’officieux où beaucoup retrouvent des réflexes hérités de la Résistance. Leur champ d’intervention couvre deux espaces : la France métropolitaine notamment en région parisienne et en Provence avec Pierre Debizet, l’Algérie avec Claude Dumont. Il serait toutefois erroné de voir ici un plan d’ensemble cohérent et coordonné. Affirmer comme certains que le SO du RPF est reconstitué au printemps 1958 est exagéré70. L’expression « ranimé », utilisée par Jacques Foccart lui-même lors d’entretiens avec Philippe Gaillard, paraît meilleure car comme le relève le dernier secrétaire général du RPF, « ce n’était pas difficile : le SO n’avait pas vraiment disparu. Debizet était resté en contact avec les anciens du Service, qui étaient prêts à répondre à son appel71 ». L’état-major de Dominique Ponchardier de 1952 reprend certes du service et plusieurs anciens responsables SO de province réactivent leur réseau, via notamment les amicales d’anciens combattants, mais de manière éclatée et avec une efficacité inégale. Si certaines opérations relèvent d’une stratégie d’ensemble de déstabilisation du régime, beaucoup d’actions ressemblent surtout à des initiatives spontanées, individuelles et isolées, parfois même dérisoires et sans portée réelle. N’est-ce pas mises bout à bout par l’historien qu’elles s’inscrivent alors dans le grand programme de « coup contre l’État » ? Le risque de reconstruction a posteriori semble important72.
27En région parisienne, Pierre Debizet, qui a repris pour l’occasion son pseudo de résistant, Debarge, recontacte en liaison avec Jacques Foccart de nombreux compagnons du SO parisien dès la fin 1957-début 195873. Les retrouvailles sont aussi informelles qu’amicales et ont souvent lieu dans des bars comme le Carrefour, rue Ordener, près de la mairie du 18e. Noël Loubet qui s’était occupé de l’équipe des gardes du corps du Général du temps du RPF les rappelle début 1958. Roger Tessier, qui avait quitté Oran l’année précédente (faute de pouvoir continuer à organiser sur place des spectacles de boxe boudés par un public craignant des attentats) répond à sa convocation, tout comme Paul Comiti, Henri Djouder et René Auvray. André Michaudet malade et Georges Huart blessé ne peuvent être de la partie74. Comme à l’époque du RPF, les gros bras rejouent les petites mains de la mobilisation gaulliste. Dans les premiers mois de 1958, Pierre Debizet a l’idée de faire défiler des hommes-sandwichs place de l’Opéra et sur les principales artères de la capitale avec écrit sur les panneaux : « Assez ! Appelons de Gaulle » tout en évitant les forces de police lancées à leurs trousses75. Ce sont les militants du SO également qui, aidés des cadets de Jacques Dauer, des rares militants des Républicains sociaux et des anciens combattants du Caanac, impriment puis assurent la diffusion des affiches appelant au retour de de Gaulle lors des campagnes d’affichage massives des 15 mars, 18 avril et 26 avril 1958. Georges Seigneuret, ancien du SO et futur responsable SAC pour la région parisienne dans les années 1960, le reconnaît devant la commission : « Le service d’ordre du RPF avait été mis en sommeil par le Général, mais lorsqu’il a été question, à la fin de 1957, que le Général revienne, nous avons repris de l’activité, nous avons notamment collé des affiches en liaison avec d’autres compagnons, les Républicains sociaux notamment. » Interrogé sur l’existence de mots d’ordre, le même témoin insiste sur le caractère spontané de cette mobilisation. « Cela n’était pas nécessaire. On sentait bien à la fin 1957 que les choses n’allaient pas très bien, et quand il en est ainsi, les militants se rassemblent d’eux-mêmes76. » C’est Pierre Debizet qui finance (sans doute via les relais patronaux de son ami Claude Dumont) l’impression le 26 avril de 20 0000 affiches de La Marseillaise de Rude avec le slogan « Appelons de Gaulle et la France sera la France77 ». Un rapport de la préfecture de police le décrit, lui et ses militants, en train de distribuer des tracts gaullistes sur les Champs-Élysées début mai78.
28Rapidement, les anciens gros bras s’installent à l’hôtel La Pérouse où de Gaulle avait déjà ses habitudes à l’époque du RPF et où il reprend ses quartiers après avoir quitté Colombey. Pierre Debizet et des proches assurent la protection rapprochée du Général, retrouvant cette fonction initiale du service d’ordre. « Mes camarades et moi, se rappelle Roger Tessier, éprouvions une certaine fierté à nous retrouver dans le sérail79. » Devant l’accélération des événements, « Debarge » réunit le 12 mai au soir les responsables des gros bras rue de Solférino pour leur donner des instructions. Le 19 mai, les mêmes protègent de Gaulle et filtrent les invités lors de la conférence de presse au Palais d’Orsay. Pierre Lefranc note la présence efficace du SO : « Les solides fidèles du service d’ordre, réapparus comme par enchantement, furent requis, et dès le matin de la conférence, étaient occupés à chasser les resquilleurs80. » Le défilé incessant des visiteurs dans le bureau improvisé du Général à l’hôtel oblige les gens du SO à assurer une garde statique permanente dans le couloir. Pierre Debizet organise encore le service d’ordre le 29 mai quand de Gaulle se rend à l’Élysée où René Coty lui demande de former un gouvernement puis le 31 mai quand le nouveau président du Conseil reçoit à l’hôtel les présidents des groupes parlementaires81. Mais, atteint d’une tuberculose mal soignée aggravée par le surmenage et la tabagie, l’ancien n° 3 du SO du RPF doit partir dans la foulée rejoindre pour une cure de six mois un sanatorium du plateau d’Assy en Haute-Savoie. Il n’assistera pas à l’installation au pouvoir du général de Gaulle.
29Parmi les anciens du SO et proches du tandem Debizet/Dumont qui s’activent en mai 1958 figure le docteur Pierre Devraigne. Cet obstétricien qui appartient dès 1948 à l’équipe parisienne de l’appareil de sécurité gaulliste, est maire du 17e arrondissement et membre du conseil municipal de la capitale. Membre de l’Usraf, il est comme rapporteur du budget de la préfecture de police en lien depuis des années avec des responsables policiers de haut rang82. Au moment du plan Résurrection, ces contacts privilégiés permettent à ce proche du Commandant Vitasse (il prend dans les messages télégraphiques le code de « Père » sachant que Vitasse se fait appeler « Grand-Père ») de rencontrer à deux reprises le préfet de police Maurice Papon et son adjoint Pierre Somveille. Il s’occupe notamment avec Marcel Chaumien de faire débarrasser les pistes des aéroports militaires des obstacles que Jules Moch a fait installer en prévision d’un éventuel largage de parachutistes factieux. Interrogé par Christophe Nick, l’instructeur des nageurs de combat du 11e choc Bob Maloubier se rappelle avoir été contacté par Pierre Devraigne à son retour du Gabon pour participer à ces opérations de déblaiement. « Devraigne avait de l’argent, il connaissait tout le monde, il était médecin et avait deux cliniques, dont la clinique du Parc. J’ai plusieurs fois couché chez lui au cours de cette période. D’autres fois, je le retrouvais à son bureau à l’Hôtel de Ville. Il était copain avec le préfet Pelletier ; je l’ai connu quand il s’occupait du service d’ordre du RPF sous la direction de Claude Dumont… C’est un petit monde, tout ça83 ! »
30En province, les anciens du SO du RPF interviennent également. En Provence, Camille Rayon (« Archiduc »), ami intime de Claude Dumont, n’a pas démobilisé après la mise en sommeil du RPF même si en apparence l’ancien responsable régional SO semble reconverti depuis 1954 dans la restauration de luxe sur la Côte d’Azur avec son fameux « Restaurant des pêcheurs » du cap d’Antibes84. Lorsque l’opération Résurrection est lancée, Archiduc installe sur le littoral provençal des émetteurs-récepteurs qui lui offrent une liaison permanente avec Alger échappant aux écoutes de la police. Par ce biais, Jacques Foccart est en contact avec les émissaires gaullistes en Algérie et en Corse85. Les anciens du SO marseillais semblent particulièrement actifs à en croire les journalistes Philippe Boggio et Alain Rollat, qui pour leur biographie de Charles Pasqua, interrogèrent son ancien compagnon du service d’ordre provençal, Gérard Kappé (futur responsable régional du SAC pour les trois départements Var, Bouches du Rhône, Alpes-Maritimes de 1967 à 1969). En mai 1958, Pasqua et Kappé, anciens du groupe « Druide » du réseau « Alliance » de Marie-Madeleine Fourcade, sont mobilisés avec leurs autres camarades du SO pendant dix jours, armés, prêts à investir la préfecture. Si André, le père de Charles, a été chargé de réunir les policiers de l’Évêché (la préfecture de police) fidèles au RPF et si Paul Gaillet, futur secrétaire fédéral de l’UNR, a été promu coordinateur local de ces préparatifs86, Charles Pasqua a reçu une autre mission, organiser, avec l’appui de ses « commandos » de « ricardiens », les groupes de sécurité et le service d’ordre comme par le passé. « Ses hommes couvraient une place de la ville et ses abords immédiats, les armes cachées dans des voitures garées en stationnement. Une vieille mitrailleuse, récupérée sur les docks où la seconde guerre égrenait encore ses dernières traces, était camouflée sous une couverture, derrière la grille d’un balcon. Ses serveurs, un ancien combattant du RPF d’Avignon et un gardien de la paix en civil, pouvaient ainsi tenir la rue en enfilade. » Pendant plusieurs jours, près de 300 hommes armés attendent en vain, massés dans les caves d’un immeuble de la place Félix-Barret un ordre d’assaut qui n’est pas donné.
31Exception marseillaise ? Pas forcément car le même projet de prise de la préfecture par la force semble avoir existé ailleurs. C’est le cas à Nice où là aussi un ancien délégué du service d’ordre du RPF est responsable de l’opération, René Gantois, comme le révèle un rapport des émissaires du CSP d’Alger en juin 1958 (qui ont rencontré l’intéressé). Délégué départemental SO des Alpes-Maritimes à partir de 1952, il a prévu avec 600 hommes « actifs » sous ses ordres (le SO local du RPF comptait 200 militants en 1952) de s’emparer de la préfecture si l’ordre en est donné par Archiduc. Il aurait eu, à l’entendre, l’appui dans cette opération de deux généraux, du chef départemental de la Sûreté (M. Ambrosi) et du chef de cabinet du préfet87. Le 17 mai, Jacques Dauer apprend à Saint-Étienne que des militants de Lucien Neuwirth (ancien responsable des GP de la Loire) se sont fait arrêter par les forces de l’ordre alors qu’ils s’apprêtaient à attaquer la préfecture88. Dans la région toulousaine, le colonel de réserve Émile Tutenges (ancien officier des services secrets en Indochine, ancien délégué départemental du RPF fin 1952 puis responsable du SO dans les Hautes-Pyrénées) réactive en mai des réseaux remontant à la Résistance et au Rassemblement (il sera le responsable SAC en Haute-Garonne au début des années 1960).
32Si en Métropole l’action des anciens du SO gaulliste semble surtout tournée vers une propagande militante classique (exceptée en Provence où les gros bras étaient déjà plus « activistes » à l’époque du RPF), elle prend plutôt en Algérie la forme d’une action subversive tournée vers l’infiltration des forces de sécurité officielles et le détournement dans un sens gaulliste de l’insurrection des milieux nationalistes et pied-noir. Si cette répartition des tâches tient en partie à la personnalité complotiste et clandestine de Claude Dumont (alors que Pierre Debizet semble plus à l’aise dans l’action militante frontale), il faut aussi faire la part du théâtre d’opération. En Algérie, c’est bien à une prise du pouvoir que les anciens gros bras doivent participer alors qu’en Métropole il s’agit « simplement » d’attiser et d’encadrer le mécontentement populaire. Le message de la rue de Solférino, que Jacques Dauer, qui coordonne la création de Comité de Salut Public en Métropole, adresse le 18 mai à ses amis toulousains trop excités et au bord de l’insurrection, résume bien la situation : « notre rôle n’est pas de faire l’émeute mais de la contrôler89 ». Il en résulte dès lors des modalités d’action différentes entre les deux espaces. Reste que dans les deux cas les armes à feu semblent présentes et sortent des caches de la Résistance, ce qui repose la question de la circulation d’armes de guerre dans l’ancien SO du RPF. À Paris, les groupes de Jacques Dauer sont « équipés » et résolus le 29 mai à s’emparer de l’hôtel de ville si Massu veut y implanter un CSP. « Mes gars étaient prêts, on disposait de jeeps, de GMC, et nous étions armés90. » Finalement la désignation de de Gaulle à la présidence du Conseil stoppe in extremis cette dynamique paramilitaire. Dans l’Est, les gaullistes meusiens Louis Mourot et Gilbert Morlet sont convoqués la dernière semaine de mai pour une réunion à l’hôtel Bellevue de Verdun avec des responsables venus de Paris, il s’agit de décider si les caches d’armes mises en place à la Libération seront réouvertes91… Les derniers jours précédant la résolution du 29 mai voient la montée en puissance d’une logique de guerre civile qui ne semble pas totalement « simulée ».
33Le 11 mai 1958, lors d’une réunion dans les locaux de l’Usraf rue Louis-le-Grand, Claude Dumont, responsable du service d’ordre de la formation et spécialiste des opérations sensibles, est désigné pour renforcer le dispositif gaulliste sur place en prévision du coup de force qui s’annonce. Le lendemain, il décolle d’Orly pour l’aéroport d’Alger-Maison Blanche aux côtés de Léon Delbecque et Lucien Neuwirth. À peine arrivé, l’ancien bras droit de Ponchardier s’installe au PC du Palais Bruce (le palais d’hiver des gouverneurs) et rencontre le colonel Godard qui coordonne sous le commandement de Massu les forces de police sur Alger en vertu des lois en vigueur depuis janvier 1957. Le courant passe bien avec l’officier de parachutiste. Claude Dumont voit également le préfet d’Alger, Serge Barret, qui lui offre un bureau avec ligne téléphonique vers Paris et accès à la salle de commandement92. Il en profite pour appeler son camarade de Mauthausen, le directeur adjoint de la PJ à Paris, Michel Hacq. Comme le notent Roger Faligot et Rémi Kauffer, Claude Dumont sait jouer des amitiés et solidarités issues de la Résistance. Lorsqu’il rend visite au préfet Barret, il lui lance : « Archiduc a dû vous prévenir de mon arrivée. » Le lien est aussitôt établi entre les trois hommes puisque si Archiduc a été le chef de Serge Barret durant la Résistance, il a été également l’ami de Claude Dumont en tant que responsable régional SO pour le Sud-Ouest à l’époque du RPF. Lorsqu’il rencontre au Gouvernement général (GG) le commandant Robert Vitasse, il se recommande d’un autre Dumont, René, car il sait que celui-ci a été l’ancien chef de réseau de Robert Vitasse dans la Résistance. L’initiative est efficace puisque le commandant nomme l’ancien membre des corps francs de Combat au comité de salut public en charge des questions policières sous les ordres du colonel Godard93. Le 13 mai, Claude Dumont est présent sur le fameux balcon du GG avec Lucien Neuwirth et Léon Delbecque. Si l’ancien n° 2 du SO du RPF n’a pas contraint le général Salan à dire « Vive de Gaulle » en le menaçant de ne plus lui donner son opium selon une légende véhiculée par Claude Dumont lui-même94, il a usé de son pouvoir de fait sur la police d’Alger pour prendre de vitesse les ultras et orienter les acteurs militaires encore indécis du 13 mai vers le recours à de Gaulle.
34L’étude du mois de juin 1958, un peu négligée par l’historiographie de la crise de mai 1958, montre que l’installation à Matignon de de Gaulle ne ramène pas immédiatement le calme. La période qui suit le retour au pouvoir du Général, même si elle n’est plus marquée par le climat de pré-guerre civile des semaines précédentes, reste encore sous tension. Ici et là, des Comités de Salut public contestent la légitimité des pouvoirs publics. Les anciens du SO du RPF continuent d’être actifs dans cette période agitée de transition comme en témoignent les archives des envoyés du CSP d’Alger en Métropole en juin 195895. Les activistes d’Alger, qui cherchent à sonder les intentions politiques (notamment sur la question algérienne) de ceux qui se sont imposés à Paris, et qui souhaitent également établir une radioscopie de l’opinion française au sortir de la crise, envoient trois délégués (Crespin, Moreau et Parachini) dans les différentes régions de l’Hexagone. Leur rapport (où se lisent déjà les divergences entre gaullistes sur l’avenir de l’Algérie et les incompréhensions entre ultras d’Alger et métropolitains) révèle, pour certaines régions, le poids des anciens du SO dans les milieux gaullistes activistes ayant participé à l’agitation de mai et toujours mobilisés en juin. Arrivés à Antibes le 17 juin, les missionnés entrent en contact avec « Archiduc ». Son identité véritable n’est jamais nommée alors qu’a priori les problèmes de sécurité liés à l’espionnage policier sont levés. La pratique montre d’une part la prégnance de ces réflexes de clandestinité presque conditionnés et d’autre part la conviction pour les gens du CSP d’Alger que la situation politique en Métropole n’est pas encore totalement sûre. Ils rencontrent au Restaurant des Pêcheurs Camille Rayon sur les recommandations de « Grand-Père » (le commandant Vitasse, architecte du plan Résurrection) et son représentant niçois Claude Grandjean. Camille Rayon, présenté comme « un ancien attaché de mission du général de Gaulle qui a travaillé ces derniers temps en coordination avec Grand-Père pour la mise sur pied d’une organisation ayant pour but d’amener le Général au pouvoir et dont il paraît être avec Ponchardier le chef pour le Sud-Est, l’Archiduc dirigeant l’organisation sur place et Ponchardier assurant la liaison à Paris ». Archiduc se montre réservé à l’égard des CSP, insuffisamment représentatifs selon lui et dont l’appellation ne correspond pas « aux conditions psychologiques en France ». Il propose de baptiser « Coordination pour l’union nationale » la nouvelle structure à laquelle il dit travailler avec l’aide de Dominique Ponchardier notamment dans le Sud-Est.
35Même déconvenue lorsque les émissaires du CSP d’Alger rencontrent le niçois René Gantois, ancien responsable du SO du RPF dans les Alpes-Maritimes et délégué du CSP du 13 mai pour le même département (décision de Léon Delbecque). René Gantois comme Camille Rayon ne souhaitent pas l’intégration de l’Algérie mais sont favorables à un système fédératif de peur que 150 députés algériens ne bloquent le Parlement « en s’associant aux communistes et aux socialistes ». À la fin de leur rapport, signé à Nice le 17-18 juin par les émissaires ainsi que par Camille Rayon, Dominique Ponchardier (qui dispose d’une villa à Nice96), René Gantois, André Achiary (ex-commissaire de la DST à Alger réfugié en Provence après le 13 mai), Jules Murraciole (responsable depuis 1954 du Centre d’action nationale du Sud-Est, organisation militant localement au retour au pouvoir du Général), André Astoux (dernier délégué régional Sud-Est du RPF) et Pierre Pasquini (avocat niçois, futur député UNR et autre ancien responsable départemental du SO), les délégués du CSP d’Alger notent néanmoins que Rayon, Ponchardier et Achiary représentent « une force sérieuse dans les Alpes-Maritimes ».
36En octobre 1958, Dominique Ponchardier lèvera en partie le voile sur le rôle des anciens du SO dans les « complots » de mai 1958 à travers un extraordinaire roman à clé : Le Gorille en révolution, 33e volume des aventures de l’agent secret Géo Paquet97. Le quatrième de couverture pose clairement la dimension autobiographique de l’œuvre : « “Faut l’avoir vu pour y croire” dit le Gorille… Pardi ! Il y était. » De fait, Dominique Ponchardier qui a pris sa part des intrigues de mai 1958 et a été mis au courant du reste, décrit les principaux événements et présente (avec un certain art du portait) les grands acteurs via des pseudos assez transparents. Lui-même devient Denis Pondom98, Claude Dumont est rebaptisé Claudius Duront, Camille Rayon-Archiduc apparaît sous le nom de Claude Ruisle-le Marquis (propriétaire du restaurant Les Pescadoux99), Jules Moch est qualifié d’oncle Jules, Jacques Foccart est transformé en Carriotte, André Achiary intervient comme Lascaris, Jacques Soustelle est appelé Sultan, Michel Debré est Tibère, etc. L’ouvrage révèle combien mai 1958 réactive chez les gaullistes l’atmosphère de clandestinité et d’activisme de la Résistance, ce jeu d’écho étant perçu de manière consciente et explicite100. L’agent est sans cesse troublé par ce parallèle historique. « Des picotements sur la peau, il se disait : “C’est bien ce que je crains, la kermesse du vieux temps, les fièvres de 1944.” » Même son supérieur, « le Vieux », est à son tour gagné par la fièvre de cette nouvelle Résistance : « ça l’avait pris comme une dysenterie. La frénésie de Radio Alger, les chargés de mission qui vadrouillent, les réunions de nuit, les “passages” sur la Corse. Toute cette vieille ambiance, le tam-tam du 18 juin ! Et le Vieux se réveillait brusquement gaulliste éperdu ». Tous attendent la diffusion sur les ondes du message convenu, « et alors ce sera comme en juin 44, l’insurrection dans les vingt-quatre heures à venir ». Toutes les conversations sont codées par crainte des écoutes : les villes deviennent des lettres de l’alphabet, les préfets ont des noms d’oiseaux et les généraux des noms de plantes. Lors des rencontres secrètes, les gros bras retrouvent les réflexes de sécurité de la Résistance et du RPF, ils gardent, armés, les abords de la maison et prévoient « une voie de dégagement pour la sécurité101 ».
37L’influence de cette période fondatrice ne se limite pas à ces souvenirs d’ambiance. Parmi les anciens du SO qui animent les intrigues du printemps, certains ont conservé de l’armement issu de la Résistance. Pour reprendre la formule du Gorille, ils ont conservé « du petit matériel à la maison », « pas bésif, une petite caisse planquée, l’armement, ça peut toujours servir »… Gaullistes comme communistes ressortent les mitraillettes Sten de leurs cachettes et opèrent « des liaisons maquis » (prises de contact secrètes). L’ouvrage montre le caractère désordonné de ces complots de mai 1958, où les comités de salut public rassemblent des individus plutôt médiocres102. Les CSP n’ont d’autre autorité que celle qu’un pouvoir dépassé veut bien leur abandonner. L’ensemble n’a « absolument pas l’aspect d’une mobilisation insurrectionnelle mais plutôt l’allure d’un comité d’Emmaüs, style géant ». Chaque camp attend que l’autre se dévoile pour agir et les rumeurs circulent en permanence, enflant et déformant la réalité. L’Intérieur ordonne à ses préfets de se tenir prêts à disparaître pour organiser la résistance républicaine tandis qu’en face « deux maquis ont pris les bois ». De Gaulle est évoqué en fond, acteur passif d’une Révolution qu’il suit de loin. « Ce qui m’embête, lui avait dit Pondom, et je connais de Gaulle, pour l’avoir pratiqué des années, ce qui m’embête, c’est que, s’il a l’impression qu’on veut lui forcer la main, il s’enfermera à Colombey. Moralité, on sera dirigé par une belle petite junte militaire qui fabriquera une Constitution, on la votera dans une saine atmosphère de tank et de barricade. » À croire Dominique Ponchardier, l’opinion serait largement acquise à de Gaulle par antiparlementarisme, contrairement à des élites encore influencées par la représentation héritée du RPF d’un de Gaulle autoritaire et factieux. « Cette révolution est une réaction antiparlementaire pure. La population sait que le Parlement a failli. La grande masse se tourne vers de Gaulle… Les autres n’osent pas y venir. Parce qu’ils s’en sont fabriqué, à leurs propres yeux, un père Fouettard. Ils sont prisonniers du mythe de Gaulle qu’ils ont inventé !… Pourtant ils savent bien qu’ils devront y passer ! Et c’est le miracle de notre affaire : il n’y a pas d’autre recours. Théoriquement, il ne devrait même pas y avoir de révolution ! C’est comme ça que rien n’a été préparé103 ! » Le lecteur assiste au ralliement progressif, d’abord clandestin puis quasi public, des élites administratives, militaires et policières. « Ils ont l’impression que le Général va distribuer les postes, comme on donne les cartes à la belote ! » Le roman met en avant la figure du parachutiste factieux, utilisée autant par les comploteurs pour exercer une pression sur le gouvernement que par les élites métropolitaines pour justifier leur ralliement forcé104.
38Dans le roman, comme dans la réalité, le restaurant d’Archiduc à Antibes sert de point de ralliement pour les conjurés provençaux qui bientôt ne cherchent même plus à se cacher (« quand un colonel ou un général arrivait en uniforme, cela facilitait dans une certaine mesure son identification »). Le courrier y part en bateau pour la Corse d’où un avion l’amène à Alger. En métropole, un coordinateur du territoire (en charge du « réseau mère ») est en contact avec des coordinateurs régionaux. Les comploteurs ont accès, via des sympathisants à la DST et aux RG, au relevé de leurs propres conversations téléphoniques. À la fin de la troisième semaine de mai, les préparatifs s’intensifient105. Dominique Ponchardier évoque l’organisation d’une contre-manifestation gaulliste en réaction à celle de la gauche le 28 mai à Paris où auraient été impliquées les associations de la France combattante, les associations des troupes d’élite et les Amicales patriotiques. 320 000 « gaullistes actifs fichés dans la Seine » devaient recevoir leur convocation et le défilé serait ouvert par les forces armées et la police ralliées. Finalement, de crainte que le régime ne profite de cette mobilisation ouvertement factieuse pour légitimer la répression et casser la dynamique gaulliste, Colombey renonce à la contre-manifestation. Sans parler explicitement du plan Résurrection, l’auteur mentionne une insurrection commanditée d’Alger pour le 27 mai, avec embarquements par bateaux et parachutages de troupes. Prévenu de ces préparatifs, l’Intérieur fait garder les aéroports et les terrains mais… par des hommes acquis à l’insurrection selon l’auteur106.
39L’impression qui se dégage de ce roman à clé est celle d’une révolution aussi confuse qu’annoncée et d’autant plus pacifique qu’elle paraît inévitable, même aux yeux du pouvoir.
« Et partout, partout, on sauvait la forme, les apparences, la face. Le changement de régime était un fait acquis. Aucun de ces gens n’avait même l’impression de vouloir changer de régime, mais bien d’en préparer un, après des années de vacuité. Le gaullisme s’était tacitement imposé, car il n’y avait pas d’autre recours possible. Et cette éventualité avait un peu voilé, en quelque sorte la fureur meurtrière, la vague sourde, profonde, destructrice, d’antiparlementarisme pur. […] Cousin Jules, soi-même, semble penser que l’insurrection est inévitable et qu’il faut essayer de sauver la boutique ! Le président du Conseil en pense probablement autant ! En somme, on sait que ça va craquer. De part et d’autre, on voudrait que ça se déchire doucement… »
40L’ouvrage apporte par ailleurs des informations intéressantes, notamment sur les tensions internes aux gaullistes en mai 1958. Alors que Dominique Ponchardier, prudent et hostile à l’armement des CSP métropolitains, temporise, Jacques Foccart, présenté comme un activiste jusqu’au-boutiste, envisager l’intervention de l’armée contre les CRS avant de suspecter l’ancien patron du SO du RPF de complicité avec le régime. Ce différend explique sans doute, une fois Jacques Foccart devenu le proche conseiller du Président de Gaulle, la mise à l’écart de Dominique Ponchardier des institutions du nouveau pouvoir gaulliste avant son retour tardif via un poste d’ambassadeur en Amérique latine. L’auteur évoque aussi la méfiance réciproque entre Alger et les gaullistes en mai 1958. Lors d’une réunion des conjurés, Pondom, alias Ponchardier, rappelle que les enjeux restent strictement politiques à Paris alors qu’ils prennent une autre dimension, bien supérieure, à Alger. « Nous ne sommes pas en temps d’occupation. Nous sommes en temps de paix, nous ne combattons pas des ennemis. Notre problème est même très différent de celui d’Alger… Pour eux, il s’agit presque d’une question de vie ou de mort. Pas pour nous ! » Le même reconnaît lors d’une autre rencontre : « Nous autres, les vieux gaullistes, nous avons joué le rôle de frein, de canalisateurs. Les formations antiparlementaires voulaient l’action immédiate contre le Parlement. Alger avait exigé une nouvelle formation de régime. C’est nous, les gaullistes, qui avons pris la responsabilité de contenir Alger et ces formations. » Mentionnée dès l’automne 1958, cette « partie de poker entre cousin Jules, les gaullistes et Alger » selon la formule du Gorille, paraît rétrospectivement prophétique et éclaire l’engagement anti-OAS à venir de l’auteur. Ces clivages opposent aussi les gaullistes de métropole et ceux qui, envoyés à Alger, semblent pour certains gagnés par l’excitation locale. Claudius Duront (Claude Dumont) pousse à l’action immédiate et violente (« ça sera une véritable révolution, il vaut mieux que ça pète pendant quarante-huit heures et qu’on n’en parle plus ») alors que Pondom rejette cette ligne radicale107. L’ouvrage interroge enfin le concept de source s’agissant de l’histoire des services d’ordre militants surtout lorsque ces structures sont engagées dans des opérations sensibles et en partie clandestines comme lors du printemps 1958. Faute d’archives constituées (puisqu’il est question de réseaux informels) et de témoignages disponibles (culture du secret oblige), il est impossible d’ignorer ces documents peu conventionnels mais qui apportent beaucoup.
41La période 1957-1958 est fondamentale à un double titre pour comprendre l’histoire à venir du SAC et de ses déchirures. Les anciens du service d’ordre du RPF, qui formeront l’ossature du SAC dès sa fondation fin 1959, se sont mobilisés de l’hiver 1957 au printemps 1958 pour ramener de Gaulle au pouvoir dans le cadre du combat pour sauver l’Algérie française. Même si certains émettent déjà des réserves sur la pertinence du modèle politique de l’intégration, la plupart des gros bras sont des nationaux-gaullistes attachés au maintien intégral de l’Empire. Cette position idéologique et presque « affective » de beaucoup d’anciens du service d’ordre sur le sujet s’explique par le discours « colonial » du RPF (plus conservateur en la matière que son fondateur), par les liens privilégiés que le SO gaulliste entretient avec l’armée, par l’importance de cette thématique pour l’Usraf soustellienne (seule organisation gaulliste vraiment combattive à partir de 1957) mais aussi par le rapprochement tardif durant la traversée du désert des rescapés du SO avec les éléments nationalistes en pointe sur la question. Il s’est créé une véritable identification entre de nombreux anciens gros bras et la cause de l’Algérie française. Beaucoup ont associé promotion du Général et défense de ces départements ultramarins. Beaucoup surtout ont pris des risques en mai 1958, sont parfois sortis de la légalité pour ramener de Gaulle au pouvoir à la faveur de l’émeute algéroise. Pour ceux qui ont osé devenir des « factieux », les deux combats sont désormais indissociables, une dette a été contractée. Certaines formules ambiguës du Général lors de son séjour en Algérie les 3-7 juin 1958 pourront d’ailleurs faire croire à ces grognards que leur champion est bien décidé à sauvegarder à tout prix la présence française sur place. En termes de modèle d’action militante enfin, ceux qui ont déjà basculé au printemps 1958 dans la clandestinité pour l’Algérie française, retrouveront plus facilement que d’autres à partir de 1961 ce chemin de l’activisme. Les « complots » de mai ont créé un précédent et une justification. Et il n’est pas anodin à cet égard de constater que ce sont ceux qui sont allés le plus loin en mai 1958 (Debizet et surtout Dumont) qui refuseront avec le plus de véhémence d’abandonner l’Algérie française.
42Le deuxième point important tient au personnage de Jacques Foccart. Celui qui dans l’opinion est encore de nos jours étroitement associé au service d’ordre gaulliste, était resté bien absent de cette histoire jusqu’à présent. Il la rejoint en se rapprochant à partir de 1954 des anciens du SO du RPF qui vont former le SAC. Jusqu’à cette date, Jacques Foccart n’est pas particulièrement en contact avec les gens de l’appareil de sécurité. Conseiller national pour les Antilles aux premières assises du RPF à Marseille en 1948, ce spécialiste de l’outre-mer et de l’Afrique, conseiller de l’Union française à partir de 1952, n’émerge vraiment au sein de la sphère gaulliste qu’avec le déclin accéléré du Rassemblement dès le printemps 1952 après la scission de l’ARS. Secrétaire général de l’Upang (l’officine chargée de trouver des fonds pour réduire le déficit chronique du parti), il entre au conseil de direction du RPF en mars 1952 puis devient en novembre 1953 l’adjoint de Louis Terrenoire. L’année suivante, de Gaulle le nomme secrétaire général du Rassemblement, il sera le dernier à ce poste, chargé essentiellement de payer les dettes, répondre au courrier… et maintenir une structure militante au cas où. Ce fidèle fait partie des rares à côtoyer régulièrement de Gaulle à Colombey durant la traversée du désert et à l’accompagner durant ses voyages en outre-mer de 1953 à 1956, il y gagne cette proximité avec le Général qui se prolongera à l’Élysée comme conseiller présidentiel sur les questions relatives à l’Afrique, à l’outre-mer, aux services secrets et à la politique intérieure. C’est ce lien privilégié de Jacques Foccart avec de Gaulle qui, construit durant les années 1950, lui donnera auprès des gens du SAC lors de la décennie suivante cette autorité morale incontestée. Dans l’immédiat, ce fidèle ne peut que rencontrer ces autres grognards que sont les gros bras, dernier carré de la Garde après la débâcle des municipales de 1953. De solides amitiés héritées de la Résistance achèvent de souder les deux parties. Dominique Ponchardier est ainsi depuis la guerre un ami proche de Jacques Foccart à qui il donne du « mon cher vieux » dans ses courriers. Durant la traversée du désert, l’ancien patron du SO installé dans sa villa niçoise, invite souvent le secrétaire général à venir chez lui. « La maisonnée se ferait plaisir de t’avoir » assure-t-il à son ami début 1957 faute de pouvoir le rencontrer rue de Solférino en raison du tournage du Gorille. Avant d’ajouter : « si tu jugeais que c’est important, je viendrais exprès ». Quelques mois plus tard, sentant sans doute la situation politique redevenir favorable, Dominique Ponchardier, pourtant toujours pris par le même tournage, recontacte Jacques Foccart, « ceci simplement pour te rappeler que je suis toujours à ta disposition108 ». La réponse dut être positive puisque « Bibi Fricotin » est de retour rue de Solférino dans les dernières semaines de 1957.
43Jacques Foccart est un acteur majeur de mai 1958, tentant depuis les locaux réactivés du siège du RPF de centraliser les initiatives éclatées et brouillonnes des activistes gaullistes à Alger comme en Métropole. Dernier secrétaire général du RPF, il retrouve la clandestinité en se réfugiant incognito dans un petit appartement meublé du quartier du Panthéon et participe aux conciliabules secrets avec les principaux acteurs gaullistes des intrigues de mai (Michel Debré, Jacques Soustelle, Jacques Chaban-Delmas, Olivier Guichard, Pierre Lefranc, Roger Frey, Alexandre Sanguinetti, Jacques Dauer, Pierre Picard, Lucien Neuwirth, Léon Delbecque, Christian de la Malène, Roger Delpey, René Ribière, etc.)109. Il reste en liaison constante avec de Gaulle via notamment le colonel de Bonneval, prend des contacts plus ou moins directs avec des officiers supérieurs et des membres de la haute administration grâce à des amitiés héritées de la Résistance et des réseaux mis en place sous le RPF. Membre important de la Confédération de la France combattante et de son organe directeur, le comité des chefs de réseaux, il mobilise pour la cause gaulliste les anciens agents de renseignement issus notamment du BCRA. Réserviste à Cercottes, il obtient du service Action (dont les liens avec le SO gaulliste ont été soulignés) qu’il assure la protection de la Boisserie dans les semaines précédant le 13 mai. Une petite dizaine de réservistes du 11e choc s’installe dans le parc de la propriété du Général et y reste de manière discrète jusqu’à la fin de la crise110. Interrogé par Christophe Nick, un ancien de l’unité, Raymond Muelle, note : « à partir de mars 1958, le service “Action” devient la propriété de Foccart ». Le même nous a livré un témoignage confirmant cette utilisation politique de cette unité militaire prolongée début juin.
« En mai 1958, sous l’action de Foccart, véritable patron du service Action, le service et les réservistes du 11e choc ont été utilisés par le clan gaulliste. […] Dès le mois de mai, les réservistes du service Action veillaient sur la Boisserie. Personnellement, début juin 1958, j’étais chargé par le service Action de contacter les généraux commandants de région Descours à Lyon, Miquel à Toulouse pour leur confirmer que les réservistes de notre service seraient à leur disposition en cas d’affrontement avec une opposition au mouvement. J’étais dans le bureau du général Miquel lorsque ce dernier apprit que Coty confiait le pouvoir à de Gaulle111. »
44Ce dernier, souvent présenté comme un pur conseiller de l’ombre, est aussi un homme d’action qui sait payer de sa personne. Jacques Foccart participe ainsi à la manifestation parisienne du 13 mai sur les Champs-Élysées avec les membres du PPR et de l’ACUF (mais aussi des nationalistes de Jeune Nation112) et se fait arrêter par la police (avant d’être libéré rapidement une fois montrée sa carte de parlementaire)113. Bien placé pour savoir la part prise par les anciens du SO dans ces actions/pressions/manipulations de mai, Jacques Foccart s’est lié étroitement à ces hommes dont il apprécie le tempérament combattif, l’engagement personnel, la culture du secret et la foi gaulliste. Il en résulte un sentiment de compagnonnage typiquement gaulliste mais ici particulièrement fort qui incitera par exemple Jacques Foccart à protéger Pierre Debizet en le récupérant dans ses réseaux africains après que celui-ci eut quitté la direction du SAC en désaccord ouvert avec la politique algérienne du Général.
Notes de bas de page
1 Lemarchand P., op. cit., p. 55.
2 Tessier R., op. cit., p. 32.
3 Service historique de la Défense, témoignage oral du colonel Paillole, 3 K 15, XXI 12 AV 171 (communication réservée).
4 Kauffer R. et Faligot R., op. cit., p. 348.
5 RCE, t. 2, témoignage d’Ambroise Henry, op. cit., p. 507.
6 RCE, t. 2, témoignage de Jacques Foccart, op. cit., p. 916.
7 FCDG, archives RPF, carton 62, lettre du 24 mai 1955.
8 Dauer Jacques, Le Hussard du Général, Paris, La Table ronde, 1994, p. 67.
9 Ibid., p. 68.
10 Bernard J.-P. A., Paris-Rouge, 1944-1964, les communistes français dans la capitale, op. cit., p. 31-32. Du même auteur, « Novembre 1956 à Paris », Vingtième Siècle, 1991, n° 30, p. 68-81.
11 Jacques Dauer laisse entendre qu’il a caressé l’espoir d’entraîner les manifestants vers le Palais Bourbon mais que la police a détourné le flot de manifestants vers le siège du Parti communiste (Dauer Jacques et Rodet Michel, Le 13 mai sans complots, Paris, La Pensée moderne, 1959, p. 43-45). Guiblin Claude (ancien étudiant RPF qui rejoint les Jeunes Amis de la Liberté, et témoigne de la convergence en 1956 entre étudiants gaullistes et nationalistes), La passion d’agir, Paris, La Pensée universelle, 1993, p. 160.
12 Le Monde, 9 novembre 1956.
13 Le Figaro, 9 novembre 1956.
14 « Les cortèges qui en novembre 1956 convergeront vers les sièges du CC et de L’Humanité, menacés par des commandos d’extrême droite, auront une mission purement défensive » (Pigenet Michel, Au cœur de l’activisme communiste des années de guerre froide, la manifestation Ridgway, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 160).
15 Bernard Jean-Pierre, « Novembre 1956 à Paris », op. cit., p. 74.
16 Ibid., p. 74.
17 Le Parti n’hésite pas à rappeler « l’incendie du Reichstag » (L’Humanité, 10 novembre 1956).
18 Andrieux René, Du bonheur et rien d’autre, Paris, Stock, 1975, p. 198. Wurmser André, Soixante ans de vie politique et littéraire, Paris, Grasset, 1979, p. 438. Lavigne Raymond, Je suis un communiste heureux, Paris, La Table ronde, 1981, p. 248.
19 Dauer J., op. cit., p. 71-72.
20 Dauer J., op. cit., p. 74-75.
21 Duhamel Éric, « Jean-Paul David et le mouvement Paix et Liberté, un anticommunisme radical », in Delmas Jean et Kessler Jean (dir.), Renseignement et propagande pendant la guerre froide, 1947-1953, Bruxelles, Complexe, 1999, p. 217-225. Sommer René, La France dans la guerre froide, Paix et Liberté, 1950-1956, DEA, IEP Paris, 1980. Du même auteur, « Paix et Liberté, la Quatrième République contre le PC », L’Histoire magazine, n° 40, décembre 1981, p. 26-35.
22 Charpier Frédéric, La CIA en France, soixante ans d’ingérence dans les affaires françaises, Paris, Seuil, 2008. Stonor Saunders Frances, Qui mène la danse ? La CIA dans la guerre froide culturelle, Paris, Denoël, 2003.
23 Le premier habitait au 10 tandis que le second résidait au 8.
24 Ancien de l’Armée secrète et déporté à Mauthausen, Bernard Rigollier dirigeait le SO du RPF pour une région comprenant la Vienne, la Charente, la Dordogne, la Haute-Vienne, la Creuse, la Corrèze, le Lot, le Puy-de-Dôme, le Cantal, la Haute-Loire, la Lozère et l’Ardèche. Ce négociant en vin, proche de Pierre Juillet, rejoint Paix et Liberté en juillet 1952.
25 L’office fait partie de ces succursales patronales anticommunistes de la guerre froide qui assurent avec discrétion mais efficacité une double mission : participer indirectement au financement des partis opposés au PCF et alimenter les médias en dossiers sur l’influence communiste. Le modèle reste le BEIPI de Georges Albertini et son Centre d’archives et de documentation politiques et sociales (Lemire Laurent, L’homme de l’ombre, Georges Albertini, 1911-1983, Paris, Balland, 1990). Le cas de Jean Jardin peut aussi être cité (Assouline Pierre, Une éminence grise, Jean Jardin, 1904-1976, Paris, Balland, 1986). Des gaullistes participent à ces offices. L’influent conseiller municipal RPF Jean Drouot Lhermine anime au début des années 1950 une Société d’études et de statistiques économiques et sociales.
26 Pozzi J., op. cit., p. 315.
27 Le nom même de l’organisation s’inscrit dans l’univers ancien combattant puisque l’ACUF décernait la médaille associative des Anciens Combattants volontaires de l’Union française des corps expéditionnaires d’Extrême-Orient et d’Afrique du Nord.
28 AN d’Outre-Mer, Associations françaises d’Algérie, synthèse des RG, 1955, dossiers de surveillance, associations n° 1-39, 1947-1958, cote FR ANOM 81 F 804. Dominique Ponchardier, ainsi que Roger Barberot et Henri Gorce-Franklin signent un appel des VUF juste avant une réunion de l’association salle Wagram le 13 mars 1956.
29 Comme le rappelle Pierre Lemarchand, le général Simon, le taquinait en confiant : « Moi, je suis descendu simplement par la passerelle. »
30 SHD, témoignage oral de Jean-Baptiste Biaggi, 3 K 20, I (12 AV 128, plage 1).
31 Rapport de la direction des RG de la Sûreté nationale datant du 18 février 1957 et remis par Émile Vié aux différents préfets (AD des Landes, 238 W 353). Les VUF ont été fondés le 7 mars 1956 par J.-B. Biaggi et R. Delpey.
32 Témoignage d’André Fanton à l’auteur le 28 septembre 2008. Les VUF envisageaient la création de commandos parisiens destinés à opérer des raids contre des centres nord-africains.
33 Chebel D’Appolonia Ariane, L’extrême droite en France, de Maurras à Le Pen, Bruxelles, Complexe, 1996, p. 289.
34 Nick C., op. cit., p. 192.
35 Geneuil Guy-Pierre, Le Narvalo, Paris, JC Lattès, 1987, p. 160.
36 Geneuil G.-P., op. cit., p. 170-172.
37 Le journal trotskiste Lutte de classes (Voix ouvrière) se fait l’écho de ce meeting mouvementé dans son édition du 15 janvier 1957 : « Y a-t-il un danger fasciste ? Il a suffi d’une centaine d’hommes de main d’extrême droite pour qu’un meeting de plusieurs milliers d’hommes, celui de Mendès France au Vel d’Hiv, ne pût avoir lieu. Ceux-ci, en groupes, lancèrent des grenades lacrymogènes sur l’estrade dès le début du meeting, et la panique s’étant déclenchée, la police entra en scène et fit évacuer la salle. »
38 Pierre Lemarchand n’a jamais été membre du SO du Rassemblement mais, en tant que responsable RPF d’un secteur de la banlieue parisienne, a souvent fait le coup de poing contre les communistes (RCE, t. 2, op. cit., témoignage de Pierre Lemarchand, p. 739).
39 Lemarchand P., op. cit., p. 45.
40 Pas de trace de l’engagement éphémère de Roger Barberot aux VUF dans ses archives personnelles déposées à la Fondation Charles-de-Gaulle (fonds Roger Barberot, F 26, cartons 6 et 7 : RPF puis dossier de presse sur les années 1950).
41 Où combattront des anciens du SO du RPF et des VUF comme André Goulay et Guy-Pierre Geneuil. Sur l’histoire de la 531e demi-brigade des fusiliers de l’air, Barberot Roger, Malaventure en Algérie, Paris, Plon, 1957 et À bras le cœur, Paris, Robert Laffont, 1972.
42 Lemarchand P., op. cit., p. 57.
43 Le lancement est annoncé par Jean-Baptiste Biaggi (« Appel aux hommes de la dernière chance ») dans l’hebdomadaire nationaliste Artaban créé par Jacques Hébertot (Artaban, 1er novembre 1957, n° 30).
44 Algazy Joseph, La tentation néo-fasciste en France (1944-1965), Paris, Fayard, 1984.
45 Nick C., op. cit., p. 192.
46 Audigier François, « Malaise et divisions des jeunes gaullistes durant la guerre d’Algérie », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 74, avril-juin 2004, p. 50-55.
47 Faure Claude, Aux Services de la République. Du BCRA à la DGSE, Paris, Fayard, 2004, p. 290.
48 SHD, témoignage oral de Jean-Baptiste Biaggi, 3 K 20, I (12 AV 128, plage 2, objectifs du PPR, actions et manifestations du PR).
49 Lemarchand P., op. cit., p. 50.
50 Sur les liens entre le PPR et l’extrême droite, Pozzi Jérôme, Les mouvements gaullistes de 1958 à 1976 : la diversité d’une famille politique. Réseaux, cultures et conflits, thèse de doctorat d’histoire, 4 volumes, sous la direction de Jean El Gammal, décembre 2008, ici p. 44. Dard O., « Jalons pour une histoire des étudiants nationalistes sous la IVe République », op. cit., p. 257-258.
51 Chastang Nicolas, L’USRAF, maîtrise d’histoire contemporaine, sous la direction de B. Lachaise, université Bordeaux 3, et F.-C. Mougel, IEP Bordeaux, 1999.
52 Montaldo Jean, Dossier S comme Sanguinetti, Paris, Alain Moreau, 1973, p. 20-22.
53 Nick C., op. cit., p. 575.
54 Ibid., p. 575.
55 Sénat, service des archives, dossier personnel du sénateur Claude Dumont, fiche de renseignement remplie après l’élection de ce dernier comme sénateur de Sétif-Batna en mai 1959.
56 Faligot R. et Kauffer R., op. cit., p. 579.
57 Favre Didier, Ni rouges ni jaunes, de la CGSI à la CSL. L’expérience du syndicalisme indépendant, Paris, Éditions Midi moins le quart, 1998.
58 Synthèse sur l’histoire de la CSL sur le site de l’Institut supérieur du travail [www.istravail.com], rubrique « Les études sociales et syndicales », dossier « La fin de la confédération des syndicales libres », 7 novembre 2002.
59 Guiol Patrick, L’impasse sociale du gaullisme, le RPF et l’Action ouvrière, Paris, Presses de la FNSP, 1985, p. 76-79.
60 Jacques Simakis, ancien responsable de la CGSI, interrogé au sujet de son syndicat par la commission d’enquête parlementaire sur le SAC, déclare : « c’est le RPF lui-même qui l’a créée » (RCE, t. 2, témoignage de Jacques Simakis, p. 752).
61 Caille Marcel, Les truands du patronat, Paris, Éditions sociales, 1977, p. 177-180. Marcel Caille, secrétaire général de la CGT, est l’auteur de plusieurs enquêtes, très à charge, contre les syndicats indépendants dont L’assassin était chez Citroën, Paris, Éditions sociales, 1978. Sur le même sujet et dans la même ligne, Rollin Henri, Militant chez Simca-Chrysler, Paris, Éditions sociales, 1977. Angéli Claude et Brimo Nicolas, Une milice patronale : Peugeot, Paris, Maspéro, 1975.
62 Dans un article de Combat d’octobre 1954, Louis Vallon constate : « La scission fut motivée par l’ingérence d’une organisation politique ainsi que par l’intervention d’éléments policiers dans les affaires syndicales de la CGSI. » Journaliste à L’Humanité, Alain Guérin déclare à la Commission d’enquête parlementaire sur le SAC : « Historiquement le service d’ordre du RPF a donné naissance au réseau Dides qui était aussi une antenne américaine comme il en existait d’autres en Italie. Les syndicats indépendants, comme la CGSI, future CFT puis CSL, nées d’une série de scissions, formaient une branche de ces réseaux contrôlés par Albertini, l’ancien adjoint de Déat. Ils demeurent liés au SAC » (RCE, t. 2, témoignage d’Alain Guérin, p. 842).
63 FCDG, archives RPF, carton 64, lettre de M. Getto à Luc Collet le 14 octobre 1952.
64 Guiol P., op. cit., p. 77. Chairoff Patrice, B comme Barbouzes, Paris, Alain Moreau, 1975, p. 234.
65 Pierre Debizet s’emporte contre Amaury Lubeck, chef de la sécurité au siège du SAC et responsable de la CFT à Peugeot, lorsque ce dernier critique la direction nationale de la CFT : « J’ai dit à Debizet que les gens de la CFT étaient des… Debizet a eu un coup de sang et m’a répondu : ce sont mes potes ! » (RCE, t. 2, témoignage d’Amaury Lubeck, p. 856).
66 RCE, t. 2, op. cit., témoignage de Marcel Caille, p. 708.
67 Caille M., op. cit., p. 180.
68 Thomas Jean-Paul, Le Béguec Gilles et Lachaise Bernard, Mai 1958, le retour du général de Gaulle, Rennes, PUR, 2010.
69 Pozzi J., op. cit., p. 138.
70 « Debizet a fait sortir de leur torpeur les hommes des sections RPF de province » (Faligot R. et Kauffer R., op. cit., p. 358). « Debarge ressoude le service d’ordre du RPF sur l’Île-de-France dès la fin mars » (Nick C., op. cit., p. 303- 304).
71 Foccart Jacques et Gaillard Philippe, Foccart parle, t. 1, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1995, p. 135.
72 Le responsable de l’Usraf, Pierre Picard, interrogé par Christophe Nick, mettait du reste en garde les historiens à propos des complots de mai 1958 : « Il faut vous méfier des récits qui donnent une trop grande cohérence. Il y a eu surtout des juxtapositions d’activités, aucune fusion entre elles, et c’était ça, la force autour de de Gaulle » (Nick C., op. cit., p. 683).
73 Bat J.-P., op. cit., p. 76.
74 Tessier R., op. cit., p. 33-34.
75 Dauer Jacques, Le hussard du Général, Paris, La Table ronde, 1994, p. 79.
76 RCE, t. 2, témoignage de Georges Seigneuret, p. 899-900.
77 Dauer J. et Rodet M., op. cit., p. 100. La diffusion de cette affiche sur toute la France selon une logistique efficace (Un militant, employé à la SNCF, emmène 300 kg d’affiches vers Dijon, Châlons, Mâcon, Lyon, Valence… jusqu’au terminus. À chaque arrêt, des voitures attendent pour servir Arbois, Bourg, Grenoble, Saint-Étienne, Montluçon…), laisse à penser que ce n’est pas le réseau des Jeunes du Télégramme de Paris qui a été ici utilisé mais bien plutôt celui des anciens délégués départementaux du SO.
78 APP, BA 2453, situation politique mai-juin 1958, note du 6 mai 1958.
79 Tessier R., op. cit., p. 34.
80 Lefranc P., op. cit., p. 121.
81 Foccart J. et Gaillard P., op. cit., p. 135.
82 Devraigne Pierre, Rapport sur le fonctionnement de la préfecture de police au cours de l’année 1954, Paris, Éditions du conseil municipal de Paris, 1955.
83 Nick C., op. cit., p. 681.
84 Camille Rayon achète sur la baie des Croutons deux petites cabanes de pêcheurs et un terrain de 750 m2. Après avoir obtenu l’autorisation d’endiguer, il gagne sur la mer et crée un petit port. Avec l’aide des pêcheurs locaux, il construit un restaurant baptisé « La maison des pêcheurs ». Cet établissement de luxe, célèbre pour la qualité de sa bouillabaisse, attire rapidement une clientèle chic venue des hôtels de la Côte d’Azur. Des stars de la chanson et du cinéma (Brigitte Bardot, Sophia Loren, Gary Grant, Eddy Barclay) deviennent des habitués tandis que l’aristocratie de la plaisance prend l’habitude d’y descendre l’été. En 1960, Camille Rayon installe dessous le restaurant une salle de spectacle très prisée notamment pour ses concerts de jazz.
85 Nick C., op. cit., p. 683.
86 À Marseille en mai 1958, les activistes se répartissent en plusieurs organisations. Le gaulliste Paul Gaillet dirige un « Front de liberté gaulliste » comprenant 1500 hommes organisés et encadrés. Le colonel Chevalier, ancien d’Indochine et responsable local de l’ACUF, dirige une cinquantaine d’hommes. Blanc, le président du CSP de Marseille, commande à 200 hommes « de choc » (anciens d’Afrique du Nord, Corses, dockers, ouvriers des ateliers métallurgiques Terrin).
87 Angelelli Jean-Paul, « Missions en France en juin 1958 », Bulletin des Amis de Raoul Salan, nos 19 et 20, premier trimestre 2009 (voir le passage « une région très sensible : la 9e RM » qui évoque le cas de la Provence). Jean-Paul Angelelli s’interroge : « Est-ce exact ou une manière d’impressionner les gens d’Alger ? »
88 Dauer J. et Rodet M., op. cit., p. 113.
89 Ibid., p. 115.
90 Dauer J., Le hussard du Général, op. cit., p. 84.
91 Schwindt Frédéric, « De la difficulté de construire un appareil politique, le RPF en Meuse et en Meurthe-et-Moselle (1947-1958) », in Audigier François et Schwindt Frédéric (dir.), Gaullisme et gaullistes dans l’Est sous la IVe République, op. cit., p. 125.
92 Nick C., op. cit., p. 391.
93 « Normal, je le faisais chanter. J’avais piqué la clé de l’armoire à came ! » Faligot R. et Kauffer R., op. cit., p. 360-361.
94 Nick C., op. cit., p. 502.
95 Angelelli J.-P., « Missions en France en juin 1958 », in Bulletin des Amis de Raoul Salan, nos 19 et 20, premier trimestre 2009.
96 Viletta Joy, au 59 du boulevard Maurice Maeterlinck à Nice.
97 Dominique Antoine, Le gorille en révolution, Paris, Gallimard, 1958.
98 « La quarantaine, service “Action” et “Renseignements” pendant l’occup… Un de plus ! Quelques petits antécédents de tueur en 41-42… Pondom, dit “Pompom Trompe-la-Mort”, encore un survivant !… Il est des types comme ça qu’on n’arrive pas à tuer » (Dominique A., op. cit., p. 30).
99 « Un service Action en occupation, des petits yeux vifs bleu sombre, le cheveu noir de l’Inca, maigre, sec, pétulant, patient, têtu et combineur, un rombier qui faisait le poids quoi ! » (Dominique A., op. cit., p. 21).
100 À Alger, « ils envoient déjà des messages comme Radio Londres… Le barbu aime les petits pois… Joséphine boite de la jambe droite… C’était cela qu’il redoutait Géo. Il craignait de se laisser emporter sans raisonner. Par le simple rappel du passé » (ibid., p. 11).
101 Ibid., p. 25, 63, 145 et 127.
102 « Carriotte », alias Foccart, « convoqua immédiatement chez lui quatre membres du comité de salut public, choisis parmi les plus gratinés : un footballeur professionnel âgé de dix-neuf ans, un restaurateur perpétuellement aviné, un lieutenant de commando et la perle, la Passionnaria pétino-résistante du quartier » (ibid., p. 87).
103 Dominique A., op. cit., p. 15, 56, 70, 130.
104 Ibid., p. 69 et 129. « Pondom expliqua qu’il était résolu à “laisser les élites en place”. Et les élites, rassurées, demandèrent simplement à être contraintes, à être élégamment forcées, à passer par-dessus les lois, les décrets, les arrêtés et les règlements intérieurs. Pour cela, surgissait cette providence : le para. Car il faut bien le dire, cette révolution fut placée sous le signe du parachutiste. Le para était à la mode. Bon à tout le para : soldat, maître d’école, infirmier, nounou, défenseur de la patrie, “abatteur de la République” pour les uns, et “sauveur des institutions” pour les autres ! La panacée, la para-panacée. Il était alors notoire, il était alors légitimement admis que rien ne pouvait s’opposer aux paras et que les paras remplaçaient tout. Le CRS surtout était très friand du para. Selon l’équation suivante : un para contraint honorablement une section de CRS à se ranger du côté de la révolution. »
105 Ibid., p. 127. « Tous les corps constitués étaient convoqués pour cette nuit, afin de préparer le plan d’ensemble. On se téléphonait en clair ! Dans la gêne, il n’y a plus de plaisir ! Le restaurant de Ruisle devenait un des hauts lieux de la révolution froide. Cependant à huit heures du soir, Jean, le directeur de la police, en secteur un, un Corse énorme et tonitruant, arriva, inquiet. “Tout le monde connaît votre réunion plénière ici. Vous risquez un joli petit Caluire ! Pourquoi ne venez-vous pas chez moi ? C’est commode, je ne peux quand même pas m’arrêter moi-même !” »
106 Dominique A., op. cit., p. 163 et 165.
107 Ibid., p. 131, 80, 162 et 165.
108 FCDG, archives RPF, carton 62, lettres de Dominique Ponchardier à Jacques Foccart courant 1957.
109 Bat Jean-Pierre, Le syndrome Foccart, la politique française en Afrique de 1959 à nos jours, Paris, Gallimard, 2012, p. 75-79.
110 Nick C., op. cit., p. 583.
111 Témoignage de Raymond Muelle à l’auteur le 12 janvier 2009.
112 Tartakowsky D., op. cit., p. 650.
113 Foccart J. et Gaillard P., Foccart parle, t. 1, op. cit., p. 131.
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