Chapitre IX. La grande purge
p. 217-248
Texte intégral
1Début février 1954, le père Emmanuel Suarez, maître général des dominicains, effectue en France la « grande purge1 » évoquée dans son Journal par le père Congar, qui en est l’une des principales victimes. Elle concerne quatre religieux de la province de France : le père Congar et le père Féret sont écartés du corps professoral du Saulchoir ; le père Chenu, déjà frappé en 1942, doit être éloigné de Paris ; le père Boisselot est remplacé par le père Chifflot comme supérieur de la maison de La Tour-Maubourg. Par une entorse profonde aux constitutions de l’Ordre, des religieux nommés remplacent les provinciaux élus : le père Vincent de Paul Rande est ainsi substitué au père Marie-Joseph Nicolas à Toulouse, le père Maurice Corvez au père Damase Belaud à Lyon et le père Vincent Ducattillon au père Albert-Marie Avril à Paris. Quant aux dix prêtres-ouvriers dominicains, ils ont été priés le 26 janvier de quitter leur travail pour le 1er mars.
2La « grande purge » dominicaine, qui a suscité un tollé dans l’aile marchante du catholicisme hexagonal, a tôt attiré l’attention d’historiens auxquels l’Ordre a libéralement ouvert ses archives françaises. Elle est donc bien connue dans ses grandes lignes2, même si sa face romaine reste dans l’ombre du fait de l’impossibilité d’accès aux fonds du pontificat de Pie XII. Il n’est donc pas question d’en suivre toutes les péripéties, mais de la revisiter du point de vue des Éditions du Cerf, ce qui n’a pas été fait jusque-là. Le projecteur a en effet été braqué, soit sur le sort des prêtres-ouvriers, soit sur celui des théologiens sanctionnés, Chenu et Congar au premier chef. Le retentissement de la crise sur la maison d’édition dominicaine n’est pourtant pas mince. En destituant le père Boisselot, qui n’a guère publié et auquel on ne peut reprocher que des écrits mineurs, c’est bien le chef d’orchestre supposé d’un réseau qui comprend, outre les Éditions du Cerf, celles du Temps Présent et les publications de La Vie Catholique illustrée, qu’on veut atteindre.
Une crise prévisible
3Elle n’a en effet rien de fortuit. On peut même soutenir qu’elle est un remake, ou le second épisode, de celle de 1942-1943, dont l’issue n’a pas donné pleine satisfaction aux autorités romaines. Alors menacés d’expulsion du Saulchoir comme leur maître Chenu, le père Congar et le père Féret étaient en sursis dans un studium où le père Thomas Philippe, régent nommé en 1942, n’a pas réussi à ramener la paix, les partisans du père Chenu lui menant la vie dure3. Leur mise à l’écart de 1954 achève ce qui n’a été qu’esquissé une dizaine d’années plus tôt. Comme en 1943, le cas du père Boisselot est plus complexe : il perd sa charge de supérieur religieux, mais reste boulevard La Tour-Maubourg où il peut continuer de diriger les Éditions du Cerf. Le sens bien compris des intérêts de l’Ordre en France empêche, dans un premier temps, de l’éloigner de Paris.
4Depuis la guerre, le contentieux de Rome avec les dominicains français s’est alourdi. Ne les trouve-t-on pas à l’avant-garde des divers mouvements réformistes au sein de l’Église de France qui font souci ? Mouvement biblique avec l’École de Jérusalem et la Bible du même nom, mouvement liturgique avec le CPL, mouvement de l’art sacré avec la revue éponyme des pères Couturier et Régamey, mouvement œcuménique avec le père Congar ou le Centre Istina, et enfin, last but not least, mouvement missionnaire dans les milieux populaires : non seulement quelques religieux sont devenus ouvriers, mais des théologiens connus de l’Ordre, le père Féret à Limoges, les pères Bouëssé et Henry sur les barrages et le père Chenu à Paris, se sont offerts pour les accompagner. Or tous ces mouvements trouvent leur débouché éditorial aux Éditions du Cerf… Les années suivant la Libération, que le père Congar décrit comme « un des plus beaux moments de la vie de l’Église4 », durant lequel « une fois de plus » le catholicisme français travaillerait « pour l’avenir et pour le monde entier5 », sont au contraire perçues à Rome comme le moment de tous les dangers. Et les dominicains français, qui devraient être les fidèles serviteurs du magistère, comme les promoteurs et les diffuseurs d’idées et d’initiatives jugées suspectes.
5Les sanctions ne tardent donc pas à pleuvoir. Son livre Signification du marxisme ayant été retiré de la vente, le père Henri-Charles Desroches, de la province de Lyon, mais animateur de l’antenne parisienne d’« Économie et Humanisme » et tête pensante de la mission dominicaine du 13e arrondissement, quitte l’Ordre en 1950 avant de se marier6. Deux ans plus tard, en 1952, c’est Vraie et fausse réforme dans l’Église du père Congar, charte d’un réformisme sans schisme, qui est victime de la censure romaine : interdiction d’en publier une nouvelle édition et de le traduire, ce qui représente un manque à gagner estimé à un million de francs par les Éditions du Cerf7. En 1953, Les Événements et la foi du père Maurice Montuclard, de la province de Lyon, mais animateur en région parisienne du centre « Jeunesse de l’Église », manifeste progressiste qui subordonne l’évangélisation à une révolution sociale, est mis à l’Index. Montuclard quitte l’Ordre après avoir obtenu sa réduction à l’état laïc8. L’affaire dite de Fourvière, par laquelle ont été sanctionnés en 1950 plusieurs théologiens jésuites, prouve que les dominicains ne sont pas seuls menacés, mais ils sont malgré tout en première ligne.
6À partir du printemps 1953, les événements se précipitent. En mai, André Piet, prêtre-ouvrier de la province de Toulouse, est jugé indésirable dans le diocèse de Marseille par l’évêque, Mgr Delay. Fin juillet, le père Pierre-André Liégé, professeur à l’Institut supérieur de pastorale catéchétique de la Catho de Paris, est convoqué à Rome pour répondre devant le maître général des accusations portées contre lui par l’évêque de Limoges, Mgr Rastouil : sa théologie kérygmatique aurait des implications pastorales nuisibles. Le 29 août, une circulaire de la Congrégation curiale des religieux demande le retrait de ceux-ci des usines. Le 7 octobre, le cardinal Pizzardo, préfet de la Congrégation des séminaires et universités, demande au père Suarez d’effectuer la visite des couvents d’études français9. Le 9 octobre, son collègue Ottaviani, secrétaire du Saint-Office, alerte le maître général sur la participation de religieux dominicains, le père Chenu, le père Liégé ou le père Robert, à La Quinzaine que tance vertement L’Osservatore Romano : le père Suarez leur interdit d’y écrire. Le 19 octobre, il convoque à Rome le père Boisselot, auquel il apprend que L’Actualité Religieuse dans le Monde fait l’objet de critiques, et devant lequel il agite l’épouvantail d’une visite apostolique par quelqu’un d’étranger à l’Ordre. Avec l’aide du père Avril, provincial de France plusieurs fois appelé à la rescousse, il tente de résister aux pressions des congrégations romaines. Le 11 novembre, Féret comparait devant le Saint-Office où sa théologie directement greffée sur l’Évangile bénéficie d’un non-lieu.
7Pendant ce temps se joue le sort des prêtres-ouvriers. Ils reçoivent un ferme soutien de théologiens dominicains : le père Congar, qui n’est pourtant pas mêlé à leur aventure, écrit dans Témoignage Chrétien qu’« on peut condamner une solution si elle est fausse, on ne condamne pas un problème », formule qui lui sera moins reprochée que son allusion au père Montuclard dans le même texte10. L’Actualité Religieuse dans le Monde leur dédie un article empathique et documenté qui ne passe pas non plus inaperçu11. Le père Chenu, de son côté, fait l’impossible pour les sauver : La Vie Intellectuelle publie à la veille de la date butoir du 1er mars 1954 sa vibrante justification du « sacerdoce des prêtres-ouvriers12 ». Dans l’éditorial non signé de L’Actualité Religieuse du 15 janvier, le père Boisselot s’étonne qu’on reproche aux prêtres-ouvriers d’avoir « altéré la notion de sacerdoce », alors que des prêtres députés, enseignants ou scientifiques poursuivent impunément leur travail. Le prêtre est certes séparé, mais pour être envoyé13. Pourquoi pas dans le monde ouvrier ? De là à conclure que les dominicains sont l’âme de la résistance des prêtres-ouvriers, il n’y a qu’un pas vite franchi.
8Le 28 janvier 1954 à Toulouse, le père Suarez annonce aux trois provinciaux français sa visite pour le mois de mars. Le 6 février, il est à Paris en urgence, une nouvelle injonction vaticane étant intervenue, pour administrer la « purge » dans un climat dramatique. Elle est reçue avec douleur par les principaux intéressés, mais dans l’obéissance. Seuls deux des prêtres-ouvriers dominicains refusent de quitter le travail : André Piet, qui n’a pas obtenu sa réduction à l’état laïc, et Albert Bouche, fondateur de Masses Ouvrières et supérieur de la mission du 13e. Ils ne tarderont pas à quitter l’Ordre et à se marier. Il faut dire que les sanctions ne désolent pas tout le monde au sein des provinces françaises. « À Paris c’est le P. Ducattillon qui a été installé, écrit le père Jean de Menasce à son ami Jacques Maritain. Je n’en suis pas fâché14. » Lors du chapitre de 1951, nombre de voix réticentes envers la gouvernance jugée trop laxiste du père Avril s’étaient portées sur celui qui est choisi pour le remplacer et qui était son vicaire15.
9Une lettre du père Suarez au père Ducattillon du 19 février complète les mesures annoncées de vive voix16. « Aucun religieux ne pourra sortir de France sans la permission du Père Général, ce qui est prescrit par nos Constitutions. Aucun religieux ne pourra se mettre en habit civil ». Les quatre théologiens sanctionnés seront assignés dans des couvents hors de Paris et du Saulchoir : le père Chenu à Rouen avec possibilité de passer la dernière semaine du mois dans la capitale pour les groupes qu’il y suit, mais dépourvu de ses prérogatives de maître en théologie ; le père Congar à Jérusalem, puis à Rome et à Cambridge ; le père Féret à Nancy, où il n’ira pas, obtenant de se retirer à Dammarie-les-Lys. Le cas Boisselot est dissocié. « Pour [lui] il faut procéder avec la prudence nécessaire en le laissant un peu plus de temps à Paris, de manière à ne pas causer de dommage aux Éditions du Cerf. » Alors que ses trois confrères ne pourront publier « même un article sans la censure de la Curie généralice, pour le Père Boisselot on pourra faire exception pour le moment », à condition que le censeur désigné par le provincial fasse soigneusement son travail.
10D’autres prescriptions prouvent que c’est toute l’activité intellectuelle de la province de France qui est désormais sous surveillance : outre qu’« aucun religieux de l’Ordre [ne] sera prêtre-ouvrier sous aucune forme », « on devra faire une attention spéciale à l’activité du père Régamey et à la Revue Art Sacré en cherchant peu à peu à mettre à côté du P. Régamey quelqu’un qui pourra le substituer » (sic). Le père Marie-Alain Couturier étant mort à Paris le 9 février, au beau milieu de la crise, c’est le père Augustin Cocagnac, bientôt assisté du père Marie-Robert Capellades, de la province de Toulouse, qui le remplace à la tête de L’Art Sacré : Régamey y apparaît pour la dernière fois comme directeur dans le numéro consacré à Couturier (mai-juin 1954) et y fait ses adieux dans le suivant (juillet-août)17. Il paie ainsi les pots cassés de la « querelle de l’art sacré ». « La même chose doit se dire du père Liégé et de ses activités et aussi du P. Carré et de ses activités pour l’“Union des artistes” » : ce dernier a eu le malheur d’écrire un article favorable aux prêtres-ouvriers dans La Vie Intellectuelle de novembre 195318. Un éloignement de Paris pour Liégé, assorti d’une interdiction d’enseigner, a été envisagé fin mai 1954 par le père Suarez, mais pas suivi d’effet ; en revanche tous ses écrits doivent être déférés à Rome pour censure à partir de février 195619.
11La soumission des religieux épargnés, qui doivent continuer vaille que vaille leur travail éditorial, ne fait aucun doute, mais elle n’est pas une réduction au silence. Le père Chifflot, qui rentre de Jérusalem, et le père Maydieu, en voyage au Canada, expriment leur volonté de poursuivre dans le même esprit, « contre vents et marées », les tâches qu’ils ont entreprises20. Certes, L’Actualité Religieuse dans le Monde, prolixe sur l’interruption de l’aventure des prêtres-ouvriers, ne souffle mot des sanctions à l’encontre de ses amis dominicains. Dans son numéro du 1er mars 1954, le premier dans lequel ne figure plus la composition du comité de rédaction, avec le nom du père Boisselot, elle publie un dossier sur Lacordaire où le parcours du refondateur de l’Ordre en France est comparé avec celui de Lamennais qui, lui, ne s’est pas soumis. « L’actualité religieuse est difficile à saisir. L’histoire parfois éclaire21. » La Vie Intellectuelle, pour sa part, revient en avril 1954 sur la crise récente dans une optique non dénuée de perplexité sur le bien-fondé des mesures prises, tant à l’encontre des prêtres-ouvriers que des théologiens proches d’eux. L’éditorial intitulé « Acte de foi », souligne que ces mesures ne sont « ni une solution ni une suppression des problèmes qui se posent », énumérés ensuite : problème de l’isolement de la catholicité française, problème du sacerdoce, problème de la lutte des classes et de la torsion de notions évangéliques comme la pauvreté, problème de la liberté du laïc chrétien. Et de préciser que la revue continuera d’y réfléchir, avec une équipe inchangée22. Le père Chifflot, dans le même numéro, se demande « ce que le retrait des prêtres-ouvriers signifie pour nous23 ». Quant à Étienne Borne, il conclut son analyse des « Problèmes du catholicisme français » par « il faut d’abord croire sans voir24 ». Soumission donc, mais sans renoncer à traiter des questions auxquelles les sanctions venues de Rome n’ont pas apporté de solution.
12Au même moment, une partie de l’opinion publique « flambe », nombre d’amis de l’Ordre prenant fait et cause pour les religieux punis. Tel est le cas d’Hubert Beuve-Méry dans Le Monde du 13 février, avec un billet de Sirius intitulé « Ordre et liberté » dans lequel il demande à l’Église de discerner « ce qui est police nécessaire et abus de pouvoir bureaucratique, ce qui exige la protection de la foi et ce qui ne pourrait être, par l’effet d’une peur panique du communisme, qu’un dangereux retour aux plus discutables méthodes de l’Inquisition ». Tel est le cas aussi de François Mauriac, plaidant le 16 février dans Le Figaro « Pour un nouveau Concordat » qui garantirait l’Église de France des ingérences vaticanes25. Collaborateur de La Vie Intellectuelle et proche du père Maydieu, l’économiste François Perroux lance une pétition de soutien aux dominicains qui recueille soixante-dix-neuf signatures d’intellectuels catholiques. Leur nombre aurait été supérieur si des pressions n’avaient empêché quelques-uns des plus illustres, Daniel-Rops et Mauriac par exemple, de s’y joindre26. Dans le lot, on trouve, à côté de l’équipe d’Esprit au grand complet, à l’exception notable d’Henri-Irénée Marrou, ou de personnalités modérées comme Robert Flacelière, André Latreille et Roger Pons, nombre de collaborateurs attitrés de La Vie Intellectuelle : Maurice Chavardès, Robert Delavignette, Jacques Nantet, René Parès, Gabriel Venaissin ou Auguste Viatte27.
Chifflot versus Ducattillon
13Les autorités dominicaines sont mécontentes d’un tel écho qui les confirme dans la conviction qu’il était urgent d’intervenir. L’autorité dominicaine à Paris s’appelle désormais Vincent Ducattillon. Curieux destin que celui d’un religieux qui aurait pu passer à la postérité comme prédicateur ou comme expert ès morale internationale, mais qui est mort en administrateur scrupuleux de la purge romaine. Né dans une famille d’industriels du Nord en 1898 et entré chez les dominicains de la province de France en 1919, il a effectué ses études au Saulchoir et à l’Angelicum avant de se faire une forte réputation d’orateur. Il prend nettement parti, au cours des années 1930, contre le nationalisme (Le vrai et le faux patriotisme, 1933) comme contre le communisme (Doctrine communiste et doctrine chrétienne, 1937). Habitué des conférences de carême outre-Atlantique, il est surpris aux États-Unis par la guerre et prend part à la Résistance spirituelle aux côtés de Jacques Maritain (La Guerre, cette révolution, 1941). Il retrouve la prédication après son retour en France et enseigne la morale internationale à l’Institut catholique de Paris. Prieur du couvent de la rue du Faubourg Saint-Honoré depuis 1949 et vicaire provincial depuis 1951, ce religieux de parole et de doctrine incarne une alternative à la ligne d’ouverture du père Avril, d’où sa nomination à la succession de celui-ci en 1954. Investi de larges pouvoirs par le maître général et convaincu de la nécessité d’une remise en ordre de sa province, il applique les sanctions avec une rigueur jugée excessive par ceux qui y sont soumis28. La mort sur la route du père Suarez, le 30 juin 1954 près de Perpignan, le renforce dans ses prérogatives : les religieux qui assurent l’intérim à la curie généralice jusqu’au chapitre général d’avril 1955 n’ont pas l’autorité ni la connaissance des dossiers français du défunt maître général, dont le père Ducattillon a reçu les directives écrites et orales.
14Avec le père Chifflot, le malentendu est immédiat. Ducattillon lui ayant posé une série de questions sur l’organisation et la situation juridique du Cerf29, Chifflot lui répond de manière scrupuleuse sur la répartition des tâches entre les seize religieux dont il est devenu le supérieur30, mais le renvoie vers Pierre Bernard, devenu président-directeur général de la société, pour tout ce qui concerne celle-ci. Il se contente de préciser qu’à l’exception de Radio-Cinéma et de L’Actualité Religieuse dans le Monde, dont la responsabilité est partagée avec La Vie Catholique illustrée, les revues du Cerf « n’ont pas de statut juridique spécial31 ». C’est donc Pierre Bernard qui fournit au provincial un état de la société au 10 mars 1954. Son capital de 14 500 actions de 1 000 francs, soit 14 500 000 francs est géré par un conseil d’administration qui comprend, outre lui-même, « administrateur de sociétés de presse et d’édition », quatre hommes d’affaires32, l’imprimeur de Ligugé Paul Aubin, un représentant du comité d’entreprise de la maison, la chartiste Jacqueline Chaumié et le Docteur Liacre, seul rescapé de l’ère Bernadot. Georges Hourdin y représente pour sa part La Vie Catholique illustrée. L’Ordre n’a « aucune responsabilité financière » dans une société dont les capitaux ont été fournis par des laïcs, qui les « mettent à la disposition de l’équipe dominicaine de La Tour-Maubourg parce qu’ils veulent soutenir et répandre l’esprit d’apostolat qui anime cette équipe ». Le père Ducattillon ayant demandé « quand et comment l’agrément de l’Ordre a-t-il été donné pour que le P. Boisselot reçoive la délégation des pouvoirs » de directeur général de la société ? « Quels sont au juste ces pouvoirs ? De quelle manière est-il responsable de leur exercice devant l’Ordre ? », Bernard se contente de confirmer de façon laconique… qu’il « a délégué au R. P. Boisselot ses pouvoirs de directeur général ». Mais il insiste, au nom du conseil d’administration, pour qu’il soit maintenu dans ses fonctions, « en tout cas au plan administratif et financier », et pour que soient maintenus les liens avec La Vie Catholique illustrée, car c’est elle qui, par l’entremise de Boisselot, a permis de redresser une situation « assez compromise » en 194933. La réponse n’a pas dû satisfaire le père Ducattillon : il reposera la question de façon pressante, trois ans plus tard, quand il voudra vaincre la résistance de l’équipe du boulevard La Tour-Maubourg et de ses commanditaires.
15Pour le moment, la question la plus sensible est celle de la censure des publications. On possède peu d’informations sur ce qu’elle était avant 1954, car elle ne semble pas avoir posé de gros problèmes, le provincial donnant l’imprimi potest, après avis de deux censeurs pris le plus souvent dans le corps professoral du Saulchoir. Revues et livres étaient ainsi examinés avec bienveillance par les professeurs ou les condisciples des éditeurs du Cerf. Cette bienveillance n’est plus de mise après la purge. Elle cède la place à une attitude soupçonneuse que traduit la centralisation de la censure aux mains de la curie provinciale, pour les revues, et de la curie généralice, pour les ouvrages. Dans sa lettre à Ducattillon du 19 février 1954, le père Suarez décide qu’« aucun livre ne sera publié pour le moment dans la province sans la censure préalable de la Curie généralice. Pour les articles […] que la censure soit faite avec vigilance selon les normes du droit commun et de nos Constitutions », à l’exception de ceux des pères Chenu, Congar et Féret dont tous les écrits devront passer par Rome, le cas du père Boisselot étant de nouveau disjoint avant de retourner au sort commun le 23 juin. Mais cela ne semble pas suffisant. La directive du 23 juin précise que « toute création de nouvelle collection ou nouvelle revue doit être approuvée par le P. Provincial, ainsi que la nomination de son directeur et des membres de son conseil de rédaction » ; que « tous les articles de toutes les revues publiées par nos soins doivent être soumis au P. Provincial, y compris les articles des collaborateurs étrangers à l’Ordre » ; que « tous les volumes écrits par nos Pères doivent être censurés par les soins de la Curie généralice ». « Pour les volumes ou collections publiés par les Éditions du Cerf », seuls « les articles ou chapitres écrits par des Pères dominicains doivent être censurés par les soins du P. Provincial », ceux des collaborateurs extérieurs à l’Ordre ne dépendant que du censeur de l’archevêché de Paris, Mgr Potevin, décision rapportée par les « directives » du père Gomez, pro-vicaire général de l’Ordre, du 17 octobre, selon lesquelles ces « volumes ou collections » doivent être « envoyés à la Curie généralice, qu’ils soient écrits par nos Pères seulement ou en collaboration avec des auteurs étrangers à l’Ordre ».
16Alors que le père Ducattillon nomme responsable de la censure le père Vincent Héris, ancien régent du Saulchoir qu’il a pris pour socius, le nouveau régime de celle-ci, transcrit dans une pluie de lettres et de circulaires du provincial34, ne tarde pas à entraîner des frictions. « Politique du P. Provincial : pour éviter des ennuis aux Pères repérés et leur permettre de poursuivre leur activité dans l’avenir, les empêcher pratiquement de faire quoi que ce soit à présent. » Ainsi la publication des membra disjecta du père Chenu est-elle renvoyée aux calendes35. « J’applique la loi martiale », répond Ducattillon à Chifflot, qui proteste contre des mesures qui visent « à nous étouffer36 ». Aussi le père Congar trouve-t-il les membres de l’équipe du Cerf, « assez excités », le 25 octobre 195437. Ducattillon vient de leur transmettre, outre les nouvelles directives, deux graves décisions de la curie généralice : Prêtres d’hier et d’aujourd’hui, volume 28 de la collection « Unam Sanctam », « n’ayant pas satisfait aux conditions exigées par les Constitutions et par les instructions du Rme Père Suarez, la vente doit en être suspendue provisoirement » jusqu’à ce qu’il ait subi la censure romaine38. Ce recueil est le résultat d’une enquête lancée en 1951 par le père Henry, en collaboration avec le professeur de droit et de sociologie Gabriel Le Bras sur l’évolution de la conception du sacerdoce à travers les âges. Des historiens clercs et laïcs recrutés par Le Bras, l’abbé Gustave Bardy, les universitaires René Laprat, Jean-François Lemarignier et Gabriel Le Bras lui-même, ou le dominicain Marie-Humbert Vicaire, professeur à l’université de Fribourg, montrent que cette conception a évidemment beaucoup changé. Le père Henry s’autorise des enseignements de l’histoire pour suggérer qu’elle pourrait changer encore à l’avenir, afin de mieux coller aux besoins des divers milieux, le milieu ouvrier en particulier. Une telle hypothèse est évidemment périlleuse dans la conjoncture de la suppression des prêtres-ouvriers, dont Henry se garde de discuter la formule « toute récente, et déjà passée39 ». Le livre est muni du nihil obstat du père Carré (28 mars), du visa du père Héris pour les deux chapitres rédigés par des dominicains et de l’imprimatur de Mgr Potevin (3 mai). Son bon à tirer ayant été délivré fin juin, il satisfaisait aux normes de censure alors en vigueur et ne pouvait préjuger de celles datées du même jour que son retrait du commerce… à moins de leur donner « un caractère rétrospectif », proteste le père Chifflot40. Ducattillon juge son argumentaire « inadmissible », car il joue sur les mots : il s’agit bien d’un livre qui devait donc être soumis à Rome avant publication. Tout en concédant qu’il ne comporte « aucune erreur doctrinale proprement dite », le provincial conteste son plaidoyer pour une évolution du sacerdoce et se demande « s’il était opportun de favoriser en France le courant un peu imprudent qui inquiète le Saint-Siège41 ». C’est lui qui obtient le dernier mot : le 5 février 1955 parvient de la Curie généralice un jugement négatif des censeurs romains qui confirme le retrait du livre, pourtant élaboré sous l’autorité de Gabriel Le Bras42.
17« Les fascicules de la collection Bible et Mission doivent être soumis à la censure de la Curie généralice par l’intermédiaire du P. Provincial », indique le père Gomez le 17 octobre 1954. « Avant toute publication, le directeur et les membres du conseil de rédaction doivent être approuvés par le P. Provincial et son conseil », selon les directives du 23 juin précédent, rédigées en fonction du projet. Porté depuis 1953 par le père Henry et le père Duployé43, avec l’aide de Liégé et sous le patronage de Chenu, celui-ci a pour but de conjuguer les deux mouvements qui paraissent les plus prometteurs dans l’effervescence religieuse du moment. Il ne s’agit pas de créer une nouvelle revue biblique ni une nouvelle revue missionnaire, mais de fonder directement la mission (intérieure et extérieure) sur la parole de Dieu transmise par la Bible44. Pour tenter de déjouer la censure, on prévoit des recueils sans périodicité régulière, sur le modèle des cahiers « Rencontres » de guerre, qui ne seront ni des livres ni des livraisons de revue. Un premier volume, comportant des textes munis chacun de l’aval du père Héris et d’un imprimatur de l’archevêché de Paris du 4 juin pour l’ensemble, est mis en fabrication. Le père Ducattillon en arrête l’impression et décide de consulter à son sujet la curie généralice, tandis que Mgr Potevin retire son imprimatur. Le père Chifflot n’entend plus parler ensuite, malgré ses instances réitérées, de Bible et Mission I, dont les 4 000 exemplaires tirés sont mis au pilon, sauf quelques centaines d’exemplaires distribués « gracieusement » à des amis45.
« J’aurais pu […] permettre le lancement projeté de Bible et Mission, pourvu que fussent satisfaites toutes les conditions fixées pour les publications », écrit à Rome le père Ducattillon. Je n’ai pas cru pouvoir le faire […]. La raison est tout d’abord que je n’ai pas confiance dans le jugement et la prudence ni du P. Henry, ni du P. Duployé à qui devait revenir la direction de cet organe. […] Je pense qu’une publication de cette sorte a sa raison d’être, mais l’inspiration qui en a été, en fait, l’origine n’est pas sûre. Le P. Chenu est l’un de ceux qui ont le plus contribué à ce projet. Je ne suis prêt à permettre la réalisation d’un tel projet qu’après un assainissement de la situation de la Maison de La Tour-Maubourg46. »
18On ne peut pas être plus clair : le père Ducattillon n’a aucune confiance dans l’équipe des Éditions du Cerf, sur laquelle il redoute l’influence de Chenu.
19Au moment où elles fêtent leur 25e anniversaire, le 22 octobre 1954, par un dîner à la maison de l’École polytechnique47, leur proche avenir paraît donc bien sombre. Le père Héris se plaignant de délais trop courts entre la soumission des manuscrits à la censure et leur publication, le provincial impose un système contraignant de fiches à remplir en deux exemplaires. Ulcéré de ces contraintes, Chifflot y répond par la provocation. Le père Marie-Dominique Philippe lui ayant soumis un manuscrit intitulé Initiation à la philosophie d’Aristote, avec le nihil obstat de Dominique Dubarle et d’Henri-Dominique Gardeil, l’imprimi potest de Ducattillon et l’imprimatur de Mgr Potevin, il demande de façon faussement naïve si ce blanc-seing a été « légitimement donné, une dispense des instructions du Rme P. Suarez ayant été accordée », à savoir le passage par Rome. « J’aurais aimé que ma signature vous eût été suffisante et que vous fussiez convaincu que je n’ignorais point ce que je faisais en vous la donnant », lui répond le provincial48. L’aristotélisme du père Philippe est évidemment au-dessus de tout soupçon !
20Vu du Cerf, le début de l’année 1955 n’apporte que des mauvaises nouvelles. Le 5 février 1955, le père André Giraud, socius francophone du père Suarez, transmet une série d’interdictions de publication. Les plus significatives sont celles qui concernent l’article du père Féret pour Bible et Mission I, « Connaissance chrétienne de Jésus-Christ », l’introduction et la conclusion du père Henry pour Prêtres d’hier et d’aujourd’hui, et les Œuvres posthumes du père Duployé. Sous ce titre curieux, il rassemblait des articles et contributions antérieures à son départ du CPL, tous déjà publiés et donc acceptés par la censure49, qui auraient nourri un volume de sa collection « Ossa Humiliata », tuée dans l’œuf du même coup. Le père Dubarle ne se montre pas étonné, le 21 février, du refus d’un texte sur « le rôle des scientifiques français dans la pensée catholique depuis 1900 », car il ne croit pas, « quant au fond, en l’objectivité et en l’honnêteté » de la censure romaine50. Le père Maydieu, jusque-là épargné, se plaint longuement le 2 mars, du refus romain de sa recension pour La Vie Intellectuelle du livre blanc des prêtres-ouvriers insoumis, acceptée par la censure provinciale. Il y soulignait pourtant « la déficience radicale » de leur position du point de vue de la foi51. Et il élargit son propos, alors que se profilent le chapitre général électif et le chapitre provincial : « les meilleurs ouvriers apostoliques en France sont dans l’obscurité et le désarroi. Les reprendre avec dureté ne servirait de rien », surtout si ceux qui les jugent sont médiocrement au courant de la situation du catholicisme français et du rôle des dominicains en son sein. Moins de deux mois avant la mort de son signataire, le 27 avril 1955, la lettre sonne comme un testament. Le père Chifflot souhaite profiter d’une réunion des collaborateurs de la Bible de Jérusalem pour aller s’expliquer auprès de la Curie généralice. En vain. « Rome refuse », écrit le père Ducattillon en marge de sa demande du 4 mars.
21Sur ces entrefaites, deux événements extérieurs font aux Éditions du Cerf une publicité dont elles auraient préféré se passer. Le 3 février 1955, un décret du Saint-Office condamne La Quinzaine, qui se soumet et disparaît. Elle n’a jamais été une publication de la maison et les dominicains qui y collaborent ont dû se faire discrets, laissant le champ libre à une équipe de laïcs conduite par Jacques Chatagner. Mais ses origines dominicaines ne sont pas un mystère, ni l’appui dont elle bénéficie de la part du père Boisselot et d’Ella Sauvageot. Bien qu’à son corps défendant, l’équipe du Cerf est donc atteinte par la sanction romaine, comme le prouve d’ailleurs l’autre événement : la publication par Jean Madiran du pamphlet Ils ne savent pas ce qu’ils font, aux Nouvelles Éditions Latines en mars 195552. La Quinzaine y est présentée comme l’aile gauche d’un groupe de presse reposant sur trois piliers, réunis chaque mardi aux déjeuners du restaurant parisien Au Petit Riche53 : Ella Sauvageot, liée « personnellement et par sa famille » aux communistes54, pour le financement ; Hubert Beuve-Méry, « le directeur pro-soviétique » du Monde, pour la ligne politique55, et… « les dominicains de Paris » pour l’« arsenal idéologique et rhétorique ». « Le Lazareff de ce trust de presse catholique », dans lequel Madiran inclut La Vie Catholique illustrée, La Vie Intellectuelle, L’Actualité Religieuse dans le Monde, La Quinzaine, Témoignage Chrétien et même Le Monde ou Esprit, n’est autre que le père Boisselot. « Il est partout, et partout codirecteur, animateur, organisateur de la publicité intellectuelle et politique. Il est l’homme d’action de ce formidable appareil de presse, le plus puissant de France après celui des communistes ». De surcroît, « il y diffuse et “popularise” les tendances doctrinales du R. P. Chenu », « compagnon de route des communistes et co-fondateur de La Quinzaine », deux fois sanctionné par Rome à juste raison, en 1942 et 195456. Peu connu auparavant, sinon des lecteurs de journaux d’extrême droite comme Écrits de Paris ou Rivarol, Madiran se fait une réputation du combat contre une hydre qu’il constitue de toutes pièces en mêlant faits avérés, amalgames indus et contre-vérités. Et il accuse cette hydre, persuadé que la seule justification de l’activité politique au sommet de la guerre froide est l’anticommunisme, de faire le jeu du communisme, en proposant aux catholiques « un faux combat [édulcoré] contre un faux communisme57 », lui aussi édulcoré. Rien de moins. La charge est trop caricaturale pour être prise au sérieux. Elle n’en attire pas moins l’attention, de manière fâcheuse, sur les « dominicains de Paris », présentés en bloc comme les bons soldats du père Boisselot et les disciples du père Chenu.
22Parmi les titres attaqués par Madiran figure L’Actualité Religieuse dans le Monde, qui manifeste alors un regain de combativité se traduisant par des « opinions tranchées58 ». Le 15 novembre 1954, elle publie sous la plume d’Étienne Borne une recension de Prêtres d’hier et d’aujourd’hui qui ne peut pas ne pas apparaître comme une réponse à son retrait du commerce. Le philosophe y fait un éloge appuyé de la contribution finale du père Henry et en ratifie la principale conclusion : l’« existence toujours en situation » du sacerdoce, en 1954 comme par le passé59. L’éditorial du 15 février 1955 pousse un « cri d’alarme ». Sur le terrain politique, la condamnation de La Quinzaine crée un vide dans lequel risque de s’engouffrer le communisme. Sur le terrain religieux, l’Église « se considère comme une citadelle assiégée, elle rassemble ses enfants autour d’elle, elle lève les ponts-levis et rappelle les ouvriers qui se trouvaient en mission. Cela est lourd de conséquences », regrette la revue60, qui publie le 1er mars le dossier du Centre d’informations catholiques intitulé « Qu’est-ce que le Saint-Office ? », déjà utilisé par La Vie Intellectuelle61… Or le traitement par L’Actualité du sort des chrétiens dans le monde communiste et des accommodements de l’Église avec les dictatures d’Espagne ou d’Argentine font l’objet de doléances à Rome, comme Georges Hourdin et Jean-Pierre Dubois-Dumée ont pu s’en apercevoir lors de leur voyage ad limina, organisé par l’ambassadeur Wladimir d’Ormesson, en décembre 1954.
23Le père Boisselot, pour la rédaction, et le père Bonnet, pour la documentation, ont été autorisés à y collaborer « de facto » par le père Suarez ; des signatures dominicaines y figurent d’ailleurs jusqu’au 15 janvier 1955, la dernière étant celle du père Dumont, sur l’assemblée d’Evanston du Conseil œcuménique des Églises. En décembre 1954 toutefois, le père Ducattillon a demandé que la revue ne soit plus domiciliée boulevard La Tour-Maubourg, mais boulevard Malesherbes, siège de La Vie Catholique illustrée, ce qui a été fait. Le 1er avril 1955, il interdit à ses religieux d’y collaborer, sous quelque forme que ce soit. Alors que Ducattillon conseille de « filer doux », une réunion de crise décide, le 26 avril, de passer la revue aux laïcs plutôt que de la saborder62. L’éditorial du 15 mai, annonce pourtant la mort de L’Actualité Religieuse dans le Monde : les dominicains qui l’ont fondée n’ayant plus le droit de s’en occuper, elle n’a plus de raison d’être, « un certain courant apostolique ne [pouvant] plus s’y exprimer ». Mais il annonce aussi une naissance, celle de L’Information Catholique Internationale, sous la seule responsabilité des publications de La Vie Catholique illustrée63. Les Informations Catholiques Internationales publient leur premier numéro le 1er juin, avec Georges Hourdin comme directeur et Jean-Pierre Dubois-Dumée comme rédacteur en chef. La grande purge n’en finit pas de faire des dégâts.
24Le chapitre romain d’avril 1955 ne modifie en rien la situation. Le père Michael Browne, maître du Sacré Palais apostolique, y est élu général avec les voix françaises, car il est perçu comme un moindre mal64. C’est pourtant un thomiste étroit qui n’a pas été étranger, comme recteur de l’Angelicum, à la condamnation du père Chenu en 1942. Par lettre du 31 mai 1955, il maintient le régime d’exception que le père Suarez a imposé aux dominicains français : les provinciaux nommés sont confirmés dans leurs fonctions. Le chapitre réuni au couvent parisien de l’Annonciation en juillet 1955 n’est donc pas électif. Le père Chifflot et ses adjoints décident pourtant d’en profiter pour frapper un grand coup. Le « Mémoire sur quelques questions concernant la Maison Saint-Dominique et les Éditions du Cerf », daté du 20 juillet, bien que s’abritant par deux fois derrière une profession d’obéissance65, s’en prend avec vigueur aux directives romaines, à leur application par le père Ducattillon et aux critiques contre le Cerf venues de l’intérieur de la province. « Il m’est difficile d’échapper à l’impression que certaines d’entre elles procèdent d’une méfiance systématique, mettant en cause, soit la sûreté de notre orthodoxie, soit la loyauté de notre obéissance », écrit-il. « Nous nous comporterions en francs-tireurs indisciplinés, dont les initiatives inconsidérées compromettraient le travail commun » (p. 2-3). D’où la crainte d’une « mise au ban », appuyée sur un jugement privé émis par le père Ducattillon : « Vous compromettez la province, vous ne la représentez pas » (p. 3). Convaincu au contraire que la maison de La Tour-Maubourg est liée à celle-ci « pour le meilleur et pour le pire », Chifflot se lance dans un plaidoyer pro domo contre ce qu’il estime être un « procès de tendances » (p. 4). Il n’a pas de mal à montrer que le travail effectué par les Éditions du Cerf depuis une décennie devrait empêcher de traiter les membres de son équipe « en suspects a priori » (p. 7). Or leur activité est grevée de difficultés qui amorcent « un véritable processus d’étouffement » (p. 8). Il en rend responsable le « régime d’exception » instauré pour les publications par le père Suarez et « précisé dans un sens restrictif » depuis sa disparition. Avec des « délais de quatre mois à un an » (p. 9), la censure romaine est trop lente et trop peu justifiée pour ne pas être paralysante.
25Une liste, sans doute établie par François Leprieur, énumère une trentaine de textes qui ont fait problème, entre septembre 1953 et juin 195666. D’où la réduction « dans la proportion de quatre à un [du] nombre des ouvrages d’auteurs dominicains publiés chez nous en un an » (p. 10). Ainsi le Cerf a-t-il au moins deux manuscrits du père Congar bloqués par la censure : Le Mystère du Temple, qui paraîtra seulement en 1958 et « Mission, sacerdoce-laïcat » qui ne paraîtra jamais. Le rapport sur les activités de la maison pour 1955, présenté par le président Pierre Bernard aux actionnaires, signale une diminution de la part des nouveautés en regard des réimpressions, passée de 57 à 44 %. Il l’explique par une « liberté très réduite depuis plus de deux ans », qui entraîne une autocensure : « nous éliminons a priori des sujets ou des auteurs qui n’auraient aucune chance d’être acceptés ». D’où, selon Bernard, la mise en veilleuse des collections « Unam Sanctam » et « Rencontres ». D’où aussi la progression des ouvrages de piété ou illustrés. « L’image tend à remplacer la discussion d’idées qui faisait l’originalité de notre maison », déplore-t-il, en soulignant « le fléchissement de [l’] effort idéologique » de celle-ci et donc son « recul intellectuel67 ». En accord avec ce sombre bilan, Chifflot demande le « retour au bénéfice du droit commun » en matière de censure, pour éviter « la tentation du découragement » (p. 10).
26D’autant que les directives romaines lui semblent aggravées par le père Ducattillon auquel il ne craint pas, en sa présence, d’adresser « une critique directe ». « Tout se passe comme si l’autorité doctrinale de la province, non seulement acceptait d’être provisoirement dépossédée d’une partie de ses attributions, mais encore renonçait d’elle-même aux attributions qui lui restent, chaque fois que le cas est délicat », écrit-il (p. 12). Et de citer quatre exemples : l’envoi à Rome de la recension du père Maydieu sur le livre blanc des prêtres-ouvriers insoumis, qui n’était pas requise ; l’envoi pour censure à l’archevêché de Paris de la contribution sur l’Église du père Liégé, dans le tome IV de l’Initiation théologique, déjà pourvue du nihil obstat des pères Héris et Camelot68 ; enfin et surtout l’absence de décision du provincial sur Bible et Mission. Chifflot proteste aussi contre le retrait des dominicains de L’Actualité Religieuse dans le Monde, décidée à Paris sans requête explicite de Rome. Sur ces divers points, pour lesquels il a multiplié les protestations auprès de Ducattillon, il attendait de lui un « plein exercice de son autorité sur la province chaque fois qu’elle n’est pas limitée expressément par la Curie généralice » (p. 15), ce qui n’a pas été le cas. Il regrette en outre que le provincial ait refusé d’écrire à Rome pour dénoncer le pamphlet de Madiran auquel La Tour-Maubourg n’a pas répondu publiquement, après y avoir songé. Chifflot a dû faire lui-même la démarche et a reçu une réponse apaisante du père Gobert, socius francophone du père Browne. Il accuse donc le père Ducattillon de ne pas avoir défendu les siens et demande aux capitulaires de le faire à sa place (p. 19).
27Convoqué devant le définitoire le 26 juillet, Chifflot n’a guère le temps de plaider sa cause. À peine a-t-il commencé de parler que c’est l’éclat, assez inhabituel dans une telle enceinte. « Les écarts de langage de votre délégué ont obligé le T. R. P. Provincial […] à lui imposer le silence et finalement le renvoyer. Ce regrettable incident l’a mis dans l’impossibilité de nous expliquer le sens précis du Mémoire qu’il avait donné aux définiteurs aussitôt après leur élection », précise une lettre « aux Pères des Éditions du Cerf », signée le 29 juillet 1955 par Ducattillon et par les quatre définiteurs : Thomas Boulay, Joseph Kopf, Michel Bonnet de Paillerets et André Duval69. Le définitoire commence par donner quitus à l’équipe du Cerf pour son travail et à lui renouveler sa confiance « Depuis de nombreuses années, votre Maison Saint-Dominique a eu un rayonnement apostolique et doctrinal hors de pair. Les revues et ouvrages que vous avez publiés font le plus grand honneur à l’Ordre tout entier », avec une mention spéciale pour La Vie Spirituelle et son Supplément, Fêtes et Saisons, « publication de tout point remarquable », les collections « Rencontres », « Problèmes de la religieuse aujourd’hui », l’Initiation théologique, et surtout la Bible de Jérusalem. Les absences de la liste sont significatives… Aussi le définitoire a-t-il la « volonté très ferme » que les Éditions du Cerf poursuivent leur travail. Il faut pour cela que ce « bel essor » ne soit pas « compromis par des imprudences et des attitudes difficilement acceptables d’enfants de l’Église », qui font courir à l’entreprise des « dangers dont vous ne soupçonnez pas la gravité ». « Nul n’ignore que votre équipe a souvent pris des positions d’avant-garde qui ont inquiété l’Église et l’Ordre. » Il s’agit moins de « connivence avec le marxisme », en dépit des attaques extérieures que les autorités provinciales ne partagent pas, mais auxquelles elles ne jugent pas utile de répondre, que d’audaces religieuses : « Votre désir de vous faire entendre du monde païen a eu pour résultat qu’une partie du monde chrétien ne vous comprend plus. » La maison est donc bien l’objet d’un procès de tendance : les dominicains du Cerf doivent être des docteurs, autant que des prophètes, et se soumettre aux injonctions de l’Église comme l’ont fait avant eux les pères Lacordaire, Lagrange ou Sertillanges. Or le père Chifflot et les siens, au lieu de se livrer à un « examen de conscience », se plaignent du régime des rigueurs auxquelles ils sont soumis et leur opposent « une espèce de résistance passive » qui n’a eu pour effet que d’augmenter les soupçons. Si une telle attitude devait se prolonger, « on ne voit pas comment vous pourriez éviter des mesures qui aboutiraient à la dissolution de votre équipe », avertit le définitoire. La menace a de quoi faire réfléchir.
28Aussi les tensions s’apaisent-elles pendant quelques mois, la visite canonique du père Browne en décembre 1955 ayant entraîné une « heureuse détente70 ». Plusieurs piqûres de rappel montrent toutefois que le feu continue de couver sous la cendre. En novembre 1955, Jean Madiran répond à celles des victimes de son premier pamphlet qui ont réagi. Tout en poursuivant le combat contre Ella Sauvageot et Hubert Beuve-Méry, Ils ne savent pas ce qu’ils disent ajoute à ces cibles Georges Hourdin et Joseph Folliet, de La Vie Catholique illustrée, ainsi que le père Gabel, de La Croix. Les dominicains passent au second plan, bien que soit rappelée l’ubiquité du père Boisselot dans les milieux épinglés et que Madiran préfère l’autorité du pape à celle du « père machin en robe blanche71 ». Il prendra appui sur la notoriété ainsi acquise pour lancer la revue intégriste Itinéraires en mars 1956.
29« Une nouvelle trahison de la chaîne Sauvageot » : sous ce titre est diffusé au début de 1956 un tract non signé qui s’en prend au numéro de janvier de la petite revue Vin Nouveau72. Apparue en janvier 1955, elle est rédigée par d’anciens khâgneux et normaliens « talas », du lycée parisien Louis-le-Grand notamment, dans une optique éloignée tant de la démocratie chrétienne que du communisme : elle se veut proche de Pierre Mendès France, sur la politique intérieure française comme sur la question algérienne. Le tract dénonce une telle orientation, dans deux articles de Jean-Marie Mayeur, étudiant en histoire, et du latiniste Jean Rousselet, qu’il accuse de faire le jeu du communisme73. Rédigé par des étudiants pour des étudiants, Vin Nouveau est vendu dans la librairie de Temps Présent, 28, boulevard des Invalides, et administré par les Éditions du Cerf74, sans que les dominicains soient impliqués dans sa rédaction75. Il n’en faut pas plus au tract, qui renvoie aux pamphlets de Madiran, pour y voir une nouvelle entreprise du trust Sauvageot et des « dominicains soviétophiles ». « Chacun est libre d’avoir ses idées et de les défendre, mais alors, qu’on appelle un chat, un chat, Mme Sauvageot, Georges Hourdin et les Dominicains des Éditions du Cerf, des fripons ». Le père Ducattillon relève l’incident dans sa lettre au maître général du 9 mai 1956.
30Il en regrette surtout un autre qui manifeste le caractère inflammable de la conjoncture. « C’est une abstention pure et simple qui nous est demandée à l’égard de toute collaboration aux organes de presse », écrit le père Constant-Marie Dégeorges, secrétaire du provincial, dans sa lettre au père Henry du 9 avril 1956, qui revient sur l’acceptation par le père Héris d’un article de lui pour Témoignage Chrétien. À partir du 11 avril, la presse diffuse une information selon laquelle le maître général des dominicains aurait interdit à tous les religieux de la province de Paris d’écrire dans les journaux. La nouvelle est vraisemblable, puisque le père Avril a bien été prié de ne plus collaborer à L’Express de la famille Servan-Schreiber, mais elle est erronée. Le père Ducattillon est obligé de s’expliquer auprès du père Browne, « très peiné » de l’affaire76, et d’envoyer une série de démentis (au nonce Marella, au cardinal Feltin, au secrétaire de l’épiscopat Mgr Villot…). Estimant que la « fausse nouvelle77 » provient d’un de ses religieux, il soupçonne d’abord le père Henry lui-même, qui a alerté Témoignage Chrétien, « journal très marqué et dont les tendances sont loin d’offrir toute garantie » : ne vient-il vient pas d’être sermonné par le cardinal Gerlier ? Puis le père Boisselot, qui dément avoir combiné le lancement de l’affaire lors du déjeuner du Petit Riche, le mardi 10 avril : « seul M. Madiran ou ses adeptes peuvent concevoir de telles idées », répond-il le 16. Georges Montaron, directeur de l’hebdomadaire, démentant lui aussi, le 20, l’enquête se reporte sur une dépêche de l’agence catholique suisse KIPA… qui aurait obtenu « l’information » de l’un ou l’autre journaliste de La Croix78.
31Ces divers incidents confirment le père Ducattillon dans l’idée que la maison du boulevard La Tour-Maubourg est le centre d’une résistance aux décisions romaines, menée dans la continuité de sa Résistance de l’Occupation, qu’elle est « nettement déclarée chez celui qui en est le supérieur » et que « personne ne l’ignore ». « Le différend prend même des allures de bravade et c’est le principe de mon autorité de provincial qui finit par être mis gravement en cause », écrit-il au père Browne le 9 mai 1956. Cette résistance ne lui paraît pas seulement d’ordre disciplinaire, mais aussi d’ordre intellectuel. « C’est tout le courant à tendance progressiste dont La Tour-Maubourg demeure un des centres les plus actifs qui obtiendrait gain de cause » si « certaines mesures » n’étaient pas bientôt prises. Ducattillon ne précise pas lesquelles, mais la menace de dispersion d’une équipe qui comporte des hommes aussi compromis à ses yeux que Boisselot, Chifflot ou Henry est assez claire.
La mort de La Vie Intellectuelle
32Le bras de fer se déplace vers La Vie Intellectuelle au second semestre 1956. L’apport des abonnés de Terre Humaine ne suffit pas à redresser la situation d’une revue qui continue de perdre des lecteurs : elle n’a plus que 2620 abonnés en 195579. Elle perd aussi celui qui était sa cheville ouvrière depuis vingt ans : épuisé, le père Maydieu meurt le 27 avril 1955, peu après son cinquantième anniversaire, des suites d’une crise d’angine de poitrine. Le numéro spécial en son honneur est l’objet d’une nouvelle passe d’armes. Il était annoncé pour octobre 1955, puis comme supplément au numéro de mai 1956, pour le premier anniversaire de sa mort. Il est en fait retardé jusqu’en août-septembre 1956 du fait de la censure. Elle a en effet épinglé les contributions faisant allusion aux difficultés rencontrées par Maydieu dans son pilotage de la revue. Le censeur parisien et le censeur romain ont notamment épluché le texte de son ami le père Serrand, bâti autour de la dualité « homme d’Église » et « homme du Monde80 ». Pour qui sait lire entre les lignes, le produit fini conserve pourtant quelques traces des combats du père Maydieu. On y chercherait en vain la signature de son vieil adversaire le père Boisselot : les seuls dominicains appelés à saluer sa mémoire sont ses proches, le père Serrand et le père Dubarle81. Le numéro comporte en revanche des témoignages émus d’amis laïcs, Robert Delavignette ou Étienne Borne dont la conclusion n’a pas dû plaire à tout le monde : « Le P. Maydieu était de ces hommes libres dont il y a grande pénurie et grand besoin dans l’Église comme dans le monde. Liberté réelle non de comédie, donc offensante, dangereuse ; ses plus proches l’ont éprouvé82. »
33Les pères Chartier et Thomas83 assurent la succession avec l’aide de Serrand, de Borne et d’une équipe informelle de laïcs84, dans un climat rendu délétère par le conflit algérien. Les derniers travaux du père Maydieu pour la revue « visaient à rétablir parmi nous un climat et des règles de discussion charitable qui eussent permis à des chrétiens fraternels d’être des adversaires loyaux », au prix de silences qu’ont pu regretter certains lecteurs avides de mots d’ordre simples, écrit Serrand85. « Qu’ils défendent une politique de gauche ou d’extrême gauche [sic], s’ils la croient bonne, mais qu’ils le disent. Qu’ils ne mettent pas leur drapeau dans leur poche. Qu’ils cessent de prétendre n’avoir d’autres critères que moraux ou religieux », écrit de façon brutale mais convergente Jean Madiran86. Dans sa confrontation de la foi aux événements, La Vie Intellectuelle selon Maydieu a en effet donné moins de consignes que d’éléments de réflexion théologiques et spirituels, laissant aux hommes de terrain la responsabilité de la décision et de l’action. Non qu’elle soit restée neutre. Pas assez anticommuniste pour Madiran, elle n’a cependant pas versé dans le progressisme, mais elle a critiqué le maccarthysme, en France comme aux États-Unis. Elle s’est aussi alarmée, sous la plume de Robert Delavignette ou de Pierre-Albin Martel, de la politique répressive de Paris dans les conflits coloniaux, en Indochine et surtout au Maroc. Mais sans en faire un cheval de bataille, ni s’enthousiasmer unilatéralement pour l’expérience Mendès France et encore moins pour l’anticolonialisme de la « nouvelle gauche87 ».
34Une telle prise de hauteur devient impossible sur le conflit algérien qui secoue la France entière à partir du moment où des soldats du contingent y sont engagés en 1955-1956. Plusieurs des publications proches de La Vie Intellectuelle, Témoignage Chrétien ou Vin Nouveau, mais aussi les Informations Catholiques Internationales et même La Vie Catholique illustrée, s’engagent alors contre les exactions de la répression en Algérie et pour une solution négociée du conflit. La Vie Intellectuelle, qui s’était pourtant demandé précocement « Que cache le calme de l’Algérie88 ? », est plus prudente. Son spécialiste attitré des questions nord-africaines, Pierre-Albin Martel, n’en explique pas moins en mars 1956 que, la rébellion faisant tache d’huile et prenant les allures d’une véritable révolution, il est impossible de continuer à nier l’existence d’une nationalité algérienne et de miser uniquement sur une solution de force89. Mais sa chronique est la dernière : la revue ne publie plus rien sur l’Algérie si ce n’est la protestation du cardinal Liénart et de la Mission de France après l’expulsion des trois prêtres de la Mission de Souk Ahras90.
35Ce n’est pas faute d’avoir voulu parler. Chifflot proteste vigoureusement, le 3 juin 1956, contre le refus par la censure d’un article à base de lettres intitulé « L’Algérie vue de l’Algérie » : non seulement ce texte ne paraîtra pas, mais il n’a pas été rendu à la rédaction et il a été communiqué à l’archevêché d’Alger ! Le dossier de censure comporte trois autres refus de publication autour du même sujet : celui du texte de l’archevêque d’Alger, Mgr Duval, « Le contre-terrorisme est une réponse abominable au terrorisme91 », dont le titre pose problème ; la chronique de l’intellectuel sénégalais Alioune Diop sur le congrès des hommes de culture du monde noir, le censeur estimant « qu’une condamnation globale de toute colonisation en général est injuste92 » ; enfin et surtout, l’article de l’ancien ministre Louis-Paul Aujoulat « L’Afrique noire à l’heure de l’Algérie », bien que son auteur ait accepté par deux fois de le modifier : le censeur lui reproche de douter de la légitimité de l’emploi de la force contre l’insurrection et d’avoir une mauvaise influence « sur la ténacité morale des troupes et de l’opinion française93 ». Sa publication vaudrait en outre aux pères de La Tour-Maubourg « d’être critiqués et attaqués encore plus qu’ils ne le sont déjà ».
36Cette situation de blocage renvoie à la profonde division de la province dominicaine de France sur l’affaire algérienne. Alors que nombre de religieux, jeunes et moins jeunes, ne cachent pas leur réserve envers une « guerre sans nom », certains de leurs confrères du couvent d’Alger sont de fervents partisans du maintien de la présence française en Algérie94. Et ils ont le soutien de nombre de « pères graves », à commencer par celui du provincial. Contre le spiritain Joseph Michel, aumônier des étudiants africains, qui a exprimé dans L’Actualité Religieuse dans le Monde sa conviction du « devoir chrétien de décolonisation95 », le père Ducattillon engage en effet son autorité de supérieur et de spécialiste des questions de morale internationale dans un article de La Croix qui justifie le droit, pour la France, de posséder des colonies et de les défendre, par la force si besoin est. « Je trouve saumâtre qu’il soit le seul » à pouvoir s’exprimer, regrette Chifflot, tandis que Robert Delavignette intervient auprès du maître général Browne, au grand dam de Ducattillon96. Celui-ci élabore une véritable « théologie de la colonisation » dans un livre, Patriotisme et colonisation, qui justifie la conjonction entre les deux termes et proscrit l’objection de conscience97.
37Excédé par une censure qui entrave le fonctionnement de la revue, le père Chifflot demande le 20 octobre 1956 au provincial un entretien que celui-ci subordonne à un exposé écrit des motifs et à une soumission de tous les manuscrits une semaine au moins avant leur mise sous presse. Chifflot se retranche derrière une vigoureuse protestation d’Étienne Borne que Ducattillon récuse en bloc, mais qui lui inspire une question plus radicale : qui dirige vraiment la revue, l’Ordre ou le « groupe de laïcs » mentionné par Borne pour la rédaction des éditoriaux98 ? Sans répondre, Chifflot redouble de plaintes à l’encontre d’une censure volontiers blessante99. Ducattillon maintient son refus d’un entretien qui risque de donner lieu à des « contestations désagréables et déplacées100 ». Faute de se parler, les deux religieux font appel de leur différend à Rome. La curie généralice se refuse à dessaisir le provincial du dossier et demande à Chifflot d’élaborer « une ligne doctrinale ou idéologique […] qui puisse obtenir l’approbation des supérieurs101 ». Chifflot rassure enfin Ducattillon le 10 novembre : « La Vie Intellectuelle est bien dirigée par les dominicains de La Tour-Maubourg qui en ont reçu la charge » : aucun texte n’y a paru sans leur aval. Comme le provincial ne s’estime pas satisfait pour autant et que Chifflot ne peut obtenir son entretien, les deux hommes viennent plaider leur cause à Rome à la fin du mois de novembre. Jugeant que son équipe n’est plus en mesure de faire paraître une revue conforme à ses vœux, Chifflot propose d’« échapper de façon positive à une situation sans issue » en remplaçant La Vie Intellectuelle par six volumes l’an de la collection “Rencontres”102 ». Le père Ducattillon refuse une telle solution qui ne réglera pas la question de la censure et réitère ses demandes sur la direction de la collection, son comité de rédaction, ses collaborateurs, son esprit et son programme103. Chifflot confirme que la censure a empêché La Vie Intellectuelle de traiter du conflit algérien, préoccupation majeure du moment pour la conscience chrétienne. La collection engagerait moins l’Ordre et assurerait plus de liberté à ses responsables, le père Chartier et le père Thomas. Persuadé pour sa part que la ligne suivie par la revue n’est « pas viable », Ducattillon refuse une suppression déguisée qui serait « l’aveu d’un échec ». Il propose de continuer La Vie Intellectuelle sous forme de cahiers bimestriels qui traiteraient l’actualité « non pas d’une manière journalistique et politique mais d’un point de vue plus élevé, nettement doctrinal », reflet des « principes philosophiques et théologiques » propres à l’Ordre dominicain104. Chifflot juge cette solution « irréalisable » avec son équipe, Chartier et Thomas sollicités par Ducattillon s’étant solidarisés avec lui105.
38Un vif échange entre le provincial et le supérieur de La Tour-Maubourg marque le sommet de la crise début décembre 1956. Pour Ducattillon, la suppression de la revue est l’effet d’un « désaccord de pensée entre ceux à qui cette revue est confiée et l’autorité de l’Ordre qui la leur a confiée ». « Êtes-vous bien sûr que la revue a été dans ces derniers temps pleinement fidèle à toutes les orientations données actuellement pas l’Église, et ne craignez-vous pas qu’en la supprimant comme vous le préconisez, il n’apparaisse que votre service de l’Église et de l’Ordre n’est pleinement assuré que si les directives qui vous en viennent sont conformes à vos préférences ? », écrit le provincial, qui réfute la fidélité de la revue à son intention fondatrice : il s’efforce de montrer que La Vie Intellectuelle naissante était « beaucoup plus doctrinale et enseignante », pour mieux reprocher à l’actuelle de n’être plus que « l’expression d’un groupe de collaborateurs plus soucieux de recherches et de pensées nouvelles que du rappel des principes sûrs permettant de juger les événements ». Elle ne représenterait plus qu’elle-même, pas l’Ordre ni l’Église. Sachant que l’équipe de La Tour-Maubourg risque d’opposer un non possumus à sa proposition de revue doctrinale, il renonce à l’imposer, mais demande des garanties sur la proposition de Chifflot : « Si vous voulez pouvoir dire dans Rencontres ce que vous ne pouviez pas dire dans La Vie Intellectuelle, il est clair que le désaccord profond entre l’autorité et vous demeurera entier106. » Chifflot répond qu’il souhaiterait que l’Ordre, loin de se sentir engagé par tout ce que publie la collection, lui laisse la liberté de livrer des textes divers, sur des sujets importants pour lesquels « il n’y a pas d’“opinion commune” » ni de position arrêtée du magistère, l’affaire algérienne par exemple. Il dit en revanche tout ignorer des « inquiétudes » suscitées par La Vie Intellectuelle « auprès des plus hautes autorités de l’Église », auxquelles le père Browne n’a pas fait allusion lors de son passage à Paris, ni lors d’un entretien récent à Rome. Faute d’en obtenir des preuves précises, il récuse ce qui a toutes les allures d’un procès de tendance107. En fait, La Vie Intellectuelle est bien victime, en cette fin de pontificat de Pie XII, comme les Éditions du Cerf et une partie des théologiens qu’elles publient, d’une défiance qui touche le réformisme politique et religieux des secteurs pionniers de l’Église de France.
39Sans répondre sur ce point capital, Ducattillon n’insiste pas mais, placé « devant une mise en demeure, et même devant le fait accompli108 », il ne s’incline que de mauvais gré. « Ce n’est pas à proprement parler une permission que je vous donne », écrit-il à Chifflot le 14 décembre, mais une « declaratio facti » qui sanctionne, avec la suppression de la revue, « un échec et une humiliation pour notre province ». En cette fin d’année 1956, La Vie Intellectuelle est d’ailleurs exsangue : elle n’a plus d’éditorial depuis le mois de mai et elle n’a publié qu’un seul numéro « ordinaire » au second semestre : celui d’octobre. Août-septembre est dédié au père Maydieu, novembre et décembre sont consacrés à un remarquable ensemble intitulé « Vitalité des religions non-chrétiennes », qui passe inaperçu du fait de la crise. Une circulaire aux abonnés les prévient que La Vie Intellectuelle prendra « une forme nouvelle » à compter de 1957 : « réfléchissant aux conditions de travail qui lui sont faites109 », elle décide « de se consacrer à la formule de numéros spéciaux », les cahiers de « Rencontres » qui en reprendront « l’esprit et la méthode110 ». Ainsi est masquée, d’une manière qui ne trompera personne, une pure et simple disparition. Le Monde du 10 janvier, bientôt suivi par L’Express ou par Esprit, fait porter la responsabilité de celle-ci sur la censure et sur le provincial lui-même, avec des détails qui ne peuvent venir que de La Tour-Maubourg111. Jugeant « inadmissible qu’un religieux accepte que la presse dénigre ses supérieurs comme Le Monde a pris l’habitude de le faire », Ducattillon soupçonne une nouvelle fois Boisselot, qui se défausse sur les collaborateurs laïcs de la revue112. Et il exige de Chifflot un démenti qui rétablirait selon lui la vérité : La Vie Intellectuelle s’est sabordée, elle n’a pas été condamnée113. Chifflot refuse en se retranchant derrière le silence qui fut celui des supérieurs « lorsque nous-mêmes, ou quelques-uns d’entre nous, avons été l’objet de certaines attaques publiques, soit par la presse, soit par le livre ou le pamphlet », claire allusion à la campagne de Jean Madiran. Ducattillon jugera cette comparaison « proprement insolente114 ». C’est donc la version de l’équipe du Cerf qui s’impose dans l’opinion et qui passera dans la mémoire : La Vie Intellectuelle a été contrainte de disparaître faute de pouvoir s’exprimer librement, sur la crise algérienne notamment. La fin peu glorieuse d’une revue qui était son vaisseau amiral depuis 1928 représente un tort considérable pour les Éditions du Cerf, dont l’avenir paraît compromis.
L’épreuve de force
40D’autant que la censure ne lâche pas prise. Après La Vie Intellectuelle défunte, c’est La Vie Spirituelle qui est visée. En mars 1957, elle publie un numéro sur « L’aumône », dans lequel l’abbé Pierre, rendu célèbre par son « insurrection de la bonté », s’en prend vivement aux ordres monastiques, accusés d’avoir rompu avec la vraie pauvreté. « Gavé d’offrandes », le monastère serait aussi un lieu de ségrégation : pour l’abbé Pierre, les convers sont des religieux de seconde classe, « domestiques des Révérends Pères » et « valets de chambre des couvents115 ». Alors que la province vient de récupérer la censure de ses religieux, l’affaire tombe particulièrement mal. Une lettre indignée du père Gobert au père Ducattillon exige de lui, le 20 mars, une admonition au père Plé, directeur de la revue116. Dans leur réunion du 27 mars, les cardinaux du Saint-Office s’émeuvent de l’article et leur secrétaire, le cardinal Pizzardo, demande au père Browne que la revue ne publie plus rien de l’abbé Pierre et que son comité de rédaction soit plus vigilant à l’avenir117. Plé répond que celui n’existe plus, car le père Ducattillon s’est réservé la censure depuis juin 1954118. Pour apaiser Rome sur « la sûreté doctrinale et l’inspiration théologique de la revue », le comité de rédaction institué au lendemain de la guerre par le père Gillet est rétabli et sa composition mise à jour par le père Kopf, successeur du père Ducattillon, en octobre 1957119.
41Le provincial, soucieux d’éviter des incidents récurrents, s’efforce de reprendre en mains la direction d’une maison dont il dit qu’elle « reste [s]a croix120 ». Direction religieuse d’abord, puisqu’il lui paraît impossible d’améliorer la situation, de son point de vue, « tant que P. Chifflot [en] demeurera le supérieur121 », car il mène contre lui une sorte de fronde aux « allures de bravade » bafouant son autorité : « Il en va non seulement d’une orientation doctrinale et apostolique (elle est d’ailleurs bien en cause), mais des conditions les plus élémentaires du jeu normal de la vie religieuse122. » Le mandat triennal du père Chifflot s’achevant fin février 1957, son remplacement ne présente en principe pas de difficulté, mais il devra quitter la maison, tout comme les pères Henry et Chartier. Encore faut-il trouver dans la province la perle rare qui acceptera un héritage aussi délicat. Après avoir songé une nouvelle fois à Thomas Delos, qui ne peut quitter son poste de conseiller canonique à l’ambassade près le Saint-Siège, ou à Dominique Dubarle, en mauvaise santé, le père Ducattillon jette son dévolu sur le père Ceslas Tunmer. Né en 1900, profès en 1923 et prêtre en 1927, il n’a jamais été mêlé, de près ni de loin, aux aventures du Cerf, ce qui est tout à la fois un avantage et un inconvénient. Il possède en revanche une bonne expérience de supérieur, à la mission de Mossoul, tâche dont il vient d’être déchargé sans devenir pour autant disponible immédiatement, puisqu’il est lié par contrat jusqu’en juin à l’Iraq Petroleum Company de Kirkouk dont il assure l’aumônerie. Pressé par Ducattillon123, il finit par accepter après avoir épuisé toutes les objections possibles : il est nommé supérieur au 1er mars 1957, le père Roguet effectuant l’intérim jusqu’à ce qu’il puisse entrer réellement en fonction.
42Reprendre en mains les Éditions du Cerf, qui se seraient jusque-là « efforcées d’échapper [au] contrôle » des supérieurs ou de n’appliquer leurs directives « qu’à contre-cœur124 », est autrement risqué. Ayant convoqué le père Boisselot pour l’affaire des fuites au Monde, le père Ducattillon découvre que la société a l’intention d’acheter pour 25 millions de francs le 31, boulevard La Tour-Maubourg, qu’elle lance un emprunt obligataire de 30 millions et que des participations croisées la lient à des entreprises éditoriales étrangères à l’Ordre. Fort des pouvoirs que lui délègue le président du conseil d’administration, le père Boisselot « a tout en mains », mais il « échappe complètement […] à la juridiction de l’Ordre », ce que le provincial ne saurait tolérer125. Aussi demande-t-il au père Lajeunie, seul témoin vivant des origines, ainsi qu’aux pères Dubarle et Boisselot, de lui brosser un tableau des structures administratives et financières de l’entreprise126. Quand il a pris ses fonctions en octobre 1949, le père Boisselot s’est trouvé face à 791 détenteurs d’actions, dont aucune aux mains de l’Ordre. Pour que la maison ne pâtisse pas de cette dispersion, il a entrepris d’en rassembler un certain nombre « entre les mains d’amis très proches et sûrs ». Une lettre circulaire en ce sens de mai 1950 lui a permis de diminuer le nombre des actionnaires à 400 et d’apporter 2835 actions, sur un total de 14500, à une Association de la pensée chrétienne créée le 19 juin 1956. Sise au domicile parisien de la chartiste Jacqueline Chaumié sa présidente, elle a pour but de « répandre et de favoriser la connaissance dans l’opinion publique de la doctrine catholique et plus spécialement de la Bible ». Ella Sauvageot en est la secrétaire et Boisselot le trésorier… En sont membres Étienne Borne, Aimée Chambert, amie du père Bernadot, le père Chifflot, Robert Delavignette, Georges Hourdin et François Perroux, autrement dit la garde rapprochée de La Tour-Maubourg127. Le capital de la société des Éditions du Cerf est entièrement entre les mains de laïcs, mais il n’y a pas à s’en inquiéter, précise Boisselot, car « l’affaire fonctionne ainsi depuis un quart de siècle et il n’y eut jamais l’ombre d’une intrusion doctrinale des laïcs », ni de difficulté concernant « l’orientation intellectuelle ou sociale des Pères dominicains ». « L’Ordre reste seul maître de cette orientation par l’autorité doctrinale qu’il exerce sur les religieux assignés dans la maison », la société commerciale ne pouvant fonctionner sans eux. « Cette dépendance réciproque est le gage de la liberté de chacun des deux organismes, intellectuel et financier, qui forment la structure des Éditions du Cerf128. » Tel n’est évidemment pas le point de vue du père Ducattillon, qui s’inquiète de la menace que pourrait constituer l’Association de la pensée chrétienne dont il découvre alors l’existence, bien que deux de ses religieux y occupent une place importante : elle ne possède que 19,5 % du capital, mais « il est manifeste qu’elle cherche à devenir propriétaire des Éditions du Cerf et à avoir la haute main sur elles », d’autant qu’y figurent en bonne place Delavignette et Borne avec lesquels il a eu maille à partir : le second « rédigeait tous les éditoriaux de La Vie Intellectuelle et la dirigeait en fait129 ».
43D’où la décision de trancher dans le vif prise lors de la visite canonique du père Browne au printemps 1957. Début mai, le père Boisselot est ainsi élu prieur du couvent de Dijon. Il refuse la charge, mais elle lui est imposée sous précepte formel par le père Ducattillon. Sa mise à l’écart de Paris suscite des remous. Le père Tunmer, qui se trouve toujours au Moyen-Orient et qui n’a pas été consulté, aurait préféré que l’on attende jusqu’à sa prise de charge effective et se fait l’écho de « l’émotion très vive, je dirais même de l’angoisse que cela a causé à La Tour-Maubourg », où les pères lui ont demandé d’intercéder pour Boisselot : qu’il conserve au moins la direction de la maison d’édition130. Les uns après les autres, les membres du conseil d’administration défilent dans le bureau du provincial pour le faire revenir sur sa décision. L’homme d’affaires François Michel voit en Boisselot le « grand élément modérateur » d’une équipe qui en comporterait de « plus violents », argument peu susceptible de convaincre le père Ducattillon131. Georges Hourdin estime que le départ de Boisselot risque d’être « funeste à la marche de la maison », dans laquelle les publications de La Vie Catholique illustrée ont investi des sommes importantes pour la sauver132. Le 10 mai, Pierre Bernard et trois membres du conseil d’administration signalent que Boisselot n’est pas remplaçable : « La maison n’a jamais marché qu’avec lui. Chaque fois qu’il est parti, tout a failli sombrer133. » L’unité du conseil n’est pourtant que de façade : avec l’accord de l’ancien président Urbain Falaize134, Pierre Bernard confie ses craintes sur l’influence néfaste qu’Ella Sauvageot et les déjeuners du Petit Riche exerceraient sur le père Boisselot et sur les Éditions du Cerf, dans la ligne du « progressisme ». Bien que présentés de façon moins polémique, ses griefs sont les mêmes que ceux de Jean Madiran. Ducattillon et son adjoint Héris en retirent la conviction que « nos religieux y sont, en fait, purement et simplement des employés au service du groupe dont Mme Sauvageot est l’animatrice135. Le seul rôle que l’Ordre a pu jouer est celui de censeur, qui est partout présenté comme exercé abusivement136 ». Ils ne sont donc pas enclins à transiger : Boisselot est seulement autorisé à venir trois jours par semaine à Paris. Aussi le conseil d’administration nomme-t-il le 18 mai Vincent Vergriete pour le remplacer. Ducattillon s’étonne d’autant plus d’être mis devant le fait accompli que Vergriete s’en remet à lui pour accepter ou refuser la proposition qui lui est faite137.
44Début juin, le démantèlement de l’équipe du Cerf se poursuit : le père Duployé est assigné à Strasbourg, le père Chartier à Dijon et le père Henry au Centre Istina de Boulogne-sur-Seine. D’où une nouvelle cascade de protestations. Le père Louvel envoie un cri d’alerte au maître général le 3 juin : un organisme peut survivre à l’amputation d’un membre, voire de deux, mais pas de quatre. « Je ne pense pas que le T. R. P. Provincial veuille la suppression pure et simple des Éditions du Cerf. Je crains cependant que les mesures prises ne conduisent très rapidement à ce résultat » : une mort « à très brève échéance138 ». Solidaire de ses anciens subordonnés, le père Chifflot demande lui aussi à être déplacé139. Le père Roguet, supérieur par intérim à son corps défendant, ne mâche pas ses mots :
« Vous êtes en train d’accomplir la destruction de notre maison, écrit-il au père Ducattillon le 4 juin ; “une équipe de travail n’est pas un jeu de cartes qu’on peut battre et couper à son gré” ; “on n’abat pas un pan de mur sans risquer de tout faire crouler” ; “notre équipe du Cerf était née peu à peu d’une cooptation réciproque” ; “une équipe défaite et refaite à coups d’autorité, mais sans consultation préalable, en dehors de toute atmosphère d’amitié et de confiance, est une équipe vouée à la mort” ; “je ne peux croire que vous vouliez cela, mais je dois vous dire que c’est cela que vous êtes en train de faire” ; “comme vicaire du père Tunmer, je pensais n’avoir qu’à assurer une transition patiente et sans histoire. Je ne croyais pas avoir à être le témoin d’une exécution”140. »
45Le 8 juin, Pierre Bernard, Georges Hourdin et François Michel s’opposent aux assignations, surtout celle du père Henry, que les reproches envers Prêtres d’hier et d’aujourd’hui, Bible et Mission ou La Vie Spirituelle ont placé au cœur de la crise141.
46Le provincial prépare au même moment la modification du statut des Éditions du Cerf. Dans une note du 17 mai sous sa seule responsabilité, Georges Hourdin a souligné combien il est économiquement risqué de renvoyer et de remplacer, « unilatéralement et sans délai », le religieux chargé d’une entreprise qui « pèse » 300 millions de chiffre d’affaires. Pour éviter à l’avenir des désagréments du type de ceux qui viennent de se produire, il plaide pour l’établissement d’une convention entre l’Ordre et la société. Après un exposé des motifs qui résume les inconvénients pour le premier d’une situation conflictuelle, le père Ducattillon propose fin mai un projet destiné à ramener les Éditions du Cerf dans le giron dominicain. Elles y sont définies comme « une entreprise de l’Ordre […] qui y trouve un moyen d’exercer sa mission doctrinale et apostolique » :
« En tout ce qui concerne leur but – qui est la diffusion de la pensée catholique – elles sont placées sous la direction et le contrôle de l’autorité de l’Ordre qui est directement responsable de l’orientation des publications. C’est cette autorité qui nomme les Pères chargés de s’occuper de cette œuvre, et c’est devant elle qu’ils ont, avant tout, à rendre compte de leurs activités. Il revient au P. Provincial non seulement de désigner le supérieur religieux de la Maison Saint-Dominique, mais aussi un Directeur des Publications (qui peut être d’ailleurs le supérieur lui-même) dont la fonction s’exercera sur le plan doctrinal sous le contrôle du P. Provincial. »
47Dans cette perspective, le rôle des actionnaires est réduit aux « responsabilités administratives et financières » de l’entreprise. Un religieux désigné par le provincial devra figurer au conseil d’administration qui devra concéder à l’Ordre un certain nombre d’actions. Aucun investissement, de quelque nature que ce soit, ne devra être engagé sans l’accord du provincial, avec lequel seront fixés les émoluments des religieux assignés boulevard La Tour-Maubourg142.
48Bien que désireux de parvenir à un accord, les représentants des actionnaires, qui rencontrent le père Ducattillon le 8 juin, ne peuvent accepter cette mise en tutelle. Pour eux, la société est une entreprise laïque sans caractère religieux dominicain. Ils doivent donc rester maîtres de la désignation de son directeur, dont la fonction ne saurait se limiter aux tâches administratives ou financières : elle est aussi d’ordre intellectuel. Les actionnaires dont il est le mandataire ne sauraient être seulement des bailleurs de fonds, dessaisis des responsabilités éditoriales143. Tandis que le père Gobert met en garde Georges Hourdin contre une rupture avec l’Ordre144, la négociation est engagée, mais elle bute sur un désaccord persistant au moment où le père Ducattillon, renversé par une voiture, meurt le 27 juin 1957, trois ans après le père Suarez. Elle se poursuit au cours de l’été entre le père Tunmer, qui a pris ses fonctions le 23 juin, et Georges Hourdin ou François Michel, qui remplace alors Pierre Bernard comme président du conseil d’administration, mais sans aboutir145.
*
49L’affrontement entre le père Chifflot et le père Ducattillon donne sa tonalité propre à la crise de 1954-1957. Chifflot a accepté dans l’obéissance la fonction de supérieur de La Tour-Maubourg sans l’avoir souhaitée. Mais une fois en charge, il défend le travail de son équipe avec une vigueur et une ténacité qu’on ne lui connaissait pas auparavant. Il flaire le procès d’intention dans les mesures d’exception prises par Rome à l’encontre des Éditions du Cerf et accuse le père Ducattillon de les appliquer avec une rigueur indue. « Un caporal et une boîte à lettres » : c’est bien ainsi que le père Congar voit le provincial nommé146. Celui-ci ne se contente pourtant pas de transmettre les directives de la curie généralice, puis de les faire appliquer avec la brutalité d’un sous-officier : il voit dans l’équipe de La Tour-Maubourg le foyer d’une résistance, non seulement à son autorité, ce qui ne fait guère de doute, mais surtout au regain d’intransigeance sensible à Rome depuis le début des années 1950. La nouvelle crise du Cerf connaît son acmé en 1957. Elle n’est qu’une des multiples « affaires » affectant alors l’aile marchante du catholicisme français, dont la réprobation romaine du « catéchisme progressif » de l’abbé Colomb n’est que la plus retentissante.
50Or ces deux griefs ne sont pas nouveaux : ils étaient déjà au cœur de la crise précédente, celle de 1937-1943. On peut même dire qu’ils sont constitutifs de l’histoire des Éditions du Cerf depuis leurs origines. Celles-ci vivent tant bien que mal sur un double paradoxe, structurel et intellectuel. Comme supérieurs de la Maison Saint-Dominique, le père Bernadot, le père Boisselot et le père Chifflot sont soumis à l’autorité du provincial de France, mais ils n’ont cessé de se plaindre de leur médiocre insertion dans la province. Comme directeurs des Éditions du Cerf, le père Bernadot et le père Boisselot ont toujours revendiqué leur autonomie par rapport à celle-ci en se retranchant derrière le paravent de leurs actionnaires laïcs, qui font figure de prête-noms tant ils sont proches d’eux. Les provinciaux peuvent compter sur leur obéissance personnelle, ainsi que sur celle de leurs adjoints, mais on leur refuse tout moyen de contrôle sur la marche de l’entreprise. Répétition de la crise de 1943, celle de 1957 est une nouvelle tentative, manquée, pour soumettre à l’autorité provinciale les Éditions du Cerf. Or celles-ci, second paradoxe, font figure par leurs revues et leurs collections, de fleuron de l’Ordre dominicain en France, alors qu’elles n’en représentent que la « tendance progressiste » et sujette comme telle à la défiance, puis aux sanctions des autorités romaines. Exemplaire à cet égard est le sort de La Vie Intellectuelle. Elle disparaît en 1956, faute de pouvoir s’exprimer librement sur le drame algérien, après avoir failli disparaître en 1937 parce que jugée trop engagée sur le drame espagnol.
Notes de bas de page
1 « Chronique de la grande [barré et remplacé par « petite »] purge », Journal d’un théologien, 1946-1956 (présenté et édité par Étienne Fouilloux), Paris, Cerf, 2000, p. 232-283.
2 Le travail de référence demeure celui de Leprieur François, Quand Rome condamne. Dominicains et prêtres-ouvriers, Paris, Plon/Cerf, coll. « Terre Humaine », 1989, p. 446-461. Il a surtout exploité la correspondance du provincial de France avec la curie généralice ; nous exploitons celle entre le provincial et les religieux assignés à la maison Saint-Dominique du boulevard La Tour-Maubourg.
3 Il est remplacé en 1948 par le père Vincent Héris, avant d’être compromis dans l’affaire du convict de « L’Eau vive », sans rapport avec celle qui nous retient, mais exactement contemporaine. Elle contribue à renforcer les préventions romaines contre les dominicains français : les deux affaires sont souvent évoquées dans les mêmes échanges entre le père Ducattillon et la Curie généralice.
4 Une passion : l’unité. Réflexions et souvenirs, 1929-1973, Paris, Foi Vivante 156, 1974, p. 60.
5 « Jésus-Christ en France », VI, février 1954 (numéro spécial « Chances de la France »), p. 113-140 (citation, p. 140).
6 Pelletier Denis, Économie et Humanisme. De l’utopie communautaire au combat pour le tiers-monde, 1941-1966, Paris, Cerf, 1996, p. 255-286.
7 Fouilloux Étienne, « Recherche théologique et magistère romain en 1952. Une “affaire” parmi d’autres », Recherches de Science Religieuse, avril-juin 1983, p. 269-286.
8 Keck Thierry, Jeunesse de l’Église, 1936-1955. Aux sources de la crise progressiste, Paris, Karthala, 2004, p. 371-420.
9 Lettre reproduite par François Leprieur, op. cit., p. 42-45.
10 « L’avenir des prêtres ouvriers », 25 septembre 1953.
11 ARM, 1er octobre 1953, p. 25-28.
12 VI, 15 février, p. 175-181 (sa position en fin de numéro semble indiquer qu’il y a été joint in extremis).
13 « Qu’est-ce donc que le prêtre ? », ARM, 15 janvier, p. 1-2 et 32.
14 Lettre du 4 mars 1954, fonds Jacques et Raïssa Maritain, Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg.
15 « Nous avions besoin, au-delà du frère merveilleux […] d’un homme d’autorité et de régularité, de fermeté et d’exigence, qu’il n’était pas », note Congar le 10 mars, Journal d’un théologien, op. cit., p. 265.
16 Elle est reproduite par Leprieur François, op. cit., p. 100-101.
17 L’hommage au défunt du père Duployé pour La Vie Intellectuelle n’obtient pas l’aval de la censure (« Hommage inédit au P. Couturier », Marie-Alain Couturier, un combat pour l’art sacré, Nice, 2005, p. 203-217).
18 « Pourquoi des prêtres-ouvriers » (sans point d’interrogation, à propos du roman de Gilbert Cesbron, Les saints vont en enfer), p. 7-37.
19 Journal Chifflot, février 1956.
20 Lettre du père Chifflot au père Avril du 15 février ; il rentre à Paris le 18 mars.
21 « Tour d’horizon », ARM, 1er mars 1954, p. 1 et dossier, 13-20.
22 VI, avril 1954, p. 1-4 (citation, p. 3).
23 « Vérité et unité », ibid., p. 5-9.
24 Ibid., p. 33-49 (citation, p. 49).
25 « Pourquoi pas ? », se demande L’Actualité Religieuse dans le Monde du 1er mars, tout en répondant par la négative, p. 1-2.
26 Ils auraient signé, puis retiré leur signature (Jean-Marie Domenach, Beaucoup de gueule et peu d’or. Journal d’un réfractaire, Paris, Seuil, 2001, p. 94-95). L’académicien et Prix Nobel de littérature a fait marche arrière (« En l’absence du Père », Le Figaro, 23 février 1954).
27 Le Monde, 25 février et 4 mars.
28 « Il semble que […] le P. Ducattillon, non seulement joue le jeu du juridisme le plus strict, et celui d’une perpétuelle et totale référence à Rome, mais qu’il en rajoute plutôt », note le père Congar le 22 octobre 1954, Journal d’un théologien, op. cit., p. 281.
29 Acte de fondation, origine et répartition des capitaux, nature des rapports avec l’Ordre (à propos de l’immeuble du boulevard La Tour-Maubourg notamment), nomination et rémunération des membres de l’équipe (« La Société peut-elle refuser un religieux proposé par le provincial ? »), projet, s. d.
30 Dix-huit en fait, avec Carré et Dubarle, dont les fonctions principales ne sont pas au Cerf, plus Régamey et Capellades, assignés au couvent Saint-Jacques (lettres des 12 mars et 21 avril 1954).
31 Lettre du 12 mars.
32 Marcel Bommelaer, Félix de Clinchamps, Lathuilière et François Michel.
33 « Rapport sur la Société des Éditions du Cerf », 10 mars 1954, 4 p. dactyl. (citations, p. 3 et 4).
34 Journal du père Chifflot pour les 3-10 avril 1954 ; tenu pendant son supériorat, du 1er mars 1954 au 1er mars 1957, ce journal apporte nombre de détails sur la crise (39 pages manuscrites non paginées, carton Chifflot).
35 Journal Chifflot 25 mars 1954, qui reproduit une longue lettre navrée à Chenu.
36 Journal Chifflot, 23 juin 1954.
37 Journal d’un théologien, op. cit., p. 281.
38 Décision du père Gomez, 17 octobre 1954.
39 Il cite néanmoins un religieux qui travaillait à la construction des barrages alpins, le père Marie-Luc (Paul) Froidevaux sans doute, de la province de Lyon, Prêtres d’hier et d’aujourd’hui, op. cit., p. 252-256.
40 Lettre au père Gomez du 24 octobre.
41 Lettre au père Gomez du 31 octobre.
42 L’historique de l’affaire est repris dans une note du père Chifflot au père Nicolas-Marie Gobert, socius du maître général Michael Browne, du 14 décembre 1955, 2 p. dactyl. ; pochette Bible et Mission, carton Henry, Parole et Mission 1.
43 Jamais en manque d’imagination, il lui avait trouvé un premier titre, Épiphanie. Revue de catéchèse missionnaire, Henry Antonin-Marcel, « L’aventure de Parole et Mission », Pierre-André Liégé témoin de Jésus-Christ, Paris, Cerf, 1980, p. 101-123 (p. 105).
44 « Il nous faut l’aide de tous les missionnaires, camerounais ou indiens, vietnamiens ou arabes, prêtres-ouvriers d’hier ou frères travailleurs d’aujourd’hui », liminaire, p. 16-17 (sur un exemplaire imprimé de 144 p.).
45 Henry Antonin-Marcel, « L’aventure de Parole et Mission », op. cit., p. 108.
46 « Note sur Bible et Mission », dans laquelle il fait à tort de Chifflot le directeur des Éditions du Cerf ; s. d. [avril 1955], 2 p. dactyl. ; point de vue de Chifflot dans son « Historique sommaire des avatars de la collection Bible et Mission à partir du 1er mars 1954 », 5 février 1958, 4 p. dactyl.
47 Discours du président Pierre Bernard, 6 p. dactyl. (carton Louvel).
48 Lettre du 1er décembre 1954 et réponse du 2. Le livre ne paraîtra pas au Cerf, mais à La Colombe en 1956.
49 Comme le souligne le père Chifflot pour le père Mac Dermott, vicaire général de l’Ordre, dans une lettre du 21 février.
50 Lettre au père Ducattillon ; ce texte aurait dû paraître dans Cinquante ans de pensée catholique française, Bibliothèque « Ecclesia » d’Arthème Fayard, 15, 1955 ; c’est le jésuite François Russo qui s’acquitte de la tâche (p. 129-142).
51 Lettre au père Ducattillon.
52 Madiran est le nom de plume de Jean Arfel. Écrit au second semestre 1954, le livre ne peut prendre en compte la condamnation de La Quinzaine (Paris, 182 p.).
53 Déjeuners qui réunissent les anciens responsables de Temps Présent : Ella Sauvageot, Stanislas Fumet, Georges Hourdin, Hubert-Beuve-Méry et le père Boisselot, mais aussi Jean Lacroix ou André Latreille, chroniqueurs au Monde, quand ils sont de passage à Paris.
54 Ils ne savent pas ce qu’ils font, op. cit., p. 10. Madiran en fait même une communiste convertie ; deux de ses enfants sont alors communistes.
55 Ibid., p. 15.
56 Ibid., p. 27-33.
57 Ibid., p. 59.
58 « Une mort, une naissance », ARM, 15 mai 1955, p. 1.
59 « Connaissance du prêtre », ARM, 15 novembre, p. 3-4 (citation, p. 4).
60 « L’action politique des chrétiens », ARM, 15 février, p. 1-2.
61 VI, janvier 1953, p. 127-152 ; ARM, 1er mars 1955, p. 17-24.
62 Journal Chifflot, 26 avril.
63 « Une mort, une naissance », ARM, 15 mai, p. 1.
64 Congar Yves, Journal d’un théologien, op. cit., p. 386-387.
65 Pages 2 et 15.
66 « Controverses. Censure des ouvrages publiés par le Cerf », 1 p. manuscrite, s. d.
67 Rapport de 20 pages dactyl., avec deux tableaux en annexes, citations p. 16-17, carton Louvel.
68 Le censeur anonyme demande de « suivre de plus près l’enseignement des papes » et exige vingt rectifications ou suppressions de détail en ce sens comme condition à l’imprimatur (carton Henry Initiation théologique).
69 « Entretien interrompu par deux venias et exclusion par le P. Provincial », journal Chifflot, 26 juillet.
70 Lettre du père Ducattillon au père Browne du 9 mai 1956. Telle est aussi l’opinion du père Congar, Journal d’un théologien, op. cit., p. 400-418.
71 Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1955 (écrit entre mai et août, achevé d’imprimer le 22 novembre), 186 p. (citation, p. 17, et allusion au rôle du père Boisselot, p. 64-66).
72 Quatre pages dactyl., sur lequel est portée à tort la date de 1955 dans l’exemplaire des ADF.
73 « De quelques confusions », Vin Nouveau, janvier 1956, p. 5-14 ; « Pour des idés claires », p. 15-21.
74 Le CCP auquel doivent être versés les abonnements est celui de Jeanne Yquel, employée du Cerf.
75 Comme le précise le père Chifflot au maître général Browne le 21 juin 1956, journal Chifflot.
76 Lettre à Ducattillon du 18 avril.
77 Le dossier des ADF est intitulé « Fausse nouvelles » (P. Henry) ».
78 Lettre d’excuse du père Gabel au père Ducattillon du 27 avril.
79 Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf en 1955, carton Louvel.
80 Lettre respectueuse mais ferme de Serrand à Ducattillon du 1er juin 1956, à comparer avec « Au temps de la pleine conscience », VI, août-septembre 1956, p. 75-96.
81 « Le religieux », ibid., p. 24-32.
82 « Souvenirs de l’autre temps », ibid., p. 97-108 (citation, p. 108).
83 Jean Thomas (Paul-Dominique en religion), né en 1914, profès en 1944, prêtre en 1948, n’est toutefois assigné à la maison Saint-Dominique qu’en 1957, tout comme le père Marie-Robert Capellades, de la province de Toulouse.
84 Un prospectus de mars 1956 énumère : Robert Delavignette, Albert Detraz, Alioune Diop, Dominique Dubarle, Jacques Dumontier, André Lichnerowicz, René Parès, Henri Péquignot, François Perroux, Pierre Rondot et Paul Vignaux ; Chifflot y ajoute Alfred Frisch et Gabriel Dessus, dans sa lettre à Ducattillon du 10 décembre 1956.
85 « Au temps de la pleine conscience », VI, août-septembre 1956, p. 95 ; le dernier article de Maydieu dans la revue s’intitulait significativement « Pour l’unité des catholiques », VI, avril 1955, p. 64-88.
86 Ils ne savent pas ce qu’ils font, op. cit., p. 126 ; contre l’éditorial d’août-septembre 1954, « Alerte au cléricalisme », qui récuse les confusions politico-religieuses, p. 1-4.
87 Au mendésisme de Jacques Nantet répond ainsi la « Perplexité sans ressentiments » d’Étienne Borne, VI, octobre 1954, p. 64-79.
88 Titre de Robert Montagne, VI, février 1954, p. 133-135.
89 « L’Algérie entre le “fait français” et le “fait musulman” », VI, mars 1956, p. 75-81.
90 Elle remplace l’éditorial de juin, p. 1-3.
91 Contre-propositions : « L’Église réprouve le contre-terrorisme et le terrorisme » ou « L’Église réprouve le terrorisme mais réprouve aussi le contre-terrorisme ».
92 Il a publié dans la VI de juillet 1953 un article de teneur voisine : « Colonisation et conscience chrétienne. Réflexions sur les missions en Afrique Noire », p. 5-14.
93 Paragraphe incriminé : « D’occasion manquée en occasion manquée, le gouvernement s’est trouvé placé devant l’affreux dilemme : reconquête militaire ou abandon. Il a opté pour la première solution en la baptisant pacification. Mais cette pacification qui se trouve devant des formes de résistance ou de terrorisme, et sans cesse renouvelées, est devenue la guerre. […] Songeons aussi au malaise, qu’ils ne cherchent plus à cacher, de tant de jeunes Français qui ont été rappelés et qui sont partis de bon cœur. Comment n’éprouveraient-ils pas au moins un doute sur le rôle qui leur est assigné ? »
94 Cavalin Tangi et Viet-Depaule Nathalie, « Feu la chrétienté algérienne : les prêtres français de la Mission de France et du couvent dominicain d’Alger », Vincent Joly et Patrick Harismendy (dir.), Algérie : sortie(s) de guerre 1962-1965, Rennes, PUR, 2014, p. 93-106.
95 ARM, 1er décembre 1954, p. 3-4.
96 « Actualité du patriotisme », La Croix, 29 mai 1956 ; journal Chifflot, 21 juin.
97 Tournai, Desclée et Cie, 1957. Sur cette polémique, Legrain Michel, « La querelle du Devoir de décolonisation autour du père Joseph Michel et de l’aumônerie des étudiants d’outre-mer », Histoire et Missions Chrétiennes, 10, juin 2009, p. 95-117.
98 Lettre de Borne à Chifflot du 21 octobre et lettre de Ducattillon à Chifflot du 26.
99 Un projet d’éditorial de Borne, « Vivre ensemble », est ainsi soupçonné de comporter « un relent de laideur morale », lettre de Chifflot à Ducattillon du 4 novembre.
100 Lettre à Chifflot du 5 novembre ; à des « contestations désagréables, inutiles et déplacées », lettre du 12 novembre.
101 Lettres de Gobert à Ducattillon et à Chifflot du 7 novembre.
102 Lettre au père Browne du 28 novembre, assortie de la « Note sur La Vie Intellectuelle et “Rencontres” » qui lui a été soumise le même jour, 2 p. dactyl.
103 Lettre à Chifflot du 3 décembre 1957.
104 Lettre à Chifflot du 4 décembre.
105 Lettres à Ducattillon des 6 et 10 décembre.
106 Un des volumes de « Rencontres » listé par Chifflot envisage… « la pensée du P. Teilhard de Chardin » !
107 « Mais si Rome s’inquiète de nous, que vous le sachiez et que nous n’en sachions rien, pensez-vous qu’un tel mystère facilite l’exercice de l’obéissance ? », lettre du 10 décembre.
108 Lettre au père Browne du 11 février, dans lequel il résume l’affaire.
109 Expression sibylline qui cache mal « les lenteurs et les exagérations des contrôles » que subissait depuis quelque temps l’équipe de rédaction (« La Vie Intellectuelle cesse de paraître », Le Monde du 10 janvier).
110 Une page imprimée datée du 20 novembre, mais envoyée seulement fin décembre.
111 « Les catholiques et la guerre d’Algérie », titre L’Express du 18 janvier, p. 21 ; et il énumère cinq articles refusés, dont deux de Borne, un d’Aujoulat et un de Delavignette. Jean-Marie Domenach explique que la rédaction a renoncé face à une « censure politique, d’ailleurs, plus que religieuse », dont il rend personnellement responsable le provincial (« Fin d’une revue », Esprit, février 1957, p. 401).
112 Lettre de Ducattillon au père Browne du 11 février 1957.
113 Lettres à Chifflot des 14 et 25 janvier.
114 Lettre de Chifflot du 30 janvier et lettre de Ducattillon à Browne du 11 février.
115 « La vocation monastique et la misère du monde », VS, mars 1957, p. 288-300 (citations, p. 289 et 296).
116 Il s’en prend aussi aux contributions du père Henry et de l’abbé Marc Oraison dont la thèse de théologie a été mise à l’Index.
117 Lettre au père Browne, 2 avril 1957, AGOP XIII, 30162/9.
118 Lettre au père Browne du 2 juillet 1957. Effet pervers de la purge !
119 Lettre du père Gobert au père Plé du 6 juillet et Note du père Kopf au père Tunmer du 9 octobre : président, le supérieur de la maison Saint-Dominique ; secrétaire, le directeur de la revue ; membres : les pères Hamer, Camelot, Roguet, Duval, Dunas, Dognin, Geffré, tous professeurs au Saulchoir.
120 Lettre au père Paul Philippe du 22 novembre 1956.
121 Lettre au père Browne du 12 novembre 1956. « Je ne vois pas d’autre solution qu’une décision de l’autorité donnant à la Maison du Cerf une nouvelle direction », lui confirme le père Héris le 24 novembre.
122 Lettre du père Ducattillon au père Gobert, 22 novembre.
123 Lettre du 5 décembre 1956 et réponse du 12 décembre.
124 Lettre au père Browne du père Héris, censeur désigné, 24 novembre 1956.
125 Lettre citée au père Browne du 11 février 1957.
126 Note du R. Père Lajeunie, 8 mars, 2 p. dactyl. ; note du père Dubarle du 22 mars, pour sa gestion de 1946 à 1949, 2 p. dactyl. ; et « Note sur la situation financière des Éditions du Cerf » du père Boisselot pour la sienne, 13 mars, 4 p. dactyl.
127 Statuts, 7 p. dactyl., AGOP.
128 « Note sur la structure financière des Éditions du Cerf », p. 4.
129 Lettre au père Gobert du 26 mars, avant la visite canonique du père Browne en France.
130 Télégramme et lettre du 10 mai.
131 Note sur l’entretien du 8 mai.
132 Notes sur les entretiens du 9 mai, avec Ducattillon, et du 10 mai, avec Gobert.
133 Note sur l’entretien du 10 mai entre Ducattillon, Bernard, de Clinchamps, Hourdin et Michel.
134 Lettre au père Ducattillon du 13 mai.
135 Secrétaire générale de la Fédération nationale de la presse française et vice-présidente du Syndicat des hebdomadaires, « la patronne » est pourtant bien moins active que lors de la crise de 1943. C’est Georges Hourdin qui est devenu le principal interlocuteur du père Ducattillon, pour le compte des Publications de La Vie Catholique illustrée.
136 Note sur l’entretien du 16 mai.
137 Lettre à Bernard du 21 mai et lettre de Vergriete du 28 mai.
138 Lettre du 3 juin, carton Louvel.
139 Lettre du 4 juin.
140 Lettre du 4 juin.
141 Son éloignement… à Boulogne-sur-Seine est très relatif.
142 « Statut des relations entre la société des Éditions du Cerf et l’Ordre de saint Dominique », 30 mai, 2 p. dactyl.
143 Procès-verbal de la rencontre, 2 p. dactyl ; notes de Bernard, Hourdin et Michel, 2 p. ; compléments de Bommelaer et de Michel.
144 Lettres des 12 et 22 juin.
145 « Compte rendu de l’administration du P. Tunmer du 1er mars au 31 octobre 1957 », 14 novembre 1957, 3 p. dactyl.
146 Audience avec le père Browne du 9 décembre 1955, Journal d’un théologien, op. cit., p. 417.
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