Chapitre VIII. De Boisselot à Boisselot
p. 189-215
Texte intégral
1Cette activité éditoriale en forte croissance est menée de pair avec la continuation, la reparution ou la création des revues. La Vie Spirituelle, désormais sous la direction du père Plé, assisté du père Henry, revient boulevard La Tour-Maubourg en janvier 1945 et se dote en mai 1947 d’un Supplément trimestriel. En janvier 1945 également apparaît la revue trimestrielle La Maison-Dieu, organe du Centre de pastorale liturgique, sous la direction du père Duployé et du père Roguet. Elle est suivie en février 1945 de La Vie Intellectuelle ressuscitée sous la direction du père Maydieu, assisté du père Serrand, auquel le père Gillet a permis de refuser son élection de prieur du couvent de Poitiers1. Les publications de L’Art Sacré reprennent, elles aussi, en septembre 1945, sous la direction du père Régamey. Enfin, le magazine Fêtes et Saisons devient mensuel à partir de décembre 1945, sous la direction du père Louvel, pour le texte, et du père Fleuret, pour l’image2. Avec un secteur « livres » en pleine expansion et un secteur « périodiques » renaissant, les Éditions du Cerf ont sensiblement diversifié leur production. Elles n’ont jamais eu autant de publications ni de projets éditoriaux qu’aux lendemains de la Libération. Elles pourraient donc envisager l’avenir avec optimisme si leur élan n’était entravé par les séquelles de la crise interne de 1943, par de grosses difficultés financières et par le vent mauvais qui recommence à souffler sur elles de Rome à partir de 1946.
Le cas Boisselot
2On pourrait presque dire l’énigme Boisselot, si les archives n’apportaient quelque lumière sur son parcours entre son éviction de La Tour-Maubourg en 1943 et son retour à la tête de la maison en 1949. Religieux soumis, il accepte dans l’obéissance la mesure qui le frappe et s’efforce de juguler les velléités de révolte de sa protégée Ella Sauvageot. Il se dit même « content de partir », car soulagé de ne pas avoir à endosser une évolution qu’il n’approuve pas3. Il se sent donc libre de participer au projet de reprise de Temps Présent qu’Ella Sauvageot envisage avec Georges Hourdin et Stanislas Fumet, sans partager leur prudence. « Je crois qu’il y a une révolution à faire et que ce n’est pas ces très honnêtes gens qui la feront », lui écrit-elle4, mais des jeunes à recruter parmi les résistants qu’elle côtoie. Le père Boisselot espère que le provincial lui permettra d’accorder une partie de son temps à un tel projet, en dehors des Éditions du Cerf : « Quant à le faire en liaison avec le Cerf je ne vous le conseille guère : du jour où vous reprendrez le journal, vous redeviendrez un objet d’horreur pour les éléments nouveaux de l’équipe », Dorange et Spitz bien sûr, mais aussi Henry et Plé. Leurs perspectives éditoriales sont en effet bien différentes, comme Ella Sauvageot ne tarde pas à s’en plaindre : « Il me semble qu’à son tour elle [La Tour-Maubourg] prend un caractère “institutionnel”, perd toute virulence révolutionnaire. […] Il me semble que la maison perd tout contact avec le monde et par conséquent toute prise sur lui », croit-elle constater en septembre 1943. Ce n’est pas étonnant après cela que tout y marche si bien et qu’on y retrouve cette bienheureuse “unité” dont le père D[uployé ?] nous rebat les oreilles et des tas de projets “liturgiques”5 », apparemment étrangers à ses préoccupations. L’Ordre exerçant « un contrôle trop strict désormais pour que l’œuvre ne perde pas toute efficacité (au moins journalistique) », Boisselot incline « de plus en plus à [s]’en désintéresser6 ». L’essentiel est dit : le directeur en titre des Éditions du Cerf, écarté de La Tour-Maubourg, entend se consacrer à des projets extérieurs à la maison, mais qui reprennent la veine populaire chère au père Bernadot.
3Après l’échec des pourparlers de fusion avec Témoignage Chrétien, l’hebdomadaire Temps Présent reparaît au lendemain de la libération de Paris, le 26 août 19447. Alors qu’ils y avaient été jugés indésirables en 1937, des dominicains y sont bien actifs, à commencer par le père Boisselot, dont le rôle au journal n’est pourtant pas facile à définir. Il y écrit peu sous son nom, un peu plus sous ses initiales P. B. et plus encore peut-être sous le pseudonyme de Verax, ce qui reste à prouver. Sa proximité avec Ella Sauvageot, administratrice de l’entreprise, lui confère cependant une influence diffuse qu’on ne saurait sous-estimer. L’orientation de l’hebdomadaire, écartelé entre le gaullisme de Stanislas Fumet, une tendance démocrate-chrétienne et le « progressisme » de Mme Sauvageot, lui donne vite raison. Le 22 mars 1945, le provincial Motte exprime ses doléances à Fumet, directeur littéraire du journal : « J’y trouve bien souvent des positions ou des réactions qui me semblent manquer de grandeur ; quelque chose de hargneux et de désagréable qui fait un vif contraste avec ce qu’évoque, précisément l’amitié française », dont Temps Présent a fait son leitmotiv. Il incrimine en particulier un entretien avec le père Bertrand Carrière, dominicain de la province de France et vice-président de l’Assemblée consultative, dans lequel celui-ci justifiait par l’absence d’épuration au sein de l’Église la suppression des crédits à l’école privée accordés sous Vichy8. La défense par Boisselot du rôle de Pie XII pendant la guerre, dans un numéro ultérieur9, peut être lue comme une réponse à cette critique, au terme de laquelle venait une menace qui n’était pas voilée :
« Je tenais d’autant plus à vous dire en toute franchise ma pensée que l’on tient communément notre Ordre pour responsable de Temps Présent. Il y a là une confusion à dissiper en toute hypothèse, mais si la tenue du journal ne cesse d’être inquiétante pour la conscience catholique c’est encore trop que, sans avoir la moindre responsabilité officielle dans la direction du journal, certaines plumes dominicaines lui apportent leur concours. Il me serait pénible d’être obligé, pour nous désolidariser totalement de Temps Présent, d’interdire toute collaboration, mais je n’hésiterais pas à le faire10. »
4La menace ne sera pas mise à exécution. Et Stanislas Fumet pourra ensuite rendre responsable du déclin du journal son « administration et le gauchisme de La Tour-Maubourg », c’est-à-dire celui d’Ella Sauvageot et du père Boisselot… dont le nom reste associé à la maison bien qu’il n’y soit plus assigné depuis 194311. N’est-ce pas lui qui aurait rédigé l’éditorial sur le référendum constitutionnel de mai 1946, où était admise la possibilité d’un vote positif, prôné par la gauche socialiste et communiste12 ?
5L’hebdomadaire Temps Présent n’est pas le seul contentieux entre Boisselot et l’Ordre. Tout en signalant la reprise de Fêtes et Saisons avec « Te Deum », album à succès d’août 194413, le conseil d’administration des Éditions du Temps Présent du 29 décembre 1944 poursuit :
« Nous avons étudié avec les Éditions du Cerf l’avenir de cette collection et il nous a paru préférable d’envisager deux actions séparées : d’une part les Éditions du Cerf publieraient la suite proprement dite de Fêtes et Saisons sous forme d’un album mensuel ; d’autre part nous éditerions un hebdomadaire illustré. Nous aurions préféré qu’une seule publication puisse se faire en commun, cela n’a malheureusement pas été possible. »
6La séparation ne s’est pas faite à l’amiable. Les 300 000 francs dus par le Cerf, comme part des Éditions du Temps Présent dans Fêtes et Saisons, doivent en effet servir à la création du « journal catholique illustré dirigé par Folliet et Hourdin » qui « remplacera l’ancienne Vie Catholique », titre sur lequel Temps Présent conserve un droit depuis la fusion de 1938. Mais ce projet, dit projet Folliet, est partiellement concurrent de celui « d’une revue de spiritualité populaire illustrée », dit projet Fleuret-Louvel14. Le père Louvel ayant expliqué qu’il ne désirait pas s’impliquer dans un hebdomadaire d’actualité, Ella Sauvageot va de l’avant : « Teitgen nous a accordé l’autorisation de faire paraître La Vie Catholique illustrée à partir du 1er juin », écrit-elle au dominicain15. Ce sera en fait le dimanche 8 juillet, avec une maquette proche de celle de Fêtes et Saisons et un comité de rédaction où Louvel a la surprise de voir figurer, outre Folliet et Hourdin, deux dominicains : le père Boisselot qui soutient le journal, sans beaucoup y écrire, et le père Gilles Gourbillon, seul confrère capable, à ses yeux, de « se faire entendre par un grand auditoire », qu’il a recruté pour en assurer la partie spirituelle, tout en insistant sur l’indépendance de l’hebdomadaire par rapport à l’Ordre16. La réaction de La Tour-Maubourg est brutale : le père Louvel va jusqu’à parler d’« escroquerie » et le père Duployé voit dans l’affaire un cas de procès devant les tribunaux17. Ella Sauvageot récupère bien ses parts dans Fêtes et Saisons, mais au prix d’une rupture avec l’équipe de La Tour-Maubourg18.
7La suite est connue19. Sous la houlette prudente de Hourdin et de Folliet, bien plus prudente que ne le souhaiteraient Boisselot et Sauvageot, La Vie Catholique illustrée connaît un succès spectaculaire : 200 000 exemplaires en 1945, 600 000 pour son dixième anniversaire en 1955, sans abonnements ni vente en kiosque, mais avec le concours d’un réseau serré de diffuseurs paroissiaux. Fuyant les opinions tranchées, mais ouvert au vent de modernisation qui souffle dans l’Église comme dans la société, l’hebdomadaire s’attache un lectorat de classes moyennes urbaines que Le Pèlerin vieillissant des assomptionnistes ne satisfait plus. Sans paraître en première ligne, le père Boisselot, dont « le sens de la création par personne interposée » fait tout le charme20, est partie prenante d’une entreprise qui aurait comblé son maître Bernadot. Et il est la cheville ouvrière d’une autre : le procès-verbal du 29 décembre 1944 prévoit en effet la création par les Éditions du Temps Présent d’une « Agence d’Informations Catholiques Internationales », qui serait dirigée par lui et pour laquelle « il croit pouvoir fournir une part importante des fonds nécessaires » à son démarrage. Ce sera en 1946 le Centre d’informations catholiques qui produira avec le concours de Marthe Tardy, chargée de l’information religieuse à La Vie Catholique illustrée, un dossier ronéotypé envoyé à cent cinquante ou deux cents personnalités : « Le Dossier de la Semaine ». En attendant mieux…
8Le père Boisselot est donc fort engagé auprès de Temps Présent. On pourrait même avancer qu’il cautionne de son influence une entreprise de presse partiellement concurrente de celle dont il reste formellement le directeur, mais qu’il estime déviante par rapport à ce que souhaitait son fondateur. Il n’a donc aucun mal à répondre à son provincial, soucieux de faire appliquer enfin les décisions de la visite de 1943, que ni lui ni Ella Sauvageot ne sauraient y faire obstacle :
« Grâce à votre obligeante tolérance, j’ai pu, avec le concours de Mme Sauvageot, réaliser des projets qui répondaient à tout un aspect – plus journalistique et populaire – des intuitions du P. Bernadot. L’autre aspect, plus intellectuel, est assuré par La Tour-Maubourg. Ainsi s’est accompli, par la force des circonstances, un partage d’activités qui nous libère des scrupules que nous pouvions avoir il y a deux ans et demi. »
9Son « désir profond » est de « n’avoir plus aucun rôle à jouer, ni en droit ni en fait aux Éditions du Cerf, car [son] « centre d’intérêt […] est actuellement ailleurs (Agence, Vie Catholique, etc.)21 ». Il devient d’ailleurs prieur, en janvier 1948, du couvent parisien du Saint-Sacrement où il est assigné, après en avoir été le sous-prieur.
10Sollicité lui aussi par le provincial pour faciliter l’application des conclusions de la visite de 1943, le père Chifflot ne cache pas son opposition au remplacement du père Boisselot par le père Dorange à la tête du Cerf :
« Depuis deux ans, nous n’avons pas reçu de lui […] je ne dis pas une directive, mais même un jugement critique. Je dis, en pesant mes mots qu’il est aussi dépourvu de fermeté doctrinale – toujours prêt à opiner dans le sens du dernier-qui-a-parlé – que d’imagination intellectuelle – ne saisissant pas la portée, y compris la portée doctrinale, des questions. Tout ce qu’il fait est de laisser faire ; et ce n’est pas rien. »
11Mais c’est insuffisant dans l’effervescence intellectuelle que doivent affronter les Éditions du Cerf. Le statu quo risque de décourager leurs collaborateurs laïcs et de les détourner vers des entreprises plus réactives22. Il faut croire que l’avis de Chifflot est entendu. Le père Spitz devient prieur du couvent de Strasbourg le 4 février 1946 et le père Dorange prieur du couvent de Corbara le 6 octobre suivant. Entre-temps, le 24 juin 1946, le père Motte a institué « supérieur de la maison Saint-Dominique des Éditions du Cerf » le père Dominique Dubarle. Né dans l’Isère en 1907, entré dans l’Ordre en 1925 dans la même promotion que Maydieu, dont il est proche, prêtre en 1931, le père Dubarle est un intellectuel de haute volée : spécialiste de philosophie des sciences, il enseigne au Saulchoir depuis 1936, et à l’Institut catholique de Paris depuis 1944, après son retour de captivité. Le conseil d’administration l’accepte comme directeur de la société, bien qu’il n’ait aucune expérience de l’édition. Sa double nomination referme la parenthèse ouverte par la visite apostolique de 1943. Il a fallu trois ans pour que cesse la situation fausse qu’elle a créée et pour que la maison retrouve un leadership qui fasse l’unanimité de ses différents acteurs.
Alertes romaines
12Plusieurs visiteurs rapportent de Rome, dès le rétablissement de communications normales, des échos inquiétants. « Il a dit à La Tour-Maubourg qu’ils étaient visés (nommément le P. Maydieu), et que moi aussi j’étais visé », note le père Congar sur des propos tenus par le père Réginald Omez23. Ainsi les soupçons ont-ils survécu à la guerre… Mais sur quoi peuvent-ils s’appuyer, alors que les publications de la maison reprennent tout juste ? Sur les carences persistantes de son régime religieux, soulignées par la visite canonique d’octobre 194524 ? Sur les critiques encourues par le premier numéro de Fêtes et Saisons mensuel, celui de Noël 1945 ? Les dessins humoristiques de sa quatrième de couverture, ses photographies de nus et sa critique des paroisses parisiennes, qui font payer les places assises de la messe de minuit25, valent aux pères Dorange et Louvel une semonce du cardinal Suhard26 ? Ces accrocs sont toutefois minces et il y a peu de chances qu’ils aient atteint Rome.
13Plus sérieuse est sans doute, bien que difficile à documenter, la posture « résistante » publiquement affichée par Maydieu. Membre du Comité national des écrivains clandestin, il a joué un rôle appréciable dans la Résistance intellectuelle parisienne, et dans la Résistance tout court, ce qui lui a valu d’être arrêté à la frontière suisse en mars 1944, avec le père Dominique Dubarle, et emprisonné cinq mois à Annecy par les Allemands27. Son premier éditorial dans La Vie Intellectuelle ressuscitée, tout vibrant de la joie de la Libération, compte sur l’union de la Résistance pour la reconstruction du pays : « Nous avons retrouvé la flamme de la Grande Révolution » ; « il ne reste plus qu’à achever cette libération et à construire cette liberté28 »… L’archevêque coadjuteur de Cambrai, Mgr Guerry, a mal vécu la mise en cause de l’attitude de l’épiscopat français pendant les « années noires » par un véritable tribunal dominicain, boulevard La Tour-Maubourg, comme en témoigne sa lettre blessée à Maydieu du 8 février 1945. Bien que les confrères de celui-ci aient été moins engagés, la maison, qui a abrité nombre de réunions discrètes durant l’Occupation, fait figure de foyer de la Résistance. Et cela ne peut que déplaire à ceux qui, dans l’Ordre ou dans l’Église de France, n’ont pas fait les mêmes choix. Mais comment avoir l’audace d’avancer un tel argument dès 1946 ? On n’en trouve guère de traces dans les archives, bien qu’il puisse reparaître à l’occasion lors de débats postérieurs. En 1944, c’est la part prise à la Résistance par le directeur de « Rencontres », « qui a permis d’obtenir immédiatement le papier nécessaire pour les revues, les livres et Fêtes et Saisons », répond le père Maydieu accusé en 1952 d’incompétence par le père Boisselot29. En sens opposé, le provincial Ducattillon déplore quatre ans plus tard que les religieux du Cerf se soient « singulièrement durcis et constitués dans une sorte de résistance occulte, semblable à celle dont ils prirent l’habitude pendant la guerre à l’encontre du pouvoir occupant ou du gouvernement de Vichy. Ils demeurent assurés d’avoir raison, de représenter la vraie Église (comme ils représentaient la vraie patrie pendant la guerre) d’avoir l’avenir devant eux30 ». Même si l’on n’y fait que rarement référence, l’épreuve des « années noires » reste bien présente au sein de la province de France.
14Mais la raison avouée du maintien de la défiance est religieuse. En septembre 1946, le chapitre général des frères prêcheurs donne comme successeur au père Gillet le canoniste espagnol Emmanuel Suarez. Le pape Pie XII profite de l’occasion pour rappeler aux capitulaires la vocation de l’Ordre à promouvoir, contre toute audace intellectuelle, la pensée de saint Thomas d’Aquin. Il n’emploie certes pas l’expression « nouvelle théologie », comme lors de son allocution à la Congrégation générale de la Compagnie de Jésus qui vient d’élire préposé général le père Jean-Baptiste Janssens ; mais cette mise en garde est dans toutes les têtes. Aussi le père Dubarle et le père Maydieu se rendent-ils à Rome fin décembre 1946 pour défendre le travail des Éditions du Cerf. Auprès de Mgr Montini, substitut de la Secrétairerie d’État et proche collaborateur du pape, ils insistent sur la responsabilité de celles-ci dans la formation doctrinale de leurs lecteurs. Les thèmes évoqués, qui sont aussi les questions disputées du moment, ont pour but de rassurer leur interlocuteur :
« Primat de la pensée spéculative sur la raison pratique, importance primordiale de l’affirmation rationnelle de Dieu, distinction de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel, rôle de la Rédemption du Christ dans le monde et dans l’histoire, théorie de la connaissance philosophique et scientifique, rapport entre la liberté humaine et les sociétés et communautés31. »
15Les deux religieux sollicitent un encouragement pour « les efforts apostoliques en terre de France ». Rassuré, Mgr Montini leur transmet par télégramme une bénédiction pontificale anodine qu’ils s’empressent de publier comme s’il s’agissait d’une approbation de l’ensemble leur travail, ce qui provoque des réactions à Rome : les publications du Cerf demeurent bel et bien dans le collimateur des censeurs32. Un évêque français s’est ainsi étonné de certains propos du père (sic) de Pury, dans le volume de « Rencontres » Positions protestantes, et le père Garrigou-Lagrange d’une appréciation trop indulgente du père Maydieu sur la pensée du jésuite Teilhard de Chardin, dans La Vie Spirituelle33, où la ligne imprimée par le père Plé suscite quelques inquiétudes.
16Les conditions matérielles de la reprise de l’activité du Cerf ne sont pas moins difficiles que les conditions spirituelles. Certes, dans sa nouvelle extension, la Maison Saint-Dominique n’a jamais été aussi nombreuse : onze religieux à la fin de 1945, douze un an plus tard, les départs de Spitz et de Dorange en 1946 étant compensés par l’arrivée de Dominique Dubarle comme supérieur, de Vincent Vergriete pour seconder Chifflot au secteur « livres34 », et de Constant Travers (qui ne restera pas) pour le Centre de pastorale liturgique. Malgré la location de bureaux au 31, boulevard La Tour-Maubourg, où s’installent le Centre de pastorale liturgique et Fêtes et Saisons, la place commence à manquer, d’autant que le développement des activités accroît le recrutement d’employés laïcs : en 1945 un directeur commercial, fonction qui n’existait pas auparavant, en la personne de Gabriel Ferrier, ancien animateur des Amis de Sept ; ou en 1946, pour Fêtes et Saisons surtout, le jeune écrivain surréaliste Michel Carrouges, pseudonyme de Louis Couturier, qui collaborait déjà avec le père Maydieu pour « Rencontres » et pour La Vie Intellectuelle. Des réunions festives, baptisées « dindes » permettent d’informer deux fois par an l’ensemble du personnel et de proches amis sur l’état de la maison.
17La situation financière est bien moins brillante. Certes, le chiffre d’affaires a beaucoup augmenté : de quatre millions de francs en 1944, année particulièrement creuse, à 26 millions en 1946, et 60 millions en 194935. Mais les dépenses aussi, dans une conjoncture inflationniste où les coûts de fabrication augmentent fortement, ceux du papier notamment, qui reste un produit rare et cher jusqu’au début des années 1950. Les salaires des douze religieux, 5 000 francs par personne et par mois en 1946, et ceux des employés laïcs sur lesquels on est mal renseigné, pèsent également sur les dépenses. La société porteuse est de taille trop modeste pour faire face à ces charges grandissantes. Après un emprunt obligataire de 3 000 000 de francs en 1946, qui ne suffit pas, deux augmentations du capital sont jugées nécessaires, en 1947 et 1948, qui le portent des 315 000 francs d’origine à 3 puis à 4 000 000 de francs. Ces opérations modifient la structure de l’actionnariat. Bien que la première leur ait permis d’échanger une action ancienne contre quatre nouvelles, pour tenir compte de la dévaluation du franc, il semble que s’achève avec elles la possibilité de blocage des amis du père Bernadot, mais sans changer pour autant les termes du problème : les dominicains n’ayant pas les moyens de souscrire eux-mêmes, le capital reste entre les mains de laïcs, certes proches de la maison, mais qui échappent à tout contrôle religieux36.
Le sort des revues
18Ces difficultés financières récurrentes apparaissent en creux dans les outils de diffusion de la maison, qui multiplient les appels au soutien : la Lettre de La Tour-Maubourg notamment, dont la nouvelle série comporte dix livraisons de formats divers entre Pâques 1948 et 1953. L’ambition de coaguler autour d’elle un mouvement d’amis a vécu : elle se borne désormais à faire valoir l’intérêt des différentes publications en privilégiant à chaque fois un thème : l’art sacré en juin 1949, « Rencontres » en juin 1950 et pas moins de trois livraisons sur la Bible, en décembre 1948, octobre 1949 et juillet 1951. Pour se faire une idée plus juste de la santé du secteur « revues », il faut croiser les informations données lors des « dindes » avec les rapports aux provinciaux.
19Tous les périodiques ne reparaissent pas. La Chronique de la Revue des Jeunes, qui publie quatre minces livraisons en 1945-1946, ne remplace pas la revue éponyme, dont elle cherchait à maintenir l’esprit. Pour un lectorat qu’on devine étudiant, elle ne conserve que la partie chronique et bibliographie de celle-ci. Et elle ne tarde pas à disparaître. En janvier 1950, le Cerf acquiert la diffusion des livres produits par les Éditions de la Revue des Jeunes, avant d’absorber purement et simplement celles-ci en 195337. Le père Carré reste un pilier de la Maison Saint-Dominique, sans pour autant faire partie de l’équipe du Cerf. Mais la rivalité qui opposait la fondation du père Barge à celle du père Bernadot, et qui a valu bien des soucis à ce dernier, s’éteint enfin au début des années 1950. La maison du boulevard La Tour-Maubourg a moins de chance avec les publications du Centre Istina. La revue Russie et Chrétienté reparaît en 1946, sans retrouver sa périodicité ni son lustre d’avant-guerre : structurellement déficitaire, elle est congédiée par le Cerf en 1947 et finit par disparaître trois ans plus tard. Quant à la collection « Russie et Chrétienté », elle connaît un sort comparable, malgré une brève période de prospérité illustrée par la sortie de quatre ouvrages orthodoxes inédits38.
Le domaine du père Plé
20D’après les chiffres disponibles, la mieux portante des revues de la maison reste La Vie Spirituelle. Avec 2800 abonnés39, soit moins de 40 % de ceux de 1939, elle n’est pourtant plus que l’ombre d’elle-même quand elle fête son vingt-cinquième anniversaire par un copieux numéro rétrospectif en novembre 1944. La reprise de communications normales dans la France libérée et le dynamisme de son nouveau directeur lui permettent de retrouver rapidement, avec sa diffusion nationale, sa stabilité d’avant-guerre : elle dispose d’un confortable matelas de 7500 abonnés40. Le père Albert Plé est le principal artisan d’une telle récupération. Né à Paris en 1909, il est passé par HEC et par la faculté de philosophie de l’Institut catholique avant d’entrer au noviciat de la province dominicaine de France en janvier 1936. Il a été ordonné prêtre en 1940 et a effectué ses études de théologie au Saulchoir, jusqu’à une thèse de lectorat sur la gloire de Dieu dans l’Ancien Testament soutenue en juin 1943. Le mois suivant, il remplace le père Louvel comme directeur de La Vie Spirituelle41. Tout en rendant hommage aux fondateurs de la revue, dans le numéro spécial pour le vingt-cinquième anniversaire, il y esquisse alors une vraie révolution de méthode. Depuis ses origines, elle puisait dans saint Thomas d’Aquin une doctrine seule capable à ses yeux d’encadrer la vie spirituelle des lecteurs. Il s’agit désormais d’induire de la demande de ceux-ci « un mode de vie spirituelle quelque peu nouveau » qui réponde à leur « vécu », promu au rang de « lieu théologique » en matière de spiritualité42. Ainsi des enquêtes sur divers sujets auprès de différentes catégories de lecteurs deviennent-elles la carte maîtresse de La Vie Spirituelle et l’une des raisons majeures de son regain de vitalité. Dès sa période lyonnaise, elle se penche ainsi sur « L’oraison dans la vie des laïcs » (octobre 1943), avant de se demander peu après son retour à Paris, « Vers quel type de sainteté allons-nous ? » (avril 1945-février 1946). Outre la multiplication des numéros spéciaux ou l’échelonnement d’articles sur un même thème (la charité fraternelle en 1945-1946), ce parti conduit à modifier la structure de la revue, presque inchangée depuis les origines, sans en modifier le format : ses livraisons ordinaires s’ouvrent désormais sur la présentation d’un des « mystères de Dieu », autour duquel s’ordonne l’ensemble du numéro, avec des rubriques comme « Notre sanctification » ou « Les hommes et les œuvres de Dieu », puis des Chroniques et une bibliographie. Avec quinze titres parus en 1954, les « Cahiers de la Vie Spirituelle », créés à Paris pendant la guerre, qui traitent des grands problèmes de spiritualité, reprennent souvent en volume la substance des numéros spéciaux43. La mise en sourdine de la référence thomiste n’a pas que des avantages : d’aucuns ne tardent pas à reprocher à la revue « son insuffisance doctrinale44 ».
21Donner la parole aux lecteurs n’est pas sans risque non plus. L’Assemblée des Cardinaux et Archevêques se préoccupant de la formation d’un clergé secoué par la guerre, Mgr Guerry demande au père Plé le secours de la revue pour cette réflexion. Or l’enquête de 1945-1946 sur les séminaires prend des allures de réquisitoire contre la formation sulpicienne largement répandue en France, au grand dam des responsables de la Compagnie de Saint-Sulpice qui expriment leur mécontentement à Rome : le père Plé reçoit interdiction d’écrire sur le sujet. De même, l’enquête sur le type de sainteté révèle, de la part des militants d’Action catholique notamment, une vision anthropocentrique de Dieu le mettant « au service de l’homme dans son effort d’humanisation45 », ce qui ne peut manquer d’inquiéter les censeurs. Toutes les questions délicates méritent certes d’être posées, mais pas dans une publication que lisent des jeunes en formation sacerdotale ou religieuse et des laïcs privés de culture théologique. Aussi est-il décidé de reprendre la publication du Supplément de La Vie Spirituelle, interrompue depuis la guerre, comme organe de recherche en théologie spirituelle et en théologie morale, tout en réservant sa lecture « à ceux et à celles qui ont charge d’âme » : directeurs de séminaires, supérieurs religieux, maîtres et maîtresses des novices. La première livraison trimestrielle du Supplément paraît en mai 1947, avec une couverture rouge et un format agrandi qui le distinguent nettement de la revue. Seule publication spécialisée dans son domaine, le Supplément acquiert rapidement pignon sur rue46. Sa charge pèse sur les épaules du père Plé, qui n’obtient pas de renfort des supérieurs, mais peut s’appuyer sur le père Henry et sur le comité de rédaction imposé en décembre 1944 par le père Gillet47.
22Les premiers pas du Supplément sont prudents et consacrés notamment aux possibilités d’adaptation de la vie religieuse à la modernité, que Plé teste depuis 1946 sur des moniales48. Une rubrique « Psychisme et spiritualité » est néanmoins ouverte dès le premier numéro. Elle manifeste la volonté du père Plé, de « faire bénéficier la théologie morale des découvertes de la psychologie qui sont dès maintenant considérables » et, au passage, de « libérer les sciences psychologiques du climat matérialiste où elles ont pris naissance49 ». Faute d’obtenir le soutien sollicité du Saulchoir, il ne craint pas de poser quelques jalons en ce sens, y compris sur une méthode aussi sulfureuse dans son Église que la cure analytique. La Vie Spirituelle et le Supplément publient à sa demande, en novembre 1946 et en février 1948, deux lettres ouvertes du Docteur Nodet qui en vantent les vertus, à condition de la séparer de l’idéologie freudienne. Sous l’impulsion de son directeur, le Supplément devient un lieu de dialogue entre pasteurs, théologiens et psychologues, ainsi qu’un outil de réforme de la théologie morale, qui en a grand besoin50. Le père Plé envisage même la création d’un Supplément international en trois éditions, anglaise, espagnole et française, qui aurait pu s’appeler Vita Spiritualis. Le projet n’aboutit pas, mais il suscite à partir de juillet 1950 des rencontres annuelles fructueuses entre directeurs des revues dominicaines de spiritualité de sept pays différents.
Le CPL, Fêtes et Saisons et L’Art Sacré
23Depuis le 1er octobre 1946, le Centre de pastorale liturgique, devenu association loi 1901, n’est plus partie intégrante des Éditions du Cerf. Son évolution échappe donc à l’histoire de la maison. On n’en retiendra ici que le rôle croissant à sa tête de l’abbé Aimé-Georges Martimort, professeur à l’Institut catholique de Toulouse. Son sens de l’organisation et sa prudence pastorale contribuent au succès de l’entreprise, mais ils déplaisent au père Duployé qui craint un retour du conformisme : le bouillant dominicain rompt brutalement, début 1949, avec l’organisme qu’il a fondé, avant d’en décréter la mort par excès d’institutionnalisation pour son dixième anniversaire, dans La Vie Intellectuelle de juin 1953, au grand dam du père Roguet51. Le CPL conserve malgré tout des liens étroits avec la maison d’édition dominicaine puisqu’il a son siège boulevard La Tour-Maubourg et que Roguet, qui y est désormais assigné, en reste le codirecteur avec Martimort. Les Éditions du Cerf publient ses Notes de Pastorale Liturgique et surtout sa revue phare La Maison-Dieu, organe du mouvement liturgique français, créditée généreusement de 4500 « souscripteurs et acheteurs » dans un rapport pour le chapitre provincial de 1947 : le chiffre des abonnements progresse toutefois de 2177 en 1950 à 3622 en 195352. Le Cerf publie aussi ses collections « Lex Orandi », « Études liturgiques » et « L’Esprit liturgique », tandis que le père Duployé continue d’y diriger celles qu’il a contribué à lancer : « La Clarté-Dieu » pour la spiritualité, « Nefs et clochers » ou « Monastères de France » pour les beaux livres. C’est aussi le CPL qui chapeaute en théorie le magazine mensuel Fêtes et Saisons et la revue L’Art Sacré, qui disposent en fait d’une large autonomie.
24Fêtes et Saisons reparaît en décembre 1945, sous un format réduit, avec le numéro controversé sur Noël. Le magazine retrouve le grand format et la maquette de vingt-quatre pages en héliogravure qui fut celle de La Vie Chrétienne avec Notre-Dame dès le numéro suivant. Logé, comme le CPL, au 31 du boulevard La Tour-Maubourg, il est le fruit de la collaboration heureuse entre le père François Louvel et le père Philippe Fleuret. Le premier assure la partie rédactionnelle et le second la partie photographique, essentielle à la réussite de l’entreprise. Lorsque l’École biblique de Jérusalem demande Fleuret, en septembre 1949, le père Louvel, le père Roguet et l’abbé Martimort effectuent un tir de barrage auprès du provincial afin de le garder : « irremplaçable pour l’illustration » de Fêtes et Saisons53, Fleuret y restera affecté jusqu’en 1963. Le tandem dominicain, aidé par un secrétaire de rédaction laïc, Claude Bressac puis Michel Carrouges, commence par produire un magazine qui ressemble beaucoup à la défunte Vie Chrétienne et qui, de ce fait, pâtit de la concurrence de La Vie Catholique illustrée, car sa périodicité mensuelle ne lui permet pas de suivre comme elle l’actualité religieuse. Aussi Fêtes et Saisons s’oriente-t-il à partir de 1947 vers une autre formule, sans changer de maquette : des livraisons à thème unique, sur les grandes dates du calendrier liturgique et sur les sacrements, voire sur quelques festivités exceptionnelles (le congrès du CPL à Lyon en 1947, l’Année Sainte 1950 à Rome). Ces fascicules, baptisés « albums liturgiques » par le père Duployé, sont conçus en collaboration étroite avec le CPL54. Bientôt augmenté d’albums sur les principales figures bibliques et sur les grandes figures de sainteté, l’ensemble prend les dimensions une véritable « encyclopédie de la vie chrétienne par l’image55 ». La formule se prête moins à l’abonnement qu’à la vente au numéro. Aussi le chiffre des abonnés est-il bien moins important que celui de La Vie Chrétienne avec Notre-Dame : autour de 10 000 en 1950-195256. Mais Fêtes et Saisons se rattrape sur la vente au numéro, certains albums étant tirés à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. L’entreprise prend une nouvelle dimension à partir de 1952, quand Témoignage Chrétien et La Vie Catholique illustrée se joignent à Fêtes et Saisons pour des numéros exceptionnels, dotés d’une couverture en couleur, qui connaissent un succès inespéré. Le premier à bénéficier d’une telle audience est « Dieu existe » du père Jacques Loew, en octobre 1952, dont l’édition française atteindra 650 000 exemplaires57, avant « Jésus te parle » (mars 1955) et « Homme qui es-tu ? » (novembre 1955) conçus par le dominicain marseillais selon la même formule. Début 1955, Georges Verpraet qui fut la cheville ouvrière de « l’insurrection de la bonté », en raconte les principales péripéties dans un numéro spécial dont les bénéfices vont à la société Emmaüs, fondée par l’abbé Pierre pour la construction de cités d’urgence : 250 000 exemplaires sont vendus dans l’année de sa publication58. Aussi le compte d’exploitation du magazine est-il largement excédentaire59.
25La revue L’Art Sacré, publiée par le Cerf mais rédigée en dehors de lui, éprouve en revanche des difficultés à reparaître. Le père Marie-Alain Couturier, retenu aux États-Unis jusqu’en septembre 1945, puis assez distant de l’entreprise, en laisse la charge au père Pie-Raymond Régamey, assigné au couvent Saint-Jacques. Celui-ci effectue à partir de 1944 une « véritable campagne de sensibilisation » auprès des milieux artistiques qui lui sont familiers60, sans parvenir à produire autre chose que des Cahiers de L’Art Sacré dépourvus de périodicité entre septembre 1945 et février 1947. La revue proprement dite ne reprend qu’en 1947… pour s’interrompre en 1949. Il faut dire qu’en dehors de deux livraisons musicales dues au père François Florand61, les trois quarts de ses pages sont de la main du père Régamey lui-même. Cette tentative de reprise est consacrée pour l’essentiel au problème de la reconstruction des églises détruites ou gravement endommagées par la guerre : pas moins de cinq fascicules, complétés par deux autres de conseils pour l’éducation du clergé. Elle s’effectue, au début au moins, en liaison étroite avec le Centre de pastorale liturgique, mais la collaboration entre les deux fortes personnalités que sont Régamey et Duployé s’avère bientôt difficile. Les chantiers français qui vont faire scandale étant encore dans les limbes, la préférence affichée du père Régamey pour le fonctionnalisme des églises en béton de Suisse alémanique ne suscite pas la polémique62. Mais celle-ci surgit dès qu’il entreprend de présenter des peintures expressionnistes ou non figuratives récentes63. Le père Régamey prend d’ailleurs soin d’entrecouper ses audaces par des hommages rendus aux maîtres anciens, les peintres anonymes des fresques romanes ou le dominicain Fra Angelico. Avec à peine plus de 1 000 abonnés, la publication peine toutefois à s’imposer, d’où sa suspension.
26Après une rencontre sur le sacré, le 3 juin 1949 boulevard La Tour-Maubourg, qui montre l’audience qu’elle a acquise dans les milieux artistiques et culturels64, la revue reprend, avec cette fois la pleine collaboration du père Couturier. Appuyée sur des numéros qui vantent les chantiers en cours d’achèvement, église du plateau d’Assy (septembre-octobre 1950) ou chapelle de Vence (juillet-août 1951), elle défend avec fougue, pour la construction et le décor des lieux de cultes, l’appel aux grands artistes vivants, chrétiens ou non, et la légitimité du recours à des formes expressionnistes ou abstraites. Ce plaidoyer passionné en faveur d’une modernité sans exclusives, puis d’un retour aux moyens pauvres, et assorti d’une vive critique à l’encontre des « marchands du Temple » (mai-juin 1951), enflamme les milieux catholiques et suscite une série de mises en garde hiérarchiques. Aussi la revue est-elle en France la principale protagoniste de ce que l’on a appelé la « querelle de l’art sacré65 », autour des vitraux abstraits d’Alfred Manessier dans l’église franc-comtoise des Bréseux, du Christ d’autel expressionniste de Germaine Richier à Assy ou des fresques minimalistes d’Henri Matisse dans la chapelle dominicaine de Vence. Cette querelle a fait couler beaucoup d’encre sur le moment et jusqu’à aujourd’hui. La traiter ici déborderait largement le périmètre des Éditions du Cerf : il est donc hors de question de s’y attarder66. Il suffit de noter que L’Art Sacré, cible toute désignée des critiques, étant donné la radicalité de ses choix, en bénéficie d’un point de vue comptable, ce dont ne manque pas de se féliciter le père Boisselot : « les polémiques suscitées par [s]es prises de position très catégoriques » ont dopé les abonnements qui doublent entre 1950 (1747) et 1953 (3620) : « Grâces en soient donc rendues à nos adversaires dont les attaques nous ont fait tant de bien67. »
La Vie Intellectuelle en sursis
27Elle était avant-guerre la revue emblématique des Éditions du Cerf. Celles-ci ne sauraient renaître sans en reprendre la publication. Le père Maydieu s’y emploie dès 1943. Après avoir hésité à supprimer la collection « Rencontres » pour s’y consacrer entièrement, il décide de les mener de front68. Tout en jugeant impossible de « revenir à une formule de revue d’avant-guerre », qui semblerait « totalement démodée », il entend bien « continuer l’esprit » de La Vie Intellectuelle, défini comme « un christianisme vivant, naissant des problèmes humains » ; et ceci au risque d’un écartèlement entre les deux versants d’une telle formule, l’un plus religieux et l’autre plus séculier. Il prévoit donc de modifier la structure de la revue selon un plan tripartite : « Vie de l’Église », en France et « dans toutes les parties du monde » ; « La Civilisation chrétienne », où serait examinée « l’organisation temporelle qui vient servir ou desservir la vie de l’Église » ; « Culture humaine » enfin, dans laquelle seraient regroupées les anciennes rubriques philosophique, scientifique, littéraire et artistique69.
28C’est dans cet appareil tripartite, légèrement modifié, que reparaît la revue en janvier 1945, sur 160 pages mensuelles de format agrandi et avec une nouvelle couverture : « Église et Chrétienté » pour la section religieuse, « Peuples et civilisations » sur les questions politiques ou sociales et enfin « Culture ». Directeur, le père Maydieu est aussi le rédacteur des liminaires qui ne conservent pas longtemps la signature Christianus et qui n’auront pas sa réputation. Des notes brèves regroupées sous le titre d’« Azimuts », pour la vie de l’Église, et de « Signes du temps », pour celle du monde, s’efforcent de suivre l’actualité. « Signes du temps » bénéficie d’une pléiade de chroniqueurs laïcs talentueux qui informent la revue de façon régulière sur un grand nombre de pays ou d’aires géographiques. « Azimuts » est le domaine du seul père Serrand, qui ne peut suivre d’aussi près l’actualité religieuse ; proche de Maydieu, il signe néanmoins avec lui quelques articles majeurs pour l’orientation de la revue. Ils sont rejoints en 1949 par le père Réginald Chartier, né en 1921, entré dans l’Ordre en 1940 et ordonné prêtre en 1947. Par précaution, le père Gillet a soumis la reparution à un conseil de rédaction qui comprend, outre Maydieu et Serrand, Spitz comme secrétaire, et les philosophes Delos, Dubarle et Geiger70. Seul Dubarle, ami du père Maydieu, jouera auprès de la revue un rôle important de conseiller et de référence sur les questions scientifiques. Maydieu consulte beaucoup, mais il préfère les réunions à géométrie variable de ses principaux collaborateurs, religieux, clercs et laïcs, aux structures permanentes, plus ou moins efficaces et plus contraignantes.
29Or La Vie Intellectuelle peine à retrouver la place qui fut la sienne. Non seulement elle ne récupère pas son éclat d’avant-guerre, mais elle perd des abonnés : plus de 4 000 en 1947, ils sont moins de 3 000 en 1950 et seulement 2664 en 195371, alors qu’il lui en faudrait 5 000 pour ne pas manger d’argent. Elle est donc lourdement déficitaire chaque année, avec un cumul de plus de quatre millions de francs en 195272. Malgré une réduction de format, une diminution du nombre des pages et de fréquents changements de maquette, signe évident de mauvaise santé, elle ne parvient pas à sortir du rouge. Ses tentatives de relance sont infructueuses : consultation des lecteurs et campagne d’abonnements en 1949, retour à 160 pages ou concession par le Centre d’informations catholiques, que dirige le père Boisselot, de dossiers tout prêts.
30Boisselot, dont on sait les désaccords de fond avec Maydieu, impute la responsabilité du marasme à la ligne adoptée par ce dernier, ou plutôt à son absence de ligne. Non seulement la revue lui paraît « esquiver le plus souvent les sujets brûlants », reproche qui n’est pas vraiment fondé, ou de ne pas suivre avec assez de réactivité « les événements, les livres et les idées du mois », mais sa conception lui paraît procéder d’une dualité « erronée ». Maydieu entend confronter la foi aux événements73, mais « la juxtaposition de la foi au Christ crucifié et des événements politico-sociaux ne fait pas une revue », lui rétorque Boisselot74. Cette fois, le reproche est fondé, comme le souligne la disparité des réponses à la consultation effectuée en 1949 pour tâter le pouls des lecteurs. Les uns désirent que la revue leur fournisse une formation religieuse de qualité pour lire les « signes du temps », mais en les laissant libres de les interpréter à leur guise ; les autres trouvent au contraire qu’elle consacre trop de place aux affaires de l’Église et ne s’engage pas assez sur les grands problèmes politiques et sociaux du moment75. Faute de choisir clairement entre les deux options, La Vie Intellectuelle perd sur les deux tableaux, certains de ses lecteurs potentiels allant chercher ailleurs ce qui leur convient le mieux.
31Son traitement de la question du « progressisme » est à cet égard emblématique. La Vie Intellectuelle des années 1940 et 1950 n’éprouve aucune sympathie pour le communisme et n’est donc pas suspecte de « progressisme », c’est-à-dire de connivence avec lui. Mais elle ne fait pas non plus de l’anticommunisme son cheval de bataille et refuse de suivre le jésuite Gaston Fessard dans sa condamnation « trop monolithique76 » des « chrétiens progressistes ». Son libéralisme théologique induit un pluralisme d’options temporelles plutôt que des solutions de chrétienté ou de nouvelle chrétienté. Elle s’aliène donc et les « progressistes » qui estiment sa critique du monde occidental bien trop timorée, et les intransigeants qui critiquent en outre son ouverture doctrinale et pastorale : elle ne cache en effet pas sa sympathie pour les mouvements réformateurs qui animent alors le catholicisme français.
32Plus largement, La Vie Intellectuelle pâtit de l’éparpillement du champ religieux après 1945. Avant-guerre, elle n’avait guère de concurrence dans l’aile marchante de l’Église. Tel n’est plus cas. L’offre pour un christianisme d’ouverture s’est considérablement enrichie depuis la guerre avec des titres comme Témoignage Chrétien ou Économie et Humanisme (1941), les cahiers Jeunesse de l’Église (1942), Masses Ouvrières, revue de l’Action catholique en monde ouvrier (1944), les cahiers eschatologiques Dieu Vivant, la revue missionnaire Rythmes du Monde et les Cahiers du Monde Nouveau du jésuite Pierre Chaillet (1945), voire Ecclesia, sorte de Sélection du Reader’s Digest catholique, dirigée par Daniel-Rops (1948) ou la revue Terre Humaine du philosophe démocrate-chrétien Étienne Borne (1951). Or le lectorat potentiel ne s’est pas accru dans des proportions comparables, même si l’engagement d’une minorité significative de chrétiens dans la Résistance a entraîné un glissement vers la gauche d’une partie de l’opinion catholique. Or chacune de ces publications, qu’elle soit plus spécialisée ou plus marquée, a pu retirer à La Vie Intellectuelle une partie de ses lecteurs, voire de ses collaborateurs, le cas d’Étienne Borne étant emblématique : très impliqué dans la rédaction de la revue dominicaine avant guerre, il fonde la sienne en janvier 1951 et y attire quelques-uns des fidèles de La Vie Intellectuelle, comme Pierre-Henri Simon. Celle-ci pâtit d’être restée une revue généraliste dans un champ qui s’est considérablement diversifié. Et elle peine à rivaliser, dans ce registre, avec des consœurs moins pénalisées qu’elle par leur interruption de guerre. Des religieux de la valeur de Jean Daniélou ou de Robert Rouquette donnent un coup de jeune aux Études jésuites, intouchable dans leur catégorie, avec dix à quinze mille abonnés fidèles. Esprit, la revue d’Emmanuel Mounier, éprouve elle aussi des difficultés, avec un étiage à 3800 abonnés en octobre 194877, mais sa présence au cœur des débats sur le marxisme et sur l’existentialisme en fait le point de référence que La Vie Intellectuelle peine à redevenir. Tout n’est donc pas de la faute du père Maydieu dans les déboires de sa revue. Plusieurs de ses illustres collaborateurs, Jacques Maritain ou Maurice Schumann, ont été appelés à de hautes fonctions et rares sont ceux qui, comme Robert Delavignette, François Perroux ou Henri Gouhier pour la rubrique théâtrale, lui restent fidèles. Un relevé des auteurs de l’année 1954 met en évidence ce relatif appauvrissement : un petit nombre de signatures truste les articles de fond, malgré la relève de jeunes intellectuels issus de l’Action catholique, dont l’historien René Rémond est le meilleur exemple.
33Aussi la revue ne réussit-elle pas à imposer sa singularité dans un paysage éditorial foisonnant. Et les Éditions du Cerf s’inquiètent à juste titre de toute nouvelle intrusion dans leur pré carré : « la Province de Lyon et le couvent de St Alban vont lancer une nouvelle revue : catéchèse et formation doctrinale, biblique et morale. Cette revue ne peut que nous gêner gravement, au plan des abonnés comme des rédacteurs », explique le père Plé78. Plutôt que de s’y opposer, il a entrepris des pourparlers avec le père Augustin Grail, directeur pressenti, sur « le principe de rédactions “autonomes et convergentes” », avec La Vie Spirituelle, accord assorti d’une proposition d’édition par le Cerf du nouveau périodique, sous la forme de cahiers. Même si la solution était acceptée, ce qui ne sera pas le cas, « cette nouvelle publication sera pour nous une concurrence dangereuse », ajoute-t-il. Lumière & Vie paraît en décembre 1951 de façon indépendante du Cerf, sous la responsabilité de la seule province dominicaine de Lyon79.
34Face à un déclin qui paraît irréversible, le père Boisselot, redevenu directeur des Éditions du Cerf en 1949, propose que le père Maydieu abandonne la direction de la revue pour se concentrer sur la poursuite de la collection « Rencontres ». Mais que faire dès lors de La Vie Intellectuelle ? Boisselot envisage trois hypothèses. D’abord « la maintenir et qu’une nouvelle direction en modifie discrètement et progressivement la formule, afin de ne pas briser la continuité ». Mais il préfère visiblement la deuxième, qui répond en lui à un désir ancien. « Vaut-il mieux la transformer radicalement en changeant la formule, le format et le titre, afin de bénéficier de l’attrait de la nouveauté », voire de la transformer en une publication de quinzaine qui bénéficierait d’une partie de l’équipe des “Signes des temps” et qui serait plus journalistique en serrant l’actualité de plus près ? » Telle sera pour l’essentiel la formule de Signes du temps en 1959. Mais c’est la troisième solution qui va s’imposer avant d’échouer : continuer La Vie Intellectuelle mensuelle, avec Maydieu comme directeur, et « négocier une fusion avec Terre Humaine, Étienne Borne devenant rédacteur en chef ou codirecteur80 ». Lorsqu’il a lancé Terre Humaine en 1951, avec l’appui du Mouvement Républicain Populaire dont la revue se voulait la tête pensante, Borne s’était donné deux ans pour en asseoir l’indépendance. Le terme échu, et malgré une souscription de la dernière chance, force lui est de reconnaître son échec. L’accord négocié avec les dominicains sur une formule qui maintiendrait les deux titres sur la couverture pendant un an et ferait de lui un codirecteur avec le père Chartier ne le satisfait pas, car il ressemble trop à une absorption81. Borne se résout donc au sabordage de Terre Humaine, qui disparaît en octobre 1953. Ses 2 000 abonnés sont invités à se reporter sur La Vie Intellectuelle qui les accueille avec joie : elle ne leur offre « ni une retraite ni un refuge », mais « un même engagement au service de la liberté du chrétien82 ». La revue qui a tenté de se relancer avec un gros numéro spécial pour son 25e anniversaire intitulé « Le monde se fait tous les jours83 », continue donc avec Maydieu, Chartier et Borne, dont la signature réapparaît dès octobre 1953 et se fait de plus en plus insistante : pas moins de dix-huit contributions, dont ses « Feuillets pour un journal », plus quelques éditoriaux anonymes, en 1954.
Le sauvetage Boisselot
35L’accroissement des ventes ne suivant pas celui des coûts de production d’une offre proliférante, dans le secteur des revues comme dans celui des livres, les Éditions du Cerf se trouvent, en 1949, dans une situation financière « fort critique », à laquelle le père Dubarle, qui n’est pas du métier, ne parvient pas à trouver de solution. Grevée par des commandes onéreuses, comme celle de la réédition du Missel dominicain en 194884, la trésorerie donne des signes de faiblesses et le déficit devient inquiétant. La menace pesant alors sur la maison explique le retour à sa tête comme supérieur du père Boisselot, appelé par le père Avril, provincial de France depuis 1947 et ancien du Cerf, pour tenter d’éviter la faillite. Nécessité fait loi : comme par enchantement, « aucune décision romaine ne s’oppose [plus] à son retour », contrairement à ce qui était communément admis. Il retrouve donc ses deux charges de supérieur de la maison Saint-Dominique et de directeur général des Éditions du Cerf fin octobre 1949. Les motifs principalement financiers de son retour ne sont un mystère pour personne : lui seul peut convaincre ses amis de La Vie Catholique illustrée de sauver la maison du boulevard La Tour-Maubourg en lui apportant une bonne partie de l’argent frais qui lui manque : pas moins de 6 960 000 francs qui se décomposent en 4 460 000 de « rétribution et subventions diverses », participation de Radio-Cinéma aux frais généraux du Cerf et subvention du Centre d’informations catholiques à La Vie Intellectuelle notamment, et 2 500 000 francs de participation aux nouvelles augmentations de capital effectuées en 1951 et 1952, la Société des Éditions du Temps Présent, qui porte les publications du boulevard Malesherbes, devenant ainsi un actionnaire important du Cerf85. « Un autre avantage, d’ordre moral, a été la réduction du complexe de méfiance qui opposait Fêtes et Saisons à La Vie Catholique. » L’atmosphère est même devenue « assez amicale » pour qu’une collaboration soit possible, comme on le sait, pour la production « à frais communs » d’albums en collaboration avec Témoignage Chrétien86. La parenthèse ouverte par le conflit de 1945 est refermée.
36Après trois ans de mandat, le bilan présenté par le père Boisselot en 1952 prouve que la maison est remise à flot. Alors que l’échéance de la fin juillet 1950 était jugée délicate87, la situation est assainie et le chiffre d’affaires repart à la hausse : plus de 98 millions de francs en 1951, 59 millions pour les 269 700 livres vendus et près de 40 millions pour les revues. Celles-ci sont toutes bénéficiaires, à l’exception notable de La Vie Intellectuelle. Et l’embellie se poursuit : le chiffre d’affaires atteindra 186 millions de francs en 1954.
37Le père Boisselot pourrait tirer gloire d’un tel bilan. Il se montre pourtant bien pessimiste au terme de son premier mandat triennal. S’il se félicite du bon esprit du groupe qu’il dirige, désormais composé de quatorze religieux88, il l’attribue au fait que, pris par les difficultés financières, il a dû « laisser le maximum de liberté aux différentes équipes », ce qui nuit à la cohésion de l’ensemble, les réunions bimensuelles de ses collaborateurs ayant été surtout consacrées à « l’information sur la marche commerciale de la maison89 ». Le père Louvel témoignera pourtant de leur liberté de ton et de leur inventivité90. Il regrette surtout de ne pas avoir suffisamment corrigé l’introversion de celle-ci. « On peut dire que nos efforts sont pour les 4/5 orientés vers les problèmes d’Église pour un public catholique. Notre maison tend ainsi de plus en plus à s’occuper des fidèles et non des infidèles. » Il lui paraît donc « urgent d’élargir l’ouverture […] sur le monde profane » :
« Présenter le message chrétien aux incroyants, réfléchir sur la position de l’Église dans le monde moderne, se situer délibérément aux points de jonction du spirituel et du temporel, donc aborder de front les questions politico-religieuses, les rapports du christianisme avec la science, la sociologie, l’économie, les lettres et les arts91. »
38Telle aurait dû être la tâche de La Vie Intellectuelle et de « Rencontres », mais elles ont failli. Maydieu répond que Boisselot, prisonnier en 1940-1941, puis exclu du Cerf de 1943 à 1949, n’était pas présent quand les nouvelles options éditoriales ont été prises. Or, elles répondent « à des besoins actuels à cette charnière de l’Église et du Monde », dans le domaine biblique notamment, ainsi que le prouve l’intérêt pour la Bible de Jérusalem d’intellectuels incroyants comme Jean Paulhan, Jean Grenier, Éric Weil ou Jean Wahl, ceux-là mêmes avec lesquels Maydieu est en relation suivie depuis la guerre92. Le père Boisselot n’est guère sensible à un tel argument, car il s’intéresse moins au débat d’idées qu’à la pénétration du message chrétien dans l’opinion publique. Mais on peut penser que la solidarité du père Serrand avec la ligne Maydieu n’est pas pour rien dans sa décision de demander son retour dans la province de Lyon, sans toutefois cesser de collaborer à La Vie Intellectuelle, décision que regrette vivement Maydieu93.
39Aussi le mandat Boisselot est-il marqué par l’implication inégale des Éditions du Cerf dans trois publications qui répondent, chacune à sa manière, à son désir d’ouverture sur le monde ambiant. Radio-Cinéma, magazine hebdomadaire en héliogravure de 32 pages, apparaît le dimanche 22 janvier 195094. Son but est de renseigner auditeurs et spectateurs sur les programmes de deux moyens de communication en pleine expansion et de faire ainsi « un véritable travail d’éducation populaire ». Il prend la suite de Radio-Loisirs, supplément de Témoignage Chrétien diffusé à 15 000 exemplaires entre février et août 1947. Publié par une SARL au capital de six millions de francs, constituée le 1er janvier 1950 et sise au 31, boulevard La Tour-Maubourg, il associe La Vie Catholique illustrée, Témoignage Chrétien et les Éditions du Cerf, qui y sont partie prenante pour 50 0000 des 6 000 000 de francs du capital95. La Vie Catholique illustrée en assure la gérance. Sa rédaction reprend celle de Radio-Loisirs : Yves Froment-Coste pour la radio, Jean-Guy Moreau pour la mise en page ou les reportages et Maurice Lorton pour les programmes. La rubrique cinématographique est confiée, comme dans La Vie Intellectuelle, à Jean-Pierre Chartier, Jean-Louis Tallenay dans la Résistance. Radio-Cinéma paraît sous la responsabilité d’un comité permanent dans lequel figurent le père Albert-Marie Avril, conseiller pour les émissions religieuses de la radio, et le père Raymond Pichard, son homologue pour la toute jeune télévision. Un conseil de rédaction doit associer les organismes confessionnels du secteur et les mouvements d’Action catholique aux choix éditoriaux.
40Le nouveau magazine pense de la sorte se prémunir des critiques internes alors qu’il adopte une position d’ouverture à l’égard de la modernité radiophonique et filmique. Ainsi fait-il appel, dans le domaine du cinéma, aux principaux représentants d’une cinéphilie chrétienne, accueillante envers les audaces du réalisme à la française et du néo-réalisme italien : outre Jean-Pierre Chartier, André Bazin et Henri Agel. Un « Centre culturel du cinéma » dispense deux fois par semaine, boulevard La Tour-Maubourg, un cours d’initiation de ce dernier à l’image filmique, avec projections96. Les Éditions du Cerf fondent en 1952 la collection « 7e art », expression alors peu courante dans le monde catholique, qui devient la tribune d’un tel courant, avec des titres comme Le cinéma a-t-il une âme ? (2, 1952) ou Le cinéma et le sacré d’Henri Agel (6, 1953), avant les quatre volumes de Qu’est-ce que le cinéma ? d’André Bazin (24, 25, 29, 33, 1958-1962). La prise en compte du langage propre aux nouveaux moyens de communication de masse doit éviter le penchant moralisateur incarné par les cotations de la Centrale catholique du cinéma et de la radio. Cet effort paraît cependant insuffisant aux yeux de Boisselot qui déplore dans Radio-Cinéma un mélange de « moralisme vulgaire » et d’« esthétisme ésotérique », alors qu’il en attend « un jugement vraiment humain et vraiment chrétien, base solide pour [le] “vrai travail d’éducation populaire” » souhaité97. Aussi les résultats sont-ils encourageants sans être fulgurants, car il y a beaucoup à faire pour convaincre le public visé de la pertinence d’une telle approche. Il faut à la nouvelle publication un tirage de 100 000 exemplaires pour devenir rentable, estiment ses fondateurs. On est encore loin du compte en 1955, alors qu’elle est devenue Radio-Cinéma-Télévision : 70 000 exemplaires écoulés se décomposant en 30 000 abonnements et 40 000 ventes au numéro, soit un millier de moins qu’en 1954, du fait d’une augmentation des tarifs liée aux améliorations de septembre 1955 (48 pages au lieu de 40)98. D’où un bilan déficitaire, malgré l’activité des 400 propagandistes réunis en congrès au mois de février précédent. Plusieurs années encore les bénéfices de La Vie Catholique illustrée devront éponger le passif de l’hebdomadaire par lequel l’aile marchante du catholicisme français, et les dominicains du Cerf en son sein, ont néanmoins pris pied dans le monde des médias. Il deviendra Télérama en 1960.
41À titre personnel, le père Boisselot participe à la création de 15 Quinzaine, bimensuel de la gauche chrétienne porté par la SEPT, Société d’Édition de Publications et de Travaux, SARL créée par Ella Sauvageot99, dont le premier numéro date du 15 novembre 1950. Mais il se garde bien d’y entraîner les Éditions du Cerf : La Quinzaine n’apparaît dans aucun des documents concernant celles-ci. Sa publication répond pourtant, du moins en partie, à l’un des vœux les plus chers de Boisselot depuis la suppression de Sept : la reprise d’un journal chrétien de large diffusion doté d’une « liberté de langage » et d’une « indépendance provocante à l’égard de tous partis et nations quels qu’ils soient ». Aussi est-il d’accord avec deux des objectifs de La Quinzaine : servir de tribune au mouvement missionnaire en monde ouvrier et à une réforme radicale de l’Église ; mais pas avec le troisième : maintenir ce lien privilégié avec la galaxie communiste qui définit alors le progressisme. Aussi son rôle est-il moindre, aux « origines dominicaines » de La Quinzaine que celui de ses confrères Henri-Charles Desroches, Marie-Dominique Chenu et Joseph Robert100. Il veut refaire Sept101, ou le Temps Présent d’avant-guerre, non une publication de guerre froide. Et il ne veut surtout pas compromettre les Éditions du Cerf avec les options d’un journal qui ne tarde pas à attirer sur lui les foudres hiérarchiques. Les quatre premiers numéros subissent en effet les vives critiques de certains milieux romains, de quelques évêques français ou des mouvements d’Action catholique. Alors que le père Avril et son vicaire, Vincent Ducattillon, penchent pour sa suppression, Ella Sauvageot obtient la survie du journal de Mgr Feltin, archevêque de Paris, sous la seule responsabilité d’une équipe laïque. Le père Boisselot fait accepter par ses supérieurs la solution, analogue à celle qui permit Temps Présent en 1937 : 15 Quinzaine peut continuer sa route en devenant La Quinzaine le 1er février 1951102.
42Les Éditions du Cerf sont bien plus engagées dans un autre bimensuel, qui naît le 1er avril 1953 : L’Actualité Religieuse dans le Monde, portée par une SARL au capital de 2 000 000 de francs dans laquelle la maison du boulevard La Tour-Maubourg entre pour 950 000 francs, le reste étant fourni par La Vie Catholique illustrée. Le père Boisselot dirige la nouvelle publication, installée au 31, boulevard La Tour-Maubourg, avec le soutien d’un comité de rédaction comprenant Jean-Pierre Dubois-Dumée, venu de Témoignage Chrétien, Georges Hourdin et Henri Lemaitre, mais aussi Stanislas Fumet, ancien directeur de Temps Présent, et même Hubert Beuve-Méry, qui fit son apprentissage du métier de journaliste aux Nouvelles Religieuses du père Janvier, dans les années 1920, avant de quitter la rédaction de Temps Présent pour la direction du Monde en décembre 1944. Si Francisque Gay regrette que L’Actualité ne reconnaisse pas sa dette envers La Vie Catholique de l’entre-deux-guerres, Jacques Maritain félicite Fumet d’une entreprise… où celui-ci n’est pas pour grand-chose103. L’initiative vient en fait du père Boisselot lui-même, en prolongement du Centre d’informations catholiques, dont « Le Dossier de la Semaine » laisse place à la nouvelle revue. Dans un projet de 1952 pour une publication alors intitulée Le Monde Chrétien, il déplorait l’absence d’une information religieuse de qualité en dehors de celle d’organes officieux : La Croix ou La Documentation Catholique du groupe de la Bonne Presse assomptionniste. Il s’agissait selon lui de « fournir honnêtement toute information utile sur la vie de l’Église et les initiatives des chrétiens » et de « développer par là même le sens de la catholicité » en désenclavant le « provincialisme » du catholicisme français. Mais sans que cette double revendication « d’universalité et d’objectivité » empêche de porter des jugements de valeur au nom d’une « théologie de l’Incarnation, d’une ecclésiologie et d’une philosophie de l’histoire telle que l’on s’efforce de les préciser en France depuis quelques années104 ». Revue d’information religieuse sans frontières certes, mais au service d’une vision engagée de la présence de la foi au monde. L’éditorial du premier numéro est de façon compréhensible moins explicite : au portrait du « visage des communautés chrétiennes disséminées à la surface du globe » s’ajoute seulement la volonté de travailler pour la paix entre les peuples, dans l’esprit de « Pax Christi », mais sans dépendre d’aucun mouvement105.
43Le résultat est d’emblée une réussite. Sous l’impulsion de Dubois-Dumée, son rédacteur en chef, et avec le concours d’une pléiade de correspondants à travers le monde, L’Actualité Religieuse s’impose rapidement dans un créneau inexistant auparavant. Sur 32 pages, elle fournit deux fois par mois : un « Tour d’horizon » de la quinzaine écoulée et un éditorial non signé auquel sont confiés les jugements de la rédaction ; deux pages de réflexions confiées à un théologien, dominicain le plus souvent (le père Henry notamment, mais aussi Chenu, Congar, Dalmais ou Dumont, Boisselot restant en retrait à son habitude, bien qu’on puisse reconnaître sa marque sur nombre d’éditoriaux) ; une série de brèves informations classées par pays ; un solide dossier à thème d’une dizaine de pages ; une revue de presse, des documents et une rubrique culturelle dans laquelle interviennent de grands écrivains chrétiens (Mauriac, Greene ou Papini). La revue privilégie certes le monde catholique, mais sans œillères : des brèves et des dossiers sont ainsi consacrés à l’orthodoxie, au protestantisme et au Mouvement œcuménique, voire au judaïsme et à l’islam : deux pages sur les Frères musulmans, par exemple, dans le numéro du 1er février 1954106. Plus sensible à la dimension horizontale et périphérique du catholicisme qu’à sa dimension verticale, hiérarchique et vaticane, L’Actualité Religieuse dans le Monde est porteuse d’une ecclésiologie implicite en consonance avec celle que le père Congar explicite au même moment dans la collection « Unam Sanctam ». La chronique de la catholicité commence certes par des informations romaines, mais elle ne s’y attarde pas. Le pari de restituer le catholicisme français à son environnement ecclésial est tenu : des dossiers sans concession sont dédiés à diverses Églises étrangères, avec une prédilection pour la situation religieuse derrière le rideau de fer ou de bambou (pas moins de cinq dossiers) ou sur la vie des catholiques argentins aux prises avec le gouvernement autoritaire de Perón (deux dossiers du 1er janvier 1954 et du 15 février 1955). Les intéressés ne se reconnaissent pas toujours dans le miroir qui leur est tendu, mais du moins ne peuvent-ils accuser L’Actualité Religieuse dans le Monde de les ignorer, ni même de leur imposer des modèles hexagonaux. Elle ne manque pourtant aucun des mouvements qui animent alors l’Église de France. Des dossiers sont ainsi consacrés au dixième anniversaire du Centre de pastorale liturgique (15 septembre 1953), au « renouveau des missions paroissiales » (1er novembre 1953) et bien sûr à la mission en monde ouvrier. Remarquable est l’intérêt pour la sociologie religieuse naissante, avec deux dossiers sur les « aspects sociologiques du catholicisme français » (15 juillet 1954)107 et sur « la pratique religieuse dans les grandes villes françaises » (15 mai 1955). Rien de ce qui fait l’actualité religieuse, au sens le plus large du terme, n’est étranger à une revue qui occupe vite une place à part dans la presse confessionnelle.
44Plus qu’il ne l’admet, le père Boisselot a donc sensiblement élargi l’offre éditoriale du Cerf sur la catholicité et sur le monde où elle vit. Et il a rétabli l’équilibre financier de la maison avec le concours de ses amis de La Vie Catholique illustrée. C’est donc sans surprise qu’il est reconduit dans sa double fonction de supérieur religieux et de directeur des éditions, le 22 janvier 1953. Il ne peut alors deviner qu’il sera de nouveau démis de la première un an plus tard.
Notes de bas de page
1 Alors que le père Cathelineau, provincial de Lyon, avait suggéré son nom, échange Serrand-Cathelineau des 14 et 22 décembre 1945.
2 Revenu de captivité en 1943, celui-ci a été réassigné à la Maison Saint-Dominique (journal Chifflot, 24 juillet 1943).
3 « Je vous assure qu’à titre personnel je suis enchanté de cette solution », lettre à Ella Sauvageot du 9 avril 1943, Sauvageot Jacqueline, Ella Sauvageot. L’audace d’une femme de presse, 1900-1962, Paris, Éditions de l’Atelier, 2006, p. 144 ; lettre, s. d., ibid., p. 147.
4 Lettre à Boisselot, août 1943, ibid., p. 145.
5 Carnet intime, septembre 1943, ibid., p. 154.
6 Lettre à Ella Sauvageot, s. d., ibid., p. 147.
7 Sévegrand Martine, Temps Présent. Une aventure chrétienne, 1 : l’hebdomadaire, 1937-1947, Paris, Éditions du Temps Présent, 2006.
8 Numéro 30, du 16 mars 1945.
9 P. B. « Le Pape ne veut plus voir le “spectre national-socialiste” », n° 42, 8 juin 1945.
10 Lettre à Stanislas Fumet du 22 mars 1945.
11 Histoire de Dieu dans ma vie, Paris, Cerf, 2002 (2e édition), p. 570.
12 Texte du n° 89, 3 mai 1946, reproduit par Sévegrand Martine, op. cit., p. 163.
13 Que suivent deux autres : « La vie de famille » et « France retrouvée », sur le retour des prisonniers.
14 « Projet d’un journal catholique illustré », 11 p. dactyl. ; « Projet d’une revue de spiritualité populaire illustrée », 8 p. dactyl. (carton Louvel).
15 Billet manuscrit sans date, carton Louvel ; le démocrate-chrétien Pierre-Henri Teitgen est ministre de l’Information du Gouvernement provisoire de la République française.
16 La collaboration de Gourbillon est acquise dès la fin de 1944, d’après le procès-verbal cité, p. 4 ; citation dans Hourdin Georges, Dieu en liberté, Paris, Stock, 1973, p. 235.
17 Lettre à Ella Sauvageot du 10 juillet 1945, carton Louvel ; « Le lancement récent de La Vie Catholique illustrée dans les conditions où cet hebdomadaire a paru, constitue vis-à-vis de Fêtes et Saisons un détriment grave qui relèverait à mon avis beaucoup plus des tribunaux que des conversations privées », lettre, s. d., citée par Sauvageot Jacqueline, op. cit., p. 154.
18 Cession effectuée le 20 juillet 1945, après des mois de correspondance avec le père Chifflot. C’est à ce moment qu’Ella Sauvageot aurait quitté le conseil d’administration des Éditions du Cerf et même le tiers ordre dominicain (Sauvageot Jacqueline, op. cit., p. 155).
19 Laplagne Geneviève, « La Vie Catholique illustrée », Mémoire Dominicaine, n° 5, automne 1994, p. 118-143 ; L’histoire de La Vie. Un journal et ses lecteurs, Paris, Cerf, 1999.
20 Hourdin Georges, op. cit., p. 235.
21 Lettre du 5 décembre 1945 qui engage Ella Sauvageot (« vous ne rencontrerez donc aucune opposition de la part de Mme Sauvageot »).
22 Chifflot cite Temps Présent, Témoignage Chrétien, Dieu Vivant, Rythmes du Monde, les Éditions du Seuil et Esprit, lettre du 3 décembre 1945.
23 Note du 23 novembre 1946, Journal d’un théologien, 1946-1956 (édité et présenté par Étienne Fouilloux), Paris, Cerf, 2000, p. 135.
24 Elle ressemblerait plus à une « vulgaire “popote d’officiers” » qu’à une communauté religieuse, « Visite canonique à La Tour-Maubourg, 5-6 octobre 1945 », 2 p. dactyl.
25 Louvel François, « La revanche de Satan », p. 6.
26 « Entrevue du père Dorange et du père Louvel avec Son Éminence le cardinal Suhard », 23 janvier 1946, 4 p. dactyl.
27 Comte Bernard, « Le père Maydieu en Résistance », Jean-Augustin Maydieu, Mémoire Dominicaine, numéro spécial II, 1998, p. 271-293.
28 Christianus, VI, février 1945, p. 1-16 (citations p. 2 et 5).
29 « Note du R. P. Maydieu en réponse au rapport du P. Boisselot », 24 juin 1952, p. 5-6.
30 Lettre au maître général Browne, 9 mai 1956.
31 Lettre du 29 décembre 1946, 6 p. dactyl. (citation, p. 4-5).
32 Télégramme du 3 janvier 1947 et commentaire signé « La Vie Spirituelle » dans VS, février 1947, p. 205 ; échos du père Congar sur son entretien du 13 mars 1947 avec le père Suarez, Journal d’un théologien, op. cit., p. 139-140.
33 « Ce sera pour notre génération, sans doute aussi pour les générations à venir, l’immense reconnaissance que nous garderons à un homme comme le père Teilhard de Chardin, de nous avoir appris à nous réjouir au nom même de notre foi de chrétien, de cette action unificatrice et conquérante, et d’avoir montré qu’elle ne peut se parfaire qu’en l’achèvement du Christ total », « Le péché et la croix dans notre vie spirituelle », VS, mars 1947, p. 421 ; écho du père Congar du 19 mars 1947, Journal d’un théologien, op. cit., p. 140.
34 Né en 1911, compagnon de Henry à l’ICAM de Lille, il le suit de près au noviciat, fait profession en 1934 et devient prêtre en 1939 ; mobilisé quelques semaines après son ordination, il est ensuite prisonnier de guerre en Allemagne.
35 Circulaire polycopiée « aux abonnés des Éditions du Cerf », 26 mars 1947 ; « Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf » du père Boisselot, s. d. [juin 1952], p. 2.
36 Rapport du père Dubarle au provincial Ducattillon sur la situation financière des Éditions du Cerf, de juin 1946 à octobre 1949, 22 mars 1957.
37 Pour 700 000 francs d’après le « Rapport du commissaire aux apports à l’assemblée générale des actionnaires de la Société des Éditions du Cerf, le 19 février 1953 », 4 p. dactyl.
38 De Taube Michel, Rome et la Russie avant l’invasion des Tatars (ixe-xiiie siècles), 1947 ; Arséniev Nicolas, La Sainte Moscou, 1948 ; Spiridon Archimandrite, Mes missions en Sibérie. Souvenirs d’un moine orthodoxe russe, 1950 ; Behr-Siegel Élisabeth, Prière et sainteté dans l’Église russe, 1950.
39 Chiffre donné par Plé Albert, « Les vingt-cinq ans de La Vie Spirituelle », VS, octobre 1969, p. 223.
40 7569 en 1950, selon le père Boisselot, « Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf », s. d. [juin 1952], p. 2 ; 7203 en 1953, « Rapport sur l’activité du secteur revues », 9 novembre 1953.
41 Lemoine Laurent, Psychanalyse et relation pastorale. Études de théologie morale autour du frère Albert Plé, o. p. de 1950 à 1980, Paris, Cerf, 2010 ; et sa notice « Plé Albert » dans le Dictionnaire biographique des frères prêcheurs [http://dominicains.revues.org].
42 Plé Albert, « Les vingt-cinq ans de La Vie Spirituelle », op. cit., p. 222.
43 Exemple : le cahier n° 11, Le huitième jour, reprend le numéro spécial d’avril 1947.
44 Lettre du père Plé au provincial Avril, 7 mai 1951.
45 « Les vingt-cinq ans de La Vie Spirituelle », op. cit., p. 225.
46 2221 abonnés en 1950, 2830 en 1953, « Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf » du père Boisselot, s. d. [juin 1952], p. 2 ; « Rapport sur l’activité du secteur revues », 9 novembre 1953.
47 Il est alors composé, outre Plé et Henry, de Thomas Philippe, Paul Philippe, Louvel, Roguet et André Duval.
48 Ce qui entraîne la création en 1948 au Cerf d’une collection « Problèmes de la religieuse d’aujourd’hui ».
49 Vœu pour le chapitre de juillet 1947, 3 p. dactyl. (citation, p. 2).
50 Mathon Gérard, « L’évolution de la théologie morale dans l’espace francophone d’après la revue Le Supplément, 1947-1996 », Revue d’Éthique et de Théologie Morale, décembre 1997, p. 5-116 ; et la thèse de Desmazières Agnès, Une histoire transculturelle de la réception catholique de la psychanalyse : les congrès internationaux de psychologie, 1919-1959, Institut européen de Florence, 2009, p. 296-304.
51 « Là où la liberté de la question et de la contestation n’existe plus, là où le style “curial” a remplacé le style quodlibétique et théologique, le mouvement est mort », « Du vrai nom de la pétulance », VI, juin 1953, p. 61-74 (citation, p. 74) ; note de Roguet du 3 juin, 3 p. dactyl. Voir Solaberrieta Benoît-Marie, Aimé-Georges Martimort. Un promoteur du Mouvement liturgique (1943-1962), Paris, Cerf, 2011, p. 126-127.
52 « Rapport sur le Centre de Pastorale Liturgique », juillet 1947, 5 p. dactyl., citation, p. 1 ; « Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf » du père Boisselot, s. d. [juin 1952], p. 2 ; « Note sur l’activité du secteur revues », 9 novembre 1953 ; voir les « Tables décennales 1945-1954. Dix ans de Pastorale liturgique », 1955.
53 Lettre du père Louvel au père Avril, 10 septembre 1949.
54 Les cinq premiers sont le baptême, la messe, le dimanche, la semaine sainte et le mariage.
55 Lettre de La Tour-Maubourg, 10, 1953, p. 5.
56 9276 en 1950, 10353 en 1951, 11939 en 1952, « Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf » du père Boisselot, s. d. [juin 1952], p. 2.
57 Auxquels il faut ajouter quatre éditions étrangères, selon un document comptable de 1959.
58 Selon le rapport de Pierre Bernard sur l’activité du Cerf pour 1955 ; « Au secours des sans-logis, l’insurrection du 1er février », janvier-février 1955.
59 546 000 francs par exemple en 1951, « Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf » du père Boisselot, s. d. [juin 1952], p. 2.
60 On suit Caussé Françoise, La revue L’Art Sacré. Le débat en France sur l’art et la religion (1945- 1954), Paris, Cerf, 2010 (citation, p. 82) ; voir aussi sa notice « Régamey Pie-Raymond » dans le Dictionnaire biographique des frères prêcheurs [http://dominicains.revues.org].
61 « Problèmes de musique sacrée », cahier 6, octobre 1946 ; « Chant sacré », AS, 6, juin-juillet 1947.
62 L’Art Sacré, 1-2, janvier-février 1947.
63 « Œuvres nouvelles et artistes nouveaux (1939-1945) », Cahier de L’Art Sacré, 3, novembre-décembre 1945.
64 Invitation signée Couturier et Régamey, pour un débat autour du récent numéro de La Maison-Dieu sur le sujet, envoyée à une centaine de personnalités parmi lesquelles Camus, Paulhan ou Malraux.
65 Régamey Pie-Raymond, Art sacré au xxe siècle ?, Paris, Cerf, 1952 ; « livre engagé et douloureux » que le père Duployé porte aux nues avec sa verve habituelle : « Faut-il brûler le Père Régamey ? », VS, mars 1953, p. 285-297.
66 On ne peut que renvoyer à Caussé Françoise, La revue L’Art Sacré, op. cit.
67 « Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf » du père Boisselot, s. d. [juin 1952], p. 2 ; « Note sur l’activité du secteur revues », 9 novembre 1953 ; citations de Boisselot dans la Letttre de La Tour-Maubourg, 9, août-septembre 1952, p. 1.
68 « Activité de “Rencontres” pour l’année 1943-1944 », 4 p. dactyl., qui revient sur le procès-verbal de la réunion du 26 juin 1943.
69 Ibid., citations, p. 2.
70 Décision du 8 décembre 1944.
71 4394, 1947 ; 3719, 1948 ; 3178, 1949 ; 2950, 1950 ; 3310, 1951 ; 3063, 1952 (« Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf » du père Boisselot, s. d. [1952], p. 8) ; « Note sur l’activité des revues », 9 novembre 1953.
72 4 127 000 précisément, ibid.
73 Pas l’inverse, position « progressiste » reprochée au père Montuclard dans Les Événements et la foi, Paris, Éditions du Seuil, 1951.
74 « Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf », p. 9.
75 Réponses au questionnaire de février, VI, avril 1949, p. 381-385
76 Maydieu et Serrand, « À propos des chrétiens progressistes », mars 1949, p. 195-238 (citation, p. 216) ; sur la question, voir Tranvouez Yvon, « Le père Maydieu et la crise du progressisme chrétien », Jean-Augustin Maydieu, Mémoire Dominicaine, numéro spécial II, 1998, p. 203-221.
77 Boudic Goulven, Esprit 1944-1982. Les métamorphoses d’une revue, Paris, Édition de l’Institut Mémoires de l’Édition contemporaine, 2005, p. 77.
78 Lettre au provincial Avril du 7 mai 1951.
79 Fouilloux Étienne, « Lumière & Vie (1951-2013) », Lumière & Vie, octobre-décembre 2013, p. 23-33 ; et sa notice « Lumière & Vie » dans le Dictionnaire biographique des frères prêcheurs [http://dominicains.revues.org].
80 « Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf », s. d. [juin 1952], p. 9.
81 Demars Liliane, Terre Humaine, 1951-1953. Un engagement intellectuel pour la démocratie chrétienne, mémoire de maîtrise inédit, université Lumière-Lyon 2, 1993.
82 « À nos lecteurs, à nos abonnés », VI, novembre 1953, p. 6.
83 VI, août-septembre 1953, 245 p.
84 Missel dominicain quotidien selon le rite de l’Ordre des Frères Prêcheurs, 1948, 104-2060 p.
85 Détail dans le « Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf », s. d. [juin 1952], p. 3.
86 Ibid., p. 4.
87 Selon une lettre à Boisselot du 19 juillet 1950 de Pierre Bernard, alors simple membre du Conseil d’administration encore présidé par R. Buvry (carton Louvel).
88 Avec l’arrivée des pères Henri-Noël Bonnet, de la province de Lyon (1951) et Jean-Dominique Papillon de la province de France (1952).
89 « Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf », s. d. [juin 1952], p. 5 et 6.
90 Deuxième entretien inédit de mars 1979 pour le cinquantenaire du Cerf, p. 29-30 (carton Louvel).
91 « Rapport sur l’activité des Éditions du Cerf », p. 6.
92 « Note du R. P. Maydieu en réponse au rapport du P. Boisselot », 24 juin 1952, p. 4.
93 Lettres de Venise, s. d. et du 16 août [1952] (carton correspondance Serrand) ; Boisselot a fait état de cette demande dans sa lettre au provincial Avril du 13 juin 1952 ; confirmation du provincial de Lyon, Damase Belaud, au maître général Suarez, lettre du 30 mars 1953.
94 Laplagne Geneviève, L’histoire de La Vie, op. cit., p. 50-52 ; Levantopoulos Mélisande, Les Catholiques et le cinéma. La construction d’un regard critique (France, 1895-1958), Rennes, PUR, 2014, p. 201-247.
95 Rapport de Pierre Bernard sur la Société des Éditions du Cerf, 10 mars 1957, p. 2. Un premier projet, non daté, ne faisait pas mention du Cerf, mais incluait l’éditeur pour la jeunesse Offenstadt, (6 p. dactyl., fonds Pichard, ADF).
96 Lettre de La Tour-Maubourg, 10, 1953, p. 9-10.
97 « “Faire un vrai travail d’éducation populaire” », 6 p. dactyl. sans signature ni date ; texte qui pointe « une certaine carence de la direction religieuse du journal », p. 6.
98 70737 exactement, contre 71871 (30154 et 40163), Rapport du président Pierre Bernard sur les activités du Cerf en 1955, carton Louvel.
99 Le journal est domicilié au siège des Éditions du Temps Présent, 68, rue de Babylone, Paris, 7e, et bénéficie de leur infrastructure.
100 Tranvouez Yvon, « Les origines dominicaines de La Quinzaine », Mémoire Dominicaine, n° 5, automne 1994, p. 89-116 (citation, p. 108).
101 Le premier titre du bimensuel 15 Quinzaine, comme l’acronyme de la société qui le publie, est un clin d’œil appuyé à Sept.
102 Tranvouez Yvon, Catholiques et communistes. La crise du progressisme chrétien, 1950-1955, Paris, Cerf, 2000, p. 108-115 (« Un faux départ ») ; Sévegrand Martine, Temps Présent, une aventure chrétienne, t. 2 : Une avant-garde catholique, 1950-1968, Paris, Temps Présent, 2011.
103 Lettre à Georges Hourdin du 20 avril 1953, citée par Cadiot Jean-Michel, Francisque Gay et les démocrates d’inspiration chrétienne, Paris, Salvator, 2006, p. 207-208 ; lettre du 18 mai 1953, fonds Fumet, département des Manuscrits de la BnF.
104 « Projet pour Le Monde Chrétien », s. d. [1952], 5 p. dactyl. (citations, p. 2 et 3).
105 « Pourquoi cette revue ? », 1er avril 1953, p. 1.
106 « Les “Frères musulmans”, mouvement politique ? Confrérie religieuse ? », p. 9-10.
107 Avec une réflexion du dominicain de la province de Lyon François Malley, « Où va la sociologie religieuse ? », 15 juillet 1954, p. 3-5.
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