Chapitre III. De succès en succès
p. 47-80
Texte intégral
1L’implantation des pères Bernadot et Lajeunie dans la province de France, où leur transfiliation n’a pas fait que des heureux, se révèle malaisée. Ils auraient voulu s’établir à Paris, mais ils n’y ont pas trouvé de point de chute. Les deux couvents du Saint-Sacrement, rue du Faubourg Saint-Honoré, et de Saint-Jacques, en cours d’installation rue Vaneau, n’ayant pas de place pour les accueillir, eux et les revues, le père Gillet a trouvé la solution de Juvisy-sur-Orge, commune du département de Seine-et-Oise connue pour sa gare de triage sur la ligne Paris-Orléans, qui s’étage des berges de la Seine au plateau de Fromenteau. La province de France vient en effet d’acquérir sur celui-ci une propriété qui servait de maison de repos et de vacances aux chanoinesses de Saint-Augustin : maison bourgeoise, avec terrain et dépendances, au 35, avenue de la Cour de France (Nationale 7), face à l’observatoire de Camille Flammarion. Fondée en 1928, la Maison Lacordaire doit accueillir les retraites pour étudiants et messieurs auxquelles le Saulchoir de Belgique ne peut suffire. Deux frères y ont été assignés : un religieux confirmé, le père Ambroise de Boissieu, pour le ministère des retraites, et un religieux plus jeune, le père Marie-Hugues Lavocat, pour s’occuper des questions matérielles. Ils ont à leur service un couple de laïcs pour la cuisine et le ménage ainsi qu’un gardien. La maison est inaugurée le 16 mai 1928, avec récitation de l’office, avant l’arrivée de Saint-Maximin des pères Bernadot et Lajeunie.
Juvisy
2Ceux-ci gagnent Juvisy en juin. Les conditions matérielles de leur installation ne sont pas idéales. Écrire, comme le fait Gillet, que la commune est à une demi-heure de Paris, par la ligne du Paris-Orléans ou par un autobus à la porte d’Italie, est assez optimiste. Aussi ouvrent-ils l’année suivante une permanence parisienne, rue Quentin-Bauchart, dans le 8e arrondissement. Quant à la maison, elle ne se prête guère à l’activité qui est la leur : publier et administrer des revues. Trois pièces leur sont attribuées : une salle de réunion et deux bureaux. Aussi, à peine arrivés, cherchent-ils une solution qui leur donnerait plus d’autonomie : le projet de transfert de l’activité éditoriale dans une autre villa située plus près du bourg de Juvisy, avenue de la Terrasse, n’a pas de suite. Elle aurait eu l’inconvénient de leur faire faire deux allers et retours quotidiens avec l’avenue de la Cour de France.
3Sur le site de Juvisy coexistent donc tant bien que mal, selon les dispositions prises le 11 juin 1929 par le père Gillet, deux équipes dominicaines réunies pour l’office, mais séparées dans leurs activités et dans leurs financements : l’œuvre des revues et la Maison Lacordaire. Celle-ci, préposée aux retraites et soutenue par une association loi 1901 de même nom, ne trouve pas son public ni sa stabilité : le père Lavocat, qui refuse la perspective de desservir l’église en construction sur le terrain vendu au diocèse de Versailles, est assigné au couvent du Havre au printemps 1929 ; il est remplacé en 1930 par le père Bertrand Mouthiez. Au grand dam du père de Boissieu, la maison de retraites disparaît l’année suivante et le 35, avenue de la Cour de France est vendu à Mlle Lamy, chirurgien-dentiste de son état, pour 300 000 francs qui couvrent un prêt obtenu du banquier converti Michel Goudchaux, proche de Gillet1.
4Cet échec n’entraîne pas l’abandon de Juvisy par les dominicains, bien au contraire. Le père Gillet renforce l’équipe consacrée aux revues par trois jeunes religieux qui viennent de terminer leurs études au Saulchoir. Ambroise Faidherbe et Hyacinthe Lelong en 1929, Albert-Marie Avril en 1930. Le premier, issu d’une famille connue du Nord, est né en 1901, il est entré dans l’Ordre en 1919, a été ordonné prêtre en 1927 et a obtenu le grade de lecteur en théologie en 1929 ; le second a un parcours très proche : naissance en 1900, entrée dans l’Ordre en 1921, sacerdoce en 1927 et lectorat en 1929. Le dernier est au contraire une vocation tardive : Charles Avril, né en 1897, a été admis à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm dans la promotion dite « des mobilisés » en 1919 ; agrégé de lettres en 1922, il est entré dans l’ordre en 1924, a été ordonné en 1929 et a obtenu son lectorat en 1930. Désormais forte de six religieux, la maison de Juvisy peut être érigée en domus formata par le père Gillet le 11 juin 1929. Elle devient la Maison Saint-Dominique en 1931 après la suppression de la Maison Lacordaire. Le père Bernadot en est nommé supérieur pour trois ans avec le titre de vicaire provincial : il effectuera trois mandats. Supérieur religieux, il est en même temps directeur des éditions, conformément au projet qu’il a formulé dont seule l’ouverture d’une librairie ne sera pas réalisé2.
5Les Éditions du Cerf sont créées sous la forme d’une société anonyme le 11 octobre 1929, pour « l’exploitation des industries du livre, des publications périodiques et de tous autres imprimés, par impression, édition, publication, achat et vente3 ». Le nom aurait été trouvé par le père Lelong, qui cherchait une référence biblique animalière : le premier verset du psaume 41 (42 depuis), « comme un cerf altéré cherche l’eau vive », la lui fournit, bien que certains de ses confrères aient signalé le caractère érotique de l’animal. Le logo est dessiné par un frère du père Lelong avec le concours de l’architecte de la Maison des Revues et de l’église Saint-Dominique, Louis Brachet : un cerf stylisé de profil avec tête à gauche, penchée vers l’eau. Chargée d’éditer et d’exploiter revues et livres, la Société des Éditions du Cerf a un capital constitué de 400 actions de 500 francs, soit 200 000 francs. Selon le père Bernadot, les actionnaires sont des « amis de l’Ordre » : ses amis personnels, en fait. Le père Lajeunie indiquera plus tard que les principales donatrices étaient Mme de Guigné, Mlle de Rocher et Mlle Rostan4. Le premier président de la Société est l’ingénieur des ponts et chaussées André Coyne, constructeur de barrages et ami personnel du père Bernadot, qui sera remplacé en 1934 par le journaliste Urbain Falaize, père d’un religieux de la province de France. Aux termes du règlement de 1929, la direction et l’administration des revues sont autonomes, mais sous la dépendance directe du provincial5. Cette subordination ne concerne toutefois que la conformité du contenu des publications avec la doctrine de l’Église. D’un point de vue comptable, en effet, l’Ordre qui n’a pas d’existence juridique dans la République laïque n’est pas représenté ès qualités dans le conseil d’administration, composé exclusivement de laïcs. C’est la Société qui emploie Lajeunie et Bernadot comme sous-directeur et directeur. Un tel dispositif manifestera ses limites dès qu’un prieur provincial, un maître général ou Rome elle-même voudront changer le supérieur religieux sans l’accord du conseil de la Société. Celle-ci est taillée sur mesure par le père Bernadot pour préserver sa liberté de manœuvre par rapport à l’Ordre.
6Elle achète en 1929 à Mlle de Longcamp pour 89 000 francs, et en 1931 à l’industriel rouennais Gustave de Hellouin de Ménibus pour 115 000 francs d’actions portant ainsi le capital de la Société à 315 000 francs, les terrains du 5 de la rue Petit (perpendiculaire à l’avenue de la Cour de France), siège social de l’entreprise6. Ils comportent divers édifices modestes dont l’un est appelé « la ferme ». Bernadot y loge les dominicaines de sainte Catherine de Ricci, jeune congrégation liée au père Lajeunie, à laquelle il fait appel pour les tâches d’administration. Sur ce terrain est construite pour 900 000 francs, entre la fin de 1929 et la fin de 1931, par la Société des Éditions au moyen d’un premier emprunt obligataire, la Maison des Revues, bien plus fonctionnelle que l’installation antérieure. Pour limiter la dépense, et à la demande de l’évêché de Versailles7, une parcelle du terrain lui a été vendue 55 000 francs pour la construction d’une église, dont manquent cruellement les lotissements qui ont bourgeonné sur le plateau de Fromenteau8. Tout naturellement, elle prend le titre de Saint-Dominique, et elle est desservie par un dominicain, d’abord vicaire du curé de Juvisy avant d’en être administrateur.
7Construction banale de type néo-gothique en meulière, comme la Maison des Revues, elle se fait connaître par un fait divers dont les religieux se seraient bien passés. Pour décorer la chapelle des fonts baptismaux, ils ont fait appel au peintre belge Joseph Lacasse, proche du couvent du Saulchoir. De milieu populaire, cet ancien militant révolutionnaire a été converti au catholicisme par les horreurs de la guerre. Ses fresques, payées par un oncle du père Faidherbe industriel à Roubaix, sont d’un expressionnisme violent qui heurte les sensibilités sulpiciennes. Des ouvriers, conduits par un vicaire général du diocèse, les recouvrent d’un enduit corrosif qui les détruit sans retour. Le peintre et son commanditaire attaquent le diocèse de Versailles devant les tribunaux civils : ils sont déboutés, mais l’affaire a fait grand bruit. Le père Bertrand Mouthiez, premier desservant de l’église que le conflit a ébranlé, doit quitter son poste en 1932 : il est remplacé par le père Hyacinthe Maréchal9.
8Mieux installées et dotées d’un personnel renforcé, les Éditions du Cerf peuvent élargir leur champ d’action. Elles ne sont pourtant pas une maison d’édition, au sens précis du terme : leur secteur livres reste réduit. La collection « Chefs-d’œuvres ascétiques et mystiques », dont il n’a pas été question lors du transfert, se trouve dans une sorte d’interstice juridique : propriété de la Librairie Saint-Thomas de Saint-Maximin, elle est diffusée par Desclée et Cie, mais au profit du seul père Bernadot. La première collection qui porte le label Cerf n’est pas un projet propre : « Les Sciences et l’Art de l’Éducation », dont le premier volume, Questions actuelles de pédagogie, sort en 1931, sont apportées par le père Mannès Chatelain, religieux suisse qui enseigne la psychologie au Saulchoir. Comme son nom l’indique, cette collection concerne moins la théologie ou la spiritualité que la pédagogie, à laquelle La Vie Spirituelle et La Vie Intellectuelle accordent certes un vif intérêt. Forte de douze volumes en 1939, elle se fait l’écho d’expériences pionnières à l’école et dans la catéchèse : livre de Marie Fargues sur Les méthodes actives dans l’enseignement religieux en 1934, volume de Georges Bertier sur L’École des Roches l’année suivante ou encore biographie de Pauline Kergomard, militante de l’école maternelle, par Françoise Derkenne en 1938. La mémoire du Cerf est demeurée discrète sur cette collection, réputée en son domaine, mais en marge du cœur de l’activité de la maison ultérieurement.
9Moins éloignés de celui-ci sont les « Cahiers de la Vierge », publication bimestrielle inaugurée en janvier 1934, par l’étude du père Hyacinthe Petitot sur Les apparitions de Notre-Dame à Bernadette. Ils auront vingt-deux livraisons jusqu’en 1938, dans une élégante maquette bleue. On sait combien le père Bernadot est attaché à la piété mariale à laquelle il consacrera en 1937 un témoignage attachant : Notre-Dame dans ma vie. La collection qu’il patronne en procure une illustration à dominante spirituelle par des plumes inspirées comme celle du père Sertillanges (Mois de Marie, cahier n° 8, mars 1935) ou celle de l’abbé Maurice Zundel (Notre-Dame de la Sagesse, cahier n° 12, décembre 1935). La collaboration des abbés Charles Journet, Daniel Lallement et Henry Bars, thomistes proches de Maritain, l’empêche de céder aux débordements mariologiques si fréquents à l’époque : elle est de doctrine sûre, mais mesurée. Sa spécialisation empêche toutefois d’en faire l’amorce de l’ouverture religieuse des Éditions du Cerf.
10Le point fort de celles-ci, ce sont moins les livres que les revues. Aux publications phares La Vie Spirituelle et bientôt La Vie Intellectuelle, les supérieurs ont ajouté l’administration de L’Année Dominicaine, revue mensuelle des fraternités du tiers ordre de la province de Paris fondée en 1859, mais fortement endettée. En janvier 1933 s’ajoute l’administration de la Nouvelle Revue des Jeunes, qui redevient alors Revue des Jeunes, toujours sous la direction de Robert Garric et du père Chatelain. Ces changements de titre reflètent les difficultés d’une publication en perte de vitesse, malgré ses 2 000 à 2 500 abonnés revendiqués. De sa fondation en 1909 par le dominicain de la province de France Étienne-Mathieu Barge, avec le concours du père Sertillanges, elle fut jusqu’au milieu des années 1920 l’un des vecteurs du mouvement de conversion dans la jeunesse intellectuelle. Tel n’est plus le cas. Et récupérer son administration n’est pas forcément un cadeau. Soucieux des critiques sur le caractère trop littéraire de La Vie Intellectuelle naissante, le père Bernadot a des idées précises sur ce que pourrait devenir la Revue des Jeunes, sans faire de concurrence à sa propre publication : « une revue littéraire dans le genre de la Nouvelle Revue Française », écrit-il au père Gillet le 9 décembre 1928 ; une revue capable de « rendre honneur à la critique catholique » en se démarquant de la Revue des Lectures du célèbre abbé Bethléem10 ; mais pas au détriment de La Vie Intellectuelle, revue de culture générale qui ne saurait faire l’impasse sur la littérature. Bernadot suggère que la Revue des Jeunes modifie sa formule et son titre, ce qui n’est pas bien grave puisqu’elle a « changé plusieurs fois son fusil d’épaule » : « revue pour la jeunesse » ou revue de culture générale ? L’échec entre 1930 et 1932 de Vigile, qui se voulait explicitement une NRF catholique, montre que le projet n’est pas si facile à réaliser11.
11Juvisy devra se contenter de l’administration de la Revue des Jeunes dont les orientations sont d’ailleurs assez différentes de celles de La Vie Intellectuelle : Garric est un catholique social d’esprit conservateur, proche du maréchal Lyautey et des Croix-de-Feu ; le dominicain de la province de France Marcel-Denys Forestier, rédacteur en chef à partir de 1934, puis codirecteur avec Garric en 1936, au moment où il devient aumônier national des Scouts de France, est une sorte de chevalier chrétien, disciple du jésuite Paul Doncœur, qui n’aime guère le père Bernadot et encore moins ses publications. Le fait que la revue reste chère au cœur du père Gillet, qui en a été brièvement directeur, augmente des dissensions que s’efforce de surmonter le jeune Ambroise-Marie Carré, nommé secrétaire de rédaction et assigné à la Maison Saint-Dominique en 1936.
12Quand Bernadot évoque « le succès de nos revues » qui permet une réduction de l’abonnement groupé12, il s’agit seulement de La Vie Spirituelle et de La Vie Intellectuelle. S’il demeure directeur en titre de la première, il en confie de plus en plus le soin au père Lajeunie. Elle poursuit ainsi sa route, forte d’un consensus retrouvé sur le postulat de la continuité entre vie ascétique et vie mystique. Sans dévier de la priorité qu’elle accorde depuis ses débuts à la formation spirituelle de ses lecteurs, La Vie Spirituelle suit d’un peu plus près l’actualité ecclésiale que dans les années 1920, comme le montre une série d’enquêtes sur la paroisse ou sur l’Action catholique qui en accroît l’audience. Deux arbitrages viennent dissiper les incertitudes sur son statut, au bénéfice de la province de France. Le 27 août 1930, la Société des Éditions du Cerf rachète l’enseigne Vie Spirituelle, sa clientèle et son mobilier à la Société anonyme de Librairie et de Publication de Saint-Maximin, pour 10 000 francs (dont 1 600 de mobilier) ; mais la province de Toulouse reste détentrice de la nue propriété de la revue aux termes de la décision romaine communiquée en 1928 par le nonce Maglione. Le 17 janvier 1932, le provincial Jourdain Padé sollicite du maître général Gillet une solution définitive qui apaiserait « bien des désirs dans la province de Toulouse ». La réponse ne tarde pas : « il était bien entendu que tout passait de la Province de Toulouse à la Province de Paris, sans réserve aucune », écrit le 19 janvier au père Caterini, procureur général de l’Ordre, Mgr Francesco Borgongini Duca, nonce auprès de l’État italien et ancien secrétaire de la Congrégation pour les Affaires ecclésiastiques extraordinaires. Bien que Maglione ait transmis le contraire trois ans auparavant, le débat est tranché : La Vie Spirituelle passe alors sans retour à la province de France et aux Éditions du Cerf.
La Vie Intellectuelle
13Mais la grande affaire de celles-ci est bien sûr le démarrage de La Vie Intellectuelle. Alors que la revue jésuite Études attend toujours son historien, deux petits livres, l’un en Italie et l’autre en France, ont été consacrés à la première saison de la nouvelle revue fondée par le père Bernadot13. Leur intérêt n’est pas niable, mais ils se sont fondés principalement sur l’analyse du contenu de la revue, à un moment où les archives dominicaines n’étaient guère accessibles. Par ailleurs, comme l’indique leur titre, ils s’intéressent plus à son traitement des grands problèmes sociaux et culturels du temps qu’à son histoire propre, ce qui les conduit à considérer celle-ci comme un bloc, en minimisant ses évolutions. Soulignant son rôle dans la lutte contre les totalitarismes communiste et nazi, ils privilégient le traitement de la seconde partie des années 1930 au détriment de la période antérieure. On voudrait au contraire esquisser ici une périodisation fine des premières années de La Vie Intellectuelle : aux tâtonnements initiaux (1928- 1931), succèdent la reprise en mains par le père Bernadot (1932-1935) et enfin, mais enfin seulement, une inflexion militante à partir de 1935.
La revue de Maritain (1928-1929) ?
14Sur la signification de la création de La Vie Intellectuelle, l’article pionnier d’Yvon Tranvouez a longtemps fait autorité. La thèse qu’il y défend est annoncée dans le sous-titre : « Contribution à l’histoire du catholicisme intransigeant », tel qu’il a été défini par son maître Émile Poulat. On peut la résumer ainsi. Comme le prouvent ses premières encycliques, le pape Pie XI est tout sauf libéral et il est convaincu que la pensée de saint Thomas d’Aquin reste le meilleur rempart contre l’infiltration du libéralisme ou du modernisme au sein de l’Église. Aussi est-il fort inquiet de constater la collusion, en milieu francophone, d’un certain thomisme avec l’agnosticisme positiviste de Charles Maurras. Et il cherche des appuis en France pour dissocier les deux courants au moment où il se décide à sévir contre le second. C’est ainsi qu’il charge Jacques Maritain de mener le combat doctrinal contre les idées maurrassiennes. C’est ainsi que, sollicité par Bernadot, il lui confie la tâche de créer une revue qui servirait de support à cette contre-attaque en détournant les élites cultivées, cléricales ou laïques, et surtout la jeunesse, de la séduction de l’Action française. « Nous avons à reconquérir l’intelligence », écrit son adjoint Lajeunie, car il manque aux catholiques « une pensée forte, originale, organisée pour les besoins intellectuels de ce temps14 ». Née de la volonté du pape, La Vie Intellectuelle doit être la revue du pape en France. Au « politique d’abord » de Maurras, elle doit opposer un « catholique d’abord ». Mais quel catholicisme ? Un catholicisme intransigeant, qui ne pactise pas avec les erreurs modernes ; un catholicisme intégral auquel rien n’échappe de la vie humaine et qui oppose la chrétienté, comme utopie alternative, tant au libéralisme qu’à son fils adultérin le socialisme. Il reviendra à Maritain de préciser la nature de la chrétienté en question, mais c’est déjà sa pensée qui, selon Yvon Tranvouez, est la ligne directrice de la nouvelle revue dont il serait « le grand animateur15 ».
15Revue du pape La Vie Intellectuelle naissante ? Il n’est pas difficile de le prouver. Dans ses Documents créés en octobre 1929, elle reproduit intégralement les grandes encycliques de Pie XI, Casti connubii (sur le mariage) ou Quadragesimo anno (sur la doctrine sociale) ; mais aussi des textes issus de la Curie romaine, comme l’introduction du cardinal Merry del Val, secrétaire de la Congrégation du Saint-Office, à la nouvelle édition du catéchisme du concile de Trente. De façon plus ciblée, la revue soutient énergiquement Pie XI quand il est attaqué pour ses prises de position contre la persécution religieuse en Russie soviétique ou pour sa défense du catholicisme italien contre l’État fasciste : le 10 juin 1931, « la rédaction » saisit la seconde occasion pour livrer un vibrant « Hommage à S. S. Pie XI ».
16La Vie Intellectuelle tient aussi sa partie dans l’opposition à l’Action française : le père Lajeunie justifie en février 1929 les sanctions romaines contre les prêtres récalcitrants ; le théologien suisse Charles Journet expose en avril 1929 « la pensée thomiste sur le pouvoir indirect » du pape en matière temporelle ; Roland Dalbiez rend compte avec faveur, en novembre 1929, du livre dirigé par Maritain pour répondre à l’Action française, Clairvoyance de Rome. On peut inclure aussi, dans cette défense et illustration de la position pontificale, l’apologie de l’abbé Maquart, professeur au grand séminaire de Reims, pour l’Action catholique, opposée terme à terme à l’Action française par Pie XI : elle se détourne du politique pour investir le social par des moyens exclusivement religieux, sous la direction de la hiérarchie (mai 1929). En décembre 1928, un proche de Maritain, l’abbé Paul Richaud, a d’ailleurs évoqué chaleureusement la naissance de la Jeunesse ouvrière chrétienne. À la différence de La Vie Catholique du démocrate-chrétien Francisque Gay, La Vie Intellectuelle paraît toutefois moins ardente qu’on aurait pu le penser dans la lutte contre Maurras et les siens. Maritain n’est pas le dernier à s’en rendre compte ni à s’en plaindre auprès de Bernadot et de Lajeunie. Violemment attaqué tout au long de l’année 1928 par Maurice Pujo, lieutenant de Maurras, le philosophe attend de La Vie Intellectuelle un soutien qu’il estime insuffisant et lacunaire. « Je n’ai jamais refusé un article sur l’A[ction] F[rançaise] et je suis prêt à continuer la lutte », lui répond Bernadot. Mais il fait observer que sa revue, alors mensuelle, ne peut relever les diatribes quotidiennes du journal L’Action française. La réplique arriverait trop tard ou à contretemps16.
17Revue maritainienne, La Vie Intellectuelle naissante ? Le point d’interrogation paraît donc justifié. Les trois premières années de la revue et de ses documents comportent huit interventions du philosophe, parmi lesquelles des textes importants comme « Saint Thomas et l’unité de la culture chrétienne » dans la première livraison ; « La doctrine scolastique de la liberté », en septembre 1929 ; ou « À propos de la renaissance thomiste », en février 1930. À cette contribution personnelle s’ajoute celle d’amis que Maritain draine vers La Vie Intellectuelle : l’abbé Charles Journet, son conseiller théologique, mais aussi les jeunes philosophes Roland Dalbiez et Yves Simon, ou le jeune écrivain André Harlaire, parmi bien d’autres. C’est cette présence massive du milieu Maritain et de son thomisme dans les premières années de la revue qui a convaincu Yvon Tranvouez d’en faire un organe maritainien. En 1928-1929, La Vie Intellectuelle est bien la revue catholique intégrale que d’anciens « compagnons de route » thomistes de Maurras se donnent pour soutenir la ligne romaine après la proscription de l’Action française par Pie XI. Certains refusent toutefois d’y écrire, comme le père Garrigou-Lagrange qui n’en poursuit pas moins sa collaboration à La Vie Spirituelle17. Ses craintes sur de possibles infiltrations libérales ou modernistes dans la nouvelle revue sont-elles dépourvues de fondement ?
La revue de la discorde (1929-1932)
18La récurrence des plaintes de Maritain à l’encontre de La Vie Intellectuelle a convaincu Philippe Chenaux qu’il n’en était pas le seul maître, bien qu’il ait beaucoup investi dans sa fondation18. Sans trop l’avouer initialement, La Vie Intellectuelle est aussi, et peut-être surtout, une revue dominicaine. En dehors du père Lagrange, la province de Toulouse y brille par son absence, ce qui n’a rien d’étonnant. L’offre de collaboration de Bernadot a pourtant été acceptée par son provincial, sous réserve que La Vie Intellectuelle ne fasse pas d’ombre à la Revue Thomiste19. Elle ne sera pas suivie d’effet. En revanche, Bernadot et Lajeunie s’acclimatent rapidement au milieu parisien, forts qu’ils sont de l’appui de la nonciature, forts aussi des soutiens qu’ils trouvent dans la province dominicaine de France. Non seulement celle-ci fournit à l’équipe de Juvisy quelques jeunes pères formés au Saulchoir, mais plusieurs des professeurs ou anciens professeurs du studium lui apportent leur contribution, qu’il s’agisse du théologien Lemonnyer ou du bibliste Synave. Or on sait que le thomisme historique du couvent d’études ne plaît guère au philosophe de Meudon : « Pour le Saulchoir, oui, les cours du P. Thomas Philippe, mais non les autres », écrit-il en 1933 à son disciple Yves Simon20.
19Déjà inquiet de la confiance faite par la revue à l’oratorien Gaston Rabeau en matière philosophique et théologique, Maritain réagit surtout à l’entrée en force dans ses pages, peut-être à l’instigation de Hyacinthe Lelong, du père Antonin-Dalmace Sertillanges, désormais installé au Saulchoir. Ses « Dialogues », sur le problème de Dieu (avril 1929), sur la Providence (juillet-août 1929), sur la religion (septembre 1929), sur la vraie religion (octobre et novembre 1929) ouvrent chacune des livraisons où ils paraissent, ce qui leur confère une autorité certaine. Or ils ne craignent pas d’égratigner les options métaphysiques de Maritain qui peine à obtenir un droit de réponse dans la revue dont il a été l’un des pères fondateurs. « Je vous serais reconnaissant, si vous répondez au P. Sertillanges, de vous limiter à quelques pages… objectives et sereines. De vos meilleurs amis et admirateurs vous ont trouvé “trop nerveux” dans votre “À propos de la renaissance thomiste”, et n’ont pas aimé le ton de cet article », lui écrit Lajeunie le 27 mars 193021. Le philosophe n’a pas dû apprécier… La Vie Intellectuelle est dominicaine et thomiste, mais le thomisme maritainien doit y composer avec d’autres thomismes que le sien : thomisme oratoire et apologétique de Sertillanges ou thomisme historique du Saulchoir.
20L’ire de Maritain et de son ami Journet concerne surtout les Documents de la Vie Intellectuelle inaugurés le 20 octobre 1929 sous couverture ocre. « Cette publication aura surtout pour but de signaler, dans leurs sources mêmes, les manifestations les plus importantes d’ordre religieux, philosophique, scientifique, social, politique, artistique et littéraire de l’étranger », expliquait le projet. Aux 100 000 francs en caisse, s’ajoutent les 30 000 francs donnés par le pape, ce qui permet de tenir dix-huit mois sans autre appoint, chaque numéro coûtant 7 000 francs22. Le succès de la revue hors de France justifie un tel optimisme ; il n’empêchera cependant pas de publier aussi des documents issus des « mouvements d’idées en France que La Vie Intellectuelle ne pourrait représenter directement ». Pour éviter que cette information soit « une simple collection sans âme de documents épars », elle se donne une ligne de conduite : l’unité du catholicisme à travers le monde. « Nous voulons favoriser le travail en commun de toutes les forces intellectuelles du catholicisme ; nous chercherons à resserrer l’union des catholiques dans tous les pays. » Ce programme, fondé sur le dépouillement « méthodique des principales revues mondiales », conduit à un sensible déplacement du centre de gravité de La Vie Intellectuelle23. Les Documents publient en avril 1930, dans un esprit de réconciliation, les actes des Conférences catholiques franco-allemandes de Paris (1928) et de Berlin (1929) ; en juillet-août 1930, un dossier sur « Le problème colonial », ouvert par une collection de textes consacrés aux « abus coloniaux » et aux « droits des indigènes » ; ou encore, en mai 1932, le fort utile « Répertoire universel de la presse catholique » établi par le Bureau international des journalistes catholiques.
21Le risque est de sortir de l’épure primitive et de faire double emploi avec La Documentation Catholique des assomptionnistes. La formule a en outre l’inconvénient, selon ses critiques, de juxtaposer dans un même dossier des opinions différentes, voire opposées, sans faire le tri entre elles. Acceptable sur des sujets qui n’engagent pas la doctrine, un tel retrait devient inacceptable, aux yeux de Maritain ou de Journet, dès lors que les principes sont engagés. Ils s’en prennent notamment à un dossier sur Bergson, dont l’œuvre a été mise à l’Index en 1914, dossier dans lequel la critique sévère de Maritain figure à côté d’appréciations favorables de ses disciples ou amis Jacques Chevalier, Édouard Le Roy, Gabriel Marcel et le père Sertillanges24. Un tel éclectisme paraît insupportable. Maritain invite fermement Lajeunie à commander au père Garrigou-Lagrange, qui fait ainsi une entorse à son abstention, deux articles qui étrillent Édouard Le Roy en mars et avril 1930, peu avant la mise à l’Index de son œuvre, à laquelle Maritain n’est peut-être pas étranger25.
22La Vie Intellectuelle, bien que répondant pour l’essentiel au projet maritainien, n’est donc pas tout à fait la revue dont rêvait le philosophe. Aussi prend-il dès 1929 ses distances avec elle. Après avoir essayé en vain de faire venir à Paris l’abbé Journet, pour épauler et guider Bernadot, il envisage de reporter ses espoirs sur la transformation de la revue du prêtre suisse, Nova et Vetera, en grand organe international, qui traiterait « d’un point de vue thomiste très élevé et très pur les questions concernant les tendances du monde et les normes de son organisation26 », ce que tous deux reprochent à La Vie Intellectuelle de ne pas faire suffisamment. Le projet n’aboutit pas, mais Bernadot est à bon droit surpris du soutien accordé par Maritain à la naissance de la revue littéraire Vigile en gestation chez Bernard Grasset : « j’ai été étonné de voir que vous l’annonciez comme une “revue catholique”, vous qui vous êtes si énergiquement opposé à l’introduction de cet adjectif dans le titre de La Vie Intellectuelle », lui écrit-il le 24 décembre 1929.
23Plutôt que de suivre Maritain dans la litanie de ses griefs, il est préférable de les exposer de façon synthétique d’après sa lettre fleuve du 14 janvier 1931 au père Marie-Alain Couturier qui entend le réconcilier avec Bernadot, au repos à Rome où Couturier finit ses études théologiques. Grief principal : la « question doctrinale ». « La V[ie] I[ntellectuelle] a été fondée pour réconcilier les esprits dans la vérité et montrer que la pensée de S. Thomas, dans son absolue rigueur, sans rien perdre de ses exigences de vérité, est capable de satisfaire aux problèmes et aux sources du temps présent ». Au lieu de s’acquitter d’une telle tâche, elle manifeste « un certain opportunisme » dont témoignent notamment ses Documents. Ainsi, La Vie Intellectuelle est-elle devenue « une “revue de gauche” » qui diffuse « le sinistre malentendu selon lequel pour suivre Pie XI, il faut lâcher Pie X » ; une revue qui sépare à tort « thomisme d’apostolat » et « thomisme doctrinal » ; une revue qui répugne désormais au combat contre les idées fausses. Charge quelque peu injuste, mais pas entièrement dénuée de fondement.
24Ce double grief intéresse l’historien de la pensée catholique française, dans la mesure où il justifie l’hypothèse selon laquelle les sanctions pontificales contre l’Action française ont provoqué une évolution à bien des égards décisive, évolution que Maritain, engagé en première ligne dans la lutte pour le triomphe d’un thomisme intransigeant, mais fidèle à Rome, refuse sur le moment d’admettre. Sans en avoir clairement conscience peut-être, Lajeunie et les jeunes religieux qui l’entourent ont mieux senti qu’une page se tournait : en 1929, la crise est passée, malgré ses séquelles sacramentelles douloureuses pour les catholiques maurrassiens. Grâce à l’Association catholique de la jeunesse française, à la Fédération nationale catholique et aux ligues féminines, le gros des fidèles est désormais immunisé contre le « politique d’abord » ; et les sanctions pontificales permettent aux survivants non thomistes de la réaction antimoderniste de refaire surface, en tant que vétérans de la lutte contre l’Action française. Par intuition plus que par conviction sans doute, les responsables de La Vie Intellectuelle sentent mieux le nouvel air du temps que le philosophe, resté très « antimoderne ». Ils abandonnent l’Action française à son déclin au sein du catholicisme et s’efforcent d’ouvrir l’éventail de leurs collaborateurs bien au-delà de ce que Maritain et sa garde rapprochée sont alors susceptibles de tolérer. Inévitable dans ces conditions, le différend qui s’instaure entre ces deux manières d’apprécier la situation religieuse au tournant des années 1920 et 1930 conduit Maritain à cesser toute collaboration à La Vie Intellectuelle entre 1931 et 193427. Au même moment, il est mêlé de près à la tentative éphémère pour faire de Vigile une NRF catholique (1930), à la revitalisation des Études Carmélitaines par le père Bruno de Jésus-Marie (1931) et à la naissance de la revue Esprit en octobre 1932.
Éclectisme
25Malgré des débuts difficiles La Vie Intellectuelle trouve son public. En privé, Bernadot pleure misère : « Les revues sont loin de se suffire et les déficits sont chaque mois considérables », écrit-il à Maritain le 6 décembre 1929. Impossible dans ces conditions de verser à Maurice Brillant le salaire décent auquel il a droit. L’entreprise serait même menacée de disparition. La version publique est assez différente : en septembre 1929, La Vie Intellectuelle se félicite d’un « succès surprenant » qui lui vaudrait 4 000 abonnés moins d’un an après sa sortie. Le dédoublement, à partir d’octobre 1929, entre la revue, datée du premier de chaque mois, et ses Documents, datés du vingt, n’est pas non plus un signe de mauvaise santé. Mais ce succès repose pour l’essentiel sur le père Bernadot, qui n’est guère porté au partage des responsabilités. Le comité de rédaction restreint que les pères de Juvisy constituent avec le secrétaire Maurice Brillant n’a guère laissé de trace, pas plus que les réunions élargies d’une sorte de comité de lecture, mensuelles puis bimensuelles. Quand le dynamisme de Bernadot s’épuise, la revue bat de l’aile. Or de l’avis du collaborateur qui sera le plus proche de lui, le père Boisselot, son tempérament cyclothymique le fait fréquemment passer de l’euphorie à la dépression. De naturel fragile, il répond par la maladie aux contrariétés et doit à plusieurs reprises quitter Juvisy pour aller se reposer28. Le 15 juin 1930, c’est l’accident de santé : « Priez pour le pauvre Père Bernadot, écrit Maritain à Journet : il est très malade, il a été frappé d’une congestion et il n’a pas encore retrouvé l’usage de la parole29. » Suivent deux ans de convalescence, à Jérusalem ou à Rome, au cours desquels il n’est présent à Juvisy que par intermittence et pour critiquer ce qui s’y fait en son absence. La direction des revues passe de fait au père Lajeunie lequel, formé pour être professeur de théologie, n’a pas les talents d’animateur de Bernadot. Il laisse une marge de manœuvre plus grande à son trio de collaborateurs : âgés de trente ans à peine, Avril, Faidherbe et Lelong, qui se connaissent bien pour avoir fait leurs études ensemble au Saulchoir, assurent presque seuls la publication de la revue et de ses Documents30.
26C’est à ce moment, mais à ce moment seulement que ceux-ci deviennent un carrefour où confluent divers courants du catholicisme français, évoqué de façon prématurée par Jean-Claude Delbreil. Se retrouvent alors dans leurs pages nombre d’intellectuels laïcs ayant vécu la condamnation de l’Action française par Rome comme une véritable libération leur permettant de dissocier leur foi de positions sociales et politiques conservatrices. Nul n’a mieux exprimé ce sentiment qu’Étienne Borne, jeune philosophe entré rue d’Ulm en 1926 :
« Les catholiques français sortaient alors d’une oppression, ils étaient en train de se libérer, ou peut-être d’être libérés […] de la dictature que l’Action française faisait subir dans l’Église aux intelligences et aux consciences […]. Or, d’un seul coup, et sur initiative du pape Pie XI, nos chaînes tombaient. Tout ce qu’il y avait d’antichrétien dans le maurrassisme était vigoureusement dénoncé, on apercevait clairement que du nationalisme pouvait se tirer aisément une religion païenne31. »
27Maurice Brillant bien sûr, mais aussi Marcel Brion, André George ou Jacques Madaule, qui nourrissent les chroniques culturelles de La Vie Intellectuelle, auraient pu signer ce texte. Le thomisme conserve certes dans la revue de fortes positions, qu’il s’agisse de celui de Maritain, avec Olivier Lacombe, ou du thomisme historique de la jeune génération du Saulchoir (Congar, Deman), conduite par Marie-Dominique Chenu qui en devient régent en 1932 : son article de décembre 1931 annonçant la fin de la crise moderniste ne passe pas inaperçu32 ; ou encore du thomisme universitaire d’Étienne Gilson et de certains de ses élèves comme Henri Gouhier ; voire du thomisme hybride d’un Étienne Borne ou de la pensée d’hommes qui ont essayé en vain de se convertir au thomisme, comme Gabriel Marcel.
28Mais l’ouverture de l’éventail va bien au-delà du thomisme : la nouvelle revue se montre en effet accueillante pour des prêtres accusés de modernisme par la censure romaine Dans La Vie Intellectuelle comme dans La Vie Spirituelle, paraissent plusieurs études sur le sentiment religieux au xviie siècle de l’abbé Henri Bremond, pour lequel plaide auprès de Bernadot son compatriote l’abbé Ludovic Beaudou, professeur au petit séminaire de Montauban33. Pour le christianisme antique, elle compte sur la plume féconde de l’abbé Gustave Bardy, privé de son enseignement aux Facultés catholiques de Lille en 1924 et sanctionné pour deux de ses livres par le Saint-Office en 1926. Tout au long de l’exercice 1929-1930, le père Sertillanges est remplacé en tête de numéro par la longue étude sur « La critique pascalienne de la casuistique » de l’abbé Émile Baudin, professeur à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg, dont l’éclectisme philosophique est bien éloigné du thomisme. Le maître général Gillet, averti par Garrigou-Lagrange, doit même intervenir pour empêcher la publication dans la revue d’un article de Paul Archambault, principal lieutenant de Maurice Blondel34. Ce n’est que partie remise : son rapport aux rencontres catholiques franco-allemandes sur « Le sentiment national chez les jeunes en France », est publié « à titre documentaire », dans le numéro du 10 décembre 193235. Il rejoint alors dans La Vie Intellectuelle d’autres démocrates-chrétiens héritiers de Marc Sangnier et de Maurice Blondel, comme Marcel Prélot. Elle s’ouvre même, avec Daniel-Rops, au non-conformisme des années 1930. Jacques Madaule illustre de façon frappante un tel éclectisme qui déplaît tant à Maritain : chroniqueur littéraire à La Vie Intellectuelle, il fréquente Meudon et figure parmi les premiers compagnons de Mounier à Esprit, tout en étant candidat démocrate-chrétien à Paris lors d’une élection législative partielle en 1934 !
29Cet éclectisme, qui éloigne La Vie Intellectuelle du catholicisme intransigeant, sinon du catholicisme intégral, a de quoi inquiéter les autorités religieuses sur l’appui desquelles compte Bernadot. « Le Saint-Père m’a fait écrire qu’Il avait lu les premiers numéros et qu’Il était content et d’avoir bon courage, qu’Il nous soutiendrait », écrit-il dès le 2 janvier 192936. Il ne cesse plus ensuite de se recommander du soutien de Rome. En France, il est proche du nonce Maglione et du cardinal Verdier, qui lui demandent à l’occasion un conseil ou un rapport37. Mais ses tuteurs ne sont pas aveugles pour autant. Le numéro spécial pour le centenaire de la révolution de 1830 a irrité, car il pouvait passer pour une réhabilitation du libéralisme. L’article de Chenu sur la clôture de la crise moderniste n’a pas fait que des heureux non plus. Si le pape se dit encore content, au début de 1932, d’une revue présente sur son bureau38, son nonce à Paris est plus circonspect. « Le Révérendissime Père Général m’a dit que vous étiez peu satisfait de “La Vie Intellectuelle”39 », lui écrit le 17 juillet 1932 le provincial Padé. L’information est exacte : dans un rapport du 1er septembre, Mgr Maglione note que La Vie Intellectuelle « a manqué, au moins en partie, la tâche qui lui a été assignée, en accord avec le Saint-Siège, de suivre et de combattre les manifestations de l’Action française sur le terrain doctrinal ». Depuis un an et demi, il a remarqué que ses rédacteurs subissaient trop d’influences disparates et que le père Bernadot avait perdu le contrôle de la revue au bénéfice de ses collaborateurs. Il lui faudra deux interventions auprès du père Gillet pour obtenir, non sans difficulté, le retour du fondateur à Juvisy muni des pleins pouvoirs40.
30En désaccord avec le reste de l’équipe qui, d’après lui, instrumentalise Lajeunie, Bernadot annonçait au contraire à Maritain son départ, fin décembre 1931. « Il sent qu’il est mis de côté de plus en plus », mais « les supérieurs ont besoin que son nom soit sur la couverture des revues41 ». Le nom du père Thomas Delos, professeur aux Facultés catholiques de Lille, et celui du père Marie-Dominique Chenu, dont le maître général refuse l’éloignement du Saulchoir42, sont alors évoqués pour le remplacer. Mais c’est au modératoire du couvent d’études que le père Padé confie le 4 mai 1932 la censure des productions du Cerf. Seconde fausse nouvelle transmise le 13 juillet 1932 : « Je ne veux pas que vous appreniez pas d’autres mon départ de Juvisy. Le P. Provincial m’a averti qu’il allait me donner une autre destination. Sans doute espère-t-il que mon départ amène la paix. » Et puis, coup de théâtre : « Le P. Bernadot est de nouveau à Juvisy, après avoir été un temps démissionné », écrit Maritain à Journet le 31 juillet. « Vous savez que le P. Bernadot avait été congédié, et puis l’intervention du Nonce a tout changé – intervention spontanée – et il est à nouveau à Juvisy », précise-t-il le 27 août43. L’information est double : le philosophe n’est pour rien dans cette révolution de palais ; Bernadot est bien l’homme de Maglione, et par là de Pie XI, qui ne se gênent décidément pas pour intervenir dans les affaires dominicaines en France44. « Je sens de plus en plus clairement, écrit alors le père Bernadot, que j’ai entrepris une œuvre qui me dépasse trop, et les circonstances ne me permettent pas de me retirer. Si je m’en allais, ce serait pire encore ». D’où son appel pressant à la reprise d’une collaboration du philosophe de Meudon avec la revue45. Bien que la réponse soit positive, il faudra attendre 1934 pour que la signature de Maritain réapparaisse dans La Vie Intellectuelle.
Le retour de Bernadot (1932-1935)
31Un tel retour, après deux ans d’éclipse, a des allures de reprise en main. Dans une note de 1932 à ses collaborateurs, il met les points sur les i :
« Le but primordial de la revue est celui-ci : défendre, expliquer, commenter, propager les directives du pape ; suivre en toutes choses l’esprit de son pontificat […] juger les événements à la lumière de ses idées, en chercher, en poursuivre partout les applications pratiques. […] La V[ie] I[ntellectuelle] ne peut être une revue comme les autres. Pour répondre à sa vocation, elle doit être au service des directives pontificales46. »
32Certes, elle n’a « jamais perdu de vue » cet objectif, mais « elle entend l’affirmer avec une vigueur et une clarté nouvelles », confirme l’éditorial de la livraison du 10 octobre 1932 : La Vie Intellectuelle
« veut délibérément collaborer avec l’Église d’aujourd’hui, c’est-à-dire avec le Vicaire du Christ : elle veut répondre filialement à ses pressants appels qui engagent tous les chrétiens à travailler, chacun dans son milieu, chacun selon ses forces à l’avènement du règne du Christ. Elle veut faire connaître la parole du Souverain Pontife, aider joyeusement à l’application des directives qu’Il donne47 ».
33Et elle défend vigoureusement son nonce à Paris, victime des attaques de l’Action française48. L’Osservatore Romano avalise par deux fois le recentrage des « précieuses revues des dominicains français » à l’automne 193249.
34Ce recentrage s’accompagne d’une restauration de l’autorité de Bernadot, « détaché », « en service spécial », pour guider une revue pour laquelle il ne saurait être question de direction collégiale. La tentative du père Padé pour lui donner comme adjoint le père Roland-Gosselin, au lieu du père Lajeunie, se heurte au refus de l’intéressé50. Et son retour fait éclater le trio intérimaire. Après Lelong, assigné en 1931 au couvent de Strasbourg, Faidherbe part pour celui de Dijon comme aumônier d’étudiants51. Avril aurait bien voulu partir aussi, puisqu’il « n’a pas confiance en [Bernadot] pour l’avenir ». S’il reste jusqu’en 1935, c’est seulement parce que le provincial le lui impose au nom de l’obéissance, tout en confirmant que la reprise en main vient bien de Rome par l’intermédiaire du nonce52. Le père Bernadot obtient en 1932, pour remplacer les partants, le concours de deux religieux remarquables, mais de tempéraments opposés, sans lesquels les Éditions du Cerf n’auraient pas connu le succès qui a été le leur au cours des années 1930-1960 : Augustin-Jean Maydieu en mai et Pierre Boisselot en octobre.
35Bien qu’il se confonde pendant trente ans avec celle de la maison, le parcours du père Boisselot demeure méconnu. Né en 1899 à Bois-Colombes, il était avocat au barreau de Paris, après des études d’histoire et de droit, quand les conférences de Carême à Notre-Dame de l’oratorien Pierre Sanson le conduisirent à la conversion en 1925. Il entre un an plus tard au noviciat de la province dominicaine de France à Amiens et fait profession en 1927. Il effectue ensuite ses études de philosophie et de théologie au Saulchoir : prêtre en 1931, mais dispensé du lectorat en théologie en 1932. Bien que doté d’une bonne formation thomiste, Boisselot est une vocation tardive et un esprit libre, peu porté aux solutions dogmatiques. N’a-t-il pas été un temps le collaborateur, au Palais de Justice de Paris, de l’avocat et député radical de l’Allier Lucien Lamoureux53 ? Ne doit-il pas sa conversion à la métaphysique de la charité du père Laberthonnière, interdit de parole et de publication depuis 1913, qui tenait la plume de son confrère Sanson, métaphysique très opposée au thomisme ? Soucieux d’étendre le rayonnement de la maison à un large public, c’est un homme d’action qui ne mâche pas ses mots, plus enclin à l’affrontement qu’à la conciliation sans pour autant déroger au devoir d’obéissance54.
36On connaît bien mieux le père Maydieu, grâce aux colloques qui lui ont été consacrés en 1995-1996 pour le quarantenaire de sa disparition55. Né à Bordeaux en 1900 dans une famille bourgeoise, il fit des études d’ingénieur à l’École centrale et entra au noviciat d’Amiens en 1925 sous le nom d’Augustin, après avoir renoncé à épouser Madeleine Delbrêl, son amour de jeunesse. Profès en 1926, prêtre en 1930, lecteur en théologie l’année suivante, il est assigné au Cerf en 1932 après une année comme aumônier d’étudiants à Dijon. Militant d’Action française durant ses jeunes années, il ne s’est soumis que douloureusement aux décisions pontificales. Séduit au studium par l’enseignement du père Marie-Dominique Roland-Gosselin, il est plus thomiste que Boisselot, mais d’un thomisme hybride entre celui de Maritain, qu’il a fréquenté à Meudon, et celui du Saulchoir56. C’est un véritable intellectuel, soucieux de rétablir le dialogue entre le catholicisme et la culture moderne. Boisselot et Maydieu occupent d’emblée une place importante dans le dispositif du père Bernadot, chacun dans un style qui préfigure leurs divergences futures : naturellement porté à l’efficacité, Boisselot rend compte dans La Vie Intellectuelle de diverses manifestations du mouvement catholique, alors que Maydieu, plus porté à la réflexion, est chargé d’une chronique philosophique.
Nouvelle donne
37La revue connaît une restructuration complète. Elle devient « revue de doctrine, d’action et d’orientation », et non plus seulement de doctrine, car « ayant l’ambition d’agir sur son temps », elle examinera « le monde contemporain » et le jugera « avec bienveillance et fermeté […] pour le mieux soigner », ceci « à la lumière de la foi et selon les directives de l’Église », en s’attachant particulièrement à la pensée de saint Thomas57. Désormais bimensuelle, afin de suivre de plus près l’actualité, elle paraîtra les 10 et 25 de chaque mois ; mais ses Documents, qui font problème et qui n’ont pas vraiment trouvé leur public58, sont supprimés : des sections documentaires seront intégrées dans la revue à la suite des articles qu’elles illustrent. Autre élément clé de cette restructuration : l’apparition de deux billets anonymes, qui font figure d’éditoriaux : Christianus pour la rubrique de tête « Questions religieuses » et Civis pour la rubrique « Questions sociales et politiques ». Christianus définit son « rôle propre », comme « celui de projeter la lumière chrétienne sur le réel, tout le réel […] car rien d’humain, pas plus dans la vie publique que dans la vie privée, n’a le droit de rester à l’ombre de la lumière divine ». Cette profession de foi intégraliste fournit à Christianus son champ d’intervention :
« C’est la doctrine et ses applications nécessaires. Il donne les principes, marque l’orientation, l’esprit. De l’individu, de la famille, de la profession, de l’État il fixe le but, il détermine la constitution de nature, il règle les lois obligatoires de fonctionnement. En toutes ces questions il lui revient de fournir à Civis les principes qui guideront son action, mais ce sont les faits complexes et changeants qui se chargeront de fournir à celui-ci la matière où les appliquer. Civis alors, qui est mêlé à la, vie et dont Christianus aura formé la conscience, décidera ce qu’il doit faire et gardera, devant Dieu comme devant les hommes, la responsabilité de sa décision59. »
38Dans les faits, la distinction des tâches sera moins claire, mais ces billets serviront de référence sur la position de la revue dans les débats en cours.
39Pour Christianus, La Vie Intellectuelle s’attache la collaboration d’un tandem composé du chanoine d’Albi Clément Mauriès et de son ancien élève au petit séminaire de Saint-Sulpice-du-Tarn Mgr Bruno de Solages, nommé recteur de l’Institut catholique de Toulouse à la fin de 1932. Habitués à signer ensemble, ils ne souhaitaient pas de pseudonyme, mais la direction de la revue a passé outre. Il était prévu qu’ils assurent les éditoriaux du premier numéro du mois60, soit la moitié de l’ensemble : en fait, un gros tiers seulement des billets de Christianus leur revient61, les deux autres tiers étant dus aux dominicains et à quelques laïcs proches d’eux. Pour Civis, La Vie Intellectuelle fait appel surtout à des laïcs, le publiciste de la Fédération nationale catholique Georges Coquelle-Viance d’abord, puis le colonel du cadre de réserve André Roullet, catholique social lyonnais. Les noms cités montrent que la revue continue de viser large. On y trouve aussi bien la signature de Louis Dimier, ancien de l’Action française ou des non-conformistes Raymond de Becker et Alexandre Marc, que celle du catholique social Joseph Folliet ou de chrétiens démocrates comme Henri Guillemin et Marcel Prélot. Une chronique de politique étrangère est tenue par le journaliste de La Croix André D. Tolédano. L’ouverture internationale de la revue est assurée par des correspondants attitrés, comme le professeur Alfredo Mendizabal-Villalba pour l’Espagne, l’avocat Marcel Laloire pour la Belgique ou le « Doktor » allemand qui signe du pseudonyme de Kurt Türmer.
40La nouvelle équipe ne tarde pas à annoncer la couleur. Dès son premier billet, Christianus plaide pour une séparation du catholicisme d’avec l’ensemble des habitudes et des préjugés qui lient depuis un siècle et demi la masse des pratiquants à l’ordre établi et aux forces conservatrices :
« La Vie Intellectuelle considère que, pour être fidèle à sa mission de lumière, elle se doit de dissocier sans relâche les éléments de cet amalgame qu’est la mentalité des bien-pensants, de désolidariser le catholicisme de ce qui est préjugé humain, de rejeter au paganisme la gangue qui lui appartient et de rendre à la lumière évangélique la liberté de son rayonnement, écrivent ainsi Clément Mauriès et Bruno de Solages62. »
41Aussi la revue plaide-t-elle avec énergie pour une rechristianisation des différents milieux sociaux par l’Action catholique. Des prises de position de cet ordre ne tarderont pas à susciter les critiques de l’aile droite du catholicisme français ni à priver la revue de ceux de ses collaborateurs qui en relèvent. On n’en est pas encore là au début des années 1930.
42Alors que la crise économique et ses conséquences sociales produisent une forte polarisation du champ idéologique, La Vie Intellectuelle continue de frayer une troisième voie entre positions extrêmes. Dans le domaine économique et social, elle maintient sa double opposition au communisme soviétique et aux errements du capitalisme libéral. Le père Christophe-Jean Dumont et son Centre d’études russes Istina lui fournissent les pièces d’une condamnation sans appel du premier, par le dépouillement minutieux de la presse de Moscou. Le père Louis-Joseph Lebret et son Secrétariat social maritime de Bretagne lui fournissent en regard un exemple des « méfaits du libéralisme ». Hostile à la mystique de la classe en lutte, la revue repousse les solutions révolutionnaires, qu’elles soient socialistes ou personnalistes : son accord substantiel avec la jeune revue Esprit sur le diagnostic du « désordre établi », n’implique pas qu’elle la suive dans son projet de révolution ; elle combat le désordre dans le monde tel qu’il est. Désireuse de « plus de justice entre les classes », La Vie Intellectuelle promeut de façon assez classique la doctrine sociale de l’Église : aspiration au bien commun fondé sur les corps intermédiaires dans une optique proche du corporatisme. Elle ne comporte volontairement pas de rubrique sur la vie politique française. Soucieuse du rôle des « catholiques dans la vie publique », elle intervient pourtant si elle le sent menacé. « Résistance ? Oui, quand il faut, mais résistance au mouvement par le mouvement » écrit-elle à propos des projets d’une laïcité militante63. Elle se garde toutefois de basculer dans l’opposition au régime qui promeut celle-ci, menacé de désagrégation par les scandales. « Que les catholiques ne se compromettent pas étourdiment dans le concert mélangé et confus qui fait appel à l’autorité. […] Ils ont mieux à faire. Il leur appartient d’en réintroduire la vraie nature dans l’esprit public », peut-on y lire moins d’un an avant l’émeute du 6 février 193464.
43Sur l’échiquier international, les prises de position de La Vie Intellectuelle sont plus nombreuses et plus nettes. La revue maintient son double refus d’un pacifisme inconditionnel et du nationalisme exagéré qu’elle entend « liquider », au nom d’un « patriotisme chrétien » en tension avec le « désarmement moral » fondé sur la sécurité collective65. Mais comme le danger pour des catholiques vient plus du nationalisme, ainsi que la crise d’Action française l’a prouvé, c’est contre « l’abus du légitime attachement à la patrie, et l’excès du sentiment de juste piété envers la nation » que portent les coups les plus durs. « Si nous luttons contre le nationalisme, c’est donc pour le patriotisme, le vrai », écrit Christianus66, distinction confortée par le jésuite Henri de Lubac, dans un de ses premiers articles67. La subtilité de la distinction ne sera pas toujours comprise, d’où des polémiques récurrentes avec l’éminent représentant du nationalisme catholique non maurrassien qu’est le général de Castelnau, président de la Fédération nationale catholique. La condamnation du nationalisme s’étend à la mystique de la race dans l’idéologie nazie ou à la mystique de l’État dans le fascisme italien : de façon précoce, Clément Mauriès et Bruno de Solages dénoncent le danger « totalitaire68 ». Mais le pragmatisme l’emporte : autant La Vie Intellectuelle est dure envers le nazisme d’opposition, autant elle compose avec le nazisme de gouvernement69, à l’image du catholicisme allemand d’ailleurs : elle justifie le vote des pleins pouvoirs à Hitler par le parti catholique et la signature du concordat entre le Saint-Siège et le Troisième Reich. Son prolongement inopiné par un hebdomadaire va néanmoins durcir les positions et les oppositions.
Sept
44« Nous fondons un nouvel organe hebdomadaire ! Il fallait un organe plus rapide, plus souple et plus alerte qui sût mettre la doctrine de notre revue à la portée d’un plus vaste public, avec un souci plus vif de l’actualité. Encore un journal… Oui, et sa nécessité est urgente », annonce La Vie Intellectuelle le 10 décembre 1933. Ce sera Sept. L’heddomadaire du temps présent, dont le premier numéro date du samedi 3 mars 1934. Par les passions qu’il a suscitées au sein de l’Église et surtout par sa suppression sur décision de l’autorité romaine en 1937, le titre est devenu quasiment mythique dans la mémoire du catholicisme français. Une thèse de doctorat vite publiée aux Éditions du Cerf lui a été naguère consacrée par Aline Coutrot70. Il n’est pas question de refaire ici son travail, mais plutôt de montrer, à l’aide de documents inédits, comment cette nouvelle fondation s’insère dans le parcours de la maison de Juvisy.
Un journal ?
45À bien y regarder, tout est surprenant dans une telle fondation. Certes, le père Bernadot et ses adjoints sont désormais rompus à la fabrication des revues, mais ils n’ont aucune expérience en matière de presse71, au contraire des assomptionnistes, sauf à remonter jusqu’à Lacordaire… avant son entrée dans l’ordre dominicain. On ne dispose que de deux sources internes sur l’origine du journal, l’une à la veille de son lancement, l’autre au lendemain de sa disparition. Toutes deux racontent peu ou prou la même histoire. Au cours d’une audience privée de décembre 1930, le pape aurait demandé à Bernadot de créer un hebdomadaire pour prolonger l’action de La Vie Intellectuelle dans un public plus large. « Pie XI ne dédaigna pas d’entrer dans les détails de la composition du journal, de donner des conseils pratiques, et même de donner à l’hebdomadaire son titre, La France », auquel il fallut renoncer car il était déjà pris72. La demande pontificale tombait à un moment où le père Bernadot, malade, ne dirigeait plus vraiment l’équipe de Juvisy. Il fallut donc ajourner la réalisation du projet. Trois ans plus tard, Bernadot a recouvré son autorité et il dispose en la personne du père Boisselot d’un soutien de poids. Aussi sollicite-t-il de nouveau l’approbation pontificale par l’intermédiaire du père Gillet qui s’acquitte de la commission fin novembre 1933. Dans une lettre au nonce Maglione du 2 février 1934, le cardinal secrétaire d’État Pacelli, transmet l’accord et la bénédiction du pape. Pie XI aurait assorti ceux-ci du conseil de « faire des articles brefs et incisifs73 ». Le père Bernadot s’autorise de cet appui, assorti du don de 30 000 francs, et des 200 000 francs fournis par la famille du père Maydieu, complétés par un appel à souscription de 70 000 francs, pour obtenir les 300 000 francs nécessaires au démarrage du journal74.
46Le projet a pourtant suscité bien des réserves, à commencer par celles du père Merklen, directeur de La Croix, transmises à Rome par Maglione le 8 janvier 1934. Le père Gillet n’est pas plus enthousiaste, si l’on en croit la lettre qu’il adressait à Bernadot le 15 décembre. Non seulement les autorités de la province de France ne doivent pas être court-circuitées dans l’affaire, mais la permission accordée par le maître général ne doit pas être transformée en un ordre, comme le bruit lui en est revenu :
« La permission est pour vous ; je ne veux pas que mon nom soit engagé dans une question comme celle-là qui peut susciter des polémiques ; encore moins le nom du Saint-Père. […] Sinon je serais obligé de retirer la permission donnée et d’en avertir le Saint-Père. L’autorité des Revues se suffit à elle-même pour garantir l’hebdomadaire. Il est inutile d’invoquer d’autres autorités, et surtout de dire que le Père Général “ordonne ou désire” quand, sur une demande écrite, il permet seulement, très volontiers d’ailleurs, mais en accord avec les autorités de la Province. »
47Le moins qu’on puisse dire est que le père Gillet n’est pas très chaud pour l’entreprise. Et la carte qu’il envoie le 1er février 1934 au provincial Jourdain Padé est encore plus nette :
« Au sujet du journal Sept, j’ai déjà dit, et répété que je ne prends aucune responsabilité ; on m’a demandé ma permission, je l’ai donnée à condition que cela se fasse d’accord avec les Supérieurs immédiats. Les amis de l’Ordre pensent que ce journal est prématuré ; si vous faites une enquête à ce sujet, vous vous en rendrez compte. Alors, décidez en connaissance de cause. Mais je ne veux être pour rien dans cette affaire ; n’étant pas sur place, je ne puis me prononcer avec autorité. »
48Heureusement pour Bernadot, le père Padé, son supérieur immédiat, est moins sceptique. Le 3 janvier 1934, il rassure le nonce Maglione sur la viabilité du projet. Celui-ci a reçu « une approbation entière, sans aucune réserve » du cardinal Verdier, archevêque de Paris, à condition que le journal reste « en liaison constante avec l’Action catholique » et qu’il ne prenne pas de position « que ne recommanderait pas l’épiscopat ». Le cardinal a écarté le risque de concurrence avec les « différents journaux catholiques existants » et un sondage au sein du clergé parisien s’est révélé positif. Quant au conseil de la province de France, il a approuvé le projet à l’unanimité. Le père Bernadot assurant qu’il aura bientôt les 70 000 francs manquants et que son équipe a les reins assez solides pour tenter l’aventure sans imprudence, Padé le soutient auprès de Gillet qu’il dissuade de prêter l’oreille « aux insinuations regrettables qui peuvent être mises en circulation ». Tant pour les ressources financières que pour les ressources humaines, les assurances reçues de Bernadot ont convaincu un homme aussi averti qu’Alfred Michelin, bientôt administrateur de la Bonne Presse75. On peut donc marcher.
Quel journal ?
49Le premier numéro de Sept sort donc le samedi 3 mars 1934, sur 16 pages au format 42 × 28, inhabituel pour l’époque. Le titre adopté reste une énigme : on ne sait par qui ni comment il a été choisi de préférence à Chrétienté, titre évoqué dans la dépêche Maglione du 8 janvier. Son « explicitation » par le journal en obscurcit le sens plus qu’elle ne l’éclaire : après avoir évoqué diverses connotations symboliques du chiffre 7, elle en revient à la plus claire : « Sept, jour du repos après la création… Jour de la lecture de Sept », qui paraît le samedi, puis le vendredi76. Son sous-titre, « l’hebdomadaire du temps présent », correspond mieux à l’intention et au contenu, mais Sept se révèle vite une trouvaille : le grand chiffre 7 de couverture, flanqué de sa transcription en lettres à gros caractères entre guillemets, sert de logo facile à identifier et il sonne bien, à la criée notamment. Sa brièveté sera un argument non négligeable de vente.
50La principale nouveauté de Sept tient d’ailleurs plus à la forme qu’au fond, proche de celui de La Vie Intellectuelle, les deux premières années du moins. Contre la presse d’extrême gauche ou d’extrême droite, mais aussi contre les hebdomadaires généralistes parisiens en voie de radicalisation, comme Candide ou Gringoire, Sept se veut un journal catholique. Pour savoir ce que l’équipe qui le lance entend par là, il faut se reporter à deux articles anonymes parus dans La Vie Intellectuelle le 25 avril et le 10 mai 1933. Sous le titre « Journal catholique ? », ils s’en prennent d’abord, sans citer aucun titre, au « mauvais “bon journal” », c’est-à-dire au journal vieillot, compassé et pieux, mais vide de contenu car il ne doit pas heurter la bonne conscience des fidèles ni leurs préjugés. Ce « mauvais “bon journal” » renforce la « gangue » dénoncée par Christianus. Au contraire, un journal catholique digne de ce nom doit être vivant et attrayant ; il ne doit pas craindre d’être audacieux, tout en étant de doctrine solide et uni étroitement à l’Action catholique. L’auteur anonyme aurait voulu faire le portrait du futur hebdomadaire qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Car Sept tranche d’emblée sur des confrères comme le vénérable Pèlerin de la Bonne Presse, familial et rural : sa maquette est plus aérée, avec une photographie de première page et une utilisation de l’illustration inhabituelle, en dépit de quelques tâtonnements. Les rubriques sont mieux individualisées et plus variées : les éditoriaux et articles de fond alternent avec des reportages, des entretiens de personnalités, des nouvelles concrètes et des recensions de livres. Le retour périodique des mêmes rubriques, la page mensuelle sur l’URSS par exemple, cherche à fidéliser le lecteur. Les tarifs sont raisonnables : 50 centimes le numéro, 25 francs l’abonnement (75 centimes et 30 francs à partir d’août 1936).
51Le pari n’est pas gagné pour autant, car la crise économique bat son plein. D’après Francisque Gay, le père Bernadot lui-même n’était pas convaincu de tenir encore deux mois, à l’automne 1934, alors que Sept était en quête de son 6 000e abonné, soit à peine plus que La Vie Intellectuelle. Le directeur de La Vie Catholique est d’autant plus inquiet que le nouvel hebdomadaire fait du tort au sien, tombé de plus de 9 000 abonnés à moins de 8 000 en 1934. Le fait que La Vie Catholique soit spécialisée dans l’information religieuse ne l’a pas empêchée de pâtir de l’arrivée de Sept : le vivier des catholiques acquis à la ligne pontificale de refus du nationalisme et soucieux de se démarquer du conservatisme n’est pas extensible. Aussi deux solutions pour éliminer cette concurrence sont-elles explorées à Juvisy en septembre 1934. La première, refusée par Bernadot, lui aurait confié la direction d’une Vie Catholique renforcée par les abonnés de Sept, dont Francisque Gay serait resté administrateur. La seconde, refusée par celui-ci, car il craignait d’être mis sur la touche, aurait fusionné les deux journaux sous égide dominicaine. Ces pourparlers échouent, les deux parties ne parvenant même pas à se mettre d’accord sur leur déroulement77. Le catholicisme d’abord de Sept, d’origine thomiste, et la ligne démocrate-chrétienne de l’hebdomadaire de Francisque Gay, de souche sillonniste et blondélienne, ne semblent pas compatibles.
52Sept poursuit donc sa route, mais il lui faut trouver un lectorat nettement plus important pour qu’il survive. Aussi sa rédaction multiplie-telle les campagnes de vente, les concours, les abonnements d’été et autres procédés commerciaux qui maintiennent la pression sur un lectorat en état de mobilisation permanente. Ainsi se crée peu à peu une véritable mystique autour de la lecture et surtout de la diffusion du journal. À partir du printemps 1934 apparaissent, à Paris et dans sa banlieue, puis en province, des groupes d’« Amis de Sept », qui se chargent de la propagande et du développement des ventes dans leur paroisse ou dans leur localité. Une rubrique « Les Amis de Sept » est créée dans le journal le 28 juillet 1934. La multiplication des groupes, cinquante-quatre au moment de la disparition, donne naissance à un réseau dont les membres de l’équipe de Juvisy maintiennent la vitalité par des tournées de visites, avec cérémonies et conférences. Le père Maydieu, qui écrit peu dans Sept et affirme par boutade ne pas le lire, est le grand artisan de ce qui prend les allures d’un véritable mouvement. Les messes du troisième dimanche du mois, qu’il célèbre en latin, mais face aux Amis et en dialogue avec eux, marquent les esprits, tout comme le petit-déjeuner qui suit, dans une brasserie du voisinage. Commencées en petit comité, elles s’installent à partir de janvier 1936 dans la grande nef de Notre-Dame78. Il est aidé dans sa tâche par le père François Louvel, pour la région parisienne, et par les bons orateurs que sont Joseph Folliet ou le père Chéry pour la province. Le repas parisien qui marque le deuxième anniversaire du journal, le 21 février 1936, rassemble 350 convives, parmi lesquels plusieurs personnalités qui y vont de leur toast ; l’Association des amis de Sept tient son assemblée générale fondatrice le 16 mai suivant ; plusieurs milliers de fidèles remplissent la grande salle de la Mutualité pour le meeting parisien du 21 novembre 1936 (« Les catholiques sont présents »)79 ; et ils sont encore 1500 à Lyon le 31 janvier 1937 (« Ordre nouveau, ordre chrétien »).
53Grâce à ce militantisme de tous les instants, à un nouvel emprunt obligataire à l’automne 1934 et à une grande souscription en 1937, le défi est relevé. La brève histoire de Sept est une success story, malgré les allures dramatiques que prend parfois l’appel à la mobilisation pour le journal. Le nombre des pages passe de 16 à 20, et à 24 pour les numéros spéciaux. La courbe des ventes est imperturbablement ascendante, en dépit de la crise. Le nombre des abonnés passe ainsi de 6 000 fin 1934 à plus de 12 000 un an après et à environ 25 000 en mai 1937. Sept est crédité d’un tirage de 55 000 exemplaires en 1936, avec des pointes à 100 000, voire 150 000, pour des numéros spéciaux comme « Le Christ et l’ouvrier » du 12 février 1937. Sans prétendre rivaliser avec les poids lourds de la presse hebdomadaire, Sept y a acquis en trois ans une place remarquée. Personne ne peut donc croire que ce titre en constante progression et qui ne semble pas avoir de graves soucis comptables disparaît pour des raisons économiques, version officielle diffusée par le maître général Gillet à l’été 1937. Non sans difficultés et au prix d’un effort épuisant, Sept a trouvé son public. Mais de qui s’agit-il ? L’abondant courrier reçu après la suppression, analysé par Aline Coutrot, permet d’esquisser une réponse : 24 % de prêtres ou de séminaristes et 20 % d’enseignants au minimum, mais fort peu d’ouvriers et d’agriculteurs. En dépit de sa volonté affichée de reconquête des couches populaires et de son soutien marqué à la Jeunesse ouvrière chrétienne, Sept séduit surtout le jeune clergé et les jeunes diplômés des couches moyennes, comme le prouvent les nombreuses mentions de passage par un mouvement de jeunesse confessionnel dans les lettres reçues. La géographie des abonnements confirme une telle sociologie. Elle est dominée par les grandes agglomérations : la région parisienne, le Nord ou la région lyonnaise, qui sont des zones de force du catholicisme social, mais aussi l’Est alsacien et lorrain ou la région bordelaise.
54Le mode de fabrication de Sept limite au maximum les frais, ce qui faisait dire au père Padé que l’hebdomadaire en gestation « n’était pas un journal proprement dit et n’entraînait pas aux dépenses d’information que requiert un journal80 », l’entretien matériel d’une rédaction notamment. Celle-ci est assurée pour l’essentiel par les dominicains de Juvisy et quelques-uns de leurs plus proches collaborateurs laïcs. Bien que leur signature n’apparaisse pas fréquemment, les deux principaux responsables du journal sont le père Bernadot et le père Boisselot, qui joue auprès de lui un rôle de plus en plus important : ils relisent tous les articles dont aucun ne paraît sans leur feu vert. Le père Avril, trouvant « le rythme de la maison trop trépidant et pas assez contemplatif81 », quitte Juvisy en 1935. Deux nouvelles assignations sont des échecs : celle du père Ceslas Lavergne incapable de s’intéresser à autre chose qu’à la Bible et celle du père Aimon-Marie Roguet du fait de son incompatibilité d’humeur avec le père Bernadot82. Avril est finalement remplacé par le solide Normand François Louvel : né en 1907, il est entré dans l’Ordre en 1929 après un passage par le grand séminaire de Bayeux ; prêtre en 1934, il est assigné à Juvisy en 1935 aussitôt après avoir obtenu son lectorat en théologie. La même année arrive pour la première fois dans l’équipe un religieux d’une autre province que celle de France, le père Charles Chéry de la province de Lyon, qui doit s’occuper de sa mère seule à Paris83. Comme pour les revues, la censure est assurée par des professeurs du Saulchoir, sous la responsabilité du père Synave « qui veut bien assurer avec Juvisy une liaison très précieuse »… mais quelque peu indiscrète selon Boisselot84.
55En novembre 1934, les dominicains, peu satisfaits des services de Jules Bernex, embauchent Joseph Folliet, tout juste trentenaire (il est né en 1903), comme secrétaire de rédaction. Ce Lyonnais rond et jovial fait ses premières armes de journaliste à Sept, où il joue d’emblée un rôle majeur : il écrit dans plusieurs rubriques sous divers pseudonymes, il rédige avec le père Boisselot nombre d’éditoriaux et il parcourt la France pour mobiliser les lecteurs85. Boisselot et Folliet font le journal, sous la direction « politique » de Bernadot, avec l’aide d’un conseil de rédaction, réuni chaque vendredi, lendemain de la sortie des presses du numéro précédent. Outre Bernadot, Boisselot, Louvel et Folliet, il comprend le converti Alexandre Marc, responsable de la rubrique « Les idées et la vie86 ». Sans en faire partie, trois autres laïcs sont associés de près à une rédaction réduite au minimum : Jacques Madaule, agrégé d’histoire et Pierre-Henri Simon, agrégé de lettres, pour des articles de fond ; un autre agrégé d’histoire, Daniel-Rops, pour la rubrique « Chronique ouverte », qui établit un dialogue original avec les lecteurs et permet d’en mesurer le pouls en temps réel. Le disciple de Marc Sangnier André Lecomte sert d’agent de publicité, pour Sept comme pour les autres publications du Cerf, et il amène à Juvisy quelques intellectuels ou parlementaires de gauche87. Aline Coutrot a recensé plus de deux cents signatures dans le journal, parmi lesquelles celles d’une quarantaine de collaborateurs réguliers. Dans la liste qu’elle donne, rares sont les noms qui ne figuraient pas déjà dans La Vie Intellectuelle : celui de Maurice Schumann, par exemple, journaliste à l’Agence Havas et transfuge récent du socialisme, qui signe Maurice Jacques. Pas étonnant donc que l’éventail en soit aussi ouvert que dans la revue, même si l’évolution du journal ne tarde pas à le priver de ses collaborateurs les plus marqués à droite : Louis Dimier ou Georges Viance. Si Georges Bernanos, Paul Claudel, Étienne Gilson, Jacques Maritain ou François Mauriac, plus âgés, sont les grandes plumes de Sept, la rédaction de l’hebdomadaire est aux mains de jeunes adultes de moins de quarante ans, voire de trente, ce qui n’est pas courant dans la presse de l’époque. Elle appartient pour l’essentiel à la première génération catholique de l’après-guerre, dont le traumatisme de fondation a été la crise autour de l’Action française. Cette génération entend faire du neuf, dans la presse comme dans l’Église.
Une Vie Intellectuelle par semaine
56« Sept est exactement la transposition de La Vie Intellectuelle sur le plan du journalisme. Si nous voulons christianiser la vie publique, nous ne pouvons pas nous borner à éditer une revue d’intellectuels. Il est urgent d’atteindre les militants d’Action catholique, tout en suivant de plus près l’actualité », expose un dépliant de propagande88. On ne saurait mieux dire. Jusqu’à la fin de l’année 1935, des collaborateurs de la revue sont appelés à monnayer ses prises de position doctrinales pour un public plus large. Les interventions de Sept sur les événements en cours ne défrayent guère la chronique : le journal accorde alors plus de prix à la formation de ses lecteurs qu’au suivi de l’actualité. Comme dans La Vie Intellectuelle, la base d’une telle formation est la doctrine sociale de l’Église. Ainsi l’hebdomadaire condamne-t-il radicalement les solutions socialistes, qu’il s’agisse du communisme soviétique ou des différentes formes de social-démocratie : même le planisme du Belge Henri de Man ne trouve pas grâce à ses yeux. Ces condamnations sont si nombreuses et si brutales qu’on s’étonne que Sept ait pu être soupçonné par ses adversaires de complaisance envers Moscou : pas moins de quatre numéros spéciaux contre le communisme entre 1935 et 1937. Il condamne aussi, par une symétrie en trompe-l’œil, les excès du libéralisme, dont la crise déclenchée en 1929 lui fournit de nombreux exemples. La société dont il rêve est une société de type organique fondée sur les corps intermédiaires que sont la famille, la profession ou la région, le rôle de l’État étant limité au strict nécessaire. Sept estime que la femme doit rester au foyer ; il plaide pour le maintien d’une forte assise paysanne et il conçoit l’organisation du travail sur le mode corporatiste, par la plume de Paul Chanson notamment. La méfiance envers l’État, jointe au refus des mystiques de la classe ou de la race, explique l’opposition radicale de l’hebdomadaire tant au national-socialisme (numéro spécial sur « l’Allemagne de Hitler », le 24 mai 1935, avec un article sur « La dictature de la terreur ») qu’au communisme stalinien, sur lequel le renseigne de façon précise et distanciée le Centre Istina. L’attitude de Sept envers le fascisme italien est plus complexe : refus de son exaltation totalitaire de l’État, mais sympathie pour certaines de ses réalisations.
57Sept refuse de sortir de cette attitude en surplomb pour s’insérer dans le jeu politique : ni de droite ni de gauche, le journal se veut simple rappel des principes chrétiens au-dessus des factions – « c’est dans cette intention […] que nous avons décidé de n’avoir pas de rubrique de politique intérieure afin de n’être pas obligé de prendre parti pour des hommes ou des gouvernements, mais d’envisager seulement la valeur des idées », écrit Bernadot, dans un projet soumis à Rome89. Aucun des rédacteurs du journal n’a d’ailleurs de fonction politique notoire. Son hostilité au socialisme et à un laïcisme agressif, en matière scolaire notamment, empêche de le situer à gauche. Est-il pour autant de droite ? Sept oscille entre le goût de l’ordre et le souci du respect des libertés individuelles. C’est plutôt le premier qui l’emporte après le 6 février 1934, dont la coïncidence avec le lancement du journal est fortuite. Sept critique les errements du régime parlementaire, sans pour autant baisser la garde vis-à-vis des ligues, l’Action française surtout, dont le père Boisselot rappelle, dans La Vie Intellectuelle, qu’elle « a été et reste explicitement et formellement condamnée90 ». En revanche, l’hebdomadaire n’est pas insensible aux thèses du colonel de la Rocque, empreintes de catholicisme social : deux entretiens avec le fondateur des Croix-de-feu, le 28 décembre 1934 et le 26 février 1937, manifestent à son égard une sympathie que relèvent avec vivacité ses adversaires91. Mais sa critique du nationalisme exagéré met Sept en porte-à-faux par rapport à la droite nationale. En fait il penche, sans s’en donner les moyens, pour la constitution d’un tiers parti qui, rassemblant les « forces vives » de la nation, restaurerait l’autorité d’un État pluraliste et effectuerait les réformes indispensables, sans pour autant attenter aux libertés.
58Comme ce projet n’a guère de chances d’aboutir à court terme, Sept se replie sur des solutions qui préservent l’existence des « catholiques dans la cité », selon la formule de Pierre-Henri Simon. Deux se succèdent en fait de 1934 à 1937. La première en date est celle de « l’ordre catholique » défini par Étienne Gilson :
« J’entends par là, écrit le philosophe, entre la vie religieuse privée du catholique et les partis politiques à l’œuvre desquels, en tant que citoyen, il collabore, un ordre d’institutions créées par les catholiques pour assurer la réalisation des fins catholiques dont l’État n’assume pas la responsabilité. »
59L’objectif d’un tel ordre, « c’est de satisfaire intégralement les exigences d’une vie pleinement catholique dans un État qui n’est pas catholique ». Les moyens à mettre à son service, « c’est l’ensemble des institutions à créer ou à coordonner afin que ces exigences soient intégralement satisfaites92 ». Ces institutions se doivent d’être irréprochables : Gilson s’attire de vives réparties quand il fustige le « culte de l’incompétence » dans un enseignement privé dont il fait la pièce maîtresse de son ordre catholique93. Il s’agit donc de créer à l’intérieur de la société profane, un pilier confessionnel dont la répétition de l’adverbe « intégralement » définit bien les attaches doctrinales.
« Pour que notre ordre catholique soit un jour reconnu et respecté par l’État, il faut faire ce que les catholiques de France ont toujours fait, commencer par s’organiser hors de l’État, et ensuite le danger ne sera pas qu’ils restent en marge de l’État mais de ne pas se laisser absorber par un État qui en tirera parti. »
60La promotion d’une telle contre-société est trop éloignée de la ligne du « ralliement » des catholiques à la République reprise par Pie XI pour qu’elle jouisse à Sept d’un grand avenir. Après la publication du livre reprenant la série des articles94, « l’ordre catholique » de Gilson ne reparaît plus dans l’hebdomadaire, dont le philosophe s’éloigne d’ailleurs sur l’affaire éthiopienne.
61Sa solution est remplacée par celle que Jacques Maritain nommera la « nouvelle chrétienté » dans Humanisme intégral en 1936. À l’inverse de la chrétienté sacrale qui confondait le plan spirituel et le plan temporel au bénéfice du premier, cette « chrétienté profane » les distingue sans les séparer complètement. Pour l’action des chrétiens dans le monde, une telle distinction des plans débouche sur une autre, célébrissime aujourd’hui :
« Si je me tourne vers les hommes pour leur parler et agir au milieu d’eux, disons donc que sur le premier plan d’activité, sur le plan du spirituel, je parais devant eux en tant que chrétien, et pour autant j’engage l’Église du Christ ; et que sur le second plan d’activité, sur le plan du temporel, je n’agis pas en tant que chrétien, mais je dois agir en chrétien, n’engageant que moi, non mon Église, mais m’engageant moi-même tout entier et non pas amputé ou désanimé. »
62Cette distinction va devenir la charte de l’Action catholique, dans laquelle Sept et La Vie Intellectuelle, à la suite de Pie XI, voient l’agent majeur de la rechristianisation du monde sécularisé, ouvrier notamment. Mandatés par la hiérarchie, les mouvements d’Action catholique agissent en tant que chrétiens pour la reconquête de leurs milieux respectifs. Libres de s’engager dans les organisations temporelles dont l’idéologie n’est pas contraire à la foi, leurs militants le font en chrétiens, sans engager ni leur mouvement ni l’Église. Le corollaire de la seconde proposition est que les mouvements ne peuvent agir en tant que chrétiens dans le domaine temporel, ce qui créera bien des difficultés. Publiée par Sept en avril 1935 et reprise en annexe dans Humanisme intégral95, cette charte remplace l’ordre catholique dans les publications de Juvisy, dont Maritain redevient ainsi le maître à penser. Sept se veut le journal de l’Action catholique dont il couvre avec enthousiasme les grandes manifestations. François Mauriac exalte le « Miracle de la JOC » dans le numéro spécial sur « Le Christ et l’ouvrier » du 12 février 1937.
63En octobre 1935, c’est-à-dire au moment où commence la crise éthiopienne, Sept vogue encore sur des eaux relativement calmes. Il vient cependant de croiser par deux fois le fer avec le général de Castelnau. En janvier 1935, celui-ci a pris position pour le passage du service militaire à deux ans. Le 1er mars, Sept s’abrite derrière le Catholic Herald pour émettre des réserves sur une proposition qui va à l’encontre de son vœu de désarmement. Le 9 mars dans L’Écho de Paris et le 16 mars dans l’hebdomadaire La France catholique, le général s’en prend, non seulement au journal anglais, mais aussi à Sept. Celui-ci s’abstient de nourrir une polémique qui rebondit avec la revue Esprit. Le 14 juin, Sept se fait l’écho d’une intervention du dominicain Rutten au Sénat de Belgique sur l’absence de bombardement par les Français du bassin sidérurgique de Briey, occupé par les Allemands pendant la Grande Guerre. Castelnau, qui était chef d’État-Major général de l’armée, proteste avec vigueur dans L’Écho de Paris et dans La France catholique en accusant Sept d’être à la remorque de la presse de gauche. L’hebdomadaire de Juvisy lui retourne le compliment le 12 juillet en lui reprochant « une vieille confusion entre le christianisme et certains partis politiques »… de droite. La passe d’armes laissera des traces : pour les catholiques nationaux, Sept fait désormais partie des adversaires à combattre96. Le père Bernadot en est bien conscient, qui mobilise ses appuis au sein de l’épiscopat : si quelques évêques proches de l’Action française, comme Mgr de Llobet à Avignon, refusent la présence des « Amis de Sept » dans leur ressort, une vingtaine de leurs confrères ont, d’une manière ou d’une autre, soutenu le journal au cours de ses deux premières années, parmi lesquels les cardinaux Liénart et Verdier, ou les archevêques de Bourges et de Rennes, Mgr Fillon et Mgr Mignen97. Bernadot saisit en outre l’occasion du septième anniversaire de La Vie Intellectuelle pour présenter l’ensemble de son œuvre au pape et pour lui demander de le soutenir contre cette première offensive. Du 20 décembre 1935, la réponse du cardinal secrétaire d’État Pacelli à sa longue lettre du 15 septembre ne le satisfait qu’en partie : si elle lui transmet, avec la paternelle bénédiction du pape, ses félicitations et ses encouragements, elle n’y inclut que La Vie Intellectuelle et s’abstient d’évoquer Sept. Tant que le journal ne réagit pas aux crises nationales ou internationales et qu’il se cantonne à une proposition de la foi dans sa modalité Action catholique, il ne suscite guère d’opposition. Dès qu’il sort des principes pour prendre position sur les conflits en cours, il entre dans la zone des tempêtes.
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64Lorsque le père Bernadot présente son œuvre au pape et au chapitre provincial à l’automne 193598, il peut à juste titre se féliciter du travail accompli. Sous sa direction et celle du père Lajeunie pour la communauté ou celle du père Boisselot pour les revues quand il est absent, selon les décisions consécutives à la visite canonique du début de 1935, la maison de Juvisy a désormais pignon sur rue. En sept ans, il y a édifié un groupe de presse qui peut rivaliser avec celui des jésuites, voire avec la Bonne Presse des assomptionnistes au public plus populaire et moins intellectuel. Seule l’équipe de Juvisy lui paraît en mesure de réaliser le « front unique de l’esprit chrétien » face aux intellectuels de gauche (Chamson, Guéhenno, Malraux) et de droite (Gaxotte, Maurras, Thierry Maulnier). En arrondissant quelque peu les chiffres au palier supérieur, Bernadot crédite ainsi La Vie Spirituelle, « première revue de spiritualité en France », de 10 000 abonnés et de 50 000 lecteurs, du fait des abonnements communautaires. La Vie Intellectuelle, qui continue de gagner « plus d’un millier d’abonnés par an, malgré la crise » en aurait pour sa part 6 000. Plus précis, les chiffres concernant la Revue des Jeunes et Sept sont probablement plus justes : 3261 abonnés pour la première et 12348 abonnés au 1er septembre pour l’hebdomadaire, plus 3336 abonnés de vacances recrutés parmi les séminaristes « grâce à l’obligeance des directeurs de séminaires ». C’est donc un communiqué de victoire que délivre Bernadot : avec une équipe restreinte de cinq religieux, dont il demande bien sûr le renforcement, et par leur travail accablant99, il a gagné le pari de faire naître dans une conjoncture difficile, outre une revue de spiritualité et son supplément, une revue de culture générale et un hebdomadaire de large diffusion qui est sa principale réussite. Avec sa liberté d’allure au service d’un christianisme « frais, jeune et populaire » tout en étant de bon niveau intellectuel, Sept a acquis une audience qui dépasse de beaucoup son tirage et ses ventes : « jamais le catholicisme français n’[aurait] eu pareil instrument de pénétration » dans les milieux agnostiques, si l’on en croit le père Boisselot100. Grâce à Bernadot, la province dominicaine de France, qui lui a fourni quelques jeunes religieux de valeur, dispose d’une audience dont elle ne pouvait rêver une ou deux décennies plus tôt.
65Les épreuves à venir, que pressent la lettre à Pie XI, ne sauraient obscurcir l’éclat d’un tel résultat. En 1935, l’œuvre de Juvisy est florissante et la maison est devenue un foyer de rencontres tous azimuts : conférence catholique franco-allemande sur le dynamisme allemand et le statisme français en décembre 1931, journées de la Société thomiste sur la phénoménologie allemande ou sur l’existence d’une philosophie chrétienne (septembre 1932 et septembre 1933), ou encore rencontre organisée autour du théologien protestant Karl Barth par le jeune père Congar, en avril 1934. Du chapitre de 1935, Bernadot et les siens attendent la reconnaissance d’un rôle charnière entre les couvents de ministère et le couvent d’études : l’équipe du Cerf fournirait aux religieux des premiers les ressources d’un « centre d’élaboration doctrinale » et à ceux du second la possibilité de « s’exprimer pour un plus large public101 ». Modeste commune ferroviaire de banlieue, Juvisy fait alors figure de haut lieu de la géographie dominicaine, au moment même où la province de France achète, non loin de là, le domaine d’Étiolles pour y rapatrier le Saulchoir.
Notes de bas de page
1 Sur ces péripéties, note du père Lavocat Marie-Hugues, « La Maison Lacordaire à Juvisy », 11 p. manuscrites, 4 mars 1986.
2 « Rapport sur l’organisation des œuvres de presse à Juvisy », s. d. [1929 ?], 4 p. dactyl.
3 Statuts de la Société des Éditions du Cerf, 5, rue Petit à Juvisy-sur-Orge, 19 p. imprimées.
4 Lettre au provincial Ducattillon, 29 mai 1957.
5 Décision du père Gillet du 11 juin 1929 et « Règlement pour les revues », s. d., 1 p. imprimée signée du père Louis, son successeur comme provincial de 1929 à 1931.
6 Rapport à l’Assemblée générale du 6 novembre 1931.
7 Dont l’évêque coadjuteur (1926) puis évêque en titre (1931) est Mgr Benjamin-Octave Roland-Gosselin, oncle du professeur de philosophie du Saulchoir Marie-Dominique Roland-Gosselin.
8 « Note sur la Société des Éditions du Cerf d’après les documents trouvés au Saulchoir, les actes de la Société officielle et les renseignements fournis par le P. Bernadot », 23 décembre 1935, 5 p. dactyl. (document établi pour la vente à la municipalité de Juvisy).
9 Rey Jean-Philippe, « L’affaire des fresques de Juvisy. Chapelle dominicaine et iconoclasme épiscopal », Mémoire Dominicaine, n° 8, printemps 1996, p. 163-189.
10 Mollier Jean-Yves, La mise au pas des écrivains. L’impossible mission de l’abbé Bethléem, Paris, Fayard, 2014.
11 Serry Hervé, Naissance de l’intellectuel catholique, Paris, La Découverte, 2004, p. 328-343.
12 65 francs au lieu de 80 (40 pour la seule Vie Intellectuelle, au lieu de 60 pour la revue et ses documents).
13 Crivellin E. Walter, Cattolici francesi e fascismo italiano, La Vie Intellectuelle (1928-1939), Milan, Franco Angeli, 1984 ; Delbreil Jean-Claude, La revue La Vie Intellectuelle. Marc Sangnier, le thomisme et le personnalisme (d’après son mémoire de DES inédit, Une revue catholique de l’entre-deux-guerres : La Vie Intellectuelle 1928-1940 en face des problèmes de son temps, université Paris X-Nanterre, 1965). Le second est à utiliser avec précaution, car il comporte des erreurs factuelles.
14 « La pensée catholique en face des exigences du xxe siècle », La Vie Intellectuelle (désormais VI), avril 1929, p. 624-625.
15 « La fondation et les débuts de La Vie Intellectuelle (1928-1929). Contribution à l’histoire du catholicisme intransigeant », Archives de Sciences Sociales des Religions, 42, 1976, p. 57-96 (citation, p. 65) ; article tiré d’un mémoire inédit, Une critique intransigeante de la modernité : la fondation et les débuts de la revue catholique La Vie Intellectuelle (1928-1929), École des hautes études en sciences sociales, 1975.
16 Lettre à Maritain du 6 décembre 1929.
17 Lettre à Maritain de l’abbé Journet, qui l’a vu à Rome, Journet Maritain, Correspondance, volume I, 10 septembre 1929, p. 712.
18 Chenaux Philippe, « Le P. Bernadot, la Revue thomiste et la crise de l’Action française (1925- 1928) », Saint-Thomas au xxe siècle, Paris, Éditions Saint-Paul, 1994, p. 109-120.
19 Le 1er septembre 1928, Bernadot remercie le nouveau provincial Romain Bonhomme d’avoir accepté le principe d’une collaboration, offerte le 22 août, ADT.
20 Lettre du 20 décembre, Jacques Maritain-Yves Simon, Correspondance, t. 1 : Les années françaises (1927-1940), édition établie et annotée par Florian Michel, Paris, CLD Éditions, 2008, p. 162.
21 Comme toutes les lettres au philosophe citées, celles de Lajeunie sont dans le fonds Maritain de Strasbourg.
22 « Les Documents de La Vie Intellectuelle », s. d. [1929 ?], 3 p. dactyl. ; voir aussi le Courrier de La Vie Spirituelle, octobre 1928, p. viii-ix.
23 « Notre programme », 20 octobre 1929.
24 « Jugements sur Bergson », 20 janvier, 20 février, 20 juin 1930
25 Les éditeurs de sa correspondance avec Journet signalent, dans une note à sa lettre du 23 février 1930, qu’il a remis le 19 au cardinal Verdier, à la demande de celui-ci, un rapport sur les positions de Le Roy, Journet Maritain, Correspondance, vol. II, 1930-1939, p. 43.
26 Lettre de Journet à Maritain du 22 février 1929, Correspondance, vol. I, p. 674.
27 « Pour ménager mon foie je ne lis jamais rien de ce qui sort de Juvisy », écrit-il à Journet le 26 mars 1932, Journet Maritain Correspondance, vol. II, p. 217.
28 « Comme tous les grands nerveux, il passait par des périodes de dépression qui succédaient à l’enthousiasme le plus dynamique », « La physionomie spirituelle du Père Bernadot », VS, numéro du 25e anniversaire, [novembre] 1944, p. 226 ; le père Boisselot est moins sûr de la qualification de sa maladie dans ses « Notes sur l’histoire du Cerf ».
29 Lettre du 19 juin, Correspondance, vol. II, p. 73.
30 Avril pour la première et Faidherbe pour les seconds, d’après la lettre de Hyacinthe Dondaine, assigné un an à Juvisy, au provincial Padé, 17 juillet 1932.
31 « Souvenirs de l’autre temps », VI, août-septembre 1956, p. 102-103.
32 « Le sens et les leçons d’une crise religieuse », VI, 10 décembre, p. 356-380.
33 Duclos Paul, « L’abbé Louis (sic) Beaudou correspondant privilégié d’Henri Bremond », Bulletin de Littérature Ecclésiastique, XC/2, 1989, p. 113-124.
34 Lettre de Maritain à Journet du 6 mars 1930, Journet Maritain, Correspondance, vol. II, p. 45.
35 Page 290-301.
36 « Le Père Bernadot », Informations Catholiques Internationales, 1er juillet 1961, p. 19.
37 « Il faut absolument que demain je prépare un rapport sur l’école unique qui m’a été demandé par l’archevêché pour lundi », lettre de Bernadot à Maritain, 13 avril 1930.
38 Lettre de Journet à Maritain du 22 février 1932, Correspondance, vol. II, p. 207.
39 Padé, du fait d’un lapsus, a écrit La Vie Spirituelle.
40 Rapport n° 20080, copie dans les Archives de la Congrégation pour la doctrine de la foi, ACDF, Rerum variarum 1932/32, Prot. n. 1463/1932, Pièce 13.
41 Lettre de Journet à Maritain, du 14 juin 1932, Correspondance, vol. II, p. 241-242.
42 Lettre du 6 avril 1931.
43 Correspondance, vol. II, p. 256 et 264.
44 Le père Boisselot confirme l’intervention de Mgr Maglione en faveur de Bernadot, accompagnée de pleins pouvoirs pour modifier son équipe et y incorporer qui il veut (« Notes sur l’histoire du Cerf »).
45 Lettre à Maritain du 30 septembre 1932.
46 « La direction de la revue », texte dans lequel le passage cité est entièrement souligné ; il est repris par François Refoulé dans « Les Éditions du Cerf, cinquante ans de combats », Mémoire Dominicaine, n° 5, automne 1994, p. 148-149.
47 « À nos amis », VI, 10 octobre 1932, p. III.
48 Bernadot Marie-Vincent, « L’insulte au pape », 10 octobre 1932, p. 32-34.
49 20 octobre (citation) et 17 novembre.
50 Lettre du 5 septembre 1932.
51 Le séjour de Dondaine à Juvisy n’est pas prolongé.
52 Lettres d’Avril du 23 juillet, de Padé du 26 et d’Avril du 27, où il reconnaît avoir eu « la tentation de lâcher pied ».
53 Lettre de celui-ci après son décès, 17 septembre 1964.
54 Il a rédigé après sa première éviction de la direction du Cerf, en 1943, une chronique acérée des déboires de la maison, qui encense Bernadot et démolit Maydieu (trois cahiers manuscrits et de multiples versions dactylographiées), sans titre ni date, qui ne sont pas un journal, contrairement à ce qui est indiqué sur les cartons les contenant, et que nous avons baptisé « Notes sur l’histoire du Cerf ».
55 Jean-Augustin Maydieu, actes des colloques réunis par Gaillardon David, Mémoire Dominicaine, numéro spécial II, 1998.
56 Fourcade Michel, « Le Révérend Père Maydieu et La Vie Intellectuelle à la charnière de deux thomismes », ibid., p. 155-177.
57 « À nos amis », VI, 10 octobre 1932, p. ii-iii.
58 Ils comptent 3 000 abonnés environ, contre 4 831 à la revue (septembre 1931).
59 « Les tentations de Christianus », VI, 10 décembre 1934, p. 178-180.
60 Précisions dans la lettre de Solages à Bernadot du 11 novembre 1932.
61 69 en tout : 40 d’octobre 1932 à septembre 1936 (publiés sous le titre Le Christianisme dans la vie publique, en 1937 chez l’éditeur jésuite Spes et non au Cerf…) ; 29 d’octobre 1936 à février 1940 (Billets de Christianus, Paris, Spes, 1948).
62 « La gangue », VI, 10 octobre 1932, p. 6-9.
63 Civis, « Méthodes d’opposition », VI, 10 février 1933, p. 398-400 (citation, p. 400).
64 Christianus, « Appel à l’autorité », VI, 10 mai 1933, p. 370-372 (citation, p. 372).
65 « De deux façons d’aimer la paix » (important article anonyme), VI, février 1932, p. 246-274.
66 Christianus, « Liquider le nationalisme », VI, 25 décembre 1932, p. 370-373, billet du père Avril, qui a suscité de vives réactions.
67 « Patriotisme et nationalisme », VI, 25 janvier 1933, p. 283-300.
68 Christianus, « Totalitaire », VI, 10 février 1935, p. 354-356.
69 Christianus, « Rendez à César… », VI, 25 avril 1933, p. 178-180.
70 Un courant de la pensée catholique. L’hebdomadaire « Sept » (mars 1934-août 1937), Paris, Cerf, Collection Rencontres, 61, 1961 ; réédition, Sept, un journal, un combat, Paris, Éditions Cana, 1982.
71 Boisselot estime d’ailleurs que ses premiers numéros de Sept « furent lamentables » techniquement (« Notes sur l’histoire du Cerf »).
72 Pourquoi le Journal Sept a été supprimé, brochure anonyme rédigée en 1937 dans le milieu du Cerf, p. 3.
73 Note non datée, citée par Coutrot Aline, op. cit., p. 26-27.
74 Boisselot, « Notes sur l’histoire du Cerf ».
75 Lettre de Padé à Gillet du 5 février 1934, copie.
76 Numéro du 3 mars 1934.
77 Francisque Gay envoie à 150 personnalités un compte rendu que conteste le père Bernadot (« La Vie Catholique et Sept », 4 p. imprimées signées Les Éditions du Cerf) ; Cadiot Jean-Michel, Francisque Gay et les démocrates d’inspiration chrétienne, 1885-1963, Paris, Salvator, 2006, p. 196-198.
78 Témoignages émus de Maydieu dans l’introduction de son petit livre, Les Béatitudes, Lyon, Éditions de l’Abeille, 1943, p. 5-13 ; et du père Louvel, premier entretien inédit pour le cinquantenaire du Cerf, 8 mars 1979, p. 3-4 (carton Louvel).
79 Orateurs : Joseph Folliet, le jociste Paul Hibout, l’ingénieur social Georges Lamirand, l’apôtre du corporatisme Paul Chanson, le syndicaliste chrétien Marcel Poimbœuf et le provincial dominicain Jourdain Padé.
80 Lettre citée au père Gillet du 5 février 1934.
81 Refoulé François, « Le père François Louvel », VS, novembre 1992, p. 664.
82 Boisselot, « Notes sur l’histoire du Cerf ».
83 Chantin Jean-Pierre « Chéry Charles », Dictionnaire biographique des frères prêcheurs [http://dominicains.revues.org].
84 « Note sur la situation actuelle et les perspectives d’avenir de l’œuvre de Juvisy », s. d. [1935], p. 8 ; et « Notes sur l’histoire du Cerf », I, p. 56.
85 Sur le rôle de Folliet à Sept, on peut utiliser, avec précaution, la biographie de Deléry Antoine, Joseph Folliet, Paris, Cerf, 2003, p. 153-202.
86 Boisselot, « Notes sur l’histoire du Cerf ».
87 Ibid.
88 « Une œuvre dominicaine : Juvisy », cité par Coutrot Aline, op. cit., p. 37.
89 Texte non daté cité par della Sudda Magali, « La suppression de l’hebdomadaire dominicain Sept », Vingtième siècle. Revue d’histoire, octobre-décembre 2009, p. 33-34.
90 P. B., « “L’Action française” et l’Église catholique », VI, 10 juin 1934, p. 212-215 (citation, p. 215) ; article repris dans La Croix du 20 juin et signalé avec faveur dans L’Osservatore Romano du 29.
91 Si le premier entretien est mené de façon anonyme, le second est conduit par un des rédacteurs du programme du Partis Social Français, Michel P. Hamelet (Nobécourt Jacques, Le colonel de la Rocque, 1885-1946 ou les pièges du nationalisme chrétien, Paris, Fayard, 1996, p. 347).
92 Sept, 9 juin 1934.
93 Sept, 21 juillet 1934 ; Boisselot, « Notes sur l’histoire du Cerf ».
94 Gilson Étienne, Pour un ordre catholique, Paris, Éditions du Cerf, 1934.
95 Sept, 12 et 26 avril 1935 ; Humanisme intégral, Paris, Aubier, 1936, p. 311-326 (annexe, « Structure de l’action »).
96 Les pièces de ces débats sont fournies par René Rémond dans Les crises du catholicisme en France dans les années 1930, Paris, Seuil, Points-Histoire 227, 1996, p. 71-79.
97 Liste fournie par Coutrot Aline, p. 251.
98 Lettre au pape du 15 septembre 1935, et « Note sur la situation actuelle et les perspectives d’avenir de l’œuvre de Juvisy » pour le chapitre d’octobre, 13 pages dactyl., s. d. (dont le père Boisselot revendique la paternité, avec la collaboration du père Louis-Bertrand Geiger, à Juvisy en 1934-1935), dans ses « Notes sur l’histoire du Cerf ».
99 « Ça usinait », témoigne le père Louvel, premier entretien inédit pour le cinquantenaire du Cerf, 8 mars 1979, p. 27 ; « il fallait toujours fonder une petite revue », ibid., p. 29 (carton Louvel).
100 « Notes sur l’histoire du Cerf ».
101 Note citée pour le chapitre, p. 10.
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