Joseph Vernet, la mer et les femmes
p. 247-254
Texte intégral
« Jupiter appelle cela gouverner, et il a tort. Vernet appelle cela faire des tableaux, et il a raison1. »
« Nous avons ici depuis quelques semaines M. Vernet, de l’Académie de peinture, qui est chargé par le Roi de lever la vue perspective de notre port, comme il a déjà fait ceux de Marseille, Toulon et Bordeaux ; il se propose de faire deux tableaux. Selon ce que nous comprenons, rien ne lui échappera : circonstances particulières du lieu, des habitants, du commerce, navires, etc., qui feront voir le port à Paris, mieux que nous ne le voyons peut-être nous-mêmes2. »
1Cette lettre est adressée par le maire de Bayonne, Jean Desbiey, le 1er septembre 1759, à M. Dulivier, député à Paris. Il s’agit probablement de Léon Dulivier, connu pour sa riche bibliothèque, dont les titres concernaient surtout l’histoire et la géographie. Dulivier répond à Desbiey, le 30 octobre de la même année :
« Un génie aussi heureux et une main aussi habile annoncent au-delà de ce qu’on peut désirer […] ; M. Vernet étant dans l’usage d’orner ses tableaux des usages un peu remarquables propres à chaque pays, je suis persuadé qu’il ne le négligera pas dans le nôtre, qui fournit assez dans ce genre. Je me représente à ce propos nos tilloliers3, nos chalantiers4, nos bondaizes5, nos alarribas6, etc. Les ouvrages dans ce genre de M. Vernet ont été admirés de tous au dernier Salon, et je suis bien sûr que les vues de Bayonne ne seront pas moins admirées au prochain7. »
2Effectivement, pas plus à Bayonne qu’à Antibes, Toulon ou Marseille, Vernet ne dérogera à cette représentation « des usages un peu remarquables ». En revanche, exposées au Salon de 1761, les deux vues de Bayonne déçoivent Denis Diderot (1713-1784) :
« Les deux Vues de Bayonne que M. Vernet a données cette année sont belles, mais il s’en manque beaucoup qu’elles intéressent et qu’elles attirent autant que ses compositions précédentes. Cela tient au moment du jour qu’il a choisi. La chute du jour a rembruni et obscurci tous les objets. Il y a toujours un grand travail, une grande variété, beaucoup de talent ; mais on dirait volontiers en les regardant : “À demain, lorsque le soleil sera levé”8. »
Peintre des marines du roi
3Revenons à l’origine de ces tableaux. En septembre 1753, le marquis de Marigny (1727-1781), surintendant des bâtiments, propose au Roi que le peintre Joseph Vernet (1715-1789) soit « honoré du titre de Peintre des marines9 ». Louis XV accepte. Vernet est le second artiste à bénéficier du titre officiel de peintre des marines. Il existe un précédent, mais qui remonte à plus d’un siècle. En 1648, le peintre flamand Matthieu van Plattenberg (v. 1608-1660) aurait été nommé Peintre du Roi pour les mers. Mais il ne semble pas avoir subsisté de marines de cet artiste dans les collections royales. Le titre de peintre des marines disparaîtra avec Vernet.
4Fait nouveau, le titre est assorti d’une commande précise. Vernet devra peindre les ports de France en vingt-quatre tableaux, de Monaco à Dunkerque. Ce projet est probablement né quelques années plus tôt. Devenue maîtresse officielle de Louis XV, en 1745, Mme de Pompadour (1721-1764) envisage de faire nommer son frère, le marquis de Vandières, futur marquis de Marigny, à la direction des bâtiments du Roi. Elle envoie le jeune homme acquérir à Rome les connaissances nécessaires pour servir dignement le souverain. Vandières est accompagné de Jacques-Germain Soufflot (1713-1780), l’architecte du futur Panthéon, du graveur Charles-Nicolas Cochin (1715-1790), un ami de Diderot, qui gravera le frontispice de l’Encyclopédie et la série des ports de France de Vernet, et de l’abbé Jean-Bernard Leblanc (1707-1781), historiographe des bâtiments du roi. Ces trois hommes sont des ennemis déclarés du style « extravaguant », c’est-à-dire rocaille, qui règne alors. Ils ne jurent, selon les termes de Cochin, que par la sagesse simple des Anciens. Vandières et ses mentors séjournent près de deux ans en Italie. À Rome, en 1750, ils rendent visite à Vernet, dont le talent répond aux aspirations nouvelles de ces hommes éclairés.
Formation
5Vernet a reçu une formation assez originale. Né en Avignon, il a d’abord bénéficié des leçons de son père, peintre local, puis de deux autres peintres dont on peut se demander s’ils n’étaient plus artisans qu’artistes. Vernet bénéficie du patronage de Joseph de Seytres, marquis de Caumont (1648-1745), un érudit collectionneur qui s’intéresse autant aux sciences naturelles, qu’aux beaux-arts et à l’archéologie et qui, en 1734, envoie le jeune peintre à Rome. Muni de lettres d’introduction, Vernet tente d’entrer à l’Académie de France. Le directeur, Nicolas Vleughels (1668-1737), refuse. Vernet étant peintre de marines, il doit étudier « sur les ports de mer10 ». Cet état d’esprit est dans l’air du temps. Le théoricien vénitien Francesco Algarotti (1712-1764), parlera de la « Nature, mère première et maîtresse souveraine de chaque œuvre d’art11 ». Le conseil sera salutaire. Cette étude de la nature se combine avec l’influence de différents mouvements picturaux représentés à Rome. Des peintres néerlandais, installés en Italie, tentent de réaliser une synthèse entre deux approches du paysage, l’une idéale, l’autre objective. Ceci donne naissance à la veduta. Ces représentations urbaines ont un aspect descriptif, nettement topographique mais, selon le goût de l’époque, elles unissent l’art et la nature. Une autre source d’inspiration, pour Vernet, est le Lorrain (v. 1600-1682). La mémoire et l’œuvre du paysagiste sont encore très présents, à Rome. Vernet mêle ces différentes influences en un tout harmonieux. Contrairement à beaucoup d’autres paysagistes, Vernet ne néglige pas les figures. Celles-ci ne sont pas simplement des silhouettes destinées à animer le paysage. Elles participent à une histoire, ce qui enchante Diderot : « Et cette scène touchante, comme elle est éclairée12. » Et le fait pleurer : « Défendez-vous de la douleur de son mari, si vous le pouvez13. »
6Lors de son séjour à Rome, Vandières a peut-être vu La Vigne Pamphili et La Vigne Ludovisi (1749, Moscou, musée Pouckine), ainsi que Joutes sur le Tibre (1750, Londres, National Gallery), tableaux dans lesquels Vernet a représenté de nombreuses figures, sans doute identifiables par les contemporains. Cette aptitude entre parfaitement dans les projets du futur surintendant des bâtiments. Pour l’heure, la peinture de Vernet séduit les Britanniques qui font le « Grand Tour », et qui apprécient tant les vedute que les tableaux du Lorrain. Selon Pierre-Jean Mariette (1694-1774), Vernet eut à Rome « une si grande vogue, surtout de la part des Anglois, qu’il ne pouvoit pas suffire à la quantité d’ouvrages qui lui etoient ordonnés14 ».
La commande royale
7Vandières prend ses fonctions de surintendant en 1751, mais il ne parvient pas à faire revenir Vernet en France. Toutefois, au printemps 1753, Vernet se voit contraint de quitter l’Italie, à la suite de difficultés rencontrées par son beau-père, un Irlandais catholique, ancien capitaine de la marine papale, avec l’Inquisition. La famille Vernet s’installe à Marseille. Au cours de l’été, Vernet est appelé à Paris, où il est reçu au nombre des académiciens. La commande des vues des ports est passée à l’automne. Muni de laissez-passer – les ports sont considérés comme des lieux stratégiques, n’y dessine pas qui veut – Vernet commence une vie itinérante. Au cours des onze années qui vont suivre, il livrera deux vues du port de Marseille (1754), trois du port de Toulon (1755 et 1756), une de la madrague du golfe de Bandol (1755), une d’Antibes (1756), une de Sète (1757), deux de Bordeaux (1758 et 1759) et deux de Bayonne (1760), une de La Rochelle (1762) et une de Rochefort (1762), et enfin, une de Dieppe (1765). L’itinéraire a été soigneusement préparé par le premier commis de la marine, Joseph Pellerin (1684-1783), et validé par Marigny. Le commanditaire laisse peu de latitude au peintre, en dehors de son savoir-faire. Ainsi, à Antibes, Vernet devra représenter des galères, des tartanes et des felouques15. La correspondance du maire de Bayonne avec le député montre que, pour ce qui concerne certains détails, les décisions peuvent être collégiales. Desbiey à Dulivier, 6 novembre 1759 : « M. Vernet continue à travailler ; rien ne lui échappe. Il avoit déjà ébauché une partie des choses dont vous me parlez, et nous lui rappellerons les autres16. » Dulivier à Desbiey, 17 novembre : « Après avoir terminé la lettre relative à quelques circonstances particulières, je rappelai que j’avois oublié les pegas (cruches) et celles qui les portent sur le pont Saint-Esprit… » Desbiey à Dulivier, 27 novembre : « M. Vernet continue son travail, Nous ne doutons pas que les pegas et les têtes bergères qui les portent n’y trouvent leur place, puisqu’elles ont déjà fixé son attention. » Dulivier à Desbiey, 11 décembre : « Je pense comme vous, Messieurs, que M. Vernet n’oubliera rien d’intéressant dans l’ordre des usages locaux, et je me fais un plaisir d’avance de voir ses tableaux sous les yeux de la cour et de la ville ; cela ne pourra faire qu’un bon effet. » Les édiles de chaque ville ne sont peut-être pas aussi vigilants que ceux de Bayonne. Néanmoins, on peut supposer que Vernet et son commanditaire se sont évertués à proposer un résumé des activités de chaque port. Les marchandises et les personnages représentés sur la vue intérieure du port de Marseille, par exemple, sont cohérents avec les informations fournies par les archives de ce port à cette époque.
8Dulivier espère que Vernet « rendra sensible combien la ville de Bayonne, qui est à la porte de l’Espagne, est faite pour le plus grand commerce17 ». Ces tableaux sont destinés au Roi, et à la cour. Ils doivent aider à infléchir certaines décisions royales. Ils doivent aussi montrer combien les ports de France sont florissants, grâce à la sage administration d’hommes souvent choisis par la marquise de Pompadour. Ces hauts fonctionnaires, Vernet les montre, passant sur le port afin de s’assurer des effets positifs d’une gestion de père de famille. On les identifie facilement, à leur allure très digne et aux décorations qu’ils arborent. Ils sont généralement accompagnés de leur femme, ou de leur fille. Chaque quai devient une sorte de théâtre, sur la scène duquel des hommes et des femmes rappellent leur existence à une cour volontiers oublieuse. C’est une réalité à laquelle Vernet est sensible, lui qui se trouve contraint de vivre loin de Paris. Les dimensions importantes des tableaux – 1,65 × 2,63 m – facilitent cette mise en scène.
La femme sur les ports de France
9Vernet rappelle que, partout, on travaille à l’enrichissement de la France. Divers métiers se côtoient : peseur et armateur à Marseille, avitailleur à Toulon, portefaix à Marseille et à Toulon, pêcheurs à Dieppe et à Bandol, colporteur à Dieppe, scieurs de long à La Rochelle, cordiers à Rochefort, serviteurs à Toulon… Les femmes sont omniprésentes, même dans l’arsenal de Toulon, à proximité des forçats. Les Dieppoises reviennent de la pêche à pied. À Bayonne, des femmes étendent des draps. À Marseille, elles vendent des fruits et des légumes. Elles cueillent figues et oranges à Antibes et des fleurs à Bordeaux ; ces activités de cueillette sont proprement un travail, et non un divertissement. À Marseille et à Rochefort, des porteuses d’eau proposent leur service. Une servante accompagne sa maîtresse qui fait son marché sur le quai de Dieppe. La femme joue donc un rôle important dans l’économie générale des ports. Elle assume même un rôle égal à celui des hommes, à Dieppe, où deux d’entre elles portent à l’aide d’un brancard un chargement de poissons, et à Toulon, où une servante aide un homme à porter un panier de vaisselle, manifestement très lourd. Les femmes se divertissent également. À Marseille, elles dansent avec les hommes, au son de la musique du tambourinaire. Mais les jeux, de boules à Toulon, et de quilles à Bayonne, restent réservés aux hommes.
10Les costumes régionaux sont encore peu caractérisés, sinon pour les pêcheurs dieppois. Quant aux femmes, c’est uniquement par les différents types de coiffes, mouchoirs et chapeaux, qu’elles se distinguent d’une ville à l’autre.
11Les dames, bourgeoises ou aristocrates, ne boudent pas les ports, bien au contraire. Les quais semblent un lieu de promenade recherché. Les promeneuses sont vêtues au goût du jour, avec perles, dentelles, ombrelles et éventails. Elles portent mouches et sont accompagnées de bichons ou de levrettes. Partout où il y a des dames, on pratique l’art de la conversation. À Marseille, la femme qui accompagne l’intendant se voit présenter par un abbé du tabac à priser dans une élégante tabatière. Curieuses, au sens positif du siècle des Lumières, ces dames se font présenter le port et ses activités. À Bandol, elles assistent à la pêche au thon. L’une des dames qui observent la mise à mort des thons, défaille, effet du mal de mer ou de la violence de la scène ? Le xviiie siècle est sensible. Cette sensibilité n’est pas réservée aux femmes. Diderot pleure d’émotion devant un naufrage peint par Vernet18.
12Vernet montre un moment d’équilibre social, qu’il illustre dans la vue d’Antibes, où une femme du peuple offre une branche de fleurs d’oranger à une dame.
13Il est une peinture de cette série dont la femme est absente. À Sète, Vernet représente un navire entrant au port, et dans une situation difficile. Sur les navires, et pour longtemps encore, les femmes n’ont pas leur place. Jeanne Baret (1740-1807) le sait, qui, au même moment, accompagne l’expédition de Bougainville (1766-1769) sous un déguisement de valet. Reconnue pour être une femme, elle sera complaisamment débarquée à l’Île de France avec son amant, le botaniste Philibert Commerson (1727-1773). Les femmes peuvent malgré tout voyager sur des bateaux de commerce. Vernet peint sur le quai de Marseille des Levantines, dont l’une tient un précieux éventail. Preuve que les femmes du Proche-Orient ne sont pas toutes cloîtrées dans le harem.
Baigneuses et lavandières
14À Bordeaux, en 1758, les soldats arment un canon pour se défendre d’une éventuelle incursion de la flotte anglaise. À Rochefort, en 1762, l’on vient d’armer en guerre neuf vaisseaux et deux frégates. La guerre de Sept Ans (1756-1763), avec ses effets désastreux sur la marine française, va contribuer à mettre un terme à la série des vues des ports de France. Vernet avait ordre de représenter, à Bayonne, un navire corsaire rentrant au port avec sa prise. La tournure des événements lui fait abandonner ce sujet. À La Rochelle, il trouve le port abandonné, étouffé par le blocus de la Navy britannique.
15Le trésor royal pâtit du conflit. Il devient difficile, pour Marigny, de continuer à payer – fort cher : six mille francs par tableau – une œuvre vouée à mettre en lumière les bienfaits de la politique menée par les hommes nommés par la marquise de Pompadour, et notamment par le duc de Choiseul (1719- 1785), ministre de la Guerre et de la Marine. La brusque disparition de la favorite, le 15 avril 1764, ne facilite pas la tâche de Marigny, ni de Choiseul, même si le premier conservera la direction des bâtiments jusqu’à l’avènement de Louis XVI, et le second ne sera écarté qu’en 1770. Lorsque Choiseul demande à Louis XV des crédits au bénéfice d’une « marine qui opérera le salut du royaume », le Roi lui répond : « Vous êtes aussi fou que vos prédécesseurs : ils m’ont tous dit qu’ils voulaient une marine : il n’y aura jamais en France d’autre marine que celle du peintre Vernet19. »
16Las de mener une vie itinérante, Vernet aspire à s’installer à Paris pour se consacrer aux très nombreuses commandes d’amateurs privés. Selon Mariette, « ce fut alors qui auroit de ses ouvrages. Il ne sçavoit auquel entendre. Il en força le prix, et il eut la satisfaction, que peu de ses confrères ont eu, de voir revendre ses tableaux des prix énormes20 ».
17Vernet revient aux œuvres d’imagination, qu’il n’a jamais complètement abandonnées. La femme ne quitte pas la scène, mais son registre évolue. Ou plus exactement, se restreint à une image conventionnelle : lavandières et baigneuses meublent désormais les premiers plans. Vernet adopte, avec une grande retenue, le registre léger, qui a fait le succès de François Boucher (1703-1770) et de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806). Dans les représentations de tempêtes, il se rapproche d’un autre peintre aimé de Diderot : Jean-Baptiste Greuze (1725-1805). Ici, la femme devient victime, morte ou pâmée. Ces représentations morbides font les délices d’une société qui recherche émotion et pathétique. D’autant que ces images ne sont pas dénuées de sensualité : « Une mère pleure sur son enfant noyé ; cependant le vent applique ses vêtements contre son corps et vous en fait discerner les formes21. »
Héroïnes de papier
18À deux reprises, Vernet donne une représentation de l’héroïne d’inspiration littéraire. Le peintre est familier du salon de Mme Geoffrin (1699- 1777), laquelle lui commande un tableau inspiré par La Bergère des Alpes. Diderot n’apprécie guère cette « pastorale en trois actes et en vers, mêlée de chants » écrite par Jean-François Marmontel (1723-1799) : « Il y a du charme, du style, des grâces, de la couleur, de la vitesse, de la chaleur, du pathétique ; beaucoup d’idées et de talent ; mais peu de vérité et point de génie22. » Et lorsque Vernet expose le tableau, au Salon de 1763 (Tours, musée des Beaux-Arts), Diderot conclut : « Je ne trouve ni le conte ni le tableau bien merveilleux. Les deux figures du peintre n’arrêtent ni n’intéressent23. » Le critique se montre sévère, car le paysage de montagne est grandiose. Mais il ne trouve pas dans ces bergers de convention – qui évoquent les porcelaines de Meissen et les futures bergeries de Marie-Antoinette – cette « vérité » des personnages des ports de France.
19Au Salon de 1789, Joseph Vernet expose La mort de Virginie (Saint Petersbourg, musée de l’Ermitage). Paul et Virginie, de Jacques Henri Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814), avait été publié deux ans plus tôt. La légende veut que, déçu par la réception qui avait été faite de son récit, lu dans le salon de Mme Necker (1737-1794), l’écrivain ait jeté le manuscrit au feu, et que Vernet l’ait sauvé. Réalité ou légende, il est certain que Vernet apprécie le roman, puisqu’il en demande une douzaine d’exemplaires à son auteur. Le peintre illustre le dénouement tragique de cette pastorale située dans l’île de la Réunion. Bernardin de Saint-Pierre s’inspira d’un fait réel. Mais ce fut le commandant du Saint-Géran, et non Virginie la bien nommée, qui refusa de se déshabiller pour échapper à la noyade. Tandis qu’il travaille à ce tableau, Vernet s’assure auprès de Bernardin de Saint-Pierre que la représentation est bien conforme à l’esprit du récit. Et, en effet, rien ne manque, pas plus les cages à poules du navire, rejetées sur la plage, que le médaillon de Paul dans la main du cadavre. Le mélange de vertu, de sublime et de funèbre est dans le goût de l’époque. À ce même Salon, Jacques-Louis David (1748-1825) présente Les licteurs rapportant à Brutus les corps de ses ffls (Paris, musée du Louvre). Si le tableau de David préfigure l’ordre révolutionnaire, La Mort de Virginie annonce le naufrage d’un monde emporté par la tempête. Il faudra attendre dix ans pour que, avec Les Sabines (1799, Paris, musée du Louvre), de David, les femmes commencent à revenir sur le devant de la scène.
Notes de bas de page
1 Diderot D., Œuvres esthétiques, Paris, Garnier Frères, 1965, p. 570.
2 Lagrange L., Les Vernet, Joseph Vernet et la peinture au xviiie siècle, Paris, 1864, p. 461.
3 La tillole est une embarcation propre à l’Adour.
4 Bateliers.
5 Marchands de beurre.
6 Marchandes de poisson frais.
7 Lagrange L., op. cit., p. 461-462.
8 Diderot D., op. cit., p. 561-562.
9 Archives Nationales (AN), Maison du Roi O1 1196. Journaux des renvois et décisions, 1753, f° 98.
10 Montaiglon A. de et Guiffrey J., Correspondance des Directeurs de l’Académie de France à Rome avec le Surintendants des Bâtiments, 1887-1912, IX, p. 136.
11 Algarotti F., Saggio del Conte Algarotti sull’Architettura e sulla Pittura, 1756, p. 17.
12 Diderot D., op. cit., p. 572.
13 Ibid.
14 Abecedario, 1859-1860, t. 6, p. 50.
15 Ingersoll-Smouse F., Joseph Vernet, peintre de marine (1714-1789). Étude critique suivie d’un catalogue raisonné de son œuvre peint, Paris, 1926, vol. 1, p. 23.
16 Lagrange L., op. cit., p. 461.
17 Ibid., p. 462.
18 Diderot D., op. cit., p. 572.
19 Exposition Joseph Vernet, Paris, musée de la Marine, 1976-1977, p. 4.
20 Abecedario, op. cit., p. 51.
21 Diderot D., op. cit., p. 563.
22 Diderot D., Correspondance, II, 1956, p. 257.
23 Diderot D., Œuvres esthétiques, op. cit., p. 566.
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