La vie fragile des femmes de marins en Provence au xviiie siècle
p. 27-43
Texte intégral
1« Sans nouvelles lors de la recherche du mois d’avril. Sa femme le croit mort à Lorient1. » Cette courte phrase, inscrite sur le registre matricule du matelot marseillais Pierre Lieutaud, résume bien la situation des gens de mer. Ainsi, Claire Aubert, ignore toujours, des années après son départ sur les vaisseaux du Roi, ce qu’il est advenu de lui. Derrière le ton sec et formel du matricule, s’exprime la situation tragique de l’épouse qui, après des années, attend toujours des nouvelles de son mari ou une preuve de sa mort.
2Les voyages maritimes entraînent l’absence des navigants pour des durées plus ou moins longues. Ces voyages sont la cause de ruptures : d’abord temporaire avec la société, avec l’épouse et les enfants, mais parfois aussi définitive lorsque la mort intervient. Certes, la mort ne frappe pas tous les navigants, mais l’absence liée au métier de marin a une influence sur la taille et le destin des familles des gens de mer2. La part des matelots et officiers-mariniers présents en Provence au xviiie siècle est estimée à environ 10 000. À Marseille, observatoire privilégié – mais pas le seul – les 4300 marins inscrits correspondent à environ 7 % de la population totale, sans compter le terroir. Avec les familles, cette part est comprise entre 15 et 20 % de la population, ce qui n’est pas négligeable3. Les familles de ces marins, à Marseille comme ailleurs, doivent vivre avec les rythmes et ruptures imposées par la mer.
3Si de nombreux travaux sur le rôle des femmes et leur place dans la société ont été menés depuis quelques décennies dans le cadre de l’histoire des femmes, leur rôle au sein des sociétés littorales et maritimes est moins connu. L’histoire maritime n’a en effet encore que peu étudié la place particulière de ces femmes de marins, mis à part pour le littoral Atlantique où l’on peut notamment citer les travaux d’Alain Cabantous sur les familles et l’identité des gens de mer, ceux d’Emmanuelle Charpentier sur la vie quotidienne des femmes de marins sur le littoral de la Bretagne septentrionale4 ou encore ceux de Morgane Vary sur la partie méridionale de cette même province5.
4Dans cette étude qui a pour cadre les rivages provençaux au xviiie siècle et privilégie la vie à terre des navigants, l’attention a été portée sur les familles et notamment les épouses : les comportements, les pratiques et les sensibilités. La mise en place d’une grille de lecture socioculturelle a permis de questionner la façon dont ces femmes de marins organisent et appréhendent leur quotidien et de mieux comprendre ce que signifie « être femme de marin » en Provence au Siècle des lumières.
5Qui sont les « femmes de marins » provençaux ? La femme, sous l’Ancien Régime, est d’abord placée sous la tutelle de son père, puis de son mari. À la mort de son époux, la femme se démarque des autres car le veuvage lui accorde une capacité juridique en même temps qu’une certaine indépendance ou autonomie. La France méridionale demeure aussi marquée par l’héritage du droit romain, fondant la souveraineté du père et affirmant l’importance de la famille sur l’individu6. La dot que la femme apporte à son mariage lui assure un capital et lui offre des garanties. En revanche, elle l’exclut de la succession de ses parents. Certes administrée par le mari, elle est inaliénable. La femme peut la récupérer lors de son veuvage ou si une séparation de corps est prononcée. Il y a là une volonté de protéger la femme, en partant du principe que le mari est le garant et protecteur de ses biens et intérêts7. Les inventaires après décès des navigants provençaux insistent d’ailleurs sur « l’assuration de [la] dot et droits8 » des veuves. Aussi, les Provençaux de toutes conditions n’hésitent pas à recourir au notaire afin de passer divers contrats9. Le contrat de mariage permet de garantir les biens des époux respectifs, mais aussi et surtout ceux de l’épouse.
6Passée cette sécurité d’ordre pécuniaire les femmes doivent faire face à l’absence – plus ou moins longue – du mari parti en mer. Si cette absence garantit à ces dernières une certaine indépendance économique et sociale, on peut néanmoins s’interroger sur les contraintes quotidiennes qu’elle entraîne. Aussi, dans quelle mesure la fragilité des femmes observée par Arlette Farge au sein de la société parisienne du xviiie siècle10 se retrouve-t-elle et avec quelles spécificités, chez les femmes de marins en Provence, à cette époque ?
7Tenter d’apporter des éléments de réponse à ce questionnement, c’est d’abord voir la façon dont s’exprime la détresse de ces femmes et de leur famille, puis observer les stratégies mises en place afin d’assurer la vie quotidienne en l’absence ou à la mort du mari en mer, en se montrant attentif aux dispositifs publics et privés destinés à apporter un certain soutien à ces femmes des rivages.
La détresse des femmes de marins en Provence au xviiie siècle
Précarité et difficultés de la vie quotidienne
8Le vécu des femmes de marins s’exprime à travers le ton froid et formel des documents apportant de précieux renseignements sur ce qu’a pu être leur quotidien. Les préambules des inventaires après décès des marins provençaux sont particulièrement significatifs pour prendre la mesure de ces déchirements familiaux. Ainsi, en 1760, Magdeleine Romier, veuve du matelot Gaspart Tassy fait observer au lieutenant de la sénéchaussée de Marseille :
« Qu’il y a cinq ans que son mari est au service du roy et quelle ne recevoit aucun secours […] que pour les secours elle a été obligée de vendre ce quelle avoit de meilleurs et touttes ses hardes et linges ne luy restant que ce qu’elle a sur le corps a lexception de ce qui est pour le deuil11… »
9La veuve informe de la misère qui la frappe depuis le départ de son mari en mer. Si l’exagération de son propos est possible, elle exprime néanmoins sa détresse, son angoisse mais aussi l’injustice qui la touche puisque selon elle, elle n’a pas reçu les secours qui lui étaient dus par l’État. L’insistance de ces femmes sur le nombre et parfois l’âge ou même le nom des enfants survivants, qui permet à ces dernières de souligner la charge qui est la leur, témoigne également dans une certaine mesure de leur détresse. Soumis au rythme des campagnes en mer qui les éloignent de leur famille pendant de longues périodes, à l’incertitude et aux dangers, les navigants apparaissent comme une catégorie socioprofessionnelle particulièrement instable.
10La démographie des gens de mer est marquée par les contraintes de la vie maritime. On observe une surmortalité masculine des marins entre vingt et quarante ans12. À l’instar du mariage d’Anne Vapuque, brisé en 1728 après six ans de vie commune avec le pilote Ange Marie, les unions matrimoniales sont souvent de brève durée13.
11Le cadre de vie restitué par ces inventaires après décès apparaît dans sa dimension matérielle et figée14. Ces documents n’expriment finalement qu’assez peu les sentiments personnels de ces épouses en l’absence ou à la mort de leur mari, notamment en ce qui concerne la douleur des séparations. Un commis de la marine écrit d’un matelot mort au service en 1783, qu’il « a laissé sa veuve avec trois enfants elle est tres pauvre15 ». S’il est difficile d’approcher les sentiments liés à la séparation et à la mort à travers ces appréciations extérieures, la situation préoccupante de nombre de femmes et familles de marins touchées par la guerre et par la précarité issue de la mer n’en est pas moins ici soulignée.
12Aussi, les rémunérations des navigants et en particulier des matelots sont assez faibles, et plus encore sur les vaisseaux du Roi16. Les soldes sont souvent versées en retard, occasionnant par-là la détresse des familles, comme en témoigne une lettre du commandant la marine à Toulon, écrite au secrétaire d’État : « je ne cesse d’avoir tous les jours nombre de gens qui viennent m’exposer leur misere, […] me demander du pain les larmes aux yeux17 ». Les familles des marins et ouvriers employés à l’arsenal de Toulon et surtout leur femme, expriment leur détresse physiquement et verbalement.
13La navigation en Méditerranée, aux horizons certes moins lointains que pour les marins du Ponant, n’est pas exempte de risques. Les absences sont longues, généralement de plusieurs mois, et répétées, un navigant s’embarquant sur plusieurs navires dans une même année18. Entre 1764 et 1776, période de paix où les hommes ne sont pas mobilisés pour de longues campagnes sur les vaisseaux du Roi, le mari d’Elizabeth Marguerite Laure, le matelot Antoine Brejan, de Marseille, passe près de 75 % de son temps en mer19. Antoine Jausserau, époux de Madeleine Ambard, y passe, entre la fin 1764 et la fin 1773, 61 % de son temps. La consultation de son matricule nous apprend par ailleurs qu’il est bien à Marseille entre le 2 avril 1769 et le 19 août 1769, moment où il épouse sa femme (le 25 avril 1769) mais qu’il est en revanche absent, embarqué sur un navire à destination de la Barbarie, du 29 janvier au 8 mai 1771, alors que sa fille, Marie Madeleine Antoine Jausserau, est née le 11 février20. Il aura donc été absent pendant la majeure partie de la grossesse de sa femme. Ainsi que le montrent les registres paroissiaux, chez les gens de mer, l’absence du père est fréquente lors des baptêmes des enfants. Il arrive aussi que des hommes partis en mer depuis de longues années et supposés morts, reviennent vers leur épouse des années plus tard. C’est ce qui arrive à Catherine Rose Arnaud, épouse du matelot Jérôme Deperet qui, plusieurs années après le départ de son mari le croit mort et songe à se remarier. C’est alors que son mari revient à Marseille21. L’existence de ces femmes est ainsi marquée par une grande incertitude.
Des femmes particulièrement exposées
14Ces femmes vivent en effet pleinement la précarité économique et sociale de leur mari et sont particulièrement exposées aux soupçons. Dans une société où la vie commune est la règle, ces femmes de marins sont constamment surveillées par leur famille et voisins. Les procédures criminelles de la sénéchaussée de Marseille témoignent de cette vie placée sous le regard permanent des autres22. La répartition des témoins, hommes et femmes, selon les conflits, montre une grande proximité entre eux puisqu’ils habitent dans le même quartier, voire la même rue ou maison. C’est le cas des témoins du conflit qui oppose Françoise Blanche Penelon, veuve du tonnelier Antoine Guignes, au patron de barque de La Ciotat André Allegre, en janvier 1758 : ils indiquent habiter « a la maison de Gros rue de la charité », perpendiculaire à la rue du Puits du denier où habite la veuve, à Marseille. L’épouse du matelot Jean Gros dit d’ailleurs : « Qu’il y a environ une année quelle voit que le nomé Allegre vit avec la nomée Penellon tout comme sil etoient mariés ensemble layant meme veu malade couché dans le lit de ladite Penelon… » Les témoins signalent qu’elle vit en concubinage avec le patron Allegre et ce, au « su et vu » de tous dans le quartier. Les voisins exercent ici un véritable contrôle moral et social sur la veuve, accusée de mener une vie dissolue. La veuve Penelon s’en défend et insiste au contraire sur le tragique de sa situation : seule depuis la mort de son mari, elle a été abusée par cet homme qui l’aurait séduite en échange d’une promesse de mariage. Au-delà de la stratégie de défense utilisée par la femme, qui met en avant les difficultés de son existence, et celle de l’homme accusé qui prétend au contraire avoir succombé à une femme aux mœurs légères, on peut voir que c’est avant tout la réputation et l’intégration au sein du quartier qui garantit la tranquillité de ces femmes23.
15Dans la société d’Ancien Régime où les rapports entre les individus sont très codifiés et reposent sur la réputation, la perte de l’honneur peut avoir de lourdes conséquences économiques24. Ces femmes sont constamment scrutées et jugées par leurs voisins qui édictent la norme à respecter pour garantir un bon ordre social. Faire publiquement surgir le scandale est d’autant plus grave dans le cas d’une femme garante de l’honneur de sa famille. À Marseille où l’habitat des gens de mer est fortement concentré au sein de la vieille ville25, l’intimité apparaît comme étant totalement absente et les relations sont caractérisées par une grande proximité entre les individus.
16Aussi, le discrédit jeté sur ces femmes seules est fréquent. On le retrouve dans la plainte portée devant la sénéchaussée de Marseille par Marie Caune, épouse du navigant Antoine Allegre, contre son mari, pour des violences conjugales, en 1754. Ce dernier, accusé par son épouse, affirme qu’avant son départ à la Martinique il a fait faire une procuration pour cette dernière afin qu’elle gère les biens du ménage. Il déclare alors qu’elle a profité de son absence pour emprunter de l’argent et a vendu ses effets, ajoutant que sa femme ne lui a « intenté ce procès que pour faire impunement tout ce quelle trouve bon puis quelle va tous les jours a la comedie et ne se retire que le matin au fait du jour26 ». Le mari fait naître ici des soupçons quant aux mœurs de son épouse. Au-delà de la plainte en elle-même, c’est la fragilité de la femme face à son mari et à la société qui ressort de la procédure. Celle-ci est exposée aux soupçons et calomnies. Cette situation n’est néanmoins pas spécifique aux femmes de marins. Ces dernières sont cependant sans doute plus exposées à ce genre de soupçons que les autres, en raison des longues absences de leur mari27.
La mise en place de stratégies de survie
17Face à la fragilité qui caractérise leur existence, ces femmes de marins provençaux mettent en place diverses stratégies de survie. Elles ont tout d’abord recours à de nombreux expédients qui leur permettent de subsister au quotidien.
Le recours à de nombreux expédients
18Les registres matricules des Classes sont particulièrement parlants en ce qui concerne les emprunts contractés par les gens de mer, comme nous pouvons le voir dans le tableau ci-dessous.
Document 1. – Types de dettes des matelots marseillais entre 1764 et 1789, d’après les registres matricules
Matelots (77 individus) | Nombre de mentions dans les matricules |
Remboursement d’avances d’embarquement* | 48 |
Remboursement de divers particuliers | 15 |
Dettes pour marchandises diverses | 2 |
Dettes pour « boulangerie » | 6 |
Dettes « pour subsistance » | 2 |
Dette pour « loyer de maison » | 13 |
Dettes pour frais de maladie | 1 |
Dettes pour vol | 1 |
Total | 88 mentions |
* Lors des embarquements sur les vaisseaux du Roi et sur les navires des particuliers, les navigants reçoivent des avances, généralement de deux mois. Dans les cas où l’embarquement n’a pas pu avoir lieu, ou lorsque le voyage a été d’une durée inférieure à deux mois, les navigants ont l’obligation de rembourser ces avances. Ces dettes particulières sont mentionnées dans les matricules. Ces avances, qui peuvent être confiées aux épouses afin de leur permettre de subsister en l’absence du mari, contribuent à lier les marins par la dette à leur capitaine. Les navigants mettent parfois plusieurs années à les restituer. Sur les liens de crédit et de dette, voir les travaux de L. Fontaine dont L’économie morale. Pauvreté, crédit et conffance dans l’Europe préindustrielle, Paris, Gallimard, 2008, 437 p.
Source : SHD Toulon, 13P5-40, 13P5-41, 13P5-42, 13P5-43,13P5-46, 13P5-47, 77 matricules de matelots marseillais pour les années 1764-1789.
19La plupart des dettes contractées le sont pour des achats de nécessité : nourriture ou produits de la vie quotidienne. Les « remboursements de divers particuliers » ne sont pas précisés, mentionnant juste la somme d’argent due à un particulier. Nous pouvons néanmoins supposer qu’il s’agit de « frais de bouche » ou de loyer. Les dettes contractées pour le non-paiement du loyer sont également nombreuses, montrant par-là la précarité du logement de ces familles de navigants. Ainsi, Barthélemy Viganon, marié à Marie-Magdeleine Ris de Gênes, doit en 1777 : « 22 livres à Laurent Amayon boulanger, payé le 5 juillet 1779. Sa femme cède 72 livres à Laurent Amayon boulanger. Payé le 3 février 1783. » En 1778 : « Sa femme cède 45 livres à Rose Marguaillan pour loyer de maison. Payé le 3 février 178328. »
20Les navigants et leurs familles, dont les possibilités financières sont le plus souvent réduites, contractent des dettes afin de subsister au quotidien. Celles-ci peuvent s’étaler sur des années, comme dans le cas de Michel Mouton et de sa femme Thérèse Arnaud. Dès 1764, son registre matricule mentionne une dette de 76 livres 10 sols pour frais de maladie, qu’il ne rembourse que partiellement (36 livres) en 1775. Entre-temps, celui-ci contracte d’autres dettes importantes, pour sa subsistance et le loyer, qui se retrouvent renouvelées et alourdies chaque année29. Les remboursements ont lieu longtemps après et de nouveaux emprunts sont effectués entretemps, montrant la spirale de l’endettement dans laquelle se trouve un grand nombre de ces familles. Les femmes des marins sont étroitement associées aux emprunts contractés par leurs maris, qu’elles font souvent elles-mêmes au nom de leur époux, par le biais de procurations. Ces divers emprunts témoignent d’une économie d’Ancien Régime fonctionnant sur le crédit et sur la parole donnée, ce qui renvoie à la nécessité pour ces femmes de garantir leur réputation.
21Afin de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, elles vendent et engagent aussi les effets qu’elles possèdent. Ces engagements peuvent avoir lieu auprès du Mont de Piété ou de particuliers. La veuve de George Couraud indique par exemple en 1728 : « Quelle engagea entre les mains de ladite Pellissier une bague dor a sept petit diamant pour neuf livres laquelle luy avoit couté lors de son mariage trente livres30. » Cette solution se veut sans doute provisoire, avec l’espoir de récupérer le bien, et les revenus tirés des effets engagés étant le plus souvent très insuffisants. Le dépôt en gage de la bague de la veuve paraît par ailleurs assez particulier. Cette bague est le seul bijou et objet de valeur qu’elle possède. Une valeur affective y est sans doute attachée puisqu’il s’agit de sa bague de mariage. Mais dans le cas présent, où la veuve se trouve dans la plus extrême nécessité, l’objet constitue un capital nécessaire à la survie de la famille.
Une pluriactivité complémentaire
22Parmi les stratégies de survie mises en place figure la pratique d’activités secondaires qui ne sont d’ailleurs pas spécifiques à l’espace méditerranéen, puisqu’on a pu les observer dans les autres communautés littorales31. La pluriactivité est fréquente dans les familles de navigants et associe le plus souvent les femmes. Nous avons constaté dans les inventaires après décès de quatre-vingt-sept navigants marseillais étudiés entre 1704 et 1772, vingt-trois mentions très claires de la pratique d’une activité secondaire au sein du ménage. La production de vin et la tenue de petites boutiques de marchandises diverses sont les activités les plus pratiquées par les navigants marseillais et leur famille. Le matelot Joseph Faury et sa femme possèdent par exemple une petite boutique où ils débitent et vendent le blé et les légumes32. Parmi ces femmes de marins, d’autres exercent des activités encore moins perceptibles dans les sources, comme Angélique Jourdan, épouse du matelot Antoine Borrely, qui : « en absence de son époux et privée de son secours [elle] fut dans la dure nécessité de garder des petits enfans pour gagner par là sa vie33 ».
23L’activité de cette femme est un moyen de subsistance temporaire. Ces diverses activités d’appoint sont néanmoins assez répandues. Elles ne nécessitent que peu d’engagement financier de départ et sont donc faciles à pratiquer pour les ménages les plus modestes. Cette pluriactivité qui joue un rôle socio-économique important souligne aussi l’association des femmes à la gestion économique des revenus de la famille. Les marins passant environ 50 % de leur vie active en mer34, c’est l’étroite association de la famille et de l’épouse à ces activités qui les rend possibles35. Ces activités de complément restent cependant difficiles à appréhender. Pratiquées le plus souvent de façon informelle, elles disparaissent de tout document officiel et il faut les deviner.
Le jeu des solidarités
24Diverses formes de solidarités interviennent également pour aider ces femmes. Pour mieux les comprendre il faut d’abord revenir sur l’habitat de ces marins, à Marseille par exemple36. Les navigants marseillais habitent pour la plupart d’entre eux dans une grande proximité géographique. Ils se concentrent dans la paroisse Saint-Laurent, au quartier Saint-Jean en particulier, mais aussi aux Accoules et au quartier des Grands Carmes. Ces familles de gens de mer se regroupent dans un habitat réduit, entraînant une cohabitation inévitable avec les membres de la famille, mais aussi avec les voisins37. Les sources suggèrent la présence de « solidarités de proximité » entre ces différentes familles.
25Les solidarités familiales sont les premières à s’exprimer. Elles prennent par exemple la forme de la cohabitation. C’est le cas de Marie Magdeleine Jullien, qui se trouvant « seule et incomodée a la suite de sa grossesse », demande à sa sœur et à son beau-frère de bien vouloir l’héberger38. À la mort de cette dernière, à la suite de ses couches et en l’absence de son mari, c’est sa famille qui s’occupe de mettre en ordre ses affaires. La cohabitation permet de combattre la solitude engendrée par le départ du mari, en même temps qu’elle est une solution d’entraide économique. Cette forme de solidarité familiale n’est pas spécifique à la Provence puisqu’elle a également cours sur le littoral breton39. Parmi les solidarités familiales, nous pouvons également évoquer les prêts et emprunts contractés au sein d’une même famille, généralement sous des conditions plus avantageuses que s’ils l’étaient auprès de tiers. Les solidarités familiales s’expriment aussi à la mort du mari, lors des nominations de tutelle et curatelle des enfants délaissés. Le choix des tuteurs ou des curateurs est d’ailleurs révélateur de la confiance qui leur est accordée par la famille. Ainsi, à la mort du capitaine Pierre Martin en 1722, le frère du défunt est nommé tuteur afin de s’occuper de son neveu aux côtés de sa mère40.
26Les solidarités s’expriment également, dans la ville, au sein du voisinage. À Marseille, ville densément peuplée (environ 65 000 habitants en 1765 et 93 000 en 179641) avec un habitat concentré dans la vieille ville, la vie des familles déborde largement dans l’espace public. La présence des voisins aux côtés des uns et des autres est constante42. Nous pouvons notamment l’observer dans ce conflit qui oppose Angélique Jourdan à son mari, le matelot Antoine Borelly en 1771, dans lequel, alors que son époux allait la battre, est sauvée par ses voisins43. Ces différentes situations de solidarité montrent l’intégration des navigants et de leur famille au sein de réseaux de sociabilité larges et complexes. Le milieu familial y joue un rôle très important et le rôle de l’épouse y est central. Ce sont les épouses qui en l’absence de leur mari entretiennent les contacts avec la communauté.
Les aides et secours mis en place
27Pour aider ces femmes de marins à faire face à la fragilité de leur vie, l’État, mais aussi des particuliers, mettent en place diverses aides et secours.
Des aides institutionnelles
28Instauré en 1668-1670 par Colbert, le service des Classes rend en théorie obligatoire pour les gens de mer de servir un an sur trois sur les vaisseaux du Roi. Afin de faire accepter ce système contraignant et réduire les résistances, l’État accorde des privilèges particuliers aux gens de mer44. La Caisse des invalides, instaurée en 1673 et destinée à secourir les marins invalides ou blessés mais aussi à accorder pensions et gratifications aux femmes et veuves de marins, est financée par un prélèvement de l’État de quatre deniers par livre sur les salaires des navigants, quel que soit le type de voyage effectué, puis en 1713 de six deniers par livre45. Ce prélèvement sur les soldes est ensuite « employé aux pensions, gratifications & récompenses […], comme aussi à la demie solde […], ensemble à des gratifications & récompenses aux veuves & enfans des officiers-mariniers, matelots, soldats & volontaires46 […] ». Les demi-soldes ne sont néanmoins pas toujours accordées, la décision en revenant au Conseil de Marine, sur la présentation de certificats justifiant les services et l’invalidité de ceux qui la demandent47. Cette demi-solde est fixée à la moitié de la solde gagnée au cours du dernier service effectué sur les vaisseaux du Roi ou dans les arsenaux. Le matelot Jean Honoré Michel, âgé de 42 ans en 1768 et « estropié de la jambe gauche et de la main droite », est par exemple « admis à la demie solde à 7 livres par mois [à compter] du 1er janvier 177648 ». Ce matelot, marié à Claire Chanteux et résidant à Marseille, est néanmoins lourdement estropié au moment où il est enfin déclaré hors de service et admis à la demi-solde, à l’âge de 50 ans. La Caisse des invalides accorde également dans certains cas des gratifications et pensions à ces navigants et à leurs familles comme par exemple à Françoise Rose Allegre, veuve du matelot Vincent Emmanuel Corbon, qui déclare en 1784 qu’elle a « retiré du Bureau des classes […] pour gratification accordée aux veuves dont les maris sont morts au service du roy quarante deux livres49 »… Grâce au système des Classes et à la Caisse des invalides, les veuves peuvent aussi réclamer les salaires et soldes de leur époux ainsi que leurs effets et hardes, après leur mort à bord des navires sur lesquels ils étaient embarqués50. En 1760, la veuve du cuisinier navigant Hugues Souchier, décédé à bord de la polacre de Marseille la Vierge de Grâce, réclame par exemple « toutes les sommes, effets, facultés, salaires, hardes et linges que ledit feu Hugues Souchié son epoux […] peu avoir delaissé en mourant… » les effets de son époux ayant été déposés auprès de la chancellerie du vice-consulat de France à Alexandrie51.
29Les actes et la correspondance officielle témoignent de la volonté du pouvoir royal et de ses représentants de venir en aide aux gens de mer et à leur famille. Leur précarité et leur instabilité sont fréquemment mises en avant, mais aussi le fait qu’ils sont une « profession si utile à l’État52 ». L’insistance sur la fragilité des familles de navigants et en particulier de leur femme et enfants, montre-t-elle un souci grandissant de l’État pour cette population, souci à la fois stratégique et peut-être philanthropique53 ?
Des initiatives privées
30Ces aides accordées aux navigants mais également à leurs familles se multiplient à la fin du siècle. Nous pouvons notamment observer l’octroi d’aides ponctuelles, fruits d’initiatives privées ou semi-privées. La chambre de commerce de Marseille offre par exemple à la fin du siècle une gratification exceptionnelle d’un montant de 300 000 livres, aux familles de marins provençaux servant sur les vaisseaux du Roi lors de la guerre d’Indépendance américaine54. Sur les 300 000 livres, une somme d’environ 15 000 livres a été distribuée aux marins ayant servi dans les Indes au sein de l’escadre du bailli de Suffren, de retour après la première distribution55. Afin de répartir ces différentes sommes le plus justement possible, divers États des familles des gens de mer ayant souffert de la guerre ont été réalisés par les autorités locales dans les ports provençaux. Ces « États » dressent la liste des familles de gens de mer susceptibles de recevoir la gratification, en indiquant pour chacune d’entre elles la situation économique et sociale dans laquelle elle se trouve, comme nous pouvons le voir sur l’exemple ci-dessous.
Document 2. – État des familles des gens de mer de Cassis ayant souffert de la guerre, 1783.

Source : AD BdR, 2B192, État des familles des gens de mer de Cassis qui ont souffert de la guerre, 1783, p. 1.
31Ces « États » sont ensuite adressés à l’intendant de la Marine à Toulon, Malouet. Certains d’entre eux sont plus complets que d’autres, précisant notamment la somme à accorder à chaque famille et indiquant si elle a été touchée ou non. « L’État des tués ou blessés dans l’escadre de Suffren, dressé par l’intendance de Toulon en 1790 », est très précis à ce propos. Répartissant la somme de 14884 livres entre 115 familles de navigants, « blessés grièvement », « blessés légèrement » ou « tués ou morts des suites de leurs blessures56 » comme nous pouvons le voir sur le tableau suivant.
Document 3. – Tableau de la répartition de la gratification de la Chambre de Commerce de Marseille dans l’intendance de Toulon, 1790.
Cas pour lesquels la gratification est accordée | Nombre de cas | Montant par personne de la gratification accordée | Total octroyé |
Blessés légèrement | 40 | 72 lt par navigant | 2880 lt |
Blessés grièvement | 23 | 96 lt par navigant | 2208 lt |
Tués ou morts des suites de leurs blessures | 52 (51 | De 150 lt (pour la veuve) à 250 lt par famille (20 lt accordés par enfants) | 9796 lt |
Source : ACCIM G5, Secours aux marins, État des tués ou blessés dans l’escadre de Suffren, par l’Intendance de Toulon, 1790.
32Ainsi, pour François Esprit Jouve, de Toulon, mort sur les vaisseaux du Roi dans l’Inde, sa veuve reçoit 150 livres et pour chacun de ses trois enfants 20 livres, ce qui lui fait une gratification totale de 210 livres. On peut néanmoins observer que le versement des gratifications aux familles des marins ayant servi dans l’Inde n’a lieu que très tardivement, puisqu’il est fait en 1790, soit six ans après le service dans l’océan Indien. Une lettre des officiers municipaux de Martigues aux échevins et députés de la chambre de commerce de Marseille, écrite en août 1790, insiste d’ailleurs sur ce point et sur la détresse dans laquelle ce retard de paiement a placé les familles des navigants57.
33L’assistance aux gens de mer et à leur famille est une question fondamentale, prise très tôt au sérieux non seulement par l’État – qui a besoin de ces hommes pour servir sur ses vaisseaux – mais aussi par les institutions et particuliers ayant de forts liens avec la mer, comme la chambre de commerce de Marseille. Ce souci des gens de mer et de leurs familles se retrouve dans la création d’une « Bourse du marin », en Provence, en 1788. Cette société, qui associe différents particuliers, administrateurs de la marine et autres, a pour but de venir au secours des marins et de leurs familles en difficulté. Elle vise à aider non seulement les marins servant sur les vaisseaux du Roi mais également ceux du commerce, comme l’indique le préambule de son règlement.
Document 4. – Règlement de la société de la Bourse du Marin, créée à Toulon en 1788

Source : ACCIM G25 : Secours aux marins, Règlement de la Société de la Bourse du Marin, fait à Toulon, le 17 juillet 1788.
34La Bourse du Marin, est donc une aide « en faveur des marins de leur veuve et orphelins nécessiteux […] destinée à la classe indigente des marins58 »… Elle accorde des gratifications ponctuelles, des recommandations pour les femmes de marins qui en ont besoin59, ou encore des aides aux naufragés, notamment au travers de quêtes et d’appel à la charité60. Cette société témoigne d’un souci grandissant pour les gens de mer, durement touchés par les guerres et les difficultés économiques de la fin du siècle.
35Les femmes de marins peuvent ainsi bénéficier de plusieurs aides, plus nombreuses à la fin du siècle, adressées à leur mari et à leurs familles et visant à améliorer quelque peu leur condition.
36Il ne faut cependant pas oublier les limites de ces initiatives, qui ne sont que des aides ponctuelles, le plus souvent modérées et dépendant du bon vouloir de l’État et de la situation de ses finances. Elles participent néanmoins à l’organisation de solidarités, d’abord entre les gens de mer, mais également au sein de la société, en même temps qu’elles entraînent une prise de conscience des difficultés rencontrées par cette population61. Ces aides dont bénéficient les femmes de marins en même temps que leur époux, s’intègrent pleinement dans la vie maritime et contribuent à définir le groupe socioprofessionnel des gens de mer.
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37Si le cadre de vie des femmes de marins ne se démarque finalement que peu de celui des autres femmes en Provence à cette époque et plus largement en France, la mer fait néanmoins naître des particularités dans leur vie quotidienne. Ces femmes de marins sont directement confrontées à la fragilité, l’instabilité et la précarité qui résultent du métier de marin. Mais loin de se conformer à l’image traditionnelle des femmes éplorées qui attendent le retour de leur mari, ces femmes mettent en place en l’absence du conjoint diverses stratégies destinées à assurer leur quotidien et celui de leur famille. Les aides de l’État, mais aussi des particuliers, accordées aux navigants, leur apportent quelques secours, le plus souvent de façon ponctuelle et limitée.
38Ces femmes sont ainsi étroitement associées à la vie maritime de leur mari. L’incertitude qui scande tous les moments de leur existence est liée à l’exercice du métier de marin de leur conjoint. Il ne s’agit pas pour autant de gommer le vécu discret et souvent douloureux de ces femmes des rivages. Le poids des absences, la précocité des ruptures des unions matrimoniales, la solitude et les pressions sociales sont assurément les marqueurs forts de l’existence de ces « femmes de mer » (A. Cabantous).
39Ces femmes de marins, qui partagent avec leurs époux les caractéristiques de la vie et du travail maritime, participent à la construction de l’identité du groupe des gens de mer. Leurs expériences de la mer sont cependant multiples et doivent aussi être appréhendées à l’aune des situations et des sentiments personnels.
Notes de bas de page
1 Service historique de la Défense, département Marine, Toulon (SHD Toulon), 13P5-43, 13P5-46, registre matricule quartier maritime de Marseille, officiers mariniers, matelots, 1764-1775 et 1776-1788, matricule du matelot Pierre Lieutaud.
2 Cabantous A., Les citoyens du large. Les identités maritimes en France (xviie-xixe siècle), Paris, Aubier, 1995, 279 p., voir p. 60.
3 Buti G., « Entre “fortunes de mer et honnêtes profits”. Marins provençaux au xviiie siècle », dans Chastagnaret G., Daumas J. C., Escudero A. et Raveux O. (dir.), Los niveles de vida en España y Francia (siglos xviiie-xxe) In Memoriam Gérard Gayot, université d’Alicante et UMR-Telemme-université de Provence, Alicante, 2010, p. 267-284.
4 Cabantous A., Les citoyens du large…, op. cit. ; Charpentier E., Le Peuple du rivage. Le littoral nord de la Bretagne au xviiie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 404 p. ; « Vivre au rythme de la mer : femmes de marins au travail sur les côtes nord de la Bretagne au xviiie siècle », dans Boudjaaba Fabrice, Le travail et la famille en milieu rural xvie-xxie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 53-68 ; « Femme de “partis en voyage sur mer” en Bretagne au xviiie siècle », Cheminements, 2015, p. 47-60.
5 Vary M., Intégration sociale des populations marginales sur le littoral breton au xviiie siècle, thèse inédite pour l’obtention du doctorat en histoire, sous la direction de G. Le Bouëdec, soutenue à l’université de Bretagne-Sud en 2007.
6 Castan N., « La condition féminine dans la France méridionale du xviiie siècle », dans « La Femme à l’époque moderne », Bulletin de l’Association des historiens modernistes des universités françaises, n° 9, 1985, p. 65-71.
7 Beauvalet-Boutouyrie S., Les femmes à l’époque moderne (xvie-xviiie siècles), Paris, Éditions Belin, 2003, 271 p., voir p. 72.
8 Archives départementales des Bouches-du-Rhône (AD 13), 2B820, n° 50 : inventaire après décès d’Antoine Saurin, écrivain de vaisseau, de Marseille, 1715.
9 Buti G., « Notaires de la côte. Le notaire, le marin et la mer à Cassis et la Ciotat au milieu du xviie siècle », dans Audisio G. (dir.), L’historien et l’activité notariale. Provence, Vénétie, Égypte, xve-xviiie siècle, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2005, p. 145-166.
10 Farge A., La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités à Paris au xviiie siècle, Paris, Hachette, 1986, 354 p.
11 Archives départementales des Bouches-du-Rhône (AD BdR), 2B868, n° 91 : inventaire après décès de Gaspard Tassy, matelot, de Marseille, 1760.
12 Cabantous A., « Histoire maritime ou histoire sociale ? L’approche des gens de mer », Texte d’une conférence donnée par Alain Cabantous à Barcelone en novembre 2006, p. 84-96, voir p. 92. Disponible sur [http://www.raco.cat/index.php/Drassana/article/view/104719/130989], consulté le 14 octobre 2016. Selon Alain Cabantous la fécondité des gens de mer est d’abord limitée par les fréquentes et longues absences des époux. Les nombreux risques auxquels ces derniers s’exposent au cours de leurs navigations conduit à une surmortalité masculine entre 15-20 ans et 40 ans, soit trois à quatre fois supérieure aux décès féminins. Cette surmortalité entraîne une brièveté des unions conjugales, dans lesquelles entre le tiers et la moitié des coupes n’atteignent pas dix ans de vie commune (contre le quart pour le reste de la population française). Voir Cabantous A., Les citoyens du large…, op. cit., p. 123.
13 AD BdR, 2B836, n° 11 : inventaire après décès d’Ange Marie, matelot de Marseille, 1728.
14 Pardailhe-Galabrun A., La naissance de l’intime, 3 000 foyers parisiens, xviie-xviiie siècle, Paris, PUF, 1988, 523 p., voir p. 167.
15 AD BdR, 2B192, État des familles des gens de mer de ce lieu de Cassis qui ont souffert pendant cette guerre, 1783.
16 Jean Vazily, matelot de Marseille, touche par exemple en 1767 12 livres tournois (lt) par mois lorsqu’il est levé sur la galère la Dauphine. Lors de son voyage sur la barque Jésus Marie Joseph, partie de Marseille pour le Levant l’année suivante, il reçoit un salaire de 25 lt par mois ; SHD Toulon, 1P10-2, rôle d’équipage du Jésus Marie Joseph, 1768, 13P5-41 et 13P5- 46, registres matricules quartier de Marseille, 1764-1775 et 1776-1789. La moyenne des salaires des matelots lors de cette navigation est de 24,5 lt par mois. Balthazar Audric, matelot de Marseille, est quant à lui payé 16 lt par mois sur le vaisseau du Roi le Protecteur en 1766, mais touche 26 lt par mois sur le vaisseau marchand le Solide, parti de Marseille et à destination de Saint-Domingue en 1768 ; SHD Toulon, 1P10-2, rôle d’équipage du Solide, 1768, 13P5-41 et 13P5- 46, registres matricules quartier de Marseille, 1764-1775 et 1776-1789. La moyenne des salaires des matelots lors de cette navigation est de 27,5 lt par mois, l’un des matelots embarqués obtenant 40 lt et les autres entre 24 et 27 lt. Patrick Boulanger souligne que les salaires des matelots provençaux embarqués au commerce s’élèvent à environ 23 lt dans les années 1720-1725. Au cours des années 1770-1775, ces salaires atteignent 25 lt. Voir Boulanger P., « Salaires et revenus des équipages de navires marchands provençaux durant le xviiie siècle », Provence historique, t. 30, fasc. 122, 1980, p. 409-429, voir p. 416. Pour de nécessaires comparaisons plus larges voir aussi le tableau dressé par Acerra M. et Zysberg A., L’essor des marines de guerre européennes, 1680-1790, Paris, Sedes, 1997, p. 160 (années 1689-1765 et 1786).
17 Archives nationales, Marine (AN MAR), B3/602 f° 9-10, lettre de Bompar à de Boynes, Toulon, le 12 janvier 1772.
18 Pour l’année 1768, nous avons calculé à partir de 141 rôles d’équipages de bâtiments commerciaux provençaux, une durée moyenne de deux mois pour les voyages à destination des côtes de Provence et du Languedoc et vers la Corse, de quatre mois et demi pour les voyages vers l’Espagne et de cinq mois pour ceux vers l’Italie, de cinq mois également pour les voyages vers la Barbarie et le Levant, et de sept mois pour ceux à destination de l’Amérique ; SHD Toulon, 13P10-1 et 13P10-2, rôles d’équipage de bâtiments au commerce, 1768.
19 SHD Toulon, 13P5-41 et 13P5-46, registres matricules quartier de Marseille, officiers mariniers, matelots, 1764-1775 et 1776-1789, matricule du matelot Antoine Brejan.
20 Ibid., 13P5-43, registre matricule quartier de Marseille, officiers mariniers, matelots, 1764-1775, matricule du matelot Antoine Jausserau ; AD BdR, baptêmes, mariages, sépultures (BMS), paroisse Saint-Martin, mariage d’Antoine Jausserau avec Madeleine Ambard, le 25 avril 1769 ; ibid., BMS, paroisse Saint-Laurent, baptême de Marie Madeleine Antoinette Jausserau, le 12 avril 1771.
21 AD BdR, 2B1247, n° 2 : procédure criminelle de la Sénéchaussée de Marseille ; Joseph Jauffret fils, marchand, contre Catherine Rose Arnaud, épouse de Jérôme Deperet, pour diffamation, novembre 1763.
22 Voir le cahier couleur, pl. VIII, carte 2 : La violence et les femmes de marins, d’après dix procédures criminelles de la Sénéchaussée de Marseille, 1752-1778.
23 Regina C., Femmes, violence(s) et société, face au tribunal de la sénéchaussée de Marseille (1750-1789), thèse inédite pour l’obtention du doctorat en histoire, sous la direction de M. Lapied et G. Buti, soutenue à l’université d’Aix-Marseille en 2012. Voir aussi Regina C., Genre, Mœurs et Justice. Les Marseillaises et la violence au xviiie siècle, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2015, 282 p.
24 Farge A., La vie fragile…, op. cit., p. 29.
25 Voir le cahier couleur, pl. VII, carte 1 : La répartition des navigants marseillais dans la ville, d’après les registres matricules du quartier maritime de Marseille, 1764-1789.
26 AD BdR, 2B1217, n° 3 : procédure criminelle de la Sénéchaussée de Marseille : Marie Caune contre Antoine Allegre, navigant, son époux, pour injures graves, excès, coups, sévices et mauvais traitements, 1754.
27 Charpentier E., « Incertitude et stratégies de (sur) vie. Le quotidien des femmes des “partis en voyage sur mer” des côtes nord de la Bretagne au xviiie siècle », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, n° 117-3, 2010, p. 39-54.
28 SHD Toulon, 13P5-43 et 13P5-46, registres matricules quartier de Marseille, officiers mariniers, matelots, 1764-1775 et 1776-1789, matricule du matelot Barthélémy Viganon.
29 Ibid., 13P5-43 et 13P5-46, registres matricules quartier de Marseille, officiers mariniers, matelots, 1764-1775 et 1776-1789, matricule du matelot Michel Mouton.
30 AD BdR, 2B836, n° 16 : inventaire après décès de Georges Couraud, matelot, de Marseille, 1728.
31 Vary M., « Pluriactivité et intégration sociale dans les sociétés littorales de Bretagne Sud au xviiie siècle », dans Le Bouëdec G., Ploux F., Cerino C. et Geistdoerfer A. (dir.), Entre terre et mer. Sociétés littorales et pluriactivités (xve-xxe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 177-186.
32 AD BdR, 2B810, n° 5 : inventaire après décès de Joseph Faury, matelot, de Marseille, 1705.
33 Ibid., 2B1375, n° 7 : procédure criminelle de la Sénéchaussée de Marseille : Angélique Jourdan, épouse d’Antoine Borrely, contre Antoine Borrely son époux, matelot, pour injures graves, excès, coups, sévices et mauvais traitements, 1771.
34 Cabantous A., « Histoire maritime ou histoire sociale ? L’approche des gens de mer… », art. cité, p. 89.
35 Buti G., « Gens de mer et du terroir : capitaines-vignerons et marins-forestiers de la France méditerranéenne au xviiie siècle », dans Le Bouëdec G. et al., Entre terre et mer…, op. cit., p. 147-161.
36 Voir le cahier couleur, pl. VII, carte 1 : La répartition des navigants marseillais dans la ville, d’après les registres matricules, 1764-1789.
37 Buti G., Les marins dans la ville : le cas de Marseille au xviiie siècle, mémoire d’habilitation à diriger des recherches, université d’Aix-Marseille, 2006 (à paraître).
38 AD BdR, 2B896, n° 51 : inventaire après décès de Marie Magdeleine Jullien, épouse de Jean Antoine Buret, capitaine, de Marseille, 1787.
39 Charpentier E., « Incertitude et stratégies de (sur) vie… », art. cité, p. 45.
40 AD BdR, 2B830, n° 200 : inventaire après décès de Pierre Martin, capitaine, de Marseille, 1722.
41 Emmanuelli F. X., « Marseille », dans Bély L. (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 804.
42 Regina C., « Voisinage, violence et féminité : contrôle et régulation des mœurs au siècle des Lumières à Marseille », dans Rainhorn J. et Terrier D. (dir.), Étranges voisins. Altérité et relations de provimité dans la ville depuis le xviiie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 217-236.
43 AD BdR, 2B1375, n° 7 : procédure criminelle de la Sénéchaussée de Marseille : Angélique Jourdan, épouse d’Antoine Borrely, contre Antoine Borrely son époux, matelot, pour injures graves, excès, coups, sévices et mauvais traitements, 1771.
44 Buti G., « “Usés, tout cassés et secourus”. Hors de service et invalides de la marine dans les départements maritimes de Toulon et d’Antibes aux xviie et xviiie siècles », dans Revue de la société des Amis du Vieux Toulon et de sa région, 2013, p. 277-290.
45 Valin R. J., « Édit du roi, concernant les Invalides de la Marine, du mois de juillet 1720 », dans Nouveau commentaire sur l’ordonnance de la marine du mois d’août 1681, La Rochelle, J. Légier et P. Mesnier, 1760, p. 692.
46 Ibid., titre troisième, article premier, p. 694.
47 Comme l’a remarqué Thierry Sauzeau pour les gens de mer du quartier maritime de Marennes. Voir Sauzeau T., « Les gens de mer du quartier de Marennes et l’institution des invalides de la Marine (milieu xviiie-milieu xixe siècle) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, n° 120, 2, 2013, p. 179-192.
48 SHD Toulon, 13P5-43, registre matricule quartier de Marseille, officiers mariniers, matelots, 1764-1775, matricule du matelot Jean Honoré Michel.
49 AD BdR, 2B893, n° 72 : inventaire après décès de Vincent Emmanuel Corbon, matelot, de Marseille, 1784.
50 À ce sujet nous nous permettons de renvoyer à notre article, Boer C., « Vivre en mer au quotidien. Une étude au travers des objets embarqués par les navigants provençaux au xviiie siècle », dans Daumalin X., Faget D. et Raveux O., La mer en partage. Études offertes à Gilbert Buti sur les sociétés littorales et les économies maritimes (xvie-xixe siècle), Presses universitaires de Provence, 2016, p. 117-132.
51 SHD Toulon, 1R1 12, liasse n° 4, Procuration de Magdeleine Brest, en faveur de Jean Baptiste Souchier son fils, afin de récupérer les hardes et salaires de son époux décédé en mer, du 31 juillet 1760.
52 Arrêt du Conseil du Roi du 21 février 1772, Versailles, Imprimerie de l’Hôtel de la guerre, p. 1-2, disponible sur [www.gallica.bnf.fr].
53 Selon G. Buti la multiplication au cours du xviiie siècle des ordonnances royales visant à protéger les sociétés littorales et les gens de mer souligne à la fois le caractère précoce et original en France de l’assistance aux gens de mer, et le souci du pouvoir royal pour ces hommes nécessaires à ses armements comme au commerce maritime. Voir Buti G., « Usés, tout cassés et secourus… », art. cité, p. 286.
54 Archives de la chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence (ACCIM), G25 : secours aux marins, (1782-1792). Voir Buti G., « “Usés, tout cassés et secourus”… », art. cité, p. 277-290. Je remercie Gilbert Buti pour m’avoir indiqué l’existence de ce document très intéressant.
55 ACCIM, G25 : secours aux marins, (1782-1792), lettre de M. les procureurs du pays, à la chambre de commerce de Marseille, Aix-en-Provence, le 1er juin 1789.
56 Ibid., État des tués ou blessés dans l’escadre de Suffren, par l’Intendance de Toulon, 1790.
57 Ibid., lettre du maire et des officiers municipaux de Martigues à la chambre de commerce de Marseille, Martigues, le 16 août 1790.
58 Ibid., lettres des commissaires de la société de la Bourse du Marin à la chambre de commerce de Marseille, Toulon, le 1er août 1788.
59 Ibid., lettre des commissaires de la société de la Bourse du Marin à la chambre de commerce de Marseille, Toulon, le 17 septembre 1799 : « Cette femme a l’aide des secours qu’elle a reçu de la bourse du marin se rend a Marseille pour s’embarquer sur le navire […] », à propos de Claire Taurel, qui rejoint son mari Jean Baptiste Roubaud à Cayenne.
60 Ibid., extrait du procès verbal des commissaires de la Bourse du Marin, Toulon, le 21 octobre 1789.
61 Buti G., « “Usés, tout cassés et secourus”… », op. cit., p. 286.
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