Introduction à la deuxième partie
p. 77-79
Texte intégral
1Pour évoquer les usages pédagogiques des figures de proue dans les différentes disciplines scolaires saisies à l’échelle universelle, voici quatre communications stimulantes, présentées ici selon l’ordre chronologique traité, qui court de la Préhistoire à la révolution chinoise de la seconde moitié du xxe siècle : celle de Pascal Semonsut, La Préhistoire au miroir de l’école du second xxe siècle français ; celle de Jérémie Dubois, Le statut de Garibaldi dans les manuels scolaires d’histoire en Italie après 1945 ; celle d’Olga Konkka, L’évolution de la présentation de Joseph Staline dans les manuels scolaires d’histoire en Russie, 1990-2012 ; enfin celle de Manon Laurent, Un programme d’enseignement pour édifier un socialisme à la chinoise, des années 1980 aux années 2000.
2On observe en premier lieu que si les trois dernières présentations ont en commun de privilégier des personnages charismatiques, qui occupent une place centrale non seulement dans la mythologie scolaire de leurs pays respectifs, mais aussi et surtout dans le légendaire national – Garibaldi, Staline, Mao Tsé Toung entre autres – en revanche, la première étude sur la Préhistoire semble a priori hors sujet : à moins d’ériger l’homme de Cro Magnon en héros exemplaire pour la jeunesse, on ne voit guère comment cette réflexion pourrait être rapprochée des trois autres ? Pascal Semonsut démontre cependant de manière très convaincante et avec humour que, comme pour les périodes du passé nettement plus récentes, la connaissance de la Préhistoire est largement conditionnée par le contexte contemporain. En voici quelques exemples significatifs :
3Jusqu’au début des années soixante, les pratiques paléolithiques sont implicitement comparées aux conditions de vie des peuples colonisés, comparaison dévalorisante, qui disparaît après la proclamation des indépendances nationales. L’auteur observe que le thème de la Guerre du feu est très présent au moment de la Guerre froide, puis s’éclipse avec la détente. Lorsque, avec les Trente Glorieuses, la civilisation du monde rural s’efface au profit d’une urbanisation généralisée de la société, l’homme des cavernes est métamorphosé en villageois sédentarisé. Enfin, de manière plus générale, l’intérêt pédagogique de l’école pour les sites préhistoriques est fortement lié au développement récent du tourisme de masse.
4Les trois autres articles confirment de manière plus classique tout à la fois l’instrumentalisation scolaire des héros du passé et son évolution permanente en fonction du contexte politique. Le cas de Garibaldi, incarnation du Risorgimento, témoigne ainsi de la dimension polymorphe du personnage, dont l’image complexe est, après 1945, recomposée aussi bien par les nostalgiques du régime fasciste que par les militants communistes. Pendant la guerre froide, ces derniers interprétaient les rapports tendus entre Garibaldi et Cavour à la lumière des vives tensions entre le bloc soviétique et l’Europe de l’Ouest. Ce qui rend son culte si vivant, c’est néanmoins son extraordinaire souplesse, notamment sa capacité à endosser une dimension religieuse citoyenne selon les publics auxquels il s’adresse : pour les populations du Mezzogiorno, qu’il a libérées de la monarchie bourbonienne, il apparaît ainsi comme une sorte de Moïse, voire même de Messie laïque. Cependant, cette orientation charismatique n’occulte jamais sa nature humaine, avec ses défauts et ses qualités : la mort de sa femme Anita arrache des larmes au héros, le rendant ainsi proche de ses compatriotes. Notons toutefois que si Garibaldi fut un héros romantique non seulement en Italie, mais aussi à l’échelle européenne, célébré en France par le camp républicain comme une sorte de Gambetta transalpin, il a également suscité, dans notre pays, de violentes controverses politiques : pour les catholiques français, Garibaldi et ses Chemises rouges, ennemis irréductibles du pouvoir temporel du pape, représentèrent longtemps des figures de l’Antéchrist…
5On pourrait a priori penser que la troisième étude prendrait le contrepied de la précédente dans la mesure où Joseph Staline reste un personnage historique beaucoup plus controversé que Garibaldi. Or, il n’en est rien. Certes, dans les années 1990-2000, en pleine Glasnost, la figure de Staline est critiquée dans les manuels russes. Cependant, à partir des années 2000, qui voient la montée en puissance de Vladimir Poutine, on assiste rapidement au retour en force du Petit Père des peuples. Non seulement, dans des ouvrages pédagogiques, restés fidèles à l’historiographie soviétique, Staline apparaît comme le vainqueur de la Grande Guerre patriotique en 1945, le chef charismatique, qui a contribué à l’extension considérable du territoire national, mais il est aussi, à la même époque, réintroduit dans le Panthéon des gloires nationales, qui suscitent la fierté des Russes aujourd’hui : Ivan-le-Terrible, Pierre-le-Grand, la Grande Catherine. Certes, ses crimes ne sont pas totalement occultés, mais ils sont souvent justifiés par les exigences de la défense nationale. Vladimir Poutine a ainsi légitimé, en 2009, le pacte germano-soviétique par la nécessité de gagner du temps afin de mieux préparer le pays à la guerre.
6 Doit-on placer la dernière communication sur le même plan que les deux précédentes relatives à Garibaldi et à Staline ? Pas tout à fait, car l’analyse porte ici moins sur les usages idéologiques des grands hommes de la République populaire de Chine, notamment Mao et Chou En Laï – même s’ils sont bien présents sous forme de morceaux choisis tirés de leurs discours et de leurs œuvres politiques – que sur l’apprentissage par les élèves de la langue chinoise. Cet exercice subtil montre l’évolution de l’éducation dispensée en Chine de 1980 à 2000, marquée par le pragmatisme de Deng Xiaoping. Dans les années 1980-1990, on assiste à un effacement progressif du Parti communiste, qui, à partir des années 2000, appartient désormais à l’histoire. La sacralisation de la patrie et de l’unité du pays semble remplacer celle du parti et la fierté nationale s’exprime par le succès des Jeux olympiques de 2008 et de l’Exposition universelle de Schangai en 2010. D’autre part, depuis le début des années 2000, ces manuels réussissent à privilégier de manière très empirique une synthèse positive entre la tradition confucéenne et la modernité. Le confucianisme n’est plus considéré – comme pendant la Révolution culturelle – comme l’ennemi de la modernité, mais bien au contraire comme son socle, sa matrice originelle. Ce phénomène a pour conséquence un événement de grande portée : le renversement de perspective dans l’appréhension de la nature. De 1949 à 1980 environ, il allait de soi pour les idéologues communistes que la terre des hommes devait être, sans état d’âme, remodelée par le volontarisme du parti pour transformer, à marche forcée, l’économie du pays. Depuis les années 2000, la protection de l’environnement, saccagé il est vrai par une pollution mortifère, semble devenue une priorité.
7Malgré l’infinie diversité chronologique et méthodologique des cas étudiés, peut-on néanmoins saisir des conclusions communes à ce problème de la transmission des savoirs à la jeunesse des écoles ? Oui, et deux peuvent être ici soulignées : la porosité des contenus didactiques à l’air du temps et l’importance conjointe, à toutes les époques, des images et des textes dans la vulgarisation sociale du passé.
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