Émigration dans le Brabant belge
p. 143-159
Texte intégral
1Le sort réservé à la noblesse belge par les autorités républicaines fut utilisé comme un des éléments constitutifs de l’identité belge. L’historiographie belge se place dans la droite ligne de la politique de neutralité qu’adoptèrent les gouvernements pendant plus d’un siècle. L’historiographie belge tendait à démontrer le danger que pouvait représenter une France qui pouvait d’un moment à l’autre tenter d’atteindre le Rhin afin de se doter de « frontières naturelles ». De même, les autorités gouvernementales belges cherchèrent à différencier la Belgique de ses voisins en développant l’idée d’une « civilisation belge » composée d’influences germaniques et latines. Dans cette quête identitaire, les historiens donnèrent l’image pittoresque d’un Belge débonnaire, mais qui soumis à l’arbitraire d’un gouvernant, de surcroît étranger, pouvait perdre patience et dès lors se transformer en un farouche défenseur de ses usages et de sa religion. Ainsi nous voyons, à travers ce prisme, les Belges qui avaient combattu au cours de la Révolution brabançonne un Joseph II dont le caractère germanique l’avait entraîné jusqu’à réglementer les jours de kermesses, ne pas supporter davantage le tempérament exalté des révolutionnaires français. De cette incomptabilité d’humeur devait être très logiquement résulter la « Guerre des paysans » dont la spontanéité et l’improvisation dénoteraient son caractère impulsif.
Emigration en un temps, réintégration en deux
2Suite à l’attitude adoptée par le roi de France, sa fuite et son arrestation à Varennes le 21 juin 1791, l’ordre fut donné d’arrêter quiconque tenterait de franchir les frontières du royaume et d’empêcher la sortie d’effets, d’arme, d’or et d’argent. Les personnes non encore rentrées le 1er octobre de la même année, virent leurs biens séquestrés. Mais, les émigrés s’organisèrent et rejoignirent les armées des rois coalisés, constituant ainsi une menace pour la République. La conséquence immédiate de cette opposition au nouveau régime fut de déclarer coupables de conjuration et punis de mort, les émigrés dits « rassemblés1 ». Le terme d’« émigré rassemblé » désignait une personne sortie du royaume sans cause légitime et non encore rentrée le 1er janvier 1792. Le 27 juillet 1792, fut décrétée la mise en vente des biens d’émigrés, dits biens de la seconde origine.
3Après la bataille de Fleurus (26 juin 1794), bon nombre d’habitants des Pays-Bas autrichiens précédèrent ou accompagnèrent les armées impériales dans leur retraite vers l’Allemagne ou se réfugièrent en Hollande. Il est pratiquement impossible de faire le dénombrement des personnes qui ont, à ce moment, tenté de se mettre hors d’atteinte des troupes françaises. En effet, les listes de « prévenus d’émigration » ne furent dressées que deux ans après l’arrivée des armées républicaines2 ; alors que la chute de Robespierre (27 juillet 1794) qui pouvait laisser présager aux fugitifs la fin de la Terreur, se produisit à peine un mois après la bataille de Fleurus. Selon les membres de l’administration centrale et supérieure de la Belgique,
« la presque totalité des gens qui avaient un rang se sont retirés de Bruxelles et autres communes de la Belgique à l’approche des armées françaises ; les uns pour faire par ce sacrifice, leur cour à leurs maîtres dont ils se disaient les bons et fidèles sujets, d’autres par crainte du Robespierrisme qui était alors en pleine vigueur, tous en haine des français. Ils s’attendaient bien que leur mobilier serait la proie du vainqueur, mais ils ne comptaient pas que toutes leurs propriétés immobilières seraient destinées à l’indemniser des sacrifices immenses qu’il a dû faire pour conquérir sa liberté et celle de ses voisins. Ils profitent aujourd’hui de la facilité avec laquelle on s’appitoye sur leur sort et l’impossibilité morale de constater le vrai motif de leur fuite […]3 ».
4Ainsi, les listes des émigrés formées par l’Administration centrale de la Dyle en 1796 et 17974 ne nous semblent pas représentatives de l’ensemble des personnes qui quittèrent leur domicile en 1794, à l’approche des armées républicaines. En effet, ces listes ne reprennent que 434 personnes ; alors que les exactions commises par les troupes françaises en mai 1794 dans l’Entre-Sambre-et-Meuse5 et l’inflexibilité de la politique menée par le Comité de Salut Public6 (dont l’arbitraire devait être amplifié par les émigrés français présents à ce moment dans les Pays-Bas autrichiens), ne pouvaient qu’inciter ceux qui en avaient les moyens et qui, de par leur appartenance à l’une des classes privilégiées et/ou de par leur fonction, risquaient de devenir la cible du nouveau régime, à prendre le chemin de l’exil. Mais la chute de Robespierre, les mesures prises par les autorités républicaines pour faciliter le retour de ces « absents7 », les déclarations rassurantes des nouvelles institutions et la mise sous séquestre, sanction que faisaient peser celles-ci sur les personnes qui tardaient à rentrer et qui de ce fait risquaient d’être considérés comme « émigrées8 », contribuèrent à amorcer un mouvement de retour de ceux que l’occupant français pouvait estimer comme ayant fui le pays « par crainte ou frayeur ». Robert Devleeshouwer réfute, avec raison nous semble-t-il, le chiffre de 800 000 Belges émigrés avancé par Verhaegen9. Nous ne pouvons nier l’idée qu’à l’approche des troupes républicaines, une grande part de la population des Pays-Bas autrichiens fut prise de panique, mais cette estimation doit toutefois être sérieusement revue à la baisse. Le nombre d’habitants du futur département de la Dyle10 qui se réfugièrent à l’étranger, peut être évalué indirectement, et de manière très approximative, grâce aux listes d’émigrés dressées dans les départements français qui furent occupés durant l’année 1793 par les armées autrichiennes. Une occupation qui permit à tous ceux qui craignaient la Terreur de fuir la France. A défaut d’informations précises se rapportant aux Pays-Bas autrichiens sur ce sujet, nous ne pouvons que proposer une large fourchette comprise entre quelques milliers (Nord : 2635) et une vingtaine de milliers de personnes (Bas-Rhin : 20510)11.
5En bref, la « réintégration » des « absents » fut de deux types : d’abord, un mouvement relativement rapide, d’une certaine ampleur et probablement composé de personnes provenant de diverses catégories socio-professionnelles ; ensuite, étalés sur une dizaine d’années, des retours au coup par coup de membres de la haute noblesse et de fonctionnaires. Ceux-ci, étroitement liés à la cour de Vienne, préférèrent attendre que les événements se clarifient, quitte à devoir négocier avec la République leur « réintégration » dans les départements belges réunis à la France depuis le 1er octobre 1795.
Les hommes de confiance
6Excepté les biens vendus pour le payement de la contribution militaire, dans le département de la Dyle, comme dans les autres départements réunis à la France suite à la bataille de Fleurus, les biens d’origine nobiliaire vendus en tant que biens nationaux ne représentent qu’une part négligeable de l’ensemble des biens vendus durant la période française, alors que la possession foncière de la noblesse était importante dans le Brabant et qu’un grand nombre de nobles de nos régions disposaient d’un hôtel particulier dans la capitale des Pays-Bas autrichiens. Cette spécificité belge de la vente des biens nationaux s’explique principalement par le décalage temporel touchant l’application des lois réglant la vente des biens nationaux. Tandis qu’en France, les mesures prises par la République furent opérationnelles durant la période la plus intransigeante à l’égard des émigrés, les lois furent applicables dans les départements réunis le 6 décembre 1796. Les lois républicaines antérieures à cette date, non encore publiées dans les neuf départements et qui y devenaient applicables au même titre, furent également rendues obligatoires dans les départements réunis par l’arrêté du 7 pluviôse an V (26 janvier 1797), confirmé par celui du 22 floréal an V (11 mai 1797)12.
7Alors que la plupart des grandes familles étaient reprises dans les « listes des citoyens absens […] et qui sont prévenus d’émigration aux termes de la Loi du 25 brumaire, an troisième de la République » (telles que les de Ligne, d’Aremberg, de Croy, d’Argenteau, de Thiennes, de Labarre, de Roisin, d’Andelot, de Gages, d’Olmen de Poederlé…13), les biens d’émigrés français et de personnes qui, conformément à l’article IX du traité de Campo Formio, avaient déclaré cesser d’habiter les départements réunis ou encore celles qui n’avaient pas pu acquitter leur quote-part dans la contribution militaire, représentent moins d’un demi pour-cent de la surface des biens nationaux qui furent vendus dans le département de la Dyle. À titre de comparaison, 30058 hectares de biens d’émigrés furent vendus dans le département du Nord, soit 26 % de l’ensemble des biens nationaux aliénés dans ce département14. De plus, les biens d’émigrés vendus dans le département de la Dyle sont principalement composés de biens d’émigrés français, de biens d’ecclésiastiques ou de biens de fonctionnaires ayant choisis de rester à Vienne lorsque fut conclu le traité de Campo-Formio. Seules exceptions à ces trois catégories : deux bâtiments et un moulin situés à Diest, propriétés du prince d’Orange et quelques hectares de terre appartenant au prince de Ligne.
8Selon Suzanne Tassier, durant l’Ancien Régime, la noblesse avait « une action non seulement sur les hommes de loi qu’elle nommait dans ses fiefs, mais aussi sur les nombreux avocats qu’elle chargeait de la défense de ses intérêts, au cours d’innombrables procès aussi longs qu’embrouillés […] » et avait « […] envers le peuple une attitude patriarcale et bienveillante […]15 ». Les membres de la haute noblesse disposaient de régisseurs qui étaient extrêmement attentifs aux intérêts de leur maître. Ainsi les archives de l’administration de l’arrondissement du Brabant, de l’administration centrale et supérieure de la Belgique, de l’administration centrale de la Dyle et celles des commissaires du gouvernement dits Papiers Bouteville, sont parsemées de requêtes et de plaintes de ces hommes de confiance. Malgré leur exil, ces nobles disposaient encore dans nos régions, de puissants réseaux d’influence. Aux côtés de personnes relativement connues telles que A.-J. Nuewens pour le comte de Mérode ou Henry Gendebien pour le duc d’Aremberg, les émigrés pouvaient compter sur de nombreux receveurs, mandataires, agents d’affaires… qui tentaient de continuer à administrer localement leurs biens.
9Dans un premier temps, ceux-ci se chargèrent de récolter une partie des fonds nécessaires à l’acquittement de la quote-part de leur maître dans la contribution militaire. Ils procédèrent à la coupe et la vente de bois, se firent payer par anticipation les loyers et aliénèrent une partie des biens de leur mandant. Suite à l’apposition des scellés sur les biens des personnes absentes qui en fonction de la loi du 25 brumaire an III (15 novembre 1795) pouvaient être considérées comme émigrées, ces « différens agens régisseurs et receveurs d’émigrés ou absents » demandèrent « sous divers prétextes » à l’Administration centrale et supérieure de la Belgique de « continuer la régie des biens confiés à leurs soins ». Les représentants du peuple s’opposèrent à ces demandes16. Qu’à cela ne tienne, tout en veillant farouchement à limiter les dégradations commises dans les immeubles et les bois séquestrés, ils continuèrent très souvent à administrer les avoirs de ceux qui avaient pris le chemin de l’exil17. Au mépris de la loi, ces « receveurs » continuèrent à percevoir les revenus des biens qui leurs avaient été initialement confiés.
10Lorsque les absents tentèrent de se faire réintégrer, ces hommes de confiance servirent de relais entre les expatriés et les institutions républicaines, faisant preuve de trop de zèle au goût de certains responsables républicains. Aux élections de l’an V, qui devaient renouveler le tiers des députés « belges », 22 modérés dirigés par l’intendant du comte de Mérode-Westerloo, Nueuwens firent leur entrée dans le corps législatif. De même, une foule d’anciens baillis et de nobles accédèrent aux Conseils de département18. Vallé, « agent national par interim de l’administration de l’arrondissement de Namur », Neukome et Lerat, « membres de la dite administration », « tous trois citoyens français » avaient pressenti ce risque. Par leur lettre du 6 brumaire an IV (28 octobre 1796), ils prévinrent les représentants du peuple que
« […] si le gouvernement français laisse à présent aux habitans le choix de leurs magistrats, la révolution ne se fera pas ici, les loix françaises n’y seront point exécutées, surtout celles qui tendraient à apporter le moindre changement dans les institutions religieuses, dans les corporations, dans l’ancienne constitution du pays ; elles ne seront pas parce que les fonctionnaires publics seront tous intéressés à retarder l’exécution. Il existe dans la Belgique beaucoup de noblesse, beaucoup d’abbayes, beaucoup de corporations laïques et de corps de métiers ; et à leur suite, marche un nombreux cortège de gens d’affaires, de receveurs, de fournisseurs ; si les nobles, si les prêtres ne peuvent occuper eux-mêmes les emplois, à coup sûr ils feront porter les hommes dont nous avons parlé, leurs créatures, leurs agents de tous les tems ; et ces derniers quand ils ne seraient pas contents de leur changement d’existence, quand ils pourraient voir, avec sécurité, s’échapper de leurs mains des moyens innombrables de fortune, quand ils seraient partisans zélés et sincères du gouvernement républicain, pourraient-ils se refuser à des sentimens d’affection, de reconnaissance et d’intérêt pour leurs patrons, leurs clients, leurs amis ? Non sans doute ; et s’ils n’y résistaient pas à ces sentimens, en quelles mains serait la chose publique. […]19 ».
11Suite au coup d’État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) qui mit fin aux espérances des réactionnaires, nous retrouvons les « gens » du comte de Mérode-Westerloo et du duc d’Aremberg, parmi les chefs de la « Vendée belge » qui éclata en octobre 179820. Selon les adjudicataires de biens vendus pour l’acquittement de la contribution militaire et qui eurent maille à partir avec le duc d’Aremberg durant l’époque impériale, les « acquéreurs » furent « exposés à la persécution » et un grand nombre de ceux-ci furent pillés « pendant le brigandage de l’an VII21 ».
12La présence sur le terrain de ces hommes de confiance et d’influence eut comme résultat de freiner la mise en application de la législation républicaine relative aux biens d’émigrés et de contribuer de la sorte, à la sauvegarde de la propriété nobiliaire. De façon comparable, les ventes de biens d’émigrés dits biens nationaux de seconde origine qui avaient débuté dans le département du Nord au mois d’août 179322, ne commencèrent dans certaines paroisses du bocage vendéen qu’après le coup d’État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797)23.
Les listes d’émigrés
13À leur entrée dans les Pays-Bas autrichiens, les représentants du peuple introduisirent dans les pays conquis des mesures inspirées du sévère dispositif législatif français à l’encontre des absents. Dans ce sens, les représentants Laurent et Guyton prirent un arrêté à Mons le 15 messidor an II (3 juillet 1794), déclarant que tout habitant absent pouvait rentrer dans les quinze jours, mais que passé ce délai, les absents étaient « réputés émigrés, et leurs biens mis sous séquestre24 ». Une vingtaine de jours plus tard, le 5 thermidor (23 juillet 1794), Laurent décréta que les « individus absents » qui avaient « quitté leurs foyers que pour se joindre aux ennemis de la République » et qui « comme les émigrés français » méritaient « toute la rigueur des lois révolutionnaires » ou ceux qui eussent favorisé « de quelque manière que ce soit, des projets de contre-révolution », ne pouvaient rentrer sous peine de mort. Le Magistrat de la ville de Bruxelles questionna promptement le représentant Laurent sur l’interprétation qu’il convenait de donner à son arrêté25. Rassurée, l’institution bruxelloise pouvait déclarer le 1er août 1794 « que ceux qui se sont absentés uniquement par crainte ou frayeur, ne sont pas compris dans la classe des absens contre lesquels la loi sévit26 ». Cette précision demandée par le Magistrat de Bruxelles pour « faire cesser l’inquiétude, que les habitans témoignent journellement » poussa les représentants du peuple à nettement différencier les « bons citoyens » des « malveillants27 ». Cette distinction officiellement confirmée par les arrêtés du 27 thermidor an II (14 août 1794) et du 8 frimaire an III (28 novembre 179428), garantissait aux autorités républicaines mises en place dans les pays conquis, une marge de manœuvre leur permettant de régler avec souplesse les questions d’émigration. Les décisions de mainlevées définitives des scellés devaient être prises par l’Administration centrale sur avis des administrations d’arrondissements, et confirmées par les représentants du peuple29. Ainsi, les comités de surveillance ou, en leur absence, les municipalités et magistrats, devaient se charger de toutes les dispositions pratiques de ces deux arrêtés. Ils disposaient d’une petite porte leur permettant de donner un avis favorable aux motifs invoqués par les absents désirant faire lever les séquestres de leurs biens et pouvoir retourner chez eux en toute quiétude. Et comme le souligne avec perspicacité Robert Devleeshouwer, les magistrats d’Ancien Régime étaient toujours en place30… Dans ces circonstances, les motifs invoqués par les émigrés furent dans la majorité des cas, jugés favorablement31.
14L’arrêté des représentants du peuple du 9 germinal an III (29 mars 1795) autorisait à revenir dans leurs foyers « toute personne vivant du travail de ses mains, les artistes, les hommes-de-lettres, les cultivateurs, négocians, marchands, fabriquans, banquiers domiciliés dans les pays conquis, avant l’entrée des troupes françaises et qui s’en sont absentés », les rétablissait « sur-le-champ, dans la disposition de leurs biens » et annulait les séquestres établis sur leurs biens. Cet arrêté rétablissait également dans « la disposition de leurs biens », « les personnes qui se trouveroient rentrées dans l’étendue des pays conquis, à l’époque de la promulgation du présent arrêté32 ». En décrétant par l’arrêté du 29 brumaire an III (19 novembre 1794) que « toutes les propriétés mobiliaires et immobiliaires existantes dans la Belgique et autres pays conquis, provenant du gouvernement ennemi, du ci-devant clergé de France, des maisons ecclésiastiques abandonnées et de tous autres émigrés, acquises et confisquées au profit de la république » devaient être « régies et administrées conformément aux loix françaises », les représentants du peuple définirent les grandes lignes de ce qui devait aboutir à l’établissement d’une direction des domaines nationaux33. L’Administration centrale et supérieure de la Belgique en prescrivit par son arrêté du 9 frimaire an III (29 novembre 1794), le mode d’exécution34. Ensuite, l’Administration de l’arrondissement du Brabant enjoignit, le 5 nivôse an III (25 décembre 1794), les municipalités et les magistrats à se conformer « littéralement » aux directives de l’administration centrale et à « procéder desuite à la nomination des commissaires pour l’apposition des scellés, et confection des inventaires des meubles et effets des émigrés et autres personnes qui sont dans le cas y désignés35 ». L’arrêté du 9 frimaire an III fut complété le 23 nivôse an III (12 janvier 1795) par un nouvel arrêté de l’Administration centrale36. La levée des scellés constituait le principal motif qui poussait les absents à entamer des démarches auprès des autorités républicaines. En outre, une période d’au moins 6 mois séparait le moment où les troupes françaises firent leur entrée dans les Pays-Bas autrichiens et la mise en application des mesures organisant la mise sous scellés des biens des émigrés. Nous pouvons dès lors en déduire qu’un bon nombre d’absents rentrèrent tacitement « dans la possession et jouissance de leurs biens », sans qu’il en subsiste aucune trace officielle.
15Lorsque les mesures préconisées par l’arrêté du 8 frimaire furent mises en vigueur de manière effective, les arrêtés du 9 prairial an III (28 mai 1795), qui simplifiaient les formalités à accomplir et qui réduisaient à trois jours les délais d’enquête à faire par les administrateurs, et du 4 fructidor an III (21 août 1795), qui ordonnait que les absents devaient être mis en possession de leurs biens sur le seul vu de l’arrêté de réintégration37, assouplirent considérablement les modalités permettant la réintégration des émigrés. Selon Robert Devleeshouwer, « au moment de la réunion, le problème de l’émigration est presque résolu, du moins quantitativement38 ». Suite à l’annexion des départements « belges » à la République (1er octobre 1795), l’Administration centrale du département de la Dyle décida, le 24 pluviôse an IV (13 février 1796), de former les listes d’émigrés39. En principe, l’élaboration de ces listes aurait dû débuter antérieurement. En effet, la loi du 25 brumaire an III (15 novembre 1794) ordonnait que fussent traités comme émigrés tous les citoyens des départements réunis qui étaient sortis depuis l’émission du vœu de réunion et qui n’étaient pas rentrés dans un délai de 3 mois40. Or, d’après le commissaire du Directoire près le département de la Dyle, Lambrechts « en exécutant ainsi à la lettre cette loi, on allait tomber dans un dédale de difficultés à cause des variantes que cela entraînerait41 ». Pour celui-ci, la loi du 25 brumaire an III qui fut publiée près d’un an plus tard dans les départements réunis42, faisait référence au décret de réunion dont la date variait d’une commune à l’autre. Lambrechts demanda au ministre de l’Intérieur de lui « fixer une époque certaine à laquelle les peines de l’émigration auraient lieu pour la généralité des départements dernièrement réunis43 ». À cette fin, il proposa le 15 ventôse an IV (5 mars 1796) ou le 1er germinal an IV (21 mars 1796). Après qu’on lui ait répondu que sa question allait être soumise au Directoire exécutif, un mois s’écoula sans qu’aucune décision ne fut prise. Finalement le 24 pluviôse an IV (13 février 1796), il prit un arrêté définitif concernant les émigrés qui comprenait la formation des listes44. Le 23 floréal an IV (12 mai 1796), fut publiée la première de ces listes de « citoyens absens dont le domicile se trouve dans l’arrondissement du département de la Dyle, et qui sont prévenus d’émigration45 ». Enfin le 10 fructidor an IV (27 août 1796), le Directoire exécutif ordonna la publication et de ce fait, la mise en vigueur dans les neuf départements réunis, de l’ensemble des lois françaises relatives à l’émigration46. La radiation des listes d’émigrés permettait aux absents une récupération automatique de leurs biens. C’est ainsi que l’Administration du département fut assaillie de demandes de radiation qui invoquaient, pour la moitié des cas, des causes de maladie et expliquaient de cette manière l’impossibilité de retour dans les départements réunis en-deçà des 3 mois suivant le décret de réunion à la France47.
16Averti que les émigrés rentraient « de toutes parts sur le territoire de la république » et que les uns espéraient « y rester à l’abri de toutes recherches », que d’autres se flattaient d’exciter des troubles d’où ils espéraient « tirer un résultat heureux pour le retour de l’ancien ordre des choses », le ministre de la Police générale, Cochon, critiqua la « crédulité » et la « coupable insouciance » des administrations municipales. De même, il recommanda à l’Administration du département de la Dyle de faire preuve de la plus grande vigilance à l’égard des émigrés. Dans sa lettre, il notait :
« Les administrations centrales de départements accueillent leurs réclamations tardives ; et ils se prévalent d’un arrêté portant leur radiation provisoire pour marcher tête levée sur le sol de la République, intimider les acquéreurs de biens nationaux, calomnier le gouvernement, de fomenter partout l’esprit de défiance, de division et de troubles. J’ai lieu d’être surpris, citoyens, des facilités que trouvent les ennemis de la République pour rentrer dans son sein, après l’avoir quitté dans l’odieux dessein de soulever l’Europe contre elle. […]48 ».
17Par contre, les administrateurs du département de la Dyle considéraient qu’il existait « une différence incalculable entre les absens des nouveaux départemens réunis et les émigrés des anciens départements ». Selon ceux-ci,
« les premiers n’ont jamais rien fait contre la république ; ils n’ont jamais porté les armes contre elle ; ils n’ont jamais servi dans aucun corps ni de Condé, ni des autres princes français ; ils n’ont même jamais eu rien de commun avec les émigrés des anciens départemens, de manière que les maux que le corps législatif a voulu éviter ne sont nullement à craindre de nos absens que nous avons rayés provisoirement49 ».
Le coup d’État du 18 fructidor
18Le 19 fructidor an V (5 septembre 1797) de nouvelles mesures sévères frappèrent les émigrés. Résultat du coup d’État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) qui constituait une réaction républicaine à la progression de la droite aux élections partielles de prairial an V50, la loi du 19 fructidor an V (5 septembre 1797) fut partiellement contestée par les administrateurs du département de la Dyle. En effet, selon l’article XV de cette loi qui contenait
« des mesures de salut public, prises relativement à la conspiration royale », « tous les individus inscrits sur la liste des émigrés, et non rayés définitivement, seront tenus de sortir du territoire de la république, savoir : de Paris et de toute autre commune dont la population est de vingt mille habitans et au-dessus, dans les vingt-quatre heures qui suivront la publication de la présente loi ; et, dans les quinze jours qui suivront cette même publication, de toutes les autres parties de la république51 ».
19Les administrateurs réclamèrent contre cette mesure, en alléguant le fait que le corps législatif n’avait pas « songé aux absens des départemens réunis par la loi du 9 vendémiaire an V » et que dans ces conditions, la loi du 19 fructidor s’appliquait indistinctement aux « malveillants » et aux émigrés qui avaient « quitté leur patrie sans vues hostiles52 ». Dans sa réponse, le ministre de la Police générale, Sotin, ne mâcha pas ses mots :
« je ne m’attendois pas à trouver, après la journée mémorable de fructidor, des protecteurs des émigrés parmi les administrateurs chargés de provoquer toute la sévérité des loix contre ces mortels ennemis de la République. C’est au silence coupable des fonctionnaires publics, apathiques ou prévaricateurs, c’est à l’inexécution des loix auxquelles vous demandez aujourd’hui des exceptions, c’est à la scandaleuse protection accordée aux émigrés par des administrateurs indignes de la confiance des Républicains, qu’il faut attribuer tous les maux qui ont désolé la France, la corruption de l’esprit public, les progrès du Royalisme et les espérances de nos ennemis ».
20Concernant l’octroi à la catégorie des émigrés qui s’étaient absentés « uniquement par crainte ou frayeur » d’un nouveau délai leur permettant de réclamer contre leur inscription sur la liste des émigrés, le ministre s’indignait du fait que « ceux qui sont allés mendier des ennemis à leur Patrie et se sont réunis à eux dans l’exécrable projet de rétablir les différentes tyrannies qui l’avoient opprimées » pouvaient trouver de la sorte, « protection et appui », alors qu’ils ne devaient cette faveur « qu’à leur lâcheté de n’avoir pas marché sous les drapeaux de nos ennemis53 ».
21La campagne d’Italie menée par Bonaparte décida provisoirement du sort des émigrés des départements réunis. Pour les émigrés, la conclusion du traité de Campo-Formio (26 vendémiaire an VI : 17 octobre 1797) s’avéra être une sévère désillusion. Avec ce traité de paix entre la République et l’Autriche, s’envolaient les espoirs d’une éventuelle rétrocession des Pays-Bas autrichiens à la maison des Habsbourg. L’empereur François II renonçait par l’article III de cet accord à « tous ses droits et titres sur les ci-devant provinces belgiques, connues sous le nom de Pays-Bas autrichiens54 ». Mais, le traité de Campo-Formio stipulait également que
« dans tous les pays cédés, acquis par le présent traité, il sera accordé à tous les habitans et propriétaires quelconques, main-levée du séquestre mis sur leurs biens, effets et revenus, à cause de la guerre qui a eu lieu entre sa majesté impériale et royale et la république française, sans qu’à cet égard ils puissent être inquiétés dans leurs biens ou personnes ».
22Ceux qui voulaient « cesser d’habiter lesdits pays » étaient tenus « d’en faire la déclaration trois mois après la publication du traité de paix définitif55 ».
23Après qu’un grand nombre d’émigrés aient pu réintégrer la Belgique et récupérer leurs biens, bénéficiant en général de la bienveillance des autorités constituées, l’arrêté des consuls du 28 vendémiaire an IX (20 octobre 1800) fit la distinction entre les expatriés, partis grossir les rangs des ennemis, et ceux qui avaient fui par peur. Ces derniers pouvaient à condition de prêter serment de fidélité à la Constitution et d’obtenir l’autorisation du préfet du département, être soustraits des listes d’émigrés56.
Entre Paris et Vienne
24Après son coup d’État du 18 brumaire (9-10 novembre 1799), Bonaparte entama sa politique de réconciliation des Français divisés par la Révolution. À propos du caractère censitaire du nouveau régime, Henri Pirenne écrit :
« Ainsi la souveraineté du peuple se trouve déléguée à un groupe de censitaires. Les classes possédantes seules représentent la nation et sont associés à l’action gouvernementale. Désormais le propriétaire est le citoyen par excellence et le pouvoir nouveau qui s’institue repose sur la confiance des détenteurs de la fortune dont les intérêts se solidarisent avec les siens. En s’appuyant sur eux, il consolide définitivement le régime sorti de la Révolution, car il rassure à la fois et les anciens et les nouveaux riches. Pour les premiers, il est la garantie de ce qu’ils ont conservé, pour les seconds, la garantie de ce qu’ils ont acquis. Grâce à lui, les ci-devant nobles n’ont plus à craindre d’être dépossédés par les jacobins, ni les acheteurs de biens nationaux par les royalistes. […]57 ».
25Le mémoire que rédigea au mois de thermidor an VIII (20 juillet 1800-18 août 1800), le président du Conseil de la Préfecture de la Dyle illustre assez bien les répercussions qu’entraînèrent ce changement de régime sur l’attitude des autorités républicaines à l’égard des émigrés. Considérant que les absents belges ne pouvaient être assimilés aux émigrés français et qu’aucune des lois pénales sur l’émigration antérieure à la paix de Campo-Formio ne pouvait leur être appliquée, De la Puente écrivit :
« la loi du 25 brumaire an III, et le décret de l’Assemblée nationale du 9 vendémiaire ne peuvent être envisagés, à l’égard des Belges, que pour des convulsions révolutionnaires produites par un vice spoliateur, et qui cessent à l’instant même que la justice reprend son empire58 ».
26Le traité de paix de Lunéville du 20 pluviôse an IX (9 février 1801) confirma le traité de Campo-Formio. L’Autriche cédait, une fois de plus, les Pays-Bas à la France, dissipant de ce fait les derniers espoirs des émigrés d’une restauration autrichienne dans les Pays-Bas. De même, ce traité contenait l’article IX du traité Campo-Formio relatif à la levée des séquestres accordée à tous les habitants des départements réunis et au choix que devaient faire les émigrés entre la nationalité française et autrichienne. Dans ce cadre, 162 « Belges » firent leur « déclaration de transport et domicile », autrement dit optèrent officiellement pour l’Autriche59.
27L’article VI du traité de Lunéville donnait à la France ses « frontières naturelles ». En faisant repasser « les pays et domaines situés à la rive gauche du Rhin », de « l’empire germanique » à la République, il délimitait la France, de l’Empire « depuis l’endroit où le Rhin quitte le territoire helvétique, jusqu’à celui où il entre dans le territoire batave ». En conséquence, suivant l’article VII du même traité, plusieurs princes et états de l’empire se trouvaient particulièrement dépossédés « en tout ou en partie ». Or, comme il était convenu entre l’empereur et la République que « les pertes résultant des stipulations du présent traité » devaient être supportées par « l’empire germanique collectivement », celui-ci devait se charger de donner aux princes héréditaires qui se trouvaient « dépossédés à la rive gauche du Rhin », un dédommagement « dans le sein dudit empire60 ». Après avoir fait indemniser tous ces princes sur la rive droite du Rhin, la France réunit au domaine national leurs propriétés situées sur le territoire de la République.
28Le 6 floréal an X (26 avril 1802), le sénatus-consulte décréta l’amnistie. Présentée comme une mesure devant mener à la réconciliation nationale, nous voyons poindre, dans le préambule de cette loi, la politique d’expansion de Napoléon :
« […] Considérant qu’aux diverses époques où les lois sur l’émigration ont été portées, la France, déchirée par des divisions intestines, soutenoit, contre presque toute l’Europe, une guerre dont l’histoire n’offre pas d’exemple, et qui nécessitait des dispositions rigoureuses et extraordinaires ;
Qu’aujourd’hui la paix étant faite au-dehors, il importe de la cimenter dans l’intérieur par tout ce qui peut rallier les Français, tranquilliser les familles, et faire oublier les maux inséparables d’une longue révolution ;
Que rien ne peut mieux consolider la paix au-dedans, qu’une mesure qui tempère la sévérité des lois et fait cesser les incertitudes et les lenteurs résultant des formes établies par les radiations ; […] ».
29Suivant cette volonté de renforcer l’État, en recréant une cohésion sociale en son sein, les individus qui étaient prévenus d’émigration et qui n’avaient pas été rayés définitivement pouvaient être amnistiés après avoir fait une déclaration auprès des commissaires qui avaient été délégués à cet effet dans plusieurs villes de la République et prononcés un serment de fidélité au « gouvernement établi par la constitution » et « de n’entretenir, ni directement ni indirectement, aucune liaison ni correspondance avec les ennemis de l’État », et après avoir également renoncé aux « places, décorations, traitemens ou pensions » que ceux-ci avaient pu obtenir « des puissances étrangères61 ». Questionné sur l’interprétation de cette loi d’amnistie, le conseil d’État observa le 9 thermidor an X (28 juillet 1802), « que la plupart des conditions imposées par le sénatus-consulte à l’émigré lui même, sont inapplicables à ses héritiers62 ». Ainsi, la France exigea des « princes de l’empire germanique » qui étaient, en même temps, considérés comme « absens belges » et qui, en cette qualité, réclamaient la main-levée du séquestre, qu’ils renonçassent, en faveur d’un de leurs enfants ou proches, aux possessions qu’ils avaient obtenues à titre d’indemnité de même qu’à tous droits et titres étrangers63.
30Donc, lorsque furent mis à exécution par l’arrêté du 21 floréal an XII (11 mai 1804), les dispositions du traité de Lunéville relatives aux biens qui devaient être dévolus à la France, une exception fut faite pour les biens des ducs d’Aremberg, de Croy, de Looz-Corswarem, des princes de la Tour-Taxis, de Salm-Salm, de Salm-Kirbourg et de Ligne « situés dans les Pays-Bas ci-devant autrichiens, à l’égard desquels il a déjà été disposé ou sera par des arrêtés particuliers64 ». Dans cette optique, Charles, prince de Ligne renonça à sa qualité de Français et fit « l’abandon et la cession irrévocable » de tous les biens qu’il possédait en faveur de son fils, Louis-Eugène Lamoral-de-Ligne. « Tout séquestre existant sur les biens, soit de Charles prince de Ligne, soit de Louis-Eugène Lamoral » était levé au profit de ce dernier65. Louis-Englebert d’Aremberg qui d’après sa femme, ne voulait pas « se montrer inutilement », mais ne comptait que « rentrer dans ses propriétés » et ne « chercher à s’attacher à la République qu’en simple qualité de père de famille et non pour y occuper des emplois66 », déclara « vouloir être citoyen françois ». Il renonça en faveur de son fils, Prosper-Louis d’Aremberg
« 1° à la principauté de Meppen, et à toutes autres possessions qu’il aurait pu obtenir en Allemagne, à titre d’indemnité ; 2° à ses droits de présence et de suffrage au collège des princes, ainsi qu’à tous autres droits politiques qui peuvent lui compter comme membre de l’empire germanique ; 3° à tous les titres féodaux, ordres de chevalerie, distinctions et qualifications inconciliables avec la constitution de république67 ».
31Pour sa part, le comte de Mérode-Deynse céda et abandonna
« par forme de donation pure et simple et irrévocable, à dame Marie-Joseph-Félix Ghislaine d’Ongnyes de Grimberghe, épouse de Guillaume Charles de Mérode-Westerloo, sa nièce et seule présomptive héritière, tous ses biens quelconques situés en France68 ».
32Suite aux décrets du 6 avril 1809 et du 24 avril 1810 qui offraient l’amnistie à certaines catégories de Français ayant été « au service des Puissances étrangères69 », Napoléon offrit, le 28 août 1811, une seconde chance à ceux qui conformément à l’article IX du traité de Campo-Formio avaient déclaré vouloir rester autrichiens. Ceux-ci eurent jusqu’au 1er janvier 1812 pour faire « la déclaration de l’intention où ils sont de reprendre leurs droits & qualités de Français ». Grâce aux lettres-patentes qui devaient leur être délivrées, ils pouvaient faire aussitôt lever le séquestre qui avait été apposé sur leurs biens. Par contre, les biens de ceux qui n’avaient pas fait cette déclaration étaient réunis au domaine impérial70. Le délai octroyé pour faire la déclaration prescrite fut prorogé au 1er janvier 181371. Le 16 avril 1812, le directeur des Domaines du département de la Dyle questionna le préfet, Latour du Pin, sur le sort qui devait être réservé aux biens du duc d’Aremberg et du comte de Mérode-Deyne. Il lui répondit :
« Le ministre des Finances vient de me faire connaître, que les dispositions du décret du 28 août 1811, en ce qui concerne le séquestre, ne sont pas applicables à M.M. d’Aremberg & Mérode-Deyne, parce que l’arrêté du gouvernement du 6 brumaire an XII & le décret impérial du 8 germinal an XIII, en approuvant la cession faite par eux, à leurs plus proches successibles français, des biens situés en France, ont accordé main-levée au séquestre. Il ne peut donc plus être question de mettre de nouveau sous la main du domaine des biens qui depuis longtems ne sont plus la propriété des cessionnaires. […]72 ».
33En effet, durant le laps de temps qui sépare la publication des premiers textes législatifs concernant l’émigration et la mise en application des mesures prises en la matière, période comprise entre l’arrivée des troupes républicaines dans les Pays-Bas autrichiens, d’une part, et la fin de l’empire napoléonien, d’autre part, Louis Eugène Lamoral, prince de Ligne avait pris le commandement de la garde d’honneur de Bruxelles. Guillaume Charles, comte de Mérode-Westerloo était devenu sénateur et maire de Bruxelles ; Louis-Englebert, duc d’Aremberg avait également été nommé sénateur de l’Empire ; et son fils Louis-Prosper après avoir obtenu le 25 juillet 1806, l’annulation de sa renonciation à sa qualité de Français rentrant de ce fait, en jouissance des droits qu’il pouvait avoir des biens de sa famille situés en France, tout en restant en possession de ce que son père lui avait cédé comme titres et possessions qu’il détenait ou qu’il avait obtenu en Allemagne73, avait levé un régiment de cavalerie pour Napoléon et avait épousé une parente de l’impératrice Joséphine.
34Grâce au Concordat et à cette politique d’apaisement envers la noblesse, Bonaparte put renforcer le régime impérial par les importants piliers de l’Ancien Régime.
35En conséquence, la noblesse belge, n’ayant pas eu trop à souffrir de la République, ne se heurta pas directement lors des changements successifs de régime aux acquéreurs de biens nationaux74, comme ce fut le cas en France où le pouvoir intervint en faveur des anciens émigrés en les indemnisant par la loi dite du « milliard » du 27 avril 1825.
36Malgré le fait que les importantes possessions foncières de la noblesse ne furent que très légèrement entamées, il est néanmoins manifeste que l’exil des grandes familles empêcha d’importantes fortunes de l’époque de participer à l’achat de biens nationaux lorsque ceux-ci étaient aux conditions les plus intéressantes. L’absence des membres de la haute noblesse durant l’époque directoriale a ainsi indirectement laissé le champ libre à la bourgeoisie de nos régions, pour acquérir tout ce que les compagnies de spéculateurs n’avaient pas pu acheter.
37Nous pouvons également nous interroger sur le poids, la pression, la menace que représentaient les séquestres et l’éventuelle mise en vente des biens d’émigrés. Il est évident que, suivant la manière dont fut utilisée la pratique de la nationalisation ou de la restitution des biens, le gouvernement français employa le statut d’émigré afin de prévenir certains actes nuisibles à la République et ultérieurement à l’Empire. Inversement, la radiation des listes d’émigrés permettait au gouvernement de se concilier certains éléments qui lui étaient initialement hostiles.
Notes de bas de page
1 Pasimonie, 1re série, T. III, p. 479.
2 P. Claessens, « Otages et émigrés de Bruxelles et du Brabant au temps du “ça ira” », dans Brabantica, 1956, p. 348.
3 Bruxelles, AGR, Administration centrale et supérieure de la Belgique n° 2146, séance de l’Administration centrale du 12 ventôse an III (2 mars 1795).
4 Bruxelles, AGR, Administration centrale de la Dyle n° 2682.
5 H. Hasquin, « De Fleurus à l’annexion à la République : un pays meurtri », dans H. Hasquin (sous la direction de), La Belgique française, Bruxelles, 1993, p. 47.
6 R. Devleeshouwer, L’arrondissement du Brabant sous l’occupation française, 1794-1795. Aspects administratifs et économiques, Bruxelles, 1964, p. 286.
7 H. Pirenne, Histoire de Belgique, t. V, 1930, p. 319
8 R. Devleeshouwer, L’arrondissement du Brabant…, p. 288 et 289
9 Ibid, p. 287-288.
10 Charles Oudiette estime sur base du recensement de 1786, la population du département de la Dyle à 388 050 habitants (C. Oudiette, Description géographique et topographique du département de la Dyle, Bruxelles, an VIII).
11 M. Boffa, Émigrés, dans F. Furet et M. Ozouf (sous la direction de), Dictionnaire de la Révolution Française, vol. Acteurs, Paris, 1992, p. 315-329.
11 L. Schaeck-Dumont, L’émigration de 1794 dans le département de Jemappes, mémoire inédit ULB, année académique 1960-1961, p. 77.
12 Ibid., p. 88 et 89.
13 G. Lefebvre, Les paysans du Nord pendant la Révolution française, Paris, 1924, p. 964 et 965.
14 S. Tassier, Les démocrates belges…, p. 16.
15 Bruxelles, AGR, Administration centrale et supérieure de la Belgique n° 39, « Résumé des affaires générales et d’une importance majeure traitée par l’administration centrale de la Belgique depuis son installation jusqu’au 1er de pluviôse, 3e année républicaine ».
16 R. Devleeshouwer, L’arrondissement du Brabant…, p. 303.
17 L. Dhont, « Les processus révolutionnaires et contre-révolutionnaires en Belgique », dans F. Lebrun et R. Dupuy (ed.), Les résistances à la Révolution. Actes du colloque de Rennes du 17 au 21 septembre 1985, Paris, 1987, p. 278.
18 Bruxelles, AGR, Administration centrale et supérieure de la Belgique n° 2303, lettre de Vallé, Neukome et Lerat aux représentants du peuple, datée du 6 brumaire an IV (28 octobre 1795).
19 L. Dhont, op. cit., p. 279.
20 Mémoire pour les acquéreurs des biens ayant appartenus au duc d’Aremberg, Bruxelles, 1806, p. 22.
21 G. Lefebvre, Les Paysans du Nord…, p. 465.
22 A. Bendjebbar, « Propriété et Contre-Révolution dans l’Ouest… », in R. Dupuy et F. Lebrun, op. cit. p. 296.
23 R. Devleeshouwer, L’arrondissement du Brabant…, p. 288.
24 Ibid., p. 288-289.
25 Ibid., p. 289 ; Huyghe, « Recueil des proclamations et arrêtés des représentans du peuple français envoyés près les armées du Nord et de Sambre-et-Meuse, etc., ainsi des ordonnances, règlemens et autres actes du Magistrat et autres autorités constituées de la Ville et Quartier de Bruxelles émanées à Bruxelles depuis l’entrée victorieuse des troupes de la République française dans cette ville, le 21 messidor an II de la République, 9 juillet 1794 », vieux style, t. I, p. 52 et 53.
26 Ibid., t. I, p. 53.
27 R. Devleeshouwer, L’arrondissement du Brabant…, p. 289.
28 Ibidem ; Arrêté des représentants du peuple du 27 thermidor an II- (14 août 1794) (Huyghe, Recueil des proclamations et arrêtés…, t. I, p. 72 et 73) ; Arrêté du 8 frimaire an III -28 novembre 1794 (Huyghe, op. cit., p. 120 et 121).
29 R. Devleeshouwer, L’arrondissement du Brabant…, p. 289.
30 Ibid., p. 290.
31 Ibid., p. 290. Les absents présentèrent des requêtes, à la limite du tragi-comique qui motivaient généralement leur départ par la « terreur bien fondée » de la guerre et de « Robespierre et ses satellites » ou par des raisons totalement étrangères aux événements politiques, tels qu’un voyage d’affaires, des problèmes familiaux, etc. ; ensuite ceux-ci expliquèrent qu’en raison de leur santé, des combats, de la « mauvaise saison », etc., ils ne purent rentrer dans les délais prescrits. Les arguments avancés par les absents pour justifier leur retard, pouvaient de près ou de loin se rapporter à la notion d’« obstacles » stipulée dans l’article VII de l’arrêté du 27 thermidor et confirmée par celui du 8 frimaire, leurs donnant ainsi l’occasion de pouvoir revendiquer l’exception qui permettait de faire lever les sanctions résultant d’un retour postérieur à l’expiration du délai accordé.
32 R. Devleeshouwer, op. cit., p. 292 et 293 ; Huyghe, Recueil des proclamations et arrêtés…, t. I, p. 144 et 145.
33 Huyghe, op. cit., t. II, p. 91, 92 et 93.
34 Ibid., t. II, p. 126 à 129.
35 Bruxelles, AGR, Administration de l’arrondissement du Brabant n° 294, circulaire de l’Administration d’arrondissement aux municipalités et magistrats de son ressort, datée du 5 nivôse an III (25 décembre 1794).
36 R. Devleeshouwer, L’arrondissement du Brabant…, p. 300.
37 Ibid., p. 293.
38 Ibid., p. 295.
39 J. Rossi, C.S.M. Lambrechts, commissaire du Directoire exécutif près le département de la Dyle, Mémoire inédit, ULB, 1958-1959.
40 Ibid., p. 165 et 166.
41 Bruxelles, AGR, Papiers Bouteville n° 31, lettre de Lambrechts à Bouteville en date du 20 nivôse an IV (10 janvier 1796).
42 Huyghe, Recueil des proclamations et arrêtés…, t. V, p. 185.
43 Bruxelles, AGR, Papiers Bouteville n° 31, lettre de Lambrechts à Bouteville, datée du 20 nivôse an IV (10 janvier 1796).
44 J. Rossi, op. cit., p. 166.
45 Huyghe, op. cit., t. VIII, p. 100 à 111
46 F. Leleux, Un démocrate inconditionnel, Charles Lambrechts, 1753-1823, s.l., 1989, p. 251 ; Huyghe, op. cit., t. X, p. 3 à 129.
47 Bruxelles, AGR, Administration centrale de la Dyle n° 2682, Liste nominale des prévenus d’émigration qui se sont pourvus en radiation dans le département de la Dyle. Entre le 18 frimaire an IV (9 décembre 1795) et 12 messidor an V (30 juin 1797) furent présentés 80 demandes de radiation. 63 radiations provisoires furent accordées, 1 fut refusée, et 16 étaient qualifiées d’« affaire non terminée » lorsque cette liste fut clôturée.
48 Br Bruxelles, AGR, Administration centrale du département de la Dyle n° 2644, lettre du ministre de la Police générale de la République à l’Administration centrale du département de la Dyle, datée du 7 vendémiaire an V (28 septembre 1796). Bruxelles, AGR, Administration centrale de la Dyle n° 2644, lettre des administrateurs du département de la Dyle au ministre de la Police générale datée du 8 vendémiaire an VI (19 octobre 1797).
49 Huyghe, Recueil des loix de la république française et des arrêtés et actes des autorités constituées dans les départements réunis, 1re série, t. XV, p. 327 et 328.
50 Huyghe, op. cit., 1re série, t. XV, p. 332.
51 Bruxelles, AGR, Administration centrale de la Dyle n° 2644, lettre des administrateurs du département au ministre de la Police, Sotin, datée du 25 fructidor an V (11 septembre 1797).
52 Bruxelles, AGR, Administration centrale de la Dyle n° 2644, lettre du ministre de la Police générale, Sotin, aux administrateurs de la Dyle, datée du 28 vendémiaire an VI (19 octobre 1797).
53 Huyghe, Recueil des loix de la république française et des arrêtés…, t. XVII, p. 107.
54 Ibid., p. 109.
55 Huyghe, Recueil des loix de la République française et des arrêtés…, 2e série, t. III, p. 348 à 355.
56 H. Pirenne, Histoire de Belgique…, t. III, p. 354.
57 F. Bogaert, La vente des biens nationaux à Bruxelles, 1796-1814, mémoire inédit de l’UCL, année académique 1957-158, p. 42 et 43.
58 Huyghe, Recueil des loix de la République française et des arrêtés…, 2e série, t. V, p. 107 à 113.
59 Bruxelles, AGR, Enregistrement et Domaines n° 90, Liste nominative des Belges qui d’après l’article 9 du traité de Campo-Formio devaient en quittant le pays faire leur déclaration de transport et domicile et la vente de leurs biens. Ceux-ci étaient pratiquement tous militaires ou fonctionnaires au service de l’Autriche.
60 Huyghe, op. cit., 2e série, t. V, p. 110.
61 Huyghe, Recueil des loix de la République française et des arrêtés…, 2e série, t. VIII, p. 214 et 215.
62 Ibid, 2e série, t. IX, p. 247 à 249. Selon le conseil d’État, « l’amnistie ayant principalement accordée en faveur des familles d’émigrés, il est tout-à-fait conforme à l’esprit du sénatus-consulte d’étendre la grâce aux héritiers, quand la mort a mis le prévenu lui même hors d’état d’en profiter ».
63 Il est à noter qu’en fonction de la loi du 1er floréal an III (20 avril 1794), section 3, article LV (loi publiée dans les départements réunis le 10 fructidor an IV : 27 août 1796), « toute femme d’émigré » avait la faculté de déclarer renoncer à la communauté de biens qui avait existé entre elle et son époux. Par l’article LXIV, les dispositions prescrites à l’égard des femmes d’émigrés étaient applicables aux enfants d’émigrés qui se trouvaient « aux droits de leurs mères ». (Huyghe, Recueil des proclamations et arrêtés…, t. X, p. 80 et 81).
64 Huyghe, op. cit., 3e série, t. I, p. 95 à 98.
65 Ibid., 3e série, t. I, p. 341 à 343.
66 P. Verhaegen, Le conseiller d’État, comte Cornet de Grez (1735-1811), Bruxelles, 1934, p. 328. Lettre de la duchesse Brancas d’Aremberg à Cornet, datée du 3 septembre 1803.
67 Huyghe, op. cit., 2e série, t. XIII, p. 338.
68 Huyghe, Recueil des loix de la République française et arrêtés…, 3e série, t. 2, p. 138 et 139.
69 Ibid., t. VIII, p. 108 à 114 et t. X, p. 37 et 38.
70 Ibid., t. XIV, p. 252 à 254.
71 Ibid., t. XVI, p. 367 et 368.
72 Bruxelles, AGR, Enregistrement et Domaines n°90, lettre du préfet de la Dyle, Latour du Pin au directeur des Domaines, datée du 16 avril 1812.
73 Huyghe, Recueil des loix de la République française…, 3e série, t. IV, p. 344.
74 Concernant les biens vendus pour l’acquittement de la contribution forcée de 1794-1795, ralliés au régime impérial, le comte de Mérode-Westerloo et le duc d’Aremberg engagèrent des procédures judiciaires pour récupérer les biens que vendirent les magistrats de Bruxelles et de Louvain pour le payement de leur quote-part (Mémoire pour les acquéreurs des biens ayant appartenus au duc d’Aremberg, Bruxelles, 1806 ; Bruxelles, AGR, Cour d’Appel de Bruxelles n° 1173 d, Mémoire pour M. de Mérode Westerloo, membre de la légion d’honneur et maire de Bruxelles […] contre le sieur Guillaume Vanderveken, rentier demeurant à Louvain intimé ; Administration centrale de la Dyle n° 1902, pétition de Jean Henri Van Langendonck, brasseur à Louvain ; Administration centrale de la Dyle n° 1902, Rapport sur la pétition de Jean Henri Van Langendonck).
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