Le subdélégué de l’intendant est-il l’ancêtre des préfets ?
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1Au lendemain de la Fronde, les intendants ont été progressivement rétablis dans toutes les généralités du royaume, la Bretagne étant la dernière, en 1689, à recevoir ce représentant du roi. Mais le territoire d’une généralité est vaste, plus proche de la région actuelle que du département1 – ainsi la généralité de Tours s’étend sur les trois provinces de l’Anjou, du Maine et de la Touraine – et ce territoire est difficile à surveiller et à contrôler à cause de la lenteur des communications. Il apparaît donc nécessaire de faire appel à des hommes plus proches des réalités locales, les subdélégués2. Ces derniers sont demandés très tôt par les intendants eux-mêmes, comme le montre la correspondance qu’ils adressent à Colbert, mais leur création est aussi souhaitée par les responsables des communautés locales. Ainsi, dès les années 1660, les maires d’Angers, qui doivent aller régulièrement à Tours pour rendre devant l’intendant les comptes de la levée de nombreuses taxes imposées par le pouvoir, demandent la nomination à Angers d’un subdélégué de l’intendant devant lequel ces comptes seront rendus. À plusieurs reprises, ils obtiennent satisfaction. L’existence d’un subdélégué facilite donc leur travail, leur évite d’avoir à entreprendre un voyage à Tours, qui leur fait perdre du temps et entraîne des dépenses3. La fonction est alors temporaire, dès que l’affaire en question est réglée la subdélégation prend fin4. Un autre subdélégué est nommé lorsque le besoin s’en fait à nouveau sentir. À la fin du xviie siècle, une évolution se produit : les subdélégués se multiplient dans le royaume et deviennent permanents, les intendants ayant obtenu, au lendemain de la mort de Colbert5, le droit de choisir librement ces précieux collaborateurs. Ils sont généralisés par l’édit d’avril 1704 qui érige leur fonction en titre d’office et fait des subdélégués des agents officiels de l’État, auxquels sont octroyés des lettres de provision qui définissent leurs attributions, leurs droits et leurs privilèges6. En 1715, ce statut d’officier royal est supprimé, mais cela ne modifie guère la situation. Comme le rappelle Bernard Barbiche7, l’édit de 1704 a profondément marqué l’institution en faisant des subdélégués des agents permanents et stables. Durant tout le xviiie siècle, l’intendant peut s’appuyer sur des hommes dévoués et efficaces, qu’il a choisis. Ces agents de la monarchie ont été installés, dans la plupart des cas, au chef-lieu des différentes élections du royaume8. Ainsi, dans la généralité de Tours, un subdélégué, assisté en général d’un greffier9, est nommé dans chacune des 16 élections. En Anjou un tel personnage s’installe dans les six circonscriptions fiscales10 qui existent dans la province, le nombre des subdélégués étant porté à sept, en 1760, avec la création d’un subdélégué à Cholet, pour 16 paroisses trop éloignées de Montreuil-Bellay. Notre étude des subdélégués portera essentiellement sur ceux de l’élection d’Angers, mais l’examen de la correspondance de tous les subdélégués de la généralité avec l’intendant11 nous montre que leurs interventions et leurs actions se ressemblent, beaucoup de leurs enquêtes, en particulier, étant réalisées au même moment, à la demande du contrôleur général des finances et de l’intendant.
2L’élection d’Angers est la plus importante des circonscriptions de la province d’Anjou. Elle s’étend sur 241 paroisses12. De 1704 à la Révolution, cinq subdélégués seulement s’y sont succédés. On peut ainsi constater que, contrairement aux préfets actuels, les subdélégués restent très longtemps en fonctions, ne quittant jamais l’élection angevine dans laquelle ils ont commencé leur carrière. Cette situation s’explique facilement. Les subdélégués sont des hommes originaires de la ville ou de la région ; avant de devenir subdélégués ils étaient déjà des personnages très importants dans la vie locale par les fonctions et responsabilités qu’ils y occupaient et qu’ils conservent en devenant subdélégués, comme nous le montre une étude rapide des subdélégués angevins. En 1704, l’office qui vient d’être créé est acheté par Amys du Ponceau13, un personnage mal connu, descendant d’un conseiller au parlement de Bretagne, qui remplit sa fonction jusqu’à sa mort en 1713. L’office est alors acquis par François Grézil, sieur de la Véronnière14, conseiller au présidial d’Angers, le plus important tribunal de la province, depuis peu conseiller perpétuel de l’Hôtel de ville d’Angers15. François Grézil est subdélégué pendant quatorze ans, jusqu’en décembre 1727, date de sa mort. Son exemple nous montre que le subdélégué de l’intendant peut être en même temps juge au principal tribunal de la ville et membre de l’échevinage. Son successeur, Audouin de la Blanchardière, nommé en mars 172816, est lui aussi une importante personnalité locale puisqu’il est titulaire de deux offices, celui de président du tribunal de la prévôté royale et surtout celui de lieutenant général de police, et, devenu subdélégué, il conserve ces deux importantes responsabilités, jusqu’à sa mort en août 1729. Le quatrième subdélégué qu’il faut évoquer est un personnage exceptionnel. Germain-François Poulain de la Guerche remplit, en effet, ses fonctions de subdélégué pendant 40 ans, de 1729 à sa mort en septembre 1769. Il appartient, lui aussi, au monde judiciaire angevin, puisqu’il est conseiller au présidial17. Lui aussi est très lié à l’échevinage angevin : maire de la ville de mai 1733 à août 173818, il reste membre du corps de ville comme conseiller perpétuel jusqu’à sa mort19. Le dernier subdélégué de la période est son fils, Charles-Jean Poulain de la Marsaulaye ; associé à son père dès 176320, il lui succède en 1769 et reste en poste jusqu’à la Révolution, pendant trente années. Charles-Jean Poulain a une position sociale différente de celle de ses prédécesseurs, il n’exerce aucune autre fonction dans la ville ou dans la province. L’étude de la correspondance de ces subdélégués avec l’intendant de la généralité, en particulier celle très abondante de Poulain de la Guerche et de son fils, qui couvre 70 ans, nous permet de déterminer quelles sont les principales tâches d’un subdélégué et de répondre à la question posée : le subdélégué est-il l’ancêtre des préfets ? Cette correspondance nous permet de classer les interventions de ces importants personnages, collaborateurs et agents fidèles de l’intendant et du pouvoir royal sous deux grandes rubriques : le subdélégué informateur du pouvoir, le subdélégué exécutant des décisions de l’intendant21.
3La lecture de toutes les lettres échangées entre les intendants de la généralité de Tours et leurs subdélégués nous conduit à affirmer que la fonction essentielle de cet agent local est d’informer les autorités. Au xviiie siècle, le pouvoir royal lance régulièrement de grandes enquêtes. À chaque fois la procédure est la même : le contrôleur général écrit à l’intendant pour lui faire part de la volonté du roi, lui demander de répondre à des questions précises ; l’intendant s’adresse alors à tous ses subdélégués pour que dans leur circonscription ils réalisent les enquêtes nécessaires et lui en fassent parvenir le plus rapidement possible les résultats à Tours, l’intendant se chargeant ensuite de transmettre à Versailles les renseignements obtenus. Il serait fastidieux de dresser une liste complète de tous les sujets abordés, mais on peut constater que les subdélégués ont été consultés sur des sujets très variés comme la réforme de la justice, les modalités de la fixation du prix du pain, l’organisation de la lutte contre les mendiants et les vagabonds et l’organisation des dépôts de mendicité, la suppression des corporations, la lutte contre les épidémies, l’organisation des hôpitaux, les problèmes financiers des villes, les péages établis sur la Loire et les rivières affluentes. À chaque fois le subdélégué doit enquêter, rencontrer les responsables locaux, rassembler des données statistiques22. Donnons quelques exemples, qui appartiennent tous à la période couverte par Poulain de la Guerche et son fils, en suivant l’ordre chronologique. Ainsi, en 1735, le contrôleur Orry considère que des abus importants se sont introduits dans les tanneries du royaume ; « pour y apporter remède il est nécessaire de connaître la manière dont les cuirs s’apprêtent »23 il demande donc à l’intendant de ne rien négliger pour s’informer de l’état des tanneries de sa généralité et il l’invite à charger tous ses subdélégués « d’assembler les principaux tanneurs, corroyeurs et ouvriers employant cuirs pour les entendre sur les abus qui se sont introduits dans leur préparation et sur les mesures que l’on pourrait prendre pour y remédier ». Tous les subdélégués reçoivent alors les ordres de l’intendant qui reprend dans la correspondance qu’il leur adresse des phrases entières du courrier du contrôleur général ; tous les subdélégués sont invités à faire assembler les tanneurs, à s’informer de l’état réel des tanneries de leur élection, à prendre tous les avis et à en dresser un état exact. Comme cela se produit à l’occasion de toutes les grandes enquêtes du siècle, chaque subdélégué doit aussi donner son propre avis24, ce qu’il fait en montrant sa parfaite connaissance du sujet qu’il est amené à traiter. En 1750, les subdélégués participent à la grande enquête sur les hôpitaux ; ainsi, en janvier 1750 Poulain de la Guerche annonce à l’intendant « j’ai écrit à tous les administrateurs de ceux de mon élection »25 ; il fait parvenir ensuite à l’intendant de précieux rapports sur la situation des établissements hospitaliers de son élection. Les subdélégués participent activement à l’exécution de la déclaration du 3 août 1764 contre les vagabonds26 et durant plusieurs années ils y consacrent une grande partie de leur temps ; en 1768, à la demande du contrôleur général Laverdy, l’intendant envoie à ses subdélégués « un nombre suffisant d’imprimés et de placards »27 de cette déclaration qu’ils sont chargés de faire publier et afficher et, comme Laverdy demande « à être instruit tous les mois » de la situation des mendiants et vagabonds renfermés et envoie à l’intendant un modèle d’états à faire remplir par tous les subdélégués, l’intendant fait imprimer le modèle reçu de Versailles et l’adresse à tous ses subordonnés28, en leur demandant « d’entretenir dans la correspondance que nous allons avoir la plus grande exactitude pour éviter toute négligence »29. Les subdélégués sont chargés de la police des dépôts mis en place dans leur élection et doivent visiter ces dépôts deux à trois fois par semaine. Comme toujours, les subdélégués ont bien fait le travail demandé30. En 1783 et 1784, comme les autres subdélégués de la généralité, La Marsaulaye s’occupe activement de la lutte contre les maladies épidémiques ; il fait parvenir à tous les curés « de son département » les lettres circulaires qui lui ont été adressées, il donne aussi à l’intendant son avis sur l’organisation des secours que ce dernier souhaite mettre en place, il propose, en particulier d’établir « de distance en distance » des dépôts de remèdes pour faciliter la distribution de ceux-ci dans toutes les paroisses concernées31.
4À côté de ces grandes enquêtes qui concernent toutes les circonscriptions de la généralité, et sans doute du royaume, le subdélégué est chargé aussi d’enquêtes particulières, liées à des problèmes locaux et que nous découvrons par les plaintes adressées directement au contrôleur général32 ou à travers les requêtes présentées à l’intendant. À chaque fois, le subdélégué doit vérifier les faits, donner son avis, proposer des solutions. Dans toutes ces affaires, nous voyons aussi le subdélégué au travail. Dans les années 1760, de nombreuses requêtes concernent des soldats en garnison à Angers. Il faut souvent répondre à des demandes de Choiseul. En 1763, par exemple, lorsqu’un prisonnier s’évade de l’hôpital général, le subdélégué doit vérifier pourquoi le prisonnier s’est évadé, dans quelles conditions cette évasion a eu lieu, s’il y a eu négligence de ceux qui le gardaient33. À plusieurs reprises, Choiseul demande des précisions concernant l’attitude de soldats alors à Angers : parce qu’un maître d’armes de la ville se plaint de la concurrence des carabiniers34 ou que des bagarres ont éclaté en ville entre des habitants d’Angers et des soldats en garnison35. Le subdélégué doit aussi faire examiner par un chirurgien un soldat qui souhaite être reçu aux invalides36. En 1763, le subdélégué doit rassurer Choiseul inquiet, car une église dépendante de l’abbaye Ronceray aurait servi de magasin de fourrages pour un régiment de cavalerie37. En 1764, toujours à la demande de Choiseul, le subdélégué doit faire une enquête concernant le mariage envisagé par un ancien capitaine de grenadiers, qui a obtenu sa retraite au château d’Angers38. Nombreuses sont les interventions du subdélégués qui concernent des problèmes économiques et sociaux locaux. Lors des discussions pour l’établissement d’un hôpital pour les enfants exposés à Angers, le subdélégué est très actif et essaie en vain d’obtenir l’accord des principales institutions angevines pour cette création ; La Marsaulaye écrit à Tours : « Nous avons conféré, mon père et moi, avec Messieurs les officiers de la sénéchaussée »39. En 1775, le subdélégué est invité à donner son avis sur le tarif du bac sur le Loir que le nouveau seigneur de la Rochefoulques veut établir car l’intendant doit répondre au contrôleur général qui demande si le bac est utile, bien entretenu et si les droits projetés sont acceptables40. En 1786-1787, lors d’un conflit entre les médecins de la ville d’Angers et les administrateurs de l’hôpital Saint-Jean, le subdélégué intervient en faveur des médecins, dans ses lettres il propose un plan de réforme du service des médecins de l’hôpital et suggère à l’intendant la nomination de ceux qui lui paraissent les plus compétents. Nombreuses aussi sont les interventions du subdélégué pour faire cesser les oppositions à l’arrêt du conseil « portant établissement de la manufacture des toilles à voile au privilège exclusif dans les élections d’Angers et de Baugé »41, arrêt qui provoque de nombreuses protestations, en particulier de la part de l’échevinage d’Angers42, puis, dans les années suivantes, il est chargé par l’intendant de trouver une solution aux problèmes qui surgissent entre Deshayes et ses associés. Ainsi, le 24 décembre 1771, Poulain de la Marsaulaye écrit à l’intendant : « Vous m’avez fait l’honneur de me demander par votre lettre du 18 juillet dernier des éclaircissements sur les contestations qui sestoient élevées entre les sieurs Deshayes frères et leurs associés » ; le subdélégué annonce qu’il a fait une enquête auprès des associés concernés qui lui ont remis un mémoire qui a été ensuite communiqué à Deshayes l’ainé « pour avoir sa réponse », laquelle réponse a été communiquée aux associés « qui lui ont fait réplique ». Après avoir eu de nombreuses conférences avec toutes les parties, le subdélégué donne son avis : il n’y a aucune conciliation possible43.
5Le subdélégué est donc chargé de toutes les enquêtes demandées par le pouvoir royal ou par son représentant dans la généralité. À chaque fois il se montre un collaborateur efficace. Les archives de l’intendance montrent la qualité de la documentation rassemblée, la pertinence des avis donnés aux autorités supérieures, jamais l’intendant n’a fait savoir à ses subordonnés qu’il n’était pas satisfait de leur travail. En conclusion de cette première partie, il apparaît nécessaire de poser une dernière question : les différentes autorités locales se montrent-elles toujours favorablement disposées à fournir au subdélégué les documents qu’il leur demande ? Il semble que cela n’a pas toujours été le cas. Ainsi, en 1750, le subdélégué invite tous les administrateurs des hôpitaux de son élection à lui fournir les états précis exigés par le pouvoir royal, mais il supplie aussi l’intendant d’écrire de son côté directement à ces administrateurs44, est-il parce qu’il craint de ne pas obtenir les réponses souhaitées ? Poulain de la Marsaulaye rencontre de nombreuses difficultés pour obtenir les renseignements qu’il demande régulièrement aux maires et échevins d’Angers, sans doute parce qu’il n’est pas membre de l’échevinage. Ainsi, en 1788, il exige en vain une copie de la délibération du corps de ville concernant la construction de casernes à Angers ; amer, il écrit à l’intendant :
« Il y a déjà longtemps que je me suis apperçu que Mrs les officiers municipaux de cette ville n’étoient pas contents de correspondre avec moy pour les affaires que vous me faisiez l’honneur de me renvoyer et qui les concernoient. Je présumois avec Raison qu’ils desiroient que vous leur ecrivissiez Directement dans ces occasions, et qu’ils n’étoient pas flattés que vous vous adressiez a moy pour scavoir qu’elles etoient leurs intentions dans certaines affaires, et pour vous procurer des eclaircissements que je leurs demandois de votre part ; aussy je remarquois depuis plusieurs années que lorsque je leur ecrivois d’après vos lettres, ils ne me fesoient aucune reponse, et que ce netoit qu’après plusieurs demandes réitérées… qu’ils m’envoyaient quelqu’un de leur corps, quelquefois même leur secretaire, ou simplement un garde de ville, me dire verballement et rarement par écrit, un precis des instructions que vous desiries d’eux »45.
6L’attitude des maires et échevins d’Angers est assez méprisante envers le subdélégué. Ce dernier est ignoré, les responsables municipaux préfèrent traiter directement avec l’intendant, plus prestigieux, mais aussi plus lointain.
7Régulièrement, le subdélégué doit exécuter les décisions de l’intendant, c’est sa deuxième fonction. La liste de ces interventions est longue et variée. Nombreuses sont celles qui concernent des soldats en garnison à Angers et des problèmes militaires : le subdélégué est chargé d’avertir le maire d’Angers de l’arrivée de régiments qu’il faut loger, il doit transmettre aux responsables de ces régiments les ordres du roi leur demandant de quitter la ville pour une autre destination46. Le subdélégué doit approuver les rôles, arrêtés par le maire, pour la levée du quartier d’hiver sur les Angevins et en ordonner l’exécution, au nom du roi, « même par bris de portes et de vaisseaux »47. Le subdélégué est chargé aussi de veiller à la bonne exécution de la corvée royale, à plusieurs reprises, le pouvoir royal rappelle à l’intendant l’importance de ce travail48. Au nom de l’intendant il contrôle l’état des finances des communautés rurales, procède à l’adjudication des travaux qu’il faut réaliser à la maison d’un maître d’école49, ou à la cure d’une paroisse. Le subdélégué doit aussi veiller à l’exécution des ordonnances économiques prises par l’intendant : en 1723, des toiles peintes ont été saisies en différents bureaux de l’élection d’Angers50, le subdélégué est chargé de faire exécuter l’ordonnance de l’intendant, les toiles saisies sont brûlées, en sa présence, place du Pilory à Angers. Le subdélégué contrôle le bon déroulement des marchés ; au nom de l’intendant, il intervient pour modérer les amendes imposées par les gardes jurés des tisserands d’Angers à des regratiers qui avaient acheté du fil au marché à des heures non autorisées51 ; mais comme les abus se multiplient il doit donner des ordres aux cavaliers de la maréchaussée pour les chasser du marché, quelques jours avant son intervention, l’intendant avait écrit au lieutenant de la maréchaussée d’Angers pour lui demander de fournir au subdélégué les cavaliers nécessaires. Sans cette lettre de l’intendant, le lieutenant de la maréchaussée aurait-il obéi au subdélégué ? En 1737, le subdélégué est prié de « tenir la main à l’exécution » d’une ordonnance de l’intendant qui interdit aux gardes des marchands de lever des droits sur les marchandises foraines lors des foires franches d’Angers. En 1776, c’est le subdélégué qui fait poser les scellés sur les biens des communautés d’arts et métiers et qui, peu après, procède à l’adjudication, en son hôtel, des meubles et effets appartenant à ces communautés52. En 1777, le subdélégué doit donner des ordres pour faire arrêter les ouvriers des manufactures de toiles à voiles qui quittent leur travail sans avoir un congé écrit53. Régulièrement, à la demande de l’intendant, le subdélégué remplit des missions financières : en 1735, c’est à lui que les responsables des différentes communautés de métiers doivent remettre les sommes levées pour leur abonnement aux droits de subvention, le subdélégué est prié de signer « les receus »54 ; en 1779, il est chargé de remettre à Mademoiselle Blouin l’ordonnance de gratification des 300 livres qui lui ont été accordés pour son établissement55. Les actions du subdélégué dans la lutte contre les maladies et épidémies sont également importantes et c’est dans ce domaine que sa liberté d’action semble la plus grande. Suivant les ordonnances des intendants, les curés doivent avertir le subdélégué dès qu’une paroisse est touchée. Le subdélégué a tous les pouvoirs pour agir le plus rapidement possible : il désigne des médecins et chirurgiens pour visiter les malades afin de déterminer la nature et l’importance de la maladie, suivant leur rapport il fait envoyer les remèdes nécessaires. Lorsque l’épidémie est terminée, le subdélégué dresse un état complet de la situation de la paroisse concernée : nombre de malades, nombre de morts, montant des dépenses engagées56. C’est lui qui reçoit l’argent « pour rembourser les dépenses occasionnées par la maladie épidémique » et qui remet cette somme au curé de la paroisse chargé de la distribuer suivant l’état que le subdélégué a dressé57.
8Le subdélégué de l’intendant est donc, sur le territoire où il peut intervenir, un territoire plus restreint que celui de nos départements actuels, un agent essentiel au service de l’intendant qui l’a choisi. Mais c’est un agent d’exécution. Il ne prend aucune initiative, aucune décision personnelle. Il réalise toutes les enquêtes qui lui sont demandées, informe l’intendant quand celui-ci l’interroge, donne son avis, suggère des solutions aux problèmes posés, fait appliquer toutes les décisions du responsable de la généralité. Mais, derrière cet agent d’exécution, nous rencontrons un grand serviteur de l’État, soucieux du bien public et de l’intérêt général. Nous terminerons cette intervention en reprenant ce qu’écrit, en juillet 1740, Poulain de la Guerche, en conclusion à la lettre dans laquelle il propose à l’intendant une profonde réforme du présidial d’Angers « pour établir le meilleur ordre dans l’administration de la justice » :
« Vous voyés, Monsieur, que je ne vous parle pas par cet exposé en homme qui possède une charge dans le présidial d’Angers, je me suis attaché a remplir vos intentions, en vous disant avec toute la sincérité les abus que je connois et en vous proposant les moyens que je crois pouvoir contribuer a les corriger et à décorer les charges de judicature. Je n’ignore pas a combien de contradictions ce plan se trouvera en butte, et combien d’ennemis il me feroit si l’on scavoit qu’il vint de moy. Le bien public, l’honneur de la justice m’ont fait passer par dessus toutes ces considérations »58.
Notes de bas de page
1 Barbiche Bernard, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne, Paris, 1999, p. 399. Les pages 399-406 de cet ouvrage contiennent une excellente mise au point sur les subdélégués, leurs pouvoirs et leur histoire.
2 Sur ce point, cf. Esmonin Edmond, « Les origines et les débuts des subdélégués des intendants », Études sur la France des xviie et xviiie siècles, Paris, 1964, p. 131-138.
3 Cf. Maillard Jacques, Le pouvoir municipal à Angers de 1657 à 1789, Angers, 1984, t.1, p. 55.
4 Cf. Ricommard Julien, « Les subdélégués des intendants aux xviie et xviiie siècles », Information historique, 1962, p. 139-148 et 190-195 et 1963, p. 1-7.
5 Colbert était assez hostile à la multiplication des subdélégués, cf. B. Barbiche, op. cit., p. 400.
6 Cf. Ricommard J., « L’édit d’avril 1704 et l’érection en titre d’office des subdélégués des intendants », Revue historique, t. CXCV, janv-mars 1945, p. 24 - et avril-juin 1945, p. 123-139.
7 Barbiche B., op. cit., p. 401.
8 Dans les pays d’États leur siège se fixe dans une ville épiscopale ou de bailliage.
9 En 1707, un édit royal a créé des offices de greffiers qui ont existé jusqu’à la Révolution. Nous ne connaissons pas ces auxiliaires locaux du subdélégué ; il semble que celui-ci travaille avec un personnel peu nombreux.
10 Parmi ces six élections, nous comptons l’élection de La Flèche, mi-angevine, mi-mancelle.
11 Correspondance conservée aux archives départementales d’Indre-et-Loire (ADIL), série C.
12 Soit les 16 paroisses d’Angers et 225 paroisses rurales.
13 L’avocat angevin Toisonnier écrit « Les commissions de subdélégués de Mr l’intendant ont été créées en titre d’offices. Mr Amys-Duponceau en a traité pour cette ville », Journal, Publié par Marc Saché, p. 56.
14 Archives départementales de Maine-et-Loire (ADML), E1, 291, notaire Drouault.
15 Il a été élu en 1713.
16 Archives municipales d’Angers, (AMA), BB 109, f° 29.
17 Il exerce cette fonction de 1724 à 1756, à cette date il vend son office à Brouard d’Aussigné, ADML, E 3672.
18 Ce qui lui permet de bénéficier de la noblesse municipale.
19 Pendant le mairat de son successeur, Marin Jallet de la Vérouillière, il exerce aussi, de 1738 à 1743, la fonction de procureur de la ville dont Marin Jallet était titulaire depuis 1726, qui ne peut être cumulée avec celle de maire.
20 La correspondance des intendants montre qu’à partir de cette date l’intendant écrit toujours à Poulain de la Guerche, mais que la plupart du temps c’est La Marsaulaye qui lui répond.
21 Ces fonctions se retrouvent dans les autres régions et villes du royaume comme à Brest, cf. Tripier Yves, « Un agent du pouvoir central soucieux du sort de ses administrés, le subdélégué de l’Intendance à Brest », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, tome 85, année 1978, p. 543-572, ou en Franche-Comté, cf. Brossault Colette, Les intendants de Franche-Comté, 1674-1790, Paris, 1999.
22 ADML, C 75.
23 ADIL, C 141.
24 Une enquête identique est réalisée en 1788. La Marsaulaye envoie à Tours un état précis et comparatif de toutes les tanneries de l’élection d’Angers.
25 ADIL, C 305.
26 ADIL. C 303.
27 ADIL, C 302.
28 ADIL, C 303.
29 ADIL, C 302.
30 Poulain de La Marsaulaye se préoccupe aussi des conditions d’existence des mendiants ainsi enfermés. En 1768, il intervient pour obtenir la permission de « faire du feu dans les dépôts lors des plus grands froids », à cause de la présence de vieillards et d’infirmes, ADIL, C 303.
31 ADIL, C 403.
32 Qui s’adresse alors à l’intendant pour obtenir des éclaircissements.
33 ADIL, C 79. Poulain de la Guerche considère que l’hôpital général n’est pas responsable de cette évasion.
34 ADIL, C 79.
35 Ibid.
36 Ibid. Pour toutes ces affaires, la procédure est la même : Choiseul écrit à l’intendant qui charge le subdélégué de faire l’enquête et de lui faire parvenir ses conclusions qui sont transmises au ministre.
37 ADIL, C 79. Le maire aurait demandé la permission d’utiliser l’église Saint Laurent, abandonnée, mais, devant le refus de l’abbesse, « il n’en fut plus question ». L’intendant fait parvenir à Choiseul le rapport demandé et commence sa lettre par cette phrase, souvent rencontrée dans cette correspondance « j’ai demandé à mon subdélégué de vérifier si… ».
38 ADIL, C 79. La Marsaulaye après avoir pris toutes les informations demandées donne un avis favorable au mariage envisagé.
39 ADIL, C 319.
40 ADIL, C 249.
41 AMA, BB 114, f° 187. Sur cette affaire cf. François Lebrun, Les hommes et la mort en Anjou aux xviie et xviiie siècles, Paris, 1972, p. 82-87.
42 Toute cette affaire peut être étudiée à partir de ADIL, C 132. Le dossier renferme aussi de nombreux avis d’Aubry, inspecteur des manufactures de la généralité de Tours.
43 ADIL, C 132. En 1775, le subdélégué de Saumur est chargé de régler toutes les contestations liées à la construction du canal du Layon, de choisir des experts pour régler des litiges avec des propriétaires, de convoquer les assemblées des paroisses concernées pour qu’elles donnent leur avis sur les endroits où il leur semble nécessaire d’établir des ponts sur le canal, ADIL, C 259.
44 ADIL, C 305, il lui en donne la liste.
45 ADML, C 102. Le 9 septembre 1788, le maire d’Angers, Claveau, envoie directement à l’intendant la copie demandée, ADML, C 102.
46 ADIL, C 37.
47 ADML, E 4361.
48 ADIL, C 166.
49 ADIL, C 300. Ainsi, en 1761, Poulain de la Guerche après avoir « pris des éclaircissements » sur la demande formulée par les habitants des Rosiers qui désirent être autorisés à imposer par capitation les réparations au logement de la maîtresse d’école de la paroisse, donne un avis favorable, car la paroisse n’a aucun bien et que le devis ne monte qu’à 180 livres, tout en ajoutant, ce qui paraît caractéristique de la mentalité de nombreux administrateurs de l’époque, « quoiqu’ordinairement les maîtres d’École ne soient point fort utiles dans les campagnes ». Une ordonnance de l’intendant charge le subdélégué de procéder à l’adjudication des travaux.
50 Archives nationales, G 7, 1706.
51 ADIL, C 120.
52 ADIL, C 151.
53 ADIL, C 132.
54 ADIL, C 144.
55 ADIL, C 305. En 1777, Charlotte Blouin a ouvert à Angers une école spéciale pour les sourds-muets.
56 ADIL, C 402.
57 ADIL, C 402. En 1777, le subdélégué est chargé de faire des remarques à un chirurgien qui distribue trop de remèdes ce qui entraîne une trop forte dépense par malade.
58 ADIL, C 338.
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Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008