Chapitre IV. La restructuration d’une pratique sportive spectaculaire (1914-1930)
p. 255-310
Texte intégral
« Mesdames, messieurs, le huitième championnat du monde de lutte féminine est ouvert. Nous rappelons au public que les organisateurs ont pris toutes les mesures pour que cette manifestation se déroule dans les conditions de sérieux qu’exige sa gravité […]. Il ne saurait être question ici de chiqué : ce que nous faisons, c’est du sport, du vrai sport ! »
J.-P. Braincère, « Jeux de femmes », dans Voilà, l’hebdomadaire du reportage, 1re année, no 12, 13 juin 1931, p. 8-9, cité par Christophe Lamoureux, La grande parade du catch, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1993.
Introduction
1Alors que la boxe est à son apogée en 1913, la guerre met un coup d’arrêt à cette prospérité et redistribue les cartes entre les différents agents du monde pugilistique. Le succès des spectacles de boxe semble s’affaiblir pendant environ dix ans. Le diagnostic du déclin est alors établi par les agents eux-mêmes comme en attestent les propos des commentateurs. Nombreux sont ceux qui regrettent les « temps héroïques » d’avant-guerre et les (grands) projets de Théodore Vienne. Durant l’année 1922, à plusieurs reprises (au moins six fois) le journaliste Jean Auger exprime sa nostalgie : « Ah ! c’est aujourd’hui que Vienne nous manque ! S’il avait été là1… »
2Comment objectiver ce qui est vécu comme un déclin ? Comment un spectacle sportif parmi les plus visibles peut-il être délaissé ? Pourquoi un fait social primordial est-il relégué au second plan ? Répondre à ces questions implique d’interroger ce supposé déclin.
3Si la notoriété et la visibilité de la boxe se sont effectivement transformées, il est délicat d’affirmer avec certitude que celles-ci se sont réduites. S’observe plutôt des modifications du type de spectacle, elles-mêmes dépendantes d’un changement de configuration. N’étant ni autosuffisants ni auto-poïétiques, ces spectacles nécessitent d’être soutenus, mis en forme ou relayés par des individus ; leurs actions s’inscrivent dans des conditions sociales et historiques spécifiques qui expliquent autant leurs succès que leurs échecs. Comprendre ce (qui est considéré comme un) « déclin » de la boxe implique donc d’analyser ces nouvelles conditions. Ce faisant, les conséquences de ces transformations sont mieux comprises et éclairent notamment le renforcement du pouvoir de la fédération et la sportivisation de la pratique. En effet, cette transformation des spectacles pugilistiques proposés s’accompagne d’une reconfiguration générale de la pratique qui conduit à une redistribution des rôles, de la légitimité et des fonctions effectives et, par conséquent, des pouvoirs de ceux qui revendiquent l’ordonnancement de la pratique. Elle permet également de comprendre pourquoi la frontière entre le sport et le spectacle est plus que jamais questionnée.
Déclin, progression ou renouvellement d’une pratique
4Objectiver le déclin d’un phénomène est complexe. En effet, cette observation peut mobiliser des indicateurs variés mesurant des dimensions différentes. Pour le marché pugilistique, peuvent-être employés : le nombre de combats, de boxeurs ou de spectateurs, le montant des recettes ou encore le nombre d’articles lui étant consacrés dans les journaux. L’évaluation ne concerne pas alors la même réalité. Il convient alors de croiser ces indicateurs en explicitant ce qu’ils mesurent et ce qu’ils impliquent comme définition d’un déclin de la boxe. Or ils sont loin de converger : selon celui retenu, on parlera de déclin, de progression ou d’un renouveau. Se pose alors la question des causes de ce déclin ou des raisons d’un tel ressenti.
Les raisons d’une lecture déclinante
Le coup d’arrêt porté par la guerre
5Le conflit mondial met un coup d’arrêt brutal aux spectacles pugilistiques. Pendant près de cinq ans, aucun combat public n’a lieu à Paris : le dernier rapporté par la presse se déroule en juillet 1914 et le premier pleinement ouvert au public en mars 1919.
6Durant les sept premiers mois de la guerre, tout spectacle sportif disparaît. De très nombreux boxeurs participent au conflit : Bernard, Brochet, Carpentier, Clément, Criqui, Dastillon, Dorgeuille, Hogan, Lacroix, Ledoux, Lefèvre, Moreau, les frères Til, Thomas etc. Beaucoup de directeurs de journaux, organisateurs et dirigeants fédéraux, notamment Breyer, Desgrange, Reichel, Roth et Sée, dispensés vu leur âge, s’engagent pour des « convictions patriotiques » assez largement partagées dans les fractions dominantes de l’époque2. D’autres, comme Émile Maitrot, sont mobilisés.
7À partir de février 1915, des spectacles de cyclisme reprenant, des journalistes cherchent alors à relancer la boxe. Ils espèrent ainsi redynamiser la vente des journaux qui s’est effondrée : L’Auto dont les tirages se sont presque divisés par 10, passe de 6-8 pages à 2 à 4 pages3. La Boxe et les boxeurs ne paraît plus car « toute la direction [est] sous les drapeaux4 ». L’Annuaire du Ring n’est plus édité jusqu’en 1920. L’Annual universel de La Boxe et les boxeurs est définitivement abandonné. Des périodiques, tels L’Auto, La Vie au grand air ou encore Sporting, multiplient donc les appels à reprendre les combats et tentent d’en organiser. Mais peu de temps après l’annonce d’un événement organisé par Sporting, la préfecture de police de Paris interdit officiellement la boxe durant toute la durée de la guerre5, les jugeant « attentatoires aux bonnes mœurs6 ».
Des conditions « générationnelles » défavorables
8L’autorisation des matches, début 1919, ne s’accompagne pas d’une réelle « reprise ». Seul le National Sporting Club de France (NSCF), alors sous la direction de Philippe Roth, organise des soirées ; celles-ci se font soit à guichets fermés soit avec peu de combats et des boxeurs de notoriété moyenne. Ce n’est qu’en mai 1919 que les organisateurs relancent véritablement leur activité : abandonnant la direction du NSCF, Roth reprend celle du Premierland et lance, dans la foulée, une nouvelle société : le Wagram Sporting Club. Codirigée avec le journaliste Manaud, cette entreprise propose une réunion hebdomadaire à la Salle Wagram. De son côté, le Wonderland ne reprend des soirées de boxe qu’en octobre 1919. Ainsi, contrairement à d’autres sports, la reprise se fait lentement : il faut attendre le 26 juin 1919, soit cinq ans après le début de la guerre, pour qu’une « une » de L’Auto annonce deux soirées de boxe à Paris.
9Ces difficultés ne sont pas seulement imputables à l’interdiction préfectorale : différentes causes sociales freinent cette reprise. Certains promoteurs disparaissent ou se désintéressent de la boxe. Maitrot, codirecteur du Premierland et vice-président de la commission des organisateurs de boxe professionnelle, meurt sur le front en 1916. Vienne, gravement malade, réduit considérablement son activité. En décembre 1920, il est contraint d’abandonner la direction du Wonderland à Henri Decoin7, et décède le 1er mars 1921 d’une « crise diabétique8 ». D’autres promoteurs importants, sans disparaître physiquement, désertent cette activité. Parmi eux, Breyer, sans s’écarter complètement de la boxe, y joue un rôle moindre. Il se consacre essentiellement au journal qu’il dirige, « L’Écho des Sports », devenu quotidien. Toutefois, il reprend la publication de L’Annuaire du Ring en 1920 et participe à l’organisation de quelques « grands » combats. Enfin, si Sée est toujours présent, son rôle est différent et sa participation à la structuration de la boxe plus faible qu’avant-guerre. Il abandonne ses fonctions de directeur de la revue La Boxe et les boxeurs (qui ne reprend sa publication qu’en 1920) ; n’organise plus de combats et se consacre surtout à sa tâche de manager tout en assistant aux réunions de la Fédération française de boxe (FFB)9 et en écrivant des articles pour la presse sportive, L’Auto en particulier.
10En même temps, de nombreux boxeurs sont morts ou gravement blessés. Concernant les plus connus, en croisant la lecture de L’Auto et de Sporting durant le conflit, on recense 15 boxeurs professionnels décédés dont Bernard (souvent présentés comme le « nouveau Carpentier »), Gaston Clément, Lacroix, Loesch, Piet ou Trickri, et plusieurs gravement blessés comme Hogan et Poesy10. D’autres mettent fin à leur carrière, progressivement ou brutalement, en raison de leur âge. Ainsi, Max Robert (de son vrai nom Robert Rocherand), après avoir participé à plus de 50 combats jusqu’en 1914, ne reprend pas la boxe après sa démobilisation en 1919 à presque 33 ans. Un « grand » boxeur comme Marcel Moreau participe à trois combats début 1919 avant de raccrocher définitivement à 31 ans. Au total, parmi les 107 boxeurs « professionnels11 » ayant livré un combat en 1914, 26 sont morts ou ont mis fin à leur carrière. Parallèlement, l’arrêt brutal de la boxe parisienne n’a pas permis l’émergence d’une jeune génération. Par conséquent, comme le souligne L’Auto en faisant « l’inventaire » des boxeurs en 1922, le vivier des boxeurs français est majoritairement constitué de « champions » en fin de carrière tel Carpentier ou Ledoux et de débutants qui participent à leurs premiers combats à Paris ; d’où un faible nombre « d’espoirs12 ».
11Ce diagnostic de pénurie de pratiquants est corroboré par l’analyse d’Henri Bunle, statisticien à la Statistique Générale de la France. Revenant sur l’« état » démographique des « sports » en 1922, il range la FFB parmi les fédérations « secondaires », estimant à moins de 12 000 le nombre de pratiquants.
« Les [fédérations les] plus importantes sont la Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France, groupant […] 200 000 membres actifs […] et l’Union des Fédérations Françaises de Sports Athlétiques […] réunissant : fédération de football association ([…] 180 000 joueurs) ; […] fédération de lawn-tennis (12 000 joueurs) […] etc. D’autres fédérations : […] de boxe, de tir à l’arc, fédérations féminines, fédération sportive et athlétique de France, groupant des effectifs sensiblement moins considérables13. »
12Le maigre dossier de la Fédération française de boxe conservé aux Archives Nationales mentionne qu’en 1911 : « La Fédération se compose de 50 sociétés comptant 14 000 [membres] dont 2 000 pupilles14 » tandis que L’Annuaire du Comité national des sports évoque, lui, 15 000 membres en 191415. Par conséquent, en l’absence de données plus précises et même si les chiffres fournis par les organisations sportives avant la guerre sont particulièrement peu fiables16, il semble que la FFB ait perdu en effectifs et qu’elle ne connaisse pas le même mouvement de croissance que d’autres « sports » au sortir du conflit.
Valeur du franc et poids de l’impôt
13Après la Première Guerre mondiale, une forte instabilité économique touche la France. En particulier, le franc fluctue. Selon Thomas Piketty, l’« inflation s’accélère en 1919-1920, puis se transforme en déflation en 1921-1922 durant la récession liée à la reconversion des industries de guerre. Mais l’inflation repart avec la reprise économique au courant de l’année 1922, et elle ne sera véritablement stoppée qu’[…] en août 192617 ». Le salaire ouvrier moyen passe de 1 338 F par an en 1913 à 4 735 F en 192118. En même temps, entre 1914 et 1919, le cours de la livre sterling passe de 25 à 35,50 F et celui du dollar de 5 à 8,50 F. Ces aléas économiques ont des conséquences directes dans un espace fortement internationalisé et attractif comme celui de la boxe professionnelle parisienne. Les Américains et Anglais exigeant de se faire payer dans leur monnaie nationale, un organisateur augmente ses frais de 42 % pour un boxeur anglais et de 70 % pour un américain pour proposer des bourses équivalentes à celles de 1913. Avant-guerre, en dépensant 10 000 F, il attirait soit un « grand » boxeur anglais qu’il payait 400 livres (l’équivalent de 10 000 F en 1913) soit un américain rémunéré 2 000 $. Après la guerre, pour un coût équivalent, un organisateur ne peut plus proposer que des bourses de 280 £ ou de 1 175 $. À quoi s’ajoute le prix des transports qui a considérablement augmenté, en particulier les trajets entre l’Angleterre et la France19. Vienne résume tous ces obstacles :
« De grosses difficultés se présentent actuellement pour maintenir l’intérêt des séances du Wonderland comme par le passé. […] Tout d’abord, le nombre des boxeurs a diminué en France du fait de la guerre. […] Ainsi, […] il faut […] faire un appel encore plus considérable que par le passé à l’Angleterre et à l’Amérique. Et ici, un grand problème se pose : celui du change […] Je suis obligé de dépenser 35 F 50 au lieu de 25 F [avant-guerre] pour payer une livre et 8 F 50 au lieu de 5 F pour payer un dollar. Et étant donné que les exigences de la vie chère nécessitent le paiement des boxeurs de tous pays à des prix qui n’ont plus rien de comparable avec le passé, il devient de plus en plus difficile, sans augmenter le prix des places dans des proportions extraordinaires d’établir des programmes équivalent à ceux d’avant-guerre20. »
14Dans L’Auto, un article virulent non signé demande à ce que « les boxeurs anglais restent chez eux ou que leur valeur suive le cours de la livre » (puisque celle-ci est « hors de prix ») et regrette que « les cours actuels des changes ne nous permettent pas de nous offrir de très grands cracks étrangers21 ».
15De plus, cette situation accélère les migrations des meilleurs boxeurs français. En effet, avant la Première Guerre mondiale la quasi-intégralité des échanges ne concerne que trois lieux l’Angleterre, l’Australie et les États-Unis, et plus occasionnellement la Belgique. À partir de 1920, non seulement la place accordée aux combats en Belgique s’accroît mais de nouvelles destinations font leur apparition en particulier l’Espagne, l’Italie, la Suisse ainsi que l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Le journaliste Jean Auger, directeur de La Boxe et les boxeurs et responsable de la rubrique « boxe » à L’Auto, pointe avec humour (pour mieux le dénoncer) l’attention particulière qu’ont certains boxeurs, et en particulier Carpentier via son manager Descamps, à boxer aux lieux où le change est avantageux. Livrant dix conseils types à un imaginaire champion en herbe, il l’encourage, après avoir engagé un manager expert en signature de contrats et après avoir lu les mémoires de Carpentier, à « [suivre] attentivement le cours des changes et [à s’appliquer] à calculer rapidement en piastres, marks, florins, lires et surtout en dollars et en livres22 ».
16L’organisation d’un combat à Paris est aussi rendue plus coûteuse par une augmentation de la taxe sur les spectacles. Supplément au « droit des pauvres » (voir chapitre ii), cet impôt, concernant tout spectacle public payant, est une taxe d’État créée par la loi du 30 décembre 191623. Sous l’action du député Gaston Vidal24, il est prévu que les événements organisés par des associations affiliées à des fédérations reconnues d’utilité publique et dont les recettes servent uniquement à couvrir leurs frais d’organisation et de fonctionnement « dans le but de contribuer au développement des sports, de l’éducation physique et de la préparation militaire », soient exonérés de la taxe sur les spectacles25. Mais, la FFB ne disposant pas de cette reconnaissance, les spectacles pugilistiques des clubs et sociétés ne sont pas concernés. Quant aux spectacles programmés par des organisateurs, ils relèvent strictement de la taxation des spectacles : la boxe est assimilée au music-hall et non au football ou au cyclisme :
« Pour les […] matches de football, courses de chevaux, de bicyclettes ou d’automobiles, généralement organisés en plein air, sans but de spéculation, par des groupements d’amateurs, le tarif applicable est le plus réduit […]. Mais […] si des exercices sportifs présentent le caractère marqué d’exhibition, d’attractions et si, par exemple, des matches de boxe, championnats de lutte, disputés entre professionnels, sont organisés par un entrepreneur qui en tire bénéfice, on se trouve en présence de véritables spectacles analogues à des numéros de music-halls, et on doit, par suite, percevoir l’impôt prévu pour ces établissements26. »
17Or, en 1920, un tarif progressif par catégories de spectacles est instauré. La taxe des spectacles pugilistiques, initialement de 10 %, est d’abord relevée à 15 % puis à 25 %, soit le taux le plus élevé :
« La charge la plus lourde sera supportée par les dancings, diners ou soupers dancings, bals, skatings, matches de boxe ou de lutte, thés et soupers-concerts qui, sur leur prix d’entrée et recettes, subiront un prélèvement de 25 %27. »
18L’Auto dénonce un véritable « haro sur la boxe » puisque les courses cyclistes, pédestres, nautiques, matches d’escrime et de billard ne sont taxés qu’à 10 %. Le journal relaie alors la protestation de la Commission des organisateurs de la FFB qui déclare :
« Nous ne sommes pas satisfaits ; nous sommes mêmes indignés. La nouvelle taxation nous assimile aux dancings et aux thés-tangos et oublie complètement que la boxe est un sport ! Alors que tout est à l’éducation physique de la nation, on nous frappe d’une taxe deux fois et demie supérieure à celle qui vise des music-halls. Il faut croire que l’État apprécie davantage, au point de vue de l’intérêt général, une danseuse qui montre ses jambes qu’un boxeur qui combat suivant des règles sportives. Si vous additionnez la nouvelle taxe, le droit des pauvres et la taxe de guerre, vous arrivez à un total de 40 % de notre recette brute que nous devrons verser. Comment voulez-vous que nous nous en tirions28 ? »
19Le classement de la boxe comme « sport » n’a donc pas qu’un enjeu symbolique de reconnaissance de ses qualités « morales » et « éducatives » mais aussi des enjeux directement économiques comme celui d’échapper au régime fiscal des activités de loisir.
20Des hommes politiques, notamment radicaux, s’affrontent à ce sujet : Adolphe Cheron, Henry Paté et Gaston Vidal (socialiste indépendant élu grâce à une coalition avec les radicaux), tous les trois dirigeants sportifs de premier plan29, s’opposent à Charles Dumont, rapporteur général et à Louis-Lucien Klotz, ministre des Finances. Vidal dépose un amendement afin que « les skatings, les matches de boxe ou de lutte » soient intégrés au spectacle de 2e catégorie, c’est-à-dire taxés à hauteur de 10 %30. Il plaide alors particulièrement pour la boxe :
« Frapper […] de 25 % ces spectacles de boxe, cela équivaut à les supprimer, attendu qu’à cette taxe viennent s’ajouter des taxes communales qui, dans certaines villes, […] vont également jusqu’à 25 %. Si donc vous [les] ajoutez […], vous arrivez à un total de 50 %, c’est-à-dire à la suppression pure et simple des matches de boxe. Il s’agit donc de savoir si vous voulez supprimer la boxe31. »
21Vidal propose alors d’appliquer les 25 % de taxe uniquement pour les matches qui font plus de 100 000 F de recettes (et de fixer l’impôt à 10 % pour les autres). Après débat, l’article 92 de la loi du 31 juillet 1921 consacre le caractère spécifique de la boxe :
« Une taxe de 25 % sera perçue sur les prix des places de matches de boxe supérieurs à [20] francs, et une taxe de 10 % sur les prix des places inférieurs à [20] francs. […]
Les places de [20] francs des matches de boxe sont frappées de la taxe de 25 %32. »
22Cette disposition souligne la singularité de la boxe, activité perçue comme un « sport » à bien des égards, mais dont les « grands » combats sont vus comme des « représentations de snobisme mondain qui n’ont rien de commun avec l’éducation de la boxe33 » selon les mots de Charles Dumont.
23De manière générale, les pouvoirs publics voient aussi dans les sports une source fiscale. L’Auto publie (pour mieux les dénoncer) les recettes : les « cycles rapportent 25 millions à l’État » et la taxe sur « les spectacles, les divertissements et les courses de chevaux » 49 935 000 F34. Comme le souligne le juriste Pierre Garraud en 1924, les succès économiques des spectacles sportifs et notamment de la boxe en avaient fait une manne financière qu’il convenait d’exploiter : « Les travaux préparatoires [à la loi] indiquent […] que le législateur, notamment en ce qui concerne la boxe, s’est laissé uniquement guider, pour établir sa hiérarchie fiscale […], par des considérations relatives au rendement éventuel de la taxe des spectacles35. » Ces chiffres et le débat qu’ils suscitent relativisent la notion de déclin de la boxe. Peut-être ces spectacles pugilistiques ne sont-ils plus aussi florissants qu’avant-guerre mais ils restent une activité prospère et lucrative. Il n’en reste pas moins que l’augmentation des taxes contribue à freiner leur pleine reprise.
La transformation d’un marché
24Peut-on alors parler de « déclin » de la boxe ? Plusieurs données témoignent, à l’inverse, d’une plus grande vitalité de la boxe. À partir de 1918, le nombre de clubs dans la capitale s’élève, tout au moins ceux affiliés à la fédération (voir infra). De même, les boxeurs professionnels recensés (selon la fédération) sont nettement plus nombreux passant d’environ 200 autour de 1914 à 639 en 1922. Enfin, le nombre de soirées augmente ; nous en avons comptabilisé dans L’Auto 115 en 1913 ; 150 en 1921 et 216 en 1922.
25Malgré cela, de nombreux commentateurs de l’époque font état d’une récession. Ils vivent une modification qui, parce qu’elle relève d’enjeux profonds, bouleverse leurs représentations et les conduit à s’enfermer dans une appréciation en termes dichotomiques essor/déclin. L’étude précise et continue de l’espace pugilistique parisien avant et après la guerre invite à sortir de cette lecture : plus qu’une régression, c’est une restructuration qui s’opère.
De nouveaux promoteurs et de nouvelles offres
26D’abord, les lieux d’accueil changent : les principaux établissements d’après-guerre étaient très peu utilisés avant. En 1922, cinq nouvelles salles accueillent 65 % des soirées : la salle de concert La Fourmi (anciennement appelée « Grand Turc ») située Boulevard Barbès (52 soirées) ; la salle de spectacle dénommée Les Folies Belleville située dans la rue éponyme (33 soirées) ; la salle de café-concert le Kursaal City, avenue de Clichy (20) ; le Stade Anastasie (19) [voir infra] et la Salle Wagram (17). Elles se trouvent dans des quartiers similaires aux anciennes salles (notamment le nord de Paris, la frontière est et un peu l’ouest de la capitale, à savoir les 17e, 18e, 19e et 20e arrondissements). À côté, on retrouve de très grands lieux comme le Cirque de Paris (10 soirées) ou le Vélodrome d’Hiver (8). Toutes ces salles forment, comme celles d’avant-guerre, la structure objective de l’espace pugilistique dans lequel se conjuguent notamment la capacité d’accueil, la localisation et le prestige des combats mis en jeu (chapitre ii). Néanmoins, la représentation de cet espace est modifiée par plusieurs facteurs. Les salles les plus usitées sont nettement plus petites, moins connues et moins fréquentées que les salles les plus actives d’avant-guerre. Alors qu’autour de 1913 : les Folies-Bergère ; l’Élysée Montmartre ; la Salle Wagram ; le Cirque de Paris ou le Casino de Paris comptent parmi les salles les plus rentables (tous spectacles confondus) de Paris, les salles de 1922 sont plus modestes : le Kursaal, les Folies Belleville et la Fourmi qui accueillent un peu plus de 50 % des combats, sont respectivement classés 14e, 30e et 54e des salles plus rentables sur les 67 « music-halls et concerts » parisiens enregistré par l’Assistance publique36. De plus, un nouveau type de salle fait également son apparition : Anastasie et Cuny, deux promoteurs particulièrement en vue, construisent « leur » propre établissement : le stade Anastasie et le Cuny stadium. Véritables « complexes sportifs », ils fournissent un lieu et un équipement pour s’entraîner et se faire soigner (massage, etc.). Les combats y sont organisés à l’extérieur (voir photographie 17) et prennent de nouvelles formes (voir infra). Les spectateurs peuvent bénéficier aussi d’un cinéma, d’une salle de danse, d’un billard, d’un bar, etc37. Ces salles se veulent extrêmement populaires. Le prix des places, de 3 à 10 F, est alors très accessible (à une période où le salaire mensuel ouvrier est d’environ 350 F).
Photographie 17. – Combat de boxe au Cuny Stadium en 1922.

Source : Gallica.
27Les promoteurs à la tête de ces salles sont « nouveaux » sur le marché, hormis Philipe Roth. Les principaux étaient jusqu’ici de second plan (tel Louis Anastasie, voir encadré38) ou exerçaient d’autres fonctions (tel Cuny)39. En 1922, Anastasie dirige plusieurs sociétés et organise au moins 78 soirées (soit 36 % du total des soirées annuelles). Il crée une société spécialisée (le Continental Sporting Club [CSC]), mettant sur pied des combats allant des « petits » aux grands pour lesquels il loue le Vélodrome d’Hiver plusieurs fois par an. En ce sens, il est comparable à Théodore Vienne mais là où ce dernier se caractérise par une double appartenance au patronat40 et au monde journalistique et artistique, Anastasie s’insère dans un réseau de sociabilité moins large et se concentre sur son activité d’organisateur41. Leurs actions entrepreneuriales révèlent ainsi une stratégie profondément différente. Alors que Vienne s’efforce de donner à la boxe une tournure mondaine et élitiste (en proposant des places coûteuses, en créant des liens avec le monde du spectacle, etc.), Anastasie s’attache à mettre sur pied le plus grand nombre de combats possibles, souvent à petits prix, à Paris comme en province. Ainsi, il lance des « abonnements » annuels à prix réduits tel celui proposé dans une annonce :
« Dans le but de diminuer le prix des places pour les habitués de la salle Wagram, M. Anastasie, le sportif directeur du CSC met à leur disposition, aux bureaux de location des carnets contenant des tickets à demi-tarif, valables pour toute la saison 1921-192242. »
Louis Anastasie
Louis Anastasie est né en 1875 à Paris (10e). Il est le fils d’un ferblantier et d’une employée de commerce. Après avoir été tourneur sur métaux et professeur de boxe à Londres puis à Paris, il participe à plusieurs combats mais, surtout, il devient organisateur de combats de boxe professionnelle. Il débute en 1908 mais n’a réellement du succès qu’après la Première Guerre mondiale, moment où il devient le directeur du Continental Sporting Club. Cette société organisatrice de combats de boxe propose des soirées à la Salle Wagram ou au Vélodrome d’Hiver. Parallèlement, Anastasie dirige Le Ring de Paris (appelé aussi le Ring de Belleville), située aux Folies Belleville, et met sur pied quelques combats dans une salle rue Lancry. Puis, en 1921, il ouvre le « Stade Anastasie », véritable complexe sportif. En outre, Anastasie exerce également les fonctions de manager à partir des années 1920. En 1923, il est celui qui gère le plus grand nombre de boxeurs, s’occupant de 16 d’entre eux dont Young Travet, Jack Walker ou Joe Youyou, tous très reconnus.
Il épouse Véronique Bisen, employée, en 1910 et termine sa vie comme « négociant ». Il meurt en 1941.
28De manière générale, le type de soirées d’après-guerre n’est plus le même. Le nombre et la proportion de « grands » combats baissent. En 1922, aucune soirée ne propose des places équivalentes à celles d’avant-guerre. Certes, les places de sept soirées dépassent les 100 F (souvent prix des places les plus chères des « grands » combats d’avant-guerre) mais, alors que cette somme représentait un peu moins d’un mois de salaire d’un ouvrier (1 338 F)43, elle n’équivaut plus qu’à environ une semaine de travail d’un ouvrier puisque le salaire ouvrier moyen s’élève à 4 455 F (même si la chute des prix a provoqué une baisse du salaire nominal cette année-là44). Les places les plus chères de l’année s’élèvent à un peu plus de deux semaines de salaires (quatre fois à 200 F) et presque trois semaines (une fois à 250 F). Le reste des combats (à deux exceptions près) proposent des places à des sommes atteignant au maximum 60 F ; en moyenne les places sont comprises entre 3,9 et 28 F45. Par comparaison, en 1913, le nombre de soirées proposant des places représentant l’équivalent d’au moins deux semaines de salaire de l’époque (soit environ 55 F) est de quatorze ; les tarifs les plus élevés sont de 130 F et de 150 F (à trois reprises) soient l’équivalent de 367 et de 424 F de 192246 et les places sont alors comprises entre 2,25 et 35 F (soit l’équivalent de 6,4 et de 99 F de 1922).
29Les recettes des soirées sont aussi moins importantes qu’avant-guerre. Si les montants sont plus élevés dans l’absolu (et, à ce titre, sont présentés comme des « records »), les gains demeurent plus faibles si on les rapporte au niveau de vie général. Ainsi, en 1921 et en 1922, les recettes de plusieurs combats sont de presque 200 000 F (190 792 pour celui opposant les deux Français Paul Journée et Battling Siki)47 alors qu’en 1914 la plus haute recette s’élève à environ 180 000 F. Mais, dans le même temps, le salaire d’un ouvrier a été multiplié par 3,33.
30Surtout, ces soirées sont moins prestigieuses. En 1922, parmi les cinq combats proposant des places à 200 F et plus, on trouve la rencontre opposant deux des meilleurs français Criqui et Ledoux ; celle entre Carpentier et Siki et plusieurs matches opposant Criqui à des étrangers reconnus (Billy Matthews et Arthur Wyns notamment). Si ces rencontres ne sont en aucun cas de faible ampleur, elles n’ont pas la portée de celles de 1913. Elles mettent en jeu des boxeurs soit plutôt en fin de carrière (Carpentier et Ledoux) soit ne comptant pas encore parmi les meilleurs du monde (à l’exception de Criqui alors à son apogée), alors qu’en 1913, les grands combats voient s’affronter ceux comptant parmi les plus reconnus d’Europe et parfois du monde (Carpentier, Jeannette, Johnson, Klaus, Langford ou encore Papke) et ce pour les plus grands titres mondiaux. Cette différence de prestige se vérifie également au regard de la couverture médiatique qui en est fait. Le nombre de « unes » de L’Auto consacrées à l’annonce de combats de boxe s’élève à sept au cours du mois de novembre 1921 tandis qu’il était de dix pour le mois de novembre de 1913.
31Par ailleurs, les spectacles d’après-guerre ne se déroulent pas au même moment de la journée ni dans les mêmes conditions. À partir de 1922, Anastasie inaugure les « matinées » de boxe48. Au sein de son « stadium », en plein air, le dimanche à 14 heures, il propose un grand nombre de combats (une dizaine), très courts (quatre rounds) pour un prix très accessible. Il est ensuite imité : à partir d’octobre 1922, la nouvelle salle, le Ring International, propose, elle, des combats à 15 h 30. De même, en 1922-1923, plusieurs « grands » événements s’inscrivent dans ce mouvement : le match entre Carpentier et Siki (voir infra) ; le double championnat d’Europe (entre les Français Ledoux et Routis pour les poids coq et entre le Français Porcher et le Belge Hobin) et le championnat de France poids lourds opposant Carpentier à Nilles, se déroulent en plein air au Stade Buffalo. En modifiant ainsi l’heure des combats et les conditions de son assistance (en plein air), ces organisateurs entendent toucher un public plus populaire et plus « familial », se démarquant d’une soirée (chic) de spectacle.
32Enfin, la forme des combats n’est plus la même. Dans l’ensemble, les combats d’après-guerre comportent moins de rounds que ceux d’avant-guerre. Cette tendance s’explique d’abord par le plus faible nombre de « grands » combats qui, toujours plus longs, dépassent les 15 rounds. Ensuite, les combats « courts » de quatre rounds se multiplient, d’abord portés par Anastasie puis par Cuny dans leurs matinées dans leurs stades. Il s’agit de produire un spectacle bref et intense, tout en favorisant l’émergence d’un futur champion :
« L’attrait essentiel de ces rencontres réside dans leur vitesse extrême. […] Sur cette courte distance, les deux hommes mènent un train d’enfer qui favorise les tempéraments spéciaux et cela nous vaut souvent des révélations merveilleuses49. »
33Reprenant un modèle venant des États-Unis, ces combats se font « sans décision » (sauf victoire par KO ou par disqualification) afin de « laisser les spectateurs se faire leur propre opinion50 ».
34Ces transformations modifient la physionomie de la boxe : sa dimension « mondaine » s’affaiblit ou est en tout cas moins visible. Les salles sont plus populaires en particulier du fait de la politique des « petits prix ». Les chroniqueurs dénoncent le manque d’élégance des salles tant du point de vue matériel que du public. Ainsi Georges Thiercelin décrit-il le Gymnase Christmann aussi appelé le Central Sporting Club, l’une des salles les plus actives et les plus populaires de Paris :
« Le gymnase Christmann était un hangar d’une parfaite simplicité ; la poussière d’un siècle y assourdissait les bruits […] Les arts décoratifs n’avaient point été invités […] : des massues, des haltères été rangés le long de ses murs […]. À huit mètres environ du plancher, une étroite galerie courait sur trois côtés […]. Le plus grand étonnement […] était d’apercevoir, se balançant inlassablement sous les galeries, une ininterrompue guirlande de pieds, car le premier rang des populaires avait […] acquis le droit de s’asseoir philosophiquement à terre, […] et passant les cuisses à travers les barreaux, ils laissaient les jambes se débattre dans le vide […] ; lorsque fumaient ces spectateurs sans souci, leurs cendres, leurs mégots et leurs bourres de pipe tombaient droit sur les assis du parterre, lorsqu’ils mangeaient des cacahouètes, […] le même procédé leur servait à se débarrasser des épluchures, et, lorsqu’un digne monsieur du rez-de-chaussée piquait une colère et menaçait d’aller tirer les oreilles au galopin […] personne ne lui tenait tête et […] il voyait se balancer […] des chaussures et des chaussons, avec un tel flegme, qu’il comprenait […] que ses protestations resteraient parfaitement vaines. Un jour, j’entendis mon voisin indigné grommeler : “S’ils osaient, ils nous ch… sur la gueule”. C’est exagéré, ils n’ont pas encore osé51. »
35Même dans les salles plus prestigieuses, les élites semblent moins représentées : L’Auto et les autres journaux ne publient qu’exceptionnellement les noms des spectateurs des premiers rangs. Cette évolution est bien soulignée par Jean Auger qui publie la lettre d’un spectateur déplorant le manque de distinction des spectacles et le peu d’égards envers ceux qui déboursent une forte somme pour assister aux combats :
« Lorsque je suis assis au premier rang, je ne peux pas arriver à voir tranquillement les combats. Voici d’abord les soigneurs qui vous posent délicatement le tabouret sur les pieds […]. Puis voici l’éponge fatale qui vous asperge […]. La résine vole […] et l’on est complètement gris en sortant […], heureux encore lorsque l’on ne s’en va pas orné de quelques taches de sang […] sur votre chapeau ou sur votre faux col. […] Les journalistes […] circulent et vous écrasent les pieds. Enfin si par malheur il reste une place vide à côté de vous, aussitôt quelque boxeur ou manager de repos […] s’y précipite et vous fait la conversation52. »
36Auger, dans L’Auto, lance alors un appel solennel aux organisateurs leur demandant de « conserver une allure élégante à leurs réunions, de veiller à ce que des spectateurs qui viennent avec des femmes élégantes ne soient pas trop éclaboussés, ni trop malmenés. Ils pourraient bien ne plus revenir53 ». Puis, il en appelle à celui qui, à ses yeux proposait des spectacles dans un tout autre « esprit » et était capable de « réunir ces magnifiques chambrées aux soirées mémorables du Cirque de Paris » :
« O mânes de Théodore Vienne ! Tressaillez dans l’éther azuré de ce printemps naissant ! Nous manquons d’un homme, d’un promoteur qui veuille comprendre votre œuvre et la continuer54. »
Nouveaux taux de change, nouveaux partenaires
37Le taux de change n’est pas un simple paramètre économique qui s’ajouterait à une offre sportive existante et conforterait une programmation déjà pensée et construite. C’est une donnée essentielle et structurante, modalité décisive des échanges sportifs et par conséquent du marché des spectacles sportifs dans son ensemble. L’évolution de la valeur du franc conduit à de nouvelles ententes et modifie les migrations de boxeurs. De nouveaux pays, notamment la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas, la Suisse ou encore l’Espagne, deviennent plus attractifs et sources possibles de boxeurs. Le cas de la Belgique est ici particulièrement emblématique. Pays frappé par une inflation record après la guerre, le franc belge est déprécié par rapport au franc français. Au même moment, les prix des moyens de transport pour s’y rendre, et notamment à Anvers, sont en forte baisse55. De ce fait, ce pays devient un partenaire privilégié des Français alors qu’avant 1922 les échanges étaient réduits. En témoigne la comparaison des différentes éditions de L’Annuaire du Ring. En 1913, seules quatre salles hors de France sont mentionnées (deux en Belgique et deux en Suisse) ; en 1920, on trouve 7 salles dont 4 belges ; en 1922, 11 dont 6 en Belgique et en 1925, 24 dont 20 belges. De même, à partir de 1922, la liste des champions de Belgique (dans chaque catégorie de poids) est mentionnée dans l’annuaire mais également dans L’Almanach du Miroir des Sports (annuaire publié par les soins de l’hebdomadaire éponyme) aux côtés des seules listes d’Angleterre, de France et des États-Unis. Par ailleurs, la quasi-totalité des champions de France de 1925 se sont produits au moins une fois en Belgique dans l’année. Ces circulations amènent les fédérations à se coordonner. À partir de 1921, elles signent une « reconnaissance réciproque des droits des managers » des deux pays pour éviter qu’un seul et même boxeur soit encadré par deux personnes de pays différents56. Cette évolution modifie le marché international des boxeurs. Désertant les scènes parisiennes, les champions anglais sont moins reconnus par la fédération internationale dans laquelle les Français et les Belges sont surreprésentés. Ainsi, selon l’IBU, en 1925, sur huit champions d’Europe, quatre sont belges ; deux italiens, un français et un suisse.
Une provincialisation de la boxe
38Avant 1914, même si quelques combats ont lieu en province, la boxe est avant tout parisienne. Durant le conflit, elle se développe en dehors de la capitale où de nombreuses villes dont Bordeaux, Lens et Marseille, relancent très tôt les spectacles pugilistiques. Créées avant-guerre, des Wonderlands de province reprennent avant la capitale. Par exemple, le 1er juillet 1917, le Wonderland Bordelais organise un « grand » combat opposant Albert Lurie, alors champion de France poids lourds à Fernand Campagne ; la salle est « pleine à craquer » selon L’Auto57. De plus, l’attractivité de Paris étant affaiblie par le taux de change désavantageux, elle n’est plus le passage obligé des boxeurs ; d’autres villes prennent alors de l’ampleur comme Lens grâce notamment au « Wonderland Lensois » dirigé par Albert Carpentier58. Grâce aux succès de son frère Georges, celui-ci investit aussi d’autres villes comme Le Havre en 1918 où une exhibition de ce dernier attire 5 000 spectateurs selon L’Auto59. À la direction du « Wonderland lillois », en 1920, Albert organise la reconstitution du combat entre son frère et Joe Beckett60. Les soirées se multiplient aussi mais dans une moindre mesure dans de nouveaux territoires comme l’Algérie ou le Maroc, notamment sous l’impulsion de Louis de Ponthieu devenu manager et organisateur. À partir de 1922, il met sur pied des soirées hebdomadaires dans un cirque de 1 200 places à Casablanca. Ces rencontres, très suivies d’après la presse61, sont d’importance : en un an et demi, il y organise le championnat d’Europe poids coq entre Ledoux et Routis attirant plus de 8 000 spectateurs selon la presse ; la demi-finale du championnat d’Europe de cette même catégorie et le championnat d’Europe des poids mouches62.
39Ce mouvement de décentralisation est soutenu par les organisateurs parisiens qui y voient le moyen d’y étendre leur activité. Parmi eux, Anastasie multiplie les annonces dans la presse pour mettre sur pied des combats en dehors de Paris :
« Aux organisateurs de province : Les sociétés et sportsmen qui désirent organiser des réunions sont informés que le CSC (direction Louis Anastasie) se met à leur disposition pour leur fournir des boxeurs et leur établir des programmes avec toutes garanties63. »
40Les combats provinciaux bénéficient aussi d’une grande couverture médiatique. Les journaux accordent une place croissante aux événements hors Paris, « grands » ou « petits ». En 1922, L’Auto créé une rubrique intitulée « Un peu partout » qui mentionne les combats secondaires se déroulant en dehors du département de la Seine ou à l’étranger. La lecture de la rubrique de février 1922 mentionne 122 villes ayant organisé au moins un combat, 38 en accueillant 82. Marseille est la plus active avec dix puis Nancy, Rouen, Toulon avec cinq, puis Lyon et Roubaix avec quatre. La Boxe et les boxeurs lance une rubrique similaire, « La boxe en province » : en 1912, les comptes rendus des combats parisiens tiennent sur 16 pages et ceux de province 7 tandis qu’en 1922, les rencontres parisiennes sont traitées sur 13 pages alors que « La boxe en province » s’étend sur 18 pages64.
41Entre 1917 et 1920, les combats livrés en province par des boxeurs reconnus augmentent fortement : Lurie combat trois fois à Bordeaux entre 1917 et 1918 ; il en est de même pour Jean Audouy65. Enfin, l’analyse des lieux des combats d’Eugène Criqui, l’un des Français les plus réputés d’après-guerre et qui deviendra champion du monde poids mouche en 1923, illustre ce mouvement de provincialisation (voir tableau 32). Criqui débute sa carrière professionnelle en 1910 à l’âge de 16 ans. Il livre 47 combats en France avant la Première Guerre mondiale. 44 d’entre eux se tiennent alors à Paris. Entre 1917 et 1919, il prend part à 30 combats en France, dont « seulement » 21 ont lieu dans la capitale et ce, alors même que sa notoriété explose.
Tableau 32. – Nombre de combats livrés en France entre 1910 et 1919 par Eugène Criqui.
1910 | 1911 | 1912 | 1913 | 1914 | 1917 | 1918 | 1919 | |
Nombre de combats à Paris | 8 | 8 | 13 | 10 | 5 | 5 | 12 | 4 |
Nombre de combats en province | 0 | 0 | 0 | 1 | 2 | 1 | 5 | 3 |
Total | 8 | 8 | 13 | 11 | 7 | 6 | 17 | 7 |
42Les succès de la boxe en province se mesurent également au regard des mesures fiscales prises par les municipalités. En l’absence des recettes précises des combats, la perception d’un impôt sur le spectacle peut être considéré comme un indicateur de leur succès. Par exemple, en 1919, le Journal officiel publie une loi « autorisant la ville de Bordeaux à percevoir une taxe sur les places occupées, payantes ou non, dans les lieux permanents ou temporaires du spectacle66 ». L’article unique de la loi précise :
« Les théâtres, cafés-concerts, cinémas, ménageries, courses de taureaux, luttes, combats de boxe, cirques et tous les spectacles, quels qu’ils soient, établis à Bordeaux, dans des locaux permanents ou temporaires, payeront, pour chaque représentation, par place occupée, payante ou non, un droit de dix centimes (0 fr 10) par place inférieure à 4 fr. et de vingt centimes (0 fr 20) par place d’un prix égal ou supérieur à 4 fr. »
43Enfin, ce processus de provincialisation de la boxe est particulièrement visible dans l’évolution de l’origine géographique des boxeurs. Si l’on compare les lieux de naissance recensés par L’Annuaire du Ring entre 1913 et 1930, soit les années 1913, 1920, 1926 et 1930, on observe que la part de boxeurs parisiens baisse sensiblement (voir carte 6)67. La surreprésentation de Paris en 1913 est sans doute un choix éditorial de Breyer mais l’ampleur de la progression de l’origine provinciale des boxeurs est un indice de la provincialisation de la boxe. Ainsi, sur les 639 boxeurs professionnels recensés par la fédération en juin 1922, 240 déclarent vivre dans l’arrondissement de la Seine et 176 à Paris soit respectivement 37,6 et 27,5 %. Si Paris reste le principal foyer de développement de la boxe, sa domination n’est plus sans partage. Parmi les 71 boxeurs classés « champion de France » d’une catégorie de poids ou comme « première série » (les seuls autorisés à défier les tenants du titre), 45 résident dans le département de la Seine et 37 dans la capitale elle-même.
Carte 6. – Origines géographiques des boxeurs (dont le lieu de naissance, en France, est connu) recensés par L’Annuaire du Ring.

1913, n = 43 ; 1920, n = 35 ; 1926, n = 28 et 1930, n = 26).
Nouveaux circuits de consécration et nouvelle offre de spectacle
44Ces différentes transformations ne doivent pas être pensées isolément. Elles se conjuguent et débouchent sur des changements profonds dans le type de spectacles proposés comme dans les modalités de fonctionnement de l’espace pugilistique notamment les formes de consécration. Être promu jusqu’à l’excellence ne passe plus par le même parcours.
45Avant la guerre, la carrière d’un boxeur passe par une série d’étapes qui peuvent se résumer de la manière suivante : participer à un « petit » championnat (par exemple de novices) à Paris ou dans les environs ; vaincre un Français reconnu à Paris dans un match d’au moins 10 rounds ; battre un Anglais dans une « grande » salle parisienne dans un combat de 20 rounds ; livrer quelques combats en Belgique et en Angleterre (éventuellement contre un titre de champion d’Europe) ; revenir à Paris pour y affronter un Américain dans un « grand » match de 20 rounds, extrêmement médiatisé, en tête d’affiche d’une très grande salle lors d’une longue soirée organisée par un promoteur parisien ; se rendre aux États-Unis (et dans une moindre mesure en Australie). Mais de l’après-guerre jusqu’au milieu des années 1920, le parcours de réussite diffère et peut être synthétisé ainsi : débuter dans des « petits » combats dans une grande ville ou dans une ville moyenne ; boxer contre un Français reconnu à Paris ou dans une grande ville de province (notamment à Bordeaux et à Marseille) ; devenir champion de France (souvent à Paris mais pas toujours) dans une grande salle ou en plein air, parfois l’après-midi ; livrer des combats dans un vélodrome parisien parfois en journée ; combattre dans d’autres pays d’Europe (en particulier en Angleterre, en Belgique, en Espagne ou aux Pays-Bas) puis, en cas de victoires, disputer le championnat d’Europe le plus souvent à Londres ou à Paris (et parfois en Belgique) ; séjourner en Australie et aux États-Unis pour livrer ses premiers combats contre les « grands » Américains.
46Cette transformation modifie la socialisation professionnelle des boxeurs. L’excellence pugilistique n’est plus la même. Un boxeur peut effectuer ses débuts de carrière en différents lieux ; ses « grands » combats également et il n’y affronte souvent que des Français. Le « mode de génération » – c’est-à-dire les conditions qui ont contribué à la formation d’un groupe d’individus68 – des boxeurs s’en trouve profondément modifié.
47Après-guerre, de nouvelles conditions économiques, la moindre attractivité de Paris, de nouveaux agents, les nouvelles formes de spectacles sont autant de facteurs qui ont transformé l’image et la place de la boxe. Sans que son caractère mondain ne disparaisse complètement, celle-ci prend peu à peu la forme d’un spectacle de divertissement populaire. Ces changements, ressentis comme un déclin, révèlent une transformation du marché des spectacles pugilistiques. Cette évolution de perception ou de « connotation » des combats, accompagne la modification de la codification de la pratique.
Le renforcement du pouvoir fédéral
48Les conditions de l’après-guerre modifient la place de la FFB dans le marché des spectacles pugilistiques et renforcent son rôle dans les changements qui traversent la boxe professionnelle. En même temps, les dirigeants fédéraux renforcent leur autorité personnelle par leurs actions dans et hors de la boxe. Cet ensemble de conditions favorise la reconnaissance de la FFB et lui confère un pouvoir croissant. Autant d’attributs qui contribuent à modifier la codification de la pratique dans son ensemble.
Les conditions d’imposition de la fédération
49La restructuration de l’espace pugilistique d’après-guerre permet à la FFB de s’imposer. La conjoncture en particulier dans le monde sportif rend possible le renforcement de la fédération qui peut développer ses appuis. Les dirigeants ont acquis une place qui assoit leur autorité, alors que les organisateurs sont affaiblis.
L’appui de l’État
50Après le conflit mondial, la FFB établit son pouvoir en renforçant sa reconnaissance par les pouvoirs publics. Fin juillet 1919, suite à une assemblée générale de la fédération, Rousseau adresse à tous les préfets de France une lettre reproduite dans de nombreux journaux tels L’Auto, L’Éclair, Le Figaro ou L’Intransigeant. Le président de la FFB propose « d’instaurer une entente69 » entre les pouvoirs publics et la fédération. Elle se pose comme garante du bon déroulement et de la sécurité des matches arguant que ceux reconnus par la fédération présentent toutes les garanties médicales et « morales ». L’adresse aux préfets précise les conditions de la visite médicale instaurée par la fédération, le refus des matches de femmes et de mineurs de moins de seize ans. Elle présente la boxe comme « modèle de préparation physique », « ayant fait ses preuves » pendant la guerre. Rousseau souligne qu’il est « indispensable » que les arbitres « soient reconnus par la fédération » qui fixe des directives pour éviter « toute violence et tout coup défendu ». Il pose ainsi la FFB comme seule autorité légitime :
« Lorsqu’il lui est annoncé une réunion de boxe, le public a un intérêt capital à se renseigner afin de savoir si ladite réunion est autorisée par la Fédération Française de Boxe, unique pouvoir régissant et contrôlant en France le sport de la boxe. »
51Cette démarche vise à une reconnaissance de l’autorité fédérale. Mais elle a pour effet de poser la forme de pratique prônée par la fédération comme la seule légitime. Elle disqualifie les formes de combats non validées par la FFB et impose sa définition de ce qu’est « la boxe ».
52En codifiant sportivement la boxe et en la normalisant, les dirigeants fédéraux tendent non seulement à associer des particularités techniques à des dispositions morales, mais aussi à produire une boxe perçue comme plus acceptable car plus respectueuse de l’intégrité physique des pratiquants et de la moralité. Loin d’incarner une « brutalisation70 » des pratiques physiques, les dix années d’après-guerre s’accompagnent d’une épuration progressive mais malgré tout relative de la violence.
53Le soutien des pouvoirs publics s’exprime également par l’accord de subventions. Pour en obtenir, Rousseau argue du sacrifice de plusieurs boxeurs sur le front ; de la mobilisation de 9/10e de ses dirigeants, du rôle de la boxe dans la préparation militaire et de la collaboration avec le ministère de l’Instruction publique et avec celui de la guerre71. Elle présente le projet d’utilisation de ces fonds à la fois dans le cadre civil (cours de boxe, championnats, congrès, etc.) et militaires (championnat de la marine, etc.). Cette aide est accordée en 1921 dans le cadre de la subvention de 2 330 000 F promise par Henri Paté aux différentes fédérations et associations sportives72. Pendant au moins quatre ans, la FFB perçoit 80 000 F annuellement, montant plutôt élevé puisque seules neuf des 34 organisations sportives (structures souvent multisports et/ou servant à la préparation militaire) sont davantage financées73.
Mobilité sociale et légitimité fédérale
54Ce rapprochement entre la FFB et les pouvoirs publics est facilité par l’élévation du niveau social des dirigeants fédéraux depuis les années 1910. En atteste la composition du comité directeur (le « Conseil ») de 1922 par rapport à celui de 1903 (voir chapitre i). En effet, celui-ci laisse place à une surreprésentation de la bourgeoisie d’affaires qui continue de côtoyer des médecins et des journalistes (voir tableau 33).
55Parmi ces dirigeants, François Descamps bénéficie d’une élévation sociale incontestable mais originale. Il jouit d’une très grande notoriété et d’une fortune personnelle importante grâce à son activité de manager, notamment auprès de deux des boxeurs les plus célèbres Ledoux et surtout Carpentier. Le montant exact de ses gains est inconnu mais il déclare prélever 25 % des revenus de Carpentier, revenus qui s’élèvent, d’après mes estimations, au moins à cinq millions de francs en 192274. Il possède plusieurs propriétés dont le centre d’entraînement (La Guerche) et une usine de boîte de camembert dans le Cher.
Tableau 33. – Fonctions et professions des membres du conseil de 1923.
Nom | Fonction au Conseil de la FFB | Profession en 1923 |
Bach | Trésorier | Directeur d’une agence d’assurances |
Boulanger | Membre | Négociant en produits pharmaceutiques |
Bourdariat | Vice-président | Propriétaire et rentier |
Capdevielle | Membre | Commerçant |
Corneau | Membre | Manager et marchand de dentelles et de bretelles |
De La Rochette | Membre | Sous-directeur de la Compagnie Westinghouse |
Descamps | Membre | Manager et propriétaire d’usine |
Eudeline | Membre | Manager |
Guelpa | Membre | Chef de division aux chemins de fer de l’Est |
Hardman-Lucas | Membre | Journaliste |
Legendre | Membre | Entrepreneur de travaux publics |
Lerda | Membre | Manager et professeur de boxe |
Michel | Membre | Architecte |
Morard | Membre | Officier de paix |
Oudin | Membre | Imprimeur et libraire |
Pujol | Vice-président | Banquier |
Reichel | Secrétaire général | Journaliste |
Rousseau | Président | Journaliste et courtier en publicité |
Rouyer | Membre | Négociant |
Sandoz | Membre | Médecin |
Sant | Membre | Coulissier |
Sauphar | Membre | Médecin assistant à l’hôpital Saint-Louis ; médecin-capitaine de réserve |
Schiff | Membre | Négociant en pierres fines |
Sebencq | Membre | Docteur |
Van Roose | Vice-président | Chef d’une maison de commerce d’exportation |
Vidal | Membre | Agent d’assurances |
Source : L’Auto (notamment 2 et 9 décembre 1922), archives d’état civil, dossiers de Légion d’honneur.
56De leur côté, Reichel et Rousseau acquièrent une très grande notoriété dans et au-delà du monde sportif. Ce sont des journalistes reconnus. Déjà responsables sportifs importants avant-guerre, ils deviennent des dirigeants de tout premier plan. Transformant l’USFSA en Union des fédérations françaises de sports athlétiques (UFFSA)75, ils œuvrent à la structuration générale des pratiques sportives en instaurant le « monopole fédéral », chaque sport est géré par une seule et même fédération, l’UFFSA unifiant en son sein une « direction de l’amateurisme et du professionnalisme » et excluant tout « groupement dissident76 ». Parallèlement à leur action dans ces structures, Reichel et Rousseau multiplient les mandats fédéraux. Le premier devient secrétaire général du Comité olympique français, secrétaire général du Comité national des sports et commissaire général des Jeux olympiques de Paris77. De son côté, Rousseau est toujours secrétaire général de l’UCI et vice-président de l’UVF ou encore président du bureau permanent des Fédérations internationales sportives. Courtier en publicité, actionnaire du journal L’Excelsior, il devient célèbre en fondant l’hebdomadaire L’argus de l’automobile et des locomotions (connu pour les cotes d’Argus) puis en cofondant « Les 24 heures du Mans ». Tous deux sont faits « Officier de la Légion d’honneur » ; Reichel étant intronisé par Justinien Clary (dit le comte Clary) en 1923 et Rousseau, par l’avocat et conseiller d’État Léon Barthou, en 1921. Dès lors, la reconnaissance du pouvoir fédéral pugilistique bénéficie d’une conjoncture doublement favorable, à savoir l’organisation générale du mouvement sportif autour des fédérations78 et des dirigeants dotés d’importantes ressources sociales.
57La FBB bénéficie également d’un large appui de la presse. Reichel et Rousseau mettent à profit les colonnes du Figaro et du Temps pour exploiter et amplifier l’essor et l’action de la fédération. L’Auto, autrefois plus critique à l’égard de la fédération, la soutient après la guerre. Par exemple, lors de « l’affaire Siki79 », le quotidien jaune accuse le député Raoul Diagne attaquant la FFB d’avoir « péché par ignorance » et tresse des couronnes à la fédération :
« Un homme […] doit se renseigner avant de jeter publiquement le discrédit sur [ceux] qui depuis vingt ans se dévouent au sport de la boxe […] sans avoir jamais touché de loin ou de près à une affaire de boxe, ayant même souvent payé de leur personne et de leur porte-monnaie en faveur de la propagande pour la boxe. […] Savez-vous qui a avancé les 100 000 F qu’ont coûté les organisations […] pour amateurs, scolaires et militaires et pour celle du grand match franco-anglais de l’armée et de la marine ? […] C’est son président Paul Rousseau, qui a fait personnellement cette avance80. »
58Après le conflit mondial, la FFB s’appuie également sur le soutien indéfectible de la revue La Boxe et les boxeurs. Loin de sa ligne éditoriale préalable, elle fait la promotion de la fédération et se présente sur sa couverture comme : « L’organe officiel de la Fédération française de boxe81 ». Traduisant un article du journal anglais Boxing soulignant que la FFB « a incontestablement acquis un grand respect en France » et ce à la différence de la British Board of Control et de l’IBU, la rédaction de La Boxe et les boxeurs explique cette reconnaissance :
« Certains contacts ont manqué […] Ce contact, c’est celui de la presse et des fédérations […]. Certes cela ne va pas sans critiques ; mais les efforts réels de tous les membres du conseil de la FFB et de toutes ses commissions ne sont pas ignorées, la presse en est avertie, elle peut les contrôler et une liaison intime et des relations constantes existent entre la presse sportive et la FFB82. »
59Même si le journaliste surestime probablement le rôle de la presse dans la mesure où l’essor du modèle fédéral français est dû à une combinaison de plusieurs facteurs, il n’en reste pas moins que la place des dirigeants fédéraux dans le milieu journalistique permet de faire de celui-ci une caisse de résonance importante de leur cause.
Dynamique internationale et structuration nationale
60Par ailleurs, la prédominance nationale de la FFB est indissociable de l’essor de la fédération internationale. Celle-ci, peu reconnue avant-guerre, se renforce et s’institutionnalise83 ; et ce plus particulièrement sous l’impulsion des dirigeants français, notamment de Rousseau et, dans une moindre mesure, de Reichel. En septembre 1919, Rousseau appelle toutes les organisations internationales, tant amatrices que professionnelles, à se réunir en février 1920 afin notamment de fixer la « réglementation définitive des championnats du monde de boxe professionnelle et la désignation officielle des champions du monde professionnels84 ». Sont alors membres de l’IBU : l’Angleterre, l’Australie, la Belgique, le Brésil, le Danemark, les États-Unis, la France, la Hollande, l’Italie, la Norvège, la République d’Argentine, la Suède et la Suisse. Chaque organisation nationale est appelée à fournir une liste de champions nationaux ; ce classement s’imposera à tous de telle sorte que, quel que soit l’endroit où se déroulera un combat, le palmarès sportif pourra être validé par l’IBU. De même, la fédération internationale consacrera les champions d’Europe et du monde pour éviter que chacun ait le sien. Des sanctions internationales s’appliqueront en cas de manquement à cette réglementation. Il s’agit pour Rousseau et Reichel de renforcer la capitalisation de la valeur des titres sportifs.
61Cette prédominance des dirigeants de la FFB dans la structuration internationale de la boxe est fondée sur une stratégie d’alliances. La France, l’Angleterre et les États-Unis bénéficient de dix voix ; les autres pays en ont une, deux, trois ou quatre. Les responsables français doivent donc multiplier les ententes pour faire passer leurs propositions. Ainsi, lors du congrès de 1920, la France s’allie avec les Anglais contre les États-Unis85. Un an plus tard, elle s’entend avec la fédération belge (quatre voix) contre l’Angleterre avec laquelle les relations sont tendues86. Autant de jeux d’alliances qui permettent à la France d’occuper la plus grande place possible sur la scène internationale.
62L’institutionnalisation de la fédération internationale de la boxe renforce le prestige des dirigeants fédéraux et leur donne aussi l’occasion de neutraliser les concurrents nationaux. En 1919, Rousseau, alors secrétaire général de l’IBU et futur vice-président, propose Léon Sée (ainsi que Legendre, membre du comité directeur de la fédération) pour le remplacer comme délégué représentant la FFB au congrès de l’IBU de 192087.
63Cette conquête de « légitimation par procuration88 » renforce considérablement l’autorité de la FFB et le prestige de ses dirigeants au niveau national. Tout particulièrement de Rousseau, souvent présenté comme le « père » de l’organisation du sport international, par exemple lors de son décès en 194189. Dans L’Encyclopédie des Sports – vaste ouvrage paru à l’occasion des Jeux olympiques de 1924 – Fernand Cuny, rédacteur de la rubrique « boxe », affirme :
« La création de ces deux fédérations internationales [amateur et professionnelle] est due en grande partie aux suggestions de la FFB et, en particulier, de son président […] Rousseau, dont l’inlassable activité et l’esprit d’organisation sont incomparables. C’est certainement à lui que nous devons l’excellente orientation de la boxe en France90. »
L’exercice du pouvoir fédéral
64Bénéficiant de conditions favorables, la FFB exerce son pouvoir, affirme son autorité et définit les modalités de la boxe. Les facteurs de légitimation d’une organisation et les actions effectivement menées par celle-ci sont indissociables. Si la fédération peut structurer la boxe, c’est parce qu’elle est légitime ; mais si elle est considérée comme telle, c’est par ses actions de structuration de la pratique.
65Durant l’année 1918, la FFB édicte un long règlement91 dans lequel le fonctionnement interne de l’organisation est précisé ainsi que sa politique. Adoptant une structuration proche de celle de l’USFSA92, la FFB a, à sa tête, le « Conseil de la Fédération » qui encadre les dix « commissions » (commission des arbitres ; des brevets ; des professeurs ; scolaire et post-scolaire etc.).
66Si la plupart de ces commissions ont été créées avant la guerre, il n’en reste que leur rôle était jusque-là peu spécifié. Dorénavant, leur objectif est de « rechercher et de provoquer l’affiliation des sociétés, salles ou organisateurs de boxe professionnelle ; de recruter des adhérents […], enfin d’agir pour développer moralement l’influence de la FFB93 ». Ce fonctionnement vise à renforcer le pouvoir de la FFB en la faisant connaître et en augmentant son nombre d’adhérents.
Délivrer des licences
67Le règlement de 1918 concerne les licences délivrées par la fédération. À la seule distinction entre amateurs et professionnels se substituent de multiples types de licences pour les boxeurs : amateur, professionnel, novice, scolaire et corporatif ; pour les arbitres : amateurs et professionnels ; pour les managers et pour les organisateurs : licence « normale » et « licence spéciale » pour « tout organisateur particulier désirant organiser une réunion » ponctuelle de boxe. Cette diversité manifeste la volonté de s’adresser à tout agent du monde pugilistique, de régir la totalité des pratiques y existant. De fait, la FFB délivre toute autorisation de pratique et contrôle toute modalité d’entrée dans la carrière professionnelle.
68La licence devient alors effectivement obligatoire pour obtenir l’homologation d’un combat. En 1919, pour simplifier l’imposition et la diffusion des licences, la fédération prend une mesure décisive : la licence devient gratuite, « la FFB prenant tous les frais à sa charge » y compris pour les boxeurs étrangers combattant en France94. Cette mesure est efficace puisqu’entre 1919 et 1921, seule une « réunion » n’est pas homologuée par la fédération ; qu’en 1922, deux organisateurs demandent à prendre leur licence tout juste après avoir annoncé leur premier combat dans la presse95. Loin de fermer les yeux devant l’absence d’affiliation comme elle le faisait avant-guerre, la FFB vérifie et sanctionne tout manque. Ainsi à propos des organisateurs, le règlement stipule :
« Tout organisateur particulier qui ne demanderait pas sa licence d’organisation pourra être déclaré incapable d’organiser par la suite des réunions même régies par les règlements de la FFB. Toute société, salle ou organisateur laissant boxer un boxeur sans que celui-ci soit possesseur d’une licence, pourra être puni d’une amende de 50 à 500 F ou d’une suspension. Les pénalités peuvent être réunies96. »
69En 1921 pour améliorer ce contrôle, la FFB émet un formulaire type exigeant notamment les numéros de licences des boxeurs à chaque soirée97.
70Imposer cette licence permet à la fédération de délimiter son champ d’action, de matérialiser l’appartenance des individus à une communauté (l’espace pugilistique) en contrôlant leur identité98 ; simultanément, elle divulgue l’idée de la nécessité de l’organisation fédérale et contribue à faire reconnaître la FFB comme l’autorité légitime. Le rapprochement entre la carte d’identité et la licence fédérale est parfois même explicitement opéré. Ainsi, Cuny (alors organisateur et membre de la commission d’examen des brevets de professeur de la FFB), qualifiant la licence de « véritable pièce d’identité sportive99 », regrette que celle-ci soit délivrée sur simple demande et constitue donc parfois « un témoignage mensonger » dans la mesure où certains titulaires n’ont jamais appris à boxer. Il propose qu’on vérifie que le demandeur possède une certaine connaissance de la boxe et de ses règles ainsi que d’une « expérience élémentaire100 » afin d’identifier les seuls « vrais » boxeurs. Cette disposition n’est pas retenue car elle limite la propagation de la licence.
71La généralisation de l’usage de la licence bénéficie de l’appui de certains organisateurs qui y voient un moyen de maîtrise voire de domination des boxeurs (voir chapitre i). Ainsi, le Continental Sporting Club (dirigé par Anastasie) se déclare « plus formaliste » que la fédération et exige une licence et un contrat en bonne et due forme pour chaque combat101. La FFB est aussi soutenue par la presse, et en particulier par L’Auto et La Boxe et les boxeurs. En 1921, le quotidien jaune lance une « enquête » sur le sujet et publie les avis qui martèlent l’importance de la licence102 ; L’Auto s’allie à la préconisation d’Albert Bourdariat, l’un des vice-présidents de la FFB, de refuser d’arbitrer quand les deux boxeurs ne possèdent pas de licence.
72À partir de 1921, d’autres mesures participent à cette entreprise de structuration de la boxe comme celles concernant les speakers et les commissaires de réunions, les chronométreurs ou encore les arbitres. À partir de 1923, ces derniers sont distingués en deux catégories, les « arbitres officiels » (au nombre de 23 et seuls à arbitrer une compétition officielle de la fédération) et les arbitres « reconnus » (au nombre de 83 et seuls à pouvoir arbitrer les matches professionnels reconnus par la FFB).
Pouvoirs et classement
73Organisation revendiquant le monopole de la consécration sportive, la FFB n’a eu de cesse de produire des classements qui entendent objectiver l’échelle de valeurs des boxeurs103. Mais la mise en œuvre de ces classifications a longtemps été contrecarrée par la domination des organisateurs. Au tournant de la guerre, pour asseoir leur pouvoir, les dirigeants fédéraux décident de « classer » les boxeurs hiérarchiquement en trois niveaux nommés « séries ». La « troisième série », la plus basse, rassemble l’ensemble des « boxeurs non-novices » mais d’un niveau tel qu’ils ne peuvent défier que ceux évoluant dans la seconde. Le niveau supérieur, « deuxième série », regroupe les boxeurs susceptibles de défier ceux de la première série. La première désigne les boxeurs qualifiés pour défier le champion de leur catégorie. Cette hiérarchie permet l’organisation rigoureuse de championnats, même si tous n’appliquent pas ce classement. À partir de 1918, la FFB revendique mettre sur pied pas moins de 13 championnats par an. Ceux-ci concernent à la fois la boxe anglaise et la française ; sont prévus les championnats de novices, d’amateurs et de professionnels. Seul le championnat de boxe anglaise est organisé par les promoteurs, la FFB homologuant le titre. S’ajoutent les championnats de militaires, des corporations et des scolaires. Cette hiérarchisation est croisée avec celle des poids.
74La mise en œuvre de ce classement s’opère parallèlement à l’essor de la boxe en province auquel participe la FFB depuis 1915. Dans chaque département et chaque région, des représentants de la fédération sont chargés de mettre sur pied les épreuves pour l’acquisition officielle des titres validées par la fédération. Fin 1921, 105 délégués répartis dans 32 départements et 45 dans 14 régions organisent ces compétitions104. La fédération est alors amenée à recruter : durant la seule année 1921, elle lance quatre appels dans L’Auto afin de recruter des délégués pour la cinquantaine de départements où elle n’est pas représentée.
75Avant tout, grâce à ce modèle de classement, la FFB impose le caractère progressif, continu et hiérarchique, du modèle sportif des compétitions. Elle crée les bases d’une normalisation totale de la pratique pugilistique en la codifiant comme une pratique uniforme reposant sur des conditions standardisées, se basant sur un règlement relativement intangible et à prétention quasi « universelle105 ». Par conséquent, les dirigeants fédéraux œuvrent à rapprocher la boxe de la forme sportive tout en servant la cause de leur organisation. En effet, l’organisation de championnats renforce le pouvoir de la FFB. Elle facilite la propagation des licences (nécessaires à la participation au championnat). Elle permet ainsi à la fédération d’étendre son implantation au-delà de l’enceinte parisienne, dans tout le territoire. Elle accentue l’encadrement fédéral sur tous les types de pratiquants (amateur, militaire ou scolaire). Simultanément elle renforce le pouvoir de consécration de la FFB qui s’affirme ainsi comme l’organisation légitime de la boxe. En créant un tel système, les dirigeants fédéraux réglementent les modalités d’organisation des matches. Ils mettent en place un système progressif qui a au moins deux conséquences. D’une part, il agit directement sur le déroulement de la carrière professionnelle du boxeur, lui donnant une progression visible et officielle : l’amélioration du niveau pugilistique se matérialise par le passage d’une série à l’autre. Pour changer de catégorie, certaines conditions sont requises : dans un match officiel, une victoire sur un boxeur d’une série supérieure s’accompagne d’un classement dans cette même série quand une défaite face à un individu d’une série inférieure se traduit par une rétrogradation106. De plus, pour « monter d’une série », un boxeur doit adresser un défi à la fédération accompagné de la somme de 10 F (et parfois d’un enjeu-caution supplémentaire). D’autre part, ce système encadre la planification des matches des organisateurs. Elle limite leur possibilité d’affiches « improvisées » et suppose de s’inscrire dans le cadre des règles fédérales. Ce faisant, la FFB prend directement part à l’encadrement des combats et à leur programmation puisqu’elle exclut que s’affrontent n’importe quels pratiquants pour un titre. Elle normalise la valeur sportive des boxeurs. Et ce d’autant plus que le classement des boxeurs, fixé par elle (avec l’aide de la Commission des organisateurs), est conditionné par la possession d’une licence. En témoigne l’évolution du nombre de boxeurs inscrits dans ces séries : en avril 1919, une première liste de 116 boxeurs est publiée ; celle-ci passe à 127 deux mois plus tard107 avant d’atteindre celui de 639 boxeurs en 1922 (voir tableau 34).
Tableau 34. – Nombre de boxeurs recensés par catégorie de poids et par série en 192.
Catégories de poids | Poids mouche | Poids coq | Poids plume | Poids léger | Poids mi-moyens | Poids moyens | Poids mi-lourds | Poids lourds | Total |
Champion | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 8 |
Première série | 5 | 5 | 16 | 14 | 12 | 9 | 1 | 4 | 66 |
Deuxième série | 15 | 18 | 33 | 29 | 34 | 37 | 13 | 4 | 183 |
Troisième série | 33 | 54 | 89 | 82 | 62 | 33 | 23 | 6 | 382 |
Total (et en %) | 54 (8,5) | 78 (12,2) | 139 (21,8) | 126 (19,7) | 109 (17, 1) | 80 (12,5) | 38 (5,9) | 15 (2,3) | 639 (100) |
Calcul effectué à partir de La Boxe et les boxeurs, 3 juin 1922.
76Cette organisation est au centre de la politique des dirigeants fédéraux. Ainsi, répondant à une tribune critique de Desgrange, Rousseau réplique vivement :
« Les championnats doivent être la base des plus élémentaires compétitions, et leur ordonnancement, ainsi que leur progression, doivent correspondre à une recherche raisonnée108. »
77La mise en place des championnats renforce aussi le soutien des organisateurs et de la presse. Les promoteurs pâtissent du manque de boxeurs étrangers reconnus acceptant de venir en France. De ce fait, ils encouragent les rencontres entre Français, tant les matches « de séries » que les épreuves de championnats de France. Ainsi, entre juin et décembre 1919, le Continental Sporting Club dirigé par Roth et Manaud, met sur pied sept championnats de France (homologués par la FFB) : deux dans les catégories des poids mouches et légers puis un dans les catégories des poids plumes, coq et lourds. De la même manière, une société organisatrice nouvellement créée, Le Ring, explique dans l’annonce de son premier combat :
« Deux des membres les plus écoutés de la FFB ont suggéré au “Ring” l’idée de faire disputer des compétitions comprenant les boxeurs de 1er et 2e séries de chaque catégorie afin de mieux les connaître et d’en établir un classement plus juste109. »
78Cette valorisation des titres sportifs s’inscrit dans un mouvement international. Sous l’impulsion de l’IBU et malgré les conflits qui perdurent, la reconnaissance des titres sportifs progresse au sein des pays européens. Ceux-ci étant de plus en plus valorisés par les organisateurs et par la presse, plusieurs promoteurs français mettent sur pied des rencontres internationales de ce type. Ainsi, aux côtés des championnats de France, le Continental Sporting Club organise – entre le mois de juin et décembre 1919 – deux championnats d’Europe. De même, sur la seule année 1922, il s’en tient cinq à Paris ; cette tendance se renforçant notamment sous l’impulsion des victoires de Criqui qui participe à quatre d’entre eux.
Agir sur tous les fronts : la boxe amateur (et militaire)
79Depuis 1908, dans la lignée des compétitions sportives militaires (en athlétisme, en football-association ou encore en natation)110, la FFB, en accord avec l’armée, met sur pied des compétitions réservées aux militaires. Elles reposent sur la mise en place d’une reconnaissance mutuelle entre le ministère et l’organisation fédérale qui en est à l’initiative et qui multiplie les démarches pour bénéficier de l’appui du premier. Cette reconnaissance est entérinée en 1910, lorsque la FFB est agréée par le ministère de la Guerre au titre de « Fédération de préparation et de perfectionnement militaires111 ». Tirant profit de ses relations avec le ministère de la Guerre durant le conflit, elle consolide sa place au sein des armées. Ainsi, en 1918, elle obtient la création d’un « Brevet de boxeur classé » qui, accompagné du certificat de préparation au service militaire, permet au conscrit de choisir son régiment et d’obtenir des permissions supplémentaires112. En 1920, la FFB est autorisée par le ministère de la Guerre à « délivrer aux sociétés [organisatrices de combats de boxe] l’attestation qu’elles sont constituées en vue du développement des sports113 ». Celle-ci permet de bénéficier d’une exonération de la taxe sur les spectacles conformément à la loi du 25 juin 1920 prévoyant cette dispense aux fédérations et sociétés dont « les recettes sont exclusivement réservées à leur propre fonctionnement dans le but de contribuer au développement du sport, de l’éducation physique et de la préparation au service militaire114 ». En délivrant cette attestation la FFB renforce sa légitimité. Elle se place comme l’interlocutrice des sociétés auprès des pouvoirs publics, comme instance de défense des intérêts communs du monde pugilistique. Le développement des spectacles de boxe, s’il s’inscrit dans un giron fédéral, se révèle alors utile à la FFB pour étendre son pouvoir.
80Le renforcement du rôle et de la place de la FFB repose aussi sur un plus grand investissement dans la boxe amateur. Au niveau national, elle amplifie l’action de développement menée depuis 1903. La comparaison opérée par Cuny entre 1903 et 1924 est éloquente : lors de la création de la fédération, si l’on se concentre sur la seule boxe anglaise, les championnats de France amateurs accueillent une quinzaine de concurrents s’affrontant dans trois catégories de poids ; vingt et un ans plus tard, ces mêmes championnats regroupent 2 000 concurrents répartis dans huit catégories115. Sans doute, ces chiffres sont-ils suspects car ils émanent d’une personnalité qui est un membre actif de la fédération et qui reprend globalement les chiffres que celle-ci produit116. Toutefois, la plupart des indicateurs mobilisés tendent à confirmer l’envolée du nombre de pratiquants et le renforcement du pouvoir de la fédération sur cette modalité de pratique. Depuis sa fondation en 1903, la FFB revendique une représentativité de plus en plus grande. Selon les dires de Rousseau, 34 sociétés sont affiliées à la FFB en 1913 ; 200 en 1914 et 600 en 1922117, ce dernier « bond » correspondant à la politique mise en œuvre à partir de 1919, à la gratuité de la licence et à l’affiliation de clubs en vue d’obtenir des subventions118. Ces différentes sociétés comprennent un nombre important d’adhérents (30 000 selon Rousseau119). Parmi eux, 10 000 seraient licenciés à la FFB dont 8 000 amateurs120. De plus, le nombre de clubs mentionnés comme lieux exclusivement de boxe augmente dans les annuaires spécialisés. L’Almanach du Miroir des Sports de 1923, qui ne recense que les « principaux », en dénombre 25 pour Paris intra-muros. Cette augmentation générale des pratiquants reçoit un fort soutien de la presse sportive. Les périodiques spécialisés n’ont de cesse de relater l’activité des clubs, d’en faire la publicité et d’encourager à leur fréquentation. Par exemple, Jean Auger lance plusieurs appels dans L’Auto pour soutenir les amateurs car, selon lui, la plupart d’entre eux fréquente des « salles » de boxe « où un professeur éduque ses élèves » plutôt qu’une association à proprement parler, les grands clubs français ne possédant pas de section de « boxe achalandée121 ».
81Au niveau international, Rousseau participe activement au développement de la modalité amateur, notamment comme fondateur et vice-président de la Fédération internationale de boxe amateur (FIBA). Le congrès de l’IBU, qu’il initie en février 1920 (voir supra), est l’occasion de rapprocher les deux modalités de pratiques. Il s’accompagne du congrès de la FIBA (qui a lieu le lendemain) où les six pays participants122 sont représentés par les mêmes délégués que ceux de la boxe professionnelle123. À ces occasions sont adoptés l’organisation des championnats du monde amateurs, le règlement des Jeux olympiques (qui devient de fait celui des championnats du monde) et la désignation des champions124. Ces mesures unifient les pratiques de ces différents pays. Elles permettent également une reconnaissance mutuelle des organisations. Elles consolident la hiérarchisation du pouvoir des différentes nations puisque, comme au sein de l’IBU, l’Angleterre, les États-Unis et la France bénéficient de trois voix quand tous les autres pays n’en ont qu’une. La légitimité de la FFB, interlocutrice de référence pour les compétitions internationales, s’en trouve renforcée en France.
82Souvent les modalités amateur et professionnel sont opposées l’une à l’autre mais leurs relations sont ambivalentes, chacune pouvant alimenter et participer au développement de l’autre. Notamment sous l’action des dirigeants fédéraux qui tentent à de nombreuses reprises de les articuler. Cet état des choses est facilité par la porosité (toujours effective) des frontières entre les deux modalités de pratique : de nombreux boxeurs, « professionnels d’une soirée » redeviennent amateurs le lendemain, d’autres participent en province à des soirées conjuguant professionnels et amateurs (ceux-ci touchant une part de la recette selon les journalistes)125. Les mêmes personnes qui président à la tête de la fédération ont été amenées à « faire des affaires » en organisant des soirées privées au début des années 1900 (voir chapitre i et ii).
83La fédération n’est pas isolée dans son action de développement conjoint des deux modalités de pratiques et le pouvoir fédéral se consolide aussi par ces convergences. En effet, les promoteurs des spectacles de boxe contribuent eux aussi à soutenir la boxe amateur notamment en partenariat avec la FFB et accentuent indirectement la sportivisation de la pratique. En témoigne l’action continue de Philippe Roth au sein du Central Sporting Club, situé au Gymnase Christmann, au début des années 1920. Par exemple, le promoteur met sur pied les championnats de France amateur (patronnés par la FFB) réunissant une centaine d’engagés de 21 régions différentes126. Le tournoi s’étale sur plusieurs soirées et comprend quatre catégories de places très accessibles (2, 3, 5 et 10 F). Il rencontre un grand succès selon la presse127. Les organisateurs adoptent pour ces matches d’amateurs les mêmes procédés que pour les spectacles de professionnels, notamment en s’alliant à des périodiques sportifs. En témoigne le Challenge de L’Auto, nommé aussi le « Derby de l’amateurisme », organisé par Cuny et le journal sur quatre jours au Cuny Stadium avec le soutien explicite de la fédération. L’ensemble des bénéfices sont versés à la caisse de préparation des boxeurs (amateurs) participant aux Jeux olympiques128. Cette compétition illustre l’interpénétration des deux modalités de pratiques. En effet, en plus des 196 combats amateurs proposés mettant en jeu 308 boxeurs, Cuny fait appel à des professionnels reconnus et notamment à Nilles, à Balzac ou au champion belge Robert Devos pour des exhibitions129. Le tout est présenté et organisé comme un « grand » spectacle habituel puisqu’on trouve, en une de L’Auto, les précisions sur le programme, sur les moyens de communication, une gamme de cinq catégories de places allant de 5 à 20 F et deux conférences, l’une de Charles-Henry Hirsch sur l’amateurisme et le sport, et l’autre de Tristan Bernard sur le sport en général130. Un tel procédé rappelle avec force combien la mise en spectacle de la pratique pugilistique ne saurait se limiter à la boxe « professionnelle ». À bien des égards, la mise en scène ou le caractère spectaculaire sont aussi des attributs mobilisés dans le cas des pratiques « amateurs ». Et ce parfois pour des raisons proches. Pousser à la codification par le spectacle peut ainsi contribuer à amplifier des succès publics et à augmenter à terme le nombre de pratiquants, c’est-à-dire à rendre possible durablement le « financement d’un sport », pour ses événements ponctuels comme son fonctionnement général. Autant d’objectifs partagés par les organisateurs de spectacles comme par les dirigeants fédéraux.
Désigner un ennemi commun : la boxe foraine
84Fort de l’accroissement de son pouvoir, la FFB entend ainsi contrôler l’ensemble des pratiques pugilistiques existantes. Or, plusieurs spectacles de boxe échappent à son emprise, en particulier ceux présentés dans des petites salles de spectacles ou lors des foires et autres fêtes foraines le plus souvent à l’extérieur de Paris. Ces pratiques ne sont pas sans rappeler les numéros exécutés dans les music-halls autour de 1900 (voir chapitre i). Même si elles emploient des catégories analogues à celles de la fédération (catégories de poids, titres sportifs etc.), elles n’appliquent pas le règlement de la FFB. Elles comportent une importante mise en scène et prennent une tournure moins codifiée sportivement, les combats sont parfois « improvisés » et les coups tolérés ne sont pas définis au préalable. Pour la fédération, ces spectacles usurpent le nom de « boxe anglaise » et le prestige qui lui est adjoint :
« Plusieurs baraques de “boxe anglaise” jouent à l’actuelle fête de Montmartre. Ceci n’est pas clandestin : vastes banderilles annoncent “Boxe Anglaise”. Le bâtisseur fait, avec adaptation conforme le classique boniment des baraques foraines : avec qui voulez-vous boxer131 ? »
85Les dirigeants s’efforcent alors de faire interdire ce qu’ils nomment la « boxe foraine ». Pour ce, ils écrivent à plusieurs reprises au Préfet de police de Paris, Fernand Raux, ainsi qu’aux préfets de régions. Reichel et Rousseau leur présentent leur concurrent comme un ennemi commun, nocif au sport, à l’ordre public et à la morale. S’employant « à faire grandir » leur cause132, ils s’efforcent de déconsidérer la boxe foraine dans la presse. Celle-ci s’avère déjà critique à son sujet, l’accusant avant tout de chiqué comme en témoigne la description du journaliste Daniel Cousin :
« On y [retrouve] manager, speaker, poids légers, moyens et lourds. Les combattants [sont] tous champions de quelque chose ou de quelque part. Dans chaque soirée, bien réglée à l’avance […] on [offre] au public des knock-out parfaitement imités, des coups défendus avec disqualification du coupable, des victoires aux points, pour préparer un match, revanche, si le public [marche], etc. bref toute la gamme du chiqué133. »
86Reichel et Rousseau multiplient donc les articles dans des périodiques différents tels que L’Avenir, Excelsior, Le Figaro ou encore Le Temps. La presse sportive, en particulier L’Auto et de La Boxe et les boxeurs, leur apporte un soutien actif. Ils s’appuient aussi sur leurs nombreuses relations avec d’autres journalistes comme André Glarner, journaliste à Excelsior et membre du bureau de l’Association des journalistes sportifs, qui fait l’éloge de l’action de la fédération134 ou un autre journaliste, plus éloigné du monde des sports, Maurice de Waleffe qui demande l’interdiction de toute séance de boxe non reconnue par la fédération135.
87Les dirigeants fédéraux élèvent un mur infranchissable entre leur conception de la pratique et celle de la « boxe foraine » : la boxe prônée par la fédération est « sérieuse » et « peu risquée136 », interdite aux enfants, aux femmes, suppose un contrôle médical etc. à l’inverse de la « boxe foraine » qui est incontrôlée voire dangereuse. La FFB œuvre à la « formation de la jeunesse137 » tandis que les « baraques » de boxe s’opposent à la « morale publique » (selon les mots de Reichel)138, provoquent même un « tort moral » du fait du chiqué, de « rencontres qui dégénèrent en exhibitions foraines » (selon l’expression de Rousseau) soit des affrontements sans enjeu où le « vainqueur » est désigné à l’avance sans aspect compétitif. De tels procédés conduisent alors, selon les dirigeants fédéraux, à inculquer des vices moraux valorisant le « boniment139 », le narcissisme, la mise en scène de soi, l’autopromotion, autant de choses qui sont présentées comme une forme de pornographie. Dès lors, et pour mieux matérialiser le contraste des deux pratiques, Reichel redouble sa rhétorique d’une seconde opposition plus générale entre les « sportsmen » appréciant la sincérité d’une performance et les hommes de spectacles :
« [Le Conseil de la fédération] met en garde le public et les sportsmen en particulier contre la non-sincérité de certaines représentations de boxe organisées en province par des impresarii140. »
88Suite à l’action de la FFB, le préfet de police de Paris, Fernand Raux, répond à Rousseau :
« Vous avez bien voulu attirer mon attention sur les séances de boxe foraine et me demander d’interdire ces séances dans les fêtes de Paris et de la banlieue. J’ai l’honneur de vous faire connaître que les combats et démonstrations de boxe sont absolument interdits dans les baraques foraines. […] Une surveillance rigoureuse [sera exercée] à cet égard141. »
89Néanmoins, cette victoire est en demi-teinte pour la FFB. D’une part, cette interdiction est, d’après la presse, peu respectée ; d’autre part, elle ne s’étend ni aux cirques ni aux petits établissements. Ainsi que le résume, avec regrets, un rédacteur anonyme de L’Œuvre :
« M. Raux décide en somme que les manèges de chevaux de bois et les tirs au macaron ne pourront pas s’occuper de boxe, mais les impresarii des cirques de province, même s’ils font du grossier spectacle sportif, gardent tous leur droit142. »
90Toute l’ambivalence du pouvoir de la fédération apparaît dans cet épisode : elle parvient à faire partiellement interdire une pratique qui lui échappe et, ce faisant, contribue à normaliser davantage le type de boxe existant sur le territoire, néanmoins, elle ne parvient pas à s’imposer comme une organisation souveraine, ayant seule le pouvoir de qualifier une activité de « boxe anglaise ».
Ordre sportif et ordre moral
91Comme l’illustre la lutte contre la « boxe foraine », la FFB n’a pas pour seule ambition de réglementer la boxe mais aussi d’instituer une « éthique », c’est-à-dire un cadre et des règles extra-sportives. Elle entreprend donc autant de mettre de l’ordre que de produire un ordre indissociablement sportif et moral.
92Les sanctions fédérales témoignent de cette ambition, en particulier le cas de Battling Siki. Celui-ci, après avoir remporté plusieurs titres sportifs lors de sa victoire sur Carpentier, se livre à « des voies de faits sur une marchande de journaux » ; il prend part à une bagarre et, hurlant, ivre et déguisé, fait scandale dans un café143. La fédération décide alors de lui retirer ses titres et de le priver de sa licence. L’affaire fait grand bruit, en particulier lorsque le boxeur trouve le soutien du député Blaise Diagne144. Celui-ci met en cause la fédération et demande à la Chambre des députés de lui retirer sa subvention145. Rousseau s’indigne alors :
« Le député du Sénégal semble nous dénier le droit de nous occuper d’autres considérations que du sport. Sur ce point, nous ne sommes pas d’accord. Nous avons de la pratique sportive une autre conception, plus élevée, même, quand il s’agit de professionnels auxquels nous demandons non seulement d’être des athlètes sincères et loyaux, mais auxquels nous demandons une tenue, une dignité et une vie publique qui servent d’exemple146. »
93Le président de la FFB bénéficie alors d’un soutien de L’Auto qui conteste que la FFB ait « violé le mur de la vie privée147 ». De même, le député Henry Paté qualifie Rousseau d’« homme très distingué qui administre admirablement la boxe et fait tous ses efforts pour lui conserver sa moralité148 ».
94Les dirigeants fédéraux, en tant que défenseurs du « noble art », en affichent une conception rigoriste selon laquelle le sportif doit toujours être décent, courtois et irréprochable, en d’autres termes incarner les valeurs chevaleresques149. À ce titre, Reichel propose au Conseil de la fédération que le casier judiciaire soit exigé pour toute demande de licence150.
95Dans une démarche similaire, la fédération cherche à se poser comme instance supérieure exerçant son pouvoir au-delà du ring, en réglant les conflits économiques et les différends juridiques. Si elle laisse les promoteurs libres de fixer les modalités des contrats avec les boxeurs, elle donne plusieurs recommandations et propose un « contrat-type ». Surtout, elle s’impose comme arbitre en cas de litige. Le contrat devra comporter le paragraphe suivant :
« Les parties intervenues au présent contrat s’engagent en cas de difficultés entre elles, à prendre la FFB comme juge en dernier ressort et s’engagent à signer l’acte d’arbitrage tel qu’il est indiqué aux règlements de la FFB151. »
96Ce faisant, les contentieux divers ne sont plus réglés par les tribunaux mais par le Conseil de la fédération. Ainsi, lors d’un différend entre deux promoteurs, Bretonnel et Anastasie, concernant la location d’une salle, les deux parties reconnaissent alors que la FFB agit comme « tribunal arbitral du premier et du dernier degré […] [qui] décidera comme immuable compositeur sans être soumis à aucune forme ni délai et sa décision ne sera susceptible d’aucun recours ni appel152 ».
97Ces différentes actions de la FFB ne sont pas unanimement admises, et suscitent même des réactions critiques ou d’indignation. Lors d’un conflit autour de Siki, son manager rétorque :
« Si vous êtes Fédération Sportive de Boxe, vous n’avez nullement le droit de vous substituer aux tribunaux compétents pour le règlement des affaires commerciales153. »
98La période de la guerre et de l’immédiat après-guerre correspond donc à une extension et à une consolidation du pouvoir de la fédération. Elle s’efforce de procéder à la structuration de l’espace pugilistique, lui donnant un fonctionnement hiérarchisé avec des dimensions quasi bureaucratiques. Elle tâche d’exercer un pouvoir de contrôle général sur l’espace pugilistique ; à la fois elle réglemente la pratique et encadre toute fonction exercée en l’homologuant, la contrôlant et validant ses décisions. Elle-même est très fortement structurée : toute mesure est prise par ses dirigeants ou par les commissions qu’ils ont fondées.
La perpétuation du spectacle
99Malgré le poids grandissant de la fédération, la dimension spectaculaire de la boxe ne disparaît pas. La boxe n’est pas devenue un sport détaché du spectacle : la mise en scène demeure. Les deux codifications se sont restructurées, réorientées parfois simultanément, parfois selon des modalités spécifiques, mais jamais l’une ne disparaît au profit de l’autre. La perpétuation du spectacle coexiste donc avec l’accroissement de l’autorité fédérale, parfois pacifiquement, parfois douloureusement.
100À partir du milieu des années 1920, la mise en scène des soirées de boxe reprend de l’ampleur. Les spectacles prennent une forme rappelant, à bien des égards l’avant-Première Guerre mondiale. Pourtant, ce regain n’est pas dû à un phénomène cyclique mais à une configuration particulière du marché des spectacles pugilistiques.
Des événements d’ampleur
101Dès la reprise après-guerre, le caractère (très) spectaculaire de certains combats est prégnant. Certes les grands événements rencontrent moins d’écho que ceux d’avant-guerre, néanmoins ils ont un retentissement certain. Qu’il s’agisse des combats de Carpentier contre Dick Smith (1919) ou contre Battling Siki (1922), de ceux de Criqui contre Ledoux ou Arthur Wyns. Tous se déroulent dans de très grandes salles, tels le Vélodrome d’Hiver ou le Vélodrome Buffalo. Les recettes, même rapportées à l’évolution du prix du franc et du coût de la vie, sont élevées, notamment au regard des autres spectacles de l’époque. Ainsi, le combat Carpentier-Siki rapporte 634 000 F de recettes et celui opposant Criqui à Matthews, 265 000 F154, soit respectivement environ un quart et un dixième des recettes annuelles de ce vélodrome155.
102De même, la fin de l’année 1919 met en évidence la persistance de projets de compétitions de très grande ampleur comme celui de mettre sur pied le plus grand combat jamais vu en Europe : le championnat du monde poids lourds entre Carpentier et Jack Dempsey. Les organisateurs de Londres (et notamment Charles B. Cochran) et de Paris (le plus souvent Decoin et parfois Vienne) se livrent à une concurrence acharnée pour organiser ce match dans leur ville respective. Démarre alors ce que L’Auto dénomme « la valse des millions156 », chaque organisateur proposant aux boxeurs une somme supérieure à celle de son concurrent. Des « rumeurs » rapportent des offres de 3 millions de francs. En fait, celle de Cochran pour l’Angleterre et celle des organisateurs français s’élèvent à une garantie de plus d’un million de francs pour Dempsey (à une période où un professeur d’université gagne environ 15 000 F par an). En effet, Vienne câble au boxeur américain une offre de 1 200 000 F de bourse ainsi que « l’abandon de 25 % de la somme offerte par la firme qui aura l’exclusivité du film cinématographique157 ». Cette course au championnat du monde est alors largement commentée par la presse et par une part de la société, au point d’être abordée au conseil municipal de Paris, où le conseiller Michel Missoffe veut « attirer l’attention de l’Assemblée et de l’Administration sur les avantages » à organiser ce combat à Paris, avantages économiques mais aussi « moraux » en tant que soutien à la cause sportive, et prône une aide aux promoteurs français158. Même si le match a finalement lieu aux États-Unis, cet épisode montre le regain du marché des spectacles de boxe.
103Durant cette « valse des millions », les dirigeants fédéraux se retrouvent évincés des négociations. Ils y voient les raisons de cet échec tout particulièrement pour Cochran :
« [Celui-ci], un remarquable imprésario […] qui n’a jamais fait que du théâtre, [considère] les boxeurs comme des acteurs. […] Il a, de tout temps, organisé son affaire sans se préoccuper des pouvoirs sportifs internationaux. […] M. Cochran est puni par où il a péché… Il a négligé les pouvoirs sportifs et se trouve aujourd’hui pratiquement désarmé dans une circonstance où il aurait eu intérêt à s’appuyer sur les grandes fédérations159. »
104D’autres « grands » combats occupent la scène parisienne au début des années 1920. Parmi eux, deux connaissent un écho particulièrement important au cours de l’année 1922. Le premier oppose Criqui et Ledoux, considérés comme les deux meilleurs boxeurs du pays (Carpentier évoluant dans une autre catégorie de poids). Comme nombre de combats mettant en jeu Criqui, le match connait un fort retentissement : le Vélodrome est « plein » ; L’Auto note une « foule immense160 » alors que Le Monde illustré affirme que la recette s’est élevée à un montant record de 370 000 F161, les deux boxeurs se partageant 137 000 F. Le deuxième combat est celui qui oppose Carpentier à Battling Siki au Vélodrome Buffalo. Organisé par Breyer et Coquelle, respectivement directeur et journaliste à L’Écho des Sports et tous deux membres de la direction du vélodrome, ce match attire 50 000 à 60 000 personnes selon Timothée Jobert162.
105Les mesures fiscales prises par les pouvoirs publics suite à ces succès témoignent également du regain de prospérité de ce marché. Dès 1920, suite à une discussion du conseil municipal de Paris concernant la différenciation de prélèvement fiscal suivant le prix des places (voir supra), la circulaire no 1161 du 9 août 1920 prévoit que :
« Les matches de boxe forment une catégorie distincte soumise à un régime fiscal qui leur est propre163. »
106Les combats sont taxés comme différentes compétitions sportives mais à un taux plus élevé que d’autres activités comme le football ou le polo. De ce fait, à partir de 1926, les bilans fiscaux annuels de l’Assistance publique relevant les recettes des différents établissements de spectacles (voir tableau 35)164 soumis à cette taxe, mentionnent explicitement les « matches de boxe ». La boxe est le seul « sport » figurant officiellement parmi ces diverses activités que sont le théâtre (subventionnés ou non), les cinématographes, les bals et dancing, les musées, les cirques et skatings ainsi que les music-halls et concerts. L’étude de ces récapitulatifs met en évidence que, si les combats de boxe sont nettement moins rentables que l’ensemble des cinématographes ou des music-halls, ils demeurent malgré tout très lucratifs. Ils représentent une source importante de revenus pour les pouvoirs publics comme le confirme la synthèse de Dominique Leroy concernant la répartition des droits versés à l’Assistance publique en fonction des « loisirs de spectacles » en 1928 :
« – Théâtres : 26, 8 % ;
– Cinémas : 23, 9 % ;
– Music-halls et concerts : 17,9 % ;
– Cirques + bals + musées + matches de boxe + skatings : 25 % ;
– Divers (spectacles abonnés, séances isolées) : 6, 4 %165. »
107La boxe est, là aussi, le seul « sport » présent explicitement, tout en étant rangée dans une catégorie commune au « cirque » ou aux « bals », catégorie la plus lucrative après les « théâtres ».
Tableau 35. – Recettes annuelles d’activités soumises au Droit des Pauvres à Paris, en francs.
1926 | 1927 | 1928 | 1929 | |
Matches de boxe | 3 904 603 | 5 116 839 | 5 922 239 | 8 155 184 |
Bals et dancing | 12 795 664 | 11 812 922 | 12 010 298 | 13 112 628 |
Cinéma | 145 994 959 | 177 655 895 | 204 023 270 | 230 187 461 |
Musées | 1 967 176 | 1 877 067 | 2 066 950 | 2 417 496 |
Music-halls et concerts | 132 754 489 | 134 472 806 | 144 112 831 | 133 742 445 |
Source : Assistance publique.
108Pour mettre sur pied ces événements attractifs, les organisateurs contournent ou ignorent l’importante réglementation fédérale. D’une part, ils détournent la normalisation et la programmation sportive qu’implique la classification fédérale, en proposant des rencontres désignées et construites par les spectateurs eux-mêmes. Ainsi, Anastasie, cherchant à renouveler le calendrier de ses matches tout en stimulant l’interaction avec le public, innove à la salle Wagram :
« Il sera donc délivré à tous les spectateurs un bulletin sur lequel ils inscriront les noms des boxeurs qu’ils veulent voir aux prises, bulletin qu’ils déposeront dans des urnes installées dans la salle même. Le dépouillement de ce scrutin sera fait le lendemain, et la rencontre que la majorité du public aura désignée sera organisée par M. Anastasie166. »
109D’autre part, les organisateurs continuent de mettre sur pied bon nombre d’événements assez éloignés d’un match codifié sportivement. En particulier, ils exploitent la popularité des boxeurs les plus reconnus. Ainsi, à partir de 1919, Henri Decoin, reprenant une idée d’avant-guerre, organise des reconstitutions de combats de Carpentier. En effet, alors que ce dernier a battu Joe Beckett pour le championnat d’Europe poids lourds et que le combat a eu lieu à Londres et n’a pas été filmé, Decoin – nouvellement directeur du Wonderland – reconstitue ce combat, au Nouveau-Cirque, avec Jules Lenaers comme « partenaire pour la reconstitution167 » car celui-ci « était dans son coin à Londres et [qu’il] put ainsi détailler chaque phase de la bataille168 ».
110Cette prégnance du spectacle suscite une réprobation des dirigeants fédéraux. Alors que le règlement de 1918, émis avant la reprise effective des soirées des organisateurs, ne mentionne pas particulièrement la mise en spectacle de l’activité, l’« avis important » placé dans les premières pages des règles de 1924 proclame la condamnation fédérale à l’égard de la mise en scène et la nécessité absolue de rechercher l’agrément de la FFB :
« La FFB exerce exclusivement son contrôle sur les organisations sportives dignes de ce nom. Elle se désintéresse totalement des manifestations de boxe qui ne sont autre chose que des entreprises théâtrales ou foraines et des engagements de cirques ou de music-hall. Les “REPRÉSENTATIONS” de boxe, ne présentant aucun caractère sportif, la FFB n’a garde de s’en occuper. En cela la Fédération entend parler des rencontres, matches ou défis, qui constituent un numéro du programme des casinos, music-halls, théâtres ou cirques. Ces “productions” rabaissent le sport de la boxe à un rang que ses dirigeants ne sauraient envisager. Toutefois, lorsque des établissements sérieux […] sont désireux d’organiser des réunions réellement sportives – ce qui est du reste très possible – la FFB ne refuse pas de donner son appui moral, à condition que demande lui en soit faite, que ses règlements soient appliqués, que les arbitres, juges et chronométreurs soient agréés par la FFB, laquelle s’intéresse seulement aux manifestations présentant tous les caractères de sincérité et de moralité, indispensables à toutes les rencontres sportives169. »
Les conditions d’un retour à la prégnance du spectacle
111Il apparaît ainsi que la mise en spectacle n’est pas un épisode éphémère de l’histoire de la boxe. Elle s’inscrit durablement en elle, dans la structuration de la pratique. En effet, elle n’est ni accidentelle ni fatale mais s’origine dans des conditions sociales et historiques. Celles-ci font défaut à la sortie de la guerre mais une nouvelle conjoncture, notamment à la fin des années vingt, permet aux promoteurs de mettre sur pied des combats spectaculaires. Un organisateur, Jeff Dickson, émerge et devient, jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, le promoteur le plus actif et le plus connu de France ; il domine le marché durant toute la fin des années 1920 et les années 1930.
112Né en 1896 à Natchez aux États-Unis, ancien journaliste et photographe de guerre170, ayant fait fortune « dans une affaire de pochettes-surprises vendues dans les cinémas171 », Dickson doit beaucoup à sa proximité avec Lucien Antoine Boyer. Ce dernier est né à Lyon en 1868 d’un père mécanicien, il se déclare successivement « employé » puis, en 1908, « auteur dramatique ». Avant la guerre, il participe à la mise en place de quelques combats de boxe, notamment au Colisée. Ayant fait fortune, Boyer met à disposition sa propriété à Vernon dénommée Manitot, véritable centre d’entraînement pour sportifs de haut rang. S’y côtoient alors Jean Bouin, Georges Carpentier mais également des boxeurs américains comme Frank Klaus ou Willie Lewis ainsi que de nombreuses célébrités artistiques, tels Maurice Chevalier, Mistinguett ou encore Claude Monet172. Après la Première Guerre mondiale, il investit plus fortement l’organisation de spectacles de boxe, s’occupant des combats se tenant à la Salle Wagram, au Cirque de Paris, au Gaumont Palace et au Vélodrome d’Hiver, tout en étant administrateur gérant de la firme de cinéma Phocéa-Location qui filme notamment le combat entre Carpentier et Siki173. À la fin de l’année 1925, Boyer « convie la presse sportive à un déjeuner » durant lequel il présente « aux journalistes parisiens son nouvel associé, Jeff Dickson174 » qui lui succède à la tête de Manitot et des salles qu’il gère.
113Comme les organisateurs précédents, Dickson multiplie les événements ; il consacre chaque salle à un type de combat : à la Salle Wagram, les combats de moindre importance ; au Cirque de Paris ceux d’importance moyenne tandis qu’au Vélodrome d’Hiver (et dans une moindre mesure au Gaumont-Palace) les plus grands combats. Son entreprise, « les organisations Jeff Dickson », prend alors de l’ampleur : il s’entoure d’un secrétaire général, d’un administrateur et d’un match-maker175 ; possédant un bureau à Londres, il y met sur pied des combats, fait sa propre promotion, initie des partenariats, etc. Il diversifie son activité, organisant des courses cyclistes, des compétitions de tennis, des spectacles sur glace ou encore des spectacles équestres réalisés par une troupe d’acteurs cosaques réalisant des prouesses équestres176. Son succès est tel qu’il devient propriétaire du Vélodrome d’Hiver au cours de l’année 1931, année où le capital social de sa société s’élève à 12 500 000 F et où il est fait chevalier de la Légion d’honneur.
114À la manière de Vienne, Dickson est un homme d’affaires qui multiplie les relations dans le milieu journalistique et du spectacle. En particulier, il entretient des relations étroites avec de nombreux journalistes, généralistes ou spécialisés en sport, notamment L’Auto et Le Journal qui accueillent ses communiqués. Comme le souligne André Rauch, il partage des intérêts commerciaux avec le quotidien jaune, puisque la « Société du Palais des Sports est fondée en accord avec la Société du Vélodrome d’Hiver créée par Henri Desgrange et Victor Goddet177 ». Ces relations (qui s’étendent aussi à d’autres comme Jacques De Marcillac, rédacteur en chef du Journal178) permettent alors à Dickson de mettre en place une très grande publicité que de très nombreux commentateurs (historiens comme journalistes) soulignent.
115Mettant sur pied des spectacles divers, Dickson est aussi un professionnel de la mise en scène. En témoigne l’anecdote racontée par le journaliste Georges Peeters au sujet d’une rencontre entre Frankie Genaro et Yvon Trévidic. Ce dernier est alors :
« poussé un peu hâtivement au vedettariat par une habile campagne publicitaire. Pour entretenir la couleur locale bretonnante [de] son nom, Trévidic était accompagné d’un joueur de biniou [dont] Dickson […] louait les services. Cet authentique Breton jouait La Paimpolaise lorsque Trévidic montait sur le ring179 ».
116Mais s’il reprend certaines stratégies déjà élaborées avant lui, comme les matches avec des Américains, Dickson assure son succès en proposant une offre moins fréquente. Il inaugure les combats des vedettes (notamment américaines) des catégories de poids les plus légères, plus particulièrement des « poids coqs » et des « poids mouches », moins réputées et donc moins onéreuses. Il s’appuie aussi sur la nouvelle génération de Français : après la crise démographique et générationnelle de l’après-guerre, au début des années vingt, de nouveaux boxeurs ont multiplié les succès et des jeunes sont apparus. Dickson utilise ces nouvelles ressources : en 1922, les poids plumes, légers et mi-moyens forment 58 % des boxeurs français tandis que 80 % des professionnels appartiennent aux cinq catégories (sur huit) de poids les plus légères180. Par exemple, Dickson recrute André Routis, champion du monde poids plumes en 1928. Ce dernier illustre les nouveaux circuits de consécration de l’espace pugilistique. Il fait ses débuts comme boxeur professionnel à Bordeaux en 1918 puis, après quinze combats, il part au Maroc en 1921 où il participe aux spectacles mis sur pied par De Ponthieu. Alternant rencontres à Paris et au Maroc, il devient champion de France en 1924 participant deux fois (sans succès) au championnat d’Europe. Sa notoriété s’accroissant, il livre ses premiers combats à l’étranger notamment en Angleterre et en Belgique, tout en revenant régulièrement à Paris. Enfin, il part en tournée aux États-Unis en 1926, livrant 15 combats en un an pour un total de neuf victoires. À son retour à Paris, alors très reconnu, il signe un contrat avec Dickson pour l’un des combats les plus retentissants de l’année dans la capitale : une rencontre contre le très réputé Panaméen, « Panama » Al Brown, au Vélodrome d’Hiver ; les places vont alors de 10 à 300 F.
117Dickson « lance » aussi plusieurs futurs champions tels le poids mouche Émile Pladner ; Gustave Humery, champion de France poids plume ou encore Eugène Huat champion poids coq. Le premier ne livre pas moins de 30 combats mis sur pied par Dickson entre 1926 et 1929 (inclus). De décembre 1928 jusqu’en mai 1929, alors qu’il est champion d’Europe et qu’il remporte de nombreuses victoires, il participe à six rencontres au Vélodrome d’Hiver face à des « champions » anglais (tels Johnny Hill ou Ernie Javis) et américains comme Issy Schwartz ou Frankie Genaro, autant de combats qui comptent parmi les plus grands matches dans la capitale française. Par exemple, le championnat du monde poids mouche, l’opposant à Frankie Genaro, bat le record de recettes en France en s’élevant à 920 110 F181.
118Dickson fait également venir des États-Unis de nombreux « champions » exclusivement de catégories de poids les plus légers. Ainsi à la toute fin des années 1920, il engage quatre boxeurs considérés parmi les meilleurs mondiaux de cette catégorie : Fidel LaBarba ; Frankie Genaro ; Issy Schwartz et Midget Wolgast. Il utilise l’hostilité rencontrée aux États-Unis par plusieurs boxeurs noirs pour amplifier leur palmarès. Engageant « Panama » Al Brown pour 10 combats aux cours des années 1926-1927, il le présente comme un véritable champion du monde non reconnu outre-Atlantique en raison de sa couleur de peau182. Cette politique de recours aux Américains est redevenue possible grâce à une stabilisation du franc à partir de 1925 et plus encore de 1926183.
119À partir du milieu des années 1920, le marché pugilistique prend donc un autre visage avec une offre nouvelle et des promoteurs différents. Dans de nouvelles conditions économiques et sociales, les spectacles pugilistiques perdurent et prospèrent.
Ce qui sépare le « sport » du « spectacle »
120Comme nous l’avons vu, après-guerre le pouvoir fédéral se renforce et la codification sportive de la boxe s’impose progressivement. Pourtant loin de disparaître, la dimension spectaculaire demeure et permet le succès de ce marché. Ces deux dimensions vont ainsi s’articuler entre elles, les dirigeants fédéraux et aussi les organisateurs posant le chiqué comme la frontière faisant du spectacle pugilistique un spectacle sportif irréductible à toute autre forme de spectacle.
121Le problème de la sincérité traverse l’histoire de la boxe et des formes concurrentes de pratique. La référence (explicite ou implicite) à cette question est au cœur de tous les débats. En effet, la sincérité et le rejet de la simulation (son antonyme) sont perçus par les dirigeants fédéraux mais aussi les organisateurs comme un fondement du sport, comme la condition de possibilité de « vraies » performances. Si, comme le souligne Gildas Loirand, « la “loi fondamentale” qui caractérise en propre l’autonomie du champ sportif tend à affirmer que l’art pour l’art est en l’espèce “que le meilleur gagne”184 », la sincérité en forme une disposition sous-jacente ; un préalable au déroulé de la compétition et de la désignation à la vainqueur. Aux yeux des agents de l’espace sportif, elle est la frontière au-delà de laquelle on sort du sport. Reste à savoir comment la reconnaître : comment identifier le jeu sincère ?
Il faut absolument être sincère
122Dès les débuts de la boxe, la sincérité est érigée en valeur essentielle de l’« esprit » sportif et chacun s’en réclame. À ce titre, la performance authentique est encensée et le simulacre, classé dans le répertoire forain ou circassien ou théâtral, est condamné. Le chiqué – terme qui désigne la simulation d’un boxeur au cours d’un combat en raison d’un arrangement entre les deux adversaires – représente une trahison. Il ne se confond pas avec le manque de combativité puisqu’il suppose une entente entre les deux boxeurs, un accord sur le déroulement et le résultat du match. Par contre, la non-combativité et la retenue peuvent révéler l’existence de tricherie. La sincérité est alors conçue non seulement comme une propriété de l’affrontement physique, mais surtout comme une dimension morale témoignant de l’engagement du pratiquant. Un boxeur sincère est une personne qui donne le meilleur d’elle-même, qui ne se ménage pas, qui est courageuse c’est-à-dire fournit un effort intense et n’abandonne pas, acceptant la souffrance physique. C’est un boxeur loyal et droit qui consent aux règles préétablies. Dès lors, la sincérité n’est alors pas sans rappeler « l’authenticité », valeur fondamentale de l’univers artistique185. Elle est inséparable de l’honnêteté et du sens de l’honneur et s’oppose au narcissisme, au « bluff » (selon le terme employé par Reichel) et à la mise en scène de soi. Cette forme d’élégance morale constitue un idéal largement partagé par les couches supérieures186. Le propos de Reichel, portant à première vue exclusivement sur le chiqué, révèle en arrière-plan ces enjeux sociaux :
« Les combats de boxe sont un bon spectacle, à la condition toutefois qu’ils soient probes dans leur organisation, de franc-jeu dans leur exécution, et que, par une sévère discipline, ceux qui en assument la responsabilité obtiennent des spectateurs cette correction de tenue qu’exigent et qu’imposent les luttes sportives187. »
123S’inscrivant dans une forme d’idéal démocratique, la pratique sportive serait – telle la déclaration des droits de l’homme – la reconnaissance des seuls talents et vertus d’un individu.
124La boxe amateur n’est pas soupçonnée de chiqué ; seul l’est le professionnalisme du fait des enjeux économiques. Comme l’affirmait Reichel avant-guerre : « l’amateurisme seul se prête absolument et obligatoirement à des rencontres loyales188 ». Se prétendant par nature désintéressés, promouvant un sport sans enjeux économiques, les dirigeants fédéraux notamment Reichel et Rousseau se posent comme les garants de la sincérité. Ainsi, la FFB inscrit dans son règlement (article 44) :
« Les contrats entre organisateurs et boxeurs sont libres. La FFB n’acceptera d’enregistrer conformément à l’article 43 que les contrats qui lui paraîtront garantir la sincérité du sport189. »
125Cette corrélation entre sincérité, amateurisme et pouvoir fédéral est largement reprise par la presse.
126Jusqu’en 1930, la majorité des organisateurs se déclarent attachés à cette cause et condamnent le chiqué, le Wonderland en faisant son image de marque depuis l’avant-guerre. Les promoteurs, d’une part, partagent cette conception du sport notamment de par leur socialisation sportive (voir chapitre iii), d’autre part, considèrent la sincérité comme l’une des principales sources d’intérêt des matches, un combat loyal apportant plus d’émotions et de suspense. La lutte sert ici de repoussoir : selon les journalistes et les organisateurs, sa perte de succès vers 1910 proviendrait de ce qu’elle a « succombé » au chiqué190.
127La sincérité est donc un point de convergence entre organisateurs et dirigeants fédéraux, mais aussi source de conflits, comme en 1922 lors du match Carpentier contre Siki où il existait une forte suspicion de tricherie. Ces différends sont d’autant plus vifs que le pouvoir fédéral se consolidant, les sanctions deviennent effectives et se durcissent. Pour faire reconnaître la loyauté de leurs combats, les promoteurs se livrent à un vrai travail de conviction. Ils prennent eux-mêmes des sanctions, certains mobilisant des médecins pour « démasquer […] le combattant de mauvaise foi191 ». Breyer et Vienne préviennent qu’ils confisqueront la bourse de tous ceux qui « ne défendront pas pleinement leur chance192 ». Les boxeurs et leurs managers s’efforcent, eux, de prouver leur sincérité : ils interviennent dans les journaux arguant des paris faits sur le match et surtout de l’enjeu du combat dans la carrière du boxeur ; ils mettent en avant les séquelles physiques du combat (« mâchoire enflée », « visage martelé », etc.)193 allant même jusqu’à fournir des certificats médicaux attestant de leurs fractures ou de leurs blessures194. La violence constitue un indicateur majeur de la sincérité, le sang apparaissant même comme un moyen de l’objectiver.
128Dès lors, un terrain d’entente entre organisateurs et dirigeants fédéraux est trouvé : combattre officiellement les organisateurs ou les boxeurs qui ne proposent pas une boxe « sincère ». Autrement dit, tous ceux qui ne sont ni syndiqués ni affiliés à la fédération, ceux qui mettent sur pied des combats de « boxe foraine ». Ils sont alors soupçonnés et accusés de chiqué comme le furent auparavant la boxe spectacle (chapitre i) ou les organisateurs américains (chapitre ii). Cette lutte pour la sincérité est ainsi une des facettes de la concurrence et un atout pour favoriser l’affiliation. Ces quelques moments d’entente organisateurs-dirigeants fédéraux ponctuent l’histoire de la boxe.
129C’est également un moyen de pression pour inciter les boxeurs à « pleinement défendre leur chance ». Cette « croisade symbolique195 » s’adresse d’abord et avant à certaines catégories de personnes. En effet, les soupçons de chiqué sont inégalement répartis socialement. Les boxeurs professionnels sont fréquemment suspectés : d’origine populaire, ils chercheraient les gains financiers et l’ascension sociale. Mais, dès les débuts, les plus suspects sont les boxeurs « noirs » considérés comme prêts à tout par cupidité. Déjà en 1910, Sée déclare :
« Ceux [qui] ont eu affaire aux nègres, sont obligés de reconnaître que les Américains n’ont pas tout à fait tort. Faux et sans scrupule, bruyants et hypocrites, ils cherchent sans cesse des difficultés à ceux qui les ont engagés ; toujours mécontents, ils ne sont loyaux en combattant pas plus que dans l’exécution de leurs contrats196. »
130Enfin, il existe une forte suspicion des journalistes parisiens pour toutes les soirées de boxe qui se déroulent en province. Les journaux spécialisés, L’Auto et La Boxe et les boxeurs multiplient les articles offensifs sur des cas de « chiqué en province » : « On vous trompe brave gens de Tours… et de province ! », revendiquant alerter le public et l’appelant à dénoncer les organisateurs197. Peu informés, avides d’assister à des spectacles n’existant qu’à Paris, les provinciaux auraient un « œil » moins compétent pour repérer les combats au chiqué, et se feraient plus facilement berner par des organisateurs peu scrupuleux.
131Le chiqué n’est donc pas une accusation portée de manière constante à toutes les activités, à tous les pratiquants, dans n’importe quelle circonstance. Elle résulte d’abord d’un jugement social qui trouve ses fondements dans des prismes telles la « classe » et la « race ».
La fabrication d’un « champion du monde par l’absurde » : le cas de Primo Carnera
132Le problème de la sincérité est une constante dans l’histoire de la boxe, mais durant le premier tiers du xxe siècle aucun épisode n’a eu la portée de « l’affaire Carnera ». Cet épisode cristallise tous les enjeux de la question et met en évidence les procédés utilisés. Il souligne la fragilité de la frontière entre sport et spectacle que le chiqué incarne.
133Entre la fin des années 1920 et le début des années 1930, un boxeur italien, nommé Primo Carnera, connaît une ascension pugilistique exceptionnelle. Il livre ses premiers combats comme professionnel à partir de 1928 et devient rapidement l’un des boxeurs les plus fameux du xxe siècle. En 1933, il est sacré champion du monde poids lourds. Cependant, un an après son titre, son ancien manager, Léon Sée, publie un livre dans lequel il affirme avoir truqué la plupart des combats (à l’exception notable du championnat du monde) en achetant les adversaires et/ou leurs managers à l’insu de son boxeur. Il présente « L’Idée » (comme Sée la désigne lui-même) : donner le temps à Carnera de parfaire son expérience sans se dévaloriser par ses défaites afin de poursuivre ainsi sa progression sportive, et pouvoir ainsi disposer d’un palmarès vierge de toute défaite. Ainsi, le manager aurait procédé à la « fabrication d’un champion du monde par l’absurde198 » selon ses propres termes.
134La trajectoire de Carnera offre alors un point d’entrée pour questionner l’importance accordée à la sincérité en boxe. Pour traiter cette question historiquement ou sociologiquement, il convient alors de se déprendre de « la manie du jugement199 ». Il ne s’agit pas de recenser les matches truqués ou non200, ou de préciser le rôle exact de Sée ou la vérité de son propos, mais plutôt d’interroger « la rhétorique du chiqué201 » mobilisée par le manager, d’analyser le procédé employé pour faire croire à une « vraie » performance. Dès lors, il est nécessaire de questionner les conditions d’efficacité du chiqué. Car, à l’instar de la magie (étudiée par Marcel Mauss), le chiqué est, par définition, objet de croyance202. « L’affaire Carnera » offre un moyen d’explorer, à hauteur de manager, les modalités de constitution d’une fausse carrière. Pour ce faire, deux sources principales sont mobilisées : le fonds « Paul Journée » du musée national du Sport203 et le livre de Sée intitulé Le Mystère Carnera. Les mystérieux dessous de sa carrière dévoilés par son ex-manager, d’abord publié sous forme de feuilleton, durant neuf semaines, entre le 13 juin et le 8 août 1934, dans l’hebdomadaire Marianne avant d’être édité chez Gallimard.
135Carnera est né en 1906 à Sequals, en Italie. Menuisier de formation204, il fait ses débuts en France dans « une baraque de lutteurs » vers Lorient à l’âge de 17 ans205. Trois ans plus tard, il est « repéré » à Arcachon par l’ancien boxeur professionnel, devenu manager, Paul Journée. Ce dernier se dit frappé par « le physique » de l’Italien, mesurant alors deux mètres. Il parle de ce boxeur à Léon Sée qui décide de devenir son manager. Dès sa première lettre, celui-ci interroge Journée sur les mensurations de Carnera, lui expliquant en détail sa « stratégie » pour « faire fortune » grâce au « géant ».
« [Le boxeur] Dastillon me dit que vous avez trouvé un poids lourd de plus de 2 mètres qui a des qualités. Ce serait intéressant pour l’Amérique où un homme de cette taille gagnerait beaucoup d’argent, même s’il n’est pas un champion, à condition qu’il soit dur.
Je [reviens] d’une tournée à New York, Chicago, San Francisco etc. et je suis en relation avec tous les organisateurs. Il y a beaucoup à faire et on peut faire “sortir” un poids lourds en trois mois en s’arrangeant avec les promoteurs. […] Voulez-vous m’envoyer […] quelques renseignements sur votre homme, sa taille, son poids, ses mensurations, frappe-t-il, semble-t-il vite, dur, intelligent ? A-t-il de l’avenir par sa propre valeur et ses qualités physiques ou bien ne faut-il compter que sur son physique206 ? »
136Dans sa correspondance, Sée affirme constamment sa volonté de faire de Carnera un « phénomène de curiosité » dont le fondement résiderait dans la morphologie (2,05 m, entre 125 et 130 kilogrammes)207. Il entreprend donc une campagne de photographies : « plus de cinquante208 » sont envoyées aux États-Unis « avec une énorme publicité209 ». Cette popularisation du physique du boxeur met en scène ses muscles, sa stature ou sa puissance de frappe. S’appuyant sur des ententes avec des organisateurs, et en particulier avec Jeff Dickson, Sée recourt également au monde du music-hall (où Carnera livre de nombreuses exhibitions) et à celui du cinéma. Cette construction de l’image d’un géant surpuissant et indestructible contribue à évacuer tout soupçon de triche : sa domination physique/sportive devenant évidente, le chiqué semble superflu. Cette persuasion est particulièrement nécessaire vu que Carnera ne « résiste pas du tout aux coups » et surtout « ne frappe pas » alors que c’est indispensable pour ne pas éveiller les soupçons. Sée partage ce souci avec Journée :
« Primo [Carnera] fait des progrès en boxe, il esquive et bloque bien, mais il ne frappe absolument pas ; il est incapable de descendre un poids léger. Je ne peux pas comprendre pourquoi, au combat, il ne frappe absolument pas. À l’entraînement, il a l’air de frapper assez fort au sac. Mais avec les gants, il est absolument lié. De plus, il frappe la main ouverte et ne fait aucun mal. Je le fais entraîner par le poids mi-lourds Rolleri. Ce dernier me dit : “Je ne peux pas le toucher mais je ne sens pas ses coups”210. »
137Il paraît alors excédé :
« C’est un véritable tour de force de l’avoir amené à la publicité qu’il a eue. C’est un record du monde car à part sa taille et son poids, il vaut 400 fcs au Central211. »
138Il devient alors difficile de masquer le chiqué puisque la matérialisation la plus « objective » d’un combat non truqué est donnée par la victoire par KO :
« Notre protégé ne frappe pas, ses coups sont lents, il a le muscle lié, et cela rend une victoire par KO presque impossible. J’avais fait tout ce que j’avais pu pour qu’il gagne par KO mais c’était impossible. Le combat n’a pas été beau. L’un des adversaires n’avait pas le punch et l’autre ne faisait rien ; il se contentait d’attendre212. »
139Que le résultat du match soit prévu n’annule pas l’importance de l’entraînement. Il s’agit d’acquérir les compétences techniques nécessaires à fabriquer un combat factice. Sée s’y emploie :
« Nous nous réunissions donc chaque jour, après l’entraînement public, dans un des grands hôtels de Londres, dans une chambre louée spécialement à cet effet […]. Là, chronomètre en mains, nous répétitions le “combat” ; il ne fallut que quelques jours pour arriver à une perfection absolue. »
140Sée utilise également les autres facettes de la boxe comme les exhibitions avec démonstrations de punching-ball et exécution de quelques rounds avec un partenaire (voir chapitre i). Ces séances se prêtent particulièrement à la mise en scène du boxeur, de son corps et de ses qualités physiques (sans pour autant avoir à donner des coups appuyés). Sée raconte ainsi :
« Nous décidâmes de régler tout d’abord quelques poses plastiques avec un éclairage spécial bien compris, puis de continuer par quelques exercices de culture physique et d’assouplissement […] et de terminer par trois reprises de boxe d’une minute chacune, contre trois sparring-partners différents213. »
141Lors des dix premiers mois de sa carrière, Carnera ne réalise pas moins de onze exhibitions de music-hall, faisant de lui l’un des boxeurs les plus actifs en ce domaine.
142Sée œuvre à un véritable travail d’occultation du chiqué. Cet investissement et cette compétence s’enracinent dans de nombreuses expériences en lien avec cette question sans qu’on puisse dire qu’il a déjà utilisé ce procédé – les documents manquent pour l’attester. Il tient une maison de jeux214 ; outre la boxe, il pratique les poids et haltères ; il détient longtemps un record en déchirage de cartes. Ces deux activités ont pour point commun de valoriser la musculature des pratiquants et comprennent une forte mise en scène des corps (comme le montre la photographie de Sée déjà publiée, voir photographie 14). Autant d’aspects réutilisés dans la publicité pour Carnera. Dans son activité de journaliste, il couvre essentiellement ces trois pratiques ainsi que la lutte dans lesquelles la question du chiqué est omniprésente ; ses articles sur le sujet sont nombreux. Au sein de La Boxe et les boxeurs, il lance une chronique intitulée « le chiqué en province » dans laquelle il s’efforce de dévoiler des cas de triche. Sans doute, ces différents points expliquent-ils le « décalage » qu’entretient Sée avec sa famille, appartenant à la haute bourgeoisie. En effet, son père, diplômé de l’École d’arts et métiers de Chalons, a exercé le métier d’ingénieur industriel dans le Nord (il dirige alors plusieurs sociétés) avant de se déclarer « architecte » en 1913 (lors du mariage de son fils) ; son frère est, lui, polytechnicien et ingénieur, tous deux sont recensés dans les différentes livraisons du Bottin Mondain du début du siècle ; il a également pour cousins l’écrivain Léon Werth, l’homme politique Camille Sée, Lucie Hadamard (l’épouse du capitaine Alfred Dreyfus) ou encore l’universitaire Jean Hatzfeld215. Dans ses écrits personnels, Léon Sée relate une anecdote qui laisse entrevoir l’écart entre son mode de vie et celui des autres membres de son univers familial :
« Je me souviens qu’au temps de ma jeunesse, mon père, qui était un des ingénieurs les plus réputés du nord de la France avait coutume de dire d’un air désabusé : “C’est curieux ; j’ai deux fils ; l’un est polytechnicien et l’autre hercule de foire !” Mon frère était en effet entré dans les tous premiers à Polytechnique216. »
143Sée est aussi en rupture avec l’exigence de sincérité qui domine le monde pugilistique. Dans son ouvrage de 1934, il adopte une attitude de défense du chiqué. D’abord, les combats arrangés donnent moins prise aux entraves des fédérations. Ensuite ils séduisent le public :
« Carnera a fait plusieurs combats sincères […]. Chaque fois, sans aucune exception, Carnera et moi avons été disqualifiés, nous avons vu notre bourse suspendue ou bien nous avons éprouvé de la part des fédérations intéressées les pires ennuis […]. La chose est inouïe, insensée, stupéfiante. Elle n’en est pas moins vraie.
Et quant aux autres combats, ceux qui […] avaient été arrangés, réglés par moi dans leurs moindres détails et qui n’avaient de combats que le nom, tous sans exception […] n’ont donné lieu à aucune objection […]. Ce sont ces combats arrangés qui ont enthousiasmé les spectateurs, qui ont donné satisfaction la plus entière aux organisateurs. […] À chacune des rencontres arrangées par moi […], rencontres dont les péripéties avaient parfois été répétées comme l’on répète une pièce de théâtre, de nombreuses fois à l’avance, j’ai vu des spectateurs haletants d’émotion, debout sur leurs sièges, bataillant aux quatre coins de la salle et quittant le spectacle vibrants, enthousiasmés217. »
144Et surtout, la boxe est trop violente pour se passer du chiqué :
« La sincérité en matière de sport, je l’admire plus que quiconque lorsqu’il s’agit de tennis, d’escrime ou de billard. […] Pendant de longues années, j’ai lutté avec énergie contre le chiqué pugilistique […]. Je croyais qu’un beau combat était celui où les deux hommes se livraient une bataille sans merci. […] Je l’ai cru longtemps, trop longtemps, puis j’ai reconnu mon erreur. La boxe de combat est barbare. Le public est friand d’émotions fortes ! Lequel est le vrai coupable ? Est-ce celui qui procure aux spectateurs l’excitation désirée, aux dépens de la santé, de l’intelligence, de l’avenir de malheureux adversaires, ou bien celui qui procure cette émotion, plus grande encore, plus complète sans faire pour cela s’entre-déchirer, s’entr’assommer deux jeunes hommes218 ? »
145Ce type de positionnements est exceptionnel dans l’espace sportif. Il est toutefois déjà porté, quelques années plus tôt, par un autre journaliste Albert Surier. Spécialiste de lutte et de culture physique, Surier est rédacteur au Biceps et à La Culture physique, revue où il collabore activement avec Sée. Surtout, il aide ce dernier à fonder La Boxe et les boxeurs. Tous deux se réclament de la « filiation » morale d’Edmond Desbonnet, promoteur de la culture physique. Or, Surier se caractérise par un discours particulièrement atypique dans l’espace sportif. Il rédige notamment une longue tribune dans L’Auto au cours de laquelle il fait l’éloge du chiqué considéré comme un élément constitutif de toutes les activités humaines.
« Le chiqué voyez-vous c’est la part de l’art. S’il n’y avait pas de chiqué sur les planches […], je me demande ce que deviendrait le théâtre, qui ne vit que de fictions et d’exagérations […]. Qui s’intéresserait aux exploits d’un déchireur de cartes ou d’un casseur de sous qui ne réussirait à rompre que trois jeux ou à casser un maravédis. […] Est-ce que l’escamoteur, le prestidigitateur ne fait pas du chiqué, exclusivement du chiqué ? Ses exercices en sont-ils moins surprenants ? N’est-ce pas au contraire dans l’habileté suprême de ce chiqué qu’en résident tout l’étonnement et toute la difficulté ? Le professeur de culture physique dont la réclame vous promet cinq ou six centimètres de biceps supplémentaires si vous suivez sa méthode, fait du chiqué. Qu’importe toutefois, s’il vous en fait gagner trois. N’est-ce pas déjà fort beau ? […] Il est d’une piètre philosophie de s’indigner contre le chiqué. Sans doute, au séjour de la perfection, il n’aurait rien à faire. Mais nous vivons sur la terre. Il faut bien convenir, hélas ! que, mensonge pour mensonge, le chiqué vaut souvent mieux que la réalité219. »
146À ce titre, Surier rejoint la « ligne » défendu par le journal Le Biceps au début du siècle, journal qui condamne modérément le chiqué, le justifiant par la nécessité du spectacle220.
147La sincérité est posée par les dirigeants fédéraux comme la frontière au-delà de laquelle on sort du domaine sportif. Mais cette ligne de démarcation est poreuse et fragile. Carnera, champion du monde poids lourds, en fait la preuve. Il brouille les distinctions entre sport et spectacle mettant ainsi en évidence que dès le départ, la boxe entremêle ces deux composantes, est doublement codifiée par le spectacle et par le sport sans qu’on puisse clairement dissocier l’un de l’autre.
Conclusion
148Dans un article sur les usages et les apports de l’approche contrefactuelle, Quentin Deluermoz et Pierre Singaravélou affirment que « l’approche contrefactuelle peut […] nourrir une réflexion sur la contingence en histoire221 ». Une telle démarche conduit notamment à poser la question suivante : que serait donc « la boxe à Paris », sans la Première Guerre mondiale ? Quelle place occuperait-elle si le conflit mondial n’avait pas eu lieu ? Il est, entre autres, probable que Carpentier aurait affronté l’Américain détenteur du titre de champion du monde poids lourds, et qu’une lutte féroce aurait été engagée pour que le combat ait lieu à Paris. Dans ce cas le match se serait déroulé soit au Vélodrome d’Hiver ou à Luna-Park et aurait été organisé par le directeur du Wonderland alors Théodore Vienne. Par ailleurs, une rencontre de ce type aurait encore renforcé le pouvoir des organisateurs, et notamment de Vienne. La fédération, sans être impuissante, resterait dominée et tenterait, difficilement, de faire respecter ses dispositions réglementaires.
149Néanmoins, les choses ne se sont pas passées ainsi. La rupture créée par la guerre a renforcé la légitimité de la fédération et son travail de codification sportive des rencontres. Mais le spectacle n’a pas pour autant disparu. Comme depuis le début du siècle la boxe apparaît alors comme doublement codifiée par le sport et par le spectacle. Cette dualité explique pour partie la singularité de cette pratique physique. En effet, alors que la lutte dispose d’une réglementation peu élaborée et d’une fédération peu présente222, alors que la boxe française est une activité éminemment sportive223 dont la codification par le spectacle est réduite à ses plus simples appareils, la boxe (anglaise), pratique de plus en plus stabilisée, se situe à la croisée des deux univers, celui du sport et celui du spectacle. De ce fait, une tension demeure entre ces deux facettes, chacune veillant à ce que l’expansion de l’autre ne lui nuise pas. En particulier, le chiqué devient intolérable à un pouvoir fédéral faisant face à une mise en spectacle des plus poussée. Néanmoins il demeure une éventualité inhérente à la boxe.
Notes de bas de page
1 L’Auto, 18 février 1922.
2 Mariot Nicolas, Tous unis dans la tranchée ?, op. cit., Paris, Seuil, 2013.
3 Dietschy Paul, « Du champion au poilu sportif. Représentations et expériences du sport de guerre », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 251, 2013, p. 15.
4 L’Auto, 4 août 1914.
5 L’Auto, 27 février 1915.
6 La Vie au grand air, 15 mars 1919.
7 Joseph Henri Decoin (1890-1969) est un ancien sportif qui devient écrivain puis réalisateur (l’un de ses premiers films, Toboggan (1933), a pour acteur principal Georges Carpentier). Il est également rédacteur à L’Auto et à Paris-soir (Bauer Thomas, Henri Decoin, sportsmane, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2018).
8 L’Auto, 3 mars 1921.
9 Après la guerre, la fédération se fait appeler Fédération française de boxe (FFB).
10 Registre matricule de « Adrien Dupouy » (dit Hogan) et L’Auto, 17 mars 1926.
11 Calcul fait à partir de notre base de 153 boxeurs professionnels (voir chapitre iii).
12 L’Auto, 7 janvier 1922.
13 Communication de M. Henri Bunle, « L’éducation physique et les sports en France », Journal officiel, 29 avril 1922.
14 « Fédération Française des Sociétés de Boxe », F/7/12369, Archives nationales.
15 Cité par Dietschy Paul, Le sport et la Grande Guerre, op. cit., p. 15.
16 Defrance Jacques, « Le sport français dans l’entre-deux-guerres », op. cit.
17 Piketty Thomas, Les hauts revenus en France au xxe siècle, op. cit., p. 39.
18 Ibid., p. 679.
19 Aldcroft Derek. H., The Inter-War Economy. Britain, 1919-1939, Londres, Batsford, 1970.
20 L’Auto, 15 septembre 1919.
21 L’Auto, 24 novembre 1922.
22 L’Auto, 25 mai 1922.
23 Renaud Jérôme et Riquier Sylvain, Le spectacle à l’impôt, op. cit.
24 Député puis Secrétaire d’État à l’enseignement technique, Vidal est aussi journaliste (notamment au Journal) et dirigeant sportif (Callède Jean-Paul, Les politiques sportives en France. Éléments de sociologie historique, Paris, Economica, 2000).
25 Loi du 25 juin 1920, article 93.
26 Loi du 29 juin 1918, article 36.
27 L’Auto, 23 avril 1920. En italiques dans le texte.
28 Ibid.
29 Chéron est président de l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire ; Paté est président du Comité national d’éducation physique et sportive et d’hygiène sociale tandis que Vidal est président de l’USFSA.
30 Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Chambre des députés, séance du 16 juin 1920, p. 2181.
31 Ibid.
32 Bulletin des Lois de la République française, no 276, p. 2457 et no 278, p. 3267, 1920.
33 Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Chambre des députés, séance du 16 juin 1920, p. 2181.
34 L’Auto, 5 novembre 1922.
35 Garraud Pierre, « Les sports et le droit pénal », Revue internationale de droit pénal, 1, 1924, p. 239.
36 Annuaire statistique de la Ville de Paris, 1922, p. 449-451.
37 L’Auto, 18 juin 1922.
38 Encadré réalisé à partir d’actes d’état-civil ; d’informations trouvées dans L’Auto, La Boxe et les boxeurs, L’Est Républicain, La Vie au grand air et Les Sports.
39 Il organise (au moins) 15 des 216 soirées durant l’année 1922 soit 7 % d’entre elles.
40 En plus de son activité d’industriel, Vienne est candidat sur une liste de « patrons » (selon la presse socialiste), conduite par Eugène Motte, aux élections municipales de Roubaix en 1897 (L’égalité Roubaix-Tourcoing, 7 ; 9 et 14 avril 1897).
41 Tout en étant associé aux entreprises d’ustensiles de cuisine de Carpentier et Descamps.
42 L’Auto, 7 décembre 1921.
43 Salaires empruntés à Piketty Thomas, Les hauts revenus en France au xxe siècle, op. cit., p. 679.
44 Boyer Robert, « Les salaires en longue période », Économie et statistique, no 103, 1978, p. 32.
45 Informations trouvées à partir de 161 soirées.
46 Conversion faite à partir de Piketty Thomas, Les hauts revenus en France au xxe siècle, op. cit., p. 42.
47 L’Auto, 4 décembre 1921.
48 Par souci d’uniformisation, nous conservons néanmoins l’expression « soirées » quelle que soit l’heure du spectacle.
49 L’Auto, 15 juin 1922.
50 L’Auto, 12 juin 1922.
51 L’Auto, 28 décembre 1926.
52 L’Auto, 28 février 1922.
53 Ibid.
54 L’Auto, 7 mars 1922.
55 Bussière Éric, La France, la Belgique et l’organisation économique de l’Europe, 1918-1935, Paris, Institut de la gestion publique et du développement économique, 1992, notamment p. 61-89.
56 La Boxe et les boxeurs, 14 décembre 1921.
57 L’Auto, 3 juillet 1917.
58 Le blog de Claude Duhoux, « historien amateur » du département du Pas-de-Calais, possède de nombreuses indications biographiques sur lui : [http://lenstome4.canalblog.com/archives/2013/04/30/27043933.html], consulté le 25 août 2020.
59 L’Auto, 1er juin 1918.
60 Haÿ Ginette, Georges Carpentier, Arras, Les dossiers de Gauheria, no 4, 1993, p. 114-115.
61 L’Auto, 14 janvier 1922.
62 L’Auto, 20 juin 1922, 2 février 1923 et 29 avril 1923.
63 L’Auto, 3 décembre 1921.
64 Comparaison établie à partir des quatre premiers numéros du mois de janvier 1912 et de 1922, chacun comptant environ 25 pages.
65 Champion de France poids coqs entre 1909 et 1911, il livre 44 combats avant le conflit mondial dont 9 à l’étranger, incluant une « tournée » de 3 combats en Australie, ce qui atteste de sa notoriété.
66 Journal officiel de la République française, 30 janvier 1919, p. 1114.
67 Pourtant, rappelons que la Première Guerre mondiale est suivie d’une forte augmentation des pratiquants sportifs (Defrance Jacques, « Le sport français dans l’entre-deux-guerres », in Philippe Tétart [dir.], Histoire du sport en France, op. cit.).
68 Sayad Abdelmalek, « Les trois “âges” de l’émigration algérienne en France », Actes de la recherche en sciences sociales, no 15, 1977, p. 59-79.
69 L’Intransigeant, 28 juillet 1919. Les extraits qui suivent sont issus de cette source.
70 Mosse George L., De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, 1999.
71 L’Auto, 6 juin 1916 et du 31 juillet 1919.
72 L’Auto, 7 décembre 1921.
73 Calcul effectué à partir des données fournies dans L’Auto, 19 décembre 1922.
74 Voir Ville Sylvain, Le théâtre de la boxe, op. cit.
75 Grosset Yoan, Aux origines du mouvement sportif français, op. cit.
76 L’Auto, 1er février 1919.
77 Sur cet événement, voir Terret Thierry (dir.), Les Paris des Jeux Olympiques de 1924 (4 volumes), Paris, Atlantica, 2008.
78 Defrance Jacques, « Le sport français durant l’entre-deux-guerres », op. cit.
79 Carpentier affronte et perd contre le boxeur français « noir » Battling Siki. Le match est fortement soupçonné d’être arrangé et fait l’objet de nombreuses polémiques et d’une longue enquête de la fédération (voir Jobert Timothée, Presse « noire » et champions « blanc », op. cit.).
80 L’Auto, 2 décembre 1922.
81 La Boxe et les boxeurs, 2 juin 1920.
82 La Boxe et les boxeurs, 7 décembre 1921.
83 Loudcher Jean-François et Day Dave, « The International Boxing Union (1913-1946): a European Sports and/or Political Failure? », The International Journal of the History of Sport, no 17, 2013, p. 2016-2030.
84 L’Auto, 10 septembre 1919.
85 L’Auto, 15 avril 1920.
86 L’Auto, 26 octobre 1921.
87 L’Auto, 5 février 1920.
88 Thiesse Anne-Marie, Le roman du quotidien, op. cit., p. 223.
89 Voir par exemple son éloge funèbre à un congrès de l’UCI en 1946 et reproduit dans « Centenaire de l’UCI : hommage à Paul Rousseau », dossier La Vélocithèque, no 15.
90 L’Encyclopédie des Sports, Paris, Librairie de France, t. I, 1924, p. 434.
91 L’Auto, 12, 16, 18, 25, 31 juillet et 3, 7, 10, 14, 17, 21 et 24 août 1918.
92 Grosset Yoan, Aux origines du mouvement sportif français, op. cit.
93 L’Auto, 25 juillet 1918.
94 L’Auto, 7 janvier 1919.
95 L’Auto, 11 août 1922.
96 L’Auto, 26 juillet 1919.
97 L’Auto, 6 octobre 1921.
98 On paraphrase ici Gérard Noiriel, « Surveiller les déplacements ou identifier les personnes ? Contribution à l’histoire du passeport en France de la Ie à la IIIe République », Genèses. Sciences sociales et histoire, no 30, 1998, p. 78.
99 L’Auto, 6 mai 1922.
100 Ibid.
101 L’Auto, 30 janvier 1922.
102 L’Auto du 19 au 22 octobre 1922.
103 Sur le rôle des classements dans les pratiques sportives, voir Marchetti Dominique, Rasera Frédéric, Schotté Manuel et Souanef Karim, « Classements sportifs », Actes de la recherche en sciences sociales, no 209, 2016.
104 L’Auto, 13 décembre 1921.
105 Terret Thierry, « Du sport aux sports. Plaidoyer pour une histoire comparée des sports », in Thierry Terret (dir.), Histoire des sports, Paris, L’Harmattan, 1996.
106 L’Auto, 17 août 1919.
107 L’Auto, 21 juin 1919.
108 L’Auto, 11 décembre 1922.
109 L’Auto, 27 octobre 1919.
110 Dietschy Paul, Le sport et la Grande Guerre, op. cit., p. 190-191.
111 L’Auto, 1910. Cette information est confirmée dans une lettre de remerciements adressée à Lucien Dorgeuille suite aux Jeux olympiques de 1924 et signée de la main du président Rousseau (archives privées, Lucien Dorgeuille).
112 L’Auto, 12 septembre 1918.
113 L’Auto, 6 novembre 1920.
114 Article 93 de la Loi du 25 juin 1920.
115 L’Encyclopédie des Sports, op. cit., p. 429.
116 Defrance Jacques, « Le sport français dans l’entre-deux-guerres », op. cit.
117 Le Matin, 18 janvier 1922.
118 La Boxe et les boxeurs, 9 février 1921.
119 Ibid.
120 L’Auto, 25 avril 1922.
121 L’Auto, 22 novembre 1922.
122 La Grande-Bretagne, la Belgique, la Hollande, la France, la Suisse et le Brésil.
123 L’Avenir, 7 février 1920.
124 L’Auto, 6 février 1920.
125 Jusqu’en 1925, la FFB n’interdit ces soirées qu’à Paris pour favoriser le développement de la boxe en province.
126 L’Auto, 3 juin 1922.
127 L’Auto, 8 juin 1922.
128 L’Auto du 29 avril 1922.
129 L’Auto du 21 mai et 6 juin 1922.
130 L’Auto du 29 avril et 22 mai 1922.
131 L’Avenir, 22 juillet 1919.
132 Boltanski Luc, Darré Yann et Schiltz Marie-Ange, « La dénonciation », Actes de la recherche en sciences sociales, no 51, 1984, p. 3-40.
133 La Presse, 14 mai 1919.
134 Excelsior, 11 août 1919.
135 L’Événement, 24 juillet 1919.
136 Excelsior, 11 août 1919.
137 L’Avenir, 22 juillet 1919.
138 Le Figaro, 21 janvier 1919.
139 L’Avenir, 22 juillet 1919.
140 La Presse, 14 mai 1919.
141 L’Auto, 25 août 1919.
142 L’Œuvre, 26 août 1919.
143 L’Auto, 22 novembre 1922 et L’Œuvre, 13 novembre 1922.
144 Jobert Timothée, Presse « noire », champions « blancs », op. cit.
145 L’Auto, 27 novembre 1922.
146 L’Auto, 2 décembre 1922.
147 L’Auto, 1er décembre 1922.
148 L’Auto, 2 décembre 1922.
149 Saint-Martin Monique de, « La noblesse et les “sports” nobles », op. cit.
150 La Boxe et les boxeurs, 14 décembre 1921.
151 L’Auto, 3 août 1919.
152 La Boxe et les boxeurs, 4 janvier 1922.
153 La Patrie, 15 juillet 1923.
154 L’Auto, 25 septembre et 4 décembre 1922.
155 Annuaire statistique de la Ville de Paris, 1922, p. 451.
156 L’Auto, 17 décembre 1919.
157 L’Auto, 20 décembre 1919.
158 Bulletin municipal officiel, 28 décembre 1919, p. 4220.
159 L’Auto, 11 septembre 1920.
160 L’Auto, 5 février 1922.
161 Le Monde illustré, 11 février 1922.
162 Jobert Timothée, Presse « noire », champions « blancs », op. cit., p. 236.
163 Direction générale des contributions indirectes, Circulaire no 1161 du 9 août 1920, p. 2. (Archives de l’Assistance publique, cote 770 FOSS 3.)
164 Tableau compilant des données issues de L’Annuaire statistique de la Ville de Paris, Paris, Imprimerie nationale, années 1926 à 1929.
165 Leroy Dominique, Histoire des arts du spectacle en France, op. cit., p. 207.
166 L’Auto, 7 novembre 1922.
167 L’Auto, 8 décembre 1919.
168 L’Auto, 11 décembre 1919.
169 Fédération française de boxe, « Règlements sportifs », édition du 15 octobre 1923.
170 Roberts James B. et Skutt Alexander G., The Boxing Register: International Boxing Hall of Fame Official Record Book, New York, McBooks Press Inc, 2006, p. 707.
171 Peeters Georges, Pleins deux sur les rings, op. cit., p. 113.
172 Loudcher Jean-François et Fabian Thomas, « The first elite sport training camp in France: Manitot (1912-1924) », European Journal of Sport Science, no 20, 2020, p. 1387-1394.
173 La Cinématographie française, no 76, 17 avril 1920 et L’Auto, 16 janvier 1923.
174 Peeters Georges, Pleins feux sur les rings, op. cit., p. 113.
175 Rauch André, Boxe, violence du xxe siècle, op. cit., p. 169.
176 Moreau Sébastien, Les rencontres sportives. Une histoire sociale et culturelle du sport à Reims, pôle de l’espace sportif national et européen (1918-1939), thèse d’histoire, université Paris 1, 2018, p. 511-512.
177 Rauch André, op. cit., p. 342.
178 Voir leur correspondance dans le « Dossier Jeff Dickson » (8AR/595, Archives nationales).
179 Peeters Georges, Pleins feux sur les rings, op. cit., p. 66.
180 Comptage effectué grâce au classement des boxeurs uniquement jusqu’en 1925, les listes de boxeurs enregistrés n’ayant pas pu être trouvées après cette date.
181 D’après L’Annuaire du Ring de 1930.
182 L’Auto, 10 novembre 1926.
183 Piketty Thomas, Les hauts revenus en France au xxe siècle, op. cit., p. 39.
184 Loirand Gildas, « La perversion des valeurs sportives par les forces du marché. Pour une critique sociologique d’une sociologie critique », in Gilles Lazuech et Pascale Moulévrier (dir.), Contributions à une sociologie des conduites économiques, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 322.
185 Mauger Gérard, « Droits d’entrée. Quelques enseignements d’une enquête collective », in Gérard Mauger (dir.), Droits d’entrée. Modalités et conditions d’accès aux univers artistiques, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2006.
186 Saint Martin de Monique, « La noblesse et les sports nobles », op. cit.
187 Le Figaro, 21 janvier 1919.
188 L’Auto, 25 février 1909.
189 L’Auto, 9 décembre 1922.
190 Loyer Frédéric et Loudcher Jean-François, « Le catch et son histoire en France. Représentations et dynamiques socio-historiques d’un loisir spectacle (1900-1970) », Sport History Review, no 47, 2016, p. 26-45.
191 L’Auto, 30 septembre 1910.
192 L’Auto, 19 novembre 1908.
193 La Boxe et les boxeurs, 12 avril 1911.
194 Par exemple, L’Auto, 20 décembre 1913.
195 Gusfield Joseph R., Symbolic Crusade: Status Politics and the American Temperance Movement, Urbana, University of Illinois Press, 1963.
196 La Boxe et les boxeurs, 1er juin 1910.
197 La Boxe et les boxeurs, 28 février 1922.
198 Sée Léon, Le mystère Carnera. Les mystérieux dessous de sa carrière dévoilés par son ex-manager, Paris, Gallimard, 1934, p. 253.
199 Bloch Marc, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1974, p. 39.
200 Dans ses lettres, Sée n’affirme jamais explicitement que les combats sont truqués. Néanmoins, plusieurs indices le laissent croire. Par exemple : « Le combat contre Nilles n’offrait aucun danger. Vous comprenez » (lettre du 6 juillet 1929 de Léon Sée à Paul Journée, Fonds Paul Journée, musée national du Sport). Pour la suite, nous avons seulement indiqué la date de la lettre.
201 Selon l’expression de Lamoureux Christophe, La grande parade du catch, op. cit., p. 19.
202 Mauss Marcel, « Esquisse d’une théorie générale de la magie » in Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 1950, p. 57.
203 Il est constitué de différents contrats – notamment entre Paul Journée et Sée puis entre Journée et Carnera – et de quinze lettres envoyées par Sée à Journée, tous deux se « partageant » le contrat du boxeur italien (Journée cède le contrat de Carnera à Sée en échange de la moitié des bénéfices nets perçus par le nouveau manager).
204 D’après le contrat qui le lie à Paul Journée, daté du 1er septembre 1928.
205 Sée Léon, Le mystère Carnera, op. cit., p. 30.
206 Lettre du 11 juillet 1928.
207 Pour la construction de la célébrité de Carnera par Sée, voir Ville Sylvain, Le théâtre de la boxe, op. cit. De même, pour les liens du boxeur avec le fascisme, voir Marchesini Daniele, « Corps et pouvoir dans l’Italie fasciste : Mussolini, Carnera et les Italiens », in Georges Bensoussan, Paul Dietschy, Caroline François et Hubert Strouk (dir.), Sport, corps et sociétés de masse. Le projet d’un homme nouveau, Paris, Armand Colin, 2012.
208 Lettre du 29 juillet 1928.
209 Lettre du 24 juillet 1928.
210 Lettre du 6 juillet 1929.
211 Lettre du 6 juillet 1929. Le « Central Sporting Club », située rue du Faubourg Saint-Denis, désigne le gymnase Christmann, salle « populaire » (voir supra) de boxe où l’on peut voir des boxeurs plutôt « débutants » à prix « abordables ».
212 Lettre du 31 janvier 1929.
213 Sée Léon, Le mystère Carnera, op. cit., p. 75.
214 Il est condamné pour cela, en 1907, à 200 F d’amende par la cour d’appel de Rouen (registre matricule de Léon Sée, Archives départementales du Nord).
215 Une part de l’arbre généalogique de Léon Sée a pu être reconstituée à partir d’actes d’état civil et du site [geneanet.org].
216 Carton no CI-CADIC0000721, « Fonds Léon Sée », Archives du musée national du Sport.
217 Sée Léon, Le mystère Carnera, op. cit., p. 24-26.
218 Ibid., p. 90.
219 L’Auto, 23 avril 1919.
220 Clément Jean-Paul et Lacaze Lionel, Contribution à l’histoire sociale de la lutte en France, op. cit.
221 Deluermoz Quentin et Singaravélou Pierre, « Explorer le champ des possibles. Approches contrefactuelles et futurs non advenus en histoire », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 59, 2012, p. 85.
222 Clément Jean-Paul et Lacaze Lionel, Contribution à l’histoire sociale de la lutte, op. cit.
223 Loudcher Jean-François, Histoire de la savate, op. cit.
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