Chapitre VI. L’affaire des milices de Saint-Domingue
p. 169-184
Texte intégral
1La défense des colonies caribéennes apparaît au xviiie siècle comme un immense défi structurel. L’état de guerre quasi-permanent, la relative faiblesse de l’émigration métropolitaine et la forte mortalité des troupes réglées venues d’Europe imposèrent vite aux sociétés coloniales une série de questions sur leur capacité à se défendre et sur les bénéfices du lien impérial. À Saint-Domingue, ces questions furent brutalement réactivées par les défaites françaises de la guerre de Sept Ans. À partir de 1759, après leurs victoires canadiennes, les armées britanniques se tournèrent en effet vers les Antilles : la Guadeloupe, la Dominique et la Martinique, puis Sainte-Lucie, la Grenade, Saint-Vincent et Tobago furent prises tour à tour. Seule Saint-Domingue resta sous domination française. Ces défaites montraient aux yeux de tous la grande précarité des souverainetés impériales dans la Caraïbe. Les administrateurs coloniaux français firent notamment le constat de la faible efficacité des milices en temps de guerre. La désertion massive des miliciens guadeloupéens et martiniquais marqua durablement les esprits.
2L’Ordonnance générale des milices de Saint-Domingue du 15 janvier 1765, rendue par le comte d’Estaing, constitue dès lors un changement de paradigme qu’il convient d’interroger1. Elle servit de modèle pour discipliner toutes les milices américaines de l’Empire français. Parmi les principaux changements, elle prévoyait la ségrégation systématique des miliciens blancs et de couleur. Ces derniers devaient former des compagnies séparées dont les officiers seraient tous choisis parmi les Blancs2. L’Amérique française passait ainsi de près de 20 compagnies de couleur en 1763 à 121 compagnies en 1768 (tableau 15). Mais par ces mesures, les colonies françaises de l’Amérique mettaient surtout fin à une longue tradition héritée de l’Amérique ibérique et à laquelle seule l’île de la Martinique avait échappé : la reconnaissance politique des notables de couleur au sein des milices. Ce chapitre vise à comprendre les conditions et les conséquences de ce déclassement des officiers de couleur domingois en restituant les forces et les discours mobilisés en métropole et à Saint-Domingue sur la question de la défense des colonies.
Quel « peuple » pour Saint-Domingue ?
3En mars 1763, un mois après le traité de Paris qui mettait fin à la guerre de Sept Ans, le service personnel des Blancs dans les milices fut supprimé dans toutes les colonies françaises, avant d’être rétabli dans les années qui suivirent, dans des contextes locaux parfois extrêmement conflictuels (graphique 8).
Graphique 8. – Chronologie des milices en Amérique française (1763-1769).

Source : Baptiste Bonnefoy.
4Le cas de Saint-Domingue est singulier. Après des années de guerre, la nouvelle de la suppression des milices y fut bien reçue selon le premier rapport envoyé par l’intendant : « L’abolition des milices a causé une joie et une satisfaction générale, si l’on en excepte quelques officiers de milice qui prétendaient à la croix de Saint-Louis3. » Cependant, 1763 ne tarda pas à devenir une année catastrophe. Le ministre demanda le doublement des impôts pour compenser la suppression des milices, mesure immédiatement approuvée par Clugny, l’intendant de Saint-Domingue4. L’arrivée de troupes réglées pour remplacer les milices entraîna famine, désordres et quelques révoltes d’esclaves5. Envoyé à Saint-Domingue pour observer les effets des réformes, le contrôleur de la marine Kerdizien Trémais écrivait ainsi que les habitants craignaient de la nouvelle administration plus de maux que de l’ancienne : « Chacun ne pense qu’à quitter le pays […] Il est au Port-au-Prince des particuliers auxquels il en coûte 12 à 15 000 livres pour le logement d’un seul officier qu’il faut en outre que les nègres de la maison servent : ces logements sont pour les habitants une terrible charge6. » Par ailleurs, les administrateurs se rendirent compte que les milices jouaient un rôle central dans la police des esclaves et la lutte contre le marronage, notamment dans les espaces ruraux, éloignés des villes et des bourgs.
Tableau 15. – Compagnies de couleur dans les colonies françaises.
Colonie | 1763 | 1768 |
St Domingue | 14 | 79 |
Guadeloupe | 0 | 22 |
Martinique | 4 | 14 |
Ste Lucie | 0 | 4 |
Marie-Galante | 0 | 1 |
Guyane | 1 | 1 |
TOTAL | 19 | 121 |
Source : ANOM COL D2C73, 74, 87 et 115.
5Un rétablissement des milices fut donc décidé en 1764, mais une large partie de la population libre continua de s’opposer à des formes de service personnel jugées trop contraignantes. Après plusieurs projets et de nombreuses négociations avec les élites locales, une ordonnance fut rendue le 1er avril 1768 prévoyant un rétablissement des milices, sous une forme largement renouvelée, que nous détaillerons plus loin. Au mois de juin, le gouverneur Rohan présenta l’ordonnance au Conseil supérieur de Port-au-Prince et la fit enregistrer. Toutefois, par un arrêté du 14 octobre 1768, le Conseil émit des doutes sur la véracité de l’ordonnance et l’un des conseiller annonça en public que le gouverneur souhaitait rétablir les milices contre la volonté du roi. Cette confusion autour de l’ordonnance puis la circulation de quelques « papiers séditieux » entraînèrent d’importantes révoltes, d’abord à la Croix des Bouquets, puis dans plusieurs quartiers du Sud et de l’Ouest de Saint-Domingue entre décembre 1768 et avril 1769, révoltes violemment réprimées7.
6L’extrême politisation de ce que les contemporains ont appelé « l’affaire des milices » entraîna la publication, en métropole, de nombreux ouvrages écrits par des magistrats ou des administrateurs, métropolitains ou créoles plus ou moins connaisseurs des spécificités de l’île qui circulèrent largement dans les colonies8. Saint-Domingue offre en ce sens un laboratoire pour comprendre la diversité et la complexité des discours coloniaux. Aux lendemains de la guerre, tous se demandaient comment défendre les colonies dans un contexte régional largement instable. Pour beaucoup la question semblait insoluble.
7Ces nombreux discours esquissent deux visions radicalement différentes sur les causes de l’inefficacité des milices et sur les solutions à mettre en œuvre, deux visions qui recèlent in fine deux modèles de société coloniale, deux façons de concevoir l’ordre social colonial, où entrent en concurrence deux principes hiérarchiques, l’un fondé sur la distinction entre libres et esclaves, l’autre sur l’opposition entre Blancs et gens de couleur.
8En effet, une partie de discours blâmait l’indolence et le faible patriotisme des colons blancs, jugés trop républicains, parlementaristes et antimilitaristes. La pratique agricole aurait mis fin à l’esprit guerrier qui caractérisait les premiers colons, tous flibustiers. Le comte de Langeron, commandant militaire de Saint-Domingue, écrivait en 1762 au ministre : « Sur quoi peut-on compter après ce qui vient de se passer à la Martinique ? », en faisant référence à l’invasion de janvier, pendant laquelle les miliciens blancs avaient massivement déserté ou capitulé9. On ne pouvait désormais compter que sur les milices de couleur, réputées pour leur valeur au combat et leur patriotisme monarchique sans failles : « C’est parmy les nègres et les mulâtres libres qu’on pourra trouver quelque ressource10. »
9Au même moment, le gouverneur de l’île Gabriel de Bory recommanda la suppression du service personnel pour les Blancs, suppléé par le paiement de 600 livres par an. Il ne fallait d’ailleurs pas les détourner de l’agriculture, qui faisait la richesse de la colonie. Afin de créer une force défensive utile et acclimatée, il proposa l’affranchissement des mulâtres et des sang-mêlés : « On tirera un assez bon parti des mulâtres et nègres libres ; on en fera des soldats, et le Roi en auroit une pépinière intarissable, si par une ordonnance il donnoit la liberté à tous les mulâtres nés et à naître, en renvoyant les nègres à la culture de la terre11. » Une telle mesure devait être compensée par l’exclusion définitive des libres de couleur de toutes charges civiles, militaires ou de judicature12. Le plan de Bory fut en partie appliqué. Une troupe légère de 550 mulâtres et Noirs libres fut effectivement créée le 29 avril 1762 sous le nom de Volontaires de Belzunce (ou Chasseurs volontaires de l’Amérique). Toutefois, Choiseul refusa de supprimer le service personnel des Blancs, craignant d’anéantir un patriotisme jugé fragile, en particulier en temps de guerre13. Trois ans plus tard, le gouverneur d’Estaing formula des idées relativement proches de celles de Bory. Il dénonçait le faible patriotisme des colons blancs, largement compensé par celui des libres de couleur14. Il en voyait la preuve dans la révolte contre le rétablissement des milices en 1768-1769 : « On m’annonçoit qu’il y avoit eu une assemblée dans la plaine des Savonettes, où les Mulâtres avoient refusé de se joindre aux pacotilleurs des Cayes et aux petits habitants qui ne prétendoient pas moins que de s’opposer au débarquement et à l’arrivée des troupes de Sa Majesté, assemblée dans laquelle les gens de couleur avoient assuré, d’une façon à faire rougir ceux qui le leur proposoient, qu’ils ne porteroient jamais les armes que contre les ennemis du Roy15. »
10Langeron, Bory et d’Estaing avaient conscience des défis que posait une trop importante proportion d’esclaves dans des sociétés de plantation soumises à un contexte régional instable. Actant l’échec des politiques d’émigration, ils misaient sur les Libres de couleur, une population dont il fallait favoriser l’augmentation en encourageant et en facilitant les affranchissements, voire le métissage. Ces idées n’étaient pas neuves. Déjà le gouverneur Jean Baptiste Ducasse avait proposé en 1697 de déclarer libres tous les mulâtres de Saint-Domingue dès leur vingt et unième année, pratique communément observée aux colonies avant le Code noir selon Moreau de Saint-Méry16. En 1727, un lieutenant-colonel de milice de la Martinique, Dubuc, avait aussi opposé « la grande mollesse » des Créoles au patriotisme des Libres de couleur, prêts à toutes les expéditions. Il proposait d’affranchir le plus grand nombre possible de mulâtres, qui étaient selon lui les plus fidèles sujets du roi et les ennemis naturels des esclaves – à condition qu’ils ne fussent admis à aucune charge17. De nouveau en 1740, le ministre écrivit à Larnage et Maillart, gouverneur et intendant de Saint-Domingue, évoquant la « mollesse » qui s’était glissée parmi les habitants blancs, tandis que les Libres de couleur avaient toujours été regardés « comme la principale force de la colonie18 ». C’est précisément pour fortifier Saint-Domingue que Larnage encouragea les affranchissements, exigeant un ratio minimum entre libres et esclaves sur les habitations19.
11Bien qu’ils ne s’y réfèrent pas toujours explicitement, ces discours évoquent un modèle espagnol, présent dans tous les esprits du fait de son antériorité et, à Saint-Domingue, de sa proximité. Il s’agit moins du modèle espagnol lui-même que de sa représentation dans les colonies françaises, déformée par un faisceau de préjugés plus ou moins établis. Hormis quelques exceptions, la littérature française du xviiie siècle sur les colonies étrangères, portée par un comparatisme en vogue, témoignait d’une méconnaissance généralisée et s’appuyait essentiellement sur les traductions de recueils législatifs qui ignoraient largement les usages locaux : les textes circulaient sans leur contexte20. En l’occurrence, ils dessinaient un modèle espagnol où le métissage et la facilité des affranchissements auraient permis de fortifier des colonies imprégnées d’un vif patriotisme monarchique : ce modèle espagnol était avant tout celui d’une colonie de peuplement.
12Estaing et Bory considéraient que le métissage était l’unique moyen de peupler les colonies21. Ce dernier en fit même l’apologie : « les colons se font au lit22 ». Il appliqua aux humains les conclusions de Daubenton sur le croisement des races ovines23. Daubenton aurait montré que la beauté de l’individu dépendait particulièrement de celle du père, de sorte que si celui-ci était bien choisi, l’animal serait supérieur :
« En adoptant ce principe, ne pourra-t-on pas perfectionner la race des Mulâtres en ne permettant le mariage des Mulâtresses qu’avec les Blancs, et en interdisant ceux qu’elles voudroient contracter avec les Nègres ? La nature et l’art nous offrent un nouveau moyen de population : pourquoi ne pas en profiter. On se serviroit alors utilement de cette nouvelle race perfectionnée pour la police des quartiers et pour la guerre : les Espagnols s’en sont bien trouvés à Carthagène24 et ailleurs. On peut dire que les Français ont pensé de même, puisqu’on les a incorporés dans la Milice. Il ne restoit plus qu’un pas à faire, celui de les approcher de tous des Blancs par la liberté […] On pourra ainsi résoudre avec un peu plus de facilité le problème de la défense des Colonies ; problème insoluble si elles restent dans leur état actuel25. »
13Bory ne pensait pourtant pas la société domingoise en noir et blanc. Il distinguait par exemple les mulâtres des sang-mêlés, catégorie qui selon lui en regroupait de nombreuses autres26. Or le riche lexique du métissage mobilisé par Bory et recensé à Saint-Domingue par Moreau de Saint-Méry rappelle les nomenclatures novohispaniques des « tableaux de caste27 ». La référence au modèle espagnol apparaît de manière plus explicite dans un mémoire rédigé en 1763 par Jean Baptiste de Noailles et qui prône l’augmentation des libres de couleur à Saint-Domingue pour la défense de la colonie. Son père, prévôt général et inspecteur de la maréchaussée domingoise depuis 1742, était un admirateur de la partie espagnole de l’île, dont il avait été reconnu comme l’un des spécialistes28. En outre, des écrits du jésuite Jean-Baptiste Le Pers jusqu’à ceux de l’abbé Grégoire contre le préjugé de couleur, l’Amérique espagnole ne cessa de constituer, tout au long du xviiie siècle, la principale référence des autres empires européens29.
Le patriotisme créole
14À l’opposé, d’autres discours prétendaient que le faible patriotisme des Créoles n’était pas structurel mais conjoncturel, et constituait une réponse au despotisme des administrateurs coloniaux30. On doit à l’avocat Émilien Petit d’avoir formalisé cette idée dans Le patriotisme américain, publié en 1750. Petit a longtemps été considéré par les historiens comme un créole de Saint-Domingue31. Il était en réalité originaire de Bourgogne et ne vécut que dix ans à Saint-Domingue32. Selon lui, un gouvernement doux et adapté à la situation coloniale aurait permis de raviver le patriotisme des Créoles :
« J’ay l’honneur de vous envoyer ce projet d’articles concernant le service des habitants de Saint-Domingue. Je l’ay retouché d’après les circonstances et les idées que m’ont données les loix des colonies anglaises insulaires. Je m’estimerais heureux si ce projet pouvait […] rendre la liberté et la tranquillité aux colons. Un service militaire pour lequel ils ne sont pas faits, et auquel ils n’ont pas de temps à donner, a toujours été l’occasion des vexations les plus criantes. […] Votre attention sur des traitements aussi insupportables peut seule prévenir le découragement que va renouveler le rétablissement des milices, si on n’en règle autrement le service, et un règlement qui sera l’expression des sentiments que vous avez bien voulu m’annoncer vous acquerra le cœur des habitants33. »
15Un tel gouvernement aurait également attiré aux colonies de nouvelles populations blanches, des petits Blancs qui auraient remplacé les gens de couleur dans les emplois domestiques et les milices. Car l’encouragement est « le vrai nerf de la défense d’une colonie », ajoutait Pierre-Louis de Saintard, créole de l’Arcahaie34.
16Petit proposait de limiter les affranchissements et les mésalliances, et de renforcer les lois inspirées par le préjugé de couleur35. Il était incapable de penser le métissage : un individu devait être blanc ou noir. Son ouvrage de 1750 cultivait une véritable répugnance devant « un sang dont quelques branches toujours dans la servitude sont actuellement sous les fers et le fouet, correcteurs de leur méchanceté, d’un sang infâme pas ses inclinations, et dangereux par la noirceur du caractère, d’un sang fait pour l’humiliation36 ». Ses mémoires obtinrent un franc succès à Versailles, où il fut nommé en 1761 député des Conseils supérieurs de Saint-Domingue37. On retrouve dans les années 1760 des discours analogues (bien que moins durs à l’encontre des gens de couleur) chez plusieurs notables domingois, dont certains étaient membres des Conseils supérieurs ou des nouvelles chambres de commerce et d’agriculture.
17On les retrouve également sous la plume de l’intendant Clugny, créole originaire de la Guadeloupe. Entre 1758 et 1762, Clugny entreprit un véritable bras de fer avec le gouverneur Philippe François Bart, qui défendait le rôle militaire des libres de couleur. Clugny demanda au Conseil supérieur du Cap d’interdire le port d’armes aux libres de couleur en dehors du service des milices ou de la maréchaussée. Il existait depuis le Code noir un important arsenal juridique qui interdisait le port d’armes aux esclaves, mais celui-ci ne concernait nullement les libres de couleur. Informé par le gouverneur, le Bureau des colonies fit invalider l’arrêt du Conseil : les libres de couleur étant réputés miliciens, le port d’armes devait être toléré. Le Conseil prononça une seconde interdiction le 3 février 1761, que le gouverneur défendit au prévôt général de faire exécuter. Le procureur général, proche de Clugny, fit aussitôt arrêter les procureurs postulants qui refusaient d’appliquer l’arrêt38. Clugny gagna la partie le 29 mai 1762 quand le nouveau gouverneur Gabriel de Bory fut contraint par le Bureau des colonies de rendre une ordonnance qui interdisait définitivement le port d’armes aux libres de couleur, hormis les officiers39.
18Une fois encore, les idées d’Émilien Petit et les discours qu’elles inspiraient aux colonies n’étaient pas nouveaux. De telles idées avaient déjà motivé, dans diverses colonies françaises et dès les années 1710, des réglementations locales rendant les affranchissements plus difficiles et plus onéreux40. L’historien Charles Frostin a également montré que le patriotisme créole et le préjugé de couleur avaient régulièrement été mis en avant par les petits Blancs de Saint-Domingue lors des révoltes qui agitèrent la colonie à partir des années 167041. Mais à partir des années 1750, ce « patriotisme américain » s’enrichit de nombreuses références à un supposé modèle impérial britannique, selon lequel seul un gouvernement fondé sur un juste équilibre des pouvoirs pouvait garantir les libertés politiques42. Ces nouvelles références reflétaient d’ailleurs une anglomanie croissante en métropole, où Montesquieu venait de publier en 1748 De l’esprit des Lois43.
19Depuis le milieu du xviiie siècle, un récit singulier circulait dans la littérature consacrée aux colonies françaises. Ce récit témoignait de l’idée que se faisaient de nombreuses élites créoles de Saint-Domingue de la manière dont les colons britanniques défendaient leurs libertés politiques. Il s’agissait de la traduction d’un texte prétendument écrit par un Anglais au sujet de la mort du gouverneur britannique des Îles-sous-le-Vent, Daniel Parke, battu à mort par des colons qui s’étaient révoltés contre son gouvernement tyrannique. Ce texte – dont on ignore l’origine – expliquait qu’on opposait à tort l’intérêt des colons et celui du Roi, car tous tiraient parti d’un commerce florissant. En revanche, les gouverneurs gagnaient à tyranniser le peuple. Le gouvernement modéré était donc le seul qui put réconcilier les intérêts des colons et ceux de la couronne. Ce passage fut par exemple retranscrit par le contrôleur de la marine Kerdizien Trémais, arrivé à Saint-Domingue en 1763 pour étudier les effets des réformes administratives. Ce dernier citait ensuite Montesquieu pour expliquer que les réformes en cours ne s’adaptaient pas aux spécificités locales. Dénonçant les préjugés sur la paresse et l’insoumission des Créoles blancs, il proposait : « N’y ayant qu’un gouvernement doux qui puisse désormais retenir le colon dans ce pays, je ne connois qu’un moyen de le rendre tel ; ce seroit de rapprocher autant qu’il seroit possible le gouvernement de nos colonies de celui des colonies angloises44. » Et ce rapprochement devait commencer en faisant de la Marine royale le principal moyen défensif et offensif aux Antilles. Cela aurait permis, comme dans les îles britanniques, d’alléger le service personnel des Blancs dans les milices.
20Quoique nombreuses, ces références à un « modèle » britannique furent de courte durée. Elles devinrent en effet suspectes après les débuts de la guerre entre la Grande-Bretagne et ses colonies de l’Amérique septentrionale. Même Émilien Petit fut contraint d’écrire en 1778 que l’idée d’excellence du gouvernement anglais avait été une erreur établie aux colonies « par l’impunité ou par la prorogation de certains abus, étrangers au gouvernement ; couverts par la distance des lieux45 ». Dès lors, seul le cas de la fidèle et voisine Jamaïque continua d’être mis en avant comme l’exemple d’une milice peu contraignante pour les habitants, puisque ces derniers votaient eux-mêmes les lois qui encadraient leur service militaire46.
De nouveaux rapports de force à l’origine de la réforme des milices
21Dans un article de 2009, John Garrigus déplore que les historiens qui se sont intéressés aux projets de réforme des années 1760 en aient fait une histoire strictement administrative et économique, ignorant leur dimension raciale. Il propose une lecture fondée sur l’essor d’un « patriotisme libéral », celui des Créoles, dont Petit serait l’ambassadeur, opposé à un ancien patriotisme civique, celui des Libres de couleur47. Qu’on se référât à l’Empire espagnol ou à l’Empire britannique, pour les dénoncer ou en faire l’éloge, la question de la défense des colonies dissimulait deux modèles de société coloniale diamétralement différents qui coexistaient aux Antilles françaises. Le préjugé de couleur en constituait en effet la principale ligne de démarcation. Bien que Jean Tarrade indique que les projets de réformes administratives de Petit et de ses disciples trouvèrent peu d’applications avant la fin des années 1780, Dominique Rogers a mis en évidence le déploiement progressif, jusqu’en 1782, d’un arsenal juridique sans précédent contre les Libres de couleur de Saint-Domingue48. Parmi les nombreuses mesures du programme de Petit, ce furent donc celles qui se rapportaient au préjugé de couleur qui prospérèrent le mieux. Plusieurs décennies plus tôt, Jean-Baptiste Le Pers avait observé dans le développement de ce préjugé de couleur l’expression de la peur de déchoir. Ce préjugé constituait en effet l’une des réponses des Créoles des Antilles françaises face aux théories de la dégénérescence de l’homme européen sous les Tropiques, point de départ d’une « querelle du nouveau monde » réactualisée par les Lumières françaises49. Les Espagnols et les Portugais des Amériques, qui n’auraient pas su préserver leur européanité, représentaient désormais – aux dires de Saintard – « deux peuplades amollies par une oisiveté sans délice, appauvries par une richesse sans abondance50 ».
22Les historiens des colonies qui se sont intéressés aux aspects politiques, économiques ou administratifs ont longtemps présenté ces deux modèles de société coloniale comme une opposition entre métropolitains et créoles, ou du moins entre un Bureau des colonies dominé par Jean Accaron et des magistrats créoles représentés par Petit51. Mais ces historiens pensaient que Petit était un créole, et ignoraient qu’il devait sa qualité de député des Conseils souverains au succès de ses mémoires à Versailles plus qu’à sa popularité parmi les magistrats domingois. Même Saintard, pourtant très proche des idées de Petit, critiquait sa méconnaissance de la colonie52. On trouve d’ailleurs d’autres Métropolitains parmi les défenseurs d’un patriotisme créole, à l’instar du Nantais Lory qui décrivait « l’esprit de Saint-Domingue », ou du jeune magistrat rennais Hilliard d’Auberteuil qui, comme Petit, vécut dix ans aux colonies53. De la même manière, ces historiens n’ont prêté qu’une faible attention aux discours divergents de certains Créoles, comme les Noailles à Saint-Domingue, ou Dubuc à la Martinique.
23D’autres historiens ont mis en avant une opposition entre le civil et le militaire, entre administrateurs coloniaux et notables créoles (représentés par les conseils souverains), ou encore entre les intendants et les nouvelles chambres d’agriculture qui émanent des conseils souverains54. En réalité, les archives nous placent face à des discours multiples et contradictoires qui ne s’enferment pas facilement dans des logiques d’appartenance institutionnelle ou sociale. Une lettre du chevalier de Gabriac témoigne par exemple des dissensions qui régnaient entre les chambres d’agriculture de Port-au-Prince et du Cap, et au sein même des chambres, entre les membres d’agriculture et les membres de commerce55. La société domingoise était complexe56. Lory expliquait par exemple qu’on voyait volontiers ceux-là même qui cultivaient le préjugé de la « mésalliance avec la couleur », et qui répugnaient à déclarer publiquement leur concubinage avec des femmes de couleur, s’évertuer à placer au mieux leurs enfants naturels, en leur procurant une éducation, ou un travail, ou bien en les dotant considérablement en vue d’un mariage avec un Européen57. Par ailleurs, des historiens ont montré que l’œuvre d’un Moreau de Saint-Méry héritait également de telles contradictions58.
24Malgré ces contradictions, les discours et les débats qui animaient la société domingoise entre les années 1740 et 1770 laissent apparaître deux partis ou visions clairement identifiables, en lien avec deux « modèles » de référence, espagnol et britannique. La guerre de Sept Ans ne transforma pas ces discours et ces débats liés aux contradictions structurelles des sociétés esclavagistes de plantation, mais les réactiva. Elle modifia toutefois les rapports de force locaux. Les idées de Petit avaient gagné du terrain, et le Bureau des colonies souhaitait créer un certain nombre de contre-pouvoirs en donnant aux élites locales, créoles ou non, davantage d’espaces de représentation. Après les événements de la Guadeloupe et de la Martinique, et en prévision d’une prochaine guerre, on craignait de voir les élites domingoises se livrer aux plus offrants.
25La réforme des milices témoigne en ce sens du pragmatisme des administrateurs qui cherchèrent à prendre en compte les intérêts de l’ensemble des acteurs présents dans les espaces domingois de représentation politique59. Le rétablissement des milices était réclamé par les élites locales traditionnelles, soit des dynasties d’officiers et de commandants de quartier attachés à leurs commissions et au pouvoir qu’elles conféraient. Il était également demandé par une foule de petits propriétaires, notamment dans les zones éloignées des bourgs, où il n’existait ni maréchaussée ni police, et où seules les milices permettaient de lutter contre le marronage et les révoltes d’esclave. Ces petits propriétaires invoquaient également la dimension sociale des milices, qui faisait communauté loin des villes et des bourgs. Mais la réforme devait encore convaincre ceux parmi les Blancs qui demandaient inlassablement la suppression du service personnel. C’est le cas des riches propriétaires, dont les terres se situaient souvent près des villes et des bourgs, mais aussi des élites commerçantes, dont les intérêts économiques se focalisaient dans les villes-ports. Ces derniers étaient déjà protégés par les brigades de maréchaussée et de police. C’est pourquoi la réforme prévoyait, pour les Blancs qui le souhaitaient, une exemption du service personnel contre un impôt jugé raisonnable. Les gouverneurs cédèrent sur ce point, après avoir longtemps lutté contre les exemptions et le système des gardes par procuration, grâce auxquelles les principaux habitants « laissaient la fatigue aux petits60 ».
26Pour compenser la réduction du nombre de miliciens blancs, la réforme proposa un encadrement renforcé des compagnies de couleur. Les administrateurs pensaient également que les exemptions allaient provoquer une diminution des postes d’officier dans les compagnies de Blancs. Pour éviter la colère des officiers blancs qui souhaitaient conserver leur commission, on leur en proposa de nouvelles dans les compagnies de couleur, multipliées par la réforme. On passa en effet d’une douzaine de compagnies de couleur avant la suppression des milices à Saint-Domingue à 79 compagnies au moment du rétablissement61. En misant sur le rôle militaire des libres de couleur, la réforme suivait les conseils des militaires, comme Bory, Belzunce, Langeron, Noailles ou d’Estaing, mais en leur interdisant l’accès aux offices militaires, elle allait dans le sens d’une législation durcie par le préjugé de couleur, selon les vœux des tenants du « patriotisme créole ».
Le déclassement des officiers de couleur
27Les grands laissés pour compte de cette réforme des milices furent les anciennes dynasties d’officiers de couleur qui singularisaient Saint-Domingue avant 1763, comme celles des familles Boursicot, César, Ouanille et Alexandre à Léogane, les Ibart et Lacroix à Saint-Marc, les Mayor à Mirebalais ou les Aubas à Fort-Dauphin. Si les officiers de couleur réformés conservaient leur titre, ils perdaient le pouvoir de choisir leurs successeurs parmi leur réseau de sociabilité. Cette décision fut prise au dernier moment, puisque les premiers mémoires sur un rétablissement des milices à Saint-Domingue prévoyaient de maintenir des officiers de couleur62.
28En analysant les actes notariés de la partie nord de Saint-Domingue, Stewart R. King a identifié deux élites de couleur très différentes : une élite urbaine militaire (blue coats) liée au service dans les milices de couleur et les brigades de maréchaussée, et une élite rurale de planteurs (powdered wigs)63. En étudiant les actes des parties ouest et sud de la colonie, Dominique Rogers et John Garrigus n’ont pas retrouvé cette distinction entre urbains et ruraux, pas plus que celle entre militaires et planteurs de couleur, ces derniers servant également dans les milices64. Les familles Boursicot, César ou Aubas, dont certains membres étaient artisans et possédaient des ateliers en ville, étaient également de petits planteurs. Garrigus met en doute l’existence même d’une élite militaire de couleur qui serait, selon lui, une spécificité du Nord, plus militarisé. La géographie domingoise explique en effet nombre de particularismes locaux : les quartiers étaient séparés par des mornes infranchissables et communiquaient davantage par cabotage que par voie de terre. Toutefois, ces particularismes ne suffisent pas à expliquer les divergences observées par King et Garrigus.
29En effet, une élite militaire de couleur est apparue dès le début du xviiie siècle dans de nombreux quartiers de Saint-Domingue, situés tant au Nord qu’au Sud et à l’Ouest65. Du fait des bornes chronologiques de son étude, Garrigus n’a pas pu voir le déclassement de ce groupe après les réformes des années 1760. King a étudié la période précédente mais n’a pas voulu voir ce déclassement, en conférant aux fonctions de cavaliers et de brigadiers de maréchaussée une importance égale aux anciennes commissions d’officiers. La figure suivante montre pourtant que le grade de brigadier n’équivalait qu’à un grade de sous-officier dans les milices.
Graphique 9. – Hiérarchie et équivalence des grades à Saint-Domingue au xviiie siècle.

Source : Baptiste Bonnefoy.
30Il est vrai que la ségrégation systématique des milices, ainsi que le développement de la maréchaussée puis de la police, multiplièrent les places non commissionnées de sous-officiers pour les libres de couleur, mais ces dernières ne conféraient qu’une infime légitimité, de faibles avantages fiscaux et, pour la maréchaussée et la police seulement, de maigres appointements. L’analyse de King surprend d’autant plus qu’à partir des années 1760, peu de libres de couleur accédèrent au poste de brigadier de maréchaussée dans la partie Nord de Saint-Domingue qu’il a étudié, alors qu’ils étaient largement majoritaires dans les brigades de maréchaussée du Sud et de l’Ouest. Les contemporains expliquèrent un temps cette différence par les appointements, car les brigadiers du Cap gagnaient le double de ceux de Port-au-Prince, mais elle survécut à la loi de 1771 qui les égalisait66.
31Le déclassement fut donc général et ne concerna pas que les milices. Avant 1768, les brigades de maréchaussée et de police des parties Sud et Ouest comptaient des libres de couleur parmi leurs exempts. C’était le cas de Jacques dit Lavache, griffe libre, exempt de police de Jacmel en 1762 et parent par alliance des Ouanille et des Alexandre, deux familles d’officiers de couleur de Léogane. Or l’exempt était assimilé à un enseigne de milice, soit un officier. Le quartier de Saint-Louis-du-Sud, dans la partie sud de Saint-Domingue, offre un autre cas d’exempt de couleur avant la guerre de Sept Ans. Une brigade de maréchaussée y avait été créée dès 1739, avec un prévôt, un exempt, deux brigadiers et dix archers67. L’exempt et quelques archers devaient se trouver à Fonds des Nègres pour surveiller la route qui menait du Petit-Goave à Saint-Louis. C’est un petit planteur mulâtre, Gaspard Boissay, qui devint l’exempt du Fond des Nègres jusqu’à sa mort en 1748 en défendant la ville de Saint-Louis, attaquée par l’amiral britannique Knowles68. Moreau de Saint-Méry immortalisa son courage : « Je répète que la terreur n’était pas le partage de tous dans le fort. Gaspard, vieux mulâtre du Fond-des-Nègres, ayant un bras emporté et descendant du rempart pour aller se faire panser, dit à son fils : “Ne bronche pas, car il me reste encore un bras pour te faire sauter le cou”69. » Il n’est guère surprenant qu’un mulâtre fut exempt de maréchaussée dans cette vallée fertile réputée pour être très métissée70. Pourtant, on ne trouve plus d’exempts de couleur à Saint-Domingue à partir de 1768, ni dans la maréchaussée, ni dans la police. Selon les registres paroissiaux de Saint-Louis-du-Sud, les brigadiers et cavaliers de maréchaussée étaient désormais tous des libres de couleur, surtout des mulâtres, tandis que les prévôts et les exempts étaient tous réputés blancs (tableau 16)71.
Tableau 16. – Personnel de la maréchaussée de Saint-Louis-du-Sud (1768-1788).
Grade | Nom | Qualité |
Prévôt | Jean Darmagnac | Sieur |
Prévôt | Antoine Méjean | Sieur |
Prévôt | François Fontanelle de Bragérac | Sieur |
Exempt | Joseph Antoine Desgarcins | Sieur |
Brigadier | Jean Baptiste Aquin | Mulâtre libre |
Brigadier | François Samuel | Mulâtre libre |
Brigadier | Jean-Baptiste Trinquet | Mulâtre libre |
Brigadier | Léon Benjamin Février | Mulâtre libre |
Cavalier | Charles | Nègre libre |
Cavalier | Pierre Février | Mulâtre libre |
Cavalier | Pierre Casemajor | Mulâtre libre |
Cavalier | Charles Rospide | Mulâtre libre |
Cavalier | Alexandre Joseph Dellatre | Mulâtre libre |
Cavalier | Michel Francillon | Mulâtre libre |
Cavalier | Ambroise dit Visse | Mulâtre libre |
Source : ANOM, registres paroissiaux de Saint-Louis-du-Sud.
Conclusion
32La guerre de Sept Ans a profondément modifié les rapports de force à Saint-Domingue. Reposant sur des discours et des modèles de référence hérités du début du xviiie siècle, l’affaire des milices a imposé une solution originale pour la défense de la colonie, qui cherchait à satisfaire les intérêts des principaux acteurs politiques locaux. Cette solution a toutefois été appliquée au détriment des dynasties d’officiers de couleur qui se glorifiaient de défendre Saint-Domingue depuis la fin du xviie siècle contre ses ennemis intérieurs et extérieurs. Après s’être étendu à toutes les colonies françaises, le nouveau modèle des milices domingoises inspira également la Jamaïque, où furent créées peu après la guerre de Sept Ans les premières compagnies de couleur de l’Empire britannique, là-encore commandées par des officiers blancs. Ce modèle tranchait largement avec le modèle ibérique qui s’était progressivement imposé en Amérique depuis la fin du xvie siècle, celui de compagnies de couleur commandées par des officiers de couleur.
33Toutefois, il ne faut pas confondre le déclassement des officiers de couleur domingois dans les milices et les maréchaussées avec un déclassement d’ordre social ou économique. Ce que les élites de couleur ont perdu avec leurs commissions, c’est un espace de reconnaissance sociale et politique. Dominique Rogers a d’ailleurs montré que ces élites ont continué au moins jusqu’à la Révolution française à consolider leur position socio-économique dans la société domingoise72. Il faut donc séparer ce qui relève des dynamiques sociales de ce qui relève de la représentation politique.
34La perte pour les officiers de couleur de cet espace de reconnaissance que constituait la milice s’inscrit par ailleurs dans un contexte plus large d’évolution des formes de distinction sociale à Saint-Domingue. À l’instar de ce qu’on observe déjà depuis longtemps dans la plupart des Antilles britanniques, les élites créoles de Saint-Domingue semblent de moins en moins intéressées par les commissions militaires et cherchent au contraire l’exemption des milices, pratique qui s’impose à partir de la fin des années 1760 comme une nouvelle stratégie locale de distinction sociale. Or ces exemptions ont également été accordées à certaines élites de couleur, si on en croit Moreau de Saint-Méry. Ce fut par exemple le cas de Jean Jasmin, dit Thoumazeau, un affranchi dispensé du service des milices par le vicomte de la Ferronays en 176873. Le fait qu’on ne retrouve plus les anciens officiers de couleur ou leurs descendants dans les listes des nouvelles milices laissent supposer qu’ils ont largement adopté cette stratégie.
35Les historiens des révolutions française et domingoise ont toutefois montré que ces nouveaux espaces de distinction ne suffisaient pas à contenir des élites de couleur qui, d’un point de vue économique, n’étaient plus seulement des « élites secondes ». Cet écart croissant entre position économique et représentation politique explique la forte politisation de ces élites de couleur ainsi que leur investissement ultérieur dans les événements révolutionnaires.
Notes de bas de page
1 BnF, Ordonnance générale des milices de Saint-Domingue prescrite par l’ordre de sa majesté du 2 janvier 1764 et rendue par M. le Comte d’Estaing, Gouverneur Général, etc au Cap le 15 janvier 1765, Le Cap-Français, Imprimerie de Marie, 1765.
2 Lesueur Boris, « Le soldat de couleur dans la société d’Ancien Régime et durant la période révolutionnaire », in Myriam Cottias (dir.), Les traites et les esclavages. Perspectives historiques et contemporaines, Paris, Éditions Karthala, 2010, p. 137-151.
3 ANOM COL C9C2, Mémoire historique et politique sur Saint-Domingue, 1763, fnn. Voir également COL C9A115, Article des observations adressées au ministre sur l’ordonnance du Roy du 24 mars 1763 concernant l’administration des colonies de S. Domingue, 1763.
4 ANOM COL C9A115, Lettre au ministre de l’intendant Clugny, 29 mai 1763, fnn.
5 ANOM COL C9A116, Mémoire de Jean Jacques Bacon de la Chevalerie adressé au ministre, 13 octobre 1763, fnn.
6 ANOM COL C9A118, Lettre au ministre de Kerdizien Trémais, Port-au-Prince, 22 juillet 1763, fnn.
7 Sur ces événements, voir Frostin Charles, Les révoltes blanches à Saint-Domingue aux xviie et xviiie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008 (1975).
8 L’imprimerie existe à Saint-Domingue à cette époque, mais n’est utilisée que pour l’impression de textes de loi, de mémoires et de factums, pour une diffusion locale.
9 ANOM COL C9A113, Lettre du comte de Langeron, commandant militaire de Saint-Domingue, 13 mars 1762.
10 Ibid.
11 ANOM COL C9A111, Lettre au ministre du gouverneur Gabriel de Bory, 12 juin 1762.
12 Ibid., 17 juillet 1762.
13 Ibid., 31 juillet 1762.
14 Force Pierre, « Race et citoyenneté dans la carrière et les écrits de Charles Henri d’Estaing (1729-1794) », L’Esprit Créateur, vol. 56, no 1, 2016, p. 76-80.
15 ANOM COL E 7, Lettre du comte d’Estaing, 15 janvier 1766, f. 438.
16 Lespinasse Beauvais, Histoire des affranchis de Saint-Domingue, t. I, Paris, J. Kugelmann, 1882, p. 206 ; Moreau de Saint-Méry Louis-Élie, Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’isle Saint-Domingue, t. I, Paris, T. Morgand, L. Guérin, 1875, p. 68. Selon le père Dutertre, les mulâtres naissent libres avant 1664, et la justice condamne le père à s’occuper de l’enfant jusqu’à ses 12 ans. À partir de 1664, le mulâtre reste esclave du maître de la mère jusqu’à ses 20 ans, comme forme de dédommagement, in Debbasch Yvan, Couleur et Liberté. Le jeu du critère ethnique dans un ordre juridique esclavagiste, t. I : L’affranchi dans les possessions françaises de la Caraïbe (1635-1833), Paris, Dalloz, 1967, p. 23.
17 ANOM COL C8B9, Analyse d’un mémoire remis par Dubuc, lieutenant-colonel de milice, 9 novembre 1727.
18 Moreau de Saint-Méry Louis-Élie, Loix et constitutions des colonies françoises de l’Amérique sous le Vent, Paris, Moreau de Saint-Méry, Quillau et Mequignon jeune, t. III (1722-1749), 1784, p. 597.
19 Ibid., p. 797.
20 Bourdieu Pierre, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Actes de la recherche en sciences sociales, no 145, 2002, p. 4.
21 Sur le rapport du comte d’Estaing à la couleur et au métissage, voir Force Pierre, « Race et citoyenneté… », art. cité.
22 Bory Gabriel de, Mémoires sur l’administration de la marine et des colonies, par un officier général de la marine, doyen des gouverneurs généraux de Saint-Domingue, Paris, Imprimerie de P.-D. Pierres, 1789-1790, p. 59 et 74.
23 Les écrits de Daubenton ont lancé en France un vaste mouvement d’importation de mérinos d’Espagne afin de les croiser avec les moutons des cheptels français, et d’accroître ainsi la qualité de la laine.
24 Gabriel de Bory fait référence au siège de Carthagène des Indes par la Royal Navy pendant la guerre de l’oreille de Jenkins (mars-mai 1741), qui se solda par une retentissante défaite britannique.
25 Bory Gabriel de, Mémoires sur l’administration…, op. cit.
26 ANOM COL C9A111, Lettre au ministre du gouverneur Gabriel de Bory, 17 juillet 1762.
27 Zúñiga Jean-Paul, « “Muchos negros, mulatos y otros colores”. Culture visuelle et savoirs coloniaux au xviiie siècle », Annales. Histoire, Sciences sociales, vol. 68, no 1, 2013, p. 67-68.
28 ANOM COL E 322, Dossier nominatif de Jean Baptiste Noailles, prévôt de la maréchaussée, 1719-1779.
29 Gould Eliga H., « Entangled Histories, Entangled Worlds: The English-Speaking Atlantic as a Spanish Periphery », The American Historical Review, vol. 112, no 3, 2000, p. 766.
30 Sur les remises en causes des systèmes coloniaux traditionnels dans la seconde moitié du xviiie siècle, voir Dorigny Marcel et Gainot Bernard (dir.), La colonisation nouvelle (Fin xviiie-début xixe), Paris, L’Harmattan, 2018.
31 On trouve cette confusion dans les travaux suivants : Debien Gabriel, Esprit colon et esprit d’autonomie à Saint-Domingue au xviiie siècle, Paris, Larose, 1954, p. 16 ; Ghachem Malick W., « Montesquieu in the Caribbean: the Colonial Enlightenment Between Code Noir and Code Civil », Historical Reflections/Réflexions historiques, 1999, p. 193 ; Garrigus John, « Saint-Domingue’s Free People of Color and the Tools of Revolution », in David P. Geggus et Norman Fiering (éd.), The World of the Haitian Revolution, Bloomington, Indiana University Press, 2009, p. 52 ; Rogers Dominique, « Raciser la société : un projet administratif pour une société domingoise complexe (1760-1791) », Journal de la Société des américanistes, vol. 95, no 2, 2009, p. 244 ; Force Pierre, « Race et citoyenneté dans la carrière… », art. cité, p. 72.
32 Archives départementales de la Côte-d’Or, état-civil, Arceau, registres paroissiaux (1675-1775), Acte de baptême d’Émilien Petit, 26 avril 1713, Microfilm 5MI20R9, image 232.
33 ANOM COL C9A120, Lettre d’Émilien Petit au comte d’Estaing, 30 janvier 1764, fnn.
34 Saintard Pierre-Louis de, Essai sur les colonies françaises, ou Discours politiques sur la nature du gouvernement, de la population et du commerce de la colonie de Saint Domingue, s. l., 1754, p. 63.
35 Voir sur ce point Force Pierre, « Race et citoyenneté dans la carrière… », art. cité.
36 Petit Émilien, Le patriotisme américain ou Mémoires sur l’établissement de la partie française de l’isle de Saint-Domingue, sous le vent de l’Amérique, s. l., s. n., 1750, p. 114. Précisons ici que la lecture d’Émilien Petit était encore conseillée, au début du xxe siècle, aux futurs administrateurs de l’École coloniale.
37 Sur l’action politique de Petit, voir Tarrade Jean, « L’Administration coloniale en France à la fin de l’Ancien Régime : Projets de réforme », Revue historique, vol. 229, no 1, 1963, p. 103-122.
38 ANOM COL C9A108, Lettre du bureau des colonies au gouverneur Philippe François Bart, 28 août 1761, fnn.
39 Moreau de Saint-Méry Louis-Élie, Loix et constitutions…, op. cit., t. IV (1750-1765), p. 467.
40 Debien Gabriel, « Les affranchissements aux Antilles françaises aux xviie et xviiie siècles », Anuario de estudios americanos, vol. 23, 1966, p. 1177-1203.
41 Frostin Charles, Les révoltes blanches…, op. cit.
42 Debien Gabriel, Esprit colon…, op. cit., p. 17.
43 Sur le modèle anglais en France au xviiie siècle, voir Tillet Édouard, La Constitution anglaise, un modèle politique et institutionnel dans la France des Lumières, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2000.
44 ANOM COL C9A118, Lettre au ministre de Kerdizien Trémais, Port-au-Prince, 22 juillet 1763.
45 Petit Émilien, Dissertations sur le droit public des colonies françoises, espagnoles et angloises, d’après les lois des trois nations comparées entr’elles, Genève et Paris, Knapen et fils, 1778, p. 383.
46 Ibid., p. vii.
47 Garrigus John, « Saint-Domingue’s Free People of Color… », art. cité, p. 52 et 59. Il fait notamment référence aux travaux déjà cités de Gabriel Debien, Jean Tarrade et Malick W. Ghachem.
48 Tarrade Jean, « L’administration coloniale… », art. cité ; Rogers Dominique, « Raciser la société… », art. cité. Sur les politiques du bureau des colonies qui visent, dans les années 1780, à atténuer le préjugé de couleur à Saint-Domingue, voir Rogers Dominique, « De l’origine du préjugé de couleur en Haïti », Outre-Mers. Revue d’histoire, nos 340-341, 2003, p. 83-101.
49 Sur la querelle du nouveau monde, voir Gerbi Antonello, La disputa del Nuovo Mondo. Storia di una polemica (1750-1900), Milan, Adelphi, 2000 et Sebastiani Silvia, « L’Amérique des Lumières et la hiérarchie des races. Disputes sur l’écriture de l’histoire dans l’Encyclopaedia Britannica (1768-1788) », Annales. Histoire, Sciences sociales, vol. 67, no 2, 2012, p. 327-361.
50 Saintard Pierre-Louis de, Roman politique sur l’état présent des affaires de l’Amérique, ou Lettres de M*** à M*** sur les moyens d’établir une paix solide et durable dans les colonies, et la liberté générale du commerce extérieur, Amsterdam, Duchesne, 1757, p. 194.
51 Voir les travaux de Gabriel Debien et Jean Tarrade déjà cités.
52 Saintard Pierre-Louis de, Essai sur les colonies…, op. cit., p. 16-17.
53 Bibliothèque municipale de Nantes, MS 2933, Manuscrit de Lory intitulé L’esprit de Saint-Domingue, 1780-1781, 32 f. Accessible en ligne, [https://catalogue-bm.nantes.fr/ark:/73533/Nantes_13380], le manuscrit de Lory a été décrit in Debien Gabriel, « L’esprit de Saint-Domingue, 1780 (un manuscrit de Lory, colon) », Revue de la Société haïtienne d’histoire, no 106, 1958, p. 7-35. Quant à Hilliard d’Auberteuil, maître dans l’art de se faire des ennemis, il est procureur du roi à Saint-Domingue, à la Martinique puis à la Grenade d’où il est chassé par les élites locales. Son ouvrage Considérations sur l’état présent de la colonie française de Saint-Domingue, ouvrage politique et législatif (Paris, Grangé, 1776-1777), peu rigoureux, reprends largement les idées de Petit. Voir ANOM COL E 222, Dossier de Michel Hilliard d’Auberteuil, 1774-1784.
54 Frostin Charles, Les révoltes blanches…, op. cit. ; Hrodej Philippe, « L’État et ses principaux représentants à Saint-Domingue au xviiie siècle : contradictions et manquements », Outre-Mers. Revue d’histoire, vol. 94, nos 354-355, 2007, p. 173-195 ; Mélisson Céline, « Les chambres d’agriculture coloniales : entre résistances et contestations de l’impérialisme français au xviiie siècle », Études canadiennes/Canadian Studies, no 76, 2014, p. 89-102.
55 ANOM COL E 196, Lettre du chevalier de Gabriac, 31 décembre 1762, f. 151-161.
56 Rogers Dominique, « Raciser la société… », art. cité.
57 Bibliothèque municipale de Nantes, MS 2933, Manuscrit de Lory intitulé L’esprit de Saint-Domingue, 1780-1781, f. 17. Bien que faible, les mariages entre Blancs et gens de couleur sont, tout au long du xviiie siècle, plus nombreux à Saint-Domingue qu’à la Martinique ou la Guadeloupe. Sur ce point, voir Houdaille Jacques, « Le métissage dans les anciennes colonies françaises », Population, vol. 36, no 2, 1981, p. 278.
58 Taffin Dominique (dir.), Moreau de Saint-Méry ou les ambiguïtés d’un Créole des Lumières, Fort-de-France, Actes du colloque organisé par les départementales de la Martinique et la Société des amis des archives et de la recherche sur le patrimoine culturel des Antilles, 2006.
59 ANOM COL C9A120, Réponse du comte d’Estaing à Messieurs de la chambre d’agriculture du Port-au-Prince, 29 octobre 1764, fnn.
60 Ordonnance royale sur les gardes des habitants à Saint-Domingue, in Moreau de Saint-Méry Louis-Élie, Loix et constitutions…, op. cit., t. II (1704-1721), p. 106.
61 ANOM COL D2C115, État général des milices de Saint-Domingue, 1769.
62 ANOM COL C9B15, Mémoire sur le rétablissement des milices à Saint-Domingue, 1764 ; C9A120, Mémoire sur le service des nègres et des mulâtres libres ou affranchis, 1764, fnn.
63 King Stewart R., Blue Coat Or Powdered Wig: Free People of Color in Pre-revolutionary Saint-Domingue, Athènes, University of Georgia Press, 2011 (2001).
64 Garrigus John D., « Saint-Domingue’s Free People of Color… », art. cité, p. 57.
65 Ibid.
66 Arrêt du Conseil supérieur de Port-au-Prince sur la maréchaussée du 19 février 1771, dans Moreau de Saint-Méry Louis-Élie, Loix et constitutions…, op. cit., t. V (1766-1779), p. 340.
67 Moreau de Saint-Méry Louis-Élie, Description…, op. cit., t. II, p. 633.
68 ANOM 1DPPC2364, Paroisse Saint-Michel du Fonds des Nègres, Inhumation de « Gaspard Boisset, mulâtre libre, exempt de la maréchaussée et habitant de cette paroisse, mort de ses blessures pour la défense de Saint-Louis contre Mr. Knowles », le 27 mars 1748.
69 Moreau de Saint-Méry Louis-Élie, Description…, op. cit., t. II, p. 641.
70 Le quartier fut très tôt occupé par une grande quantité de nègres et mulâtres libres, selon les témoignages du père Labat puis de Moreau de Saint-Méry. Labat Jean Baptiste, Nouveau voyage aux isles de l’Amérique, La Haye, P. Husson, 1724, t. II, p. 261-262 ; Moreau de Saint-Mery Louis-Élie, Description…, op. cit., t. II, p. 572. Jacques Houdaille a constaté le fort métissage dans cette paroisse dans son article « Trois paroisses de Saint-Domingue au xviiie siècle. Étude démographique », Population, vol. 18, no 1, 1963, p. 93-110.
71 ANOM 1DPPC2505 et 1DPPC2506, Paroisse de Saint-Louis-du-Sud, Actes paroissiaux (1743-1795).
72 Rogers Dominique, Les libres de couleur dans les capitales de Saint-Domingue : Fortune, mentalités et intégration à la Fin de l’Ancien Régime (1776-1789), thèse de doctorat en histoire, dir. Paul Butel, université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, 1999.
73 Moreau de Saint-Méry Louis-Élie, Description…, op. cit., t. I, p. 417.
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