Chapitre I. L’origine des milices de couleur
p. 37-64
Texte intégral
1En Amérique, les milices coloniales sont apparues dès la fondation des premières villes. Comme en Europe, elles reposaient à la fois sur le privilège d’autodéfense des communautés urbaines et sur l’obligation du service militaire. Le milicien, simultanément citadin et sujet de l’empire, défendait sa patrie et servait son souverain. Les milices concernaient tous les hommes libres, valides et en âge de combattre. Par conséquent, les affranchis et leurs descendants furent réputés miliciens et servirent dans un premier temps dans les mêmes compagnies que les autres citadins libres. Ainsi, de la même manière que le recrutement des milices bourgeoises dépassait la stricte bourgeoisie dans les villes de l’Europe moderne1, celui des milices coloniales dites « espagnoles » ne se limitait jamais aux seuls Espagnols.
2La première compagnie américaine composée exclusivement d’hommes réputés être de couleur fut une compagnie dite « des Noirs libres » (negros horros), apparue à La Havane à la fin des années 1570, une soixantaine d’années après la fondation de la ville et de ses milices. À partir de cette date et jusqu’à la fin du xviiie siècle, des compagnies de Noirs (appelés negros en espagnol, puis morenos) et des compagnies de mulâtres (mulatos, puis pardos) ont été créées dans la plupart des villes américaines de l’Empire espagnol, puis successivement dans les villes des Empires portugais, français, néerlandais, danois et britannique. À la fin du xviiie siècle, la présence de compagnies de couleur dans une centaine de villes de six Empires américains nous permet de parler d’une institution urbaine américaine, voire atlantique si on tient compte des compagnies créées en Andalousie et dans les comptoirs africains. Progressivement au cours de l’époque moderne, la couleur réputée des miliciens est ainsi devenue aux Amériques le principe premier de dénomination des compagnies de milice. Le rôle des compagnies de couleur était semblable à celui des autres compagnies. Elles défendaient la ville et étaient mobilisables dans les expéditions militaires. Au quotidien, elles assumaient toute une série de missions civiques reconnues d’utilité publique, du maintien de l’ordre social à la réalisation de travaux publics.
3La séparation entre les miliciens blancs et les miliciens de couleur reflète l’importance, dès la fin du xvie siècle, de deux rapports hiérarchiques clairement énoncés et unanimement partagés dans les villes coloniales américaines : celui qui oppose les libres aux esclaves, et celui qui oppose les Blancs aux gens de couleur. Toutefois, et malgré la centralité de la couleur, ce chapitre vise à montrer que la séparation ne fut jamais automatique ou évidente. Sinon comment expliquer que certaines villes américaines se sont dotées très tôt de compagnies séparées tandis que d’autres ont conservé des compagnies « mixtes » jusqu’aux indépendances ? Les conditions sociales d’une séparation par la couleur ont rarement été interrogées, tant la réponse semblait évidente à quantité d’historiens qui lisaient les sources coloniales au prisme des problématiques soulevées par la période ségrégationniste aux États-Unis. L’historien américain Ben Vinson III, spécialiste reconnu des milices de couleur de la Nouvelle-Espagne, explique ainsi la séparation par une politique impériale visant dès le départ à maintenir les frontières « raciales », politique renforcée par les « préjugés racistes » et par l’obsession de la pureté de sang des élites blanches locales. Du reste, il ajoute qu’il est impossible, étant donné la pauvreté des sources, de retracer les débuts des compagnies de couleur2.
4Contre cette historiographie dominante, presque exclusivement consacrée à la seconde moitié du xviiie siècle, ce premier chapitre a pour objectif de restituer la genèse des milices de couleur aux Amériques depuis la fin du xvie siècle, en variant les niveaux d’analyse, du local au continental. Pour ce faire, il met en relation deux dynamiques qui ont toujours accompagné la création des compagnies de couleur. Il s’agit d’une part de la constitution de nouvelles élites locales, parmi lesquelles figurent nombre d’affranchis et de descendants d’affranchis, et sur lesquelles les pouvoirs centraux et les élites traditionnelles doivent s’appuyer pour maintenir la domination coloniale. D’autre part, dans les sociétés coloniales, les lexiques du métissage et de la couleur jouent un rôle central dans les manières locales de dire et de naturaliser les hiérarchies sociales. Au croisement de ces deux dynamiques, ce chapitre montre que chaque fois que la couleur devient centrale aux Amériques, elle s’impose comme une ressource discriminante afin de fixer des limites théoriques à l’ascension sociale de nouvelles élites locales regardées comme indispensables au fonctionnement d’un gouvernement à distance.
5De façon à prêter une attention égale aux contextes locaux et impériaux, ce chapitre repose sur une double recherche empirique, avec d’un côté le recensement complet de toutes les créations de compagnies de couleur avant la guerre de Sept Ans (tableau en annexe) et d’un autre une étude de cas sur les conditions d’apparition de la compagnie des mulâtres de Panama. Le cas des villes américaines de la monarchie espagnole est ici privilégié, d’abord parce que les premières compagnies de couleur y sont apparues, mais aussi parce que celles-ci ont longtemps servi de modèle ou de contre-modèle aux autres Empires américains.
Récompenser les notables de couleur
6Entre la fin du xvie siècle et la fin du xviie siècle, une centaine de compagnies de couleur furent créées dans les villes américaines de l’Empire espagnol. Dans la plupart des cas, elles sont apparues dans des territoires regardés à la fois comme stratégiques et vulnérables par les autorités coloniales, afin d’officialiser et de récompenser l’action de notables de couleur en faveur de la défense de la souveraineté espagnole.
Les premières compagnies de couleur de l’Empire espagnol
7Toutes les compagnies de couleur créées dans l’Empire espagnol entre la fin du xvie siècle et la fin du xviie siècle furent commandées par des capitaines de couleur, à l’exception de celle des Noirs libres de Panama (jusqu’en 1627) et de celles du port chilien de Valdivia.
8Dans les sources, les capitaines de milice sont décrits comme des entrepreneurs privés, car bien que commissionnés et modiquement soldés par le roi, les capitaines avaient la charge de sélectionner leurs hommes, les nourrir, les payer, les pourvoir en armes et munitions, sans qu’interviennent les trésoriers royaux3. Ce fait n’a pas souvent été relevé, or il impliquait que les corps de ville et la monarchie n’avaient qu’une influence limitée sur les pratiques de recrutement des capitaines, qui faisaient jouer leurs multiples appartenances et celles de leurs seconds (le lieutenant et l’enseigne). Ceci veut dire que depuis les liens forts jusqu’aux liens faibles, les officiers enrôlaient principalement au sein de leurs milieux d’influence : la maisonnée, la parentèle, la clientèle, le corps de métier et le quartier. En un mot, la composition des compagnies de milice reflétait les réseaux d’allégeance et de créance de leurs officiers.
9Par ailleurs, tout comme cela était le cas en Europe, un titre de capitaine dans les milices supposait un investissement social et économique colossal. Dans une lettre de 1624, le gouverneur de la province de Panama prétendait ainsi que les capitaines étaient recherchés parmi les hommes les plus riches et les plus influents de la ville, de manière qu’ils soient en mesure d’encourager et de secourir leurs hommes4. En ce sens, les milices ont moins constitué un espace de mobilité sociale – analyse le plus souvent avancée – que celui d’une reconnaissance politique des hiérarchies et des dynamiques sociales à l’œuvre dans chaque milieu urbain. Elles témoignent des espaces ouverts par la nécessité, pour les souverains, de s’appuyer sur les élites locales pour défendre leurs provinces américaines. Par conséquent, l’essor des compagnies de couleur révèle en premier lieu l’existence, dès la fin du xvie siècle, d’hommes de couleur suffisamment prospères et respectés localement pour s’en voir confier la levée et l’entretien.
10La formation d’élites de couleur doit être mise en relation avec le rôle croissant joué par les acteurs locaux dans la défense de l’empire. Le dernier tiers du xvie siècle a en effet ouvert une nouvelle étape de la colonisation espagnole. Celle-ci est marquée par le besoin de donner une cohésion territoriale aux acquis de la conquête en sécurisant les voies de communication qui articulaient – tant bien que mal – une constellation de près de deux cents villes et garnisons fondées entre 1522 et 1573. Ce processus, que les sources espagnoles de l’époque désignaient par l’expression euphémique « pacification des territoires », se traduisait fréquemment par des situations de guerre permanente contre des résistances qui s’organisaient. Dans ce contexte, ce furent précisément les acteurs locaux qui garantirent l’intégrité territoriale de l’empire et les conditions même d’une mobilité impériale5. Or, parmi ces locaux, décrits comme les gardiens incontournables d’une connaissance pratique et d’une possession concrète des territoires, figuraient nombre de gens de couleur, d’Indiens ou d’esclaves fugitifs (appelés les Marrons). Le gouverneur de Panama, par exemple, écrit en 1616 que « la plupart des gens [qui défendent la ville] sont indiens, métis, mulâtres et noirs, soit des créoles de la terre6 ». Ainsi, l’extrême vulnérabilité de certains territoires stratégiques de l’empire a généré des opportunités pour ces acteurs locaux, dont certains connurent une ascension économique, et purent se constituer, à l’échelle locale, en élites secondes, remettant ainsi en cause les discours souvent binaires des processus de colonisation. L’ascension de ces élites pouvait parfois être encouragée directement par la monarchie, qui misait sur des opérations de peuplement dirigé des espaces stratégiques afin de les défendre : routes impériales (terrestres et maritimes), cordons sécuritaires, territoires convoités. Outre les déplacements forcés, il y eut aussi de nombreuses promesses de privilèges, de terres ou d’exemptions fiscales qui permirent l’émergence de nouvelles élites locales, parmi lesquelles figuraient des gens de couleur et des Indiens7.
11Dès lors, on s’aperçoit que les nominations de capitaines de couleur ont surtout eu lieu dans des territoires assimilés à des sociétés de frontière, ou de guerre vive, là où les hommes libres, et en particulier les gens de couleur, servaient régulièrement les armes à la main contre les ennemis de la couronne : pirates, Indiens indépendants, communautés marrones, etc. Ainsi, les quelques villes fortifiées du Nouveau Monde ont figuré parmi les premières à connaître des compagnies de couleur (carte 1). La plupart de ces compagnies sont nées dans des moments de danger imminent, quand les principales voies de communications étaient attaquées et que la cohésion territoriale de l’empire était menacée. En Nouvelle-Grenade, les compagnies de Timana, Santa Fé ou Mariquita furent levées afin de sécuriser la route qui reliait Carthagène à Quito, fréquemment attaquée par les Indiens pijaos, carares et andaquís. Les compagnies de Panama et de Nouvelle-Espagne protégeaient les routes interocéaniques. Les compagnies antillaises alimentaient la guerre de course et fournissaient des agents de police aux brigades de la Santa Hermandad (maréchaussée) pour défendre les chemins contre les attaques des Marrons. Celles créées dans les ports de Terre Ferme et du littoral pacifique patrouillaient quant à elles à bord de petites flottes (armadillas) pour sécuriser les routes maritimes infestées de corsaires.
Carte 1. – Compagnies de couleur en Amérique en 1650.

Source : Baptiste Bonnefoy.
12On observe en effet une corrélation entre d’une part la vulnérabilité des territoires, et d’autre part l’essor d’élites locales de couleur capables de revendiquer des titres de capitaine dans les milices. Ainsi, la multiplication des compagnies de couleur dans l’Empire espagnol pendant la seconde moitié du xviie siècle (carte 2) a coïncidé avec un âge d’or de la piraterie et avec la dégradation des communications entre la péninsule Ibérique et les villes américaines de l’empire8.
Carte 2. – Compagnies de couleur en Amérique en 1700.

Source : Baptiste Bonnefoy.
13Lorsque le gouverneur de Maracaibo nomma pour la première fois un mulâtre comme capitaine de l’une des compagnies de milice de la ville au début des années 1680, la ville avait déjà été pillée cinq fois en moins de vingt ans9. Dès les années 1660, la formation de compagnies de couleur fut directement encouragée par la monarchie, qui ne parvenait plus à envoyer à temps des troupes d’Espagne pour assister ses territoires américains en danger. En 1663, le roi écrivait ainsi au vice-roi de la Nouvelle-Espagne :
« Il convient de former des compagnies de mulâtres et Noirs libres car ils sont nombreux dans ce royaume, courageux et habitués au labeur et aux incommodités, qu’ils combattent avec succès et réputation […], et parce qu’étant de basse condition, ils seront d’un grand service si on les y encourage avec des commissions de capitaine et autres postes […]10. »
14L’isthme de Panama constitue précisément l’un de ces territoires à la fois stratégiques et vulnérables, qui virent se développer très tôt des notables de couleur capables de négocier l’acquisition de titres de capitaine dans les milices. Appelé la « clé des Indes » dans les sources, l’isthme se trouvait au cœur des circulations impériales, car il était la porte d’entrée de la vice-royauté du Pérou, et donc un maillon essentiel dans l’acheminement de l’argent du Potosi, des marchandises, du courrier et des hommes (administrateurs, militaires, marchands). Mais il avait aussi la réputation d’un territoire inhospitalier, régulièrement pillé par les corsaires, dépourvu de main d’œuvre indigène, pauvre en minerais, peu propice à l’agriculture. L’isthme de Panama offre en ce sens un observatoire privilégié des conditions locales de l’ascension d’individus de couleur, à l’instar du mulâtre Pedro Cano Pinzón et de son fils José, premier capitaine des mulâtres de Panama.
L’irrésistible ascension de Pedro Cano Pinzón
15Le 20 juillet 1628, le mulâtre libre José Cano Pinzón recevait du Tribunal royal de Panama le titre de « capitaine perpétuel de milice ». Pendant les mois qui suivirent, il s’évertua à lever une compagnie de cent cinquante mulâtres libres – l’une des premières compagnies dite « de mulâtres » qui aient existé aux Amériques11. Or, il convient de souligner que, ce faisant, l’objectif des autorités locales n’était pas d’élargir aux mulâtres le recrutement des milices, dans la mesure où ces derniers servaient déjà au sein des compagnies de milice de la cité. Il s’agissait en réalité de récompenser José Cano Pinzón en vertu des mérites de son père, le mulâtre Pedro Cano Pinzón. Ce dernier, originaire de la Jamaïque, milicien aguerri et respecté, était devenu – comme nous le verrons – un acteur majeur de l’économie de l’isthme et une clé de voûte des circulations impériales au tournant du xviie siècle.
16En 1628, le mulâtre Pedro Cano Pinzón déposa une requête auprès du Tribunal royal de Panama pour obtenir une relación de méritos12. Ce certificat de mérites s’obtenait au terme d’une longue procédure qui permettait à un individu d’acquérir la preuve écrite des services accomplis méritant une récompense royale. Le tribunal réunit alors un certain nombre de témoins âgés et de qualité afin qu’ils corroborent les mérites en question, dans ce cas onze témoins dont trois échevins, un juge royal, le gouverneur du fort, trois capitaines de milice, un officier de la garnison, un grand marchand de soie et un énigmatique Noir libre. Le document devait ensuite être envoyé à la cour pour être lu au roi en son Conseil des Indes. En règle générale, la procédure était initiée pour obtenir une faveur ou une charge honorifique. Dans le cas de Pedro Cano, il s’agissait d’un titre de capitaine dans la milice pour son fils. Une telle procédure, en principe réservée aux grandes élites, est exceptionnelle pour un mulâtre au xviie siècle. Elle témoigne de la faculté de certains espaces coloniaux à passer sous silence la couleur de certains individus quand les Blancs ne sont pas assez nombreux parmi les Créoles (individus nés aux Amériques) pour occuper les espaces de pouvoir13. Au xviie siècle, Panama donnait encore l’impression d’une ville-garnison, où la majorité des Espagnols étaient péninsulaires, souvent célibataires, des militaires, des marchands et des administrateurs qui restaient quelques années seulement dans la ville. Les Créoles libres de Panama, quant à eux, étaient peu nombreux, et en majorité des gens de couleur. Ils vivaient de l’économie du transport, propriétaires de mulets (señores de recua) ou de canoés (señores de barcos), loués pour la traversée de l’isthme, de la côte pacifique à la côte caraïbe14.
17Le certificat de mérites de Pedro Cano nous apprend qu’il est né à la Jamaïque et qu’il est arrivé dans l’isthme de Panama dans les années 1580. Il s’était établi sur la côte caraïbe, à Nombre de Dios puis à Portobelo, dont il fut l’un des premiers habitants. Ensuite les témoins relatent tour à tour les hauts faits militaires de Pedro Cano comme milicien dans les compagnies espagnoles des capitaines Fernando de Agüero et Pedro de Quiñones, d’abord contre les Indiens Coclé et les Noirs Marrons puis contre l’invasion de Francis Drake en 159615. Mais c’est surtout le rôle qu’il occupait dans l’économie de l’isthme qui justifia cette procédure distinctive. Etabli comme charpentier puis maître charpentier, il devint rapidement propriétaire d’un terrain situé près de la rivière de Boquerón, à une journée de marche de Portobelo, et qui formait un col dont le passage était incontournable pour aller à pied à Panama (carte 3). Il y installa dès la fin du xvie siècle une auberge d’étape dite venta de Pedro Cano ou venta de Boquerón16. Vers 1610, il résidait officiellement à Panama17, mais ses investissements dans le négoce du transport en firent rapidement un personnage influent à l’échelle de l’isthme.
18Il fut en effet le plus grand propriétaire de mulets de la région pendant toute la première moitié du xviie siècle18. Doté d’un patrimoine évalué à plus de 20 000 pesos en 161819, grand propriétaire d’esclaves, il proposait les services les plus complets à ceux qui souhaitaient traverser l’isthme : il créa et entretint de nouvelles routes, envoya en patrouille de petites compagnies d’esclaves armés le long des chemins et installa beaucoup plus tard une nouvelle hôtellerie (venta) au Caimito, sur la route menant de Panama à Nata, le long de la côte pacifique (carte 3)20. Dès 1621, il fut chargé par le tribunal de protéger l’ensemble des chemins de l’isthme contre les Noirs Marrons et les Indiens. En 1628, il décrivait ainsi ses propres mérites :`
Carte 3. – L’isthme de Panama au xviie siècle.

Source : Baptiste Bonnefoy, d’après une carte d’Exquemelin, 1686 (BnF, Cartes et plans, collection d’Anville, no 9197).
« Je suis si utile à la république que depuis longtemps personne ne me surpasse. La preuve en est le chemin de Portobelo dont on me charge toujours des réparations. J’en ai fait beaucoup à mes dépens, réalisant un si bon tracé dans les zones les plus difficiles qu’on ne pourrait pas en trouver d’autre qui permette le transport de l’argent, tant et si bien que de nombreux ingénieurs qui en avaient la tâche ont abandonné. Parmi mes travaux les plus brillants, on trouve l’aménagement du passage du Calvaire, si dangereux et inaccessible, […] où trébuchaient mules et passagers, aujourd’hui si bon qu’on y passe sans dangers, mais aussi celui de Capirexa […], des collines des Moines […], tous réalisés à mes dépens par mes gens, contre les caprices de la nature, sans oublier l’auberge du Boquerón, première journée de Portobelo, abri de l’argent et des passagers, des riches comme des pauvres […]21. »
19À l’instar de Pedro Cano, l’économie du transport permettait à Panama des ascensions sociales fulgurantes. Vers 1620, le religieux andalou Antonio Vazquez de Espinosa décrivait ainsi les propriétaires de mulets :
« Il y a des muletiers très riches et puissants qui amènent de grandes troupes de mulets grâce auxquelles ils ont acquis d’immenses richesses ; car lorsque l’armada arrive, le fret d’une mule pour les 18 lieues [qui séparent Panama de Portobelo] coûte entre 25 et 30 pesos22. »
20Comme Pedro Cano, les principaux propriétaires de mulets ne se contentaient pas de louer leurs troupeaux et investissaient dans les infrastructures logistiques. Palliant les difficultés de la monarchie dans la maîtrise du territoire, ils créaient de nouvelles routes, les entretenaient et les jalonnaient d’hôtelleries d’étapes. Ils le firent d’abord à titre privé puis – dès le milieu du xviie siècle – dans le cadre de marchés publics sexennaux23. Ils s’occupaient enfin de sécuriser les chemins et les voies navigables. Pour éviter qu’ils ne soient attaqués par les Indiens rebelles ou par les Noirs Marrons, ils y déployaient des compagnies privées d’esclaves armés (cuadrillas). Ces propriétaires, tous créoles, gens de couleur pour la plupart, apparaissent ainsi comme les seuls garants d’une présence hispanique dans l’intérieur des terres. Compte tenu de l’importance stratégique de l’isthme de Panama, la cohésion territoriale de l’empire dépendait en partie de la capacité de cette poignée d’acteurs locaux à assurer le bon fonctionnement de ces quatre-vingts kilomètres de chemins.
21C’étaient également des Créoles de couleur, dans la plupart des cas, qui garantissaient la traversée de l’isthme par le fleuve Chagres, souvent dans le cadre d’initiatives privées ensuite reconnues par les autorités. Loin de se cantonner aux premiers temps de la colonisation, cette situation était toujours la même dans la seconde moitié du xviie siècle, lorsque le Noir libre Vicente Méndez, señor de barcos, employait des cuadrillas d’esclaves armés pour sécuriser les rives du fleuve. Devenu capitaine de la compagnie des Noirs libres de Panama en 1678, il parvint à réduire sur les bords du Chagres, dans le nouveau village de Nuestra Señora del Buen Suceso y San Cayetano, une partie des Indiens gorgones qui menaçaient la ville de Panama et aidaient les corsaires anglais à accéder à l’océan pacifique24. En 1686, malgré un vaste arsenal juridique pour préserver les Indiens du contact « corrupteur » des gens de couleur, Vicente Méndez fut nommé gouverneur de ce village, dont l’objectif était autant la conversion des âmes que la sécurisation du Chagres par l’installation d’une population hispanisée entre le Fort de Chagres et le village de San Francisco de Cruces25. En tant que gouverneur des Indiens du Darien, il recevait une solde de 650 pesos, soit cinq fois la solde ordinaire d’un capitaine de milice26. Au xviie siècle, en dehors des villes-garnisons, l’isthme de Panama offrait donc le spectacle d’une conquête en trompe-l’œil.
22Le certificat de mérites de Pedro Cano remplit finalement son rôle et la commission de capitaine fut attribuée à son fils José. Ce dernier leva et dirigea la première « compagnie des mulâtres » de Panama, puis partit en 1642 au Pérou sur ordre du vice-roi pour en former une deuxième au Callao, le port de Lima27. Il n’y resta pourtant que quelques mois, vite rappelé par les activités économiques de son défunt père. Par son expérience et sa connaissance du terrain, il fut désigné comme bénéficiaire du marché public sexennal pour la route qui allait de Panama à l’auberge de Pequeni, sur la route de Portobelo28. À cette date, l’auberge appartenait d’ailleurs à la veuve du mulâtre Juan de Trejo, qui avait été officier dans la compagnie des mulâtres de José Cano Pinzón29.
23José Cano Pinzón, Juan de Trejo ou Vicente Mendez, tous réputés hommes de couleur, constituaient ainsi à Panama des notables de première importance, considérés à la fois comme les gardiens et comme les principaux bénéficiaires locaux de l’ordre colonial et du système esclavagiste. En ce sens, tout indique que les premières compagnies de couleur de l’isthme sont apparues afin de récompenser ces acteurs locaux par des commissions d’officier.
Couleur et hiérarchies sociales
24Bien qu’il soit bien souvent passé inaperçu dans l’historiographie sur les mondes coloniaux, le rôle clé joué par les libres de couleur dans la défense des empires et la perpétuation de l’ordre social colonial a favorisé l’émergence d’élites urbaines de couleur dès la fin du xvie siècle. Or, il convient de souligner que la formation de ces nouvelles élites fut presque toujours, comme dans le cas de Pedro Cano, le résultat d’un enrichissement lié au travail. Ainsi, quatre secteurs d’activité ressortent plus fréquemment selon les structures démographiques et socio-économiques locales : l’agriculture, en particulier sur les fronts pionniers des sociétés de plantation, souvent délaissés par les élites blanches ; les métiers de l’artisanat (surtout ceux dont les savoirs sont localement jugés rares et nécessaires) ; l’économie du transport en lien avec la connaissance et la maîtrise du territoire (administrateurs de mulets/barques, guides, aubergistes d’étape) et la sécurité des espaces extra-urbains (protection d’encomiendas, de plantations, de mines, recouvrement de dettes ou tributs). Cette partie vise précisément à interroger la position sociale ambiguë accordée à ces nouveaux notables de couleur dans les villes américaines de la monarchie espagnole, et l’impact de la politique fiscale dans la confluence progressive entre lexiques de la couleur et hiérarchies sociales.
Des élites subalternes
25En 1628, la création de la compagnie des mulâtres de Panama traduisait en quelque sorte une consécration des élites de couleur panaméennes, désormais capables d’obtenir des offices publics, puissant symbole d’une reconnaissance politique tant à l’échelle locale qu’impériale. Les milices leur permettaient de convertir leur prestige et leur fortune en un capital politique transmissible, puisque les capitaines de milice avaient la faculté de nommer les officiers et sous-officiers de leur compagnie, logiquement amenés à les remplacer.
26Néanmoins, la création de la compagnie des mulâtres de Panama revêtait également, et de manière manifeste, une logique de séparation. En effet, le titre de capitaine de José Cano Pinzón entraîna directement l’éviction des mulâtres des compagnies espagnoles de milice, où ils servaient depuis le début de la conquête. Ces derniers partageaient désormais le sort des Noirs libres, pour lesquels une compagnie séparée avait été créée à Panama dès 1596. Cette éviction témoigne du fait que, déjà à cette époque, il était impensable aux Amériques de sanctionner politiquement la domination d’un libre de couleur sur des individus réputés Blancs : en d’autres termes un capitaine de couleur ne devait surtout pas commander des miliciens blancs. D’ailleurs, aucun milicien tenu pour Blanc n’a jamais accepté de servir au sein des milices sous les ordres d’un homme réputé de couleur. À la même époque, dans les villes d’Europe, il n’était pas plus convenable d’exiger qu’un bourgeois serve sous le commandement d’un capitaine dont le statut social était considéré inférieur30.
27Le tournant du xviie siècle vit donc s’établir durablement aux Amériques une tension entre deux dynamiques liées, d’une part le foisonnement économique et social des villes, dans lesquelles les pouvoirs centraux et les élites locales devaient s’appuyer sur des libres de couleur qui étaient des garants de la maîtrise du territoire, ou des acteurs économiques de premier plan, et d’autre part la quête perpétuelle d’un ordre social urbain marqué par une colorisation plus ou moins forte des façons de dire les hiérarchies sociales. Plus la possibilité de s’élever socialement existait pour les premiers, plus la nécessité d’instaurer des distinctions grandissait chez les élites traditionnelles. Ainsi, la ségrégation des compagnies de milice par la couleur se situe toujours au croisement de ces deux dynamiques, qui faisaient intervenir couleur et réputation dans des contextes démographiques et politiques qui encourageaient à la fois la négociation des acteurs et certaines formes de mobilité sociale.
28Tout en séparant les individus selon un principe hiérarchique exprimé par les lexiques du métissage et de la couleur, la ségrégation consacrait la milice comme le principal espace de reconnaissance politique des élites de couleur américaines. C’est ainsi que, paradoxalement, ce fut dans les espaces coloniaux où la monarchie avait le plus fréquemment besoin de les récompenser que certains mulâtres ou Noirs libres, jusque-là totalement associés à la république des Espagnols par opposition à la république des Indiens31, furent amenés à constituer entre eux un groupe social autour d’une compagnie. L’éviction des mulâtres tendait alors à renforcer leur visibilité en tant que groupe distinct des Espagnols, ces derniers étant par conséquent désignés comme Blancs. Si Pedro Cano Pinzón était rarement désigné comme mulâtre dans les sources, son fils, lui, le fut presque toujours.
29En même temps, la ségrégation des milices donnait la possibilité aux libres de couleur de former un groupe social reconnu dans la société corporatiste d’Ancien Régime, et ainsi de participer aux privilèges de la ville. En effet, il est important de souligner que cette ségrégation ne fut jamais le résultat d’un refus de servir ensemble : la séparation n’était pas pensée par les contemporains selon un principe d’exclusion (au sens d’une mise au ban de la société) mais selon un clair principe de hiérarchie (chacun à son rang). Or cette hiérarchisation du corps social impliquait aussi des formes d’inclusion sociale et civique des libres de couleur, pensés comme des subalternes, au sein de la république des Espagnols. En témoignait la participation des compagnies de couleur aux nombreux défilés organisés lors des cérémonies politico-religieuses des villes espagnoles32. La milice mettait ainsi en scène les « bras armés » du corps politique33. En représentant le corps mystique de la république (corpus reipublicae mysticum), elle exaltait un principe unanime de hiérarchie, facteur d’incorporation urbaine34.
30On retrouve à nouveau ces logiques à l’œuvre dans les séparations qui eurent lieu aux xviie et xviiie siècle dans certaines villes au sein de confréries ou de corporations de métier35. Ce fut le cas de la confrérie de Notre-Dame-du-Rosaire du couvent des Mercédaires de Santiago de Guatemala, qui se divisa au xviie siècle entre une confrérie des Espagnols et une confrérie des libres de couleur. Ce fut encore le cas de la corporation des ciriers et des confiseurs de Puebla, en Nouvelle-Espagne, divisée en 172136. Malgré sa qualité de mulâtre, le maître Nicolas Bertel souhaitait accéder aux plus prestigieuses fonctions d’une corporation dominée par des Espagnols, et c’est en mobilisant un réseau dense parmi les artisans de la ville qu’il en obtint la division37. Comme dans le cas de la compagnie des mulâtres de Panama, l’apparition de cette corporation séparée, loin de signifier une exclusion sociale des ciriers de couleur, apparaissait comme le seul moyen de récompenser les mérites et la réputation de l’un d’entre eux sans s’affranchir de certains principes hiérarchiques. Au même moment, le même Nicolas Bertel était également major du régiment de couleur de Puebla et colonel des milices de couleur de Nouvelle-Espagne.
Le stigmate de la roture
31L’émergence de la couleur comme l’un des principaux registres discursifs mobilisés pour exprimer les hiérarchies sociales fut évidemment une conséquence de la perception des différents phénotypes, ainsi que de l’équivalence supposée, dès la fin du xvie siècle, entre Noir et esclave. Mais elle fut également une conséquence du rapport à l’impôt de la plupart de ceux qui n’étaient pas considérés comme Européens. Nous avons déjà dit que le dernier tiers du xvie siècle s’ouvrait sur une nouvelle étape de la colonisation marquée par la territorialisation des acquis de la conquête. Cette nouvelle étape fut également celle de l’exploitation des ressources naturelles et de l’organisation de la levée des droits royaux. La couronne, déjà informée de la catastrophe démographique qui frappait les communautés indigènes (causée par les guerres de conquête, le travail forcé et le choc microbien), ainsi que de l’enrichissement de certains libres de couleur, prit en 1574 le parti d’étendre à ces derniers le tribut que payaient déjà les Indiens38. Cette décision fit basculer irrémédiablement les libres de couleur du côté des vaincus de la conquête, en même temps qu’elle instituait la macule de l’esclavage et l’origine vile et roturière des mulâtres.
32Car les conquérants espagnols et leurs descendants parvinrent progressivement, au cours du xvie siècle, à faire reconnaître comme une preuve de noblesse l’exemption fiscale dont ils bénéficiaient depuis 149939, en s’appuyant sur l’établissement du tribut des Indiens, puis des libres de couleur. Ce processus était d’autant plus facile à légitimer que le rapport à l’impôt constituait un élément central de la distinction entre patriciens et plébéiens, tant dans la société castillane que dans la plupart des sociétés indigènes conquises ou des sociétés d’origine des esclaves40.
33Les Espagnols ne furent pourtant pas les seuls exemptés du tribut. Pendant la conquête, les alliances militaires nouées avec certaines communautés indigènes ou marrones prévoyaient leur exemption. Plus tard, la grande précarité de certains espaces impériaux plaçait les miliciens de couleur dans une position favorable pour négocier à leur tour des exemptions fiscales. En théorie, les miliciens n’étaient pas rétribués ou indemnisés, mais la monarchie reconnaissait une situation exceptionnelle, appelée guerre vive41. Cette situation juridique, définie dans l’Empire espagnol par un décret royal du 11 mai 1644, exemptait les officiers de la media annata (droit à acquitter pour tout emploi conféré par le roi) et permettait aux soldats et aux miliciens qui se trouvaient continuellement les armes à la main de prétendre à une indemnité royale (socorro). Dans le cas précis des milices de couleur, l’indemnité était substituée par l’exemption collective du tribut. Ce fut le cas à Lima dès 163142. À la fin du xviie siècle, l’exemption concernait presque toutes les compagnies des Antilles, des côtes de la Terre Ferme et du littoral pacifique43. Dans d’autres espaces, des exemptions furent aussi obtenues à titre individuel par des officiers et des soldats. L’exemption était accordée d’autant plus facilement que les officiers du Trésor ne parvenaient pas toujours à collecter le tribut des gens de couleur, et que l’ordonnance royale de 1574 était restée lettre morte dans bien des cas44.
34Toutefois, contrairement à l’ordonnance royale de 1499 concernant les Espagnols, ces exemptions collectives ou individuelles ont agi comme des dispenses de qualité et partant n’ont jamais donné lieu à aucune forme de « blanchiment ». L’exemption affirmait autant le mérite de l’intéressé que sa condition d’origine, celle de tributaire, associée dans les mentalités à celle de roturier. Le lien entre couleur et roture est en effet primordial pour saisir les processus de ségrégation dans les milices. Car c’est précisément l’assujettissement à l’impôt de celles et ceux qui n’étaient pas réputés Espagnols qui, associé à la perception des différents phénotypes, fit émerger la question de la couleur – dès le dernier tiers du xvie siècle – comme l’un des éléments constitutifs des hiérarchies coloniales.
35En ce sens, l’émergence de compagnies de couleur en Amérique espagnole témoigne aussi bien de l’essor des élites « colorées » que de l’apparition d’un plafond de verre pour les individus réputés Noirs ou mulâtres, où la couleur, associée dans les mentalités à une condition vile ou servile, pouvait être invoquée à tout moment comme un facteur discriminant. Mais ce sont les tendances sociologiques qui définissent un plafond de verre, et on observe de nombreuses exceptions. Silvia Espelt-Bombín a ainsi montré qu’à Panama, certains mulâtres obtiennent des charges de notaire en dépit de leur qualité, tandis qu’elles sont refusées à d’autres en raison de cette dernière. La différence entre les premiers et les derniers se jouaient au niveau des ressources qu’ils pouvaient mobiliser pour obtenir l’office. Il n’en reste pas moins que des candidats reconnus pour leurs compétences se sont vu exclure d’une profession pourtant déjà assez peu honorifique45.
36Face à ces classements dynamiques, la capacité des individus à obtenir des privilèges et des offices publics dépendait moins, en fin de comptes, de leur phénotype, que de ce que les sources de l’époque appelaient la « qualité » (calidad). La qualité était définie aux Amériques par un ensemble de variables : le phénotype bien sûr, en lien avec les manières locales de dire et de classer l’aspect physique, mais aussi le rapport à l’esclavage, la légitimité de la naissance, le lieu d’origine, l’insertion dans les réseaux locaux, le métier, les pratiques culturelles, le lieu de vie ou de travail, le capital économique, etc. Pourtant, aux Amériques, la qualité s’exprime volontiers à travers les riches langages du métissage ou des couleurs46. Or, le recours fréquent à ces lexiques tend à dissimuler des mécanismes complexes de domination sociale et politique.
37En effet, les historiographies sur les mondes coloniaux espagnols ont trop souvent étudié ces lexiques comme des langages performatifs, consacrant les synonymies entre Noir et esclave, ainsi qu’entre Noir et pauvre. On retrouve en effet ces équivalences dans les sources, expliquées par la macule indélébile de l’esclavage. Mais cette rhétorique, réactualisée par des travaux états-uniens qui exportent à l’international une analyse des sociétés coloniales en noir et blanc, passe complètement sous silence l’émergence d’élites de couleur socialement reconnues comme telles. Le cas de Pedro Cano et de son fils a pourtant permis de démontrer que couleur, liberté, richesse et honneurs n’étaient pas nécessairement contradictoires. L’attention prêtée aux élites de couleur permet d’ailleurs de mieux comprendre la colorisation croissante des manières de dire les hiérarchies coloniales. Car c’est précisément l’ouverture des espaces honorifiques à des groupes subalternes, indispensables au bon fonctionnement d’un gouvernement à distance, qui a généré le besoin de fixer des limites théoriques à leur ascension. La couleur s’est peu à peu constituée comme une ressource discursive mobilisable par les élites blanches, afin de naturaliser leur supériorité vis-à-vis de nouvelles élites locales. C’est particulièrement vrai quand les marchés locaux des honneurs et des offices publics sont tendus, et que la seule richesse ne suffit plus à les acheter. C’est pourquoi certaines villes de l’Amérique espagnole ne connurent jamais de capitaines de couleur et donc de compagnies de couleur.
Cartographier les compagnies de couleur
38Afin de mieux saisir les contextes de création des premières compagnies de couleur à une échelle atlantique, une base de données a été constituée avec, pour chaque ville concernée, leur date de création ou leur plus ancienne mention dans les sources. Cette base recense et cartographie toutes les compagnies qui ont existé, tous empires confondus, de la fin du xvie siècle à la guerre de Sept Ans (tableau en annexe). Elle repose sur la bibliographie et sur des sources issues d’une vingtaine de centres d’archives européens et américains47. Cette base de données révèle l’antériorité de l’expérience espagnole. Alors que le recours à des compagnies de couleur devient une pratique habituelle des villes de l’Empire espagnol au xviie siècle, y compris à Cadix ou aux îles Canaries48, il faut attendre le xviiie siècle pour observer un tel développement dans les autres Empires américains. Malgré quelques expériences précoces, comme à Recife, l’essor des compagnies de couleur du Brésil eut lieu principalement à Bahia et au Pernambouc à partir des années 1710, puis au Minas Gerais après la guerre de Sept Ans. De même, on n’en trouve qu’à partir des années 1690 dans l’Empire français, des années 1710 dans l’Empire néerlandais, des années 1720 dans l’Empire danois. Dans l’Empire britannique, elles n’apparaissent durablement qu’après la guerre de Sept Ans.
Le Brésil
39La première moitié du xviiie siècle a probablement été la moins étudiée par les études consacrées aux milices de couleur américaines. C’est pourtant à ce moment qu’on observe l’apparition puis l’institutionnalisation de nombreuses compagnies de couleur dans cinq des six Empires américains. Le précédent espagnol constitue alors une référence dans un contexte qui voit les guerres s’intensifier, notamment dans le bassin Caraïbe. Face à une crise générale des communications maritimes, surtout entre les métropoles et leurs colonies, les gouverneurs misent de plus en plus sur les populations locales pour défendre ces dernières, et notamment sur les compagnies de couleur.
40Au Brésil, des Noirs et des mulâtres s’illustrèrent très tôt par les armes, comme Manuel Gonçalves Doria, actif dans les guerres de Bahia (1624-1625), qui parvint à devenir chevalier de l’ordre de Santiago en 162849. Lors de l’invasion hollandaise du Nordeste sucrier (1630-1654), des milícias de homens de cor regroupant à la fois des libres et des esclaves furent créées au Brésil et placées sous les ordres d’un Noir libre créole du Pernambouc, Henrique Dias50. En 1645, ce héros des guerres contre les Hollandais fut même envoyé par la monarchie portugaise en Angola avec cent de ses hommes pour y chasser les Hollandais51. Mais en dehors de Recife, où le Terço de Henrique Dias fut maintenu après la guerre52, et de la capitainerie de Bahia, où l’on voit apparaître plusieurs compagnies de pretos et pardos au courant des années 1660, peu de compagnie de couleur furent formées au Brésil avant le tournant du xviiie siècle.
41Plusieurs compagnies de couleur furent créées à Rio de Janeiro en 1695 et 1698, puis à Sao Paulo au moment des incursions françaises de 1710-1711 sur Rio de Janeiro53. L’apparition de compagnies de couleur en dehors des capitaineries de Bahia et Pernambouc marqua le début d’une longue série de création dans l’ensemble du territoire brésilien (carte 4). Une compagnie de Noirs libres a existé à Luanda dès les années 167054, mais là encore, la plupart des compagnies de couleur de l’Afrique portugaise sont apparues au xviiie siècle, comme celle de São Tomé, mentionnée dans un document daté de 173255. Quant au Portugal, Didier Lahon a montré qu’aucun corps militaire composé exclusivement de gens de couleur n’y avait jamais été constitué, contrairement au cas de l’Espagne56.
Carte 4. – Les compagnies de couleur au Brésil en 1763.

Source : Baptiste Bonnefoy.
L’Amérique française
42Les premières compagnies de couleur de l’Empire français sont apparues au tournant du xviiie siècle. En 1703, pendant le siège de la Guadeloupe par les Anglais, l’intendant de l’île écrivait « qu’une compagnie de nègres qu’on avait […] armé au nombre de 40 à 50 [avait] fait plusieurs bonnes actions57 ». Plusieurs observateurs du siège – dont le père Labat – évoquèrent les exploits du Noir libre Jean La Perle, capitaine des nègres libres58. Ce dernier est à nouveau mentionné avec son grade dans les actes paroissiaux de Basse Terre : « Le 18 novembre 1722 a été inhumé dans le cimetière Marie négresse libre fille de La Perle, nègre libre et capitaine d’une compagnie des nègres libres59. » Cette compagnie a toutefois disparu à la fin de la guerre et aucune autre ne fut créée dans l’île avant le nouveau siège britannique de 175960.
43À la Martinique, les libres de couleur servaient depuis les débuts de la colonie dans les compagnies d’habitants61. Ils étaient regardés par les autorités coloniales comme « propres aux corvées fatigantes [et] bons soldats de milice62 ». En 1723, le gouverneur fit part de son projet de lever des compagnies permanentes de libres de couleur pour lutter contre le marronage : « Il seroit necessaire d’en former des compagnies commandées par capitaine, lieutenant, et enseigne choisis entre eux. Il faudroit destiner ces compagnies à aller à la chasse des negres marons […] On pourroit permettre aux seuls capitaines de porter l’épée par distinction63. » Plusieurs compagnies de couleur furent en effet créées au milieu des années 1720, toutefois leurs officiers furent choisis dès le départ parmi les Blancs64. Cette exception martiniquaise s’inscrivait, comme nous le verrons plus tard, dans un contexte local de forte tension du marché foncier et d’un durcissement à la fois législatif et social vis-à-vis des libres de couleur. En 1760, l’île comptait déjà cinq compagnies de nègres libres, toutes dirigées par des officiers blancs65.
44En Guyane, une revue générale des milices de 1744 faisait déjà état d’une « compagnie de mulâtres et nègres libres » à Cayenne66. Cette compagnie était localement et improprement nommée « maréchaussée » car les habitants avaient entendu dire qu’à Saint-Domingue, les gens de couleur servaient comme archers dans des brigades de maréchaussée67. La maréchaussée de Cayenne poursuivait les Marrons et patrouillait le long des rivières, à bord de canots.
45Une compagnie de Noirs libres a également existé à la Louisiane dans les années 1730. Lors de la campagne de 1736 contre les Indiens Chicachas, le gouverneur Bienville donna le détail de ses troupes, parmi lesquelles « les troupes noires étaient de quarante-cinq hommes, commandées par des nègres libres68 ». Dumont de Montigny a laissé en 1753 un récit de cet épisode, dans lequel il rend compte de la bravoure du « nègre libre nommé Simon, capitaine de la compagnie des nègres libres69 ». La compagnie participa en 1739 à une nouvelle expédition contre les Chicachas70, puis on perd définitivement sa trace.
46Bien que des compagnies de couleur soient apparues à la Guadeloupe, à la Martinique, en Guyane et en Louisiane, c’est dans la partie française de Saint-Domingue qu’elles eurent le plus de succès au cours de la première moitié du xviiie siècle. Selon Exquemelin, les premières auraient été levées en 1697 pour le siège de Carthagène par les noirs libres Jeanot (Léogane) et Pierre d’Imba (Le Cap)71. Cependant un certain David est mentionné par Charlevoix comme « commandant des nègres libres du Cap » dès 169572. Il est en effet possible qu’elles se soient formées plus tôt, comme en témoigne la première mention d’un officier de couleur dans les registres paroissiaux de Saint-Domingue : le 18 décembre 1699 était enterré à l’Ester (Léogane) le corps de « Jacques Sambourg, capitaine des nègres libres73 ».
Carte 5. – Les compagnies de couleur à Saint-Domingue en 1750.

Source : Baptiste Bonnefoy à partir de King (2011), Garrigus (2006), ANOM COL D2C115 et registres paroissiaux de Saint-Domingue.
47Au cours de la première moitié du xviiie siècle, une dizaine d’autres compagnies de couleur furent créées à Saint-Domingue (carte 5). Le tableau 1 recense les diverses mentions d’officiers de couleur repérées dans les actes paroissiaux de Léogane avant la guerre de Sept Ans. Il montre que ces compagnies furent loin d’être éphémères ou socialement insignifiantes.
Tableau 1. – Officiers de couleur dans les registres paroissiaux de Léogane (1690-1765).
Date de l’acte | Nom de l’officier | Qualité | Grade |
18/12/1699 | Jacques Sambourg | Nègre libre | Capitaine des nègres libres |
24/03/1714 | Jean César | Nègre libre | Capitaine des nègres libres |
17/11/1715 | Jean Hoanille | Nègre libre | Major des nègres libres |
10/05/1723 | François Nicas | Nègre libre | Capitaine des nègres libres |
24/11/1723 | François Robert Coffy | Nègre libre | Major des nègres libres |
21/07/1737 | Charles René Boursicot | Mulâtre libre | Capitaine des mulâtres libres |
26/12/1740 | Martin Boyer | Nègre libre | Capitaine des nègres libres |
13/05/1748 | Mathurin Gottereau | Nègre libre | Enseigne de nègres libres |
18/05/1750 | Antoine César | Nègre libre | Capitaine des nègres libres |
20/04/1755 | Louis Lefèvre | Mulâtre libre | Capitaine des mulâtres libres |
02/09/1756 | Jean Baptiste Fougui | Nègre libre | Ancien capitaine des nègres libres |
02/08/1757 | Jean François Lefèvre | Mulâtre libre | Capitaine des mulâtres libres |
30/11/1758 | François Alexandre | Nègre libre | Ancien lieutenant des nègres libres |
27/06/1765 | Charles Jouneau | Mulâtre libre | Ancien lieutenant des mulâtres libres |
48La création des compagnies de couleur n’impliquait pas une séparation systématique entre les Blancs et les libres de couleur puisqu’en 1718, on trouvait encore 16 % de miliciens noirs et mulâtres qui servaient dans les compagnies d’habitants de Léogane74. Par ailleurs, les détachements de miliciens constitués ponctuellement pour la chasse des Marrons continuaient d’être mixtes75. L’étude des premières compagnies de couleur de l’Empire français montre les liens qui existaient entre les équilibres démographiques et l’organisation des milices. La milice des Cayes-Jacmel, dans la partie sud de Saint-Domingue, en offre un bel exemple. En 1731, le gouverneur passa en revue l’unique compagnie de la paroisse, composée d’une soixantaine de miliciens, et jugea qu’on y trouvait : « peu de Blancs de Sang pur car tous les habitants [étaient] mulâtres ou en [devenaient]76 ». Le manque de Blancs explique pourquoi aucune compagnie de couleur n’y fut créée avant les années 1760 – et donc aucune compagnie de Blancs. C’est pour les mêmes raisons que l’île française de Sainte-Lucie ne connut pas de compagnie de couleur avant 1765, alors que dès 1745 les libres de couleur représentaient un tiers des miliciens77. Pour qu’une ville se dota de compagnies séparées, il fallait donc qu’il y eut suffisamment d’hommes libres réputés de couleur, et surtout suffisamment de Blancs. Toutefois cette condition était loin d’être suffisante : vers 1750, il n’y avait pas encore de compagnie de couleur à Nippes, dans le sud de Saint-Domingue, alors que les recensements laissent penser qu’il aurait pu y en avoir une au moins depuis les années 172078.
Les Indes hollandaises et danoises
49C’est également au cours de la première moitié du xviiie siècle que les Hollandais et les Danois formèrent leurs premières compagnies de couleur américaines, commandées par des gens de couleur (carte 6). En 1710, lors de la guerre de succession d’Espagne, trois compagnies de libres de couleur et trois compagnies d’esclaves furent levées dans l’urgence à Curaçao pour faire face à une éventuelle attaque française. Ces compagnies furent immédiatement dissoutes à la fin de la guerre, mais à la fin des années 1730, deux compagnies permanentes furent créées, l’une de Noirs libres aux ordres d’Anthonij Claasz puis de son gendre Anthonij Beltran, l’autre de mulâtres aux ordres de Jan van Loenen. Elles étaient mobilisées pour la surveillance nocturne des littoraux et du faubourg d’Ortobanda, et contre les esclaves fugitifs qui tentaient de traverser les cinquante kilomètres séparant Willemstad de Coro, où les lois espagnoles leur garantissaient théoriquement la liberté79. Au Surinam, une compagnie de Noirs libres fut également créée en 1749, puis une compagnie de mulâtres en 177080.
Carte 6. – Les compagnies de couleur aux Antilles en 1756.

Source : Baptiste Bonnefoy.
50Aux Indes danoises, une première compagnie de Noirs libres (Frinegerkompagniet) fut levée en 1721 à Saint-Thomas par le gouverneur Erich Bredal. L’affranchi Mingo Tamarin la commanda jusqu’en 1765, puis ce fut le tour de son fils Peter. C’est Mingo Tamarin qui réprima la révolte des esclaves de l’île de Saint-Jean en 1733, puis celle de l’île de Sainte-Croix en 174681. À Sainte-Croix, la menace était telle que le nouveau gouverneur, Jens Hansen, décida de doter l’île de sa propre compagnie de Noirs libres en 1748. Cette dernière fut dirigée par le Noir libre Peter Tongelo, puis par son fils Mingo82.
Les Antilles britanniques
51Au milieu du xviiie siècle, les compagnies de couleur constituaient déjà une institution coloniale caribéenne. C’est pourquoi le cas des Antilles britanniques est tout à fait exceptionnel. Certes, comme ailleurs aux Amériques, les libres de couleur étaient réputés miliciens. Mais il faut attendre les années 1760 pour voir se développer durablement des compagnies de couleur83.
52La Jamaïque a pourtant compté quelques tentatives, dans les moments de guerre ou de grand danger. En 1663, peu de temps après la conquête de l’île sur les Espagnols, les Anglais y avaient créé un régiment de milice de Noirs libres (black regiment). Cette unité était chargée de mettre fin à la guérilla menée au nord de l’île par des miliciens espagnols – dont la compagnie du capitaine noir Domingo Rolón84. Le black regiment disparut l’année suivante, à la mort de Juan de Bolas, son colonel noir85. Par la suite, l’île ne connut qu’une seule autre compagnie de couleur, dans les années 1730, alors qu’une nouvelle guerre contre les Noirs Marrons secouait l’île. Le gouverneur Robert Hunter avait confié le commandement d’une compagnie à William Cuffy, un Noir libre également connu sous le nom de capitaine Sambo86. Mais une fois de plus, cette compagnie fut dissoute à la fin de la guerre et aucune autre ne fut créée avant la guerre de Sept Ans. Dès lors, comment expliquer l’essor des compagnies de couleur à Saint-Domingue dans la première moitié du xviiie siècle et leur quasi-absence en Jamaïque ? Bien qu’il faille manier ces chiffres avec précautions, précisons que la part des libres de couleur parmi les libres apparaît dans les recensements de l’époque et sur toute la période comme beaucoup plus faible à la Jamaïque qu’à Saint-Domingue : 10 % à la Jamaïque en 1730 pour 24 % à Saint-Domingue en 1732. Ce dernier chiffre monte à 31 % dans la partie de l’île qui dépend de Petit Goave, celle-là même où on observe le plus grand nombre de compagnies de couleur87.
53Trois éléments permettent de mieux comprendre cette différence. Le premier est lié à la définition juridique originale de ce que signifiait être de couleur et être blanc à la Jamaïque : « Du mélange du noir parfait et du blanc parfait vient le mulâtre [mulattoe]. […] Les quarterons [quadroons] procèdent d’un blanc et d’une mulâtresse. […] Les suivants, les mestees, naissent des rapports d’un blanc et d’une quarteronne. Et la progéniture d’une mestee et d’un blanc est considérée, selon les lois de l’île, comme parfaitement blanche et libre88. » Il s’agissait en fait d’une forme de naturalisation dans une colonie où les libres de couleur étaient assimilés à des sujets adoptés ou adoptifs, des intermédiaires entre l’étranger (alien) et le sujet naturel (natural born ou naturalized)89. Dans les registres paroissiaux de la Jamaïque, on observe que les enfants de Blancs et de mestees (et souvent de quadroons) n’étaient plus catégorisés comme gens de couleur. Par conséquent, ils pouvaient obtenir des commissions d’officier dans les compagnies de milice, qui furent mixtes à la Jamaïque jusque dans les années 1760. Prenons l’exemple plus tardif mais emblématique de James Austin, qui était en 1791 lieutenant de la sixième compagnie (compagnie de Noirs libres) du premier bataillon de milice de Kingston90. Pour obtenir cette commission de lieutenant, James Austin dut justifier qu’il était Blanc – c’était d’autant plus vrai à cette période. Son acte de baptême stipulait : « James, fils d’Ann Baines par James Austin, né le 23 juillet et baptisé le 11 septembre 177191. » En revanche, celui de sa mère indiquait : « Ann Baines, fille de Grace Graham, une mulâtresse libre, par James Baines, née le 24 août 1755 et baptisée le 27 janvier 175692. » Or cette situation n’apparaissait pas comme contradictoire à la Jamaïque.
54Le deuxième élément est lié à la faible importance accordée dans la Caraïbe britannique aux commissions de milice comme moyen de récompenser les libres de couleur qui jouissaient d’une position sociale et économique privilégiée et reconnue par tous dans la colonie. Les élites locales leur préféreraient un acte de naturalisation ou Acts to Entitle Someone to the Same Rights and Privileges with English Subjects Born of White Parents – appliqués pour des Juifs dès 1707 et pour des libres de couleur dès 171193. Ces actes leur permettaient d’ailleurs de solliciter des commissions d’officier dans la milice. Du reste, et à quelques exceptions près (desquelles la Jamaïque ne faisait pas partie), la milice en tant qu’espace de sociabilité urbaine et de prestige social avait connu un long déclin dans l’Empire britannique à partir du xviie siècle, malgré les tentatives politiques pour la réactiver94.
55Enfin, le dernier élément est lié au rôle même des milices, qui était limité à la Jamaïque à la défense contre les ennemis intérieurs, l’île étant par ailleurs bien protégée par des troupes régulières, ce qui était peu commun dans les colonies américaines de l’époque moderne.
56Par conséquent, le fait qu’il n’ait pas existé de compagnies ségréguées de couleur aux Antilles britanniques avant 1763 ne doit pas laisser penser que l’inclusion des libres de couleur au sein des milices y a été plus importante. La création de compagnies de couleur ne traduisait pas une logique d’exclusion mais une logique hiérarchique. Or, nul besoin de compagnies séparées pour créer, au sein des milices, des espaces de distinction fondés sur la supériorité des Blancs. En témoignent les compagnies mixtes de Saint-Domingue avant 1763 où on observe au sein d’une même compagnie un « service des Blancs » et un « service des Noirs95 ». En 1731, des administrateurs proposèrent même de lutter contre les mésalliances en menaçant les Blancs qui épousaient des femmes de couleur de servir « avec les Noirs » dans les milices96. De la même manière, dans la seconde moitié du xviiie siècle, les règlements de certaines compagnies mixtes des Antilles britanniques ordonnaient que les libres de couleur soient appelés en dernier lors des revues, qu’ils portent un uniforme différent et qu’ils soient le plus éloigné possible des postes honorifiques97.
Conclusion
57L’étude à la fois quantitative et qualitative de la genèse et de l’essor de compagnies de couleur aux Amériques a révélé l’antériorité de l’expérience espagnole. Dès lors, et jusqu’à la fin du xviiie siècle, l’Amérique espagnole servit à la fois de modèle et de contre-modèle dans les discours des autres empires sur le milicien de couleur. Certains regardèrent avec admiration la capacité des Espagnols, dès la fin du xviie siècle, à résister aux attaques en comptant principalement sur leurs milices, autrement dit sur les populations libres locales. La défense de Carthagène face aux Britanniques en 1741 en constitua le point d’orgue. Au xviiie siècle, des administrateurs français comme Larnage, Maillard, Bory, Langeron ou Estaing louèrent les vertus d’un modèle espagnol où métissage et facilité des affranchissements avaient permis de fortifier des colonies imprégnées d’un vif patriotisme monarchique.
58D’autres y virent le vil résultat d’une société trop métissée, fondée sur le libertinage des blancs et la généralisation de la bâtardise. Un gouverneur britannique d’Antigua écrivait ainsi au sujet de Porto Rico : « [L’île] compte 25 000 habitants, dont très peu sont Espagnols ou descendants d’Espagnols, car la plupart d’entre eux sont des mulâtres, quarterons et nègres libres, formant un peuple grossier et barbare98. » Et Saintard de renchérir côté français : « Le génie noble des Castillans n’a point passé les mers ; presque toute la colonie Espagnole est formée par des Mulâtres et des Métifs, que l’oisiveté abâtardit encore99.» Contre les tenants d’une dégénérescence américaine de l’homme européen100, certains créoles pensaient pouvoir conserver leur européanité et leur couleur sous les tropiques en prenant les précautions nécessaires : punir le libertinage des maîtres et limiter les affranchissements. Dans les années 1730, le jésuite Jean-Baptiste Le Pers (1951, p. 75-76), qui vécut à Saint-Domingue, jugeait absurde cette peur de déchoir :
« Notre but, dit-on, est de conserver plus long tems la couleur blanche parmi nous, quoiqu’un peu plus tôt, un peu plus tard, le sort des peuples entre les deux tropiques sera d’etre bruns ou basanés ; c’est-à-dire de tenir une espèce de milieu pour la couleur, entre le blanc et le noir. Les Espagnols en sont déjà presque tous là et nous commençons nous-mêmes à l’éprouver parmi notre populace. Je suis actuellement dans une paroisse des montagnes nommée Sainte-Rose où il y a une vingtaine de mulatresses à marier, sept ou huit negresses libres, et trois ou quatre filles blanches seulement101. »
59Cette peur provenait, selon Le Pers, de l’image que renvoyaient les sociétés coloniales espagnoles, contre-modèle par excellence : « Il semble qu’on affecte depuis quelques temps dans nos Colonies de prendre en tout le contrepied des Espagnols. » En 1730, quand la Cour amenda le Code noir et décida de ne permettre les affranchissements à Saint-Domingue qu’avec la permission du gouverneur, Le Pers prit la défense du modèle espagnol qui seul permettait, selon lui, de peupler les colonies d’hommes libres en nombre suffisant pour les défendre :
« Parmi ces derniers non seulement les maîtres ont toute liberté de disposer de leurs esclaves, mais encore un esclave peut s’affranchir malgré son maître en lui paiant une certaine somme reglée par la coutume. Leur vue est de se fortifier par toute sorte de moiens contre nous, et ils y réussissent parfaitement. […] On prive la Colonie d’un grand nombre de bons soldats, en la privant de nègres libres qui sont gens à tout, accoutumés aux bois et aux montagnes où on les occupe la moitié du tems à donner la chasse aux nègres esclaves fugitifs. Ce sont les valets de la Colonie et on semble craindre d’en avoir trop, pendant que dans toute la Plaine du Cap et ailleurs on ne s’embarrasse pas d’y voir le nombre des esclaves décuple de celui des personnes libres. Il est cependant certain que s’il survenoit quelque brouillerie entre nous et les Espagnols nous aurions autant à craindre de la part de nos esclaves que lieu d’espérer que les nègres libres, s’il y en avoit trois ou quatre mille dans notre colonie pourroient sans que les blancs s’en melassent aller planter nos bornes aux portes de la ville de Saint-Domingue, au lieu que les nègres libres Espagnols qui sont pour la plupart François d’origine pourront bien un jour en venir planter d’autres à l’entrée du Cap François […]102. »
60Modèle ou contre-modèle, il n’en demeure pas moins que l’Amérique espagnole constitua jusqu’à la fin du xviiie siècle la principale référence des autres Empires européens. Les archives jamaïcaines conservées à Kew traduisent même une réelle obsession espagnole. Il n’est pas question ici d’essentialiser un modèle impérial espagnol qui n’eut véritablement de sens qu’en ce qu’il constitua, dans les colonies des autres empires, un faisceau de préjugés plus ou moins établis. Mais loin des chroniques d’une mort annoncée, c’est précisément cette « perception asymétrique » – liée à l’extension de l’Empire espagnol et à l’antériorité de son expérience – qui invitait l’historien Eliga Gould à désigner, encore à la fin du xviiie siècle, les Amériques britanniques, françaises, hollandaises ou danoises comme des « périphéries espagnoles103 ».
Notes de bas de page
1 Descimon Robert, « Milice bourgeoise et identité citadine à Paris au temps de la Ligue », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 48, no 4, 1993, p. 885-906.
2 Vinson III Ben, Bearing Arms for His Majesty: The Free-Colored Militia in Colonial Mexico, Mexico, Stanford University Press, 2001, p. 16-18.
3 Vargas Machuca Bernardo de, Milicia y descripción de las Indias, Madrid, Imprenta de Pedro Madrigal, 1599.
4 AGI, Panama, 17, R.8, N.146, Lettre de Rodrigo de Vivero, gouverneur de Tierra Firme, 30 juin 1624.
5 Ruiz Ibañez José Javier, « Les acteurs de l’hégémonie hispanique, du monde à la péninsule Ibérique », Annales. Histoire, Sciences sociales, vol. 69, no 4, 2014, p. 927-954.
6 AGI, Panama, 16, R.8, N.95, Lettre du gouverneur Diego Fernández de Velasco du 6 mai 1616. Le terme créole est polysémique. Au départ, il est seulement utilisé pour désigner les enfants nés aux Indes de parents espagnols, d’où la distinction entre Créoles péninsulaires. C’est pourquoi les historiens parlent souvent d’élites créoles en référence aux élites blanches nées aux Amériques. Les sources livrent parfois un sens plus général, comme ici, se référant à toute personne née aux Indes de parents non indiens, parmi lesquels des esclaves ou des libres de couleur.
7 Voir l’exemple du peuplement du Bajío, en Nouvelle-Espagne, analysé dans Tutino John, Making a New World: Founding Capitalism in the Bajío and Spanish North America, Durham, N.C., Duke University Press, 2011.
8 Lane Kris E., Pillaging the Empire: Piracy in the Americas 1500-1750, Armonk/New York, M.E. Sharp, 1998 ; Díaz Blanco José Manuel, « La Carrera de Indias (1650-1700): Continuidades, rupturas, replanteamientos », e-Spania, no 29, 2018, [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/e-spania/27539].
9 AGI, Santo Domingo, 197A, R.3, N.39, Indice des provisions royales envoyées au gouverneur de Mérida, 1686.
10 AGI, México, 1070, L.20, Provision royale du 6 juillet 1663, f. 5v.
11 AGI, Panama, 19, R.1, N.9, Lettre du gouverneur Sebastián Hurtado de Corcuera, le 7 juillet 1634, fnn.
12 AGI, Panama, 64A, N.7, Informations sur les mérites de Pedro Cano Pinzón, 1628.
13 Twinam Ann, Purchasing Whiteness: Pardos, Mulattos, and the Quest for Social Mobility in the Spanish Indies, Redwood City, Calif., Standford University Press, 2015.
14 Castillero Calvo Alfredo, « Transitismo y depedencia. El caso del Istmo de Panama », Estudios sociales centroamericanos, no 5, 1973, p. 65-114.
15 Pedro Cano est cité à plusieurs reprises dans le poème héroïque La Dragontea de Lope de Vega (1598) qui relate les exploits des Espagnols contre Francis Drake.
16 AGI, Panama, 19, R.2, N.34, Lettre de Enrique Enriquez de Sotomayor, le 15 juillet 1635, fnn.
17 Découragés par l’insalubrité des côtes caraïbes, par ailleurs infestées de corsaires, d’Indiens rebelles et de Noirs Marrons, près des trois quarts des habitants libres de l’isthme résidaient dans la ville de Panama. Comme Veracruz ou Acapulco, Portobelo était ainsi un port d’escale qui s’emplissait et se désemplissait au rythme des galions et des foires. Voir : Hardoy Jorge E. et Aranovich Carmen, « Urban Scales and Functions in Spanish America toward the Year 1600: First Conclusions », Latin American Research Review, t. II, vol. 5, no 3, 1970, p. 57-91 ; Mena García María del Carmen, La sociedad de Panamá en el siglo XVI, Séville, Diputación Provincial, 1984 ; Le Masne Camille, « L’invention de la façade caraïbe centraméricaine : indios, negros, y piratas », Amerika, no 4, 2011, [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/amerika/2210].
18 Newson Linda et Minchin Susie, From Capture to Sale: The Portuguese Slave Trade to Spanish South America in the Early Seventeenth Century, Leyde/Boston, Brill, 2007, p. 193.
19 AGI, Panama, 63A, N.15, Informations sur les mérites de la ville de Portobelo, 1618, fnn.
20 AGI, Escribanía, 452B, Pétition de Francisco de Santana et de Pedro Cano Pinzón, vecinos de Panama, afin d’obtenir une licence commerciale pour l’auberge du Caymito, 1640, fnn.
21 AGI, Panama, 64A, N.7, Information sur les mérites de Pedro Cano Pinzón, 1628, fnn.
22 Vázquez de Espinosa Antonio, Compendio y descripción de las Indias Occidentales, Washington, Smithsonian Institution, 1948, p. 212. La somme indiquée, entre 25 et 30 pesos, équivaut au salaire annuel d’un Indien. Le coût du transport par mule au kilomètre est quarante-quatre fois plus élevé dans l’isthme de Panama qu’entre Veracruz et Acapulco. Voir Castillero Calvo Alfredo, Economía terciaria y sociedad. Panamá en los siglos XVI y XVII, Panama, Impresora la Nación, 1980, p. 80.
23 AGI, Panama, 238, L.17, Provision royale du 31 mars 1658, f. 381r-382v.
24 AGI, Panama, 27, R.2, N.12, Lettre de l’Audiencia de Panama, 21 février 1682, fnn.
25 AGI, Panama, 25, R.4, N.25, Lettre de Alonso de Mercado y Villacorta, président de l’Audiencia de Panama, 27 juillet 1675, fnn.
26 AGI, Panama, 231, L.9, Provision royale du 10 mars 1688, f. 171r.
27 AGI, Panama, 66, N.8a, Titre de capitaine d’une compagnie de milice à José Cano Pinzón, 23 juin 1642, fnn.
28 AGI, Panama, 66, N.8b, Lettre de Pedro Carillo De Guzman, le 4 avril 1654, fnn ; 238, L.17, Provision royale du 31 mars 1658, f. 381r-382v.
29 AGI, Panama, 23, L.18, Provision royale du 3 juillet 1662, f. 219v-220r.
30 Descimon Robert, « Milice bourgeoise… », art. cité, p. 898.
31 En théorie, il existe dans l’Amérique espagnole une séparation juridique entre la république des Indiens et la république des Espagnols. Les esclaves, mais aussi les affranchis et leurs descendants, sont supposés appartenir à cette dernière communauté.
32 Alberro Solange, « Modèles et modalités : les fêtes vice-royales au Mexique et au Pérou, xvie-xviie siècles », Annales. Histoire, Sciences sociales, vol. 62, no 3, 2007, p. 607-635.
33 En 1749, un écrivain italien faisait ainsi dire à son narrateur fictif Enrico Wanton que : « dans le corps mystique de la république, le souverain représente la tête, et les milices armées et en uniforme représente les bras », in Seriman Zaccaria, Viages de Enrique Wanton al país de la monas, t. III, Madrid, Librería de Razola, 1831, p. 294.
34 C’est ainsi que lors des fêtes royales et du défilé militaire organisés en 1718 à Mompox pour célébrer la création de la vice-royauté de Nouvelle-Grenade, un capitaine de couleur met en avant « la noble origine de [sa] compagnie en ce qu’elle participe du corps mystique », AGNC, Colonia, Milicias y Marina, 4, Exp. 98, Pétition de Roque de Ardila, Santa Fe, 23 décembre 1718, f. 1039-1041.
35 Ares Berta, « Les milices de Noirs et de mulâtres à Lima : les débuts (xvie-xviie siècles) », in Carmen Bernand et Alessandro Stella (dir.), D’esclaves à soldats. Miliciens et soldats d’origine servile. xiiie-xxie siècles, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 94.
36 CEHM-Carso, Manuscritos e Impresos Enrique A. Cervantes, Gremios Coloniales de Puebla, XIV-6, Certificat d’examen du maître cirier José Antonio Dabila, 1735, f. 106 ; Certificat d’examen du maître cirier José Miguel de Medina, 1735, f. 107. Voir également AGNM, Indiferente Virreinal, Caja 5910, Exp. 30, Procuration à don Francisco Xavier Rodríguez Calado par Nicolas Bertel, 1725, 2 f.
37 Preuve de ce réseau, Nicolas Bertel a marié presque toutes ses filles, dans les années 1720 et 1730, à des maîtres artisans, comme le maître ferblantier espagnol Don José Rosse y Peralta, le maître cirier pardo Francisco Antonio Salado Somosa, le maître cirier espagnol Don Justo Garcia de Ynostrosa, le peintre espagnol Don Pedro Escalante ou encore le négociant espagnol Don Carlos Miguel de Ocaña. Voir Archivo Parroquial del Sagrario Metropolitano de Puebla, Mariages des Espagnols (1724-1730, 1730-1735, 1735-1741).
38 AGI, Indiferente general, 427, L.30, Provision royale de 1574, f. 248r. Une provision de 1572 avait déjà assujetti les zambos, ou métis d’indiens et de noir. Par ailleurs, il semble qu’à cette date les Noirs et mulâtres libres payaient déjà un tribut en Nouvelle Espagne, voir AGI, México, 1090, L.7, Provision royale du 18 mai 1572, f. 56r-63r.
39 En 1499, les rois catholiques décidèrent d’encourager la mobilité des Espagnols péninsulaires vers les Indes par une exemption générale des l’impôt.
40 Pollack Aaron, « Hacia una historia social del tributo de indios y castas en Hispanoamérica. Notas en torno a su creación, desarrollo y abolición », Hist. mex., vol. 66, no 1, 2016, p. 65-160.
41 Biblioteca nacional de España, Media annata de mercedes, reglas generales para su administracion, benefício y cobrança…, Madrid, Ioseph Fernandez de Buendia, 1664, p. 15.
42 AGI, Lima, 572, L.20, Provision royale du 16 décembre 1631, f. 253.
43 AGI, Chile, 167, L.4, Provision royale du 20 février 1663, f. 340v ; México, 45, N.58, Lettre au roi du Marquis de Mancera, 26 juillet 1671 ; Santo Domingo, 903, L.17, Provision royale du 8 juin 1673, f. 351 ; Santo Domingo, 904, L.20, Provision royale du 20 juin 1694, f. 147.
44 Zúñiga Jean-Paul, « “Muchos negros, mulatos y otros colores”. Culture visuelle et savoirs coloniaux au xviiie siècle », Annales. Histoire, Sciences sociales, vol. 68, no 1, 2013, p. 60.
45 Espelt-Bombín Silvia, « Notaries of Color in Colonial Panama: Limpieza de Sangre, Legislation, and Imperial Practices in the Administration of the Spanish Empire », The Americas, vol. 71, no 1, 2014, p. 37-69.
46 Zúñiga Jean-Paul, « “Muchos negros, mulatos y otros colores”… », art. cité, p. 52.
47 Citons la consultation systématique des Reales Despachos conservés dans les fonds des Tribunaux américains (AGI). Il s’agit de registres qui compilent la correspondance royale destinée aux officiers des Indes de Castille. Citons également les instruments de recherche du Conselho Ultramarino de l’AHU, dont une grande partie des fonds brésiliens ont été numérisés dans le cadre du Projeto Resgate de Documentação Histórica Barão do Rio Brancola, ainsi que la sous-série D2C « Matricules et Revues » des ANOM et la section Colonial America du Calendar of State Paper.
48 On trouve une compagnie de Noirs libres à Cadix dès 1636 et une autre est créée à Las Palmas, aux îles Canaries, en 1677. Voir Morgado García Arturo, « Los libertos en el Cádiz de la edad moderna », Studia histórica. Historia moderna, vol. 32, 2010, p. 431 ; Hernández González Manuel, « La otra emigración canaria a América. Mulatos y negros libres y esclavos (1670-1820) », Revista de Historia Canaria, no 184, 2002, p. 183.
49 Dutra Francis A., « A Hard-Fought Struggle for Recognition: Manuel Gonçalves Doria, First Afro-Brazilian to Become a Knight of Santiago », The Americas, vol. 56, no 1, 1999, p. 91-113.
50 Silva Luiz Geraldo, « Sobre a “etnia crioula”: o Terço dos Henriques e seus critérios de exclusão na América portuguesa do século XVIII », in Andréa Lisly Gonçalves, Cláudia M. das Graças Chaves et Renato Pinto Venâncio (dir.), Administrando Impérios: Portugal e Brasil nos séculos XVIII e XIX, Belo Horizonte, Fino Traço, 2012, p. 71-96.
51 AHU Angola, Cx. 4, Doc. 73, Lettre du capitaine António Teixeira de Mendonça au roi, Arraial de Santa Cruz do Quicombo, 14 septembre 1645.
52 BNB, 07,03,053, no 199, Doc. 44, Lettre du roi pour conserver au Pernambouc le régiment d’Henrique Dias, 5 novembre 1657, fnn.
53 Prestes de Souza Fernando, Milicianos pardos em São Paulo. Cor, identidade e política (1765-1831), mémoire en histoire, Curitiba, Universidade Federal do Paraná, 2011, p. 41. Sur les raids français contre Rio de Janeiro, voir Baptista Bicalho Maria Fernanda, « Une ville assiégée par la peur : Rio de Janeiro et les incursions françaises au xviiie siècle », Histoire urbaine, vol. 2, no 2, 2000, p. 113-129.
54 AHU Angola, Cx. 13, Doc. 5, Lettre du gouverneur de l’Angola au roi, Luanda, 26 mars 1685.
55 AHU São Tomé, Cx. 5, Doc. 96 et 62, Lettre du gouverneur de São Tomé au roi, São Tomé, 24 juin 1732.
56 Lahon Didier, « Noirs et mulâtres dans les corps d’armée au Portugal », in Carmen Bernand et Alessandro Stella (dir.), D’esclaves à soldats…, op. cit., p. 134.
57 ANOM COL C8A15, Lettre de François Roger Robert, intendant des îles d’Amérique, 22 mai 1703, f. 137.
58 Labat Jean-Baptiste, Nouveau voyage aux isles de l’Amérique, t. VI, Paris, G. Cavelier, 1722, p. 130 ; BnF, « Relation de ce qui s’est passé à la Guadeloupe », Mercure galant, Paris, au Palais, juillet 1703, p. 100.
59 ANOM 1DPPC128, Paroisse Saint-François de Basse-Terre (1713-1742), Acte de sépulture de Marie La Perle, 18 novembre 1722, f. 35v. Voir Jouveau du Breuil Yvain, « Jean La Perle, nègre et capitaine de milice », Généalogie et Histoire de la Caraïbe, no 162, septembre 2003, p. 3930-3931.
60 Forestier Anna, « Défendre son île : les esclaves et les hommes libres de couleur dans la milice, xviie-xviiie siècles », Bulletin de la Société d’histoire de la Guadeloupe, no 174, 1964, p. 30.
61 ANOM COL C8A17, Mémoire remis à Gabaret par les colonels de milice de la Martinique, 1709, f. 173.
62 ANOM COL C8A43, Lettre de Champigny, gouverneur général des îles du Vent, 17 septembre 1732, f. 46.
63 ANOM COL C8A31, Projet d’ordonnance sur les milices de la Martinique, 1723, f. 117-118.
64 ANOM COL C8A41, Lettre de Champigny, gouverneur général des îles du Vent, 27 juin 1730, f. 140.
65 ANOM COL C8A62, État général des milices de la Martinique, 27 juin 1730, f. 499.
66 ANOM COL C1419, Lettre au ministre du gouverneur Gilbert Guillouet d’Orviliers, 10 novembre 1744, f. 7r-9v.
67 ANOM COL C1423, Lettre au ministre de l’ordonnateur Antoine Philippe Lemoyne, 4 septembre 1754, f. 129r-132r.
68 Gayarré Charles, Histoire de la Louisiane, Nouvelle-Orléans, Imprimerie de Magne & Weisse, 1846-1847, Vol. 1, p. 321. Voir également Everett Donald E., « Free Persons of Color in Colonial Louisiana », Louisiana History: The Journal of the Louisiana Historical Association, vol. 7, no 1, 1966, p. 28-29.
69 Dumont François, Mémoires historiques sur la Lousiane, Paris, Chez Cl. J. G. Bauche, 1753, p. 225-226.
70 Villiers Du Terrage Marc de, Les dernières années de la Louisiane française, Paris, Guilmoto, 1905, p. 22.
71 Exquemelin Alexandre-Olivier, Histoire des aventuriers flibustiers, Paris, Chez Benoit et Joseph Duplain, Père et Fils, 1774, p. 311
72 Charlevoix Pierre-François-Xavier de, Histoire de l’Isle espagnole ou de S. Domingue, t. II, Paris, J. Guérin, 1730-1731, p. 267.
73 ANOM, 1DPPC2407, Décès de Léogane (1672-1724), acte du 18 décembre 1699.
74 ANOM 5DPPC63, État des hommes, garçons, engagés, mulâtres et nègres libres portant armes au début de janvier 1718, Léogane, 15 février 1719, fnn.
75 ANOM COL E 345, Détachement de Léogane pour la chasse des nègres marrons, 1707, f. 419.
76 ANOM COL F391, Lettre du ministre aux administrateurs sur les mésalliances, 18 octobre 1731, f. 96r-97r ; ANOM COL D2C115, Tableau des officiers des milices de Saint-Domingue, Léogane, 28 décembre 1739 ; ANOM COL D2C115, État général des Milices du Gouvernement de la Partie du Sud de Saint-Domingue, 1769.
77 ANOM COL F357, Lettre de Desligneris, 20 juin 1746, fnn.
78 ANOM 5DPPC63, État des hommes, garçons…, Léogane, 15 février 1719, fnn.
79 Sur les milices de couleur de Curaçao, voir Jordaan Henri R., Slavernij en vrijheid op Curaçao, thèse de doctorat, dir. Gert J. Oostindie, Leyde, Leiden University, 2012, p. 195-228 ; Klooster Wim, « Subordinate but Proud: Curaçao’s Free Blacks and Mulattoes in the Eigtheen Century », New West Indian Guide, vol. 68, nos 3-4, 1994, p. 289 ; Jordaan Han, « Free Blacks and Coloreds, and the Administration of Justice in 18th Century Curaçao », New West Indian Guide, vol. 84, nos 1-2, 2010, p. 83.
80 Benjamins Herman Daniël et Snelleman Joh. F., Encyclopaedie van Nederlandsch West-Indië, La Hague/Leyde, Martinus Nijhoff/E.J. Brill, 1914-1917, p. 81 et 426.
81 Westergaard Waldemar Christian, The Danish West Indies Under Company Rule (1671-1754), New York, The Macmillan Company, 1917, p. 246.
82 Flygare Signe Haubroe, « The Free Negro Company of Christiansted: Struggles for equality, 1773-1799 », Scandinavian Journal of History, vol. 41, nos 4-5, 2016, p. 588.
83 Pour une synthèse bibliographique sur la participation des libres de couleur dans les milices britanniques, voir Voelz Peter Michael, Slave and Soldier: the Military Impact of Blacks in the Colonial Americas, New York, Garland, 1993, p. 111-117.
84 Calendar of State Papers Colonial, America and West Indies, vol. 5, 1661-1668, Londres, Her Majesty’s Stationery Office, 1880, p. 122 ; AGI, Santo Domingo, 1126, L.1, Provision royale du 23 décembre 1659, f. 119r-121r.
85 Sur Juan de Bolas, parfois identifié comme Juan Lubolo ou encore Juan Luyola dans les sources, voir Buisseret David et Taylor S. A. G., « Juan de Bolas and his Pelinco », Caribbean Quarterly, vol. 24, nos 1-2, 1978, p. 1-7.
86 « Extrait du journal tenu par Ebenezer Lambe, en date du 27 janvier 1733 » et « Liste des actes législatifs passés en avril 1733 », Calendar of State Papers Colonial, America and West Indies, vol. 40, 1733, Londres, Cecil Headlam and Arthur Percival Newton, 1939, p. 51-69 et p. 90-107.
87 AN, Marine, G51-55, État de St Domingue divisée en deux quartiers, 1732, f. 126-127 ; TNA, CO 137/19/2, Recensement de la Jamaïque, 1730, f. 48.
88 Marsden Peter, An Account of the Island of Jamaica, With Reflections on the Treatment, Occupation, and Provisions of the Slaves, Newcastle, S. Hodgson, 1788, p. 9.
89 L’existence de droits politiques (possibilité d’être électeur, élu ou juré) dans les colonies britanniques explique que l’inclusion civique des juifs, des catholiques et des libres de couleur ait été compensée très tôt par leur exclusion politique, d’où leur statut de sujets adoptés.
90 « Kingston Regiment », The New Jamaica Almanack, and Register: Calculated to the Meridian of the Island for the Year of Our Lord 1791, S. Jago de la Vega : David Dickson, For T. Stevenson & Cie, 1791, p. 129-130.
91 RGD, Jamaica Church of England Parish Registrer Transcripts, Kingston, Baptême de James Austin, 18 septembre 1771, f. 222 (microfilm 1,291, 763).
92 RGD, Jamaica Church of England Parish Registrer Transcripts, Kingston, Baptême de Ann Baines, 27 janvier 1771, f. 128 (microfilm 1,291, 763).
93 Pour la première période (1711-1760), voir les Journals of the Board of Trade and Plantations (1704-1782), Londres, Her/His Majesty’s Stationery Office, 1920-1938, vol. 1 à 11. Pour la période suivante (1760-1795), voir TNA, CO 139/21-48, Actes votés par le gouvernement de la Jamaïque, recompilés dans The Laws of Jamaica: 1760-1792, St. Jago de la Vega, Alexander Aikman, 1802, 516 pages.
94 Western John R., The English Militia in the Eighteenth Century: the Story of a Political Issue, 1660-1802, Londres, Routledge/Kegan Paul, 1965, p. 73 ; Gould Eliga H., « To Strengthen the King’s Hands: Dynastic Legitimacy, Militia Reform and Ideas of National Unity in England 1745-1760 », The Historical Journal, vol. 34, no 2, 1991, p. 329-334 ; Morieux Renaud, « Frontière militaire et “seconde guerre de Cent Ans” », Une mer pour deux royaumes. La Manche, frontière franco-anglaise (xviie-xviiie siècles), chapitre iv, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 113-148.
95 Il existait parfois même un service des « francs blancs » et un service des « mésalliés » au sein des compagnies de Blancs. Un ancien chirurgien des Cayes de Jacmel expliquait ainsi en 1778 qu’avant la guerre de Sept Ans, « les francs montaient à la cavalerie et ceux qui estoient mésalliés montoient aussy mais à la queue de la cavallerie », in ANOM COL E 15, Lettre de Raffy, Jacmel, 1er février 1778, f. 89-91.
96 ANOM COL F391, Lettre du ministre aux administrateurs sur les mésalliances, 18 octobre 1731, f. 96r-97r.
97 Ce fut le cas des compagnies de milice de la Grenade lors de la première occupation britannique (1762-1779). TNA CO 103/2, An act for establishing a Militia in Grenada, 28 av. 1767, f. 46 ; CO 103/5, An Act for Establishing a Militia in this Island and the Islands of Cariacou, Bequia, Canovan and the Union, 4 août 1778, f. 62.
98 « The Spaniards upon Porto Rico (one of the noblest islands in the West Indies for soil, wood and water) are computed at 25,000 persons, few of which are native Spaniards or decendants from them, but the gross of this number cheifly consists of mullatas, mesties, and free negroes, a rude and barbarous people », letter de John Hart, St. Christophe, 12 juillet 1724, in Calendar of State Papers Colonial, America and West Indies: Volume 34, 1724-1725, Londres, Cecil Headlam and Arthur Percival Newton, 1936, p. 143-157.
99 Saintard Pierre-Louis de, Roman politique sur l’état présent des affaires de l’Amérique, ou Lettres de M*** à M*** sur les moyens d’établir une paix solide et durable dans les colonies, et la liberté générale du commerce extérieur, Amsterdam, Duchesne, 1757, p. 229.
100 Sur ce point, voir Zúñiga Jean-Paul, « “Muchos negros, mulatos y otros colores”. Culture visuelle et savoirs coloniaux au xviiie siècle », Annales. Histoire, Sciences sociales, vol. 68, no 1, 2013, p. 72-73.
101 Le Pers Jean-Baptiste, « Histoire civile, morale et naturelle de l’Isle de Saint Domingue », Boletín del Archivo General de la Nación, Ciudad Trujillo, vol. 14, no 68, 1951, p. 75-76.
102 Ibid.
103 Gould Eliga H., « Entangled Histories, Entangled Worlds: The English-Speaking Atlantic as a Spanish Periphery », The American Historical Review, vol. 112, no 3, 2000, p. 766.
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