Résistance et résistants dans la presse catholique oisienne, 1944-1947
p. 307-311
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Index géographique : France
Texte intégral
1Dès la Libération, tous les groupes sociaux, les partis, les Églises se préoccupent de situer leur rôle dans la Résistance et d'apporter leur mémoire à la mémoire collective qui se constitue alors.
2C'est l'histoire de la construction de la mémoire des catholiques oisiens que je voudrais étudier au travers d'un vecteur : la presse catholique. Il en existe d'autres mais celui-ci me semble essentiel. En effet, même si la presse catholique oisienne n'atteint pas les tirages de la presse communiste, socialiste ou résistante, son public est paradoxalement plus large et plus divers géographiquement et socialement. La Croix de l'Oise, hebdomadaire dont le premier numéro paraît le 15 juillet 1945, touche tous les milieux du catholicisme oisien mais plus particulièrement ceux qui sont tentés par une action politique. Le Bulletin religieux du diocèse de Beauvais, qui reprend en octobre 1944 sa parution interrompue en décembre 1941, touche pour sa part les membres du clergé mais aussi les responsables des diverses associations catholiques. Quant aux bulletins paroissiaux, leur poids ne tient pas tant dans leur tirage, obligatoirement faible, que dans la somme de tous les tirages. Il est toutefois impossible de mesurer l'impact de la presse non catholique sur les catholiques oisiens et donc la part qu'elle peut avoir dans la construction de la mémoire catholique de la Résistance. Mémoire qu'il convient de saisir sous son double aspect, d'une part l'image qui est donnée de la Résistance et des résistants en général et d'autre part l'image qui est donnée des catholiques dans la Résistance départementale.
3L'étude s'arrête en 1947, l'entrée dans la « guerre franco-française froide »1 constitue bien, en effet, une rupture dans la construction de la mémoire résistante des catholiques oisiens qui s'unifie à partir de cette date dans son contenu comme dans son expression.
4Abordons rapidement les faits à partir desquels, localement, peut se constituer cette mémoire.
5L'évêque de Beauvais, Félix Roeder, a pris possession de son siège épis- copal en août 1937. Sous l'occupation, après avoir appelé à rejoindre la LVF et béni ceux qui se portaient volontaires, il a dénoncé publiquement l'arrestation des juifs et les atrocités commises par les Allemands2. Il convient cependant de signaler que cette présentation de l'attitude de l'évêque de Beauvais repose uniquement sur des articles de presse parus après la guerre. En effet, le Bulletin diocésain a cessé de paraître en décembre 1941, aucun rapport conservé dans les archives publiques ne mentionne les prises de position de l'évêque ; quant à l'évêché, il se retranche derrière les destructions causées par les bombardements pour affirmer qu'il ne possède aucun document. En ce qui concerne le clergé, les résistants se plaisent aujourd'hui à signaler l'aide que les curés dans leur majorité leur ont apportée en les cachant. En revanche, seule une infime minorité a « surmonté le problème que pose à la conscience chrétienne le passage de la Résistance spirituelle à une Résistance combattante »3 et participé activement à la Résistance. Quatre curés furent chef de groupe OCM, un fut responsable localement des FTP. Deux membres du clergé furent déportés et sont morts en déportation : l'abbé Gérald Amyot d'Inville de Senlis, pour son activité de Résistance et l'abbé Louis Charpentier de Chantilly, pour un discours violemment antinazi prononcé en juillet 1943 qui lui valut d'être arrêté comme otage en janvier 19444. Le curé de Brégy a participé aux activités du réseau Publican. Enfin une dizaine de curés furent arrêtés et emprisonnés quelques jours avant d'être libérés, le curé de Lacroix-Saint-Ouen lui fut interné de novembre 1942 à la Libération. Reste la masse des catholiques, ils sont peu nombreux à participer en tant que tel à la Résistance même s'il est très difficile de mesurer la part de leur croyance dans leur engagement. Reste aussi que les dirigeants des associations catholiques ont traversé l'occupation sans s'engager.
6Tels sont les éléments dont dispose la presse catholique pour présenter le rôle des catholiques durant la période de l'occupation nonobstant naturellement la possiblité d'utiliser des éléments extérieurs au département.
7Très vite en fait deux mémoires qui recouvrent les sensibilités différentes de la période antérieure se mettent en place.
8La Croix de l'Oise et le Bulletin diocésain font de « Dieu seul l'auteur de cette Libération heureuse »5. Il est certes fait mention des FFI et des forces alliées mais en quelque sorte comme l'instrument armé de la volonté divine. Ce qui apparaît très nettement c'est la volonté d'évacuer la Résistance et les résistants de cette période de l'histoire. Ce sont les victimes civiles de la guerre, les civils tués en otage, les prisonniers et déportés du STO qui sont présentés comme les grandes victimes de cette guerre. En revanche, la Résistance et les résistants et en particulier les prêtres résistants sont totalement absents ou presque et dans tous les cas totalement absents en tant que résistants. La Croix de l'Oise ne mentionne jamais ces deux mots et lorsqu'elle rend compte d'une cérémonie d'inauguration de plaque ou de nom de rue ou bien annonce la mort d'un résistant dans un camp de concentration, c'est toujours à « un héros » ou à « une héroïne » que l'hommage est rendu sans que ne soient mentionnées les activités de ce héros ou de cette héroïne ni la raison pour laquelle il ou elle se sont retrouvés dans un camp de concentration. Le Bulletin diocésain, qui a utilisé deux fois le terme en 1944, l'évacue totalement en 1945 et lorsque le chanoine Dupuis, retraçant les premiers jours de la Libération à Senlis, vante « l'héroïsme des volontaires de la Résistance », il ne mentionne pas l'abbé Amyot d'Inville fondateur d'un groupe de Résistance rattaché plus tard à l'OCM6. L'annonce du décès de ce dernier est très laconique, elle tient en une ligne et cinq lignes seulement de nécrologie lui sont consacrées ainsi qu'à l'abbé Charpentier dans le numéro suivant. Ce n'est pas faute de place. En effet, au même moment de nombreux articles paraissent retraçant l'action des prêtres dans les camps de prisonniers. Enfin pas moins de quatre pages sont consacrées en août 1945 à l'attitude de Mgr Félix Roeder durant cette période. La visite du général de Gaulle à Beauvais le 11 de ce mois, visite au cours de laquelle le chef du Gouvernement Provisoire a serré la main de l'évêque et déclaré que « le pasteur du diocèse a toujours été à la hauteur des circonstances » permet en effet d'aborder pour la première fois au grand jour une question latente depuis le jour de la Libération. Mgr Roeder devient même alors le chef d'un groupe de la Résistance, c'est d'ailleurs la seule fois que le terme est employé dans le Bulletin durant toute l'année 1945.
9La première image est donc celle d'une Résistance spirituelle où domine la volonté de la hiérarchie d'être présente et de maintenir les structures. Le Bulletin diocésain rend un hommage appuyé aux mouvements de jeunesse qui ont vécu pendant l'occupation et distribué la presse mais aussi au petit nombre d'unions paroissiales qui ont su maintenir le contact en organisant des réunions qui affirmaient la survivance de l'Union des catholiques de l'Oise. En fait c'est l'image d'une Résistance sans résistants que l'ont veut donner. Le conflit qui oppose, en 1945, l'évêché à Yves Bleuzen, curé d'Ivors, responsable des FTP locaux, peut être considéré comme symbolique. Le curé est chassé de sa paroisse en novembre 1945 puis expulsé de son logement. Au conseil municipal où il siège, Y. Bleuzen dénonce l'évêque qui refuse de lui donner de nouvelles responsabilités. Il quitte peu après la prêtrise et devient agent auxiliaire à la SNCF7.
10C'est une image différente que donnent les bulletins paroissiaux. La proximité plus grande de cette presse et de ses auteurs avec la population explique en grande partie cette différence. Le curé revient très souvent en 1944, 1945 et même 1946 sur la période de l'occupation. Les mots « résistants » « déportés » et « fusillés » ont droit de cité. Le phénomène est particulièrement sensible dans les communes où le curé a été très engagé dans la Résistance mais se retrouve ailleurs. Ainsi Notre Clocher, bulletin paroissial de Sainte-Geneviève, commune pourtant distante d'une trentaine de kilomètres de Chantilly et d'une cinquantaine de kilomètres de Senlis, revient longuement sur l'abbé Amyot d'Inville et sur le chanoine Louis Charpentier dont il est dit que « la Gestapo profita de l'exécution d'un collaborateur notoire pour l'arrêter avec un certain nombre d'otages ». Le mot « collaborateur » est ici employé car, au delà du nazisme, de nombreux bulletins paroissiaux n'hésitent pas à mettre en cause le gouvernement de Vichy et les Français qui ont collaboré. La Résistance est toujours abordée dans sa globalité et sa diversité. Notre Clocher, bulletin paroissial de Bury-Ansacq, dans son premier numéro en janvier 1945 publie une longue et riche chronique de l'occupation dans la commune qui se termine sur un vibrant hommage « aux combattants de l'intérieur, aux troupes de la Résistance qui se levèrent partout et firent des coups de main » et en particulier « aux jeunes FTP tués à Chateaurouge parmi lesquels un jeune de Bury Noël Ruffier »8. Parce que la Résistance est présentée dans sa globalité et dans sa diversité, l'aspect spirituel n'est pas évacué. Dans Notre Clocher, bulletin paroissial de Chèvreville-Brégy, l'abbé Jean Abalain, membre du réseau Publican, publie un article sur l'épiscopat français et l'occupation allemande qui se termine ainsi « Comment ferait-on grief à l'Église de France d'avoir mené de préférence sa résistance sur le plan spirituel alors qu'il est essentiellement le sien ? », puis le mois suivant un article sur « les Résistants authentiques » où sont mentionnés, entre autres, Amyot d'Inville et Charpentier.
11Cette deuxième mémoire accorde donc une place importante à la Résistance et aux résistants mais une Résistance qui peut prendre aussi bien l'aspect spirituel que l'aspect « violent », une Résistance qui regroupe aussi bien les communistes que les prêtres. Cette mémoire par certains aspects participe donc de l'idée d'une Résistance majoritaire née de l'union de tous les Français sans distinction de religion et d'idées politiques. Une Résistance diverse dans ses formes comme dans ses acteurs, diversité source de sa richesse.
12À la fin de 1946 et en 1947, le rapprochement entre ces deux mémoires par certains aspects pourtant très différentes va s'effectuer autour du point qui leur est commun, la Résistance spirituelle. L'évolution politique intérieure et internationale favorise ce processus de fusion des deux mémoires. Le point départ est le rappel par Georges Jauneau, responsable du Front National, de certaines prises de position de l'évêque de Beauvais pendant la guerre. La Croix de l'Oise revient plusieurs fois sur ces accusations au printemps 1946 pour les réfuter. Cet hebdomadaire reçoit alors le renfort de l'abbé Duchemin, curé de Neuilly-en-Thelle, résistant authentique interné quelques jours à Beauvais, qui avait jusque-là publié dans son bulletin paroissial de nombreux articles vantant l'esprit de la Résistance. Il attaque le 10 mars 1946, l'odieuse campagne du « Patriote russe » et du « Travailleur du chapeau »9 puis met sur pied un argumentaire qu'il développe dans les conférences qu'il entreprend alors dans plusieurs paroisses, la première étant organisée à Brégy, commune dont le curé était aussi un résistant. Duchemin fait remarquer que si l'évêque Roeder a « donné son nom à un organisme antibolchévique ce fut uniquement pour affirmer sur le plan des idées la continuité du communisme athée ». Il reprend à son compte les idées développées par le Bulletin diocésain en 1945 sur le courage qu'il fallait pour dénoncer du haut de sa chaire les dangers du nazisme et de façon surprenante ajoute que cela était autrement plus dangereux que « la Résistance en chambre ». La Résistance devient alors uniquement la Résistance spirituelle, celle qui dénonce tous les totalitarismes. Mgr Roeder devient donc un authentique résistant pour avoir compris très vite que le communisme était aussi dangereux que le nazisme et qu'il fallait les combattre tous les deux. La fusion de ces deux mémoires est achevée en 1947 et la Résistance disparaît alors de toute la presse catholique. C'est donc à partir et sur les positions de l'évêque que s'est construite la mémoire des catholiques oisiens.
13Cinquante ans après il est impossible de parler avec un catholique oisien de cette période de l'histoire sans que la conversation ne vienne assez rapidement sur l'attitude de l'évêque alors que la participation de certains curés à la Résistance active reste totalement ignorée ou rejetée, par ceux qui l'ont connue, dans l'oubli.
Notes de bas de page
1 Rousso (Henry), le syndrome de Vichy 1944-198..,Le Seuil, 1987, p.38.
2 Sur l'attitude du clergé durant la période, Duquesne (Jacques), Les Catholiques français sous l'Occupation, Grasset, 1966. Églises et chrétiens pendant la Deuxième Guerre mondiale. La France, PUL, 1982.
3 Rémond (René), dans Églises et chrétiens...op.cit., p.409.
4 Suite à l'exécution d'un collaborateur à Chantilly, les Allemands arrêtent une cinquantaine de cantiliens qui sont pour la plupart libérés peu après. Trois sont déportés cependant et parmi eux l'abbé Charpentier.
5 Le Bulletin religieux du diocèse de Beauvais, n°l, octobre 1944.
6 Le Bulletin religieux du diocèse de Beauvais, n°2.
7 Lettre du frère d'Yves Bleuzen à l'auteur le 17 novembre 1993.
8 Il s'agit d'un maquis FTP anéanti à la fin d'août 1944 par les Allemands. Noël Ruffier est le responsable départemental des FUJP.
9 Le Patriote est le journal du Front National et Le Travailleur celui du PC.
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