Le Parti paysan d’union sociale
p. 205-216
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Index géographique : France
Texte intégral
1La fondation, le 11 juillet 1945 à Paris, du Parti paysan n’a sans doute guère suscité l’attention des contemporains alors immergés dans le contexte tumultueux de l’immédiat après-guerre. Il faut d’ailleurs attendre la parution, quelque temps plus tard, le 6 octobre, du premier numéro de L’Unité Paysanne, organe hebdomadaire de cette nouvelle formation politique, pour que sa naissance soit publiquement officialisée1. Sans vouloir surévaluer l’importance d’une organisation qui n’arrivera jamais à s’imposer à l’échelon national et qui finira par se diluer, non sans tensions, dans le Centre national des Indépendants, il s’agit de voir en quoi les premiers temps du Parti paysan sont symptomatiques du processus de recomposition des droites dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale.
Une progressive affirmation droitière
2Sa création vise tout d’abord à assurer la survie d’une formation politique, à savoir le Parti agraire et paysan français (papf), fondé en 1928 par Gabriel Fleurant dit Fleurant-Agricola. C’est en effet à l’initiative d’une partie des membres de son comité directeur qu’est fondé le Parti paysan dont Paul Antier, lui-même ancien du Parti agraire, devient secrétaire général. On peut cependant s’interroger sur la signification de cette renaissance tant le papf constituait précédemment une force marginale.
3Point n’est besoin ici de rappeler le contexte difficile que constitue pour les droites françaises l’immédiat après-guerre. L’espace politique est ici largement en déshérence, profondément désorganisé, et le processus de recomposition qui s’est déjà enclenché dévoile des ambitions multiples et souvent conflictuelles. Il est possible que ce contexte ait néanmoins paru favorable à une personnalité politique comme Paul Antier, député ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain mais ayant rapidement rejoint de Gaulle à Londres (fin 1940), pour donner un nouvel élan au courant agrarien qu’il représente. Les difficultés des anciennes formations politiques de droite comme celles du Parti radical ont pu lui laisser penser qu’une place importante était à prendre, notamment auprès de l’électorat paysan. Sans doute aussi, le discrédit de la Corporation paysanne et la méfiance à l’égard de la cga (Confédération générale de l’agriculture), nouvellement créée, permettaient d’espérer qu’une formation politique agrarienne puisse enfin s’implanter dans un pays où le monde rural constituait une réalité sociale de premier plan. Longtemps marginalisé par le fait que les notables agrariens avaient toujours privilégié la voie syndicale au détriment de la voie politique pour imposer leur solution corporatiste, un Parti paysan influent pouvait enfin devenir une perspective crédible. C’est du reste ce que souligne Paul Antier dans son premier éditorial2. Face aux défis que va immanquablement rencontrer le monde agricole pour assurer la relève du pays, la classe paysanne, jusqu’ici « géant mutilé », doit absolument se doter, dit-il, du « bras politique » qui lui a manqué. Plus que des députés paysans qui subordonneront, selon lui, les intérêts de la paysannerie à ceux de leur parti politique, il faut donc un parti authentiquement paysan à l’Assemblée.
4On aurait tort de croire pour autant que le Parti paysan réitère simplement les thèmes développés antérieurement par le Parti agraire. À l’instar des autres formations politiques de droite – du reste, il ne se présente nullement comme tel – il lui faut sacrifier à l’esprit du temps, autant par opportunisme politique que par conscience des réalités qui s’imposent à tous. Une phraséologie nouvelle se greffe donc sur les thématiques anciennes, les infléchissant parfois pour un temps. Ainsi l’opposition manichéenne du monde rural aux milieux urbains et ouvriers est-elle transcendée dans l’affirmation d’une union nécessaire « en vue d’une reconstruction économique plus moderne et d’une construction sociale plus humaine3 ». Le parallèle entre 1789 et 1945, énoncé en première page de L’Unité Paysanne, donne alors l’impression que le Parti paysan appelle à une profonde rénovation des structures socio-économiques du pays. Seule son affirmation que « la prospérité nationale ne peut être fondée que sur la prospérité de l’agriculture » montre que cette rhétorique progressiste dissimule des convictions agrariennes qui peuvent s’avérer contradictoires.
5Ce profil politique relativement ambigu ne doit cependant pas masquer le fait que le Parti paysan participe aux premières élections législatives de l’après-guerre sur des listes qui se classent incontestablement à droite et qui développent déjà une forte contestation des réformes entreprises au lendemain de la guerre. Peu présent néanmoins, du fait de son existence récente et de sa très faible implantation, il a la satisfaction de voir son secrétaire général être élu avec deux de ses colistiers en Haute-Loire. Pour autant, les résultats d’ensemble débouchent sur des constats amers. L’analyse du scrutin par Benoît Rambaud, lui-même très sévèrement battu dans l’Oise, dévoile une grille de lecture « classiste » qui emprunte à la rhétorique agrarienne. Les élections d’octobre 1945 sont ainsi décrites comme la victoire de la classe ouvrière tandis que le résultat surprenant du mrp est vu comme la victoire honteuse de la bourgeoisie française4. Déçu, le secrétaire général adjoint du Parti paysan doit bien constater que « la classe paysanne, la plus nombreuse, la plus saine » s’est évanouie. Incontestablement, le succès du mrp et les résultats impressionnants qu’il obtient dans de larges zones rurales du pays paraissent boucher l’espace politique du parti d’où les critiques récurrentes à son encontre au lendemain des élections. La constitution d’un groupe paysan à l’Assemblée montre cependant l’obstination de ses dirigeants. Avec six députés et cinq apparentés, le groupe paysan ne peut prétendre jouer un grand rôle mais le ralliement de Jacques Bardoux, député du Puy-de-Dôme, lui apporte le poids d’une figure parlementaire reconnue. Avec Claudius Delorme, élu du Rhône, ancien syndic régional de la Corporation paysanne, et surtout Camille Laurens, élu dans le Cantal, ancien syndic national adjoint, le Parti paysan affiche sa vocation à recycler la droite agrarienne maréchaliste. À l’origine peu présents, les anciens cadres de la Corporation réapparaissent en effet rapidement à mesure que le profil droitier du parti s’accentue5. Leur intégration au sein du parti n’est évidemment pas sans infléchir son discours politique. Elle explique en partie les récriminations récurrentes et de plus en plus virulentes à l’égard de la cga. La référence à la Résistance, revendiquée au lendemain de la guerre6, laisse donc la place à une volonté d’occulter les responsabilités de Vichy et les critiques se développent sur les rigueurs injustifiées de l’épuration. Cette évolution est d’autant plus patente que l’invalidation de Camille Laurens par l’Assemblée nationale oblige le Parti paysan à prendre publiquement position et à dénoncer la mesure7. Il faut néanmoins attendre les années 1948-1949 pour que s’affiche ostensiblement une relecture de l’Occupation et de la Libération dans un contexte politique désormais bien plus porteur8.
6Les débats constitutionnels sont l’occasion pour le Parti paysan d’afficher son opposition irréductible au projet défendu par les gauches, accusées de « préparer la dictature de la majorité en attendant celle d’un parti9 ». Le rejet par référendum de ce premier projet et la préparation de nouvelles élections législatives permettent alors aux dirigeants du Parti paysan d’espérer développer son audience. C’est dans ce contexte que des contacts sont pris avec le colonel de La Rocque, au mois de mars 194610. Sans que l’on puisse être totalement affirmatif, il semble bien que l’initiative de ce rapprochement émane du Parti paysan pour qui le réseau des fidèles du colonel de La Rocque, organisé dans la Réconciliation française, offrait une infrastructure humaine et technique à l’échelle nationale à laquelle il ne pouvait prétendre de par ses propres forces11. La mort du colonel de La Rocque, peu de temps après, le 28 avril, met cependant un terme à ces négociations.
7Les élections de juin 1946 confirment les difficultés rencontrées par le Parti paysan. En tout et pour tout il ne participe ou ne recommande que treize listes tout en appelant, plus largement, à voter contre les partis marxistes. Au lendemain des élections, Paul Antier, lui-même, doit bien convenir que les paysans sont les grands absents des élections12. Au sein de l’organisation, on se désole de « la pauvreté et de la jeunesse du parti », de la loi électorale et on met en avant le vote utile en faveur du mrp voire du prl pour expliquer ces difficultés13. Certaines listes du parti ont subi de lourdes défaites comme dans le Gers, le Maine-et-Loire, la Haute-Savoie ou la Charente-Inférieure. Le groupe républicain d’action paysanne et sociale alors constitué ne regroupe finalement que sept membres plus deux apparentés. Face à cette situation, le Conseil national, tenu à Paris les 25 et 26 juillet, va s’attacher à redonner un nouvel élan au parti.
Une inflexion du projet politique : la création du ppus
8La décision la plus symbolique est la transformation du Parti paysan en Parti paysan d’union sociale (ppus). D’une certaine manière, cette décision apparaît comme une remise en cause d’un profil politique jugé trop exclusif, cantonnant le parti à la défense des intérêts de la seule paysannerie. L’intégration dans le groupe parlementaire paysan, puis dans le parti d’un certain nombre de personnalités moins sensibles aux thématiques agrariennes, à l’exemple de Jacques Bardoux, surtout la volonté de se rapprocher des républicains indépendants, dont une partie de l’électorat se situe dans les couches moyennes urbaines, imposent une inflexion que Paul Antier formalise en soulignant que le ppus n’est nullement un parti de classe14. Dans sa déclaration finale, le Conseil national proclame alors la nécessité de l’union, sur le plan politique et social, de la paysannerie et de « tous ceux, ouvriers, artisans et classe moyenne qui, par leur sens de l’épargne familiale et de la liberté individuelle s’apparentent à la paysannerie ». On voit cependant ici que les conceptions agrariennes ne sont nullement abandonnées puisque la paysannerie est toujours perçue comme la catégorie sociale autour de laquelle doivent se réunir tous les hommes d’ordre15. L’idée qu’elle reste le socle de la société française, seule capable d’assurer sa stabilité et son développement, est d’autant plus affirmée que les dirigeants du parti voient l’avenir du pays d’un œil sombre. Des ambiguïtés persistent donc entre prise de conscience de la nécessité d’élargir la base sociale du parti et maintien des convictions agrariennes.
9Quoi qu’il en soit, le ppus, s’engage dans la voie d’une opposition résolue au tripartisme et affiche désormais sans complexe un profil politique singulièrement droitier. C’est, sans surprise, sur la politique économique et agricole qu’il s’exprime principalement. La dénonciation du dirigisme étatique devient le cheval de bataille du parti qui réclame, dès septembre 1946, la suppression du ministère du Ravitaillement. Le ppus affiche aussi son hostilité au second projet constitutionnel et appelle à voter non. Les résultats du référendum lui apparaissent encourageants dans la perspective des nouvelles élections législatives. Ses dirigeants cherchent alors à constituer le maximum de listes d’alliances avec les autres formations de droite. Dans ce contexte, les propos tenus par Paul Antier dans L’Unité Paysanne attestent la radicalisation du ppus. Dénonçant avec virulence l’action du tripartisme, le secrétaire général du parti n’hésite pas, en effet, à affirmer que la France est « un pays plus exsangue que lorsqu’il était mis en coupe réglée par l’occupant16 ».
10Les résultats des élections sont analysés avec une relative satisfaction du fait de la défaite des partis marxistes17. Représenté à la nouvelle Assemblée par neuf députés, le ppus a aussi la satisfaction d’être présent au Conseil de la République avec sept élus. La IVe République désormais bien installée, il participe à la hauteur de ses moyens à l’expression d’une droite française qui, sans avoir encore recouvré l’importance qu’elle détenait avant-guerre, n’en est pas moins capable de parler haut et fort. D’abord apparenté au mrp, pour des raisons techniques, le groupe paysan juge rapidement qu’il n’est plus possible, pour des raisons politiques cette fois-ci, de maintenir cette situation et y met fin en mars 194718.
11Dans ce contexte, la mise en place de la Sécurité sociale est l’occasion d’exprimer, une nouvelle fois, son opposition au « dirigisme étatique ». Paul Antier y voit un danger pour les libertés individuelles et annonce qu’elle va déboucher sur un accroissement prévisible de la pression fiscale dont les travailleurs indépendants subiront les conséquences néfastes19. On retrouve ici l’hostilité farouche des milieux agrariens à tout élargissement de la protection sociale telle qu’elle s’était exprimée, durant l’entre-deux-guerres, dans l’opposition à la loi sur les Assurances sociales. Toutes les réformes structurelles engagées depuis la Libération sont désormais analysées à travers la grille de lecture d’un dirigisme envahissant que la présence du Parti communiste dans les cercles du pouvoir dote d’une dimension politique menaçante. Le déclenchement de la guerre froide renforce l’anticommunisme du parti et les élections municipales d’octobre 1947 sont perçues comme un référendum entre l’Occident et l’Orient20. « Non au communisme, non au dirigisme » tel est le constat que fait L’Unité Paysanne devant le succès des droites, notamment du rpf.
Une relative dynamique politique
12Le contexte politique semble alors plus favorable au ppus qui connaît une phase d’essor relatif. Il reste néanmoins difficile, faute de sources adéquates, d’évaluer précisément les effectifs du ppus et même d’apprécier la réalité de son implantation militante. Les sources administratives sont peu nombreuses et les informations données par L’Unité Paysanne sont, à l’évidence, susceptibles d’enjoliver les réalités. Sans doute, les cadres de l’ancien Parti agraire ont-ils permis de reconstituer localement des embryons d’organisation politique mais la faiblesse de l’intervention du parti lors des premières élections semble confirmer que l’implantation militante reste faible tout comme sa notoriété21. Seuls quelques départements laissent percevoir une audience déjà établie, à l’exemple de la Haute-Loire et du Cantal où sont élus Paul Antier et Camille Laurens. On peut alors être sceptique devant l’existence d’un certain nombre de fédérations départementales évoquées par L’Unité Paysanne. La constitution de la fédération des Vosges, attestée par le journal en septembre 1946, est ainsi déclarée seulement provisoire en mars 1947, alors que la fédération de Saône-et-Loire, constituée en septembre 1946, l’est à nouveau en janvier 1948 ; celle d’Eure-et-Loir, fondée en octobre 1946, n’est plus qu’espérée en mai 1949. Tout cela donne le sentiment d’une situation de grande fragilité. Avec 25 fédérations recensées en 1948, le ppus est, de toute façon, loin de couvrir l’intégralité du territoire national.
13La carte de leur répartition nous montre une implantation privilégiée autour d’une longue diagonale qui part des Landes et de la Gironde pour aller jusqu’à la Côte-d’Or en passant par les départements du sud du Massif Central. En dehors de cette ligne, on note quelques fédérations dans le grand Ouest (Côtes-du-Nord, Mayenne, Maine-et-Loire, Calvados) et dans le Bassin parisien (Seine-et-Oise, Eure-et-Loir, Loiret). Sans que cela soit systématique, on retrouve ici des départements où l’audience du Parti agraire avait été sensible avant-guerre, comme la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme ou la Côte-d’Or, et des départements marqués par l’influence du mouvement dorgériste comme le Maine-et-Loire, l’Eure-et-Loir et la Somme22. L’influence du ppus reste cependant très faible dans une grande partie des anciens bastions dorgéristes qu’étaient la Bretagne, la Normandie et le Nord.
14L’absence ou presque de données quantitatives sur ces différentes fédérations oblige à tenter de mesurer leur importance à partir des consultations électorales. Plus que les élections législatives de novembre 1945, trop précoces par rapport à la constitution du parti pour être véritablement révélatrices, les élections législatives de l’année suivante et celles au Conseil de la République de novembre 1948 donnent des indications intéressantes. Le ppus présente alors une implantation géographique fortement circonscrite à la partie méridionale du Massif Central autour des départements du Puy-de-Dôme, de Haute-Loire et du Cantal. Ces trois départements donnent ainsi, aux deux consultations législatives de 1946, cinq des neuf puis huit députés du groupe paysan (en tenant compte des apparentements). Ici, les fédérations départementales peuvent visiblement compter sur une base militante assez importante23. Pour autant, l’activité du parti se résume essentiellement à l’action d’élus qui trouvent sans doute plus dans les réseaux construits autour du syndicalisme agricole et des Conseils généraux les relais nécessaires que dans l’animation de structures militantes. Les cadres de l’ancienne fédération syndicale du Sud-Est, réinvestis dans la fnsea, ont fourni des points d’appui précieux à l’exemple de Jean Deshors en Haute-Loire24. Le ppus est donc assez solidement implanté dans des départements largement caractérisés par l’existence d’une paysannerie indépendante nombreuse, plutôt pauvre, et d’une agriculture extensive. Confrontée à un discours modernisateur désormais clairement et fortement énoncé par un État dont la sphère d’action s’est sensiblement élargie, cette paysannerie a pu se sentir menacée dans ses aspirations à la liberté et à la sécurité. Elle est en tout cas très sensible au discours d’un parti fustigeant les excès de la réglementation et de la bureaucratie. Les tensions perceptibles dans les campagnes autour de l’action d’autorités préfectorales désireuses d’assurer le ravitaillement des villes ont sans doute accrédité ces menaces. Dans certains départements du Massif Central, comme le Cantal ou le Puy-de-Dôme, la poussée à droite observée après la guerre trouve en partie ici son origine conjointement avec la captation d’une fraction importante de l’électorat radical. Ce phénomène a principalement favorisé le ppus sans que cela soit totalement exclusif. On n’oubliera pas cependant que ce sont souvent des zones géographiques traditionnellement de droite, à forte identité catholique, qui apportent leurs suffrages au Parti paysan, d’où, du reste, la concurrence politique et les tensions avec le mrp25.
15Le premier congrès national du ppus, tenu à Riom le 24 août 1947, vient alors concrétiser la volonté de ses dirigeants de lui donner un nouvel élan dans une conjoncture politique nettement plus propice. Dès le début de l’année 1948, le groupe paysan à l’Assemblée s’étoffe avec l’arrivée d’un certain nombre de parlementaires auparavant affiliés à d’autres groupes, à l’exemple de Jean Sourbet et Jules Ramarony (Gironde) ou de Guy Petit (Basses-Pyrénées). Dans le processus de recomposition des droites toujours en cours, le ppus apparaît donc suffisamment attractif pour un certain nombre d’élus de la mouvance des Indépendants. Il lui faut néanmoins résister aux sirènes gaullistes, particulièrement fortes depuis les élections municipales de 1947. L’apparentement du groupe paysan au groupe d’Action républicaine, émanation des gaullistes, souligne cette attraction tout comme la participation de l’ensemble de ses élus à l’intergroupe rpf au Conseil de la République à la fin de l’année 1948. Elle n’est cependant pas à surestimer. Certes Paul Antier et une fraction sans doute importante du parti voient dans le rpf une force de frappe appréciable dans le combat contre les « partis marxistes ». Surtout, la formation gaulliste constitue un instrument précieux pour tenter de dissocier l’alliance mrp-sfio et accentuer l’inflexion droitière de la Troisième Force. Mais la légitimité résistante du mouvement gaulliste pose sans doute trop de problèmes à une formation politique au sein de laquelle figurent d’anciens notables maréchalistes. Pour un homme comme Laurens, dont l’influence est désormais forte au sein du ppus, l’objectif immédiat est bien le renforcement de la droite modérée autour du rapprochement des Indépendants et Paysans.
16L’audience du parti et du groupe continue de se renforcer durant l’année 1948, ce que confirme l’entrée dans le gouvernement Marie, au mois d’août 1948, de Maurice Petsche, député des Hautes-Alpes, apparenté au groupe paysan, comme sous-secrétaire d’État au budget. L’écho donné au congrès de Rodez par la presse, notamment par Jacques Fauvet dans Le Monde, en témoigne également26. Partiellement réorganisé en juin 1948 – Paul Antier devient président, laissant le poste de secrétaire général à Camille Laurens –, le parti cherche à développer sa propagande en créant de nouvelles éditions de L’Unité Paysanne, en passe de devenir, selon ses dirigeants, « le plus grand hebdomadaire rural de la France entière27 ». Les élections pour le Conseil de la République de novembre 1948 confirment bien le nouvel élan du ppus autour de la stratégie interclassiste de défense de la paysannerie et des classes moyennes. Le parti présente ou soutient des candidats dans 25 départements et a la satisfaction de voir 16 élus s’inscrire au groupe du Centre républicain d’action rurale et sociale qu’il anime dans cette assemblée. La répartition géographique de ses élus montre qu’au-delà des départements traditionnels d’implantation du parti, celui-ci commence à étendre son audience (Meurthe-et-Moselle, Meuse, Pas-de-Calais). La dynamique alors enclenchée va se répercuter à l’Assemblée nationale où le groupe paysan enregistre dans les mois qui suivent d’autres ralliements28. Le rapprochement avec les Indépendants est désormais largement engagé. Il s’observe lors des élections cantonales de mars 1949 et surtout dans la constitution de l’intergroupe indépendant-paysan à l’Assemblée en avril de la même année. Le temps est venu pour les dirigeants du ppus de monnayer une participation gouvernementale au sein d’une Troisième Force où l’influence des droites est en passe de devenir prédominante. Au lendemain des élections législatives de 1951, la nomination d’Antier au ministère de l’agriculture symbolise la réussite du parti.
17La dynamique de succès, au vrai toute relative, qui marque le ppus dès la fin de l’année 1948 ne doit cependant pas masquer les ambiguïtés qui le caractérisent alors et les difficultés qui l’attendent. Il est clair en effet que le rapprochement avec les Indépendants pose, à moyen terme, des problèmes pour une formation politique dont le fonds de commerce s’est construit autour de la défense d’une paysannerie conçue comme le socle civilisateur du pays. Face à l’inévitable question de la modernisation d’un secteur agricole encore très largement traditionnel, face au déclin inéluctable d’un monde rural confronté aux dynamiques socio-économiques qui marquent l’entrée dans les Trente Glorieuses, des dissensions devaient inévitablement jaillir entre les tenants d’un agrarisme hérité du passé et les partisans d’une droite libérale plus conscients de la nécessité de s’adapter aux évolutions en cours et de répondre aux attentes des classes moyennes urbaines. Si ces dissensions vont marquer les relations entre la mouvance paysanne et la mouvance indépendante, elles vont aussi traverser le ppus. Lors du congrès de Rodez, on avait déjà pu noter des sons de cloche différents entre partisans du maintien d’un Parti paysan autonome, répondant au « particularisme de la classe paysanne », et ceux qui prônaient un élargissement des bases du parti, impliquant forcément la prise en compte d’aspirations plus diverses et sans doute contradictoires. L’histoire ultérieure du ppus va montrer l’exacerbation de ces dissensions, notamment autour de l’opposition entre Paul Antier, fidèle à ses convictions agrariennes et à l’autonomie du parti, et Camille Laurens dont la stratégie est clairement celle d’une intégration au sein des Indépendants29. Si les évolutions socio-économiques ultérieures de l’agriculture et de la paysannerie françaises peuvent donner le sentiment de l’échec inéluctable d’un ppus replié sur la défense d’un monde rural traditionnel, rien n’est cependant tranché à la fin des années quarante et au début des années cinquante. Au sein de la paysannerie, les résistances au processus d’intégration renforcée de l’agriculture dans les circuits économiques capitalistes sont potentiellement importantes. Le triomphe de la fnsea au sein d’une cga en pleine déliquescence, la place qu’occupe en son sein le courant néo-corporatiste incarné par René Blondelle, qui en devient le président en 1950, pouvaient laisser augurer de soutiens favorables au renforcement d’un parti paysan résolument agrarien. Mais « l’action civique » prônée par la fnsea ne signifie nullement le retour au Front paysan des années trente. Une fois encore, le syndicalisme agrarien entend jouer le rôle principal dans la représentation des intérêts du monde paysan, cantonnant les forces politiques à un rôle d’appoint. Surtout, l’émergence du poujadisme dans les campagnes françaises va occuper l’espace politique de la contestation et pousser le parti à se déchirer. L’accord conclu, en 1957, entre Antier, Poujade et Dorgères symbolise alors les dérives logiques d’une certaine orientation agrarienne tout comme il marque, à très court terme, la fin du ppus.
Notes de bas de page
1 En dehors de l’étude déjà ancienne de Raymond Barrillon, « Les Modérés. Paysans et Indépendants-Paysans », dans Jacques Fauvet, Henri Mendras (dir.), Les paysans et la politique dans la France contemporaine, Paris, A. Colin, Cahiers de la fnsp, 1958, p. 131-147, on se reportera à la thèse de Gilles Richard, Le Centre national des indépendants et paysans de 1948 à 1962, ou l’échec de l’union des droites dans le parti des modérés, iep de Paris, 1998, qui comporte un certain nombre de développements sur le ppus et, du même auteur, « Paysan et société rurale dans la France d’après-guerre. L’exemple du Cantal (1945-1962) », dans Histoire et Sociétés Rurales, 2001, n° 16, p. 141-176.
2 L’Unité Paysanne, le 6 octobre 1945.
3 Ibid.
4 L’Unité Paysanne, le 3 novembre 1945.
5 À l’exemple de Gabriel Abel, ancien syndic adjoint du Bas-Dauphiné, ou de Jean Bohuon, ancien syndic régional de Bretagne. En mars 1948, Adolphe Pointier, ancien syndic national alors réintégré dans ses droits civiques, est fait président d’honneur de la fédération de la Somme.
6 Dans le manifeste du parti, il était affirmé que « les résistants représentent la majorité du comité directeur de l’ancien Parti agraire ».
7 L’Unité Paysanne, le 29 décembre 1945. Finalement invalidé, Camille Laurens est facilement réélu en juin 1946.
8 Voir L’Unité Paysanne du 11 juin 1949 où le ppus se prononce pour une large amnistie et assimile « les crimes commis sous le couvert de la collaboration » à ceux « commis sous le couvert de la Résistance ».
9 L’Unité Paysanne, le 27 avril 1946.
10 Sur ces contacts et leurs débouchés, voir le dossier aspe (Association pour la sauvegarde de la petite épargne), contenu dans le fonds La Rocque aux archives de la fnsp, cote LR 68. Je remercie Jean-Paul Thomas d’avoir bien voulu m’indiquer l’existence de ces sources.
11 Certains membres de la Réconciliation française ont pu jouer un rôle d’intermédiaire à l’instar de Joseph Dixmier, colistier de J. Bardoux dans le Puy-de-Dôme et membre du groupe paysan à l’Assemblée.
12 L’Unité Paysanne, le 25 mai 1946.
13 L’Unité Paysanne, le 8 juin 1946.
14 L’Unité Paysanne, le 3 août 1946.
15 Du reste, l’article 1 des statuts du parti précise bien que le parti a « pour but la diffusion et la réalisation de l’idéal agraire ».
16 L’Unité Paysanne, le 9 novembre 1946.
17 L’Unité Paysanne, le 16 novembre 1946.
18 L’Unité Paysanne, le 8 mars 1947. Le groupe paysan avait d’ailleurs été fluctuant dans ses apparentements. Dans la précédente Assemblée, il s’était apparenté au groupe des Républicains indépendants.
19 L’Unité Paysanne, le 15 mars 1947.
20 L’Unité Paysanne, le 18 octobre 1947.
21 C’est ce que confirment les envoyés du colonel de La Rocque, chargés, en avril 1946, d’évaluer l’audience du parti et de L’Unité Paysanne dans tous les départements français. Voir leurs comptes rendus dans le dossier aspe, op. cit.
22 La présence au sein du ppus d’hommes comme Jean Bohuon ou Henri Dézé montre d’ailleurs qu’il a accueilli d’anciens cadres du mouvement dorgériste.
23 Les informations données par les rapports préfectoraux montrent néanmoins une certaine disparité. Si les effectifs du Parti sont estimés, en 1947, à 150 militants en Haute-Loire et à un peu plus de 800 dans le Cantal, ils sont beaucoup plus considérables dans le Puy-de-Dôme où la Fédération républicaine et sociale du Massif Central, affiliée au ppus, compte 4500 membres. Sa situation est cependant un peu particulière dans la mesure où, de par son histoire et son profil politique, elle apparaît comme une structure de regroupement des droites modérées. an, série F1 CII.
24 Président, avant-guerre, d’un syndicat local de la puissante fédération du Sud-Est, J. Deshors deviendra président de la Chambre d’agriculture de Haute-Loire en 1954.
25 C’est flagrant en Haute-Loire même si, aux premières élections législatives, la présence du maire d’Yssingeaux, Noël Barrot, sur la liste conduite par Paul Antier avait scellé une alliance provisoire.
26 Le Monde, les 21 et 22 août 1948.
27 Le nombre des abonnés au journal est passé de 4 000 en 1946 à 20 000 en juillet 1947. Chiffres donnés par R. Barillon, op. cit., p. 132.
28 À l’exemple d’Étienne Toublanc (Loire-Inférieure) et Philippe Monin (Orne) en décembre 1948 ou de Jean Mazel (Lozère) en janvier 1949.
29 Sur cette confrontation voir la thèse de G. Richard, op. cit.
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