Introduction
p. 123-126
Texte intégral
1L’engagement des volontaires étrangères pour la défense de la République espagnole prend tout son sens dans le cadre de la mobilisation antifasciste qui se développe au niveau européen dès le début des années 1930, même si, évidemment, celle-ci n’épuise pas les modalités de cet engagement. Les contributions de cette troisième partie interrogent la place des femmes au sein de cette mobilisation, pour laquelle la guerre d’Espagne représente la pierre d’achoppement, le moment de vérité qui structure le mouvement antifasciste dans son ensemble. Le formidable élan de solidarité internationale envers l’Espagne républicaine s’explique en bonne partie, en effet, par son interprétation de la part des antifascistes du monde entier comme le champ d’affrontement entre fascisme et antifascisme. S’engager pour l’Espagne républicaine signifiait ainsi prendre parti dans une lutte de dimension transnationale, une lutte dont le sens était avant tout idéologique, bien plus que géostratégique1. Dans le contexte de la guerre d’Espagne, la solidarité internationale prend de la sorte une signification indéniablement politique et antifasciste, au-delà de son caractère humanitaire : comme le signale Corentin Lahu dans sa contribution, en citant l’historienne Axelle Brodiez, les pratiques « proto-humanitaires » développées par les organisations antifascistes pendant la guerre d’Espagne s’inspirent de l’humanitarisme sans en adopter la posture de neutralité idéologique2.
2L’intérêt envers la place des femmes dans la mouvance antifasciste, tout comme l’analyse même de la culture politique antifasciste à partir d’une approche de genre, sont relativement récents. L’antifascisme apparaît dans l’historiographie comme un mouvement essentiellement viril ; ses déclinaisons féminines, comme le Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme – dont la section espagnole est devenue pendant la guerre civile la puissante Agrupación de mujeres antifascistas – restent encore peu connues et étudiées3. Et pourtant, c’est essentiellement au sein de ces organisations de femmes que la culture politique antifasciste reçoit un héritage féministe et pacifiste qui joue un rôle non négligeable dans la configuration des pratiques de la solidarité antifasciste lors de la guerre d’Espagne. Prenons l’exemple du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme : créé en 1934 sous l’égide de l’activiste féministe et pacifiste Gabrielle Duchêne, compagne de route du PCF mais aussi présidente de la section française de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, fondée en 1915 par Clara Zetkin, il est pionnier dans les pratiques de solidarité antifasciste envers l’Espagne dès la Révolution d’octobre 1934 et jouera ensuite un rôle non négligeable dans la structuration de la participation des femmes au combat antifasciste dans toutes ses formes. Les liens créés à ce moment-là entre l’organisation féminine française et l’organisation espagnole sont réactivés lors de la guerre d’Espagne et expliquent la présence et l’engagement de nombreuses activistes aux côtés des Espagnoles4.
3Comme le montrent les contributions à cette troisième partie, le développement d’une solidarité antifasciste envers l’Espagne républicaine doit beaucoup à la contribution des femmes, alors même qu’elles sont relativement absentes des sources. Comme le signale Josep Puigsech, la présence des femmes dans les rangs des Brigades internationales, où elles ont joué un rôle très important dans la sphère médicale, a été rendue invisible puisqu’elles ne prenaient pas part au combat. Prévaut ainsi une image guerrière et virile du brigadiste, aussi bien dans la propagande de l’époque que dans les mémoires ultérieures. Or, si les femmes ne sont pas représentées comme combattantes leur présence dans les BI n’a pas été totalement ignorée pour autant : l’auteur relève ainsi le paradoxe d’une reconnaissance partielle qui fait de la femme brigadiste un symbole de la capacité de sacrifice féminine, en mettant ainsi l’accent sur une division genrée de l’engagement militant. Le même oubli est relevé par Édouard Sill dans sa contribution sur les femmes d’origine juive dans les Brigades internationales, un collectif qui par ailleurs se détache par la qualité de sa formation, en particulier dans le domaine médical. Plus surprenant est l’absence relative des femmes des instances dirigeantes d’organisations françaises qui ont joué un rôle majeur dans la structuration de la solidarité antifasciste envers l’Espagne. Il en va ainsi de la section française de Solidarité internationale antifasciste, analysée par Valentin Cionini, ou de la CGT qui, avec la Ligue des droits de l’Homme, est à l’origine de la création du Comité d’accueil aux enfants d’Espagne (CAEE) à l’automne 1936 et qui fait l’objet de la contribution de Morgan Poggioli. Le même constat est avancé dans les deux cas : les femmes sont nombreuses dans ces organisations mais s’occupent de tâches subalternes, traditionnellement considérées comme féminines voire maternelles, comme la gestion des colonies d’enfants. C’est un militantisme de petites mains, employé à des tâches peu reconnues et visibles, et les femmes disparaissent à mesure que l’on monte dans l’échelle des responsabilités. L’antifascisme n’a donc pas été imperméable à l’organisation genrée de la société et a partiellement reproduit ses rapports de domination, même dans les organisations les plus engagées dans le combat pour l’émancipation des femmes, comme le SIA d’inspiration libertaire. Pour retrouver un espace où les femmes ont pu développer leur capacité d’action politique, il faut se tourner vers les organisations fondées par elles-mêmes, comme le Comité mondial des femmes précité créé sous l’égide communiste : dans sa contribution, Corentin Lahu démontre comment, en France, l’imbrication entre celui-ci et le Secours rouge, devenu ensuite Secours populaire français, cache le fait que les femmes ont pu occuper des postes de direction dans des organisations féminines et retrouver ainsi un espace d’affirmation politique et militante.
4Enfin, ce qui est vrai pour les organisations basées en France l’est peut-être moins pour celles qui se développent à l’intérieur de l’Espagne, y compris en ce qui concerne le rôle qu’y ont joué les femmes étrangères. L’exemple du Secours rouge international est à ce titre révélateur, comme le montrent les travaux menés par Laura Branciforte5. Ce qui montre bien que les recherches sur le rôle et le poids des femmes dans l’action solidaire antifasciste, pendant la guerre d’Espagne ou ailleurs, ont encore devant elles bien des défis à relever.
Notes de bas de page
1 Ucelay Da Cal Eduardo, « Ideas preconcebidas y estereotipos en las interpretaciones de la Guerra Civil española: el dorso de la solidaridad », Historia social, (1990), p. 23-43.
2 Voir la contribution de Corentin Lahu à cet ouvrage. Brodiez Axelle, Le Secours Populaire Français 1945-2000. Du communisme à l’humanitaire, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, coll. « Nouveaux débats », 2006.
3 Gabrielli Patrizia, Tempio di virilità: l’antifascismo, il genere, la storia, Milan, Franco Angeli, 2008 ; Nash Mary, Rojas. Las mujeres republicanas en la guerra civil, Madrid, Taurus, 1999 ; Yusta Mercedes, « The strained courtship between antifascism and feminism: From the Women’s World Committee (1934) to the Women’s International Democratic Federation (1945) », in Yusta Mercedes, Tabet Xavier, García Hugo et ClÍmaco Cristina (éd.), Rethinking Antifascism, 1922-1945: History, Memory and Politics, 1922 to the Present, New York, Berghahn Books, 2016, p. 167-184.
4 Dreyfus Michel, « Des femmes pacifistes durant les années trente », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 30.1 (1993), p. 32-34 ; Yusta Mercedes, « La construcción de una cultura política femenina desde el antifascismo (1934-1950) », in Aguado Ana et Ortega Teresa (dir.), Feminismos y antifeminismos. Culturas políticas e identidades de género en la España del siglo xx, Valence, PUV, 2011, p. 253-281.
5 Branciforte Laura, El Socorro Rojo internacional en España (1923-1939): relatos de la solidaridad antifascista, Madrid, Biblioteca Nueva, 2011 ; Branciforte Laura, « Legitimando la solidaridad femenina internacional: el Socorro Rojo », Arenal. Revista de Historia de las Mujeres, 16 (1), 2009, p. 27-52.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008