Introduction
p. 61-64
Texte intégral
1La première et la dernière mention relative à une étrangère volontaire en Espagne dans la grande presse française durant la guerre d’Espagne fut l’annonce parue le 5 septembre 1936 dans le journal Le Temps, l’ancêtre du Monde, du décès récent au front de l’artiste britannique Felicia Edith Browne1. Venue de Londres avec un ami pour participer aux Olympiades de Barcelone, elle fit le choix de rester et de participer à la résistance populaire contre le coup d’État militaire. Après l’échec des factieux à Barcelone, elle s’engage comme plusieurs dizaines d’étrangers présents, comme infirmière dans une colonne du Parti socialiste unifié de Catalogne (PSUC), elle-même étant adhérente au Parti communiste du Royaume-Uni2. Sur le même front d’Aragon, opéraient un peu plus loin la Française Suzanne Lemaître comme artilleuse dans une batterie du POUM et l’Allemande Madeleine Gierth, qui rejoignait avec son mari le Groupe international de la colonne Durruti, tandis que Fanny Schoonheyt, jeune Néerlandaise surnommée « la reina de la ametralladora » faisait sensation à Barcelone. L’année suivante, en 1937, elles furent plusieurs centaines à rejoindre les Brigades internationales, venant de New York, Prague, Buenos Aires, Amsterdam ou Paris pour se rendre à Albacete, le méridien zéro de la solidarité mondiale avec l’Espagne républicaine. Parmi elles, une majorité de spécialistes, telles que la pédagogue et médecin autrichienne Françoise « Fritzi » Brauner, l’infirmière afro-américaine Salaria Kea, la dentiste française Juliette Albert, la chirurgienne tchécoslovaque Maria Kalisova, la commissaire politique et médecin juive franco-polonaise Jeannette Bloch ou encore les sténodactylos Élisabeth Hass et Sabine Schauer (dite « Vera » ou « Käthe Wagner »), l’une Hongroise et l’autre Roumaine, rompues aux arcanes de l’appareil politique communiste.
2La première association des volontaires français en Espagne républicaine, l’AVER, créée en 1937, avait déjà régulièrement fait état de la présence de femmes parmi les volontaires, notamment dans son bulletin. En 1957, le premier opuscule publié en France sur l’épopée des Brigades internationales avait accordé une place, bien que très – trop – modeste, aux femmes, notamment aux infirmières3. Après le colloque international tenu en 2018 coorganisé par l’ACER, cet ouvrage vient donc corriger un manque considérable dans la mémoire du volontariat international durant la guerre d’Espagne et marque une nouvelle étape dans les politiques mémorielles autour de cet événement.
3Cette partie réunit des contributions originales sur la présence et la participation de femmes dans certains contingents nationaux. En effet, si les femmes au sein du contingent des volontaires helvétiques nous sont désormais bien connues grâce à la parution en langue française des remarquables travaux menés en Suisse à la suite du soixantième anniversaire de la Guerre d’Espagne, notamment ceux de Peter Huber, Nic Ulmi et Catherine Fussinger, les autres contingents n’ont pas bénéficié d’une attention comparable à l’endroit des volontaires féminines4. Les contributions d’Édouard Sill, Hervé Lemesle, Marco Puppini, Renée Lugschitz et Franziska Zaugg viennent donc apporter un éclairage salutaire sur la présence des femmes dans des groupes nationaux qui nous étaient jusqu’alors essentiellement connus dans leur dimension masculine.
4En s’appuyant sur les volontaires françaises, Édouard Sill a choisi de traiter la question des obstacles et des contraintes que les femmes volontaires ont connus, et subis, en Espagne. Hervé Lemesle propose une évaluation de la situation des femmes volontaires yougoslaves en prenant l’épisode espagnol comme un point central de leur parcours biographique. Puisant dans son ouvrage paru en Italie et en Espagne, Marco Puppini considère les volontaires italiennes au travers de la lutte antifasciste comme une opportunité d’émancipation féminine. Forte de sa monographie pionnière sur les femmes volontaires en Espagne, parue en Autriche, Renée Lugschitz resserre, quant à elle, son point d’observation pour souligner en particulier les caractéristiques des volontaires autrichiennes, considérées sur un temps plus long que l’épisode espagnol. Enfin, une étude de cas a été adjointe, pour proposer une perspective supplémentaire et une focale divergente d’examen. Elle est placée sous l’angle biographique par l’historienne helvétique Franziska Zaugg à propos de la figure de Clara Thalmann, dont le journal, coécrit avec son compagnon Paul, est bien connu en France5.
5La mise en valeur de la part des femmes au sein de ces différents contingents nationaux de volontaires doit ainsi permettre de les révéler comme un groupe social spécifique et interroger leur mémoire singulière et par conséquent leur place dans les enjeux mémoriels inscrits dans des registres historiques, politiques et émotionnels différents. Les volontariats observés, mixtes et non mixtes, couvrent l’ensemble des formations et des structures directement issues ou à destination du volontariat étranger, civil et militaire. Enfin, la présentation des parcours féminins collectifs et singuliers éclaire les différences des contextes qui se sont imposés aux femmes volontaires, et faire apparaître les obstacles et contraintes rencontrés en tant que femme, en tant que militante et souvent en tant qu’immigrée.
Notes de bas de page
1 « Mort de volontaires étrangers », in Le Temps du 5 septembre 1936.
2 « La lutte héroïque du peuple espagnol. Ceux qui sont tombés dans les combats » in L’Internationale Communiste. Organe mensuel du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, vol. 18, no 12, décembre 1936, p. 1478-1483.
3 Épopée d’Espagne. Brigades internationales 1936-1939. Recueil de récits vécus et de documents historiques édité par L’Amicale des anciens volontaires français en Espagne républicaine, Paris, 1957.
4 Cerutti Mauro, Guex Sébastien et Huber Peter (dir.), La Suisse et l’Espagne de la République à Franco (1936-1946), Lausanne, Antipodes, 2001 ; Ulmi Nic et Huber Peter, Les combattants suisses en Espagne républicaine 1936-1939, Lausanne, Antipodes, 2001.
5 Thalmann Pavel et Thalmann Clara, Combats pour la liberté. Moscou-Madrid-Barcelone-Paris, Quimperlé, La Digitale, 1997 (1983).
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