Ouvrir les archives, dépatrimonialiser le pouvoir
Approche juridique des conflits d’archives
p. 307-318
Texte intégral
Mise en contexte de la discussion
1La principale avancée de la loi du 3 janvier 1979 sur les archives est largement passée sous les radars. Avec cette loi, en effet, le pouvoir de déterminer les conditions d’accès aux archives publiques, et en particulier les délais à partir desquels ces archives deviennent librement communicables, est retiré au gouvernement, pour être confié au seul parlement. Le transfert s’est réalisé in extremis, d’ailleurs : ce n’est pas la direction des Archives de France, mais le Conseil d’État qui, en avril 1977, alors qu’il est consulté sur le projet de loi préalablement à son examen en conseil des ministres, choisit d’introduire directement dans le texte qui lui est soumis les différents délais de communication des archives publiques, refusant de renvoyer cette compétence au pouvoir réglementaire comme cela était initialement envisagé1.
2Ce choix rompt avec la situation antérieure2. Le Parlement ne l’a, depuis lors, jamais remis en cause : la détermination de la durée à l’issue de laquelle des archives publiques sont communicables « de plein droit », pour reprendre l’heureuse formule introduite en 2008, est regardée comme une compétence exclusive du Parlement, qui la fixe de façon générale et abstraite, sans que l’administration ne puisse y ajouter une procédure ou une condition particulière supplémentaire autre que de simple exécution.
3Un épisode important, quoique méconnu3, de l’élaboration de la loi du 15 juillet 20084 témoigne de la centralité d’un tel principe. Il concerne les « archives publiques dont la communication est susceptible d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d’un niveau analogue ». Lors des navettes interministérielles du milieu des années 2000, il fut envisagé de subordonner la communication de ces documents à deux conditions cumulatives : l’expiration d’un délai de cent ans, d’une part ; l’accord préalable d’une commission d’experts chargée de déterminer si, en dépit de l’écoulement du délai de cent ans, ces documents peuvent effectivement être communiqués, d’autre part. C’était une ligne rouge que l’on envisageait de franchir : pour la première fois depuis 1979, on reconnaissait à l’administration le pouvoir de bloquer la communication décidée par le législateur, en ce sens que l’on remettait en cause le principe de libre communication des archives publiques à l’issue des délais choisis par le législateur en intercalant, dans le processus, une procédure administrative autre que de simple exécution. Au regard de l’enjeu en cause, le gouvernement finit par renoncer à introduire un tel dispositif dans la loi. Plus précisément, il trouva une alternative discutable et discutée, certes, mais qui lui permettait de ne pas fragiliser le monopole du législateur en ce domaine : plutôt que de soumettre la communication des archives à une autorisation administrative comme cela avait été envisagé, il proposa au Parlement, qui l’accepta, d’interdire toute communication de ces documents tant que leur « sensibilité » demeurerait, à rebours de l’objectif général d’ouverture des archives publiques que poursuivait la loi de 2008. Il faut, nous semble-t-il, bien mesurer la portée d’un tel choix : aussi brutale soit-elle, cette solution – qui figure aujourd’hui à l’article L. 213-2 II du code du patrimoine – fut jugée préférable à l’instauration d’une exception au principe selon lequel l’expiration des délais fixés par le législateur rend les archives publiques « communicables de plein droit », sans possibilité d’une réappréciation de l’opportunité de cette communicabilité par quelque administration que ce soit. Point d’autorisation ici, en apparence tout du moins : soit les archives permettent de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques ou chimiques, auquel cas elles ne peuvent être consultées ; soit elles ne le permettent pas (ou plus), auquel cas elles sont (ou deviennent) communicables de plein droit. En termes d’accès aux archives, c’est bien cher payé, mais devant l’intransigeance du secrétariat général à la défense nationale de l’époque, on jugea, alors, que c’était le prix du monopole parlementaire.
4Ce monopole de compétence en matière d’accès aux archives publiques est l’un des principaux points de tension de la réglementation des archives depuis 19795. Une tension de ce type s’est d’ailleurs manifestée de manière particulièrement spectaculaire ces dernières années s’agissant de l’accès aux archives publiques de plus de cinquante ans d’âge « dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale » (article L. 213-2, I, 3o du code du patrimoine). Nous n’entrerons pas ici dans les détails de cette affaire qui a conduit à un arrêt du Conseil d’État du 2 juillet 20216 (affaire dite de « l’IGI 1300 »), puis à une réforme des conditions d’accès aux archives publiques par la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement. Rappelons simplement qu’il a été accompli, en 2021, ce que, depuis 1979, le législateur cherchait à éviter : on a créé des situations juridiques dans lesquelles le monopole de compétence du parlement se retrouve neutralisé par la reprise, par certaines administrations, de la maîtrise de l’opération cruciale par laquelle les documents basculent d’un régime de communication sur autorisation administrative (les « dérogations ») à un régime de communication de plein droit7. C’est, pour le dire plus simplement, une « captation » de pouvoir à laquelle on assiste : une captation du pouvoir législatif par l’administration – et plus précisément par certaines administrations, celles en charge de la défense et de la sécurité nationales –, qui se concrétise in fine dans une « captation » du pouvoir de communiquer les archives.
5Ce genre de phénomènes de « captation » – que nous nommerons plus loin « appropriation » pour des raisons dont nous nous expliquerons – trouve, nous semble-t-il, un terreau favorable dans la faible tradition contentieuse qui caractérise la question des archives publiques. Pour le dire brusquement, les administrations françaises des archives sont rarement traînées en justice, de sorte que le droit français des archives publiques s’écrit peu dans les prétoires. Autrement dit, si « conflits d’archives » il y a, pour reprendre le titre du présent ouvrage, alors le juge a rarement à en connaître : dans la masse gigantesque des décisions quotidiennement prises sur le fondement du livre II du Code du patrimoine, le nombre de celles effectivement contestées devant le juge reste tout à fait négligeable8. Ce constat vaut pour la collecte, la conservation et l’élimination des archives publiques, d’abord9. Mais il vaut aussi pour ce qui concerne leur communication au public. Ainsi, il est significatif qu’en plus de deux siècles d’existence, les Archives nationales n’aient presque pas été le théâtre de procès en matière de communication d’archives publiques10 : sur ce sujet, nous n’avons recensé qu’un seul arrêt avant la loi du 3 janvier 197911 ; et quelques très rares affaires depuis lors, quoique la situation évolue rapidement depuis une décennie12.
6On peut bien sûr analyser cette faible propension contentieuse comme la marque d’une gestion singulièrement consensuelle de l’accès aux documents. Peut-être est-ce le cas, mais cela contraste, alors, avec la grande instabilité qui, objectivement, caractérise les pratiques de communication dans les services publics d’archives : les qualifications juridiques s’y déploient avec des variations importantes selon les administrations versantes et les périodes concernées, et la lisibilité de l’ensemble est médiocre, sans que la Commission d’accès aux documents administratifs – dont la qualité technique des avis est aujourd’hui largement décriée – n’améliore en quoi que ce soit la situation. Pour tout dire, le choix des usagers des services publics d’archives de ne pas saisir le juge est, pour le juriste, déstabilisant. Il l’est d’autant plus que les quelques rares contentieux qui ont fleuri ces dix dernières années ont permis, précisément, des avancées de première importance pour le droit des archives publiques, auxquelles l’administration des Archives ne serait sans doute jamais parvenue par la simple voie des négociations interministérielles : l’accès aux archives publiques a été constitutionnalisé13 ; la règle générale et intemporelle selon laquelle « tout document procédant de l’activité de l’État constitue, par nature, une archive publique » a été établie, sans aucune référence au critère de la propriété14 ; les refus d’accès sous dérogation aux archives publiques sous « protocoles » ont été sortis de l’arbitraire, pour être soumis à un contrôle dit « entier » du juge administratif fondé sur le caractère proportionné de la limitation qu’apporte à l’exercice du droit d’accès aux documents d’archives publiques le refus opposé à une demande de consultation anticipée15. Remarquons au passage – car ce n’est évidemment pas anodin quant à ce que cela révèle des représentations mentales des « droits » sur les archives publiques – qu’aucun de ces « grands » contentieux n’a été porté par des historiens professionnels ou des archivistes en poste en France16 : les deux premiers sont le fait d’un physicien, le troisième, d’une société de droit privé ; et l’on pourrait ajouter à cette liste un important arrêt de 2015 sur l’accès à des archives publiques « classifiées », dont l’initiateur fut un professeur en poste à Montréal17.
7Alors, comment expliquer une telle situation ? Comment expliquer, d’une part, l’état modérément satisfaisant de la communication des archives publiques aujourd’hui en France, et en particulier les réflexes de « captation » d’archives développés par certaines administrations ? Et comment expliquer, d’autre part, le peu de contentieux qui découle, néanmoins, de cet état de fait ?
8L’hypothèse que nous formulons en réponse à ces questions est triviale. Elle consiste à soutenir que certains points fondamentaux quant aux rapports juridiques que les administrations et les individus entretiennent avec les archives publiques ont tout simplement été perdus de vue, rendant la situation actuelle étonnamment acceptable. C’est sur ces points que nous aimerions revenir dans les lignes qui suivent, en les inscrivant dans le cadre d’un travail de recherche consistant à restituer la teneur politique réelle du cryptage juridique de la question des archives publiques en France. Il nous semble, en effet, qu’on ne répondra correctement aux questions qui précèdent que si, dans le même temps, on avance dans la réponse à la question de savoir pourquoi les archives publiques sont ouvertes. Pourquoi, plus précisément, ce principe théorique d’ouverture immédiate ou différée traverse-t-il les époques, au point de représenter l’un des piliers de l’imaginaire juridique appliqué aux archives ? Et pourquoi est-il, dans le même temps, si malmené ? Il n’est pas sûr que l’on résolve un problème de cet ordre si l’on réduit le débat sur la communication des archives publiques à une banale question d’équilibre entre des intérêts en conflit, qui tiendrait tout entier dans des choix d’arbitrage. Le « pourquoi » de l’ouverture des archives publiques n’est pas un « what for », mais un « why » : il suppose de mettre les mains directement dans la grammaire qui travaille les archives publiques, pour comprendre les représentations juridiques – véritables croyances partagées, quoique largement indiscutées – qui y sont à l’œuvre.
Les titres de la « publicité » des archives
9Pour cela, nous partirons d’un point que nous avons déjà abordé dans deux autres articles, auxquels nous nous permettons de renvoyer18. Nous le résumerons ainsi : lorsqu’on s’immerge dans les discours sur les archives publiques, il est frappant d’observer à quel point les acteurs hésitent dès qu’il s’agit de qualifier juridiquement les rapports aux archives publiques. A l’évidence, l’on se doute que les relations juridiques aux choses ne se ramènent pas forcément à la figure technique de la propriété ; mais presque toujours, on les y ramène tout de même, faute de bien savoir comment exprimer autrement ces relations en termes de droit.
10Il est vrai que l’option la plus simple consiste à ordonner autour de la propriété l’ensemble des règles juridiques en matière d’archives, ce qui est, en même temps, une manière de les ordonner autour de l’État. Il s’agit alors de considérer que c’est en sa qualité de propriétaire que l’État fixe le régime des archives lui appartenant ; et en sa qualité de souverain qu’il impose des obligations aux autres propriétaires, d’un niveau aussi élevé que celles qu’il impose à ses propres archives pour ce qui concerne les archives des autres personnes publiques et des personnes privées en charge d’une mission de service public, et d’une intensité bien plus limitée lorsqu’il s’agit d’archives des autres personnes privées. Cela revient, en d’autres termes, à penser le droit des archives tout comme le droit des monuments historiques, c’est-à-dire en envisageant tous les rapports qui s’instituent en considération de la propriété – que l’État agisse en sa qualité de propriétaire ou au titre de sa puissance souveraine de contraindre les autres propriétaires –, tout en déployant des effets de droit qui se projettent différemment en fonction de la nature des propriétés concernées.
11Cette trame propriétaire à laquelle il est renvoyé de manière presque entêtée butte cependant sur la structure même du droit des archives. Elle peine en particulier à expliquer pourquoi les archives publiques sont toutes soumises au même régime juridique, tandis que dans le même temps, ce régime juridique est en tout point différent de celui applicable aux archives privées. Appréhender la législation sur les archives de la même manière que l’on appréhende celle sur les monuments historiques est modérément convaincant, en réalité. Autant en matière de monuments historiques, la distinction entre monuments historiques publics et monuments historiques privés aspire sans cesse à être dépassée, au nom d’un seul et même intérêt public dont l’État revendique être le gardien par-delà les propriétés, ce qui, concrètement, se traduit par un régime largement commun à toutes les propriétés ; autant en matière d’archives, la distinction entre archives publiques et archives privées demeure, elle, indépassée. Elle paraît même indépassable, tant ce « non-dépassement » s’entend au sens le plus fort qui soit : non seulement le régime juridique des archives publiques diffère de celui applicable aux archives privées, mais rien, en plus, ne les rapproche, si ce n’est – et c’est juridiquement bien peu – les fonctionnaires en charge de leur application, et le choix légistique de 1979 de les embrasser toutes dans une seule et même définition générale d’« archives19 ».
12Face à une telle polarisation, on peut se demander si la distinction entre archives publiques et archives privées ne vient pas de plus loin qu’une simple différence instrumentale, pour tirer ses racines au plus profond du droit administratif, là où ce droit rejoint la théorie générale de l’État. À cet égard, une simple comparaison entre archives et bâtiments permet, nous semble-t-il, d’approcher les termes du débat. Un bâtiment administratif, on le sait, ne diffère pas d’un bâtiment appartenant à une entreprise autrement que par les règles qu’on lui applique : si le droit appliqué à ces deux choses n’est pas le même (droit domanial/droit civil), les deux choses, elles, sont de même nature. Mais qu’en est-il de la différence entre les deux propriétaires de ces bâtiments ? L’administration est-elle à l’entreprise ce que le bâtiment administratif est au bâtiment privé ? Ou est-elle davantage que cela – davantage, autrement dit, qu’une entreprise soumise à des règles particulières qui lui imposent des finalités et des procédures spécifiques ? Voilà une scène traditionnelle de discussion du droit administratif, où le « sens » même de l’exorbitance se joue20. Or, c’est très exactement au beau milieu de cette scène que les archives publiques se trouvent propulsées : faut-il, dans le débat qui précède, appréhender les archives publiques à la manière dont on appréhende un bâtiment administratif ? Ou faut-il les appréhender à la manière dont on saisit l’administration elle-même ? À quel titre, autrement dit, les archives publiques sont-elles effectivement « publiques » ? Le sont-elles par les seules règles particulières auxquelles on choisit de les soumettre ? Ou le sont-elles plus « en profondeur21 » ?
13Cette question du titre de la « publicité » des archives est tout sauf théorique – en dépit, peut-être, des apparences. Dans un cas, il s’agit de dire que les producteurs d’archives publiques développent un rapport juridique à ces documents du même type que celui développé avec « leurs » bâtiments. Dans l’autre cas, il s’agit de voir dans ces archives un des éléments de « l’institution » même. La différence est considérable car dans ce second cas, on saisit alors les archives publiques non pas à l’aune d’un « rapport juridique », mais comme « situation établie » – et en l’occurrence, pourrait-on même ajouter en employant un vocabulaire éculé, comme une situation établie de la « chose publique » elle-même22. Le grand juriste Maurice Hauriou avait une manière bien à lui de résumer une opposition de ce type : au fond, les archives publiques relèvent-elles de « l’ordre de la patrimonialité » ou, au contraire, de « l’ordre de la souveraineté23 » ?
14Pour répondre à une question de cet ordre, partons d’un point d’accord général : les archives publiques n’appartiennent pas aux agents de l’activité desquels elles procèdent. Si l’on s’arrêtait à ce constat, néanmoins, on resterait au seuil du problème, car la vraie difficulté consiste à répondre à la question d’après : si les individus qui produisent des archives publiques à raison de leurs missions n’en sont pas propriétaires, est-ce au même titre que les salariés des entreprises privées, dans la mesure où ces derniers ne sont pas, eux non plus, propriétaires des documents qu’ils produisent dans le cadre de leurs activités ? Une telle position peut se soutenir, bien sûr ; mais encore faut-il la soutenir vraiment, c’est-à-dire autrement que par la simple reproduction sans discussion du cadre de pensée existant, en écrasant, au passage, toute l’épaisseur de l’histoire du droit administratif. Car il est possible, aussi, d’adopter un angle de réponse très différent : les agents publics et les agents privés en charge d’une mission de service public – les producteurs d’archives publiques, autrement dit – ne sont pas propriétaires des papiers qu’ils produisent dans le cadre de leurs fonctions pour la même raison que le pouvoir n’appartient pas à ses titulaires, et que les fonctions publiques ne sont pas la propriété des agents qui les occupent. Derrière cette mise en relation entre archives publiques, d’un côté, fonctions publiques et pouvoir, de l’autre, c’est la vieille question des « offices », envisagés comme des choses, qui ressurgit alors soudain : le pouvoir et les fonctions publiques exercés par les personnes physiques ne sont pas « leur chose » ; mais cela ne signifie pas, pour autant, que ce pouvoir et ces fonctions sont nécessairement la « chose » de la personne morale pour le compte de laquelle ils sont exercés, ne serait-ce qu’en raison du fait qu’un tel raccrochement à la personnalité morale ne s’est, en réalité, forgé que très tardivement, précisément dans le premier quart du xxe siècle. Pour le dire autrement, si les archives publiques n’appartiennent pas aux agents qui les produisent, ce n’est peut-être pas en raison d’une propriété concurrente – celle de l’État ou d’une autre personne morale –, mais parce qu’à l’instar du pouvoir et des fonctions publiques, ces documents doivent être appréhendés comme relevant de la « chose publique », elle-même entendue comme chose qui relève du domaine public incorporel et perpétuel et qui, de ce fait, ne saurait faire l’objet d’aucune forme de patrimonialisation24.
15Or, une telle « idée » ne continue-t-elle pas de travailler le régime juridique des archives publiques et à le séparer de celui des archives privées25 ? Ce qui se joue, dans ces règles, n’est-ce pas, précisément, « la dissociation entre le pouvoir et les hommes qui sont chargés de l’exercer26 », réactivant alors « le schème de pensée qui a présidé depuis le Moyen Âge à la construction d’un pouvoir impersonnel et d’un domaine public perpétuel27 » ? Les archives publiques ne sont-elles pas, aujourd’hui encore, une des déclinaisons microscopiques de ce fait historique et juridique gigantesque de « la distinction entre l’office souverain et la personne du souverain28 » ? Bref, ne sont-elles pas l’un des garde-fous contre l’« État patrimonial29 », ce qui confirmerait, au passage, que le fait que « les gouvernants cessent d’exercer le pouvoir à titre de prérogative personnelle », mais « sont assujettis à une fonction30 », n’est pas seulement un problème de théorie générale de l’État, mais « commande l’ensemble du droit public général et du droit constitutionnel31 » et se décline dans toute une série d’institutions juridiques concrètes, dont les archives ?
16En matière d’archives publiques, une telle clé de lecture directement inspirée de l’ancien droit nous est largement devenue étrangère aujourd’hui, c’est sûr. Pourtant, on en trouve encore des traces à la fin du xixe siècle32 ou même durant l’entre-deux-guerres, lors de la préparation du projet de loi du 11 août 1936 sur les papiers publics33 : non seulement les archives publiques sont conçues comme n’appartenant pas – évidemment pas – aux personnes physiques de l’activité desquelles elles procèdent ; mais elles sont, en outre, vues comme irréductiblement publiques, au sens où l’on considère qu’elles ne peuvent pas davantage être « privatisées » que l’État pourrait l’être. Si ces archives sont « publiques », c’est au même titre que la puissance est publique, en somme ; c’est parce que, relevant de « l’ordre de la souveraineté », elles ne peuvent pas être privées, sauf à enclencher l’écroulement de l’édifice juridique de l’État moderne dans son ensemble.
17Précisons que cela ne signifie pas que, techniquement parlant, les archives publiques ne sont jamais conçues comme des objets de propriété. Elles le sont, au contraire, incontestablement. Mais il faut alors dire qu’elles sont des « formes de propriété qui sont elles-mêmes de l’ordre de la souveraineté34 », en ce sens que si droits réels il y a, ils ne sont qu’une technique superficielle au service d’un phénomène juridique plus profond. C’est d’ailleurs là la source de toutes les confusions, et la cause principale, en matière d’archives publiques comme dans d’autres domaines, de la « tendance naturelle du droit à considérer les pouvoirs et les valeurs comme des choses sur lesquelles viennent porter des droits subjectifs de propriété35 ».
Les conséquences de la « publicité » des archives
18Qu’on ne s’y trompe pas quant à notre démarche : nous ne cherchons pas à identifier ce que seraient les prétendus fondements juridiques réels des archives publiques aujourd’hui, mais simplement à rappeler que les justifications juridiques contemporaines qu’on plaque sur ces documents ne représentent jamais qu’une justification parmi d’autres – tardive, qui plus est – puisée dans la grande malle aux trésors de l’imagination conceptuelle des juristes36. Sur le constat d’une telle contingence historique, la « publicité » des archives publiques – et concrètement, l’incapacité manifeste du livre II du Code du patrimoine à surmonter la différenciation des archives publiques et des archives privées – devrait sans doute être davantage questionnée, pour la réinscrire dans la grande liste des institutions du droit administratif destinées à contrer les résurgences de l’État patrimonial, au même titre que la notion de compétence, la théorie de l’acte administratif unilatéral ou l’outil du recours pour excès de pouvoir. Voilà autant d’institutions qui expriment le fait que le pouvoir est inappropriable, au sens où il n’appartient à personne en particulier – pas même à l’État – parce qu’il appartient à tous. C’est très précisément, d’ailleurs, la fonction historique du concept de souveraineté : pour reprendre les mots de Duguit, la souveraineté est un droit qui « a les mêmes caractères que le droit de propriété », qui « est un droit de propriété », même, mais « une propriété une et indivisible, inaliénable37 » dont la tâche première est d’exfiltrer le pouvoir hors de tout rapport de propriété particulier.
19Sans doute pensera-t-on que les développements qui précèdent sont inutilement théoriques. Mais le droit n’est pas seulement un imaginaire ; il est un imaginaire à effets concrets : si, aujourd’hui, les « captations » d’archives publiques par certaines administrations ne sont pas vues comme de véritables appropriations et si elles suscitent si peu d’oppositions chez les usagers des services publics d’archives, c’est peut-être, précisément, parce que chacun de ces acteurs se représente l’accès aux archives publiques en simples termes d’équilibre entre des intérêts également respectables, là où tous pourraient se convaincre qu’il s’agit de bien plus que de cela. Ces documents pourraient être vus comme participant de l’inappropriabilité du pouvoir, au sens où ils seraient conçus comme l’une des « situations établies » grâce auxquelles le pouvoir n’appartient à personne en particulier – pas même à l’État – parce qu’il appartient à tous. Mais force est de constater que ce n’est pas le cas : les grammaires juridiques aujourd’hui mobilisées par les praticiens des archives au quotidien empêchent de prendre un tel discours au sérieux, préférant le renvoyer du côté de la littérature ou de la politique, en tout cas hors du champ juridique lui-même.
20C’est d’autant plus dommage, nous semble-t-il, que la vertu explicative d’un retour sur les titres de la « publicité » des archives publiques est forte – et nous terminerons sur ce point, sous la forme de deux brèves remarques.
21La première de ces remarques consistera à rappeler que le droit français des archives peine aujourd’hui à assurer l’unité de la catégorie juridique d’« archives publiques ». C’est le cas, d’abord, pour ce qui concerne les archives parlementaires tant « de nos jours, les Archives nationales et le pouvoir législatif n’entretiennent qu’un rapport ténu38 », les chambres n’assurant qu’un versement « sur un mode contingent ». Ce hiatus est intéressant car il semble recouper la distinction entre « gouvernants » et « agents », qui se fonde, précisément, sur la nature de la situation de ces individus dits « aux fonctions » par rapport au pouvoir. Rappelons-nous que, sous la IIIe République, c’est en prenant appui sur des différences de situation par rapport au pouvoir que Maurice Hauriou distinguait, d’un côté, l’action gouvernementale et son personnel de fonctionnaires – l’autorité exécutive, donc – et, de l’autre côté, le « pouvoir majoritaire de la souveraineté nationale que détient le personnel politique » – auquel il assimilait le pouvoir législatif39. Autant, expliquait-il, l’autorité exécutive et ses fonctionnaires ne sont que des « gérants d’affaires », sans rapport avec « la propriété du pouvoir, qui est proprement la perspective de la souveraineté40 », autant il en va différemment du pouvoir législatif qui, parce qu’il représente « la nation souveraine », a un rapport bien plus direct à la propriété du pouvoir41. C’est sur cette distinction – qui est une fiction juridique par excellence – que le droit des archives continue peut-être de butter aujourd’hui, quand bien même il prétend la transcender par le recours à la catégorie générique d’« archives publiques ». Certes, le pouvoir n’appartient pas à l’État, ni aux individus qui l’exercent ; mais cela ne signifie pas pour autant, si l’on suit Hauriou, que les parlementaires, vus comme détenteurs de la souveraineté nationale dans l’imaginaire de la représentation politique, puissent être assimilés aux agents des administrations : leur situation par rapport à la souveraineté, et donc par rapport à la propriété du pouvoir, n’est pas comparable, ce qui se répercute, comme nous en avons formulé l’hypothèse, sur la situation même des archives publiques qui procèdent de leurs activités respectives. Il n’est pas interdit, d’ailleurs, de pousser plus loin encore l’exercice d’interprétation : c’est précisément parce que, sous la Ve République, tout du moins depuis 1962, le président de la République se trouve élu directement par le peuple, modifiant ainsi sa situation propre par rapport à la souveraineté nationale, qu’il est devenu concevable d’accorder un traitement distinct aux archives publiques qu’il produit dans l’exercice de ses fonctions. Le « contrat de dépôt privé » des archives publiques de la présidence de la République, signé entre le président de la République et le ministre de la Culture le 25 octobre 1979, nous semble, de ce point de vue, une conséquence caractéristique d’une revendication d’un rapport particulier à la propriété du pouvoir, qui serait irréductible à la gérance d’affaires des fonctionnaires. On notera néanmoins que cet acte, en même temps qu’il fut accompli – concrétisant matériellement le rapport nouveau à la souveraineté du président de la République –, provoqua une résurgence spectaculaire de l’État patrimonial, dans la mesure où le « contrat de dépôt privé » octroyait à Valéry Giscard d’Estaing le pouvoir d’autoriser durant soixante ans la communication de « ses » archives publiques, non pas en tant que président de la République, mais en tant que personne physique anciennement titulaire de la charge42. Il n’aurait pas mieux été possible de signifier la « tendance naturelle du droit à considérer les pouvoirs et les valeurs comme des choses sur lesquelles viennent porter des droits subjectifs de propriété43 », introduisant une grande confusion avec la question – fondamentalement différente – de la propriété du pouvoir que manifeste le concept de souveraineté. L’extension très rapide de la logique du « contrat de dépôt privé » aux ministres et à leurs cabinets, dans les années quatre-vingt, en témoigne : l’appropriation des archives publiques – ou, si l’on préfère, le retour de ces dernières dans « l’ordre de la patrimonialité » – est un risque de tous les instants.
22Notre seconde et dernière remarque sera plus courte encore : si l’on veut bien donner quelque crédit à l’hypothèse selon laquelle la communication des archives publiques est une question qui met en branle la théorie générale de l’État, car il s’y joue rien moins que la situation juridique du pouvoir, alors il convient, aussi, de dénoncer la manière dont les débats contemporains sur l’accès à ces documents se trouvent systématiquement rabattus sur de simples questions de « transparence ». S’en tenir, en matière d’archives publiques, à un problème de « transparence » du pouvoir, quand ce qui est en cause, c’est la propriété de ce dernier, c’est déjà une forme de désappropriation.
Notes de bas de page
1 Archives nationales 19960505/5 et 20070175/27.
2 En dépit de l’affirmation, dans la loi du 7 messidor an II, d’un droit de « tout citoyen [de] demander dans tous les dépôts, aux jours et heures qui seront fixés, communication des pièces qu’ils renferment », les décrets d’avant 1979 fixaient leurs propres délais de communication des archives. Pour une traversée de cette période : Potin Yann, « Des archives hors-la-loi ? Remarques sur le régime administratif des archives publiques en France (1790-1936) », in Marie Cornu, Christine Nougaret, Yann Potin, Bruno Ricard et Noé Wagener (dir.), 1979. Genèse d’une loi sur les archives, Paris, La Documentation française, 2019, p. 27-85.
3 Il ne peut malheureusement pas être appuyé par des documents d’archives car, si ceux-ci existent, ils demeurent à ce jour couverts par le secret des délibérations du gouvernement (d’une durée de vingt-cinq ans).
4 La loi no 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives est la principale réforme de la loi du 3 janvier 1979, ou plus précisément, depuis la codification de cette dernière en 2004, du livre II du code du patrimoine.
5 En plus de la tension, communément identifiée, quoique mal encadrée, qui existe entre les prérogatives des administrations « versantes » et celles des administrations « versataires ».
6 CE, 2 juillet 2021, no 444865 et 448763, Association des archivistes français et autres.
7 Pour des explications plus détaillées, nous nous permettons de renvoyer à un autre article, complémentaire de celui-ci : Wagener Noé, « Les glissements du droit d’accès aux archives publiques », Revue d’histoire moderne & contemporaine, no 69-1, 2022 (à paraître).
8 Une table de la jurisprudence relative aux archives, d’une précision inédite (autour de 400 décisions sur la période 1810-2018), a récemment été établie par Thiébaut Nicolas : v. « Annexe 1 », in M. Cornu, C. Nougaret, Y. Potin, B. Ricard et N. Wagener (dir.), 1979. Genèse d’une loi sur les archives, op. cit., p. 667-697.
9 V., parmi les très rares exemples des quarante dernières années, CE, 3 avril 1995, no 114542 (« Considérant qu’en vertu de l’article 4 de la loi no 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives, les services peuvent détruire, à l’expiration de leur période d’utilisation courante, les documents qui ne présentent pas d’intérêt historique et administratif ; que les comptes rendus statistiques établis conformément aux instructions administratives en matière de prêts participatifs, ne présentent pas un tel intérêt »).
10 De façon générale, les Archives nationales ont peu fait l’objet de contentieux, si ce n’est du contentieux de la fonction publique (voir, par ex., CE, 11 décembre 1903, Lot, no 10211 et Molinier, Lelong et autres, no 10481, Rec. p. 780-783, avec le commentaire de Hauriou Maurice, La Jurisprudence administrative de 1892 à 1929, Paris, Sirey, t. II, 1929, p. 348-358).
11 CE, 9 février 1940, Sayous, no 64945, Rec. p. 56 (il est à noter, en outre, que l’affaire en question met aux prises une loi bien particulière, celle du 14 mars 1928 relative au dépôt facultatif dans les Archives nationales et départementales des actes de plus de 125 ans de date conservés dans les études de notaires).
12 Trois très importants arrêts récents, en particulier, concernent la communication d’archives publiques conservées aux Archives nationales, en plus, bien sûr, de l’arrêt du Conseil d’État du 2 juillet 2021 précédemment cité : CE, 1er oct. 2015, no 373019 (accès aux archives du service de coopération technique internationale de la police du ministère de l’intérieur) ; Cons. constit., 15 sept. 2017, no 2017-655 QPC (accès aux archives émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement) ; CE, 12 juin 2020, no 422327 et 431026 (idem).
13 Décision du Conseil constitutionnel du 15 septembre 2017 précitée.
14 CE, 13 avril 2018, no 410939, Association du musée des lettres et manuscrits et autres.
15 Décision du Conseil d’État du 12 juin 2020 précitée.
16 Le récent arrêt du Conseil d’État du 2 juillet 2021 représente de ce point de vue une rupture notable, dès lors que les deux recours pour excès de pouvoir et la question prioritaire de constitutionnalité étaient portés par l’association des archivistes français, l’association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’association Josette et Maurice Audin, en plus de nombreux universitaires, archivistes et citoyens à titre individuel.
17 CE, 1er octobre 2015, no 373019.
18 Wagener Noé, « Papiers publics, papiers privés : les textes des années 1930 » et « Le régime des archives publiques », in M. Cornu, C. Nougaret, Y. Potin, B. Ricard et N. Wagener (dir.), 1979. Genèse d’une loi sur les archives, op. cit., respectivement p. 121-134 et p. 359-375.
19 Ajoutons à cela que la trame propriétaire butte en outre, depuis 1979, sur le fait qu’en tout état de cause, la qualification juridique d’archives publiques est ouvertement décorrélée de la propriété publique, par l’introduction, dans son champ, des « documents qui procèdent de l’activité […] des organismes privés chargés de la gestion des services publics ».
20 La façon la plus efficace, historiquement, de répondre à cette quête de sens a consisté à s’extraire de l’alternative entre différence de nature et différence de droit : une distinction matérielle irréductible entre administration et entreprise – qui sont deux formes de fictions juridiques – est concevable par-delà leur distinction proprement juridique, dès lors que l’on admet, à rebours de la séparation du fait et du droit, que c’est le fait même (leur fait même) qui est juridique.
21 Nous renvoyons ici à l’idée d’« une réalité juridique disposée en paliers de profondeur » chère à Georges Gurvitch (Gurvitch Georges, Éléments de sociologie juridique, Paris, Aubier, 1940, p. 167 sq.).
22 Nous mobilisons ici la grammaire de lecture que propose Maurice Hauriou dans ses Principes de droit public (Paris, Sirey, 1910, réimpr. Dalloz, préf. d’Olivier Beaud, 2010, p. 167-175), lorsqu’il développe les linéaments de la théorie de l’institution. Une phrase peut résumer ce travail : « En droit public, les “rapports juridiques” perdent de leur importance, les institutions et les “situations établies” en gagnent et l’on s’aperçoit qu’elles conduisent tout droit à la notion des choses et du droit réel » [p. 168-169]).
23 Hauriou Maurice, Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Sirey, 12e éd., 1933, réimpr. Dalloz, 2002, p. 749. Pour une remise en contexte et en perspective de ces mots d’Hauriou, cf. Girard Anne-Laure, La formation historique de la théorie de l’acte administratif unilatéral, préf. de Jean-Jacques Bienvenu, Paris, Dalloz, 2013, en part. dans le chapitre intitulé « La construction d’une théorie de la déclaration de volonté pour le compte des personnes administratives », p. 235-304. Voir également, sur ce sujet, l’article majeur d’Olivier Beaud, « Compétence et souveraineté », in Association française pour la recherche en droit administratif, La compétence, Lexisnexis, coll. « Colloques & débats », 2008, p. 5-32.
24 Sur le grand débat doctrinal du début du xxe siècle, et l’échec d’une théorie des droits incorporels sans sujet, nous renvoyons à nouveau à la thèse d’Anne-Laure Girard précitée (part. p. 272-281), qui restitue la pensée de Maurice Hauriou sur ce point, et l’articule avec celle de Georg Jellinek.
25 L’introduction, dans la définition des archives publiques, des « documents qui procèdent de l’activité […] des organismes privés chargés de la gestion des services publics » ne change rien, nous semble-t-il, à cette affaire : bien au contraire, elle confirme que l’idée de « fonction » est au cœur des archives publiques – rejouant, sans le savoir, un vieux débat du début du xxe siècle, quand une partie de la doctrine de droit administratif cherchait à substituer une grammaire à une autre, en l’occurrence la notion de service public à celle de puissance publique, parce que, parallèlement, on entendait substituer la fonction au pouvoir.
26 Burdeau Georges, Traité de science politique. Tome II : L’État, Paris, LGDJ, 1967, 2e éd., p. 245.
27 Nous reprenons ici les mots qu’emploie Marcel Gauchet à propos de la construction de la personnalité morale de l’État au tournant du xxe siècle : Gauchet Marcel, L’avènement de la démocratie. II. La crise du libéralisme, Paris, NRF, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 2013, p. 184.
28 « Christus-Fiscus », in Kantorowicz Ernst H., Mourir pour la patrie et autres textes, Paris, PUF, 1984, p. 61.
29 V. à nouveau Beaud O., « Compétence et souveraineté », op. cit.
30 Burdeau Georges, Traité de science politique. Tome II…, op. cit., p. 244.
31 Ibid., p. 241.
32 Yann Potin citait récemment la conférence de Jules Flammermont de 1883 sur « les archives des ministères et les papiers d’État » qui parle d’un « principe universellement accepté » selon lequel « tout document, traitant des affaires publiques et reçu par un fonctionnaire public à raison de ses fonctions ou par un établissement public, est propriété publique », étant précisé que l’on concevait encore très largement, à cette époque, la propriété publique comme une forme particulière de propriété collective (« Des archives hors-la-loi ? Remarques sur le régime administratif des archives publiques en France (1790-1936) », in M. Cornu, C. Nougaret, Y. Potin, B. Ricard et N. Wagener (dir.), 1979. Genèse d’une loi sur les archives, op. cit., p. 47).
33 Comme l’explique Paul Matter devant la « commission spéciale temporaire pour la revendication des papiers de l’État constituée par arrêté du 10 mars 1936 » qu’il préside et qui est chargée de préparer l’avant-projet de loi sur les papiers publics, si l’on « astreint tous ceux qui exercent une fonction publique ou qui détiennent une parcelle de l’autorité publique ou qui relèvent d’un établissement public à déposer lors de la cessation de leurs fonctions, les papiers publics qu’ils détiennent aux archives ou à remettre ces papiers à leur successeur », c’est parce que « le fonctionnaire public exerce un mandat et […] ne peut conserver comme siens les titres et papiers qu’il a reçus de son mandat » (procès-verbal de la séance du 25 mars 1936 de la commission spéciale temporaire, p. 23 ; et « Rapport à Monsieur le Président de Messieurs les membres de la commission temporaire », Archives nationales 20110275/44).
34 Hauriou Maurice, Précis de droit administratif…, op. cit., p. 749.
35 Ibid.
36 Nous nous inspirons de la formule des « trésors d’imagination des juristes » employée dans deux ouvrages d’Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918), Paris, PUF, coll. « Léviathan », 2005 et Justifier l’injustifiable. L’ordre du discours juridique nazi, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 2017.
37 Duguit Léon, Les transformations du droit public, Paris, Armand Colin, 1913, p. 10-11, réimpr. La Mémoire du droit, 1999.
38 Potin Yann, « Sur la place des archives aujourd’hui » (entretien avec Michel Mélot), Le Débat, 2017/2, no 194, p. 157.
39 Hauriou Maurice, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1929, 2e éd., p. 174 et s.
40 Ibid., p. 27.
41 Dans un article important, Stéphane Pinon résume cette position de Hauriou par le recours à la distinction entre « propriété du pouvoir » et « usage du pouvoir » : « s’il […] paraît normal [à Hauriou] que le parlement – en sa qualité de représentant le plus direct de la nation – ait la propriété du pouvoir, il ne lui paraît pas non plus contestable de donner à l’exécutif – en sa qualité d’organe d’action – l’usage de ce pouvoir » (Pinon Stéphane, « Le pouvoir exécutif dans l’œuvre constitutionnelle de Maurice Hauriou (1856-1929) », Revue d’histoire des facultés de droit et de la culture juridique, du monde des juristes et du livre juridique, 2004, p. 128).
42 Sur ce point, voir Baruch Marc-Olivier et Peschanski Denis, « Pouvoir politique et a/Archive(s) : question(s) d’actualité ? Le cas de la France », in Marie Cornu et Jérôme Fromageau, Archives et recherche. Aspects juridiques et pratiques administratives, Paris, L’Harmattan, coll. « Droit du patrimoine culturel et naturel », 2003, p. 123-143.
43 Hauriou Maurice, Précis de droit administratif…, op. cit., p. 749.
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