Prières inutiles - Chants efficaces. Philippe Jaccottet et Virgile, l’idée d’une transgression des limites
p. 193-208
Texte intégral
1L’expérience du dépassement des limites ou de la traversée n’est pas nécessairement, en poésie contemporaine, de l’ordre de l’extraordinaire ou de la fulgurance. L’importance accordée à l’univers végétal dans la poésie de Jaccottet, sa sensibilité héritée du monde méditerranéen (Antiquité et poètes italiens) ou parfois en relation avec un orient biblique manifestent la conscience d’un homme dans la hantise de la mort et la nostalgie d’un paradis perdu. Que serait la poésie de Jaccottet sans l’évocation mélancolique d’un arrière-monde dont il nous donne idée dans ses premiers poèmes publiés sur un ton très baudelairien ? Il écrit dans l’Effraie :
Sois tranquille, cela viendra ! Tu te rapproches,
Tu brûles ! Car le mot qui sera à la fin
du poème, plus que le premier sera proche
de ta mort, qui ne s’arrête pas en chemin1.
2Faut-il aussi estimer que l’univers végétal, chez Philippe Jaccottet, est comme l’hypostase du divin ? On peut répondre par l’affirmative si l’on considère que la poésie est un chemin qui y conduit. L’attention que le poète de Grignan accorde au paysage pose sans nul doute la question de la présence du sacré et, par là-même, l’idée d’un dépassement. Le divin n’est pourtant pas ici une transcendance qui se trouve associée à un dogme religieux. Il transparaît dans chaque détail qui entoure le paysage des alentours de Grignan, et particulièrement dans ses aspects méditerranéens que Jaccottet se plaît à reconnaître. « Du plus visible, il faut aller vers le moins visible qui est aussi le plus révélateur et le plus vrai2 » et les murs les plus simples, qu’ils soient de clôture ou de bornage « [lui] f[ont] confusément penser à des monuments très antiques3 », leur beauté lui paraît mystérieuse au point où il en « serai[t] venu de nouveau à la rapprocher des pierres de sacrifices et des dieux ; comme si c’était ce que l’on doit inévitablement retrouver à la base ; non seulement de notre histoire, mais dans les soubassements de notre pensée et de nos rêves4 ». La poésie se nourrit d’un terreau antique, entendu à la fois aux sens propre et figuré tant il est vrai que « nous vivons ici sous le même ciel, à peu près, que Sapho, que Virgile, et que nos campagnes ne sont pas tellement différentes des leurs5 ». Les images bucoliques et arcadiennes alimentent ainsi les réflexions sur le paysage qui ne sont pas sans évoquer la peinture de Nicolas Poussin : une quiétude troublante et pure, harmonieuse qui contient le pressentiment de l’inconnu, de l’invisible, de l’infini dans Paysage avec Orphée et Eurydice6.
3Pour approcher la poétique de Philippe Jaccottet dans la perspective d’un sacré sans dogme, c’est-à-dire dans la sensibilité à un ailleurs, pressenti ou révélé par la poésie, nous nous proposons d’examiner en quoi l’Antiquité apparaît si proche dans l’œuvre et constitue l’appui certain d’une expérience d’écriture et d’existence, pour mieux évaluer le sens du rapport à l’univers végétal, tel qu’il a été abordé par Virgile.
Permanence d’un thème
4L’Antiquité gréco-latine livre au poète de Grignan des images champêtres, « dans la tradition du lyrisme bucolique, mais avec une touche de mystère plus accentuée que dans les modèles anciens7 ». Plus particulièrement pour Virgile, elles inscrivent les textes de Jaccottet dans toute une tradition à la fois littéraire et picturale.
5Dans le cadre d’une réflexion qui se consacre à la transgression et au dépassement, la figure de Philippe Jaccottet ne surgit pas de prime abord. Pourtant le désir de transparence et l’invitation à une forme de manifestation de l’univers impose entre le poète et le monde une relation qui va de l’aspiration à la vérité aux résistances multiples de l’existence. Une dialectique bien connue que Jean Starobinski avait théorisée à propos de Jean-Jacques Rousseau8 se fait jour aussi à propos du poète de Grignan. D’une façon plus générale, et au moins depuis la tradition orphique, s’impose l’idée d’une séparation franchissable entre deux univers qui, pourtant, ont des frontières parfaitement impénétrables : monde sensible et inapparent, vie concrète et idéal. Nombreux sont les poètes du xxe siècle finissant et du début du xxie à avoir poursuivi ou réinventé la thématique du passage transgressif en tissant de nouvelles relations entre les mots et les choses, en déconstruisant la relation traditionnelle au sacré, en introduisant malgré tout, dans leurs œuvres un réenchantement du monde. Orphée, Dante occupent une place importante dans l’imaginaire poétique de Jaccottet, ils sont dans le fil de pensée qui guide la méditation sur la vie et la mort, une poésie pure surgit de la descente aux enfers soulignant la dissonance tragique de l’appel de la lumière. Voilà pourquoi toute poésie touchant au sacré est en clair-obscur.
6Jaccottet, quant à lui, accorde une large place à l’émotion qui guide la création poétique, elle ouvre les perspectives sur un ailleurs, un autre monde, ou dans ce que Yves Bonnefoy eût nommé un « arrière-pays9 ». Dans Pensées sous les nuages, Jaccottet écrit :
Je suis comme quelqu’un qui creuse dans la brume
À la recherche de ce qui échappe à la brume
Pour avoir entendu un peu plus loin des pas
Et des paroles entre passants échangées10…
7Et dans Les Notes du ravin, le spectacle de « l’envol rapide des feuilles détachées des branches par un vent du nord » le ramène au Chant VI de L’Énéide quand Virgile fait dire à Énée venu consulter la Sybille de Cumes : « Seulement, ne confie pas tes vers prophétiques à des feuilles qui peuvent s’envoler en désordre, jouets des vents rapides. » La lointaine réminiscence des vers de Virgile guide le poète dans sa propre profondeur de pensée, reprenant le chemin de l’épreuve de la distance et de la séparation, il écrit :
Ce vague souvenir […] viendrait charger ce bref instant d’automne d’un sens plus lourd ; au-delà du monde visible dont font partie les feuilles et les oiseaux, le regard découvrirait en quoi les paroles peuvent leur ressembler, celles de la poésie et celles qu’un dieu arracherait aux lèvres d’une femme élue par lui pour éclairer les consultants sur l’avenir ; paroles comme une sève montant de l’obscur11.
8L’œuvre de Jaccottet s’est construite sur l’idée d’un enchantement et d’un consentement à l’idée d’une transparence du monde, elle est la quête du moment désiré où l’obstacle viendrait s’abolir.
9L’enchantement de la nature révélé par Philippe Jaccottet n’a rien de naïf, il est prise de conscience difficile des conditions de notre existence, peut-être émancipatrice d’une forme de nihilisme qui nous écarterait définitivement de tout sentiment de plénitude. Dans Bois et blés, il met en œuvre la dialectique du sombre, du ténébreux, de la clarté et des couleurs :
Peu à peu j’entrevois une vérité : les couleurs, dans ce bosquet, ne sont ni l’enveloppe, ni la parure des choses, elles en émanent, ainsi qu’un rayonnement, elles sont une façon plus lente et plus froide qu’auraient les choses de brûler, de passer, de changer. Elles montent du centre ; elles sourdent inépuisablement du fond12.
10Aucune réponse définitive ne peut être donnée, Cette lumière « Est-elle glauque, marine ? Est-elle nocturne, livide, funèbre13 ? ». Le travail d’écriture est aussi un exercice de solitude radicale qui doit conduire aussi à une préservation du moi profond.
L’Antiquité si proche
11Comme le ferait un héros de la mythologie grecque, le poète en vient à embrasser le cosmos et à se mêler à la nature, il se trouve de plus en plus fortement relié à l’élémentaire et aux éléments de la cosmologie : le feu (terrestre ou céleste), l’eau, l’air, la terre. On lit ainsi, dans Leçons, une puissante image fusionnelle en forme d’élévation :
Et moi maintenant tout entier dans la cascade céleste
enveloppé dans la chevelure de l’air,
ici l’égal des feuilles les plus lumineuses, […] Je ne vois presque plus rien que la lumière,
Les cris d’oiseaux lointains en sont les nœuds,
La montagne ?
Légère cendre au pied du jour14.
12Cette traversée du monde visible, paré de toutes ses résistances, ne saurait conduire à une illusion du langage poétique et aux pièges de la métaphore facile dont s’est toujours méfié Philippe Jaccottet. Dire l’usage de la vie et du langage, concilier la traversée du temps vécu avec une durée stellaire ou cosmique devient la source d’une sérénité créative qui a longtemps caractérisé son écriture. Dans À la lumière d'hiver, on lit parfaitement ce que signifie cette expérience du passage :
Aide-moi, maintenant, air noir et frais, cristal
noir, les légères feuilles bougent à peine,
comme pensées d’enfants endormis. Je traverse
la distance transparente, et c’est le temps
même qui marche ainsi dans ce jardin15.
13Ailleurs, ne pouvant plus se fier qu’au souvenir « déjà trop vague et presque effacé » d’un verger d’amandiers, le poète se heurte à l’insaisissable : « J’ai le verger derrière moi maintenant […] Tu l’as croisée. Ne te retourne pas / Elle a ouvert, elle a fermé les yeux16. » Le poète doit tirer une leçon de l’émerveillement, se méfier des images et, comme Orphée, apprendre à ne pas soutenir le regard.
14Au-delà de cette exigence de vérité, le travail d’écriture poétique recherche les traces d’un passage mystérieux et essentiel qui conduit immanquablement à une interrogation sur le monde et l’existence. Ce questionnement que porte en lui-même le langage ne peut s’établir que sous le sceau de l’étrangeté, le poète retrouve en cela la démarche d’Hölderlin qui « a écrit que tout ce qui jaillit pur, en pureté, tout pur surgissement est énigme. Il y aurait une circulation invisible manifestée ainsi par des signes17 ». Les échanges entre la surface de la terre et le monde d’en bas imprègnent l’œuvre mais il est aussi une circulation entre le cosmos et l’épaisseur de la terre qui n’est pas sans rappeler Dante. Voilà en partie pourquoi le paysage de Jaccottet est mystère, doté d’un sens spirituel, dans un mouvement permanent et nostalgique parfois, aux prises avec l’exigence d’absolu et la réalité substantielle. Le mouvement héraclitéen apparaît alors comme essentiel pour déjouer les manquements et le leurre de l’immobilité, ainsi, se défiant de tout paradoxe, Jaccottet n’échappe en aucune manière au débat des arts plastiques et de la peinture.
15Dans la poésie et dans l’importance accordée à la peinture, la question du regard occupe une place essentielle, dans la mesure où la sensation est à la base de la création poétique18, notre approche de l’œuvre d’art est invitée à un renouvellement permanent de la forme, ne serait-ce que par la mise en perspective avec d’autres références formelles ou d’autres espaces de la pensée19. Dans Cahier de verdure, un court fragment poétique évoque Les Bergers d’Arcadie20, il illustre la position du poète de Grignan. L’Arcadie fut longtemps une région isolée du Péloponnèse, région propice aux mythes, elle a toujours représenté un monde rêvé et bucolique, chanté par Virgile. Elle interpelle tout naturellement Jaccottet dans son imaginaire pictural comme dans sa propre poésie : dans « la montagne où chaque arbre se tord en lyre21 », comme si les campagnes de la Drôme et de l’Arcadie se trouvaient en vis-à-vis. Revient alors une vision du tableau de Poussin dont les acteurs seraient absents : « le pire ici, c’est qu’il n’y a personne / près ou loin », la voix du poète ensuite s’estompe, s’efface
Détrompez-vous :
Ce n’est pas moi qui ai tracé toutes ces lignes
Mais, tel jour une aigrette ou une pluie,
Tel autre, un tremble,
Pour peu qu’une ombre aimée les éclairât22.
16L’inscription énigmatique de la peinture de Poussin laisse alors la place à sa propre épitaphe23, une parole d’une nature profonde, dotée de sa propre matière poétique :
En cette nuit,
En cet instant de cette nuit,
Je crois que même si les dieux incendiaient
Le monde
Il en resterait toujours une braise
Pour refleurir en rose
Dans l’inconnu24.
L’expérience poétique
17Vient très tôt, dans la vie de Philippe Jaccottet, la notion d’expérience, la vie personnelle fusionne avec l’expression poétique. Le poète écrit dans La Promenade sous les arbres :
Il y a plusieurs années que j’essaie de cerner, dans l’intention de la relater et de la commenter, ce que je dois bien appeler une expérience poétique, même si cette expérience n’est aucunement comparable, pour l’intensité, l’étendue ou la qualité, est-il besoin de le dire, avec celle de quelques grands poètes, Novalis, Hölderlin, ou Rilke par exemple qui se penchèrent sur son secret25.
18Pour comprendre le sens et l’importance de ce principe d’existence, on peut se référer au même ouvrage, dans la section « La Vision et la Vue » ; c’est ici l’expérience de George William Russel26 qu’il interroge. La lecture du poète irlandais joue un rôle déclencheur dans la mesure où elle révèle le modèle de livre qu’il rêve d’écrire. Jaccottet écrit une première note critique à la Gazette de Lausanne : « A.E le Clairvoyant » en précisant le point commun de leur démarche poétique ; il y voit l’idée d’une continuité sans rupture entre l’esprit et la matière, le moi et le monde, la vie et la mort. Le Flambeau de la vision (The Candle of Vision) fait l’objet de toute l’attention du poète de Grignan, recueil qui avait d’ailleurs été l’objet d’un compte rendu de Georges Bataille27. L’expérience relatée par Russel est semblable à celles dont fait état Jaccottet :
L’atmosphère me semblait être une figure, une voix, elle était colorée et lourde de sens. Le monde visible devenait semblable à une tapisserie dont l’envers eût été gonflé et agité par le vent. Si cette tapisserie se soulevait, ne fût-ce qu’un instant, je savais que je me trouverais au paradis ; chacun des dessins qui la recouvrait semblait être l’ouvrage des dieux ; chaque fleur était un mot, une pensée. L’herbe, les arbres, les eaux, les vents, tout était langage.
George William Russel, Le Flambeau de la vision, cité par Ph. Jaccottet28.
19Jaccottet fait d’autant plus sienne cette façon de vivre l’expérience du monde, qu’il la nuancera, la critiquera et associera « ces mystérieuses affinités29 » à celles de Novalis dont il se sent si proche30. La poétique de Jaccottet se définit ainsi par un dialogue avec d’autres poètes et un paysage mental qui se construit sous l’angle de la rupture et de l’adhésion. Dans La Promenade sous les arbres, il en explique le mécanisme dans la section « L’habitant de Grignan ». Des événements importants se sont déroulés dans la vie du poète (le texte est publié la première fois en 1957) : la décision de vivre à Grignan avec son épouse Anne-Marie et leur premier enfant, le choix assumé du métier de traducteur. La traduction de l’Odyssée, achevée en 1955, la mise en chantier de la traduction de L’Homme sans qualités de Robert Musil, ouvrage auquel la France réserva un accueil particulièrement chaleureux, à l’image de celui qu’elle manifesta pour Kafka et Thomas Mann, contribueront aussi à ce changement. Si les paysages environnants de Grignan deviennent un lieu privilégié de promenades, ils sont aussi le lieu de méditations poétiques et de sollicitations profondes dont l’Effraie, écrit avant l’installation à Grignan, fournit déjà une idée de la poétique future :
Tu dors, on m’a mené sur ces bords infinis,
Le vent secoue le noisetier. Vient cet appel
Qui se rapproche et se retire, on jurerait
Une lueur fuyant à travers bois, ou bien
Les ombres qui tournoient, dit-on, dans les enfers31.
20Poème d’ouverture du recueil, nocturne et ténébreux, écrit en temps de crise et de détresse, il sollicite l’attention par le renversement rendu possible du prosaïque vers les « bords infinis », sa tonalité hölderlinienne résonne avec la fameuse élégie Le Pain et le Vin :
En attendant, il me paraît souvent
Mieux de dormir que d’être ainsi sans compagnons,
Et, dans l’attente, que faire et que dire
Je ne sais ; et à quoi bon des poètes en un temps de détresse32.
21Il ne sera plus ici question de prière, même si celle-ci subsiste en filigrane dans l’œuvre sous différents aspects. Il faudrait plutôt évoquer chez Jaccottet une approche du chant divin, dans une dimension expressive qui lui est propre, où les modèles classiques et musicaux persistent dans la réalité quotidienne ; cette position de vie serait à l’origine de la perception de l’infini. L’élection d’un lieu où vivre, Grignan, devient aussi la raison d’une position de sapience qui éloigne des positions négatives et des jugements réducteurs sur le monde. Il fallait, dans la quête d’un accord renouvelé avec le monde, revendiquer une forme d’ignorance.
22L’Ignorant, recueil de poésies écrites entre 1952 et 1956, transgresse un certain nombre de codes et de positions dans la poésie, même si Jaccottet n’est pas le seul avec Yves Bonnefoy, André du Bouchet, Jacques Dupin et Lorand Gaspard à accorder de l’importance à la matière et à la lumière. La question de l’ut pictura poesis prend un sens renouvelé dans le dialogue de la poésie et de la peinture : Giacometti, Tal Coat, Morandi, sur lequel il écrit dans Le Bol du pèlerin, et dont l’œuvre est ressentie comme un « poème peint33 ». Ce que Philippe Jaccottet aime et apprécie en profondeur chez ces peintres est l’absence de représentation idéaliste qui laisse en même temps la place à la lumière et à une forme de sacré. La peinture de Morandi résiste à toute « explication ». « Car énigme il y a. Qui me requiert à proportion qu’elle me résiste, comme celle des fleurs du cognassier ou celle de l’herbe des prairies », écrit Jaccottet dans Le Bol du pèlerin34. Il rencontre une forme de dépouillement qui le rapproche d’autres représentations du sacré émanant, elles aussi, de l’Antiquité ou du début de la Renaissance (le Dante du Purgatoire au chant II ou le Platon du Banquet pour sa « montée vers l’Idée pure »). Qu’il s’agisse du rapport au paysage ou à la peinture, il est question de trouver le lieu de l’expérience de l’éphémère et de l’éternel. La force de la poésie n’est, en aucun cas, l’expression du moi mais elle est dans la clarté native et originelle ; telle est la raison pour laquelle l’Ignorant portait en lui l’image du dépouillement et de la réceptivité à l’essentiel
Maintenant la terre s’est dévoilée
et la lumière du soleil en tournant comme un phare
fait les arbres tantôt roses tantôt noirs.
Puis elle écrit sur l’herbe avec une encre légère.
*
Un soir, le ciel restera plus longtemps clair
sur les grands jardins verts et noirs
couleur des pluies de la veille.
L’Ignorant, Dans les rues d’une ville35.
23La simplicité et le dépouillement sont encore liés dans leur dimension spirituelle dès lors que le poète interroge la création poétique, ainsi, dans La Semaison quand la force pénétrante et immatérielle de l’écriture est affirmée :
C’est le Tout-autre que l’on cherche à saisir. Comment expliquer qu’on le cherche et ne le trouve pas, mais qu’on le cherche encore ? L’illimité est le souffle qui nous anime. L’obscur est un souffle ; Dieu est un souffle. On ne peut s’en emparer. La poésie est la parole que ce souffle alimente et porte, d’où son pouvoir sur nous.
[…] Il se peut que la beauté naisse quand la limite et l’illimité deviennent visibles en même temps […]
Dehors, dedans : […] la page blanche est du dehors mais les mots écrits dessus ?
La Semaison, Carnets 1954-196736
24À Grignan, dans ses « images auxquelles [l’] entraîne, non sans irréflexion, illusion merveilleuse qui flotte sur cette contrée37 », le poète guette les signes d’une frontière ténue entre notre finitude et l’indicible, ligne de partage inséparable de l’idée d’un passage et d’une transgression. Elle se manifeste en chaque saisie profonde et attentive du réel immédiat, dans l’interprétation attentive des instants, des nuances de la lumière. Dans La Semaison le poète de Grignan peut écrire encore ces observations qui font côtoyer l’infini :
Soir. Champ de lavande, par endroits couleur d’ardoise. Une grande moissonneuse avance dans un nuage de poussière. Les champs de blé : ce n’est plus du jaune, pas encore de l’ocre. Ni de l’or. C’est autre chose qu’une couleur. Les chaumes.
L’étendue visible très loin, de plus en plus immatérielle à mesure, de plus en plus ciel ou nuage, par lente progression– comme d’une musique decrescendo – vers le silence du lointain38.
Pourquoi Virgile ?
25Il semblerait que les correspondances entre les arts de la musique, de la peinture et de la littérature auxquelles Jaccottet est particulièrement attaché relèvent d’une pratique régulière. En traduisant Innocence et mémoire39, Jaccottet réaffirme un intérêt pour Dante et Virgile, le rapport avec le poète Ungaretti et la traduction qu’il fait de ses essais recueillis dans Innocence et mémoire coïncident grandement avec ses préoccupations intellectuelles : selon Ungaretti, Dante est soucieux de montrer combien l’éternel se manifeste dans le temporel, il rend sensible, par le chant, l’expression des pensées et des sentiments ; ce sont là des positions poétiques qui ne peuvent que convenir à Jaccottet.
26Une valeur poétique commune, moins attendue, se dessine dans la figure du poète paysan des Géorgiques et dans le discours qui accompagne ce qui apparaîtrait à première vue comme un simple traité d’agriculture, une poésie didactique. Virgile invite à contempler le rythme du monde pour y accorder notre imaginaire. La fin du poème peut paraître étrange : elle remet au goût du jour l’histoire d’Orphée et d’Eurydice. Dans la traduction récente des Géorgiques faite par Frédéric Boyer40, Virgile nous conduit vers autre chose que la res rustica pour nous faire entendre progressivement qu’il n’y a pas de passage entre la terre et l’au-delà de la terre. Selon Frédéric Boyer, nec morti esse locum peut être entendu comme « il n’y a pas de lieu dans la mort », ce qui est important, c’est de savoir ce qui se passe sur la terre et comment s’occuper du lien précaire et fugace qui nous unit à elle lors de notre passage. C’est en tout cas le sens nouveau du poète et traducteur Frédéric Boyer, qui peut se rapprocher plus près de l’auteur de La Semaison et de Promenade sous les arbres.
27Dans une telle perspective, cette position n’annulerait en rien l’expérience du sacré des textes de Philippe Jaccottet. Il s’agit toujours, pour lui, de trouver dans l’écriture une expérience limite s’apparentant à l’épreuve de l’infini et de l’éternité qui apporte en retour le sens de la finitude. Quant à Virgile, sa métaphysique affirme qu’un même principe spirituel se trouve répandu dans l’univers et que l’idéal confié à l’homme n’est autre que de devenir digne d’un dieu41.
28Au début des Géorgiques, Virgile annonce la composition du poème : il va louer en quatre chants le travail de la terre. C’est une tradition très ancienne qui remonte à Hésiode qui nous dit déjà tous les soins que nous devons entreprendre pour vivre en harmonie avec le monde dans une nature domestiquée. Dans les Géorgiques, Virgile adopte une tonalité plus personnelle. Les Géorgiques sont une sorte de commande, faite par Mécène en un temps où la poésie occupe une place éminente dans la société intellectuelle. Le texte se termine sur la question des abeilles, qui doivent faire l’objet d’un soin ultime, leur disparition pouvant entraîner les conséquences les plus graves. Cette dernière partie nous mène à une sorte de tragédie puisqu’elles meurent pour ensuite renaître de la putréfaction d’un veau, alors qu’Eurydice, elle, ne revient pas. La thématique essentielle de l’ouvrage de Virgile est la nostalgie d’une nature rêvée, et cette gravité a des allures contemporaines qui la rapprochent de Jaccottet : habiter le monde, selon Virgile, c’est aussi le nommer car il est un lien étroit entre l’usage du mot et la nature du monde. À la fin du chant IV, Virgile élargit au plus profond ce tenuis des relations entre les éléments de la nature en envisageant la disparition de l’espèce des abeilles ; c’est à ce moment que le poète fait intervenir deux mythes eschatologiques : celui d’Aristée et celui d’Orphée. Ayant perdu ses abeilles, Aristée consulte Protée (divinité marine, dotée du don de prophétie et du pouvoir de se métamorphoser). Aristée est responsable de la mort d’Eurydice puisque c’est en la poursuivant le jour de ses noces avec Orphée qu’elle marche sur le serpent qu’elle ne voit pas. C’est à ce point qu’il nous faut revenir à la peinture de Nicolas Poussin mettant en scène Eurydice venant d’être mordue par le serpent ; elle nous rapproche, par son climat général, de la nature et du monde tels qu’ils sont perçus par Philippe Jaccottet sensible à l’émotion et au cadre général du paysage :
En de tels lieux sonnent, plus ou moins clair, certains accords d’éléments, d’autant plus immuables qu’essentiels, qui ont été ensuite transposés chez Virgile, dans Poussin, ailleurs encore, et que l’on réentend à Rome enrichis des multiples échos qu’ils y ont fait naître. Chez Poussin, tout l’espace devient monument […] il y a place pour les dieux et les nuages, pour les arbres et les nymphes42.
29De telles affirmations doivent être lues avec prudence dans la mesure où Jaccottet a toujours insisté pour maintenir toute vision de la peinture dans sa singularité et son étrangeté. Jaccottet s’inscrit d’ailleurs dans la nouvelle vision de Nicolas Poussin d’après 1945. La lecture de sa peinture ne se fait pas nécessairement en amont mais en aval, contribuant ainsi à une transtextualité des œuvres par l’expérience de l’image43. Cette position est aussi développée chez Jaccottet à propos de Cézanne, Giacometti ou Morandi mais aussi très précisément démontrée par Yves Bonnefoy :
Il y a du cauchemar dans le plus beau rêve, et précisément parce qu’il est beau de cette façon oublieuse : comme dans le Paysage au serpent de Poussin, que j’évoquais l’autre jour, où l’on peut certes chérir ces grands horizons qui apaisent, ces constructions magnifiques, là-bas, sous les nuées paisibles de l’été qui n’a pas de fin, mais dont on ne doit pas ignorer qu’un drame s’y joue, au centre même, cette attaque de l’homme par le monstre qui matérialise l’angoisse qu’accumule tant de beauté. Oui, il faut savoir reconnaître l’omniprésence du vide, l’obsession de la mort vécue comme vide, comme néant, sans compensation, sans plénitude, dans la plénitude apparente de ces trop belles images44.
30Dans un monde déserté par les dieux, il semble véritablement que cette « obsession de la mort vécue comme vide » soit une question qui conduise de façon juste à toute réflexion sur la métaphysique de l’art. On peut ainsi revenir sur la position poétique de Jaccottet qui ne tranche pas la question, laisse ouvert le questionnement singulier qui circule entre le poète, l’acte créateur et le monde, dans une perspective de fascination troublante et inquiète.
31Dans les Géorgiques, l’histoire d’Aristée se prolonge par le mythe d’Orphée sur lequel s’achève le livre IV, Orphée chante, Aristée est pardonné. Orphée a franchi la limite du monde des vivants par le pouvoir de la poésie et si ses prières sont restées inutiles, ses chants sont efficaces :
Orphée, lui, cherchant sur sa lyre creuse une consolation à son amour douloureux, il te chantait, épouse chérie, il te chantait seul avec lui-même sur la rive solitaire, il te chantait, quand venait le jour, quand le jour s’éloignait. […] Cependant émus par son chant, du fond des demeures de l’Erèbe, les ombres ténues et les fantômes des êtres privés de la lumière s’avançaient, aussi nombreux que les milliers d’oiseaux qui se cachent dans le feuillage, quand Vesper ou une pluie d’orage les chasse des montagnes45.
32Le chant d’Orphée, chez Philippe Jaccottet, n’est pas seulement dans les relations en filigrane du monde sensible et de l’inaperçu, il est dans la posture d’éveil permanente que le poète entretient avec la nature, « fauvette sonore [qui] est encore là, entre acacia et tilleul. Orphée dans le jardin d’été46 ».
33Précaire et fragile, la parole poétique touche à la prière tout en gardant son indépendance créative, elle interroge la présence au monde, fusionnelle, dans une relation sensible :
Que devons- nous faire de lui, comment nous comporter à son égard, s’il ressemble tellement à l’absence, au refus ? […] trouver le langage qui traduise avec force souveraine la persistance d’une possibilité dans l’impossible […]
Un équilibre presque insensé, tel est le plus beau défi à l’imminence du pire.
Peut-être faut-il moins encore. L’herbe où se sont perdus les dieux. Les très fines pousses d’acacia sur le bleu presque blanc, du ciel plus mince qu’une feuille. L’hiver. Être un homme qui brûle les feuilles mortes, qui arrache la mauvaise herbe, et qui parle contre le vide47.
34L’homme précaire48 est dans cette condition fragile qui l’empêche de croire à l’absurde, une ligne de partage qui chante sa présence enchantée sur la terre et n’oublie en aucun cas le pressentiment de l’infini. Le poète de Grignan ne cesse d’interroger sa propre détermination et sa résolution de dépasser la douleur d’enfance mais l’âme du poète est le souci du poème qui chante le paysage perdu de l’Arcadie, le poème devient le chant de l’autre âme, exaltée, en vis-à-vis de la souffrance :
L’âme, si frileuse, si farouche,
devra-t-elle vraiment marcher sans fin sur ce glacier,
seule, pieds nus, ne sachant plus même épeler
sa prière d’enfance,
sans fin punie de sa froideur par ce froid49 ?
35L’histoire d’Aristée est un très beau mythe de mort et de résurrection : Aristée est en exil, après avoir commis une faute. Mais sa volonté de « remonter » conduit à son pardon. Le processus de retour à la vie des abeilles commémore alors le secret du vivant, celui-là même qui était enseigné dans tous les mystères antiques : c’est au cœur même de ce qu’on croyait le comble de la mort, la charogne et la pourriture, que jaillit la vie régénéré50.
36Comme dans la résolution finale des Géorgiques, il ne sera en aucun cas question, dans la poésie de Jaccottet, d’une prière de l’absence mais d’une invitation à suivre l’intensité et l’éclat de la présence du paysage, quelque chose comme une renaissance qui fut accordée aux abeilles dont nous parle le texte de Virgile.
Notes de bas de page
1 OC, 6. Nous utilisons l’édition des œuvres complètes de Philippe Jaccottet éditée en 2014 par José-Flore Tappy dans la Pléiade, abrégée sous la forme OC suivie directement du numéro de page (Philippe Jaccottet, Œuvres, édition de José-Flore Tappy avec la collaboration d’Hervé Ferrage, Doris Jakubec et Jean-Marc Sourdillon, préface de Fabio Pusterla, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2014).
2 Paysage avec figures absentes, OC, 471.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 OC, 512.
6 Nicolas Poussin, Paysage avec Orphée et Eurydice, vers 1650 1653, Musée du Louvre.
7 Monte, M. : « Nymphes, barques et autres « lieux » dans l’œuvre de Philippe Jaccottet », Babel, 2, 1997, p. 93-108.
8 Starobinski, J., Jean-Jacques Rousseau, la transparence et l’obstacle suivi de Sept essais sur Rousseau, Paris, Gallimard, 1971.
9 Bonnefoy, Y., L’arrière-pays, Paris, Gallimard, 2003.
10 OC, 722.
11 OC, 1235.
12 OC, 478.
13 Ibid.
14 OC, 460.
15 OC, 475.
16 OC, 556.
17 Cahier de verdure, in OC, 775.
18 On se reportera à l’entretien « Philippe JACCOTTET – Poésie et Nature (RTS, 1990) » (disponible sur https://www.youtube.com/watch ?v =uXiWm h9kf Uo& ab_channel = %C3 %89CLAIRBRUT).
19 « Le figuratif (la représentation) implique en effet le rapport d’une image à un objet qu’elle est censée illustrer ; mais elle implique aussi le rapport d’une image avec d’autres images dans un ensemble composé qui donne à chacune son objet » (Deleuze, G., Francis Bacon, Logique de la sensation, Paris, Éditions du Seuil, 2002, p. 7).
20 Nicolas Poussin, Et in Arcadia ego, 1638-1640, Musée du Louvre.
21 OC, 768.
22 Ibid.
23 « Moi (la Mort), je suis aussi en Arcadie (le pays des délices) » ou « Moi (qui suis mort), je vécus aussi en Arcadie ».
24 OC, 768.
25 OC, 79.
26 Russel George William, dit Æ (1867-1935), poète, peintre, journaliste et économiste irlandais.
27 Critique, no 61, 1952, p. 483-490.
28 OC, 85.
29 OC, 86.
30 Résumé d’un fragment de Novalis cité par Philippe Jaccottet : « Le Paradis est dispersé sur toute la terre, c’est pourquoi nous ne le reconnaissons plus, il faut réunir ses traits épars. », La Promenade sous les arbres, OC, 86.
31 OC, 3.
32 Indessen dünket mir öfters
Besser zu schlafen, wie ohneGenossen zu sein,
So zu harren und was zu thun indess und zu sagen
Weiss ich nicht und wozu Dichter in dürftiger Zeit ?
Hölderlin, Élégies, le Pain et le Vin.
Dans l’édition des œuvres complètes de la Pléiade supervisée par Philippe Jaccottet, Gustave Roud traduit dürftiger Zeit par « dans ce temps d’ombre misérable », p. 808. On peut aussi consulter Heidegger, « Pourquoi des poètes ? », Chemins qui ne mènent nulle part, traduction française, Paris, Gallimard, 1962. Voir aussi l’article de Nicholas Manning, « La place du divin dans la poétique moderne : le reproche de Philippe Jaccottet adressé à Friedrich Hölderlin », Communication, Lettres et sciences du langage, vol. 2, no 1, Printemps 2008, p. 54-63.
33 « Je ne vais pas doubler ces poèmes peints d’un poème écrit », Le Bol du pèlerin, OC, 1129, texte consacré à Giorgio Morandi (1890-1964).
34 OC, 1158.
35 OC, 146-147.
36 OC, 354-355.
37 OC, 96.
38 OC, 861.
39 Ungaretti, G., Innocence et mémoire, traduction de Ph. Jaccottet, Paris, Gallimard, 1969.
40 Le souci de la terre, Nouvelle traduction des Géorgiques de Virgile par Frédéric Boyer, Paris, Gallimard, 2019.
41 Dion, J., « L’expérience du sacré chez Virgile : l’exemple de l’aegritudo », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, no 3, octobre 1992, p. 297-306.
42 Paysages avec figures absentes, OC, 498
43 Se reporter aux travaux de Martine Créac’h, notamment Poussin pour mémoire. Bonnefoy, du Bouchet, Char, Jaccottet, Simon, Vincennes, Presses universitaires de Vincennes, 2004.
44 Bonnefoy, Y., Entretien avec Bernard Falciola, Entretiens sur la poésie (1972-1990), Paris, Mercure de France, 1990, p. 29-30 et 33.
45 Virgile, Géorgiques, IV 464-474 (traduction d’Eugène de Saint Denis, Paris, Les Belles Lettres, coll. « CUF », 2002).
46 La Semaison, OC, 678.
47 Éléments d’un songe, Dieu perdu dans l’herbe, OC, 326-327.
48 J’emprunte cet adjectif à l’étude de Jérôme Thélot, La poésie précaire, Paris, PUF, 1997.
49 Pensée sous les nuages, OC, 715.
50 Analyse redevable de Joël Thomas, Virgile, Bucoliques, Géorgiques, Paris, Ellipses, coll. « Les textes fondateurs », 1998. L’auteur précise, p. 46 : « La structure des Géorgiques est à l’image de l’évolution de sa pensée, des Bucoliques aux Géorgiques : on passe d’une vision de l’hortus conclusus à une vision sinon historique, du moins prenant le temps en compte, une vision dynamique, évocatrice d’un progrès spirituel. Partant de ce qui est, dans le cosmos, le moins irrigué par l’esprit — le minéral, évoqué au Ier livre —, Virgile nous fait parcourir un mouvement ascendant, qui ne cesse de s’élever de la terre vers le ciel, comme une architecture à la gloire du Logos ».
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