Chapitre IX. Le droit latin (ius Latii)
Une relecture
p. 155-170
Note de l’auteur
Publié dans Transpadanum… usque ad Alpes, colloque international, Venise, 15-16 mai 2014, Rome, Quasar, 2015, p. 179-195.
Texte intégral
1Le thème du droit latin sous la forme du ius Latii demeure l’une des questions parmi les plus débattues concernant l’histoire des communautés locales. Au carrefour du droit et de la domination victorieuse de Rome, le thème est tributaire d’une historiographie complexe dont l’écheveau est d’autant plus difficile à démêler que les interprétations implicites des commentateurs sont divergentes. Il manque assurément un fil conducteur jugé fiable par tous en l’absence de données immédiatement lisibles. Les problèmes de vocabulaire eux-mêmes conduisent à des discussions d’autant plus incertaines que les documents sur lesquels il convient de s’appuyer sont maigres et lacunaires. Pour en avoir une idée juste, il suffit de rappeler qu’une simple phrase de Pline l’Ancien à son sujet reste sans solution évidente acceptable unanimement1 : Vniversae Hispaniae Vespasianus imperator Augustus iactatum procellis rei publicae Latium tribuit, écrit-il à la fin de la présentation des provinces ibériques. Même en faisant abstraction de la lecture iactatus transmise aussi par la tradition manuscrite, la référence aux procellae rei publicae prête selon les commentateurs à deux lectures. Pour les uns, l’allusion se rapporte au passé récent des guerres civiles ; pour d’autres, c’est une caractéristique de l’histoire du droit latin qui émergea à la faveur des crises de la cité républicaine postérieures à l’époque gracquienne. Enfin, le mot même de Latium retenu par Pline ne paraissait pas être de contenu immédiatement déchiffrable : expression géographique, statut juridique, formule politique ou non.
2On comprend mieux pourquoi prévaut l’impression que plus on parle du droit latin et plus les solutions se dérobent : deux cas sont exemplaires de ce point de vue, Novum Comum, reflet des limites des critères établis, et Avenches (Aventicum) des Helvètes, colonie romaine pour les uns colonie latine pour les autres2.
3L’histoire raisonnée de l’expansion romaine en Italie et particulièrement en Italie du Nord est un sujet ancien marqué par l’autorité de savants prestigieux qui ont succédé à Th. Mommsen dont l’esprit et la méthode restent pour beaucoup la référence obligatoire3. Plus récemment, G. Luraschi a délimité, à propos de la Transpadane, un cadre institutionnel et juridique qui tient en trois concepts4 : fœdus ou traité d’alliance, ius Latii (les droits reconnus aux Latins) ou association privilégiée en droit, civitas ou admission dans la cité de Rome. Cette clarification des relations entre Rome et les peuples vivant en Italie étendue jusqu’aux Alpes reposait sur une intuition juste mais a pâti du caractère régional de l’étude et de l’idée de « romanisation5 ». La question du ius Latii est assurément l’une de celles qui ont contribué à compliquer et à déformer parfois les perspectives faute de sources éclairantes offrant une définition et des contours indispensables à l’évaluation de son rôle et de sa portée. L’historiographie, c’est-à-dire le discours commun sur le sujet perçu comme partagé par le plus grand nombre, doit être scrutée de façon à définir de nouvelles directions ouvrant sur une meilleure compréhension du problème et des solutions possibles.
Pour ne pas perdre les Latins : lectures et interrogations
4L’origine du droit latin est fixée habituellement au foedus Cassianum (493 av. J.-C.) complété par son extension un peu plus tard aux Herniques menacés par les Volsques (486). Il est considéré comme ayant créé une communauté juridique incluant le droit privé à savoir le commercium et le conubium voire le ius migrandi6. Le temps de la « Ligue latine » dont il était la source alla de pair avec l’application consentie du traité initial et prit fin en 338 av. J.-C. quand Rome le suspendit et prit seule le commandement de l’alliance, sans « annexion », mot étranger à Rome7. Cette deuxième phase met en exergue les colonies dites « latines » incluant les anciennes fondations de la « Ligue » et les établissements décidés par Rome seule après 338. Elle inclut le fameux droit de Rimini (Ariminum) dit des « douze colonies8 ». S’y adjoignent le maintien des dispositions du foedus originel relatives aux droits privés dont le ius migrandi, expression non attestée dans l’Antiquité, supposé réglementer l’acquisition par les Latins, terme vague, de la citoyenneté romaine per censum à la faveur d’un changement de résidence pour Rome9. L’analyse ne peut pas ignorer en outre le droit des Latins et ses contenus reflétés par les documents avant de réinterroger l’histoire des cités latines dans le contexte de l’extension du droit du Latium aux cités non italiques sous l’Empire. Il me semble cependant peu objectif d’enfermer la question dans un jugement de valeur arbitraire mais souvent accepté sur le caractère dépréciatif ou mélioratif du droit latin. Ce n’est certainement pas la question car il s’agissait de rapports dissymétriques voulus par Rome dans toutes les phases de sa construction10.
5Tout a commencé officiellement, concernant les rapports entre Rome et les peuples dits « Latins » – on en est d’accord dans l’ensemble – par le fœdus Cassianum en 493 av. J.-C., lequel liait entre eux les prisci Latini dont Rome était une partie prenante parmi d’autres mais victorieuse. Ce « pacte » ou « contrat » fondé sur la fides réciproque des alliés fixait les relations entre des peuples indépendants visant à mieux se protéger et à éviter de s’attaquer mutuellement. Indépendamment des dispositions et de règles ainsi créées, qui ne sont pas directement de notre ressort ici11, l’essentiel réside dans les dispositifs à caractère militaire face à des ennemis communs et dans les échanges réciproques qui en étaient le corollaire. Les relations entre membres des communautés associées au fœdus reposaient sur des règles juridiques identiques dont le contenu fut défini peu à peu12. Jusqu’en 338 av. J.-C. et la fin des relations qui avaient prévalu depuis 493 av. J.-C.13, diverses colonies avaient été fondées conjointement par Rome et d’autres Latins. Furent ainsi installées vingt-neuf colonies latines dites « fédérales » ou mieux « alliées14 ».
6Après la victoire de 338 av. J.-C., Rome poursuivit seule la mise en place de colonies. Des établissements de petites dimensions furent disséminés sur le littoral de l’ager Romanus sous le nom de « colonia » mais formées de citoyens Romains peu nombreux (les coloniae « maritimae »)15. Des colonies latines, sans autre définition, prolongèrent en outre la colonisation antérieure et épaulèrent la colonisation « romaine » par des fondations variées s’étendant du sud au nord entre 338 et 181 av. J.-C. Aquilée fut la dernière de cette liste composée de vingt-sept cités16. Un hiatus est alors observable puisqu’il fallut attendre la décision du père de Pompée en 89 av. J.-C. relative à la Transpadane pour renouer avec des créations coloniales latines selon un passage du commentaire d’Asconius17. Les événements précipitèrent l’unification juridique des populations libres de l’espace italique. Après avoir reçu, en vertu de la loi Roscia en 49 av. J.-C., la citoyenneté romaine, les terres de l’ancienne province de Cisalpine furent assimilées à l’Italie en 42 av. J.-C., cessant de fait d’être considérées comme provinciales18. Un point particulier et complexe qui a retenu G. Luraschi est la question du statut de la colonie césarienne de Novum Comum en 59 av. J.-C.19. Selon l’auteur, Côme reflète, par son histoire, une progression juridique normative en matière de « romanisation » partant d’un fœdus, se poursuivant par le droit latin avant l’accès à la pleine citoyenneté20. La cité césarienne est ainsi le témoin que la colonie latine restait un choix possible des magistrats romains à cette date en matière de colonisation, notamment dans la province de Gaule cisalpine21.
7On le sait à lire Pline l’Ancien22, c’est en Gaule Narbonnaise que les nouvelles villes (oppida) latines ont été multipliées à partir de César. Plusieurs se présentent plus tard, sous l’Empire, comme colonies sans qu’il y ait la possibilité de dater l’obtention du titre colonial. On en déduit que ces cités étaient, dès l’origine, des colonies fictives sur le modèle des colonies pompéiennes de Transpadane mentionnées par Asconius, Pison., 3C23. Le débat autour de Novum Comum est symbolique d’un thème qui résiste à l’ingéniosité des érudits même les plus performants : l’histoire tardive, postérieure à 268, des colonies latines, présentes aussi dans les provinces ibériques24. Outre la question du contenu du droit dit d’Ariminum calqué, selon Cicéron, sur celui des douze colonies et remontant à 268 av. J.-C.25, une idée admise est que les colonies latines déduites disparurent avec l’Empire, probablement sous Auguste. Il n’y aurait plus aux périodes postérieures que des exemples de colonies « fictives », « titulaires » ou « honoraires » suivant le vocabulaire utilisé26.
8Le bilan montre qu’en matière de droit latin et de colonisation latine rien n’est définitivement acquis et que des expressions telles que « à chacun sa théorie », relevée d’entrée par H. Galsterer dans son compte rendu du livre de M. Humbert27, reflètent le « trouble » scientifique des spécialistes en l’absence de critères et de documents auxquels s’accrocher ou au moins se référer avec certitude. Tout le monde s’accorde, même tacitement, sur le fait que ces questions juridiques et politiques parlent de la « domination » de Rome, pour ne pas dire de la « romanisation », et de ses méthodes dont l’efficacité ou l’habileté conditionnèrent les résultats. « Libéralisme » du droit romain, souci de règles claires et fondées sur la « loyauté28 », autorité légitime de la puissance victorieuse, importance de l’idéologie et des rapports de force qu’elle pouvait justifier en ont nourri une lecture « modernisante ». Comme il a été suggéré, l’histoire n’a pas échappé à une réaction au nom de la fierté locale29. Les évolutions historiographiques actuelles invitent à un réexamen progressif des différentes affirmations sur la base des données antiques, sachant que la « domination » de Rome ne correspondait à aucun des modèles « reconstruits » depuis lors.
9La lecture strictement juridique des relations entre Rome et les Latins n’a pas apporté de solution décisive à ce jour. Une interprétation « romanocentrée » du droit latin autant qu’une lecture « impérialiste » de ses usages n’a pas vraiment non plus contribué à clarifier les questions que le sujet induit faute d’une documentation cohérente et explicite. Une lecture « territorialisée » de l’Empire romain, calquée sur les modèles annexionnistes ou de souveraineté des États-nations modernes, n’a pas permis de dépasser les apories ni les contradictions relatives au contenu, à l’octroi et aux évolutions de la concession du droit latin. Une lecture « libérale » à l’aune d’une générosité toute claudienne de la citoyenneté romaine a fait perdre de vue la notion même de fœdus dont le sens était non pas l’ouverture à la cité de Rome mais l’établissement de relations codifiées avec des étrangers en fonction de leurs propres modalités d’organisation dans le contexte d’une alliance défensive. Le fait que le Pô soit proposé comme une frontière, déjà récusé par G. Luraschi30, indique que l’historiographie n’est pas unanime. Il s’avère, pourtant, une fois encore, que le droit latin ne concerne pas des politiques territoriales mais des populations groupées en communautés autonomes, assimilables chacune à une cité. Pas plus que les provinces occidentales ou orientales, l’Italie n’était une construction territoriale ethnique et nationale dotée de frontières intangibles et fondée sur une organisation modélisée à partir de la notion de souveraineté territoriale31.
10Si l’on tente de faire le point et de démêler vrais et faux problèmes, il convient de souligner que le fœdus n’a pas été au départ l’affaire d’une communauté juridique régie par un droit latin proprement dit et unitaire, comme je l’ai déjà écrit ailleurs32. Le nomen Latinum, associa dans une alliance collective des populations organisées de manière autonome qui tissèrent des liens privilégiés entre elles du fait de l’alliance elle-même33. Peu importe ici que Rome ait été dominante ou non, ait imposé son droit ou ses règles ou se les soit appropriés quand il convenait de codifier ces relations à l’échelle du droit civil ou des conubia. L’association (societas) entre Rome et les « Latins » est née sous le signe de la politique militaire et des services militaires réciproques, justifiés par une proximité géographique et culturelle, et non sous le signe de la citoyenneté et de l’intégration visant à l’annexion d’on ne sait quel territoire34. Les colonies, cofondées puis organisées unilatéralement par Rome, avaient pour but de contenir les populations hostiles et impliquaient donc une participation active des cités dites latines ainsi créées à la protection des terres et des populations aux marges des zones contrôlées par Rome. Les relations entre Rome et les Latins n’avaient pas encore de définition ancrée dans la citoyenneté, le renoncement de certains colons à la citoyenneté romaine ayant eu pour objectif de ne pas précipiter l’échec de la nouvelle communauté en cas de difficultés35. La dimension militaire s’est conservée à la faveur des obligations des colonies latines de participer à la societas au même titre que les autres socii, ce que montrent les épisodes de la deuxième Guerre punique. C’est parce que le fœdus n’était pas une composante liée au droit latin mais une alliance que les peuples cités dans le pro Balbo par Cicéron (Helvètes, Cénomans, Insubres, Iapydes) pouvaient arguer de leur refus de devenir contre leur gré citoyen Romain36. Progressivement, l’idée d’alliance originelle et de communauté défensive s’est estompée. Les colonies latines, tout en demeurant autonomes et libres de leurs décisions, ont été appelées à participer de manière privilégiée aux avantages de la cité Romaine dont elles mimaient depuis longtemps les modes de fonctionnement et d’organisation. La Latinité de statut politique devint un ius fondé sur l’esprit et les termes des relations d’alliance entretenues longtemps avec les Latins.
11Les différentes études publiées à ce jour tendent à ne pas séparer la question des colonies latines des autres formes d’établissements contrôlés par Rome en Italie au cours des siècles républicains. L’histoire des cités latines est de la sorte insérée dans une double perspective censée l’éclairer et l’expliquer : le rôle des créations des colonies et les évolutions des politiques coloniales des autorités romaines au cours des âges. Si, d’un point de vue juridique, il est admissible de considérer que la fondation des colonies quelles qu’elles fussent obéissait à des procédures précises que devaient respecter, au moins formellement, même les imperatores plus soucieux de leur popularitas et de leur pouvoir que de conformité aux règles traditionnelles, il n’est pas établi dans la documentation que les colonies romaines et latines correspondaient à des stratégies et des politiques territoriales constantes de domination clairement définies. Surtout, même si le contrôle d’un territoire au sens militaire est en cause dans l’installation de colonies, chaque colonie revêt une dimension originale liée au lieu, aux circonstances politiques qu’il faut reconstituer et aux colons eux-mêmes socialement hétérogènes37. Puisque le cas de Novum Comum a été longuement analysé par G. Luraschi, il est utile de s’y arrêter. Les documents conduisent selon les spécialistes à des conclusions opposées et discutées périodiquement. Il conviendrait de prêter à César lui-même, consul en 59 av. J.-C., des desseins et des objectifs de toute nature sur lesquels aucune source ne donne la moindre information. Les cinq cents Grecs bénéficiaires de la citoyenneté mais non tenus à résidence selon certaines lectures38, mentionnés seulement par le chorographe, ne disent rien sur le droit latin. Il est assuré que César ait eu recours au tribun de la plèbe Vatinius pour légaliser la fondation et l’octroi de la citoyenneté à des colons39. Ce dossier complexe et trop souvent commenté inclut des témoignages de Plutarque et d’Appien40. Ce qui ressort met en exergue avant toute chose le problème de la « vision » césarienne qui aurait eu une politique à long terme pour la Cisalpine, ce qui n’est guère précis. L’origine même des colons n’est pas connue ni aisée à retrouver. En revanche, l’identité grecque de cinq cents d’entre eux donne lieu à des réflexions liées à leurs qualités et aux attentes de César envers eux. Dans tous les cas, la signification du droit latin, de ses applications ni les contenus d’une colonie latine n’en sortent mieux définis ni explicités41. La lecture de Strabon va dans le sens d’une colonie romaine au départ.
12Il semble que l’action de Rome en Italie du Nord comme ailleurs n’ait été marquée par aucune politique définie durablement en dehors de l’attention aux intérêts changeants de la cité ou du peuple Romain. Qu’il s’agisse du Sénat ou des imperatores, le contrôle des adversaires possibles et la pacification des communautés constituent les objectifs fondamentaux. Les colonies latines fondées au nord du Pô sont au total assez peu nombreuses avant 89 av. J.-C., même en incluant dans la liste Ariminum, Placentia et Bononia42. Cremona est située en Transpadane43. Enfin, Aquilée, considérée comme le dernier témoin de cette phase de colonisation latine, fut aussi créée au nord du Pô44. Même en incluant ces colonies dans un schéma plus ample, susceptible d’illustrer les développements politiques et urbains réguliers dans la province de Cisalpine, rien n’indique une orientation définie allant dans le sens d’une politique défensive, d’une volonté d’annexion ou d’une dimension sociale à l’intention des proletarii ou des soldats ayant accompli leurs obligations. Il apparaît également que la Guerre sociale prolongée par les guerres civiles a enclenché une évolution en mettant sur le devant de la scène la citoyenneté Romaine comme privilège, en grande partie réservée à la péninsule italique limitée, comme au temps de Polybe, par les Alpes45. C’est à juste titre que D. Kremer invite, après d’autres, à construire une histoire évolutive du droit latin46. Il considère qu’en 89 av. J.-C., à l’occasion des dispositions du père de Pompée en Transpadane (et en Cispadane selon G. Luraschi qu’il suit47) concernant l’octroi du droit latin accordé à des colonies « fictives », les colonies latines et le droit latin changèrent définitivement de registre et annoncèrent la dernière étape, le passage au ius Latii dans le cadre de la cité municipale et non plus coloniale. Il affirme que la question du droit latin implique l’adoption d’un schéma communal ou institutions locales sans lesquels le droit latin n’aurait pas de sens48. Il pense cependant que ce droit latin n’était que la continuation de celui qui avait commencé avec le foedus Cassianum.
L’invention du ius Latii
13Les évolutions au cours du iiie siècle av. J.-C. ne peuvent pas être négligées, non pas à cause des questions de rivalités politiques à Rome même mais en fonction des événements militaires qui traversent la période de façon ininterrompue. Dans le contexte de l’expansion en Italie, les socii nominis Latini furent confondus dans un ensemble visant à mettre en avant surtout les alliés au service de Rome. La guerre contre Hannibal montra qu’il n’y avait guère de différence en matière d’obligations entre tous les socii, Latins ou italiques49. Les colonies Latines étaient soumises aux obligations imposées par l’alliance qu’il s’agît de fides, de fournitures en hommes et de leur entretien matériel. Les mutations éventuelles subies par ces colonies latines sont par ailleurs signalées trop allusivement dans les témoignages pour être vraiment éloquentes50.
14Trois points méritent d’être rappelés sans qu’il soit utile ni possible de revenir sur les interprétations variées et contradictoires proposées jusqu’à ce jour, tant les faits et informations sont ennoyés dans une rhétorique de circonstance que l’auteur soit Cicéron, Tite-Live ou Gaius. Le premier point chronologiquement concerne, une fois encore, le « droit des douze colonies » dont parle Cicéron dans le pro Caecina, 35, 102 à propos de Rimini51. L’identité des douze cités n’est pas établie et ne saurait l’être car tout indique que ce ne sont pas les mêmes que celles qui, également au nombre de douze sur trente colonies latines, firent défection en 209 av. J.-C. en refusant de fournir les contingents prévus par l’alliance et qui furent punies en 20452. En 268 av. J.-C., année de fondation de la colonie de Rimini, la question pouvait porter sur l’introduction de normes romaines relatives aux échanges et à la transmission de biens53.
15Un deuxième point porte sur la validité d’un ius migrandi originel qui aurait permis aux Latins de devenir citoyens Romains par changement de résidence confirmé par le census. Les épisodes signalés par Tite-Live au iie siècle av. J.-C., à dix ans d’intervalle en 187 et 177, attirent l’attention sur une crise des migrations et non sur un droit ancien des Latins qui entrerait dans un ius Latii inexistant encore54. La mesure législative autorisant les Latins du nomen Latinum à recevoir la citoyenneté Romaine s’ils laissaient un fils chez eux était visiblement destinée à limiter les migrations et non à créer ce droit, au même titre que les traités avec les Helvètes ou les Insubres veillaient à préserver les communautés de départ éventuel. Comme le commercium et le conubium, le changement de domicile (per migrationem et censum) relevait d’une mesure nécessaire au fonctionnement des relations entre Latins à la suite du fœdus Cassianum et plus largement entre Rome et les étrangers quels qu’ils fussent ensuite à partir du moment où il y avait une convention d’alliance55. Enfin, il est étonnant qu’aucune source ne fasse allusion à sa disparition56.
16Le troisième et dernier point n’est autre que l’épisode de l’institution des colonies de Transpadane dues à Cn. Pompeius Strabo, père de Pompée, impliquant expressément la concession d’un ius Latii sous une forme et une dénomination nouvelles, différent des droits accordés antérieurement aux autres colonies latines déduites auparavant. Le texte d’Asconius suggère que le droit latin des nouvelles colonies était directement concerné cette fois par l’accès à la citoyenneté romaine, à n’en pas douter dans le contexte des revendications des socii ayant débouché sur le bellum sociale.
17Les événements mais également les mots importent et guident la réflexion par la force des choses. Du point de vue de la chronologie, il paraît difficile de faire comme si Rome avait gravé son droit dans le marbre une fois pour toutes dès les débuts de la République, alors que le contrôle (et non l’annexion) de l’Italie n’en était qu’à ses premiers balbutiements57. Il est donc logique de penser que le statut des Latins concernés par l’alliance originelle de 493 av. J.-C. n’ait pas été identique à celui des colons venus au moins en partie de Rome après 338 av. J.-C. Il y a assurément une constante d’un point de vue politique induisant d’éventuels effets juridiques Latins, à savoir que les Latins quels qu’ils fussent étaient pour Rome extérieurs à sa cité et définissaient un groupe d’étrangers (peregrini) à la cité romaine formant une societas avec Rome. La notion de nomen souligne au contraire que les Latins anciens n’étaient pas une communauté ethnique ni politique mais un groupe de peuples organisés, associés par une relation commune avec Rome58. Le ius Latii n’existe pas encore en tant que tel. La création des nouvelles colonies après 338 av. J.-C. ne modifia les données qu’en apparence. Les prisci Latini avaient pour caractéristique d’habiter au voisinage de Rome, finitimi Romae59, et avaient donc des facilités d’entretenir des relations individuelles ou collectives avec Rome. Les colonies dites latines ensuite n’étaient pas latines en vertu d’un droit latin (ius Latii) mais parce qu’elles prolongeaient les anciennes colonies dont Rome avait désormais le monopole de la création. Elles sont latines en ce qu’elles supposaient toujours un principe de parité et de réciprocité en vertu d’une alliance en échange de terres. La citoyenneté était d’autant moins en cause que le colon était supposé renoncer à ce droit faute de pouvoir jouir de deux citoyennetés.
18Comme le montre le texte d’Asconius 3C déjà évoqué, la mesure du père de Pompée enregistre clairement, pour la première fois, l’existence du ius Latii présenté comme un droit des colonies latines créées en Transpadane par Cn. Pompeius Strabo60. Ce ius donnait accès à la citoyenneté Romaine à ceux qui revêtiraient les magistratures locales et les accompliraient sans dol. L’octroi du titre colonial n’est pas un hasard ni une simple réminiscence du passé lointain : il met l’accent sur l’autonomie civique et le rôle militaire des établissements redevables de services envers Rome dans la continuité de l’alliance des anciennes colonies dites « latines » ; il suppose une refondation des cités pérégrines par une série d’actes qui n’excluaient pas, à en juger par le verbe deducere, des redistributions de terres et des mélanges de populations comme s’il s’agissait d’une nouvelle fondation. Il est en outre admissible de comprendre qu’il ait fallu procéder alors à la mise en place d’institutions locales renouvelées. Le nouveau droit, celui de l’obtention de la civitas per honorem, met l’accent sur des relations apaisées autorisant la coexistence d’une citoyenneté locale et de la citoyenneté romaine et destiné à asseoir l’autorité locale, sachant que la faveur octroyée n’impliquait qu’une promotion limitée de nouveaux citoyens. C’est toutefois un trait nouveau dans un contexte qui en rend compte, la guerre sociale, sans oublier le fait que la citoyenneté romaine commençait à se dissocier de son exercice à Rome même. La réflexion de Cicéron sur les deux patries pouvait prendre forme.
19Il est probable que le ius Latii ainsi défini comme ius pour la première fois ait été non pas le résultat de la disparition d’un ius migrandi dont l’existence et la cessation ne sont jamais mentionnées ni datées dans les documents61. Deux données méritent attention : la notion de Latium ne permet pas d’inclure d’emblée toutes les colonies dites latines postérieures à 338 av. J.-C. comme le suggère la référence à Placentia62 ; en second lieu, la Transpadane n’est pas en Italie au moment de la Guerre sociale et il est possible que les colonies latines non italiques, au nord du Rubicon, aient été exclues des mesures des lois de civitate danda ou aient eu le choix de garder leur statut antérieur. Comme la tradition n’offre aucune prise à un ius Latii des colonies Transpadanes remontant au droit des douze colonies, il est nécessaire de réanalyser le résumé d’Asconius, en particulier l’élément où il est écrit veteribus incolis manentibus ius dedit Latii, ut possent habere ius quod ceterae Latinae coloniae, id est ut petend<i> magistratus civitatem Romanam adipiscerentur. Malgré G. Luraschi63, il n’est pas du tout sûr, même si le Pô n’était qu’une limite et pas une frontière, que c’est l’ensemble de la Cisalpine au nord du Rubicon qui a reçu le bénéfice du ius Latii tel que défini par Asconius. Encore une fois une cité fœderata n’était pas une cité de droit latin64. La Cispadane était peu pourvue en colonies latines et abritait surtout des colonies romaines.
20La difficulté du texte tient au caractère imprécis et allusif de la formule ceterae coloniae Latinae. Avant même toute lecture, une ambiguïté existe selon que l’on sous-entend l’article défini ou l’article indéfini. S’il faut comprendre, comme c’est vraisemblable, « les autres colonies latines », la solution n’en est pas simplifiée s’agissant certainement des colonies extérieures au Latium géographique et au nomen Latinum proprement dit. Ces cités étaient depuis longtemps éloignées de Rome à la différence des Latins du voisinage peu à peu englobés dans l’ager Romanus des trente-cinq tribus. Divers historiens ont souligné, par ailleurs, que les ceterae coloniae étaient difficiles à identifier puisque leur disparition était inscrite dans les lois de civitate danda de 90-8965. La création du ius Latii tel qu’il se fixe ensuite à la fin de la République et sous l’Empire n’est pas datable avec précision et n’est pas associé à la fin du ius migrandi dont nous avons vu qu’il n’est pas documenté avec certitude. Il est probable que le déclenchement de la guerre sociale ait donné lieu à un nouveau privilège pour les colonies latines non concernées par les lois nouvelles et que ce soit l’exemple de Frégelles qui ait été étendu à toutes ces communautés, le père de Pompée en ayant tiré parti à son tour. Quoi qu’il en ait été, les colonies ainsi instituées ne furent guère nombreuses66. En outre, si ces colonies créent des colonies latines « fictives » ou honoraires, il est difficile de considérer Novum Comum comme latine et non comme romaine, ce qui irait pourtant mieux également avec l’octroi de la pleine citoyenneté à l’élément grec de la colonie. La disparition de la province de Cisalpine après l’universalisation de la citoyenneté romaine dès 49 av. J.-C. sans doute, ne facilite pas l’analyse. C’est vers la Narbonnaise qu’il convient ensuite de se tourner pour suivre le destin des colonies de droit latin67.
21La relecture raisonnée de la documentation conduit à une histoire de la « Latinité » assimilée au statut concédé aux populations du Latium entrées dans la societas de Rome à la faveur d’un fœdus. La ligne directrice n’est pas l’annexion ni la citoyenneté mais bien la notion d’alliance qui met l’accent sur les peuples et les communautés et non sur le sol et les territoires ou l’on ne sait quel libéralisme anachronique. Malgré le Pro Balbo, les références au foedus concernent les peuples alliés y compris Latins mais non un ius Latii68. L’alliance allait de pair avec une colonisation destinée à préserver les intérêts de Rome et à alléger ses efforts de guerre. L’autonomie des cités était respectée et voulue car elles demeuraient étrangères à la cité de Rome. L’entrée dans la cité romaine ne faisait pas partie des avantages de la societas et n’en fit pas partie durant longtemps. L’accès à la citoyenneté romaine pour des pérégrins resta longtemps limité et d’une autre nature par la cité sans suffrage et le statut de municipe. C’est donc bien à l’aune de la question des Italiques de nom Latin ou autre que la Latinité s’est transformée en devenant le ius Latii69. Celui-ci ne saurait être considéré comme une brimade ni un recul en ce cas. Tout au contraire, sans renoncer à la dimension militaire qu’impliquait le statut de colonie, le droit latin légalisait une pratique de concession de la citoyenneté Romaine qui n’avait pas eu d’équivalent dans le passé et qui scandait des rapports apaisés avec Rome. Le critère en était les services rendus à Rome au sein de la communauté d’origine, ce qui ne s’adressait qu’à un nombre restreint de prétendants. La proximité ethnique et géographique n’avait plus de raison d’être. En ce sens le droit latin dûment nommé a toujours été réservé non aux Latini mais à ceux qui installés loin de Rome ne pouvaient prétendre élire domicile dans la cité du peuple Romain. Le droit latin provincial ne constitue pas une catégorie particulière du point de vue juridique puisqu’il est le ius Latii accordé à une cité, et seulement aux cités même quand il concerne les cités hors de l’Italie de toute une province, séparé d’un fœdus devenu caduc.
Le droit latin « coloniaire » et les cités latines sous l’Empire
22L’Italie du Nord, assimilée bientôt à l’Italie, n’a pas expérimenté longtemps le nouveau régime des colonies de droit latin du père de Pompée. César étendit par la suite le ius à certaines cités de Sicile, signe qu’il était conçu comme un bienfait, avant que Marc Antoine ne projetât l’octroi généralisé de la citoyenneté aux provinciaux de l’île. Les cités de Narbonnaise furent à leur tour gratifiées de ce privilège du droit latin comme en témoigne Strabon à propos de Nîmes suivant une définition qui est celle du ius Latii, l’accès par les honneurs locaux à la cité de Rome. La colonie de Nîmes, devenue ensuite colonia Augusta, complique toutefois la question non du « droit latin » mais des colonies non romaines et du titre colonia70. Il convient de rappeler que notre documentation est souvent plus gênante qu’éclairante quand il s’agit de faits non explicités, comme pour de nombreux aspects du dossier des colonies dites latines. L’exemple de la Gaule Narbonnaise souligne les limites de nos méthodes : en effet, l’opinion acceptée en général et donc reproduite régulièrement est que tout oppidum latinum de Pline l’Ancien (Histoire naturelle, III) doté ensuite dans l’épigraphie d’époque impériale, parfois assez tardive, du titre de colonia correspond à l’origine à une colonia latina fictive. Le titre de colonie et le choix de l’attribuer puis de le conserver n’a pas reçu à ce jour de réponse satisfaisante71. Une direction possible est que le terme de colonia, réservé désormais aux colonies romaines, n’est attribué qu’à titre honorifique à des communautés qui pouvaient donc se prévaloir formellement d’un prestige équivalent aux autres colonies indépendamment du statut latin éventuel de la cité, ce qui les distinguait des oppida latina postérieurs à la Guerre sociale. En vérité, malgré D. Kremer, le ius Latii n’exigeait aucune forme institutionnelle précise incluant des magistratures définies et des institutions politiques autres que celles d’une cité autonome maîtresse de son pouvoir local. De même le droit civil et le droit privé n’en étaient ni l’apanage ni la conséquence72.
23La question des colonies latines sous l’Empire donne ainsi lieu à un constat, celui de l’absence de nouvelles créations identiques à celles qui ont été créées sous la République y compris sans doute dans la péninsule Ibérique. Les cours « universitaires » de Gaius peuvent induire en erreur. Ils utilisent la notion de « Latins coloniaires » pour les distinguer des Latins Juniens73 et définissent le ius Latii comme le ius adipiscendae civitatis per magistratum suivant une formulation moderne, non reproduite ainsi dans ses écrits74 et imitée de Tacite à propos du droit des sénateurs des Gaules aux honneurs romains sous Claude. Il résulte des documents que la condition de Latin a été forgée à l’occasion de la colonisation dite latine, notamment après 338 av. J.-C. et qu’elle ne consentait pas à l’accès à la citoyenneté romaine comme le montre la référence aux Latins Juniens dans la définition. C’est au moment où le droit latin défini comme le ius Latii a été promu que la colonisation dite Latine a en quelque sorte pris fin et connu un prolongement formel faute de mieux. Il faut ici revenir sur l’exemple d’Aventicum75. La nomenclature reconstituée au iie siècle évoque toute l’histoire de la cité : colonia Pia Flavia Constans Emerita Helvetiorum Foederata76. Cicéron, nous l’avons vu, classait les Helvètes au nombre des cités fédérées sans le droit latin ni la condition latine. Ce sont ces témoins d’une ancienne alliance qui ont été conservés. La colonia a valu de la part du fondateur d’autres titres honorifiques, très romains : Pia Flavia Constans Emerita. Les colons sont des vétérans légionnaires (emeriti) qui ont servi dans les armées flaviennes et ont mérité leur congé avec praemia. Le qualificatif d’Emerita aurait dû à lui seul ne pas faire douter du statut romain de la fondation, ne serait-ce que par comparaison avec les deux autres colonies romaines ayant reçu aussi en Lusitanie et en Afrique Proconsulaire ce qualificatif77. Il n’est donc pas sûr que le nouveau territoire colonial ait correspondu aux limites primitives de la cité des Helvètes. Les nouvelles colonies non déduites ou « honoraires » sous l’Empire obtinrent le titre avec ou sans le ius coloniarum que mentionne Pline l’Ancien sans en préciser le contenu ni la définition78. Faut-il admettre qu’il s’agissait d’un titre purement honorifique sans changement du statut ? Les réponses qui ne peuvent intervenir qu’au cas par cas n’offrent pas de solution incontestable et conforme aux logiques de l’histoire des cités provinciales. Cependant, le titre coloniaire suggère non pas des colonies latines au sens traditionnel mais le droit d’accueillir des colons et de répartir les terres en fonction des nouveaux arrivants. Si l’on en juge par Nîmes et les autres colonies de Narbonnaise greffées sur des oppida Latina, le rang colonial visait à rehausser le nom de la cité en l’assimilant aux anciennes cités alliées de Rome.
24Reste le contenu et le rôle de l’attributio79 que les cités de Cisalpine ont été appelées à pratiquer à l’image de Nîmes. Nemausus a pâti de la tradition manuscrite ambivalente du texte de Strabon. Aujourd’hui il est prudent de renoncer avec G. Bandelli et M. Bats à l’idée que ce seraient les oppida subordonnés ou dépendants qui auraient reçu le droit latin et non seulement l’oppidum même de Nîmes dont les magistratures étaient porteuses de l’accès à la cité de Rome80. Comme il a été montré, l’adtributio ne peut concerner qu’une communauté existante, donc une cité pérégrine et non des sociétés extérieures à la norme de la civitas, ce qui n’était pas le cas des cités alpines au temps de leur attribution. Celle-ci est « justifiée » par une dissymétrie de statut entre la cité désignée comme en charge de la cité attribuée c’est-à-dire dépendante. Le texte de Pline sur les cités attribuées de la péninsule Ibérique le confirme81. Comme le suggère le cas des Catali et des Carni attribués à Tergeste sous Antonin le Pieux, la procédure ne s’est pas limitée à une période donnée et se retrouve en outre en Afrique. L’adtributio n’est toutefois pas une donnée propre du droit latin que A. Chastagnol a appelé sans raisons suffisantes « le droit latin attribué82 ». L’attributio implique une tutelle en matière de fiscalité et d’obligations vis-à-vis de Rome (sunteleia), ce qui signifie que, pour ces obligations, les cités attribuées n’ont pas d’autonomie. L’attribution n’est pas un privilège ni une facilité autorisant les élites des communautés attribuées à accéder à la citoyenneté romaine par l’accomplissement des magistratures de la cité de droit latin. Ce que demande le décret de Tergeste n’est rien d’autre que le droit pour ces peuples de permettre à leurs élites de bénéficier d’une procédure d’adlectio dans la curie de Tergeste (Trieste) par l’élection à l’édilité et d’y obtenir par ce biais la citoyenneté romaine sans que soit fait mention du ius Latii. Il se trouve que ce sont des cités attribuées mais la solution est circonstancielle et locale et relève de l’attribution même et non d’une disposition du droit latin. Tergeste avait le statut de colonie romaine et non de cité latine depuis 33 av. J.-C. et manquait peut-être de notables suffisamment fortunés.
25Un réexamen des documents et des interprétations montre que le droit latin historiographique combine sans nuances ni motif avéré diverses réalités relatives aux relations de la cité de Rome avec des populations étrangères assimilées à des Latins au sens géographique et culturel. Le droit latin ou ius Latii n’a émergé que progressivement en liaison avec les questions posées très tôt par les Latins alliés de Rome à des fins militaires, ce que furent aussi les colonies latines. La domination romaine engendra des évolutions tendant à déplacer les relations vers une association plus étroite des communautés dites latines et autres avec Rome. Le nom de « droit latin » ou ius Latii bel et bien défini et devenu identifiable sous l’Empire a pu faire penser à une continuité. Ce ne fut pas le cas. C’est en ce sens que la question « latine » entre pleinement dans les évolutions de la maiestas romaine. Le ius Latii est une formule juridique datée, relevant de l’intégration d’individus dans la cité romaine. Il n’est pas modélisable à l’aune de réalités politiques et institutionnelles d’aujourd’hui qui ne peuvent en aucun cas arguer d’une formule adaptée aux « Latins83 ». Le ius Latii ne fut finalement que le résultat d’une mutation tardive des relations anciennes entre Rome et les populations extérieures voisines ou plus éloignées, à un moment où les alliances à caractère défensif et militaire de la res publica romaine n’avaient plus la même urgence ni nécessité. Il est compréhensible que le droit latin n’ait ainsi reçu de définition que restreinte, sous l’impulsion d’une demande nouvelle de citoyenneté romaine, chez les socii italiques quels qu’ils aient été. Les autres aspects liés au fœdus et à la Latinité n’entraient pas à proprement parler dans ce droit latin, ce qui lève en même temps l’hypothèque d’une citoyenneté latine ou personnelle ou collective sans fondement, de même que celle d’un éventuel caractère punitif qui ne justifiait en rien l’origine du droit et qui n’a jamais été employé comme tel. La perte de la citoyenneté en échanges de terres résulta d’un volontariat et souligne le caractère militaire de la colonisation latine.
Post-scriptum
26Bibliographie : P. Sánchez, « L’isopoliteia chez Denys d’Halicarnasse : nouvelle interprétation », Chiron, 46, 2016, p. 47-83.
27Page 155 : Aventicum, surnommée Emerita est assurément une colonie romaine. Voir désormais aussi : P. Le Roux, « Colonia Emerita », Anas 25-26 (2012/2013) [2018], p. 237-244.
28Page 158 : S’agissant de la Lex Roscia, il convient de rappeler que ce sont les cités (leurs habitants) et non les provinces qui sont gratifiées de la civitas Romana.
29Page 168 : L’article mentionné ci-dessus montre que Emerita/Mérida n’est pas un surnom honorifique mais un toponyme pour une colonie qui n’en avait pas d’autre.
Notes de bas de page
1 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, III, 30.
2 Voir P. Le Roux, 2014a, p. 435-453.
3 La doctrine du grand juriste continue à influencer les recherches. On notera que depuis une cinquantaine d’années, des critiques ont été formulées à l’encontre d’un système jugé trop coupé des réalités sociales et culturelles : voir H. Galsterer, 1976. En revanche, l’héritage est clairement revendiqué par M. Humbert, 1978. D. Kremer, 2006, renvoie fréquemment aux conclusions de M. Humbert qu’il assume pleinement.
4 G. Luraschi, 1979. Le livre, comme l’indique le sous-titre, se limite aux aspects constitutionnels de la « romanisation » de la Transpadane. Le schéma et la réflexion débordent cependant ce seul cadre géographique et ont une portée beaucoup plus large. Les liens entre le droit, la société, la politique et la culture sont soulignés en permanence et l’ouvrage s’appuie sur l’histoire locale (surtout Novum Comum : infra n. 10) et régionale pour mieux donner corps aux conclusions.
5 Il faut ajouter que le droit latin a suivi une histoire particulière dont les articulations plutôt que les étapes sont, comme on essaiera de le montrer, le nomen Latinum, la colonia Latinorum et enfin le ius Latii.
6 D. Kremer, 2006, p. 9-40, en fournit l’illustration et l’essentiel de la lecture dominante de la question. P. Le Roux, 2014a, p. 457-458 avec les références aux textes anciens.
7 Comme « annexion », « Ligue » est un modernisme influencé dans l’historiographie par la « Ligue de Délos » dont le nom antique était symmachia, ce qui correspond à « alliance » et à foedus. « Ligue » daterait du xiiie siècle à partir de « liga » en italien ancien et ne correspond pas exactement aux mêmes réalités.
8 Les textes à suivre confirment les incertitudes concernant les dispositions légales et leur interprétation en raison même de leur caractère allusif dans un contexte qui les suppose connues de l’auditoire : Cicéron, Caec., 33, 98 : Quaeri hoc solere me non praeterit – ut ex me ea quae tibi in mentem non ueniunt audias – quem ad modum, si ciuitas adimi non possit, in colonias Latinas saepe nostri ciues profecti sint. Aut sua uoluntate aut legis multa profecti sunt ; quam multam si sufferre uoluissent, manere in ciuitate potuissent. (« On demande comment, si le droit de cité ne peut se perdre, nos citoyens sont souvent partis pour les colonies latines. Ils sont partis, ou de leur propre mouvement, ou pour ne point subir une peine légale. S’ils eussent voulu subir cette peine, ils auraient pu rester dans Rome et y jouir des droits de citoyen ») ; Cicéron, Caec., 35, 102 : deinde quod Sulla ipse ita tulit de ciuitate ut non sustulerit horum nexa atque hereditates. Iubet enim eodem iure esse quo fuerint Ariminenses ; quos quis ignorat duodecim coloniarum fuisse et a ciuibus Romanis hereditates capere potuisse ? Quod si adimi ciuitas A. Caecinae lege potuisset, magis illam rationem tamen omnes boni quaereremus… (« Ensuite parce que Sylla lui-même, en ôtant à plusieurs le droit de cité romaine, ne leur a point enlevé le droit d’aliéner et d’hériter. Il veut qu’ils soient traités comme les habitants de Rimini : or, qui ne sait pas que ceux-ci jouissaient des mêmes droits que les douze colonies, et qu’ils pouvaient hériter des citoyens romains ? Mais quand même Cécina aurait pu perdre par la loi son droit de cité, tous les gens honnêtes ne devraient-ils pas chercher les moyens de corriger l’injustice… »)
9 Voir infra p. 163 et n. 54 et 56.
10 Dans la mesure où le droit latin et les relations avec les peuples latins mettent en jeu l’expansion romaine, il était inévitable que l’idée de domination imposée soit invoquée à leur propos.
11 Les documents sont peu nombreux et plus ou moins éloquents ou allusifs sur ce qui a pu se passer : Denys d’Halicarnasse, Tite-Live surtout (voir supra n. 2). Il faut ajouter le traité similaire passé avec les Herniques et les Volques.
12 Voir supra n. 7.
13 Rome, cette fois encore, impose par les armes un nouveau système de relations qui rendait caduc le fœdus originel. C’est ce que l’on appelle avec plus ou moins de bonheur, nous l’avons dit, la « dissolution de la Ligue latine ».
14 Voir la thèse récente, encore inédite, de A.-M. Sanz, 2013, disponible en ligne depuis le 27 juin 2013.
15 Voir entre autres E. T. Salmon, 1969, p. 70-81.
16 Le bilan donne lieu à débats et discussions. Ce sont vingt-sept colonies latines qui auraient été fondées entre 338 et 181 av. J.-C. : voir par exemple D. Kremer, 2006, p. 5-8. Il convient de rappeler que l’extension du territoire romain des trente-cinq tribus jusqu’en 241 av. J.-C. a entraîné des modifications pour des communautés latines anciennes au fur et à mesure de l’élargissement de l’ager Romanus. Les socii nominis Latini de la veille de la deuxième guerre punique étaient certainement les cités coloniales postérieures à 338 en très grande majorité.
17 Asconius, Pison., 3C : il s’agit d’un extrait d’un commentaire, par le grammairien maître de Tite-Live, du discours prononcé par Cicéron en 55 av. J.-C. « contre Pison » et relatif à la période de l’exil 58-57 av. J.-C. de l’orateur. Le texte d’Asconius est le signe, confirmé par Quintilien, que le début du discours de l’orateur parvenu jusqu’à nous est incomplet. La question est de savoir ce qui est de l’ordre des faits énoncés par Cicéron et ce qui relève d’un commentaire plus ou moins rigoureux.
18 La chronologie et son identification dépendent d’une documentation discutée : deux questions dominent s’agissant de l’assimilation ou non du fragment d’Ateste à la lex Rubria et de la date de la lex Rubria (49 ou 42 av. J.-C. selon les avis).
19 Voir aussi G. Luraschi, 1999, p. 423-460. Novum Comum est une nouvelle fondation dont le site correspond à l’actuelle Côme. Le point de vue de l’auteur n’est pas indifférent à une réaction contre un « indigénisme » ambiant qui ne lui paraît pas justifié (voir p. 167 : ecco che la maggioranza è tentata di sposare la causa di questi ultimi, finendo di buon grado fra i seguaci di Asterix, il simpatico, ma storicamente improbabile, ‘Galletto’ di Goscinny e Uderzo).
20 Le statut de colonie latine de Novum Comum en 59 av. J.-C. est celui que retient fermement G. Luraschi contre ceux qui penchent pour une colonie romaine (G. Luraschi, 1993, p. 176-184).
21 Plus particulièrement, p. 179 et sq. avec les sources et la bibliographie principale.
22 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, III, 36-37.
23 Voir D. Kremer, 2006, p. 121-122, qui souligne que c’est la première mention du ius Latii en tant que tel : veteribus incolis manentibus ius dedit Latii.
24 Récemment, F. Beltrán Lloris, 2011, p. 131-144.
25 Cicéron, Caec., 35, 102 : deinde quod Sulla ipse ita tulit de ciuitate ut non sustulerit horum nexa atque hereditates. Iubet enim eodem iure esse quo fuerint Ariminenses ; quos quis ignorat duodecim coloniarum fuisse et a ciuibus Romanis hereditates capere potuisse ? Quod si adimi ciuitas A. Caecinae lege potuisset, magis illam rationem tamen omnes boni quaereremus… aussi supra n. 8.
26 Voir A. Chastagnol, 1995a, p. 116-118 en particulier, comme illustration du « droit latin provincial », et M. Christol, 2010, p. 117-122 parmi d’autres contributions du volume. Leur caractère latin résulte, selon la vulgate, du statut jugé antérieur à l’octroi du titre colonial, celui d’oppidum latin.
27 H. Galsterer, 1984, p. 426. La formule, déconcertante, est de M. Humbert lui-même (voir supra n. 1).
28 Ce qui n’est pas le sens le plus immédiat de « fides », le crédit que l’on accorde à un autre, la confiance que l’on place en lui.
29 On note parmi d’autres exemples les débats autour du ius migrandi, du ius suffragii, des colonies fictives, de la latinité ou de la « romanité » de Novum Comum ou d’Aventicum.
30 G. Luraschi, 1979, p. 148. Le Pô n’était ni une frontière ethnique ni une frontière juridique mais une limite géographique servant de repère commode dans le contexte d’une classification ou d’une description.
31 Luraschi a sans doute eu le tort de construire sur l’exemple de Novum Comum une procédure « généralisable » d’intégration en trois étapes : foedus, ius Latii, civitas. Cette succession n’avait rien de logique ni d’obligatoire et n’est devenue formalisable qu’au bout de nombreux siècles d’histoire et de relations avec Rome. Elle suppose une organisation territoriale elle aussi structurée selon des critères voisins de ceux qu’offraient les nations modernes. Une difficulté supplémentaire a obscurci la réflexion : les colonies latines fédérées dont nous verrons que leur existence ne contredit pas l’interprétation globale de l’histoire du droit latin.
32 P. Le Roux, 1998b, p. 315-341.
33 Voir déjà C. Nicolet, 1977, p. 270-273 qui insiste bien sur la notion d’« alliance ».
34 L’entrée dans la cité romaine n’est pas en cause aux premiers siècles des relations avec les Latins comme l’admet lui-même M. Humbert, 1978, p. 138. Ces Latins demeurent des étrangers, des pérégrins entretenant seulement des relations particulières avec Rome. Sur Peregrinus, voir l’article signé G. Humbert dans Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, IV, col. 389-392.
35 D’autant que les Latins anciens avaient reçu pour une part des privilèges nouveaux sous la forme de la municipalisation et de citoyenneté sans suffrage. Les Latins non concernés pour des motifs qui nous échappent étaient toujours des socii de nom Latin pour les distinguer des autres socii entrés plus tard dans l’alliance et jugés moins proches des Romains.
36 Gadès fédérée, n’était pas une cité latine, sinon l’épisode du droit de cité de Balbus serait incompréhensible. Sur ce refus, P. Sánchez, 2007, p. 215-270 (avec la traduction à suivre du Pro Balbo, 32 : « Il existe, il est vrai, des traités tels que ceux conclus avec les Cénomans, les Insubres, les Helvètes, les Iapydes et, de même, avec quelques peuples barbares de la Gaule, dans lesquels il est stipulé par une clause d’exception qu’aucun d’eux ne pourra être admis par nous comme citoyen. Par conséquent, s’il faut une clause d’exception pour disposer d’une interdiction, partout où il n’y a pas d’exception, il y a nécessairement autorisation. Et où lit-on dans le traité avec les Gaditains qu’il y ait interdiction pour le peuple romain d’admettre un Gaditain comme citoyen ? Nulle part ! Et même si cette clause y avait figuré, elle aurait été annulée par la loi Gellia Cornelia, qui avait donné expressément à Pompée le pouvoir d’accorder le droit de cité. ») L’a. suggère que le problème soulevé illustre, outre l’exclusivité de la citoyenneté romaine, la nécessité de l’accord de la cité d’origine dans le contexte de foedera ou alliances à caractère militaire étrangers à une politique d’intégration juridique.
37 L’évolution même des colonies dites « romaines » du fait du statut de leur population montre que l’établissement originel à caractère défensif ne se retrouvait pas dans les colonies équivalentes de la fin de la République et de l’Empire : celles-ci avaient emprunté aux colonies latines le rôle et la place de la terre et avaient pour objectif, par le biais des vétérans légionnaires, les commoda populi Romani et l’expression de la maiestas de Rome et de son mode vie policé.
38 Strabon, V, 1, 6. Le passage essentiel sur la non résidence des Grecs (lecture non assurée) ne permet pas de conclusion sur le statut mais au mieux sur l’échec de l’installation des Grecs pourtant bénéficiaires de la citoyenneté romaine, ce qui ne va pas dans le sens d’une colonie de droit latin.
39 Suétone, César, 28.
40 Plutarque, César, 29, 2-3 : Appien, B. ciu., 2, 26. D. Kremer, 2006, p. 134-136. Appien a pu faire une confusion ou bien comme le suggère aussi la question des Grecs, Novum Comum, colonie romaine de César a échoué et était une colonie latine à la veille du franchissement du Rubicon.
41 L’exemple attire encore une fois l’attention sur le lien étroit entre « colonia » et répartition de la terre.
42 Ariminum a été fondée en 268 av. J.-C. (Velleius Paterculus, 1, 14, 7 ; Tite-Live, Per., 16) ; Placentia en 218 (Velleius Paterculus, 1, 14, 8 ; Tite-Live, 20 ; Asconius, Pison., 3C). G. Bandelli, 1996, p. 98, rappelle qu’Eporedia est la seule colonie romaine au nord du fleuve et que Crémone (218 av. J.-C.) et Aquilée (181 av. J.-C.) constituent les deux seules colonies latines de Transpadane.
43 P. Tozzi (dir.), 2003, p. 84-95 sur la fondation de la colonie.
44 Tite-Live, XXXVIII, 55, 5. Novum Comum, nous l’avons vu supra, n’est jamais dite colonie latine.
45 Sur l’évolution de la notion d’Italie et ses fluctuations, les discussions montrent qu’il n’y a pas unanimité. Polybe, II, 14, englobe dans l’Italie les terres au sud des Alpes.
46 D. Kremer, 2006, p. 5-8 et p. 195-197. Voir déjà P. Le Roux, 1998b, p. 315-341 (= P. Le Roux, 2014a, p. 455-478).
47 G. Luraschi, 1979, p. 143-156.
48 Voir p. 113-122 particulièrement.
49 P. Le Roux, 1997, p. 113-119. A.-M. Sanz, 2013, p. 297-354, qui ajoute aussi une lecture idéologique dont la portée est sujette à interprétations variées sachant que la supériorité de Rome est à la fois incontestable et parfois contestée à lire Tite-Live lui-même. L’auteur met en valeur une uniformisation progressive des conventions avec les alliés visant à renforcer l’alliance militaire (voir surtout p. 329), ce qui est la lecture la plus courante. Les Latins désignent désormais et les anciens Latins qui le sont demeurés et les populations issues des nouvelles colonies latines. A.-M. Sanz ne mentionne pas, toutefois, le problème du droit des douze colonies. Les textes sont ambigus sur la condition au cas par cas des anciens alliés antérieurs à 338. Il n’y a aucune raison qu’il s’agisse d’entrée dans la citoyenneté romaine ni de ius suffragiii ou de ius migrandi.
50 Il est évidemment dommageable pour notre intelligence des données que la définition du droit des douze colonies nous échappe totalement : voir G. Luraschi, 1979, p. 215-299, surtout pour les discussions.
51 Supra, n. 8 et 23. Le bilan de G. Luraschi, 1979, p. 215-299 reste le plus documenté et le plus systématique, ce qui ne signifie pas que toutes les conclusions doivent être adoptées sans examen ni modification.
52 P. Le Roux, 1997, p. 114-115. Voir la traduction dans l’édition CUF, Tite-Live, XXVII, 9, 7-11 : « (7) Voilà ce qu’on disait dans ces assemblées. Le peuple romain avait alors trente colonies ; parmi elles, douze – alors que toutes avaient des ambassades à Rome – déclarèrent aux consuls qu’elles n’avaient pas de quoi fournir des hommes et de l’argent. Ce furent Ardea, Nepete, Sutrium, Albe, Carseoli, Sora, Suessa, Cercei, Setia, Calès, Narnia, Interamna. (8) Sous le coup de cet événement extraordinaire, les consuls, voulant détourner les alliés d’un dessein si abominable, et croyant obtenir davantage par le blâme et les reproches que par de douces paroles, déclarèrent aux alliés qu’ils avaient osé dire aux consuls des choses (9) que les consuls, eux, ne pouvaient se résoudre à répéter en plein sénat : ce n’était pas là, en effet, refuser de supporter les charges militaires, mais abandonner ouvertement le peuple romain. (10) Ils devaient donc rentrer en hâte dans leurs colonies, et, comme d’une question encore entière – ayant encore parlé seulement de ce crime, plutôt qu’osé le commettre – en délibérer avec leurs concitoyens ; leur rappeler qu’ils n’étaient pas Campaniens, ni Tarentins, mais Romains ; (11) que c’était de Rome qu’ils sortaient, de Rome qu’ils avaient été envoyés dans ces colonies, dans un territoire pris par une guerre, pour étendre le tronc romain ; ce que les enfants doivent à leurs parents, ils le devaient aux Romains, s’ils avaient quelque piété, quelque souvenir de leur ancienne patrie. (12) Ils devaient donc délibérer à nouveau ; car pour le moment, sans aucun doute, leur projet inconsidéré tendait à trahir l’Empire romain, à livrer la victoire à Hannibal. » La conjoncture de la guerre hannibalique et l’influence de l’époque augustéenne se mêlent dans la narration mais il est notable que seule la parenté et la societas entre Rome et les colons soit invoquée et non des contraintes juridiques ou la citoyenneté romaine.
53 Rimini (Ariminum) se situe alors non pas en Italie mais en Cisalpine non encore devenue une province. Le texte de Cicéron suggère des règles relatives au commercium.
54 Voir W. Broadhead, 2001, p. 69-89 dont l’argumentation critique est solide malgré telle ou telle affirmation jugée moins convaincante par certains, ce qui ne peut pas jeter le soupçon sur la démarche d’ensemble. Il n’est pas démontré que la formule socii nominis Latini n’implique pas les coloni Latini : G. Luraschi, 1979, p. 222 qui malgré la diversité du vocabulaire ne retient pas une pluralité de significations. Voir par ailleurs J.-L. Ferrary, 2003, p. 115-116, qui souligne le caractère conjoncturel des événements de 187-177 av. J.-C.
55 D. Kremer, 2006, p. 5-8 pense que les alliés du nomen Latinum et les latins coloniaires ne correspondaient pas juridiquement à des situations identiques, s’agissant en outre de l’accès à la citoyenneté romaine. Tout dépend de ce que désigne « Latins coloniaires », lesquels ne peuvent être que les populations des cités fondées après 338 av. J.-C. En revanche, l’idée que droits civils et privés tardivement attestés existaient dès la conclusion du fœdus et avaient été intégrés très tôt dans le droit romain des Douze Tables demande à être nuancée car l’absence d’obstacle ou de règle au profit d’une pratique indique, au contraire, que les solutions au cas par cas suffisaient. Gaius, Institutes, I, 56-57 (voir P. Le Roux, 2014a, p. 467) indique que les pérégrins quels qu’ils aient été pouvaient bénéficier des relations de conubium et de commercium selon les règles romaines.
56 W. Broadhead, 2001, p. 69-89 montre que ni l’origine ni la disparition ne sont repérables dans les sources ce qui est incompréhensible s’il s’était agi d’un droit essentiel des relations entre Latins et Romains. Comme l’a suggéré l’analyse supra p. 163, la question fondamentale n’était pas territoriale et nationale mais relevait d’un possible accès à la citoyenneté romaine au détriment de l’ancienne citoyenneté.
57 C’est toute la question de la lecture des sources qui ne confondent pas systématiquement origines et ancienneté des droits. Les privilèges supposés accompagnant l’alliance de 493 av. J.-C. ne sont pas mentionnés dans les textes : voir supra n. 10 et 11.
58 D. Kremer, 2006, p. 6-8 et p. 40 considère que les Latins constituaient une communauté juridique, mais il semble plus juste de parler d’association à caractère militaire assortie de dispositifs politiques et de pratiques couvertes par le droit.
59 Tite-Live, X, 46, 8 dans le contexte de la victoire des consuls en 293 a. C. sur les Samnites qui montre malgré tout le rôle de ce voisinage : quorum tanta multitude fuit ut non templum tantum forumque iis ornaretur sed sociis etiam coloniisque finitimis ad templorum locorumque publicorum ornatum diuiderentur (il y en eut tant, que non seulement on en décora ce temple et le forum, mais qu’on en distribua aux alliés et aux colonies voisines pour orner les temples et les lieux publics).
60 Les colonies du type de Placentia ne sont pas dites « latines » et les bénéficiaires ne sont pas des colons.
61 Pas plus que le commercium, le conubium, le suffragium ou le fait de remporter un procès contre un citoyen Romain, le supposé ius migrandi n’est une propriété avérée des communautés bénéficiant du ius Latii. Les autres alliés pouvaient en user en se faisant recenser à Rome. Nous n’avons pas, même à l’occasion des épisodes cités de 187 et 177, de preuves que les titulaires d’un changement de cité par migration, et non de domicile, aient été très nombreux, étant entendu que les années sans census ne pouvaient pas donner lieu à l’admission de droit dans le corps des citoyens Romains.
62 Dont Asconius, 3C indique explicitement qu’elle fut créée pour faire face aux Gaulois contrôlant la région dans une phase d’expansion guerrière de Rome.
63 G. Luraschi, 1979, p. 147-168.
64 Ce que ne permet pas de conclure Cicéron, Balb., XXI, 48 à propos d’un habitant de Spolète. Il n’est pas du tout sûr, même si le Pô n’était qu’une limite et pas une frontière, que c’est l’ensemble de la Cisalpine qui a reçu le bénéfice du ius Latii tel que défini par Asconius.
65 D. Kremer, 2006, p. 125.
66 G. Luraschi, 1979, p. 157 donne une liste possible de 16 communautés dont la validité est difficile à vérifier, à laquelle il ajoute neuf centres de la Cispadane. Le chiffre de vingt-cinq paraît élevé. Il est suivi par D. Kremer, 2006, p. 122, n. 13.
67 Asconius, 3C rappelle en conclusion de son commentaire : Duo porro genera coloniarum quae a populo Romano deductae fuerunt, ut Quiritium aliae, aliae Latinorum essent. On note que la distinction fondamentale se fait entre les Quirites et les Latins suivant une formulation archaïque. Les nouvelles colonies du modèle dont relève la Transpadane sont moins Latines que de droit latin.
68 Cicéron, Balb., XXIV, 54 : Latinis id est fœderatis. Il s’agit d’une précaution oratoire destinée à marquer l’ancienneté des liens. Cicéron, Balb., XXIII, 52 indique que des personnes originaires de villes libres et de villes fédérées avaient reçu la citoyenneté, ce qui indique bien que le ius Latii avait pour origine des pratiques plus anciennes non institutionnalisées ni strictement ciblées.
69 La destruction de Fregellae en 125 av. J.-C. est un épisode dont la portée excède la question du ius Latii.
70 Ce n’est pas en raison du rang colonial (Goudineau, Kremer) que Nîmes a joui d’un statut de liberté vis-à-vis du gouverneur dont parle Strabon mais en raison d’une collation exprès de ce privilège au moment de la fondation, indépendamment du droit latin.
71 Voir D. Kremer, 2006, p. 121-125.
72 Malgré D. Kremer, 2006, p. 9-15. Les hésitations sur la latinité personnelle et la latinité communale sous l’Empire n’ont pas lieu d’être comme l’ont montré divers travaux. Le droit latin ne créa pas de citoyenneté latine : c’est l’inclusion non nécessaire de droits civils et privés dans les caractéristiques du droit latin qui a induit l’idée d’un droit de cité latin : le civis latinus est le citoyen local d’une communauté régie par le ius Latii.
73 Gaius, Inst., I, 79. Voir P. Le Roux, 2014a, p. 442-443.
74 Voir Gaius, Inst., I, 95-96.
75 Voir P. Le Roux, 2014a, p. 438-441.
76 CIL, XIII 5089 = RIS, 82. Voir P. Le Roux, 2014a, p. 438.
77 D. Kremer, 2006, n’en doute pas qui n’inclut pas Avenches dans les communautés latines. Il n’en donne pas les raisons.
78 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, V, 20.
79 Dont il a été dit justement que le substantif n’est pas attesté : attributus, contributus sont seuls répertoriés, ce qui appelle une pratique légale et non un principe juridiquement établi.
80 G. Bandelli, 1996, p. 103-105 ; M. Bats, 2007, p. 51-62.
81 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, III, 18.
82 A. Chastagnol, 1987, p. 18-20 et 1995, p. 107.
83 Le ius Latii au même titre que la langue latine relève définitivement d’une langue « morte » et d’une histoire ancienne, ce qui en accroît l’intérêt comme objet d’étude.
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