Le combat des féministes canadiennes pour la reconnaissance des droits des victimes d’agression sexuelle : l’héritage de Bertha Wilson et de Kim Campbell
p. 173-185
Texte intégral
1Le présent exposé repose sur le postulat suivant : le changement durable en matière de justice passe obligatoirement par une évolution du droit. L'étude de la situation canadienne sera un champ privilégié d'exploration de cette hypothèse de travail pour les historiens de demain, les changements importants dans le droit et les pratiques judiciaires en matière d'agression sexuelle étant en effet beaucoup trop récents pour faire l'objet aujourd'hui d'une analyse à caractère historique. Pour l'heure, il s'agira donc d'un regard plus politique qu'historique sur le combat mené par des féministes canadiennes pour la reconnaissance des droits des victimes d'agression sexuelle dans le droit et dans l'administration de la justice, autant par les policiers et les procureurs de la Couronne que par les avocats de la défense et les juges.
2Pour bien comprendre les enjeux de cette réforme, il faut savoir que le droit pénal canadien s'inscrit dans la tradition juridique des pays anglo-saxons, la common law, droit essentiellement non écrit. Malgré l'adoption d'un Code criminel il y a plus de cent ans déjà, en 1892, il faut toujours se référer à la jurisprudence pour en connaître le sens et la portée. Cependant, la particularité du droit pénal canadien tient à sa constitutionnalisation. Celle-ci découle de l'adoption en 1982 d'une Charte des droits et libertés à l'instigation du Premier ministre de l'époque, l'honorable Pierre Elliott Trudeau1. Cette Charte garantit d'une manière très étendue les droits de la défense, mais elle reconnaît aussi un certain nombre de droits que les victimes peuvent invoquer en raison de ses articles 15 et 28. Le premier proscrit la discrimination fondée notamment sur le sexe tandis que le second reconnaît expressément l'égalité entre les hommes et les femmes.
3Bien entendu, un exposé de la situation qui a prévalu pendant des siècles permettrait de mieux comprendre tout le chemin parcouru au cours du dernier quart de siècle. Mais d'excellentes études existent déjà sur le sujet2. Qu'il suffise de dire que pendant trop longtemps la justice canadienne s'est montrée sourde et aveugle face aux victimes de crimes sexuels. Des mythes et stéréotypes qui servaient de justification à des règles de droit iniques3 devaient être dénoncés4 afin de donner aux victimes d'agression sexuelle un accès à la justice que trop de barrières systémiques rendaient illusoires. Mais encore fallait-il que les règles de droit soient modifiées, ce qui ne fut pas chose facile, le législateur et les magistrats canadiens étant demeurés jusqu'à récemment étrangement imperméables à l'analyse de la différence entre les sexes lorsqu'il est question de droit pénal.
4Il faut cependant reconnaître qu'au cours du dernier quart du vingtième siècle, le Parlement a voté plusieurs lois en vue d'une répression plus efficace des crimes à caractère sexuel et d'une protection accrue des droits des victimes d'agression sexuelle. Cependant, le nombre même de ces lois — on en compte une bonne dizaine — indique que la partie n'a pas été facile5. L'histoire législative des régimes dits de « protection des droits des victimes d'agression sexuelle » (rape-shield laws) laisse entrevoir une lutte perpétuelle mettant en cause un « nouveau concept », celui des droits des victimes (généralement des femmes) et le confrontant à la pierre angulaire du droit pénal au Canada, c'est-à-dire la présomption d'innocence du prévenu et son corollaire, le « droit à une défense pleine et entière », désormais enchâssés dans la Charte canadienne des droits et libertés, entrée en vigueur le 17 avril 19826.
5Vu l'importance du rôle joué par notre Cour suprême, aussi bien dans l'élaboration du droit prétorien qu'au niveau du contrôle de constitutionnalité des lois, contrôle renforcé par l'effet de la Charte, la reconnaissance des droits des victimes d'agression sexuelle aura exigé un patient travail d'éducation et de persuasion tout autant, sinon plus, auprès des magistrats que des décideurs politiques7.
6Il va sans dire que la première chose à faire afin de résoudre un problème, c'est de bien l'identifier. Des féministes formées dans diverses disciplines du droit, des sciences humaines et de la psychologie se sont intéressées à la situation des femmes victimes d'abus sexuels. Ainsi, l'accès des femmes à l'éducation supérieure et plus encore aux études de droit aura permis d'identifier les barrières juridiques qui rendaient fort difficile l'obtention d'une condamnation dans un procès pour viol ou pour un autre crime à caractère sexuel8.
7Un questionnement a eu lieu parmi ces féministes quant à la pertinence de porter des accusations criminelles alors que les tribunaux semblaient singulièrement insensibles aux problèmes des victimes, tout préoccupés qu'ils étaient par le respect du droit à la présomption d'innocence et obnubilés par des enseignements d'un autre âge qui leur faisaient croire que les femmes avaient tendance à porter de fausses accusations de viol en vue de cacher leurs propres inconduites sexuelles9. Certaines croyaient possible de faire évoluer le droit et les pratiques des divers intervenants du système de justice (policiers, avocats et juges) tandis que d'autres jugeaient qu'il valait mieux pour les femmes agressées panser leurs blessures physiques et psychologiques en se tenant le plus loin possible des milieux policier et judiciaire qui risquaient simplement d'aggraver leur victimisation. C'est la première approche qui a fini par triompher, encore que bon nombre d'intervenants socio-médicaux doutent de la pertinence de poursuites criminelles.
8Nous ne pourrions rendre un hommage à toutes ces féministes du Canada anglais comme du Canada français qui auront osé confronter les idées reçues quant aux femmes en général et quant aux victimes de viol en particulier. Elles sont trop nombreuses et nous ne manquerions pas d'en oublier. Il nous paraît plus utile de signaler simplement l'apport remarquable de deux d'entre elles, la juge Bertha Wilson, première femme à accéder au plus haut tribunal du pays, et la ministre Kim Campbell, première femme nommée au poste de ministre de la Justice et Procureure générale du Canada10. Il pourra sembler étonnant aux yeux d'observateurs étrangers que nous accordions une importance aussi grande à une juge qu'à une ministre. Cependant, cela se justifie pleinement dans le contexte canadien en raison de l'extraordinaire pouvoir dont est investie la Cour suprême, pouvoir qui lui permet d'anéantir les meilleures initiatives législatives sous le couvert d'un contrôle de constitutionnalité des lois. L'abandon par le législateur d'une partie de son pouvoir souverain au profit de la magistrature ne devait pas se traduire pour autant par une renonciation à son pouvoir de légiférer pour corriger les iniquités qui émaillaient le Code criminel ou qui découlaient de décisions de la Cour suprême ne tenant pas suffisamment compte des intérêts des victimes d'agression sexuelle. Le judiciaire et le politique devaient donc trouver un point d'équilibre en tenant compte de la nouvelle donne que constitue la Charte. Contrairement à ce que Gisèle Halimi a raconté de son passage à l'Assemblée nationale française11, leur passage à la magistrature pour l'une et au ministère de la Justice pour l'autre ne furent pas que des embellies perdues puisque la brèche ouverte par ces pionnières aura entraîné un changement fondamental de la culture juridique canadienne12. Nous étudierons donc successivement leur héritage en ce qui concerne la reconnaissance des droits des victimes d'agression sexuelle.
L'héritage de Bertha Wilson
9Il aura certes fallu un certain temps à la juge Wilson pour s'imposer à la Cour suprême du Canada. Mais cette femme réfléchie a osé dire son malaise de voir des hommes appelés à trancher des questions, d'ordre moral souvent autant que juridique, dans des domaines qui touchaient tout particulièrement les femmes : avortement, violence conjugale, viol. Au début, on retrouvait le plus souvent la juge Wilson en dissidence ou dans une opinion concourant à l'opinion majoritaire mais à laquelle aucun de ses collègues n'avaient souscrit. Néanmoins, ses propos portaient à réfléchir. Citons, à titre d'illustration, ce passage marquant de son opinion dans l'arrêt Morgentaler, un arrêt portant sur l'avortement :
Il est probablement impossible pour un homme d'imaginer une réponse à un tel dilemme, non seulement parce qu'il se situe en dehors du domaine de son expérience personnelle (ce qui, bien entendu, est le cas), mais aussi parce qu'il ne peut y réagir qu'en l'objectivant et en éliminant par le fait même les éléments subjectifs de la psyché féminine qui sont au cœur du dilemme13.
10C'était en 1988. Elle a cependant réussi à rallier une majorité de collègues dans l'arrêt Lavallé14, un arrêt qui marque un tournant dans l'attitude judiciaire en matière de légitime défense des femmes dans des affaires de violence conjugale. Cet arrêt précédait de peu une conférence mémorable prononcée par la juge Wilson en 1990 sous le titre « Est-ce que les femmes juges feront une différence ? »15. Lors de cette conférence, la juge Wilson a osé dire le sexisme dont les femmes ont fait les frais de la part des institutions juridiques en général et des tribunaux en particulier, en dénonçant au passage
certains aspects du droit pénal [...] fondés sur des présuppositions quant à la nature des femmes et de la sexualité féminine qui, à notre époque, sont presque ridicules16.
11Faut-il voir un lien entre cette conférence marquante dans laquelle la juge Wilson affirmait que
les femmes et le système judiciaire tout entier ne remporteront qu'une victoire à la Pyrrhus si les réformes du droit ne proviennent que des efforts des femmes juges et des avocates17
12et le changement d'attitude progressif de la Cour suprême face aux droits des victimes d'agression sexuelle qui a marqué la décennie 1990 ? Faut-il plutôt le mettre sur le compte de l'arrivée en renfort de deux autres femmes juges récemment nommées à la Cour suprême, les juges Claire L'Heureux-Dubé et Beverley McLachlin ? Le poids du nombre n'est sans doute pas négligeable en ces matières mais il reste que le leadership de la juge Wilson aura été considérable.
13La présence de la juge Wilson aura très certainement permis à tous ses collègues de prendre conscience de la nécessité d'interpréter les règles du droit pénal de telle manière que les crimes sexuels ne demeurent pas impunis. C'est ainsi que l'on a assisté dès la décennie 1980 à un très net resserrement des conditions de recevabilité d'une défense d'erreur quant au consentement, un moyen de défense trop souvent invoqué à l'encontre de crimes sexuels18. Une modernisation de la règle d'exclusion de la preuve par ouï-dire résultant de l'arrêt Khan de 1990 aura aussi permis d'obvier à l'impossibilité de faire témoigner un enfant en bas âge19. L'abrogation législative de l'exigence de corroboration d'un tel témoignage aura aussi donné à la Cour suprême l'occasion d'indiquer aux juges de première instance la nécessité d'apprécier leur crédibilité en tenant compte justement de leur âge et sans avoir des attentes démesurées à leur endroit, en ce qui concerne notamment la mémoire ou l'absence de contradictions20.
14Après avoir ainsi tracé la voie d'admirable façon, la juge Wilson a tiré sa révérence, laissant le soin à ses deux collègues de poursuivre son œuvre21. Ces dernières, il est vrai, n'ont pas toujours été du même avis22, la juge L'Heureux-Dubé étant généralement plus radicale que sa jeune collègue. On peut même signaler leurs divergences de vues dans la célèbre affaire Seaboye23, un arrêt de 1991 perçu par de nombreuses féministes comme un recul pour les victimes d'agression sexuelle puisqu'il déclarait inconstitutionnelle une disposition législative limitant le contre-interrogatoire des plaignants, disposition qui était une pièce maîtresse d'une législation de protection des victimes entrée en vigueur en 1983. Mais en définitive si ce fut un recul, celui-ci fut sans doute plus stratégique que réel.
15La juge L'Heureux-Dubé aura contribué d'une façon significative à faire connaître aux juristes la littérature féministe dans divers domaines des sciences sociales. Ainsi, elle a fait largement état des travaux de chercheuses féministes sur le phénomène des agressions sexuelles et de leur sous-dénonciation à la police et devant les tribunaux. Elle a aussi osé démontrer à quel point les rapports entre le Parlement et la magistrature étaient marqués par le sexisme des juges, particulièrement dans le domaine des crimes à caractère sexuel. Son opinion dissidente dans l'arrêt Seaboyer brosse le sombre tableau de la partie de bras de fer qui s'est jouée entre le Parlement et la Cour suprême, cette dernière fragilisant sans cesse les mesures mises en place par le législateur pour assurer un meilleur accès à la justice aux victimes d'agression sexuelle24. Ce brutal constat aura très certainement mis la Cour suprême sous haute surveillance de la part des médias qui relayaient les préoccupations des féministes quant à un retour en force des barrières systémiques empêchant de rendre justice aux victimes d'agression sexuelle. La Cour a fait par la suite amende honorable, en se montrant disposée à avaliser les réformes faites par le Parlement pour faciliter le témoignage des plaignants dans les crimes sexuels.
16Les préoccupations de la juge L'Heureux-Dubé pour l'égalité l'ont également amenée à soutenir avec force et conviction le droit à la vie privée des victimes contre toute intrusion faite au nom du droit à une défense pleine et entière de leurs présumés agresseurs. Sur cette question, elle aura réussi à susciter l'adhésion de certains de ses collègues25 mais, surtout, son approche aura retenu l'attention du Parlement qui codifiera des règles de communication des dossiers confidentiels des plaignants en s'inspirant de sa position26.
17La juge McLachlin aura elle aussi repris le flambeau de la juge Wilson pour dénoncer le sexisme du droit criminel et de son application. Comme ses deux collègues, elle l'a fait tant dans ses jugements27 que dans ses conférences28. Son apport s'est fait plus discret à certains moments mais il fut non moins significatif. Ainsi, dans l'arrêt Seaboyer, quoiqu'elle ait signé l'opinion majoritaire tant décriée, elle aura pris soin de bien expliquer aux juges d'instance que la décision de la Cour ne devrait pas être interprétée comme autorisant les abus d'antan. Elle leur a proposé une grille d'analyse permettant de tenir compte des intérêts des victimes sans pour autant être obnubilés par ceux-ci au point de risquer de condamner des innocents29. Pour plusieurs, cet arrêt était de mauvais augure, laissant croire que le droit des accusés à une défense pleine et entière aurait une préséance marquée sur les droits des victimes. Il devait amener une réaction législative dont il sera question plus loin.
18La position modérée de la juge McLachlin n'est sans doute pas étrangère à la décision du Premier ministre du Canada de la nommer juge en chef de la Cour suprême au début de l'an 2000. À la veille de sa nomination à ce titre, elle cosignait un arrêt majeur, l'arrêt Mills qui traduit en effet une grande déférence envers le Parlement en reconnaissant que
les tribunaux n'ont pas le monopole de la protection et de la promotion des droits et libertés [et que] le législateur joue également un rôle à cet égard30,
19et ce, plus particulièrement dans le contexte de la violence sexuelle. Il est d'ailleurs significatif de constater que la Cour suprême interprète désormais la Charte canadienne comme reconnaissant des droits égaux aux accusés et à leurs victimes qu'il y a lieu de concilier31.
20Malgré l'importance considérable de la magistrature dans l'évolution du droit criminel canadien, le prétoire ne peut et ne doit pas être le lieu privilégié de la réforme du droit. C'est le Parlement qui doit être un tel lieu. Ce qui nous amène à traiter de l'impact que peut avoir la présence d'une avocate féministe dans un poste-clé du gouvernement.
L'héritage de Kim Campbell
21Il nous paraît tout indiqué de rendre un hommage bien particulier à Kim Campbell, la première femme à détenir l'important portefeuille de la Justice au sein du gouvernement fédéral32 car elle aura largement contribué à la réhabilitation des féministes, trop souvent considérées comme excessives dans leur propos et dont la crédibilité des recherches scientifiques, notamment celles portant sur l'ampleur de la violence faite aux femmes, était toujours remise en question par les tenants d'un pouvoir masculin qui acceptaient mal les revendications féminines. Madame Campbell a posé des gestes significatifs pour dénoncer la violence faite aux femmes et réaffirmer les droits des victimes d'agression sexuelle.
22Dès son arrivée au ministère de la Justice, elle a organisé un colloque historique sur « la femme, le droit et la justice »33. Elle voulait ainsi faire prendre conscience de l'ampleur des problèmes rencontrés par les femmes dans toutes les sphères d'activités relevant de la compétence législative du Parlement fédéral dont, bien entendu, le droit criminel. Non seulement a-t-elle pu ainsi s'informer mais elle a contribué à faire connaître et comprendre les préoccupations des femmes. Ce faisant, elle a certes créé des attentes importantes mais elle s'est acquis le soutien des féministes canadiennes qui voyaient en elle une porte-parole privilégiée de leurs préoccupations et de leurs revendications34.
23On lui doit aussi la mise sur pied d'un Groupe de travai l fédéral-provincial-territorial sur la violence faite aux femmes35 dont les travaux auront tracé la voie à plusieurs changements tant législatifs qu'au niveau des pratiques de poursuites judiciaires.
24On lui doit surtout d'avoir réagi sans tarder lorsqu'une crise politique importante éclata à la suite de l'arrêt Seaboyer en raison du tollé de protestations des groupes féministes, et tout particulièrement de celles qui œuvraient dans les centres d'aides des victimes d'agression sexuelle.
25Quoique cet arrêt n'ait pas été aussi catastrophique que ce qu'en disaient ses détracteurs, il reste qu'un certain rappel à l'ordre s'imposait, certains magistrats continuant manifestement à entretenir les mêmes vieux préjugés à l'endroit des femmes36, ce qui mettait en péril tous les efforts faits pour convaincre les victimes de dénoncer les crimes à caractère sexuel.
26Le projet de loi défendu au Parlement par la ministre Campbell constituait une riposte ferme à l'arrêt Seaboyer ainsi qu'à d'autres tentatives des avocats de la défense pour obtenir l'acquittement d'agresseurs sexuels37. Il fallait que le Parlement réaffirme sa volonté d'assurer la protection de la vie privée des victimes, tout en restant dans des limites qui soient constitutionnelles. Mais il fallait surtout mettre un terme à des défenses farfelues en redéfinissant le crime d'agression sexuelle. Dans son préambule, le projet de loi indiquait on ne peut plus clairement à quel point le Parlement était préoccupé par la violence envers les femmes et les enfants, et surtout par la violence sexuelle qu'il entendait voir réprimée sévèrement. Ce projet de loi précisait ce que devait être un « consentement » dans le cas de gestes de nature sexuelle38 et il circonscrivait les défenses possibles en précisant la norme de faute applicable39, en plus de prévoir de nouvelles limites au contre-interrogatoire des plaignants40.
27Par son attitude déterminée, la ministre Campbell aura ainsi tracé la voie que suivra par la suite le ministre libéral de la Justice, Allan Rock, chaque fois qu'un arrêt de la Cour suprême sera perçu comme menaçant le fragile équilibre entre les droits des accusés et ceux des victimes, que ce soit par la reconnaissance, dans l'arrêt Daviault41 d'une défense d'ivresse extrême au profit des agresseurs sexuels ou d'une intrusion injustifiée dans la vie privée des victimes par la communication à la défense de dossiers confidentiels ou de notes intimes, dans l'arrêt OConnor42.
28Même si elle ne fut ministre de la Justice qu'à l'époque du premier d'entre eux, tous ces projets de loi sont marqués du style Kim Campbell, par l'inclusion de préambules qui réitèrent les préoccupations du Parlement et sa volonté d'assurer la dénonciation des crimes sexuels par des mesures énergiques qui assurent une protection adéquate de la vie privée des victimes et qui écartent les défenses trop faciles. Ces préambules ont pour but d'expliquer à la magistrature les justifications politiques et sociologiques des modifications législatives apportées43.
29Le message aura porté, la Cour suprême se montrant désormais plus respectueuse du Parlement lorsqu'il légifère en réaction à ses propres arrêts. Ainsi, les mesures législatives adoptées après les arrêts Seaboyer44 et O'Con-nor45 ont été jugées constitutionnelles par la Cour suprême même si le Parlement n'a pas respecté scrupuleusement la voie tracée par la magistrature. Quant à la réaction législative faisant suite à l'arrêt Daviault et qui a consisté en l'ajout de l'article 33.1C.cr.1146 dont l'objet est d'interdire toute défense d'intoxication pour des crimes portant atteinte à l'intégrité physique et sexuelle des personnes, jusqu'à présent la Cour suprême n'a pas eu l'occasion de se prononcer sur sa constitutionnalité. Nous avons tout lieu de croire cependant que la disposition serait jugée valide, ce qui explique sans doute le peu d'empressement des plaideurs à la contester.
Conclusion
30Le combat qu'on croyait sans fin entre le législateur qui cherchait à « protéger » les femmes victimes d'agression sexuelle et le judiciaire qui tantôt interprétait strictement, tantôt déclarait inconstitutionnelles, et dès lors inopérantes, ces dites mesures de protection, a pourtant connu un nouveau tournant à la fin du dernier millénaire, tournant qui permet d'espérer en voir le dénouement. C'est du moins l'hypothèse qu'il faudra éventuellement examiner à la lumière des plus récents arrêts de la Cour suprême du Canada concernant les mesures législatives prises par le Parlement pour assurer la dénonciation des crimes sexuels dans le respect du droit à la vie privée des victimes.
31L'expérience de devoir témoigner à la Cour devant un auditoire de badauds avides de détails croustillants demeure certes extrêmement pénible pour toute victime d'une agression sexuelle47 mais les débats se font désormais d'une manière civilisée, les victimes ayant, au même titre que leurs agresseurs, le droit à la protection de la Charte canadienne. Voilà un pas de géant franchi en moins d'un quart de siècle de luttes dont à peine quinze ans depuis l'adoption de celle-ci.
32Durant ce quart de siècle, le droit canadien a fait des progrès considérables afin de donner aux victimes d'agression sexuelle un accès à la justice que trop de barrières systémiques ont rendues illusoires durant plus d'un millénaire. À ce titre, il y aurait lieu de signaler également, fait rare, l'interprétation généreuse donnée par la Cour suprême à des textes d'incrimination pour qu'ils englobent des abus sexuels qui, autrement seraient restés impunis48. Ainsi aura-t-elle conclu qu'une menace de viol constituait une menace d'infliction de lésions corporelles49, que la non-divulgation de sa séropositivité par un homme ayant eu des relations sexuelles non protégées entachait d'un vice fondamental le consentement de sa partenaire50 et qu'une menace de divulguer des photos de la victime posant nue pour obtenir des faveurs sexuelles de sa part pouvait constituer une extorsion51. Voilà autant d'arrêts qui permettent d'affirmer avec Michelle Boivin que les femmes sont désormais « des membres constitutifs de la société » à part entière et que
[ce qui] arrive aux femmes et leur interprétation de ce qui leur arrive et les gestes qu'elles posent en réaction aux événements sont tous des facteurs pertinents que doivent prendre en compte les personnes raisonnables dans une société qui se compose à tout le moins de 50 p. 100 de personnes raisonnables qui sont des femmes52.
33Plus encore maintenant qu'en 1995, au moment où elle tenait ces propos, doit-on être d'accord avec la professeure Boivin lorsqu'elle écrit que :
Ces arrêts confirment la présence des femmes comme partie constituante de la société et, même comme source de normes. C'est ce que nous entendons par la pleine accession des femmes à l'humanité, la reconnaissance que les femmes font partie de la société dans son ensemble, au même titre que les hommes. Un véritable pouvoir. Une place au premier rang. Une voix/voie directe et non par personne interposée. Les femmes figurent désormais aux côtés des hommes qui ne peuvent plus prétendre les représenter. Ni interpréter leur expérience à leur place, ni « prendre toute la place »53.
34Le combat des féministes, chercheuses, juges ou politiciennes, n'aura donc pas été vain. Cependant, le pouvoir des femmes, quoique bien réel, demeure encore aujourd'hui limité. Les politiciennes sont en minorité comme les juges féminins. Elles le demeureront sans doute encore longtemps, le Canada ne s'étant pas doté d'une loi imposant la parité.
35Une ministre de la Justice aussi bien intentionnée soit-elle ne peut rien faire seule. Ses initiatives législatives doivent recevoir l'aval du Cabinet avant qu'un projet de loi ne soit déposé au nom du gouvernement. Il lui faut donc se rallier des collègues masculins54. Les parlementaires canadiens, tous partis politiques confondus, sont désormais sensibles à la réalité des femmes en général et des victimes d'agression sexuelle en particulier55. La présence de Kim Campbell au poste de ministre de la Justice aura accéléré un processus déjà amorcé dès le début des années 1970. Son plus grand mérite aura été de ne pas s'incliner devant une Cour suprême qui, vingt ans plus tard, et malgré les efforts remarquables de femmes juges, se montrait encore réticente à reconnaître que les victimes ont autant le droit à la protection de la Charte que leurs agresseurs.
36Quant aux pionnières de la Cour suprême, elles se devaient aussi de convaincre leurs collègues masculins du bien-fondé de leur position, ce qui semble désormais largement acquis à la Cour suprême. Les mythes et stéréotypes d'antan n'y ont plus cours. Mais il nous faut reconnaître qu'il reste encore des poches de résistance au sein même de la magistrature56, ce qui laisse à penser qu'il en est également ainsi dans la population en général et, sans aucun doute, parmi les élus. La vigilance s'impose donc afin que les acquis, encore fragiles, perdurent57. Les succès de la fin du millénaire ne doivent pas nous faire oublier le déni historique des droits des victimes d'agression sexuelle.
Notes de bas de page
1 Cette Charte faisait partie intégrante des amendements constitutionnels obtenus du Parlement de Londres, amendements par lesquels le Canada s’affranchissait définitivement du joug colonial en pouvant désormais amender sa Constitution sans intervention britannique. Voir : Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.U.), annexe B.
2 Voir Boyle (C. L. M.), Sexual Assault, Toronto, Carswell, 1984 ; Mac Farlane (B. A.), « Historical Development of the Offence of Rape », in Wood & Peck (éd.), 100 Years of the Criminal Codes, Ottawa, Association du barreau canadien, 1993, p. 111-187.
3 Telles l’exigence de corroboration du témoignage de la victime ou la mise en garde quant à sa crédibilité réduite en cas d’absence de plainte spontanée. Pour un exposé critique de ces règles, voir Néron (J.), « L’égalité a-t-elle une existence légale ? Le droit criminel et les femmes victimes d’agression sexuelle », in Dagenais (H.) (dir.), Science, conscience et action, Vingt-cinq ans de recherche féministe au Québec, Montréal, Les Éditions du Remue-ménage, 1996, p. 261-276, p. 264-265. Voir aussi Boisvert (A. M.), « Le droit pénal : barème de la condition féminine ? – Le cas de l’agression sexuelle », Femmes et Droit – 50 ans de vie commune et tout un avenir, Journées Maximilien-Caron 1991, Faculté de droit, Université de Montréal/Éditions Thémis, 1993, p. 281-310.
4 De nombreuses études et analyses effectuées par des chercheuses féministes auront permis d’identifier ces mythes et stéréotypes qui sont décrits et analysés dans la dissidence de la juge L’Heureux-Dubé, dans l’arrêt R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577.
5 L.C. 1974-75-76, c. 93 ; L.C. 1980-81-82-83, c. 110 ; L.C. 1980-81-82-83, c. 125 ; L.R.C. (1985), c. 19 (3e suppl.) ; L.R.C., c. 23 (4e suppl.) ; L.C. 1992, c. 21 ; L.C. 1992, c. 38 ; L.C. 1995, c. 32 ; L.C. 1997, c. 16 ; L.C. 1997, c. 30 ; L.C. 1998, c. 9 ; L.C. 1999, c. 25. Voir aussi L.C. 2000, c. 1 qui permet la divulgation des antécédents judiciaires d’une personne ayant été condamnée pour une infraction sexuelle et qui a obtenu une réhabilitation lorsque celle-ci postule un emploi ou un travail bénévole auprès de mineurs.
6 Voir l’intéressante analyse de Roach (K.), Due process and victims’ rights : the new law and politics of criminal justice, Toronto : University of Toronto Press, 1999, 391 p.
7 Pour comprendre toute l’importance de cette Charte, voir Mandel (M.), La Charte des droits et libertés et la judiciarisation du politique au Canada, Montréal, Boréal, 1996, 383 p.
8 Évidemment, il ne nous est pas possible de citer ici tous les écrits portant sur le sujet. Signalons cependant qu’on retrouve dans l’arrêt R. c. Seaboyer, sous la rubrique « Doctrine citée », une imposante bibliographie traitant de la question. Voir aussi : Boivin (M.), « Les acquis du féminisme en droit : reconceptualisation de la représentation des femmes et de leur place dans la société canadienne », L’Influence du féminisme sur le droit au Québec, Les Cahiers de droit, vol. 36, n° 1, 1995, p. 27-59.
9 Outre l’ouvrage de C. Boyle et le texte de B. A. MacFarlane cités précédemment, voir, dans une autre perspective l’ouvrage de la théologienne allemande Ranke-Heineman (U.), Des eunuques pour le royaume des cieux – L’Église catholique et la sexualité, Paris, Robert Laffont, coll. Essais, 1988, 408 p. Le lecteur y lira avec un intérêt tout particulier son chap. 15 : « Le xiiie siècle : âge d’or de la théologie… et de la diffamation de la femme ». Les exigences de la common law quant à la preuve des infractions de nature sexuelle se sont nourries de la pensée de théologiens tel Saint-Albert Le Grand que l’auteure n’hésite pas à qualifier de « saint patron des violeurs » (p. 204) après avoir cité quelques extraits de ses écrits qui traduisent une profonde misogynie.
10 Elle aura par la suite été, pour un court instant, Première ministre du Canada, ce qui fut également une première. C’est à ce titre qu’elle s’est inscrite dans l’histoire du xxe siècle au même titre que la juge Wilson. Voir Montreynaud (F.), Le xxe siècle des femmes, Paris, Nathan, 1999, p. 652 et 744. Nous féminisons à dessein les titres de K. Campbell car, parmi les faits marquants de son passage en politique fédérale, il faut noter la féminisation de ses titres de fonctions, chose qui n’est pas encore acquise à la Cour suprême du Canada.
11 Voir Halimi (G.), Une Embellie perdue, Paris, Gallimard, 1994, 403 p.
12 Quoi qu’en pensent certaines juristes féministes, telle J. Néron, qui sont d’avis que les droits des accusés continuent de primer sur ceux des victimes d’agression sexuelle.
13 R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, §. 240.
14 R. c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852.
15 Wilson (B.), « Est-ce que des femmes juges feront une différence ? », RFD/CJWL, 4, 1990-1991, p. 359.
16 Ibid., p. 367.
17 Ibid.
18 R. c. Sansregret, [1985] 1 R.C.S. 570 ; R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782 ; R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918. Voir aussi : R. c. Reddick, [1991] 1 R.C.S. 1086 ; R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595 ; R. c. Ewanchuck, [1999] 1 R.C.S. 330.
19 R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531 ; R. c. F.(W.J.), [1999] 3 R.C.S. 569. Voir aussi R. c. U.(F.J.), [1995] 3 R.C.S. 764 où cette approche aura permis de prendre en considération la dénonciation initiale d’une jeune victime malgré ses dénégations postérieures.
20 R. c. B.(G.), [1990] 2 R.C.S. 3 ; R. c. B.(G.), [1990] 2 R.C.S. 30. Voir aussi : R. c. W.(R.), [1992] 2 R.C.S. 122 ; R.c. A.G., [2000] 1 R.C.S. 439.
21 Mentionnons aussi l’important travail qu’elle a accompli après sa retraite en présidant l’enquête menée par l’Association du Barreau canadien sur le sexisme dans la profession juridique : Association du Barreau canadien, Les Assises de la réforme : Égalité, diversité et responsabilité – Le Rapport sur l’égalité des sexes dans la profession juridique (Rapport Wilson), Ottawa, 1993, 317 p.
22 D’ailleurs, cela n’est pas une tare. Pour une étude intéressante des jugements des femmes juges, voir Arbour (L.), « Femmes de jugement et d’opinion », Femmes et Droit – 50 ans de vie commune et... tout un avenir, op. cit., p. 37-46.
23 Précitée.
24 Reprenant à son compte la grille d’analyse de la juge Wilson, la juge L’Heureux-Dubé a proposé d’examiner la question constitutionnelle qui était soumise à la Cour suprême afin de tenir compte de « la prévalence et l’impact des croyances discriminatoires sur le déroulement des procès pour infractions d’ordre sexuel » car « [c]es croyances influent sur le traitement des plaintes, les règles de droit appliquées lorsque et si le procès s’instruit, le déroulement du procès et le verdict rendu. » Selon la juge L’Heureux-Dubé, « les questions constitutionnelles doivent être examinées dans un plus large contexte politique, social et historique pour tenter d’en arriver à une analyse constitutionnelle qui ait quelque sens ». Au soutien de cette approche, elle cite la juge Wilson qui a discuté de l’intérêt de cette approche dans l’arrêt Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, où elle a affirmé (p. 1355) : « Il me semble qu’une qualité de la méthode contextuelle est de reconnaître qu’une liberté ou un droit particuliers peuvent avoir une valeur différente selon le contexte. »
25 Voir sa dissidence dans l’arrêt R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, à laquelle ont souscrit ses collègues La Forest et Gonthier. La juge McLachlin dans une opinion séparée a également concouru à sa position concernant la communication des dossiers confidentiels concernant les victimes d’agression qui ne sont pas en possession de la Couronne. Voir aussi l’arrêt connexe A. (L.L.) c. B. (A.), [1995] 4 R.C.S. 536 auquel la juge McLachlin n’a pas pris part. Voir sa dissidence dans l’arrêt M. (A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157, une poursuite en responsabilité civile intentée par une jeune fille contre son psychiatre qui l’aurait sexuellement agressée. Voir enfin son opinion minoritaire dans R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, opinion à laquelle a souscrit la juge McLachlin ainsi que leurs deux mêmes collègues masculins.
26 Art. 278.1 et suiv. C.cr.
27 Dans de nombreux arrêts, elle aura signé des opinions tantôt dissidentes, tantôt majoritaires au côté de sa collègue L’Heureux-Dubé. Le lecteur aura un plaisir tout particulier à lire leur opinion dans un jugement portant sur la composition des jurys : R. c. Biddle, [1995] 1 R.C.S. 761.
28 Signalons, entre autres conférences importantes : McLachlin (B. M.), « Crime and Women – Feminine Equality and the Criminal Law », UBC L. Rev., 25, 1991, p. 1-22 et McLachlin (B.M.), « Égalité et neutralité », texte d’une conférence prononcée lors du colloque Facettes d’égalité – Rendre la justice, 17-19 novembre 1995, 31 p.
29 Sa proposition a été reprise par le législateur à l’instigation de la ministre de la Justice Kim Campbell dont l’apport, comme on le verra, aura été significatif dans le changement de culture juridique amorcé au sein de la magistrature.
30 R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, § 59, opinion majoritaire cosignée par les juges Iacobucci et McLachlin.
31 Ibid., § 94.
32 Il faut savoir qu’au Canada c’est à ce niveau de gouvernement que se prennent les décisions les plus importantes concernant le droit pénal puisque le Parlement fédéral exerce une compétence exclusive en matière de droit criminel, y incluant la procédure criminelle Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27).
33 Ministère de la Justice du Canada, Colloque national sur la femme, le droit et la justice, Vancouver, 10-12 juin 1991, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services, 1992, 3 vol.
34 Malgré le fait qu’elle ait parrainé un projet de loi sur l’avortement que la plupart des féministes rejetaient. Il ne faut pas oublier qu’elle était membre d’un gouvernement conservateur qui croyait nécessaire de légiférer pour contrer l’effet de l’arrêt Morgentaler. Cet arrêt, en déclarant inconstitutionnelle la disposition du Code criminel concernant l’avortement, rendait en définitive celui-ci légal. Voir notre commentaire : Viau (L.), « L’arrêt Morgentaler : une nouvelle page dans l’histoire du droit des femmes », R.J.T., 22, 1988, 259-264. Lorsque son projet de loi sur l’avortement a été rejeté par le Sénat, Kim Campbell a décidé que cela était bien ainsi et qu’il n’y avait pas lieu de tenter d’en présenter un nouveau. Aucun ministre de la Justice n’a depuis lors tenté de criminaliser à nouveau quelque aspect que ce soit de l’avortement
35 Voir Groupe de travail fédéral-provincial-territorial des procureurs généraux sur l’égalité des sexes dans le système de justice canadien, L’Égalité des sexes dans le système de justice au Canada – document récapitulatif et propositions de mesures à prendre, Ottawa, ministère de la Justice du Canada, avril 1992. Un an plus tard, Statistique Canada a publié les résultats d’une vaste enquête sur ce même sujet. Voir : Statistique Canada, « L’enquête sur la violence envers les femmes », Le Quotidien, 18 novembre 1993. Voir également : Trevethan (S.), Samagh (T.), « Les différences entre les victimes de crimes de violence, selon le sexe », Juristat, vol. 12, n° 21, 1992. Nous avons fait état de ces documents dans Viau (L.), « L’égalité des sexes en droit criminel : un parcours sans fin ? », Rev. Can. D. P., 1, 1996, p. 9-115.
36 L’arrêt Reddick, précité, en fournit une belle illustration. Selon le résumé de l’arrêt de la Cour suprême, « [l]’appelant a été acquitté d’une accusation d’avoir agressé sexuellement une jeune fille de 15 ans. Le juge du procès a décidé que la plaignante n’avait pas consenti aux rapports sexuels, mais il a conclu que la preuve concernant le fait qu’elle ne s’est pas enfuie, qu’elle a monté dans la voiture et qu’elle a exprimé certains commentaires, constituait une preuve indépendante donnant une apparence de vraisemblance à l’affirmation de l’appelant qu’il croyait qu’elle consentait. » Quoique quatre des cinq juges de la Cour suprême conclurent que la cour d’appel avait eu raison de casser ce jugement, l’un d’entre eux, le juge Stevenson a inscrit sa dissidence. Cela avait de quoi entretenir certaines inquiétudes.
37 Cette initiative législative connue sous le nom de projet de loi C-49 a fait l’objet de critiques virulentes de la part du barreau de la défense. Nous avons eu l’occasion de dénoncer ces actions jugées excessives lors d’une conférence donnée lors d’une journée d’étude des avocats de la défense de Montréal. Le texte de cette conférence a été publié : Viau (L.), « Vers de nouvelles règles législatives en matière d’agression sexuelle – La confrontation de deux visions du monde », R. du B., 52, 1992, p. 649-682.
38 Art. 273.1 C.cr.
39 Art. 273.2 C.cr.
40 Art. 276 C.cr.
41 R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63.
42 Par l’arrêt O’Connor, précité. La réaction législative s’est traduite par l’ajout des art. 278.1 à 278.91C.cr.
43 La Loi d’interprétation précise que de tels préambules sont pris en considération pour l’interprétation d’une loi.
44 L’actuel art. 276 C.cr. a fait l’objet d’un examen dans l’arrêt R. c. Darrach, [2000] 2 R.C.S. 443. Le juge Gonthier y expose, § 33 et 34, en quoi le nouvel article 276 C.cr. adopté à l’instigation de K. Campbell va plus loin que les lignes directrices proposées par la juge McLachlin.
45 Précité. La procédure mise en place par les art. 278.1 et suiv. C.cr. a été jugée constitutionnelle dans l’arrêt R. c. Mills, précité.
46 L.C. 1995, c. 32.
47 Notre procédure criminelle consacrant le principe de l’audience publique. Voir art. 486 C.cr.
48 La tradition de common law penchant davantage vers une interprétation stricte des textes créateurs d’infraction : R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618.
49 R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72.
50 R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371.
51 R. c. Davis, [1999] 3 R.C.S. 759.
52 Pour reprendre le commentaire de Boivin (M.), op. cit., p. 54-55.
53 Ibid., p. 57-58. Elle tenait ces propos après une analyse de l’arrêt McCraw, précité et de l’arrêt R.c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, un arrêt traitant de la constitutionnalité des dispositions du Code criminel relative à l’obscénité. Ils valent tout autant sinon plus à la lumière des récents arrêts Cuerrier, précité, et Davis, précité.
54 Le secret des délibérations du Cabinet nous empêche de savoir s’il faut rallier une majorité des membres du Cabinet ou s’il suffit de convaincre le Premier ministre du bien-fondé d’un projet de loi dans le contexte de notre système parlementaire où règne la discipline de parti, discipline qui fait que les simples députés membres du parti politique au pouvoir n’ont pas le droit de voter contre un projet de loi du gouvernement.
55 Du moins faut-il l’espérer malgré une attitude moins affichée de l’actuelle ministre de la Justice.
56 L’arrêt R. c. Ewanchuck, [1999] 1 R.C.S. 330 en est une illustration éloquente. Voir l’opinion de la juge L’Heureux-Dubé à laquelle souscrit son collègue Charles Gonthier. La juge McLachlin qui signe une opinion distincte se dit en total accord avec la juge L’Heureux-Dubé sur ce point. Cette dernière écrit (§ 103) : « Je conviens également avec le juge L’Heureux-Dubé que l’existence de stéréotypes est au cœur même du problème survenu dans la présente affaire. Le moyen de défense spécieux fondé sur le consentement tacite (consentement supposé par la loi), tel qu’il a été appliqué en l’espèce, repose sur la présomption voulant que, à moins qu’elle proteste ou résiste, une femme est « réputée » consentir (voir les motifs du juge L’Heureux-Dubé). En Cour d’appel, l’idée selon laquelle les femmes qui ne s’habillent pas discrètement sont réputées consentir a également fait surface. De tels stéréotypes sont bien enracinés dans bon nombre de cultures, y compris la nôtre. Ils n’ont cependant plus leur place en droit canadien. »
57 Nous avons déjà fait part de nos inquiétudes lors d’une conférence devant un auditoire de femmes juges. Voir : Viau (L.), « L’égalité des sexes en droit criminel : un parcours sans fin ? », Rev. Can. D. P., 1, 1996, p. 89-115.
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