Préface
p. 9-12
Texte intégral
1Les blocs d’abris bétonnés de la base sous-marine, encore visibles aujourd’hui dans le port militaire, ou l’évocation des noms des croiseurs Scharnhorst et Gneisenau bloqués dans le port du Ponant du 22 mars 1941 à leur retour réussi en Allemagne du 11 au 13 février 1942 lors de l’opération Cerberus, renvoient à l’Occupation allemande de Brest et au-delà de la Bretagne et de la France durant la Seconde Guerre mondiale. Mais que savait-on du fonctionnement réel de cette base majeure de la Kriegsmarine, la marine militaire allemande, de juin 1940 à septembre 1944, avant cet ouvrage du Dr Lars Hellwinkel ?
2Lars Hellwinkel, historien allemand spécialiste de la marine allemande en France occupée pendant la guerre, aujourd’hui enseignant dans un lycée du nord de l’Allemagne et professeur relais à mi-temps au Mémorial du camp de prisonniers de guerre de Sandbostel (ancien Stalag XB), a soutenu en mai 2006 une thèse sur l’histoire de la base navale allemande de Brest devant un jury international à la Christian-Albrechts-Universität de Kiel, publiée en Allemagne en 2010. C’est cet ouvrage, traduit par l’auteur et publié par les Presses universitaires de Rennes, qui est proposé aux lecteurs français. Après des études d’histoire à l’université de Kiel, sur la suggestion du professeur d’histoire contemporaine Michael Salewski, spécialiste de l’histoire de la Kriegsmarine et de son commandement, l’étudiant Lars Hellwinkel bénéficiant d’une bourse de son université débarque à Brest, ville jumelée avec Kiel, à la rentrée 1999. Il rédige d’abord une maîtrise d’histoire sous notre direction puis poursuit ses travaux en thèse dans le cadre d’une cotutelle entre l’université de Bretagne occidentale de Brest et l’université de Kiel. Cette recherche sera menée à bien grâce à une bourse de l’Institut historique allemand de Paris de six mois, prolongée par une bourse française du Centre d’étude d’histoire de la défense (CEHD). Le jeune chercheur laboure avec enthousiasme et persévérance les fonds d’archives – du moins ceux qui n’ont pas été détruits à la fin de la guerre – en France (à Paris et à Brest) et en Allemagne les croisant avec les sources allemandes, les mémoires de certains acteurs et les travaux historiques.
3Car l’intérêt de cet ouvrage ne se limite pas à une monographie : il insère la base de Brest dans le réseau des bases navales allemandes de la Manche (Cherbourg) et de l’Atlantique (Lorient, Saint-Nazaire, La Pallice-La Rochelle, Bordeaux) et dans l’organisation de l’administration militaire du Reich en France. Lars Hellwinkel a d’ailleurs publié en 2014 une version anglaise de sa recherche : Hitler’s Gateway to the Atlantic. German Naval Bases in France 1940-1945. Étudiant du côté allemand les politiques navales et les chaînes de commandement, l’auteur décrypte et éclaire les relations entre l’occupant – les états-majors et officiers de la Kriegsmarine – et les occupés français et bretons, les officiers de la Marine française restés sur place mais aussi les ouvriers des arsenaux.
4Afin de bien montrer les enjeux de la Bataille de l’Atlantique, le Dr Lars Hellwinkel inscrit la période de la guerre dans le temps plus long des réflexions et conceptions stratégiques navales allemandes de l’entre-deux-guerres, le réarmement naval voulu par Hitler et les débats qui divisent l’Amirauté allemande entre, pour simplifier, le Grand Amiral Raeder, partisan de la guerre de course avec les gros bâtiments de ligne, et l’amiral Dönitz qui défend l’arme sous-marine. La pratique de la guerre : les gros navires bloqués à Brest par la Royal Navy et sans cesse attaqués par la Royal Air Force face à l’efficacité redoutable des U-Boote bientôt abrités par des bases bétonnées à Lorient, à Brest et ailleurs, va trancher ces débats. Mais en 1939, personne n’imagine les percées de la guerre-éclair lors de la campagne de France en mai et juin 1940, l’effondrement militaire de la France et de la République, « la divine surprise » que constitue pour la Wehrmacht et surtout pour la Kriegsmarine l’occupation en quelques jours de toutes les côtes de la Manche et de l’Atlantique faisant dans un premier temps de Brest, occupée le 19 juin 1940, la principale base maritime allemande à la pointe ouest de l’Europe et à proximité de la Grande-Bretagne qui résiste seule. L’auteur étudie de près ces journées dramatiques qui voient le départ en catastrophe de dizaines de navires ainsi que la destruction des installations militaires du port et de l’arsenal. Mais les Allemands remettent rapidement en fonctionnement ces installations en ayant recours en priorité à une main-d’œuvre française contrainte de travailler pour l’occupant pour faire vivre sa famille alors qu’il y a un million de chômeurs dans un pays et une économie désorganisés.
5Les directives sont allemandes mais l’encadrement dans les arsenaux et les ports est français car des officiers et des ingénieurs de la Marine nationale dirigent les travaux et répondent aux commandes allemandes. Rapidement, c’est-à-dire après la rencontre à Montoire de Pétain et Laval avec Hitler (22-24 octobre 1940), le régime de Vichy entre volontairement dans une politique de collaboration d’État avec l’Allemagne nazie. L’un des principaux chefs de Vichy (jusqu’en novembre 1942), le patron de la Marine, l’amiral Darlan devient secrétaire d’État à la Marine puis succède à Pierre Laval à la tête du gouvernement de février 1941 à avril 1942. Dans le cadre de ce qu’il croit être un donnant-donnant, il pousse très loin cette politique de collaboration avec le Reich, non seulement sur le plan économique mais de fait militaire. En croisant les sources françaises et allemandes, Lars Hellwinkel montre précisément la mise en œuvre, à bas bruit, par les marins français – le commandement du port et de l’arsenal, l’Unité Marine Brest de 1942 à 1944 – de cette politique de collaboration de l’État français avec les autorités maritimes allemandes au point, et c’est l’un des apports importants du livre, que la Kriegsmarine et les arsenaux allemands qui manquent de techniciens et d’ouvriers spécialisés allemands ne peuvent plus se passer à partir de 1942 d’une l’aide logistique française qui est vitale à la maintenance de leur flotte et au fonctionnement des ports. Certes, il peut y avoir ici ou là des réticences voire des freinages ou des blocages mais ils n’apparaissent guère dans les rapports de l’Amirauté allemande. À travers l’exemple brestois, la thèse vichyste du double jeu et de la fonction de bouclier du maréchal Pétain tout au long de l’Occupation est plus que jamais démentie. Qu’auraient pu faire la Marine allemande à l’arsenal de Brest en février 1941 avec ses 470 ouvriers venus d’Allemagne sans le potentiel des 6 349 ouvriers qualifiés français ? D’ailleurs, s’il souligne la lenteur du travail, le commandement allemand reconnaît la compétence et la conscience professionnelle des ouvriers français de l’arsenal, souvent supérieures à celles des ouvriers allemands.
6Est-ce à dire que les ouvriers français et bretons adhèrent à cette politique de collaboration ? Ils n’ont guère le choix à moins de quitter l’arsenal et de perdre leurs situations d’ouvriers à statut, ce qui ne se produit vraiment qu’après le débarquement du 6 juin 1944. La tentative de refus de travailler pour l’occupant à la pyrotechnie de Saint-Nicolas près de Brest en février 1941 est vite enrayée par les menaces allemandes et la répression par le pouvoir français des ouvriers récalcitrants. Néanmoins, des actions de résistance existent que ce soit les activités de renseignement et de surveillance en 1941-1942 des navires allemands bien connues du lieutenant de vaisseau Philippon (pseudonyme Hilarion), agent du réseau du futur colonel Rémy et de sa Confrérie Notre-Dame qui ne porte pas encore ce nom – mais d’autres agents et réseaux sont à l’œuvre – ou de plusieurs sabotages de la résistance communiste au sein de l’arsenal. Mais de telles actions sont dangereuses et limitées tant les surveillances allemande et française sont fortes.
7L’étude de Lars Hellwinkel porte aussi sur la mise en place d’une forteresse (Festung) à Brest en 1944 et sur les exactions, violences de guerre et massacres de la Wehrmacht auxquels des troupes de la Kriegsmarine participent après le débarquement de Normandie pendant les deux mois qui précèdent l’entrée des troupes libératrices américaines en Bretagne. Elle traite du long et difficile siège mené par les Américains du 7 août au 18 septembre 1944 (43 jours) pour libérer Brest et éviter la formation d’une poche de résistance allemande à la pointe de Bretagne contrairement à ce qui se passe à la même période à Lorient et à Saint-Nazaire. Bref, en modifiant le regard, jusqu’à présent essentiellement franco-français, et en examinant la vie dans une base de la Kriegsmarine en France occupée, le Dr Lars Hellwinkel apporte sa contribution à une meilleure connaissance de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en France.
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