Napoléon et la paix universelle. Utopie et réalité
p. 55-70
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Texte intégral
1Sur la politique européenne de Napoléon, on a longtemps et beaucoup glosé. Au point de lire dans l’expansion impériale un désir de caser la famille, tel Frédéric Masson. Certains y vont vu la poursuite du mirage oriental, de l’idée romaine, voire du rêve carolingien. Plus nombreux sont les historiens qui y perçoivent une volonté de vaincre l’Angleterre, de résoudre définitivement la « question anglaise » ou bien une conséquence du blocus continental. Les adversaires ont préféré focaliser sur l’insatiable ambition de l’Empereur ou sur le problème des frontières naturelles : Napoléon aurait souhaité les fixer une fois pour toutes. De fait, les uns interprètent cette politique comme une nécessité, indépendante de la volonté du maître, les autres comme une volonté exempte de toute nécessité extérieure, même si désormais l’historiographie est plus nuancée et moins tentée d’assigner à une cause unique la politique étrangère du Premier Empire1.
2Appréhender la gigantesque entreprise de Napoléon en Europe en tant que poursuite du mirage oriental (E. Bourgeois), du rêve carolingien ou de l’idée romaine (E. Driault) prête à sourire. C’est méconnaître l’emprise sur Napoléon des discussions du siècle. Une étude quelque peu pointue de ses écrits et de ses propos prouve qu’il n’a jamais sérieusement envisagé d’être un nouveau Charlemagne ou un nouveau César. Il était bien trop un homme de son temps. Ce n’est pas qu’il n’ait rêvé d’un empire d’Occident, mais ce rêve découle d’inspirations diverses, anciennes et modernes voire contemporaines. Il a tout aussi bien pu s’inspirer de l’abbé de Saint-Pierre dont le projet de paix perpétuelle avait fasciné le siècle. Rousseau avait poursuivi la réflexion de l’abbé dans divers textes parus entre 1761 et 1782, dont on avait beaucoup parlé à l’époque. Selon des vues très différentes, Rousseau et l’abbé de Saint-Pierre s’intéressaient à une confédération européenne, suivie d’une paix perpétuelle2. Le bon abbé avait conçu l’idée d’une ligue des rois pour la défense du statu quo territorial et le maintien de la paix. Rousseau, issu d’un contexte différent, en avait modifié la teneur. Sa confédération aurait englobé des nations souveraines et aurait été fondée sur le consentement des peuples. Conscient de l’unité de l’Europe, Rousseau écrivait que ce serait « un système qui unit toutes les puissances par une même religion, par un même droit des gens, par les mœurs, par les lettres, par le commerce et par une sorte d’équilibre qui est l’effet nécessaire de tout cela ». Napoléon ne dira pas autre chose.
L’Europe des Lumières et de la Révolution
3Sur bien des points, les hommes des Lumières se retrouvent à ce propos, en particulier sur l’absurdité de la guerre dans un monde orienté vers le commerce et les échanges, dans un monde guidé par la Raison. De l’Europe aux Amériques, plus d’un se flatte de trouver une solution réaliste pour émanciper la société moderne des fléaux de l’esprit de conquête. C’est ainsi qu’après Bentham, qui défendait l’idée d’un Code du droit des gens, fondé sur l’utilité commune de toutes les nations, Hume renchérit et incite les gouvernements à réformer dans un sens libéral, à renoncer à toute prérogative exclusive et à encourager non seulement le commerce mais les échanges techniques et culturels. Mably fait presque figure d’arrière-garde quand il conçoit une ligue de souverains réunis autour de la France, mais c’est dans l’espoir de faire respecter les droits des neutres et la liberté du commerce. Tous enfin condamnent les pactes de famille et la politique privée des rois, qui ne tiennent nullement compte de leurs peuples et les entraînent dans des guerres, au détriment de leur vie et de la prospérité de la patrie3.
4Les Lumières s’interrogent donc longuement sur le problème de la guerre et de la paix, sur le droit des gens –ou droit international– concept clé pour penser les relations entre nations et l’équilibre des puissances. Cet équilibre est pensé différemment selon les auteurs. Il y en a pour défendre le statu quo et réunir les États indépendants dans une alliance défensive et offensive, sous la coupe d’un Congrès, d’une Diète ou d’une Amphictyonie, habilités à arbitrer les litiges. D’autres, à l’inverse, invitent à remodeler la carte de l’Europe de sorte que les petits États ne soient plus menacés par les grands ; n’oublions pas que 1772 a vu le premier partage de la Pologne entre la Russie, la Prusse et l’Autriche. Les petits États seraient donc absorbés dans de « grandes masses », avec des frontières fortifiées et des armées permanentes. Dès lors un redécoupage ou une réunion de l’Allemagne, dont la structure est jugée trop anarchique est prévu par plusieurs auteurs. En 1777, Linguet, par exemple, souhaitait une Europe composée de grands États afin de faire contrepoids aux deux puissances montantes : la Prusse et la Russie. La France, l’Espagne et la Grande-Bretagne s’allieraient pour y remédier. À elles trois, elles remanieraient la carte du continent. La France s’approprierait les provinces belges, la Pologne serait transformée en monarchie héréditaire et puissante. La Prusse et l’Autriche seraient compensées de leurs pertes par l’acquisition de quelques provinces polonaises. À l’Ouest, les petits États seraient réunis aux grands : Neufchâtel à la Confédération suisse, les Électorats allemands à la France, les possessions prussiennes en Rhénanie passeraient au Palatinat, le duc de Savoie recevrait le Milanais et le roi des Deux-Siciles la Sardaigne, tandis que la Corse reviendrait à la Toscane4. Ce projet démontre bien l’in fluence des Lumières jusque chez ceux qui les dénigrent. Linguet, on le sait, ne fait pas figure d’ami des philosophes… Influence, entre autres, dans leur désir de rationalisation de l’équilibre des puissances, mais aussi dans la démilitarisation – ce qui revient à prôner une économie politique et une baisse de la fiscalité ; de même qu’une humanisation et une pacification de la société, puisqu’en principe les guerres ne seraient plus de saison.
5En bref, ce qui sépare les hommes du xviie et ceux du xviiie siècle réside dans le fait que les seconds envisagent non pas une ligue des rois, mais une ligue des peuples et qu’ils condamnent irrémédiablement la monarchie universelle dont rêvait Louis XIV. Ils défendent des intérêts non pas dynastiques mais économiques, ils encouragent une diplomatie publique et non plus privée, ils rejettent les pactes de famille et le Secret du roi ; ils substituent le droit à la paix au droit de guerre, droit qui, pour Voltaire, serait une absurdité dans les termes et ils conçoivent un pouvoir fédératif contrôlé par les nations elles-mêmes et un droit des gens fondé sur les valeurs des Lumières. Pour que la fédération européenne voit le jour, ils sont conscients que l’équilibre des forces doit être revu et corrigé. Deux tendances prédominent : celle qui prône l’indépendance des États et donc le statu quo et celle qui privilégie un redécoupage de la carte européenne, pour créer des États massifs, de dimension plus ou moins égale. Ces deux tendances se retrouvent néanmoins pour promouvoir une fédération européenne5.
6Les guerres révolutionnaires vont réactualiser une fois de plus ces débats. Pour ce qui est de 1789-1795, je renvoie au beau livre de Marc Belissa. Mieux vaut ici examiner de plus près les discussions du Directoire, puisque c’est avec lui que le problème s’exacerbe. Car, dès lors, la Belgique, la Hollande, la Suisse et l’Italie sont conquises et républicanisées. La paix est signée avec la Prusse et l’Espagne. Aux principes généreux de 1789 envers les peuples se substitue une autre logique, une autre diplomatie. Tout d’abord rendre à la France sa place parmi les nations puis parer aux dangers que présentent l’Angleterre et l’Autriche et, donc redéfinir les frontières afin de protéger la France et de renforcer les États alliés6. L’idée, confortée par l’alliance hollandaise, qui assure à la France une prépondérance au nord, est de faire en sorte qu’il en aille de même au sud, en Méditerranée. Outre la Corse, la Sardaigne serait attribuée à la République. L’Allemagne elle-même devrait être transformée pour devenir une masse homogène et compacte qui servirait de rempart contre les barbares russes ; la France obtiendrait la rive gauche du Rhin ; la Prusse enlèverait l’Allemagne du Nord ; les autres États allemands seraient réunis en fédération sous la direction d’États plus grands, tels que la Bavière. C’est là un projet. Ils sont légion tant en France qu’en Europe. Après Cambacérès, qui souligne que « la France est appelée à diriger et à réformer l’Europe », après Sieyès ou Reubell qui rêvent de la rive gauche du Rhin7, Boissy d’Anglas oublie les rancœurs passées contre les tyrans avant d’appeler à la réconciliation avec les diverses puissances, excepté l’Angleterre et l’Autriche. Resurgissent alors les idées émises sous les Lumières ou, pour reprendre les termes de Marc Belissa l’« apologie des États massifs, liquidation des Électorats rhénans, formation d’un axe franco-prussien, création d’un royaume en Italie du Nord, à partir du Piémont ». À la mission messianique de la Grande Nation issue des premiers élans révolutionnaires s’ajoute l’intérêt purement national. Naît une nouvelle raison d’État, fondée sur l’intérêt économique de la Grande Nation, qui n’exclut plus la possibilité d’alliances entre républiques et monarchies et à laquelle, on s’en doute, l’Europe est loin de se rallier8.
7À la même époque Kant publie son célèbre projet pour la paix universelle dont l’écho sera grand en France. Il y prône une fédération d’États libres, mais afin d’être efficace, cette fédération devra uniquement réunir des États républicains – c’est-à-dire des États fondés sur la loi et le droit. Pour la réaliser, il faudra donc la guerre, seule apte à aboutir à la paix universelle. La guerre tout d’abord contre la puissance qui « fait la guerre à crédit » et qui tyrannise l’Europe sur les mers. De cette ligue nouvelle, la Grande Nation serait le centre. Certes, Kant sait fort bien que dans l’état actuel des choses, cette idée n’est qu’un rêve, mais convaincu que l’histoire va dans le sens de la raison, pourquoi ne deviendrait-elle pas un jour ou l’autre réalité ? Ou, en d’autres termes, qui seront ceux de Blandine Kriegel : « la guerre de tous contre tous produit finalement l’équilibre de la terreur, c’est-à-dire la paix civile9 ». Rousseau avait lui aussi pressenti que la paix universelle ne pourrait découler que de la guerre et avait rejeté le projet pour cette raison même. Kant le comprend comme une possibilité, pour les temps à venir– à condition que chacun veuille bien y mettre du sien10.
8Entre-temps, la République française créait des républiques-sœurs. Les législateurs hésitaient quant à leur statut respectif, mais n’envisageaient pourtant pas de leur laisser une indépendance totale. Soit, elles seraient annexées, telle la Belgique, soit elles seraient « satellisées » et donc associées sur un mode dépendant à la Grande Nation. Anna-Maria Rao a étudié le cas des républiques italiennes et les réponses des patriotes adressées à la France. Entre 1795 et 1800, plusieurs projets voient le jour, qui présentent des analogies avec ceux émis par le Directoire ; ils proposent une fédération de républiques ou une alliance entre royaumes et républiques. Ce qui prime ici, du moins jusqu’en 1800, ce n’est pas tant la paix universelle que l’unité de l’Italie. Ainsi, quand Galdi rédige son projet de 1796, il conçoit un pacte fédératif entre la France et l’Italie, ce qui implique une Italie unitaire. La politique autoritaire et interventionniste qui s’ensuivit dissuada les patriotes italiens de trop célébrer l’unification de la péninsule. Au gré des déceptions, eux aussi en vinrent à accepter l’idée d’une alliance entre républiques et monarchies sur leur territoire même, et ce, en raison de leur aspiration à une pacification générale11. Dès le Directoire en effet, les politiques français hésitaient à unifier l’antique patrie de César, parce qu’ils craignaient de voir s’élever une nouvelle puissance, dangereuse pour la suprématie politique et économique de la République mère. Contrairement à la Hollande, dont le territoire était trop restreint pour rivaliser jamais avec la Grande Nation, l’Italie par sa position stratégique et son étendue –sans oublier son illustre histoire — représentait une rivale en puissance.
9Mettre l’accent sur la France a pourtant l’inconvénient de n’éclairer qu’une facette des relations internationales, car les puissances européennes n’étaient ni moins rapaces, ni moins divisées. La Russie songeait à une alliance avec l’Angle terre ou la France, afin d’accomplir son rêve d’hégémonie (en Pologne, en Turquie, mais aussi en Allemagne et dans le nord de l’Europe). Peu soucieuse du sort de l’Allemagne et de l’Italie, l’Angleterre aspirait à conserver sa suprématie navale et coloniale, jusqu’en Méditerranée et en Orient. La Prusse ne savait qu’inventer pour détrôner l’Autriche de l’Allemagne, celle-ci agissait de même et suivait de près les négociations entre les divers États de crainte que ne lui échappe une part du gâteau, que ce soit en Allemagne, en Pologne, en Turquie ou en Italie, tandis qu’elle souhaitait échanger la Belgique contre la Bavière. Aucune puissance ne faisait confiance à l’autre, mais toutes étaient plus ou moins dépendantes d’une alliance avec la Russie notamment la Prusse, l’Autriche, l’Angleterre et la France pour se protéger mutuellement. Avant même Napoléon, il y avait loin des réalités politiques aux beaux projets des Lumières sur la paix universelle ou l’équilibre du continent12.
10Ces quelques exemples témoignent de l’actualité d’un sujet, des débats innombrables, mais dévoilent aussi les pratiques qui en ont découlé, comme les enjeux que recouvrent les allusions tant à la paix qu’au droit des gens ou aux relations internationales et les intérêts pressants qui rognent peu à peu les beaux principes13. Digression quelque peu rhétorique, mais indispensable pour introduire Napoléon Bonaparte et sa politique européenne, sans laquelle l’historien se voue à ne pas saisir l’un et l’autre sous leur juste perspective. Retournons donc à Napoléon.
L’Europe de Napoléon
11Les propos de Napoléon sous le Consulat et l’Empire ne brillent pas par leur cohérence, ils se modifient en effet selon les circonstances et les interlocuteurs14. À Sainte-Hélène se décèle malgré tout une idée force, formulée a posteriori mais si fréquemment qu’elle doit comporter une part de vérité, ce que l’on peut du reste vérifier à la lumière des réalisations impériales. Cette idée, c’est celle de la fusion des pays européens ou en d’autres termes, celle d’une « confédération européenne ». En 1807, Napoléon invoquait déjà au Sénat les lois qui géraient son « système fédératif » et qui unissaient les peuples d’Allemagne, d’Espagne, de Hollande, de Suisse et d’Italie ; un système évoqué dès lors tant par les ennemis que par les alliés de la France. Durant les Cent-Jours, il revient sur la même idée et rappelle que son but était d’organiser « un grand système européen, […] conforme à l’esprit du siècle et favorable aux progrès de la civilisation15 ». La campagne de France mettra fin à ce beau projet.
12Napoléon affirme avoir rêvé de former une Europe unie « régie par les mêmes principes, le même système, partout ; un code européen, une cour de cassation européenne […]. Une même monnaie sous des coins différents ; les mêmes poids, les mêmes mesures ; les mêmes lois […] ». Cette grande famille aurait partagé des opinions, des sentiments, des vues et des intérêts identiques. Et il reviendrait à l’éducation d’en accélérer le processus. Le système moderne ne s’apprenant pas à « coups de massue », il eût fallu l’implanter dès le plus jeune âge. L’attention conférée tout au long du règne à l’enseignement participait de cette conviction. Quant aux élites impériales, elles ne seraient pas épargnées, bien au contraire. « Pour mieux faciliter la fusion et l’uniformité des parties fédératives de l’empire », les enfants des princes seraient élevés en commun. On leur enseignerait des connaissances générales, de grandes vues, des sommaires, des résultats, afin qu’ils cultivent leur jugement et acquièrent une vaste culture. Une université et un Institut européens auraient alors vu le jour. Bref, conclut Napoléon : « le projet de l’abbé de Saint-Pierre pouvait se trouver réalisé16 ».
13Paris devenait la capitale du monde, et les Français, partout chez eux dans cette Europe régénérée, seraient « l’envie des nations ». Mais si un nouveau Paris devait s’élever, doté de toutes les merveilles du monde ancien et moderne, il détrônerait l’antique Rome et accueillerait en ses murs le pape et sa cour. La réunion en un même lieu du pape et de l’Empereur serait l’occasion pour Napoléon de contrôler et de diriger à la fois le monde religieux et le monde politique et d’affranchir définitivement le temporel du spirituel. Ce serait aussi un moyen de « resserrer toutes les parties fédératives de l’empire et de contenir en paix tout ce qui demeurait en dehors ». Qu’en serait-il en effet de la guerre et de la paix dans cette grande et belle famille ? Ici aussi, Napoléon a tout prévu. Les armées permanentes seraient désormais « réduites à la seule garde des souverains ». La guerre, si guerre il devait y avoir, ne serait plus que défensive et il renoue ici avec Montesquieu. « Toute la gloire eût été dans les tribunes et sur les bancs des magistrats ; tout l’intérêt eût été pour l’industrie. Le commerce, l’agriculture seraient devenus, avec les beaux-arts, le patrimoine de la liberté […]. La France eût été le plus grand miracle de la civilisation […] ». Et elle aurait l’in croyable générosité d’en faire profiter le monde entier17.
14Sur la structure politique de l’association, l’Empereur est moins prolixe, bien qu’il avoue être nécessairement à la tête de l’ensemble. Il se voit tel « le médiateur naturel entre l’ancien et le nouvel ordre de choses », le « juge suprême » de la « dictature universelle ». Au sommet de la hiérarchie, l’Empereur serait assisté dans chaque pays par les rois, devenus ses lieutenants, des super-préfets en somme. En optant pour des princes et non pour une Diète, Napoléon se détache de Rousseau et des Lumières, mais c’est pour se rapprocher du bon abbé, sous prétexte que « les mœurs et la situation de l’Europe le commandaient ainsi ». Il se sépare aussi et malgré tout de Saint-Pierre, en ce qu’il s’immisce dans les affaires intérieures des nations souveraines et qu’il place la confédération sous la domination d’un super-État, la France. De même, au tribunal européen prévu par l’abbé, Napoléon substitue son seul arbitrage. C’est lui qui serait « l’arche de l’ancienne et de la nouvelle alliance ». Comme en bien des choses, il semble ici aussi vouloir consciemment ou inconsciemment marier ancien et nouveau : une domination universelle en vue de la paix perpétuelle et de l’unification, de la régénération (ou modernisation) de l’Europe, sous la houlette du seul « médiateur naturel » possible et envisageable : Napoléon18.
15Ce rêve aurait dû se réaliser à la paix générale, soit parce que la Grande- Bretagne aurait participé à « ces beaux mouvements de la régénération moderne », soit parce que Napoléon aurait vaincu la Russie. La campagne de 1812 serait « la fin des hasards », « le commencement de la sécurité », l’aboutis se ment du système européen, de la « grande cause ». La terrible retraite mit fin à cette illusion et de son roc désertique, l’exilé annonce la suprématie à venir de la perfide Albion qui a déjà remis les peuples sous le joug, et la menace que vont faire peser sur l’Occident les cosaques et les tartares d’Orient19.
16À en croire le Mémorial, chacun des États européens, considérés comme « un seul et même corps de nation », serait successivement incorporé dans la grande famille européen ne, un peu à la manière du « congrès américain » ou à celle des « Amphictyons de la Grèce », à la différence près, ce qu’omet de mentionner l’exilé, que cela s’opérerait par la contrainte et non par une libre détermination des peuples impliqués. Au cours du règne, l’évolution est moins évidente. Napoléon jongle autant avec les idées qu’avec les peuples. En janvier 1802, il promet aux Italiens réunis à Lyon l’unification à terme de leur antique patrie. Mais avant d’en arriver là, il leur faudra échanger leur esprit local contre des « habitudes nationales » et vivre sous une constitution « plus adaptée ». En septembre de la même année, il annexe le Piémont et voit dans cette initiative un « premier pas vers la réunion » : réunion avec la France et non entre les six « nations » d’Italie20. L’Italie en définitive ne sera pas unifiée, mais remodelée dans les années 1806-1807, de sorte à former trois territoires distincts : royaume d’Italie, Grand-Duché de Toscane et royaume de Naples et des Deux-Siciles. En mars 1809, la Toscane est confiée à Elisa, avant d’être annexée à la France. Quoi qu’il en soit, Napoléon destinait la couronne d’Italie à son deuxième fils, le vice-roi Eugène recevrait en compensation le Grand-Duché de Francfort. Mais, en 1813, il admet devant Roederer qu’il ne sait toujours pas s’il séparera l’Italie de la France ou s’il les réunira. À Sainte-Hélène, ses propos à ce sujet sont tout aussi imprécis. D’une part, il affirme qu’il voulait l’unification de l’Italie ; d’autre part, qu’il craignait cette unification qui aurait conféré une trop grande puissance à un pays stratégique ment bien situé et qu’il y a donc renoncé.
17Au vrai, Napoléon a constamment hésité à emprunter en Europe la voie de l’unité. À voir ses créations territoriales —Italie, Westphalie, Confédération du Rhin, Grand-Duché de Varsovie— force est de constater qu’il ne construit ni des États-nations, ni de « grandes masses », mais de petits ou moyens États qui contrebalancent les puissances prussienne et autrichienne et forment une barrière contre la Russie, ce par quoi il renoue avec les idées en vogue, évoquées plus haut21. S’il uniformise par le biais du Code civil et de la législation française (institutions diverses, impôts, conscription), il ne les unifie pas pleinement ; tout au plus remédie-t-il à un trop grand morcellement, ainsi qu’il en va pour la Confédération du Rhin, réduite à seize États, comme si toute entité nationale d’une superficie importante était un danger pour la prééminence de la France. La Prusse et l’Autriche surent très précisément ce qu’il en était, puisque leurs défaites furent prétexte à des démembrements successifs qui les affaiblirent. Le Portugal faillit lui aussi être divisé en trois et distribué à autant de souverains. La guerre d’Espagne mit un terme à ce beau projet. Jusque-là, et quand il ne restructure pas des États trop morcelés tels que l’Allemagne et la Pologne, le système fédératif impérial consiste donc à amoindrir, pour mieux les dominer, les territoires conquis ou alliés et à leur imposer les lois de la France. Ce qui peut paraître comme une aspiration à l’unité trahit plutôt une soif d’uniformité, ce qui est tout autre chose22 : uniformité qui fondrait en une masse inerte les États-satellites européens et d’où émergerait la seule figure colossale de Napoléon-le-Grand. Cette politique suggère que Napoléon a tout fait, non pour amalgamer les nationalités, comme il le dit à Sainte-Hélène, mais pour les annihiler au profit d’un esprit européen, à comprendre comme une francisation inédite. Au rythme du blocus continental sa politique se modifie. Il ne s’agit plus de créer des simulacres de nations, mais d’incorporer, sous prétexte de resserrer l’étau contre le commerce britannique. Ainsi en va-t-il de l’Espagne, des villes hanséatiques, de la Hollande, de la Toscane, de Rome, voire de la Suisse, puisque Napoléon annexe le Valais. Il n’en continue pas moins de se référer à son « système fédératif ». Le fait est que Napoléon emprunte une terminologie à la mode et la revêt de contenus hétérogènes et mouvants selon des priorités conjoncturelles ; le « système du moment » ainsi qu’il le qualifie lui-même peut être fédératif, dans le sens d’une association – libre ou forcée – entre les États ou dans celui d’une annexion pure et simple23. S’il y a une constante dans ces entreprises, c’est qu’il aspire à uniformiser, à centraliser et à détruire tout esprit local. Mais, sans doute vise-t- il aussi à anéantir le sentiment national, hormis celui des Français.
Paix générale ou guerre totale ?
18Revenons en arrière pour reconsidérer à la fois ce qu’il en est au juste des relations internationales de l’époque et des idées de Napoléon à ce sujet. Le premier constat qui s’impose est que le général Bonaparte a été tôt informé. Après son séjour au bureau topographique de la Guerre où sont réalisés les premiers mémoires en vue de la campagne d’Italie, les préliminaires de Leoben lui permettent de s’initier plus directement encore aux affaires étrangères et à la diplomatie. Peu à peu, il s’enquiert des précédents, comme le prouvent à la fois ses références et les ouvrages qui ornent ses bibliothèques. Contrairement à ce que l’exilé affirme à Sainte-Hélène, ses décisions et ses projets démontrent qu’il suit une politique circonstantielle, fondée sur une inspiration ancienne. En d’autres termes, les formes de cette politique se modifient au rythme des succès, tandis que leurs fins demeurent plus ou moins similaires ; elles ont vu le jour au contact des réalités des années 1794-1799. Un premier objectif est en effet de « tenir la balance de l’Europe24 », ce qui prouve déjà que balance ne signifie pas équilibre, car celui qui tient la balance peut la faire basculer. Ce qu’en 1815 Napoléon traduit ainsi : « il fallait pour nous la moitié plus un de l’Europe, afin que la balance penchât de notre côté25 ». Il fallait protéger les frontières naturelles en les dépassant, s’assurer une prépondérance en Méditerranée, réaménager les États allemands pour contrebalancer la puissance de la Prusse et celle de l’Autriche et former un État-tampon contre les dangers venant de l’est, s’assurer de l’amitié de la Suisse et enfin, briser la suprématie britannique sur mer. Des fins qui n’étaient donc pas nouvelles et dont la plupart avaient préoccupé le Directoire, mais aussi les ministres de Louis XV et de Louis XVI, Choiseul et Vergennes26. C’est qu’au cours du xviiie siècle et avec la montée en puissance de la Prusse et de la Russie, la France avait perdu sa traditionnelle position d’arbitre de l’Europe, tandis que la Grande- Bretagne cherchait à l’affaiblir sur les mers et à lui ravir ses colonies d’Amérique27. Cette suprématie maritime et commerciale de la Grande-Bretagne n’était pas vue d’un très bon œil par les autres puissances et l’on comprendra qu’elles applaudirent de concert devant sa défaite de 1783 contre les États-Unis d’Amérique. L’antipathie des États continentaux à l’égard de l’Angle terre ne doit pas être passée sous silence, puisqu’elle explique la diplomatie européenne à venir et donc le fait qu’une coalition générale contre Napoléon ait tant tardée à se constituer.
19Un second point primordial à reconsidérer est l’attitude des puissances européennes envers la France née de la Révolution. Trop souvent, on affirme qu’elles n’acceptaient ni la Révolution, ni son héritier, « le Robespierre à cheval ». Ce serait conférer une primauté aux motifs idéologiques peu souvent de mise dans la diplomatie des puissances. Jamais les gouvernements traditionnels ne les ont laissés primer sur les intérêts politiques et économiques. Pas même sous la république de Cromwell, qui présente un cas de figure analogue. Les traités signés en avril 1795 avec la Prusse et en juillet de la même année avec l’Espagne témoignent du règne du pragmatisme. En 1795, le Parle ment de Londres approuvait l’ouverture de négociations avec la France et, en 1796-1797, Pitt souhaite engager de nouveaux pourparlers. Ils se tiendront à Lille et échoueront devant l’intransigeance des nouveaux membres du Directoire, au pouvoir depuis le 18 fructidor. Dès lors, l’Angle terre acceptait l’annexion de la Belgique. Dans ses projets de 1798-1799, Grenville avoue certes que l’Angleterre souhaite reprendre à la France les Pays-Bas autrichiens, quitte à les réunir à la Hollande, tout comme Pitt en 1805 ou Castlereagh en 1813, en vue d’établir des États-tampons qui freinent les velléités impérialistes de la France, mais, à plusieurs reprises, l’Angleterre n’en consent pas moins à jeter du lest. Les exemples sont nombreux en 1797 ; à Amiens en 1801-1802 ; en 1802-1803, mais aussi en 1806, lors des négociations qui se tiennent à Paris, où Napoléon exige la Sicile en supplément28. Russie et Autriche sont prêtes jusqu’au dernier moment à laisser à la France ses fameuses frontières naturelles, y compris la Belgique, à condition de recevoir elles-mêmes des compensations. De même, l’Angleterre ne déplore point la chute des Bourbons et s’est tout d’abord réjouie de voir la France imiter la Glorious Revolution de 1688- 1689. Jusqu’en février 1814, aucun allié ne songe sérieusement à appeler Louis XVIII sur le trône29. Encore Alexandre aurait-il préféré Bernadotte et Metternich, une régence, tandis que George III répugnait à imposer aux Français un souverain impopulaire. Que l’Europe ait été moins hostile à la France nouvelle que ne l’ont dit les historiens, c’est ce dont témoigne aussi la Suède quand elle confie son royaume à un ancien général républicain, Bernadotte, ou quand le pape entreprend un long et fatiguant périple pour venir sacrer Napoléon à Paris30.
20Entre-temps, Napoléon a réussi à atteindre ses fins. Il contrôle la Méditerranée par l’Italie du sud, la Corse et l’île d’Elbe, de même que l’Adriatique par les provinces illyriennes, ce qui ne pouvait qu’éloigner de lui l’Autriche et inquiéter la Russie et la Grande-Bretagne. Il gouverne indirectement la confédération du Rhin – réalité insupportable à la fois pour l’Autriche et la Prusse– tandis qu’il fait peser une main de fer sur la Hollande, ce qui répugnait à l’Angleterre, humiliée par ailleurs du fait que Napoléon ait cédé le Hanovre à la Prusse. L’Empereur a largement dépassé les frontières naturelles et a atteint l’équilibre dont il avait rêvé : « la moitié plus un de l’Europe ». Cette expansion aurait pu à la rigueur être acceptée des puissances, si elle avait été ressentie comme provisoire, ainsi qu’il en allait sous l’Ancien Régime, où la guerre permettait des conquêtes, restituées en partie à la suite des traités de paix. Mais, comment envisager que les territoires occupés par Napoléon et ses frères ne le soient que provisoirement, puisqu’il les transforme en royaumes, place à leur tête un des membres de la famille et y introduit les lois françaises ? Et puis, pour que les puissances continentales se résolvent à accepter le nouvel ordre européen, encore aurait-il fallu que soit partagé équitablement le butin, ainsi qu’il en allait dans les trois partages successifs de la Pologne. Ce ne fut pas le cas. Napoléon entendait remodeler la carte de l’Europe au seul profit de la France et de sa propre gloire et non point en vue de l’équilibre général. Dans ce projet, il fallait affaiblir la Prusse et l’Autriche, faute de pouvoir en faire autant avec la Russie. L’alliance de Tilsit remédia malgré tout pour un temps à la guerre sur le continent et fut ressentie en Europe comme un prélude à la paix générale31.
21Restait à anéantir l’irréductible Albion, plus avide que jamais depuis l’invasion de l’Espagne de jouer à l’arbitre du continent32. Dans cette entreprise, Napoléon trouva des alliés dans plusieurs pays de l’Europe, notamment ceux qui souffraient de la suprématie britannique ou qui, comme Kant, méprisaient la nation qui « fait la guerre à crédit ». Le blocus fut un premier instrument, qui porta quelques fruits. En avril 1808, après les initiatives de Canning en vue de la paix, Napoléon se réjouissait : « L’Angleterre commence à souffrir. La paix seule avec cette puissance me fera remettre le glaive dans le fourreau et rendre à l’Europe sa tranquillité33 ». À Erfurt, même confiance, Napoléon écrit à Jérome qu’il discute avec Alexandre « sur les moyens de rétablir la paix générale », tandis que, de concert, les deux Empereurs suggèrent à Georges III de les rejoindre dans ce noble dessein. Le roi ne daigna pas répondre, il estimait les propositions insidieuses, les jugeant seulement aptes à meubler les pages du Moniteur. Entre-temps la situation s’était redressée, le ministère de Tous les Talents, discrédité, avait démissionné et Canning n’était plus disposé à traiter avec « Boney », et d’autant moins qu’il était persuadé que Napoléon n’était pas sincère34.
22« Forcer la Grande-Bretagne à la paix » demeure une constante, voire une obsession dans la Correspondance. Sur ce point s’accordent bien des alliés de la France, persuadés grâce à une habile propagande que la poursuite de la guerre est due à George III et à ses ministres car la guerre serait pour eux plus avantageuse que la paix35. Il faut donc forcer l’Angle terre à la paix, soit par le blocus, qui s’avère vite insuffisant, soit par un embargo financier, qui consiste rait à refuser partout en Europe les traites, promesses, billets et lettres de change pour compte britannique et qui ruinerait son crédit et sa banque, soit encore par une descente de toutes les troupes alliées, sous le commandement de l’empereur des Français36. Au vrai, il aurait fallu –et Napoléon s’y est essayé– réunir les forces navales de l’Europe continentale afin d’attaquer la Grande-Bretagne sur terre et sur mer et lui enlever ses possessions dans les Indes orientales et occidentales, parallèlement au blocus des marchandises. Or, depuis 1799, l’Angleterre avait peu à peu détruit ou bloqué les seules forces navales disponibles. Le Danemark, la Suède, l’Espagne, la Hollande et la France n’avaient plus pour ainsi dire que des épaves37, tandis que la flotte russe était immobilisée en Espagne. Une flotte ne se contruisant pas du jour au lendemain, Napoléon eut beau faire, sans succès. Durant son règne, il ne parvint pas à restaurer la marine française. Mais il ne se résolut pas non plus à mettre en œuvre un embargo financier, ni à entreprendre une périlleuse descente, en dépit des projets hardis qui lui parvenaient.
23Pendant ce temps, le soi-disant « système fédératif » fonctionnait ; la Grande-Bretagne était isolée et incapable de vaincre Napoléon sur terre, mais elle en profitait pour étendre son commerce et son influence sur les mers, jusqu’en Amérique du sud. Devant les failles du blocus, Napoléon fut tenté de le renforcer. Et il ne vit de solution que dans l’annexion des pays où la contrebande allait bon train : l’Espagne, tout d’abord, sous des prétextes futiles, les États du Pape, la Hollande, les villes hanséatiques, la Toscane, le Valais, etc. Entre 1809 et 1810, les pays indépendants de la fédé ration européenne se virent brutalement transformés en départements français, tandis que le Grand- Duché de Varsovie était agrandi et le duché d’Oldenbourg annexé au détriment de l’alliance russe, déjà fragilisée par un impopulaire blocus. On est loin de la pacification générale envisagée en 1808. C’est plutôt de guerre totale qu’il s’agit, toujours il est vrai, sous prétexte de forcer l’Angleterre à la paix. Mais ces mesures ont pour conséquence néfaste de désolidariser les alliés, humiliés, effrayés, spoliés et ruinés, ou en passe de l’être. La paix générale était-elle possible ? Et, surtout, Napoléon la souhaitait-il réellement ? À supposer qu’il la souhaitât, il la souhaitait à ses conditions. Mais le renforcement du blocus orienta sa politique bon gré mal gré vers une autre stratégie38 : l’annexion des pays alliés. La perspective d’une expansion infinie s’ouvrait devant l’empereur des Français et il ne sut résister. D’autant que cette stratégie était encouragée d’abord par le parti de la guerre, généraux et diplomates, qui rêvaient d’arborer une couronne ou un titre nouveau. Ensuite, la paix générale était-elle envisageable, quand on sait qu’elle eût impliquée le retour en France de centaines de milliers de militaires et suscitée d’importants problèmes économiques39, sociaux et politiques ? Enfin, en cas de réelle pacification, Napoléon aurait dû renoncer pour une part à des acquis qui lui paraissaient non point provisoires mais durables tels que la présence en Méditerranée ; les duchés, principautés, royaumes accordés à ses proches ; la prééminence française en Hollande, en Suisse, en Allemagne, en Italie et en Espagne. Et, last but not least, les réformes rationnelles et séculières dont la mise en place s’effectuait progressive ment dans les divers pays conquis ou annexés. C’est parce qu’il ne sut renoncer à aucun de ces acquis qu’en 1813-1814, il perdit son empire40.
24Pour conclure, admettons que Napoléon ait vaincu en Russie et qu’ait suivi une paix générale, y compris avec l’Angleterre41, l’équilibre européen aurait été bouleversé en faveur de la France. La fédération ainsi formée, sa structure, ses gouvernements auraient eu plus d’analogies avec le Saint- Empire Germanique qu’avec la confédération républicaine de Rousseau, de Hume ou de Kant. De fait, l’Europe française se serait apparentée au super-État, à la monarchie universelle réprouvée par Montesquieu, car elle n’aurait pas été adaptée au siècle des Lumières où devaient primer commerce, liberté, indépendance et modération42. Ainsi, alors que Napoléon introduisait dans les divers États des réformes libérales et rationnelles dignes du xviiie siècle et de la Révolution, lui-même surplombait l’édifice par une figure empruntée à l’Ancien Régime.
25On est donc loin des belles utopies de Sainte-Hélène. Entre les rêves et les projets, il y eut la réalité, et cette réalité ne tendait ni à constituer des États-nations, ni à émanciper les peuples, mais à les réunir et à les franciser sous la houlette de Napoléon-le-Grand, pour sa plus grande gloire et celle de la France. Aussi comprendra-t-on que la paix universelle était impossible. La nécessité, si souvent invoquée pour motiver les actes de Napoléon, semble donc bien être issue d’une « mauvaise » volonté, où s’entremêlent méconnaissance des réalités internationales et ambition d’hégémonie.
Notes de bas de page
1 S. Woolf, Napoléon et la conquête de l’Europe, Flammarion, 1990. R. Dufraisse & M. Kerautret La France napoléonienne. Aspects extérieurs 1799-1815, Seuil, 1999. M. Broers, Europe under Napoleon 1799-1815, Londres, 1996.
2 Voir pour d’autres projets des Lumières, Marc Belissa, Fraternité universelle, intérêt national (1713- 1795). Les cosmopolitiques du droit des gens, Kimé, 1998. De plus, on peut consulter Lucien Bely, Les relations internationales en Europe xviie-xviiie siècles, PUF, 1992.
3 M. Belissa, op. cit., p. 47-49.
4 M. Belissa, op. cit., p. 98.
5 M. Belissa, op. cit., p. 97-99.
6 Sieyès aurait ainsi prévu d’entourer la France d’une ceinture de républiques. Reubell était d’un autre avis, tout comme les autres directeurs. R. Guyot, Le Directoire et la paix de l’Europe, Paris, 1911, p. 119.
7 M. Belissa, op. cit., p. 411, p. 414 ; p. 418. Notons, comme on le sait, que les directeurs sont divisés. Certains privilégient la frontière du Rhin, d’autres celle de la Meuse ; en l’an III, ils ne sont pas encore décidés à révolutionner l’Italie. La campagne d’Italie, ne l’oublions pas, devait mener à la conquête de la rive gauche du Rhin. Guyot, op. cit., p. 119, p. 162 et 169.
8 M. Belissa, op. cit., p. 416-417.
9 B. Kriegel, La politique de la raison, Payot, 1994, p. 33 et p. 40.
10 Il écrit : « quand bien même il n’y aurait pas la moindre vraisemblance théorique qu’on puisse la réaliser, encore que l’impossibilité de sa réalisation ne puisse pas davantage être démontrée ». B. Kriegel, op. cit., p. 40.
11 A.-M. Rao, « Républiques et monarchies à l’époque révolutionnaire : une diplomatie nouvelle ? », in La République et l’Europe, n° spécial des Annales historiques de la Révolution française, n° 2, 1994, p. 267-278.
12 12. P.W. Schroeder, The Transformation of European Politics 1763-1848, Oxford University Press, 1994.
13 Il y eut certes des législateurs moins avides et moins égoïstes. Voir B. Gainot, « Les rapports franco-italiens en 1799. Entre la confédération démocratique et la conjuration politico-militaire », paru en italien dans Societe e Storia. n° 76, 1997.
14 Cf. notre L’Empire de Napoléon, Champs Flammarion, 2000, chapitre 4.
15 Cambaceres, Mémoires inédits, Perrin, 1999, 2 vol., II, p. 163. Œuvres de Napoléon, Paris 1821- 1822, I, p. 302. Metternich, Mémoires et correspondance, Plon, 1880, 2 vol., II, p. 295. A.N. AF IV.
16 Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, Flammarion, 1951, II, 233.
17 Ibid. p. 233, et p. 544 et 583.
18 Ibid., I, p. 517 et II, p. 230.
19 Ibid., ii, p. 310.
20 Napoleon, Œuvres (1821), IV, p. 260-292. Napoleon, Correspondance, Plon, 1858-1869, 32 vol., VII, n° 5528, p. 121. Roederer, Œuvres complètes, Paris, 1848-1855, III, 581.
21 Voir aussi R. Dufraisse et M. Kerautret, op. cit. p. 96-99. Les auteurs insistent trop, me semble-t- il, sur le caractère « carolingien » du système fédératif.
22 Benjamin Constant fait une fort belle analyse de cette aspiration à l’uniformité. Cf. De l’Esprit de conquête et de l’usurpation, GF Flammarion, 1986, p. 116-125. Pour Montesquieu, l’uniformité est un signe de despotisme.
23 Rappelons le talent de Napoléon pour jouer sur l’ambiguïté des termes (entre autres ceux de « paix » ou de « libéral ») dans le même temps où il excelle à parler à chacun son langage.
24 À l’instigation du Directoire, Bonaparte écrit le 7 octobre 1797 : « nous tenons la balance de l’Europe ». Correspondance, III, n° 2292, p. 369-371.
25 Fleury de Chaboulon, Les Cent Jours, Londres, 1820, p. VII, p. 422 et p. 454.
26 Choiseul avait tout fait pour renforcer la marine française et pour affaiblir la suprématie britannique sur mer ; Vergennes souhaitait stabiliser l’Europe et concentrait ses efforts en vue de fragiliser la Grande-Bretagne et de marginaliser la Prusse. M. Belissa, op. cit., p. 123. L. Bely, op. cit., p. 550-560.
27 J. Clark, Natural and Necessary Enemies. Anglo-French Relations in the Eighteenth Century, University of Georgia Press, 1986, p. 62.
28 W. Hinde, George Canning, Collins, London, 1973, p. 106. Pitt soutient les initiatives de paix tant en 1801 qu’en 1796-97. La paix d’Amiens est votée par le Parlement à 276 voix contre 20. R. Dufraisse et M. Kerautret, op. cit. p. 104. Voir aussi la version anglaise, W. Hinde, p. 161- 187 et J. Derry, « The opposition Whigs and the French Revolution » in H.T. Dickinson, Britain and the French Revolution, Londres, 1989, p. 55. L’intransigeant Grenville rejoint Fox entre 1806 et 1807, dans le ministère de Tous les Talents, qui veut négocier et non plus poursuivre la guerre. En 1808 une dernière tentative est entreprise.
29 Les projets russes de 1804 envisageaient de restaurer la couronne de France mais de nommer eux-mêmes le roi, de concert avec l’Angleterre. P. SChroeder, op. cit., p. 258.
30 Voir aussi M. Belissa, op. cit., p. 350 sq. En 1792 encore, la Grande-Bretagne ne souhaitait pas la guerre. De fait, c’est en novembre 1793 seulement, qu’effrayé par l’expansion française en Belgique, Pitt se résout à l’inévitable et prend la guerre au sérieux.
31 Voir A.N., AFIV-1820. Plusieurs documents à ce sujet.
32 Invasion qui avait choqué l’Europe et séparé de Napoléon nombre de ses sympathisants. Car l’Espagne était son alliée et il donnait l’impression de l’avoir trahie. De là le nom de l’épisode : le guet-apens de Bayonne.
33 Correspondance, op. cit., XVII, n° 13750.
34 W. Hinde, op. cit., p. 206. P. Schroeder, op. cit., p. 334-335.
35 Cf. S. van de Graaff. Cet auteur affirme que le commerce anglais s’enrichit par la guerre et n’a donc pas d’intérêt à la paix. C’est aussi l’avis des puissances commerciales, supplantées par la Grande- Bretagne. AN, AF IV-1820, pièce 73. (octobre 1809).
36 AN, AFIV – 1820, pièces 28 ; 49 ; 50 ; 51 ; 52 ; pièces 73 ; 74 et 78.
37 H.T. Dickinson, op. cit., p. 162-163.
38 S. Woolf, op. cit., p. 50.
39 N’oublions pas non plus les importants profits que rapporte la guerre : des compensations financières que les vaincus sont contraints de payer aux vainqueurs, aux spoliations diverses des généraux ou des soldats, la guerre est aussi rémunératrice pour les conquérants.
40 Rappelons la constatation effrayée de Metternich des années 1811 : « Napoléon ne veut pas la guerre, mais il ne consentira à aucune concession ; le passé ne nous fournit aucun exemple d’un fait de ce genre… Napoléon n’a jamais payé des concessions que par des exigences nouvelles ». Cf. notre L’empire de Napoléon, p. 131.
41 Napoléon avait fort bien compris que les deux véritables dangers pour la France étaient désormais l’Angleterre et la Russie. Il fallait donc les isoler et les vaincre séparément ou se concilier l’une d’entre elles par des concessions alléchantes. Car toutes deux étaient invulnérables, et cela, il ne l’avait pas perçu.
42 De même, sa politique économique était protectionniste, voire « proto-coloniale ». Cf. P. Schroeder, op. cit., p. 445-448. Montesquieu, Réflexions sur la monarchie universelle en Europe, Droz, 2000, p. 71-110.
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