Introduction de la deuxième partie
p. 113-114
Texte intégral
« The Negro has never been as docile as white Americans wanted to believe. That was a myth. We were not singing and dancing down on the levee. We were trying to keep alive; we were trying to survive a very brutal system. The “nigger” has never been happy in his place. »
James Baldwin, « The Negro and the American Promise », entretien télévisuel, 1963, in James Baldwin et Raoul Peck, I Am Not Your Negro, New York, Vintage, 2017, p. 49.
« It is impossible to accept the premise of the story, a premise based on the profound American misunderstanding of the nature of the hatred between black and white. The root of the black man’s hatred is rage, and he does not so much hate white men as simply wants them out of his way, and, more than that, out of his children’s way. The root of the white man’s hatred is terror, a bottomless and nameless terror, which focuses on this dread figure, an entity which lives only in his mind. »
James Baldwin, The Devil Finds Work, New York, Knopf, 2013 (1976), p. 60.
1Dans son autobiographie, parue en 1965, Malcolm X se remémorait sa rencontre avec un psychiatre de l’armée américaine à New York en 19431. Le psychiatre devait indiquer si Malcolm X était apte à être envoyé au combat. Cherchant à obtenir la carte 4-F, le sésame avec lequel il pourrait échapper à la conscription, Malcolm X décidait d’expliquer durant son entrevue médicale qu’il cherchait à organiser un bataillon de soldats noirs, en volant des armes dans le but de « tuer des Blancs2 ». Le stratagème marcha et Malcolm fut bientôt retiré des listes militaires par le psychiatre.
2Au-delà de la simple anecdote, l’usage fait par Malcolm X des stéréotypes raciaux de dangerosité noire pour échapper à la conscription fait écho à nos deux prochains chapitres, dans lesquels il sera question d’observer la manière dont les psychiatres deviendraient bientôt les nouveaux experts des comportements noirs, des émeutes urbaines, et, par extension, du contrat social américain prenant place entre l’Amérique blanche des banlieues pavillonnaires de classe moyenne, nouvellement construites après la Seconde Guerre mondiale, et l’Amérique noire des ghettos3.
3Le chapitre iii reviendra sur la rhétorique construite par le rapport Moynihan dans l’opinion publique à propos de la « culture » noire et de la famille noire pathologique dans les années 1960, au milieu du mouvement pour les droits civiques. Il sera question ici d’étudier l’influence qu’a eue le rapport Moynihan sur l’émergence de nouvelles recherches en psychiatrie à la fin des années 1960, s’inspirant très largement des thèses établies dans le rapport, largement diffusé. Par l’intermédiaire de ce chapitre, on étudiera les modalités selon lesquelles s’opérera un nouveau type de contrôle psychiatrique qui prendra la forme avant tout d’études sur le comportement familial des Noirs, au moment même où les débats sur l’abolition de la ségrégation dans le Sud scindent le pays en deux. Ce chapitre sera aussi l’occasion d’étudier les arguments culturalistes déployés par Daniel Moynihan qui était un universitaire reconnu mais également l’un des conseillers de l’administration Johnson à propos des comportements pathologiques qui se déployaient dans les familles noires, et qui, selon lui, favorisaient l’essor du chômage et la déresponsabilisation politique, économique et sociale de ces populations4. On s’intéressera en outre à la manière dont certains militants noirs ont repris les thèses de culturalistes de Moynihan à propos de la famille noire pathologique, contribuant ainsi à les légitimer. Dans la suite du chapitre, seront analysées les positionnements stratégiques de certains psychiatres blancs et noirs, qui, tour à tour, rejetèrent cette analyse, ou au contraire, l’utilisèrent dans leurs propres recherches.
4Le chapitre iv nous donnera l’occasion de nous intéresser à l’ouverture de deux centres de recherche en psychiatrie, à l’université Brandeis, dans la banlieue de Boston, et à UCLA, à propos, spécifiquement, des causes et modalités de la violence urbaine et des émeutes raciales, à la fin des années 1960 et au début des années 1970. On étudiera la manière dont les psychiatres s’intéressant à ces nouveaux sujets de recherche étudiaient les « troubles » urbains et les comportements des émeutiers noirs dans le contexte du mouvement des droits civiques. Ce chapitre sera l’occasion de se poser la question des liens unissant le pouvoir psychiatrique à l’autorité policière, et, de manière plus générale, à l’État.
Notes de bas de page
1 Malcolm X et Alex Haley, L’Autobiographie de Malcolm X, trad. Anne Guérin, Paris, Grasset, 1966.
2 Ibid., p. 196.
3 Voir Arnold R. Hirsch, Making the Second Ghetto: Race and Housing in Chicago, 1940-1960, Cambridge, Cambridge University Press, 1983.
4 Moynihan était lui-même un universitaire reconnu dans son champ : sociologue-conseil, pour reprendre l’expression de Bernard Lahire, il jouissait d’un statut prestigieux et fut d’ailleurs nommé directeur du Joint Center for Urban Studies à Harvard University et au Massachusetts Institute of Technology quelques mois après la publication du rapport et jusqu’en 1969. Sur ce statut, voir Bernard Lahire (dir.), À quoi sert la sociologie ?, Paris, La Découverte, 2004, p. 43-45.
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