Introduction générale. Pour une sociohistoire des traitements psychiatriques appliqués aux patients noirs aux États-Unis
p. 15-38
Texte intégral
« I sometimes feel it to be an absolute miracle that the entire black population of the United States of America has not long ago succumbed to raging paranoia. People finally say to you, in an attempt to dismiss the social reality, “but you’re so bitter!” Well, I may or may not be bitter, but if I were, I would have good reasons for it: chief among them that American blindness, or cowardice, which allows us to pretend that life presents no reasons for being bitter. »
James Baldwin, I Am Not Your Negro: A Major Motion Picture Directed by Raoul Peck, New York, Vintage Books, 2017, p. 98.
1En décembre 1963, le révérend Martin Luther King Jr. prononçait un discours sur le campus de Western Michigan University, à Kalamazoo, dans lequel il définissait le rêve américain comme une utopie encore bien lointaine pour les Noirs peuplant le pays1. Le président de la Southern Christian Leadership Conference, alors âgé de 34 ans, enjoignait l’Amérique blanche et l’Amérique noire à la réconciliation, sans quoi les injustices centenaires de l’esclavage, du régime de Jim Crow dans le Sud et de la discrimination dans le Nord, qui entachaient les perspectives d’avancement des citoyens noirs, ne pouvaient être que difficilement résorbées. Son allocution faisait suite aux grandes actions organisées par les militants défendant la cause des droits civiques (le boycott des bus à Montgomery, en Alabama, en 1955-1956 ; les mobilisations visant la ségrégation du lycée de Little Rock, en Arkansas, en 1957, les actions de sit-in et de désobéissance civile dans les restaurants et bibliothèques des États du Sud, le mouvement des Freedom Riders, entre autres) et au désormais célèbre discours « I Have a Dream », prononcé quelques mois auparavant, sur les marches du mémorial à la gloire d’Abraham Lincoln, à Washington DC, durant la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté (March on Washington for Jobs and Freedom), à laquelle entre 200 000 et 300 000 personnes avaient assisté, et qui avait été organisée par des groupes de défenseurs des droits civiques, de syndicats et d’organisations religieuses2. Depuis quelques années, le pays avait également connu une vague de violences raciales sans précédents récents, perpétrées par des groupes de suprémacistes blancs, notamment des membres du Ku Klux Klan : le meurtre brutal d’Emmett Till, un adolescent noir de 14 ans assassiné froidement dans l’État de Mississippi, en 1955 ; les assassinats, en 1955, du révérend George Lee, vice-président du Regional Council of Negro Leadership et membre actif de la NAACP et de Lamar Smith, un agriculteur de 63 ans et un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, qui s’étaient tous deux mobilisés pour inciter les Noirs résidents dans le delta du Mississippi à exercer leur droit de vote ; l’assassinat, le 12 juin 1963, de Medgar Evers à Jackson, dans le Mississippi, l’un des secrétaires généraux de la NAACP dans ce même État par Byron De La Beckwith, un suprémaciste blanc ; le meurtre par E. H. Hurst, un membre de l’assemblée d’État du Mississippi, en septembre 1961, de Herbert Lee, un agriculteur noir qui avait participé activement aux campagnes visant à inscrire sur les listes électorales les Noirs du sud-ouest de l’État ; l’attentat à la bombe dans une église noire de Birmingham, en Alabama, le 15 septembre 1963, qui fit plusieurs morts3. Ces épisodes de violence, dont une liste non exhaustive est présentée ici, avaient été maintes fois documentés dans les journaux et hebdomadaires de l’époque et révélaient, ainsi, à l’ensemble de la population américaine, les inégalités sociales, territoriales, et le racisme systémique dont la population noire américaine faisait toujours les frais, une centaine d’années après l’abolition de l’esclavage4. Cette résurgence de la violence était sans doute une réaction aux activités militantes, aux avancées des droits civiques des Noirs et au début de la déségrégation, malgré le fait que la violence raciale, ainsi que les lynchages n’avaient jamais réellement disparu.
2C’est dans ce contexte que Martin Luther King Jr. expliquait en décembre 1963 que la réaction des Noirs à cette violence systémique pouvait être résumée par le concept d’« inadaptation » (maladjustement). Pour lui, ce terme, qui provenait de la « psychologie moderne […] », et était utilisé habituellement, par les autorités médicales, pour décrire « les névroses, les personnalités schizophréniques », symbolisait l’état d’esprit que les Noirs devaient revendiquer, afin de poursuivre la lutte qui les mènerait vers l’égalité5. « Je vous le dis, mes amis, puisque j’en arrive à ma conclusion, il y a certaines choses dans notre nation vis-à-vis desquelles je suis fier d’être inadapté, et j’espère que les Hommes de bonne volonté seront inadaptés vis-à-vis d’elles également, jusqu’à ce que toute la société soit du même avis », déclamait King, poursuivant en expliquant qu’il « ne s’attendait jamais à s’adapter à la ségrégation et à la discrimination, […] à l’intolérance religieuse, […] aux conditions économiques qui privaient le peuple de produits devenus le luxe de quelques privilégiés […], à la folie du militarisme, et aux résultats contre-productifs de la violence physique6 ».
3Les mots de King répondaient directement à l’usage fait, par les psychiatres et les psychologues de l’époque de la notion d’inadaptation pour qualifier les comportements des Noirs, dans la société des années 1960, à l’époque même où la schizophrénie était devenue un diagnostic particulièrement attribué aux Noirs américains, plus qu’aux Blancs7. En cela, l’utilisation de ce terme, par King, revêtait un nouveau sens, éloigné de l’usage du terme en psychiatrie : il ne s’agissait pas d’une description d’un symptôme médical, mais bien de la définition d’un état de présentation au monde, qui expliquait la lutte permanente et l’insurrection des Noirs, vis-à-vis de l’oppression subie.
4Par ailleurs, l’inadaptation des Noirs à la société américaine, constituait, pour King, le produit de la société raciste dans lequel ceux-ci vivaient, qui, à la fois, leur promettait des jours meilleurs, tout en reproduisant toujours et encore les mêmes inégalités sociales8. Il se saisissait de l’identité stigmatisée (l’inadaptation à la société, communément diagnostiquée par les psychiatres), pour revendiquer cet état comme une caractéristique inhérente aux comportements des Noirs, qu’il définissait comme faisant partie de leur identité, puisqu’elle était le produit du racisme systémique qu’ils avaient subi depuis des siècles9. En résumé, la pathologisation décrite par Martin Luther King n’était que le reflet de l’ordre social, politique, moral raciste dans la société américaine des années 1960.
5En « retournant » ce stigmate (puisqu’il s’agissait, pour reprendre ce concept du sociologue Erving Goffman, d’arborer le stigmate de l’inadaptation, en le transformant en une spécificité positive), King était conscient de l’usage de ce vocable emprunté au monde médical, et qui plus est, était souvent utilisé par les psychiatres pour médicaliser les réactions, qu’il voyait comme tout à fait rationnelles, au racisme et à la pauvreté systémique. Les militants politiques noirs, de Malcolm X, à H. Rap Brown ou Stokely Carmichael, avaient tous été diagnostiqués par exemple comme atteints de schizophrénie par des experts psychiatres convoqués par le FBI, comme le révélait dans ses travaux l’historien Jonathan Metzl, montrant ainsi que l’activisme politique noir était pathologisé comme une déviance mentale dans les années 1960.
6C’est précisément dans cette perspective que nous nous intéresserons particulièrement à la politisation de la science et des pratiques psychiatriques au xxe siècle, notamment en ce qui concerne les notions de citoyenneté, de responsabilité et de droits civiques, mais aussi les définitions de la notion de race en psychiatrie aujourd’hui et utilisées par les psychiatres et personnels soignants en santé mentale.
7Les théories développées dans le champ médical concernant l’inadaptation sociale et les déviances mentales, appréhendées ici comme autant d’instruments de libération, ont-elles été pourtant, le résultat d’une classification psychiatrique visant à renforcer le contrôle social des populations racisées par les psychiatres et médecins blancs ? Les stéréotypes encore aujourd’hui utilisés à l’encontre, par exemple, des femmes noires, décrites comme étant particulièrement « en colère » et « agressives », voire « schizophrènes », trouvent-ils leur source dans une histoire plus lointaine, qu’il conviendrait alors, de mettre au jour10 ? Les programmes en compétence culturelle en psychiatrie qui se sont développés depuis les années 1970, et destinés aux psychiatres majoritairement blancs pour traiter les patients membres de groupes ethno-raciaux ont-ils eu pour effet d’aller à l’encontre de ces processus de racialisation11 ?
8Le livre présenté ici aura pour but d’apporter des réponses à ces interrogations. Il sera question d’étudier l’évolution, depuis les années 1930, au rythme de leurs discontinuités et continuités, des théories portant sur les déviances mentales touchant spécifiquement les corps noirs et produites en majeure partie par des psychiatres blancs aux États-Unis. En s’appuyant sur le vaste corpus de travaux historiques et sociologiques portant sur la longue histoire des pratiques de discrimination raciale en médecine aux États-Unis, notre but est d’écrire, à la fois, une histoire institutionnelle des espaces psychiatriques qui confinent les patients noirs, ainsi qu’une histoire sociale des théories psychiatriques et des pratiques qui définissent le corps noir comme porteur de pathologies spécifiques. Dans ce livre, on tentera de retracer les différents régimes par lesquels la notion de blackness a été jugée pertinente par les psychiatres pour naturaliser les différences comportementales.
9D’autre part, il s’agira de lier l’étude du contexte sociohistorique et des institutions au xxe siècle à une réflexion plus contemporaine sur la construction historique de la notion de race dans le domaine des soins après les années 1960-1970. Il sera ainsi question, tout au long de l’analyse, d’éclairer cette ethnographie par les cadres sociohistoriques antérieurs, afin de souligner les continuités et discontinuités présentes. Nous reviendrons sur les traitements mis en place dans les centres psychiatriques destinés aux populations noires. Il sera aussi requis de s’interroger sur la longue évolution de l’usage médical de la notion de race au cours du xxe siècle, ainsi que ses conditions d’application encore aujourd’hui : pour ce faire, nous présenterons les résultats d’une enquête qualitative menée en Californie en 2015 et 2016 auprès des personnels soignants dans différents centres de soin prenant en charge des patients noirs.
Une recherche au croisement de plusieurs disciplines et champs de recherche
10La recherche sur laquelle s’appuie cet ouvrage se situe au croisement de plusieurs champs et disciplines : histoire des États-Unis, histoire des sciences, histoire et sociologie de la psychiatrie, histoire afro-américaine, histoire et sociologie des corps et de la race.
Les liens entre l’histoire des Noirs aux États-Unis et l’histoire des corps racialisés en médecine au xxe siècle
11Ces dernières années, l’étude de l’évolution des dispositifs de contrôle des corps racialisés dans les différentes institutions de soin aux États-Unis au xxe siècle a été entreprise par Harriet Washington, W. Michael Byrd et Linda A. Clayton12. Les travaux de Byrd et Clayton retracent de manière approfondie l’histoire des pratiques médicales sur les populations noires de la naissance de la jeune République américaine jusqu’aux années 1900 et offrent un long fil directeur qu’il conviendra de prolonger en s’intéressant de manière plus précise à l’évolution historique de la prise en charge psychiatrique des populations racisées au xxe siècle. Washington s’intéresse, quant à elle, à la construction de l’apartheid médical des Noirs, depuis la fin du xixe siècle jusqu’aux années 2000 : elle étudie d’abord l’histoire de l’organisation de la ségrégation dans les hôpitaux du Sud jusque dans les années 1960, puis s’intéresse, sur la période 1965-2000, après le passage du Civil Rights Act, en 1964, à l’organisation d’une ségrégation informelle dans les milieux médicaux, due cette fois aux contraintes socio-économiques s’abattant sur la majorité de la population afro-américaine aux États-Unis, recluse dans les ghettos et les « hyperghettos » des grandes villes industrielles du Nord, des territoires cumulant les inégalités socio-économiques, pour reprendre le terme formulé par le sociologue Loïc Wacquant13.
12Ces recherches, portant sur le xxe siècle, s’entrecroisent par ailleurs avec l’historiographie plus générale des études afro-américaines (ou African American studies). Par exemple, les travaux de Keith Wailoo, Troy Duster et Steven Epstein, concernant la longue histoire des pratiques de discrimination raciale en médecine aux États-Unis font écho aux recherches sur les pratiques ségrégationnistes légales et de fait depuis les années 190014. Les recherches d’Alondra Nelson, de Karen Kruse Thomas ou de Wangiu Mai concernant l’accès aux soins pour les membres de la communauté noire font écho par ailleurs aux luttes plus larges pour les droits civiques15.
13Un autre pan de recherches mêlant l’histoire afro-américaine à l’histoire de la médecine s’intéresse aux pratiques eugéniques dans les États du Sud et les États du Nord après les années 1920. L’eugénisme peut être compris comme relevant de pratiques médicales structurelles et systématiques, dont le but, explicite ou implicite, est de contrôler la reproduction d’une population par l’intermédiaire du pouvoir d’État16. Les recherches de Daniel Kevles, Gregory Michael Dorr, Desmond King et Randall Hansen démontrent ainsi l’étendue, par exemple, des pratiques de stérilisation forcée visant les populations déficientes mentales, à la fois noires et blanches dans le sud des États-Unis au début du xxe siècle17. Le livre d’Alexandra Stern publié en 2015 révèle l’étendue des politiques eugénistes de stérilisation visant les populations noires en Californie des années 1900 aux années 1960, tandis que le livre de la sociologue et juriste Dorothy Roberts fait la sociohistoire des politiques publiques encadrant la santé prénatale des femmes noires aux États-Unis18. Somme toute, ces recherches montrent le fait que les pratiques eugéniques étaient souvent mises en place à l’échelon des États fédérés par l’intermédiaire des Sanitary State Boards, et visaient aussi bien à récompenser les lignées vues comme « pures », par l’intermédiaire de prix décernés aux familles blanches des villes du Sud, qu’à neutraliser activement (par le biais de la stérilisation forcée) les lignées vues comme « impropres », car interraciales, ou « impures », car pathologiquement instables. Elles montrent par exemple que les stérilisations forcées dans les hôpitaux psychiatriques visaient à neutraliser la possibilité de procréer de malades dont les descendants étaient vus comme pouvant poser un problème au sein de la société, et étaient régulées selon un biais racial et de classe tout à fait apparent : étaient ciblés les Noirs, issus des couches les plus défavorisées de la population, mais aussi les Blancs des strates socio-économiques inférieures, qui étaient accusés de maintenir une promiscuité trop importante vis-à-vis des Noirs. L’eugénisme comportait ainsi une dimension raciale, étant en partie symptomatique de l’anxiété sexuelle à propos des relations interraciales aux États-Unis.
14Enfin, les études historiques sur la race et la médecine s’intéressent également aux liens entre génétique et race aux xxe et xxie siècles. Les recherches de l’historienne Soraya de Chadarevian nous éclaire sur la manière dont les généticiens après les années 1940 ont reconfiguré leur utilisation de la variable de race en termes de « populations », sous l’impulsion des anthropologues19. Jenny Reardon dans son livre Race to the Finish: Identity and Governance in an Age of Genomics de 2009 s’interroge aussi sur la manière dont les scientifiques ont intégré la notion de race, pensée comme une variable biologique, à leurs travaux en génomique après les années 1940, et ce jusque dans années 199020. L’anthropologue Sandra Soo-Jin Lee et l’historienne Catherine Bliss s’intéressent aux récentes recherches en génétique des populations et à la commercialisation des tests d’ancestralité génétique aux États-Unis21. Les travaux de Michael Montoya, à propos de l’usage en génétique de la catégorie « Mexicaine-Américaine », rejoignent cette recherche à propos de la biologisation de la race aux États-Unis, au tournant du xxie siècle22. À l’instar des travaux de l’historien Keith Wailoo qui fait la sociohistoire des théories génétiques racialisées au xxe siècle, Troy Duster montre également que le spectre sous-jacent de l’eugénisme structure toujours les recherches contemporaines en génétique des populations qui mobilisent le concept de race23. Enfin, les recherches à propos des nouveaux médicaments racialisés, tels que le BiDil, un médicament approuvé en 2005 par la Food and Drugs Administration et qui se présente comme l’un des premiers médicaments destinés à être prescrit uniquement aux populations noires mettent en lumière la place toujours aussi importante aux États-Unis de la variable de race, définie comme entité biologique, dans le domaine médical24. En résumé, ces travaux récents viennent jeter une nouvelle lumière sur les processus de racialisation et de biologisation du social qui structurent le champ médical à l’époque contemporaine, malgré l’idée, fortement répandue, que la race ne serait plus définie que comme une construction sociale, y compris dans les sciences médicales25.
Histoire et sociologie de la psychiatrie et des corps médicalisés
15Notre ouvrage prend également appui sur la littérature secondaire retraçant l’histoire de la psychiatrie et la sociologie de la médecine. Malgré le fait que la psychiatrie a souvent été considérée comme une discipline qui unit un motif thérapeutique à un projet disciplinaire de contrôle social, tel que décrit dans le travail fondateur de Michel Foucault sur les hôpitaux psychiatriques et les techniques de pouvoir, l’histoire des patients noirs en psychiatrie aux États-Unis, et les questions liées aux droits civiques et à la médicalisation de la déviance n’ont pas donné lieu à de nombreuses monographies26.
16De manière générale, l’histoire de la psychiatrie a été souvent traitée à travers l’histoire de ses institutions. En Europe, la recherche en histoire sociale de la psychiatrie s’est focalisée sur une histoire des institutions médicales, par le bas, qui ont mis en relief les interactions entre patients et médecins et les classifications des pathologies adoptées : c’est le cas notamment des travaux de Benoît Majerus, qui, dans son livre de 2013, étudie des dossiers médicaux de patients de l’Institut de psychiatrie de l’hôpital Brugmann de Bruxelles entre 1931 et 1980 ou de Ted Porter, qui s’intéresse dans son récent ouvrage paru en 2018 aux classifications de la folie héréditaire dans les premiers hôpitaux européens au début du xixe siècle27. Les travaux de David J. Rothman et Gerald Grob illuminent le quotidien des pratiques asilaires aux États-Unis, du xixe au xxe siècle28. Par ailleurs, la question des interactions entre patients et psychiatres, et des normes sociales sous-jacentes dans les institutions « totales » que sont les asiles est traitée par les travaux d’Erving Goffman, fondateurs en la matière29.
17Des travaux spécifiques, remettant en question l’institution asilaire et son corollaire au xxe siècle, l’hôpital psychiatrique, ont émergé à partir des années 1960 et 1970, sous l’impulsion des contributions de l’antipsychiatrie, alors même que le mouvement de désinstitutionnalisation des institutions psychiatriques battait son plein30. En France, les écrits de Michel Foucault, puis de Robert Castel, qui se situe dans la perspective ouverte par ce dernier, participèrent à produire une critique des institutions psychiatriques, en comparant leur fonctionnement aux établissements pénitentiaires et en définissant la psychiatrie comme une science politique, à son âge d’or, au xixe siècle31. Des auteurs comme David Cooper, Thomas Szasz, Ronald Laing, qui étaient aussi psychiatres de formation, livraient aussi des analyses émettant l’idée que la psychiatrie, notamment dans sa dimension de biologisation du social, était une discipline dont les enjeux étaient à remettre en question32. L’histoire de la psychiatrie a été ainsi souvent développée en imbrication avec une réflexion philosophique et historique critique retraçant la sociohistoire des corps, puisque l’histoire des patients dans les institutions passe aussi par l’histoire des traitements corporels dans les institutions.
18Plus tard, des historiens comme Jonathan Metzl ou Joel Braslow ont fait l’histoire des psychotropes33. Jonathan Metzl montre par exemple comment le Prozac est devenu un médicament prescrit en masse aux femmes catégorisées comme « dépressives », tandis que les travaux de Joel Braslow éclairent l’émergence de ce qu’il appelle la « psychiatrie biologique » (ou biological psychiatry), aux États-Unis, depuis les années 1960, en relation avec le développement de l’industrie pharmaceutique d’après-guerre. Ces travaux, qui ont aussi à voir avec le champ de l’histoire des sciences et des techniques, mettent largement en lumière les dynamiques sociales en jeu lors de l’exercice de la prescription médicamenteuse par les psychiatres.
19La notion de race est longtemps restée cependant en majorité la grande absente des études sociohistoriques sur la psychiatrie. Récemment cependant, se sont développées des recherches historiques, surtout dans l’ère anglophone, en histoire de la psychiatrie coloniale, dans les Empires notamment britanniques et français, traitant de l’application de la science psychiatrique à des populations colonisées, depuis le xixe siècle, jusqu’au xxe siècle et à la décolonisation34. Ces travaux montrent les liens entre l’application de la psychiatrie dans les établissements de soins et une motivation de préservation, pour l’autorité médicale, de l’ordre social et politique coloniale en place, et donnent à voir une nouvelle facette de la psychiatrie en tant que science « politique ».
20Les ouvrages, articles scientifiques et travaux plus généraux visant à faire la sociohistoire des corps racialisés en psychiatrie, dans le contexte étasunien demeurent cependant rares. Certains livres, tels que The Leopard’s Spots de William Stanton, publié au tout début des années 1960 et Racism and Psychiatry de 1972 de Thomas et Sillen, ont ouvert la voie aux historiens et aux sociologues pour étudier l’organisation de la psychiatrie en relation avec les stéréotypes de l’altérité raciale aux États-Unis35. De même, le travail du psychiatre et historien Jonathan Metzl sur l’institutionnalisation des patients noirs du début du xxe siècle nous informe des dynamiques raciales dans les établissements de soins aux États-Unis, bien que son approche micro-historique se concentre exclusivement sur l’étude des dossiers d’un hôpital public du Nord, laissant de côté ainsi l’avènement de la psychiatrie dans le Sud36. Ses recherches se sont aussi concentrées sur l’histoire des diagnostics médicaux différentiels de la schizophrénie selon les groupes racialisés (principalement Blancs et Noirs), mettant en lumière, selon les différentes périodes historiques et leurs enjeux politiques, l’évolution de la catégorisation de la schizophrénie tantôt comme une maladie de femmes blanches, tantôt comme une maladie d’hommes noirs depuis les années 1920 jusqu’aux années 1970.
21Plus récemment, des travaux de John Hoberman, Dennis Doyle, de Gabriel N. Mendes et de Martin Summers ont renouvelé le champ des études sur la psychiatrie, la médecine et la blackness, en se concentrant sur les institutions du Nord plutôt que sur les hôpitaux et pratiques ségrégatives du Sud37. Tous ces travaux ont principalement porté sur l’avènement de la psychiatrie du Nord en relation avec le traitement des patients noirs, sans se focaliser sur l’histoire institutionnelle du Sud.
22Par ailleurs, d’autres historiens se sont penchés exclusivement sur des histoires locales d’hôpitaux psychiatriques et asiles ségrégués dans le Sud de Jim Crow : c’est le cas de Matthew Gambino, qui étudie le cas de l’hôpital psychiatrique fédéral St. Elizabeths à Washington DC, un établissement de soins traitant à la fois des patients noirs et blancs depuis les années 1870, et de King Davis et Kirby Ann Randolph, ayant travaillé tous deux sur le cas du Central State Hospital, le premier hôpital psychiatrique exclusivement pour Noirs ayant ouvert en 1870 à Petersburg, en Virginie38. Ces auteurs développent cependant une approche micro-historique, portant principalement sur le xixe siècle, et ne lient pas leurs recherches à la période ultérieure.
23Du côté de la sociologie des sciences, et plus particulièrement la sociologie de la médecine et de la psychiatrie aux États-Unis, la littérature portant sur la racialisation des patients est abondante. Certains travaux ethnographiques révèlent par exemple les biais raciaux dans l’administration des diagnostics, et, par extension, des prescriptions médicamenteuses, par les psychiatres, majoritairement blancs aux États-Unis, lorsqu’ils traitent des patients racialisés39. Ces dernières années, des anthropologues et sociologues se sont intéressés de près aux programmes en compétence culturelle (ou cultural competency) en psychiatrie dispensés dans les écoles de médecine à travers le pays, afin de former les psychiatres majoritairement blancs à la prise en charge de leurs patients racialisés, majoritaires dans leurs établissements de soins, dans des États comme la Californie40. Par exemple, Laurence Kirmayer et Arthur Kleinman se proposent de conduire des enquêtes qualitatives afin d’évaluer la portée de ces programmes et leurs effets sur le soin41.
24Enfin, certains chercheurs, comme Mical Raz et Philippe Bourgois s’intéressent de près aux liens entre les politiques publiques successives de l’ère néolibérale, depuis la fin des années 1970, et aux soins psychiatriques offerts aux populations racialisées vulnérables socio-économiquement42. Raz, dans son livre de 2013, dévoile les processus successifs, à l’échelon fédéral, ayant contribué à médicaliser la pauvreté noire, depuis les années 1960, tandis que Philippe Bourgois s’intéresse aux conséquences de la fermeture des centres de soins psychiatriques publics en Californie pour la population noire, marginalisée43. Bourgois démontre ainsi que la population noire passe à présent dans un vase communicant entre les institutions de soins et les prisons, de manière similaire au vase communicant que décrit Loïc Wacquant entre les prisons et « l’hyperghetto » dans ses travaux, au fur et à mesure que l’État fédéral et les pouvoirs publics locaux (dans le cas de la Californie, l’administration du gouverneur Reagan, dans les années 1970) se désengagent du financement des centres de soins et de l’éducation publique44.
25En France, les ethnographies des services de psychiatrie se sont développées autour de la question des traitements des patients vulnérables socio-économiquement et des processus sociaux de subjectivation qui affectent le patient dans le soin45. Des ethnographies de services médicaux (hors psychiatrie) ont cependant dévoilé les processus de racialisation, voir « d’ethnicisation », à l’œuvre en France dans le traitement des patients46. Certains travaux récents, comme ceux de la sociologue Simeng Wang, ont traité de la notion de « culture » dans les soins en France (pour évaluer le traitement des patients d’origine chinoise, par des soignants blancs), tandis que d’autres recherches, en anthropologie médicale, notamment celles de Didier Fassin ont traité spécifiquement de la notion de « culture » en ethno-psychiatrie, ce sous-champ disciplinaire apparu dans les années 1970 en France, sous l’impulsion du psychiatre Tobie Nathan47. L’anthropologue Richard Rechtman s’est également intéressé, au cours des années 2000, à ce qu’il appelle « l’ethnicisation de la psychiatrie », dans le contexte français, en s’intéressant aux relations de pouvoir, et de subjectivation des patients par les soignants48. Somme toute, ces travaux, offrent des perspectives différentes de celles développées aux États-Unis, où la notion de race est davantage utilisée que celle de « culture » ou d’« ethnicité » pour analyser les processus d’altérisation dans le soin.
Une sociohistoire des médecins et psychiatres noirs et blancs et des relations avec leurs patients
26Le présent ouvrage apporte une contribution aussi à un autre sous-champ de l’histoire et sociologie de la psychiatrie qui est la sociohistoire de la profession psychiatrique, dans la lignée des travaux du sociologue américain Andrew Abbott en sociohistoire de la profession médicale49. L’histoire de la professionnalisation des médecins noirs a été faite dans plusieurs ouvrages, relativement récents : dans Black Physicians in the Jim Crow South, Thomas J. Ward écrit l’histoire de la lutte des premiers médecins noirs exerçant dans les États du Sud pour se faire accepter par leurs pairs blancs, tandis que dans Making A Place for Ourselves: the Black Hospital Movement, 1920-1945, l’historienne et médecin Vanessa Gamble s’intéresse à la fondation des premiers hôpitaux noirs dans les ghettos des grandes villes industrielles du Nord et du Sud (comme à Boston, à Chicago ou à la Nouvelle-Orléans) où exerçaient les médecins noirs durant la première moitié du xxe siècle50. D’autres ouvrages s’intéressent par ailleurs à l’histoire de la fondation des premières écoles de médecine pour Noirs, notamment celles de Meharry et de Howard University51. Toutefois, il n’existe pas de travaux historiques spécifiques concernant l’histoire des cursus psychiatriques suivis par les psychiatres membres de groupes minoritaires, tels que les Noirs, depuis la professionnalisation de la discipline à partir des années 1870. La discipline était toutefois en majorité, voire exclusivement, blanche, jusque dans les années 1950 : peu d’étudiants noirs en médecine choisissaient de s’orienter vers cette spécialité médicale car peu de programmes existaient dans les quelques écoles de médecine qui leur étaient ouvertes à l’époque de la ségrégation formelle dans le Sud et informelle dans le Nord52. Globalement, l’histoire de la professionnalisation médicale aux États-Unis a été écrite comme une histoire de la professionnalisation médicale blanche, puisque la majorité de ces professionnels étaient des hommes blancs, jusqu’à la deuxième moitié du xxe siècle.
27S’il existe de nombreuses ethnographies de la profession médicale en France et aux États-Unis (on pourrait par exemple citer les travaux récents, en France, de Benjamin Derbez ou Muriel Darmon), peu d’enquêtes en sociologie sont à recenser concernant la professionnalisation des psychiatres membres de groupes minoritaires53. Il s’agira ainsi d’apporter une contribution sur ces thèmes de recherche, encore largement inexplorés.
Analyses historiques et sociologiques des usages sociaux de la race et des classifications et catégorisations ethno-raciales dans la société américaine
28Enfin, le dernier grand champ d’études dans lequel s’inscrit notre ouvrage est celui des recherches portant sur la subjectivation et les processus de domination ethno-raciale aux États-Unis.
29Notre emploi de la notion de race se fait en référence au constructivisme sociologique inauguré par les travaux fondateurs de W. E. B. Du Bois, parfois considéré comme le premier auteur des critical race theory. Aux États-Unis les écrits dans ce champ disciplinaire sont abondants, surtout depuis les années 1960 et 1970, à l’époque de la fondation des premiers départements de Black Studies dans les universités de la côte ouest, comme UC Berkeley ou encore l’université de Californie à Los Angeles (UCLA)54. On peut toutefois distinguer plusieurs sous-champs d’études particulièrement liés à notre sujet de recherche : les whiteness studies, et l’étude des processus de biologisation de la notion de race à l’époque contemporaine55.
30Les travaux en whiteness studies se sont largement concentrés, depuis les années 1990, sur l’étude du rapport à la notion de race des Américains blancs56. Ces travaux cherchent à apporter une réflexion critique permettant de désinvisibiliser la whiteness, autrement pensée, comme une identité neutre dans l’espace social aux États-Unis. Ces travaux sont intéressants à considérer dans le cadre de l’ouvrage puisque nous étudions le long fil historique des discours et pratiques produites par des médecins et psychiatres blancs à propos du corps noir.
31Par ailleurs, les récents travaux publiés autour de la notion de race, de la racialisation et de la biologisation du social nous intéressent particulièrement puisque nous traitons de l’évolution des classifications raciales dans le domaine des sciences médicales. Ces travaux, notamment ceux d’Ann Morning, démontrent la stabilité du concept de race comme une notion vue comme ayant un substrat « biologique » dans la société américaine, malgré le fait que les chercheurs en sciences sociales, depuis des décennies, démontrent que la race est une construction sociale57.
32Dans le cadre de cet ouvrage, nous nous intéressons à l’histoire des classifications ethno-raciales, dans la veine des travaux de Paul Schor à propos de l’histoire des catégories ethno-raciales dans les institutions fédérales publiques aux États-Unis, et par extension aussi aux travaux démontrant le poids toujours important du racisme institutionnel au sein des sociétés françaises et américaines, notamment les écrits de Colette Guillaumin et Véronique De Rudder sur la question58. De manière générale, les enquêtes qualitatives en sociologie des relations interraciales nous intéressent tout particulièrement, dans leur propension à rendre compte des interactions quotidiennes entre dominés et dominants dans l’espace public59.
Méthodes
33Le choix de centrer, à partir des années 1910 et 1920, notre étude sur le Nord vient de la nécessité de tenir compte de la Grande Migration : c’est en effet à partir de cette époque que les Noirs du Sud entament une migration de travail vers les grandes villes industrielles du Nord. Il fallait ainsi tenir compte de la délocalisation progressive de cette population et de l’émergence de nouveaux centres de soins dans les nouveaux ghettos noirs du Nord, tout en rendant compte, toujours, des traitements mis en place dans les hôpitaux psychiatriques du Sud jusqu’à leurs démantèlements progressifs, à l’époque de la désinstitutionnalisation et de la déségrégation dans les années 1960.
34Les travaux à propos de la médecine et de la race aux États-Unis ont été également majoritairement publiés dans l’espace anglophone : le but de cet ouvrage sera d’étudier la sociohistoire de la race en prenant en compte la spécificité du regard français sur la race, qui interroge l’emploi de ce concept omniprésent mais peu interrogé aux États-Unis60. Par ailleurs, nous avons choisi de nous intéresser à retracer l’histoire des théories et des pratiques psychiatriques sur le long terme, tout en essayant, lorsque la voix des patients transparaissait dans les archives médicales, d’en rendre compte. Les contraintes matérielles, et la difficulté d’obtenir des entretiens avec les patients (cela est détaillé dans la sous-partie suivante) ont également largement contribué à délimiter l’objet de notre étude. Par ailleurs, on a choisi ainsi de ne pas s’intéresser à des événements historiques singuliers, tels que l’affaire Tuskegee, abondamment documentée, ou les pratiques eugénistes (elles aussi très documentées, et nous avons retracé l’historiographie plus haut). Ces événements et ces pratiques particulières soulèvent l’émoi général et tendent à obscurcir les pratiques quotidiennes, invisibles, et pourtant omniprésentes de la science racialisée : les classifications adoptées par les psychiatres, les traitements systématiques et routiniers imposés aux patients, les stratégies de positionnements des médecins par rapport à l’objet racial défini de manière plurielle. Aussi, notre but ici est d’explorer une histoire de la médecine qui a peu à voir avec des figures individuelles : nous voulons nous concentrer sur les pratiques quotidiennes, structurées par le racisme institutionnel.
35Par ailleurs, les travaux produits en sociologie de la médecine dialoguent peu avec l’histoire des sciences, et encore moins avec l’histoire de l’esclavage et la sociologie des relations interethniques : les travaux pionniers sur la biologisation du social ou la médicalisation du social en sociologie de Dominique Memmi, Sébastien Lemerle ou Carole Reynaud-Paligot par exemple ne prennent pas pour objet le processus social de biologisation de la race (que l’on définira autrement dans cet ouvrage sous le nom de racialisation)61. Par ailleurs, et alors que la notion de racialisation n’a été que peu définie par rapport à la notion de racisation dans la littérature secondaire, nous chercherons à préciser l’emploi de ces deux concepts théoriques qu’il convient de dissocier, notamment en relation avec le champ de la médecine62. Ne pas dissocier ces deux notions produit un impensé qu’il nous semble utile de résorber. La racialisation est un terme que nous utiliserons pour analyser le processus social selon lequel la race entre dans les corps, en étant considérée par certains acteurs sociaux (des médecins et des psychiatres dans le cas présent) comme une variable proprement biologique63. Par opposition, nous définissons la racisation par l’action de définir un groupe d’individus ou une relation sociale, par leur race, catégorie pensée de manière constructiviste : dans ce paradigme, on atteste que la race en tant que donnée biologique n’existe pas, et pourtant on la nomme, pour tenir compte de son poids dans les relations sociales, et pour rendre compte du racisme systémique et des discriminations raciales à l’œuvre, historiquement et socialement.
36La dissociation de ces deux concepts nous amènera à forger le concept de « racialisation stratégique » que l’on choisira d’employer pour évoquer les processus de racialisation auxquels des médecins et psychiatres blancs ou noirs ont recours, dans leurs pratiques et leurs discours, en biologisant la race. Ce processus de racialisation est dit « stratégique » car ces professionnels poursuivent des buts bien précis, qu’ils considèrent paradoxalement comme « progressistes », lorsqu’ils formulent cette hypothèse : certains d’entre eux arguent de faire avancer les questions d’accès aux soins pour les membres de groupe ethno-raciaux spécifiques (on le verra lorsqu’il sera question des discours des praticiens à propos des médicaments racialisés comme le BiDil, dans le dernier chapitre) ; d’autres argumentent que certaines populations (pensées comme biologiquement différentes) devraient être traitées de manière séparée (dans des unités spécifiques ou par des psychiatres de la même catégorie ethno-raciale que leurs patients) par souci de légitimer leurs propres positions professionnelles dans le champ, ou par souci de pratiquer une médecine pensée comme « individualisée » car racialisée et pensée comme spécifique64. Cette « racialisation stratégique » vient s’opposer en cela au concept de « biologisation de la race » qui a souvent été défini, dans le cadre des productions dans le champ médical, comme un dommage collatéral, voire un impensé des productions scientifiques65. En montrant que ces processus relèvent d’une stratégie (ce concept s’inspire de la notion de Gayatri Spivak d’« essentialisme stratégique » en l’appliquant néanmoins au champ médical et à la catégorie raciale), il s’agit de mettre en lumière le processus par lequel la race est pensée comme une variable pertinente en médecine et en psychiatrie par les professionnels de santé, dans un but paradoxalement « progressiste », et de mettre au jour les complexes définitions de la race employées dans ce domaine spécifique, alors que cette catégorie est tantôt pensée comme un construit social, et tantôt naturalisée66.
37Dans le cadre de cet ouvrage, nous avons choisi de consulter plusieurs fonds d’archives, à la fois à l’échelon national et local. Nous avons choisi de nous intéresser au cas de la clinique Lafargue fondée à Harlem, dans la ville de New York, car celle-ci est emblématique du début du mouvement pour la création de la psychiatrie « sociale » dans le Nord, par opposition aux hôpitaux psychiatriques pour Noirs du Sud, au début du xxe siècle. Les collections de Viola Bernard et Elizabeth Bishop Davis, deux psychiatres ayant travaillé dans les années 1950 et 1960 avec Fredric Wertham furent consultées à l’université Columbia et à la Tamiment Library à New York University. Cette première partie fut également complétée par les collections de Paul Cornely à la National Library of Medicine, l’un des médecins noirs particulièrement engagé dans les années 1940 et 1950 dans le soutien à la professionalisation de personnels soignants noirs. Dans un deuxième temps, nous avons choisi de traiter des centres d’études des comportements violents de Brandeis et UCLA car ceux-ci présentaient des fonds d’archives encore peu étudiés et pertinents pour traiter des mutations des discours et traitements concernant les pathologies comportementales découlant des résistances politiques noires, dans les années 1960 et 1970. Enfin, un dernier pan de la recherche était dédié à l’organisation d’une enquête de terrain entre 2015 et 2016 qui a visé à observer la manière dont des praticiens, travaillant dans différentes institutions en Californie, mobilisent la notion de race dans leurs pratiques quotidiennes. Cette enquête menée principalement à Los Angeles lors d’un séjour en tant que Visiting Scholar à l’université de Californie à Los Angeles visait ainsi à lier les discours contemporains sur la race à l’histoire des discours sur l’altérité raciale en psychiatrie.
38Ce travail avec les prestataires de santé mentale doit être interprété selon la tradition établie de « sociologie historique » de Marcel Mauss, quand il mentionne que « derrière tout fait social, il y a de l’histoire, de la tradition, du langage et des habitudes67 ». Les attitudes et les fragments de discours que l’on peut analyser à travers des archives ou les entretiens qualitatifs renferment souvent des informations sur le « réseau d’intérêts » des acteurs. Par conséquent, les entretiens non directifs et les entretiens semi-directifs sont des fragments de ces modèles intériorisés et chaque individu peut jouer son rôle dans des dynamiques sociales plus larges.
39Après mon arrivée à UCLA en 2015, j’ai complété la procédure d’Institutional Review Board (IRB), obligatoire aux États-Unis pour toute recherche qualitative, afin que je puisse commencer mon projet le plus tôt possible (voir figure 2). Par conséquent, j’ai rempli en ligne la formation Collaborative Institutional Training Initiative (CITI) et le dossier IRB le 7 juillet 2015. Ma demande d’IRB fut approuvée en janvier 2016 et je pus organiser une première série d’entretiens dans une clinique de Pacoima, un établissement de soins psychiatriques basé dans la banlieue de Los Angeles, fréquenté par une majorité de patients hispaniques et noirs et dans les cliniques de UCLA, auprès de psychiatres et de résidents psychiatres en formation. J’ai pu recruter quinze résidents pour un entretien, sur la quarantaine de résidents du programme chaque année à UCLA. J’ai également contacté plusieurs psychiatres du comté de Los Angeles et de la région de San Francisco, comme l’ancien directeur de l’Association of Black Psychologists of the Bay Area, afin d’élargir mon échantillon pour faire ce que l’ethnologue Mitchell Duneier appelle « un échantillon incommode » (inconvenient sample68). Cet échantillon « incommode » est destiné à rompre le réseau de relations entre informateurs construit dans le cadre d’un « échantillonnage boule de neige » (snow-ball sample), afin de servir d’échantillon test69.
Tableau 1. – Calendrier de la recherche effectuée.
Chronologie | Étapes |
Juillet 2014 | Obtention du contrat doctoral CNRS |
Septembre-Décembre 2014 | Premier semestre de monitorat à Paris-Diderot |
Janvier-Dévrier 2015 | Premier voyage de recherche à Washington DC |
Février-Mars 2015 | Prise de poste au laboratoire EPIDAPO (CNRS-UCLA) à Los Angeles |
Mai 2015 | Voyage sur la côte Est, en Virginie et en Caroline du Nord pour consulter des archives |
Juin-Août 2015 | Début de la procédure de l’Institutional Review Board, et recherches en archives à UCLA Procédure acceptée |
Août 2015 | Entretiens à la clinique à Pacoima |
Septembre-Décembre 2015 | Deuxième semestre de monitorat à Paris-Diderot |
Janvier-Décembre 2016 | Début de la collecte de données à UCLA (entretiens auprès des résidents) |
Février 2016 | Premier entretien au département de psychiatrie de UCSF |
Novembre 2016 | Enregistrement d’entretiens au département de psychiatrie de UCSF et dans la baie de San Francisco |
Janvier 2017-Août 2017 | Troisième semestre de monitorat à Paris-Diderot |
Août 2017-Mai 2018 | Bourse Fulbright et Lurcy à Tulane University en Louisiane, recherches en archives à LSU et Tulane et rédaction de la thèse |
Novembre 2018 | Soutenance |
40Entre-temps, en février 2016, j’ai décidé de commencer un deuxième travail de terrain à l’université de Californie à San Francisco (UCSF). Les cliniques de psychiatrie de UCSF avaient pour particularité d’être les seules cliniques et programmes de formations en psychiatrie développés uniquement autour du concept de race aux États-Unis : les patients sont placés par équipe ethno-raciale et traités par des psychiatres « spécialistes » de leur groupe racial. Je cherchais ainsi à comprendre comment et pourquoi ces psychiatres avaient choisi d’orienter leurs soins autour de la race, en comparaison avec d’autres programmes de formation et de gestion des patients à UCLA, qui ressemblaient plus à la tendance nationale. Entre février 2016 et novembre 2016 j’ai pu mener huit entretiens avec des personnels ou anciens personnels de ce service à UCSF.
41La plupart des entretiens durèrent entre 30 minutes et une heure et demie. Ils eurent tous lieu à la convenance du thérapeute, sur leurs lieux de travail, dans leurs bureaux, ou dans des lieux publics et étaient à la fois semi-directifs et non directifs. L’utilisation de l’approche non directive pouvait fonctionner surtout lorsque les cliniciens me précisaient qu’ils avaient du temps devant eux pour me parler, sans regarder leur montre.
42La première partie de ce livre s’intéresse à la période historique allant des années 1920 aux années 1960. Dans cette partie, nous visons à retracer l’émergence de nouvelles théories et pratiques psychiatriques dans les grandes villes industrialisées du Nord, pendant et après la Grande Migration. Cette partie sera aussi l’occasion de s’intéresser aux enjeux de la professionnalisation d’une nouvelle classe de soignants, les psychiatres noirs, après la Seconde Guerre mondiale.
43Le chapitre i sera l’occasion d’étudier l’apparition de nouveaux discours et pratiques psychiatriques pour prendre en charge les nouveaux arrivants noirs, arrivant en grand nombre dans les grandes villes du Nord, à partir des années 1910. On étudiera l’émergence, en psychiatrie, de discours de type « culturalistes », définissant la « culture noire » comme étant responsable de nombreuses pathologies, dans le contexte urbain. On examinera les nombreux cas de mauvais traitements sur les patients noirs dans les asiles du Sud, à la même période. Nous étudierons ainsi les cas traités par la NAACP, dans le Sud, et les réactions que ces mauvais traitements suscitèrent au Nord, et qui eurent pour conséquence de fournir des arguments contre l’institution psychiatrique du Sud aux défenseurs des droits civiques noirs. Nous reviendrons à ce propos sur la fondation de nouveaux établissements de soins locaux, comme la clinique Lafargue, fondée en 1946 à New York, dans le ghetto noir de Harlem. On étudiera le modèle défendu par les soignants de cette clinique, à la fois Blancs et Noirs pour traiter les patients noirs de Harlem, mais aussi l’essor de la psychiatrie « sociale » telle que conçue par le directeur de la clinique, Fredric Wertham. La psychiatrie sociale se voulait aussi être une nouvelle approche aux soins, et intervenait comme une critique des hôpitaux psychiatriques du sud des États-Unis, et de leurs manquements éthiques et médicaux.
44Dans le chapitre ii, il sera cette fois question d’étudier l’essor de la professionnalisation des psychiatres noirs comme un enjeu hautement « politique » pour les activistes et médecins noirs aux États-Unis, à partir de la fin des années 1940. Ces derniers, comme le médecin Paul Cornely, se mobilisaient en masse afin de plaider pour un soin spécifique aux patients noirs dans des hôpitaux eux aussi spécifiques. S’ils critiquaient âprement la ségrégation, et le manque de moyens alloués aux établissements médicaux ségrégués dans le Sud, ces médecins défendaient néanmoins la notion de soins séparés et spécifiques pour la population noire en psychiatrie. Comme nous le verrons, l’enjeu était de pallier aux déserts médicaux dans les quartiers et ghettos noirs du nord des États-Unis, mais aussi d’améliorer la prise en charge des patients noirs, en privilégiant la relation entre psychiatres noirs et patients de la même origine raciale. C’est dans ce contexte que nous présenterons et développerons le concept de « racialisation stratégique » pour expliquer les différents enjeux que présentent la racialisation et l’altérisation des patients noirs par des psychiatres noirs, alors même qu’il semble s’agir d’un paradoxe dans le contexte des luttes antiracistes aujourd’hui. Nous chercherons à démontrer aussi que la formation des psychiatres noirs revêtait un enjeu éminemment politique, puisqu’elle fournissait pour les élites médicales noires, un nouveau terrain d’ascension sociale. Parallèlement, le chapitre vi nous permettra d’étudier, aussi, la fin de l’hôpital psychiatrique pour Noirs dans le Sud, dans le contexte de la désinstitutionnalisation et de la déségrégation des hôpitaux. Il sera question alors d’étudier les débats autour de la déségrégation des hôpitaux du Sud et de l’intégration des patients noirs aux institutions autrefois blanches.
45La deuxième partie s’intéresse à la période allant des années 1960 aux années 1980. L’enjeu des chapitres iii et iv sera d’étudier l’émergence de théories et pratiques psychiatriques durant le mouvement des droits civiques, autour de la question de la protestation politique et des violences commises par les participants noirs aux émeutes. Dans le chapitre iii, on étudiera les effets de la publication et de la publicisation du rapport Moynihan sur les recherches en psychiatrie autour de la figure pathologique de la famille noire. Le rapport Moynihan, qui était un document émis par les instances fédérales, en 1965, puis qui fut de nombreuses fois commenté dans les médias, donnait une image de la « culture noire » comme une entité potentiellement pathologique, qui fonctionnait de manière matriarcale, puisque les hommes noirs, vus comme souvent au chômage et désertant le domicile familial ne remplissaient pas leurs obligations parentales auprès de leurs enfants. S’ensuivait, selon Daniel Moynihan, l’auteur de ce rapport, un véritable « cycle de la pauvreté », qui atteignait l’intégrité psychologique et morale des enfants noirs élevés avec ce modèle. Nous montrerons que nombre d’études en psychiatrie, après 1965, furent développées et financées par des subventions fédérales, et prenaient pour sujet l’existence de pathologies propres aux membres de la famille noire, érigée comme modèle pathologique. Le chapitre iv, s’intéressera à l’étude de deux centres de recherche à propos des comportements violents qui s’étaient exprimés lors des émeutes raciales des années 1960, dans les grandes villes industrielles du Nord. Ces deux centres, l’un à UCLA, sur la côte Ouest, l’autre à Brandeis University, sur la côte Est, avaient contribué à former nombre de psychiatres qui se pensaient « spécialistes de la violence noire », et dont la parole était érigée en expertise politique. Ils conduisaient à ce titre de nouveaux projets de recherche en psychiatrie. L’objet de ce chapitre sera de comparer les discours et pratiques psychiatriques développées dans ces deux centres, ainsi que de revenir sur les liens que les chercheurs de ces centres entretenaient avec les instances politiques fédérées et fédérales aux États-Unis, notamment dans le cadre de la formation des policiers, ainsi qu’au sujet des subventions publiques qui leur étaient allouées. On s’intéressera également à la controverse suscitée par l’ouverture du centre de UCLA, et aux mobilisations organisées par des militants majoritairement noirs, afin de dénoncer la pathologisation et la biologisation des comportements noirs par les chercheurs du centre, tous blancs.
46Enfin, dans la troisième et dernière partie, nous étudierons les différents usages et définitions données à la notion de race en psychiatrie, depuis les années 1980, jusqu’à l’époque contemporaine. Dans le chapitre v, on analysera les modalités d’organisation de soins ouvertement « ethno-racialisés » au sein de l’hôpital universitaire de UCSF. Pour ce faire, on mobilisera les résultats d’une enquête de terrain effectuée auprès des soignants de UCSF, dont une majorité est aussi membre de groupes ethno-raciaux qui revendiquent toutes et tous l’angle progressiste du dispositif. On aura ici recours, une nouvelle fois, au concept de « racialisation stratégique » que nous avons forgé à partir des résultats du chapitre vi, afin de décrire les processus de biologisation de l’identité noire en psychiatrie, et leurs enjeux politiques pour les soignants. Le chapitre vi, quant à lui, sera l’occasion d’évaluer les différents usages de la notion de race chez des psychiatres en poste dans le comté de Los Angeles, à l’aide d’une enquête de terrain réalisée en 2015 et 2016. Ce chapitre sera l’occasion de montrer que la race est une notion tantôt utilisée en psychiatrie comme une entité ayant un sens « culturel », « biologique », ou « socialement construite », et que ces différents usages pour les psychiatres, loin d’être paradoxaux, sont complémentaires dans les pratiques et les discours.
Notes de bas de page
1 Tout au long de cet ouvrage, nous avons choisi d’employer le terme « Noirs », traduction de Blacks, catégorie employée couramment aux États-Unis pour désigner les descendants d’esclaves aux États-Unis. Au sujet du lexique de la race et des termes « Afro-Américain », « racisation », « racialisation », « ethnicisation », « ethnicité », « ethno-racial », voir l’annexe. D’une manière générale, nous avons choisi d’employer sans guillemets les catégories utilisées par les acteurs sur le terrain pour s’auto-identifier pour ne pas produire de surcharge superflue. Ainsi, nous n’employons pas les guillemets, qui ont une fonction d’euphémisation, pour désigner la « race » et ses dérivés lexicaux, tout en nous plaçant dans une perspective constructiviste, afin de « différencier son usage catégoriel de son usage objectivant » comme l’explique l’historien Pap N’Diaye. Voir Pap N’Diaye, La condition noire : Essai sur une minorité française, Paris, Calmann-Lévy, 2008, p. 8. Voir aussi sur le constructivisme et la race : Fabrice Dhume, « Sur la notion de race comme un problème. Les sciences sociales et l’idée de nature », Raison présente, no 174, 2010, p. 53-65 ; Véronique De Rudder, « Les “races” sont inégales ou ne sont pas », Pluriel Recherches, no 4, 1996, p. 5-10 ; Colette Guillaumin, L’idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Paris, Gallimard, 2002.
2 Voir William P. Jones, The March on Washington: Jobs, Freedom, and the Forgotten History of Civil Rights, New York, W. W. Norton & Company, 2013, p. x.
3 Au sujet de ces violences perpétrées contre les Noirs depuis le xixe siècle, voir Joseph Crespino, In Search of Another Country: Mississippi and the Conservative Counterrevolution, Princeton, Princeton University Press, 2007, p. 144 ; Michael J. O’Brien, We Shall Not Be Moved: The Jackson Woolworth’s Sit-In and the Movement It Inspired, Jackson, University Press of Mississippi, 2013, p. 180.
4 Le racisme est systémique dans le sens où il est le produit d’un rapport de domination social entre des groupes ethno-raciaux reproduit dans le temps. Voir à ce sujet Véronique De Rudder et François Vourc’h, « Les discriminations racistes dans le monde du travail », in Éric Fassin et Didier Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ?, Paris, La Découverte, 2006, p. 178-179.
5 Martin Luther King, « MLK at Western », discours prononcé le 18 décembre 1963, Western Michigan University Archives and Regional History Collections and University Libraries, Western Michigan University, [http://wmich.edu/sites/default/files/attachments/MLK.pdf], dernière consultation le 23 juillet 2018. Toutes les traductions, sauf mention, sont de l’autrice.
6 Ibid.
7 Voir Jonathan Metzl, The Protest Psychosis: How Schizophrenia Became a Black Disease, Boston, Beacon Press, 2010 ; Jonathan Metzl, « Does Political Protest Incite Mental Illness? Stigma, Race and the Diagnosis of Schizophrenia », conférence du 27 février 2015, University of Southern California, en présence de l’autrice.
8 Dans un autre discours, Martin Luther King avait mentionné la « personnalité schizophrénique américaine sur la question de la race », cité dans l’article de Felicia Pride, « Schizophrenia as Political Weapon », The Root (blog), 25 janvier 2010, [https://www.theroot.com/schizophrenia-as-political-weapon-1790878403], dernière consultation le 23 juillet 2018.
9 Ibid.
10 Pour une dénonciation de ces stéréotypes, voir Audre Lorde, « The Uses of Anger: Women Responding to Racism », conférence plénière à la National Women’s Studies Association Conference, juin 1981, [http://www.blackpast.org/1981-audre-lorde-uses-anger-women-responding-racism], dernière consultation le 14 juillet 2018. Voir aussi sur ce même thème, Brittney Cooper, Eloquent Rage: A Black Feminist Discovers Her Superpower, New York, St. Martin’s Press, 2018.
11 L’un des enjeux de cet ouvrage sera de définir la racialisation par rapport à la racisation. Voir le glossaire proposé dans l’annexe.
12 W. Michael Byrd et Linda A. Clayton, An American Health Dilemma: A Medical History of African Americans and the Problem of Race, Beginnings to 1900, New York, Routledge, 2000 ; Harriet A. Washington, Medical Apartheid: The Dark History of Medical Experimentation on Black Americans from Colonial Times to the Present, New York, Anchor Books, 2006.
13 Sur les ghettos noirs, voir Douglas Flamming, Bound for Freedom: Black Los Angeles in Jim Crow America, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 2005 ; Arnold R. Hirsch, Making the Second Ghetto: Race and Housing in Chicago, 1940-1960, Chicago/Londres, University of Chicago Press, 1998 (1983) ; Allan H. Spear, Black Chicago: The Making of a Negro Ghetto, 1890-1920, Chicago/Londres, University of Chicago Press, 1967. Voir également les travaux de Loïc Wacquant, qui définit les ghettos noirs comme des territoires formés depuis la Grande Migration des années 1910 aux années 1970 par les Noirs américains, et les hyperghettos comme la continuité de ces territoires, touchés cette fois, après les années 1980, par la désaffection des pouvoirs publics et la désindustrialisation massive. Loïc Wacquant, « Les deux visages du ghetto », Actes de la recherche en sciences sociales, no 160, mai 2005, p. 421 ; Loïc Wacquant, « Symbiose fatale. Quand ghetto et prison se ressemblent et s’assemblent », Actes de la recherche en sciences sociales, no 139, avril 2001, p. 31-52 ; Loïc Wacquant, Urban Outcasts: A Comparative Sociology of Advanced Marginality, Cambridge, Polity, 2008.
14 Voir Keith Wailoo, Dying in the City of the Blues: Sickle Cell Anemia and the Politics of Race and Health, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2001 ; Keith Wailoo, Drawing Blood: Technology and Disease Identity in Twentieth-Century America, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1997 ; Keith Wailoo, « Stigma, race, and disease in 20th Century America », The Lancet, vol. 367, no 9509, 2006, p. 531-533 ; Keith Wailoo, How Cancer Crossed the Color Line, New York, Oxford University Press, 2010 ; Troy Duster, « Race and Reification in Science », Science, vol. 307, no 5712, 2005, p. 1050-1051 ; Troy Duster, Backdoor to Eugenics, New York, Routledge, 2003 ; Steven Epstein, Inclusion: The Politics of Difference in Medical Research, Chicago, University of Chicago Press, 2008. Sur les pratiques ségrégationnistes légales, voir Jennifer Ritterhouse, Growing up Jim Crow: How Black and White Southern Children Learned Race, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2006 ; Comer Vann Woodward, The Strange Career of Jim Crow, New York, Oxford University Press, 1955 ; Steven Hoelscher, « Making Place, Making Race: Performances of Whiteness in the Jim Crow South », Annals of the Association of American Geographers, vol. 93, no 3, 2003, p. 657-686 ; William H. Chafe, Raymond Gavins et Robert Korstad (dir.), Remembering Jim Crow: African Americans Tell About Life in the Segregated South, New York, The New Press, 2011. Sur la ségrégation de fait, voir Gary Orfield, Sara Schley, Diane Glass et Sean Reardon, « The Growth of Segregation in American Schools: Changing Patterns of Separation and Poverty Since 1968 », Equity & Excellence in Education, vol. 27, no 1, 1994, p. 58 ; Gary Orfield, « Schools More Separate: Consequences of a Decade of Resegregation », Civil Rights Project, Cambridge, Harvard University, juillet 2001, [https://files.eric.ed.gov/fulltext/ED459217.pdf], dernière consultation le 24 juillet 2018 ; Charles T. Clotfelter, After Brown: The Rise and Retreat of School Desegregation, Princeton, Princeton University Press, 2011 ; Michelle Alexander, The New Jim Crow: Mass Incarceration in the Age of Colorblindness, New York, The New Press, 2012 ; Beverly Daniel Tatum, Why Are All the Black Kids Sitting Together in the Cafeteria? And Other Conversations about Race, New York, Basic Books, 2017.
15 Sur les luttes afro-américaines plus larges pour les droits civiques, voir R. Volney Riser, Defying Disfranchisement: Black Voting Rights Activism in the Jim Crow South, 1890-1908, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 2010 ; Davison Douglas, Jim Crow Moves North: The Battle over Northern School Segregation, 1865-1954, Cambridge, Cambridge University Press, 2005 ; Thomas L. Bynum, NAACP Youth and the Fight for Black Freedom, 1936-1965, Knoxville, University of Tennessee Press, 2013 ; Edgar A. Toppin, « Walter White and the Atlanta NAACP’s Fight for Equal Schools, 1916-1917 », History of Education Quarterly, vol. 7, no 1, printemps 1967, p. 321 ; Timothy J. Minchin, « Making Best Use of the New Laws: The NAACP and the Fight for Civil Rights in the South, 1965-1975 », The Journal of Southern History, vol. 74, no 3, août 2008, p. 669-702. Voir Alondra Nelson, Body and Soul: The Black Panther Party and the Fight against Medical Discrimination, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2013 ; Wangiu Muigai, « Fighting for Life: Race and Infant Welfare in the Early 20th Century U.S. », communication à la conférence « Conformity, Dialogue and Deviance in Health and Medicine », Society for the Social History of Medicine Conference, University of Liverpool, 11-13 juillet 2018 ; Karen Kruse Thomas, Deluxe Jim Crow: Civil Rights and American Health Policy, 1935-1954, Athens, University of Georgia Press, 2011.
16 Voir Paul-André Rosenthal, Destins de l’eugénisme, Paris, Le Seuil, 2016 pour une définition de l’eugénisme pas seulement appliquée au contexte étasunien.
17 Randall Hansen et Desmond King, Sterilized by the State: Eugenics, Race, and the Population Scare in Twentieth-Century North America, New York, Cambridge University Press, 2013 ; Gregory Michael Dorr, Segregation’s Science: Eugenics and Society in Virginia, Charlottesville, University of Virginia Press, 2008 ; Daniel J. Kevles, In the Name of Eugenics: Genetics and the Uses of Human Heredity, Cambridge, Harvard University Press, 1998 ; Edward J. Larson, Sex, Race, and Science: Eugenics in the Deep South, Baltimore, John Hopkins University Press, 1996 ; sur l’expérimentation raciale à Tuskegee, voir Vanessa N. Gamble, « Under the Shadow of Tuskegee: African Americans and Health Care », American Journal of Public Health, vol. 87, no 11, 1997, p. 1773-1778 ; Giselle Corbie-Smith, « The Continuing Legacy of the Tuskegee Syphilis Study: Considerations for Clinical Investigation », American Journal of the Medical Sciences, vol. 317, no 1, 1999, p. 58.
18 Alexandra Minna Stern, Eugenic Nation: Faults and Frontiers of Better Breeding in Modern America, 2e éd., Berkeley, University of California Press, 2015 (2005) ; Dorothy Roberts, Killing the Black Body: Race, Reproduction, and the Meaning of Liberty, New York, Pantheon, 1997. Voir aussi Joel T. Braslow, « In the Name of Therapeutics: The Practice of Sterilization in a California State Hospital », Journal of the History of Medicine and Allied Sciences, vol. 51, no 1, 1996, p. 29-51.
19 Soraya de Chadarevian, « Genetic Evidence and Interpretation in History », BioSocieties, vol. 5, no 3, 2010, p. 301-305 ; Jenny Bangham et Soraya de Chadarevian, « Human Heredity after 1945: Moving Populations Centre Stage », Studies in History and Philosophy of Science Part C: Studies in History and Philosophy of Biological and Biomedical Sciences, partie A, vol. 47, septembre 2014, p. 45-49.
20 Jenny Reardon, Race to the Finish: Identity and Governance in an Age of Genomics, Princeton, Princeton University Press, 2004.
21 Barbara A. Koenig, Sandra Soo-Jin Lee et Sarah S. Richardson (dir.), Revisiting Race in a Genomic Age, New Brunswick, Rutgers University Press, 2008 ; Sandra Soo-Jin Lee et LaVera Crawley, « Research 2.0: Social Networking and Direct-To-Consumer (DTC) Genomics », The American Journal of Bioethics, vol. 9, no 67, 2009, p. 35-44 ; Sandra Soo-Jin Lee, Joanna Mountain et Barbara A. Koenig, « The Meanings of “Race” in the New Genomics: Implications for Health Disparities Research », Yale Journal of Health Policy, Law, and Ethics, no 1, printemps 2001, p. 33-75 ; Catherine Bliss, Race Decoded: The Genomic Fight for Social Justice, Stanford, Stanford University Press, 2012.
22 Michael J. Montoya, « Bioethnic Conscription: Genes, Race, and Mexicana/o Ethnicity in Diabetes Research », Cultural Anthropology, vol. 22, no 1, février 2007, p. 94-128 ; Michael J. Montoya, Making the Mexican Diabetic: Race, Science, and the Genetics of Inequality, Berkeley, University of California Press, 2011.
23 Pilar Ossorio et Troy Duster, « Race and Genetics: Controversies in Biomedical, Behavioral, and Forensic Sciences », American Psychologist, vol. 60, no 1, janvier 2005, p. 115-128 ; Keith Wailoo et Stephen Pemberton, The Troubled Dream of Genetic Medicine: Ethnicity and Innovation in Tay-Sachs, Cystic Fibrosis, and Sickle Cell Disease, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2006 ; Keith Wailoo, Alondra Nelson et Catherine Lee, Genetics and the Unsettled Past: The Collision of DNA, Race, and History, New Brunswick, Rutgers University Press, 2012.
24 Gregory Michael Dorr et David S. Jones, « Introduction: Facts and Fictions: BiDil and the Resurgence of Racial Medicine », The Journal of Law, Medicine & Ethics, vol. 36, no 3, 2008, p. 443-448 ; Jonathan Kahn, Race in a Bottle: The Story of BiDil and Racialized Medicine in a Post-Genomic Age, New York, Columbia University Press, 2012 ; à ce propos, voir Claude-Olivier Doron et Jean-Paul Lallemand-Stempak, « A New Race Paradigm? », La Vie des Idées, 13 juillet 2015, [http://www.booksandideas.net/A-New-Race-Paradigm.html], dernière consultation le 24 juillet 2018 ; Élodie Grossi et Christian Poiret, « Du social au biologique : les habits neufs de la “race” ? Entretien avec Magali Bessone et Claude-Olivier Doron », Revue européenne des migrations internationales, vol. 32, nos 3-4, 2017, p. 249-270 ; Anne Pollock, Medicating Race: Heart Disease and Durable Preoccupations with Difference, Durham, Duke University Press, 2012. Sur la notion de dégénérescence, la biologie et la race, voir Claude-Olivier Doron, L’homme altéré. Races et dégénérescence (xviie-xixe siècles), Ceyzérieu, Champ Vallon, 2016.
25 Voir par exemple Evelynn M. Hammonds et Rebecca M. Herzig (dir.), The Nature of Difference: Sciences of Race in the United States from Jefferson to Genomics, Cambridge, MIT Press, 2008 ; Ann Morning, « Reconstructing Race in Science and Society: Biology Textbooks, 1952-2002 », American Journal of Sociology, vol. 114, no 1, 2008, p. 106-137.
26 Sur la psychiatrie comme outil de contrôle social, voir Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972 ; Robert Castel, L’Ordre psychiatrique, Paris, Éditions de Minuit, 1976 ; Thomas Szasz, The Myth of Mental Illness: Foundations of a Theory of Personal Conduct, New York, Hoeber-Harper, 1961 ; Mark S. Micale et Roy Porter (dir.), Discovering the History of Psychiatry, New York, Oxford University Press, 1994 ; David Rothman, The Discovery of the Asylum: Social Order and Disorder in the New Republic, Boston, Little, Brown & Co., 1971.
27 Benoît Majerus, Parmi les fous : Une histoire sociale de la psychiatrie au xxe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013 ; Theodore Porter, Genetics in the Madhouse: The Unknown History of Human Heredity, Princeton, Princeton University Press, 2018.
28 David Rothman, The Discovery of the Asylum: Social Order and Disorder in the New Republic, Boston, Little, Brown & Co., 1971 ; Gerald Grob, Mad Among Us: A History of the Care of America’s Mentally Ill, New York, Simon and Schuster, 1994.
29 Erving Goffman, La Présentation de soi, t. 1 : La Mise en scène de la vie quotidienne, trad. Alain Accardo, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Le Sens commun », 1973 ; Erving Goffman, Asylums: Essays on the Social Situation of Mental Patients and Other Inmates, New York, Garden City, Anchor Books/Doubleday, 1961.
30 Pour une histoire de la désinstitutionnalisation aux États-Unis, voir Michael J. Dear et Jennifer R. Wolch, Landscapes of Despair: From Deinstitutionalization to Homelessness, Princeton, Princeton University Press, 2014.
31 Voir Michel Foucault, Naissance de la clinique, Paris, Presses universitaires de France, 1963 ; Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, op. cit. ; Robert Castel, op. cit.
32 Voir David Cooper, Psychiatry and Anti-Psychiatry, New York, Paladin, 1967 ; Thomas Szasz, The Myth of Mental Illness: Foundations of a Theory of Personal Conduct, New York, Harper and Row, 1961 ; Ronald D. Laing, The Divided Self: An Existential Study in Sanity and Madness, Harmondsworth, Penguin, 1960.
33 David Healy, Let Them Eat Prozac: The Unhealthy Relationship Between the Pharmaceutical Industry and Depression, New York, New York University Press, 2004 ; Jonathan Metzl, Prozac on the Couch: Prescribing Gender in the Era of Wonder Drugs, Durham, Duke University Press, 2003 ; Joel Braslow, Mental Ills and Bodily Cures: Psychiatric Treatment in the First Half of the Twentieth Century, Berkeley, University of California Press, 1997 ; Joel Braslow, « The Influence of a Biological Therapy on Physicians’ Narratives and Interrogations: The Case of General Paralysis of the Insane and Malaria Fever Therapy, 1910-1950 », Bulletin of the History of Medicine, vol. 70, no 4, 1996, p. 577-608 ; Joel Braslow, « The Manufacture of Recovery », Annual Review of Clinical Psychology, vol. 9, mars 2013, p. 781-809.
34 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », Revue Tiers Monde, vol. 187, 2006, p. 527-546 ; sur l’Inde, voir Waltraud Ernst, « Colonial Psychiatry, Magic and Religion. The Case of Mesmerism in British India », History of Psychiatry, vol. 15, no 1, 1er mars 2004, p. 57-71 ; Alice Bullard, « Imperial Networks and Postcolonial Independence: The Transition from Colonial to Transcultural Psychiatry », in Sloan Mahone et Megan Vaughan (dir.), Psychiatry and Empire, Basingstoke/New York, Palgrave Macmillan, 2007, p. 197-219 ; Sally Swartz, « The Regulation of British Colonial Lunatic Asylums and the Origins of Colonial Psychiatry, 1860-1864 », History of Psychology, vol. 13, no 2, 2010, p. 160-177 ; Richard C. Keller, Colonial Madness: Psychiatry in French North Africa, Chicago, University of Chicago Press, 2008 ; Dinesh Bhurga et Roland Littlewood (dir.), Colonialism and Psychiatry, Delhi, Oxford University Press, 2001 ; Waltraud Ernst, « Crossing the Boundaries of “Colonial Psychiatry”. Reflections on the Development of Psychiatry in British India, c. 1870-1940 », Culture, Medicine, and Psychiatry, vol. 35, no 4, décembre 2011, p. 536-545 ; Yoram Mouchenik, « La psychiatrie coloniale en Nouvelle-Calédonie », Journal de la Société des Océanistes, no 2, 2001, p. 109-119 ; Richard Keller, « Madness and Colonization: Psychiatry in the British and French Empires, 1800-1962 », Journal of Social History, vol. 35, no 2, hiver 2001, p. 295-326 ; Jonathan Sadowsky, Imperial Bedlam: Institutions of Madness in Colonial Southwest Nigeria, Berkeley, University of California Press, 1999 ; Matthew M. Heaton, Black Skin, White Coats: Nigerian Psychiatrists, Decolonization, and the Globalization of Psychiatry, Athens, Ohio University Press, 2013 ; Lynette A. Jackson, Surfacing Up: Psychiatry and Social Order in Colonial Zimbabwe, 1908-1968, Ithaca, Cornell University Press, 2005. On remarquera que la plupart de ces travaux, dont ceux portant sur l’Empire colonial français ont été publiés en anglais.
35 Voir William Stanton, The Leopard’s Spots: Scientific Attitudes toward Race in America 1815-59, Chicago, University of Chicago Press, 1960 ; Alexander Thomas et Samuel Sillen, Racism and Psychiatry, New York, Brunner/Mazel Publishers, 1972. Voir aussi Sander L. Gilman, Difference and Pathology: Stereotypes of Sexuality, Race, and Madness, Ithaca, Cornell University Press, 1985 ; William Dosite Postell, « Mental Health among the Slave Population on Southern Plantations », American Journal of Psychiatry, vol. 110, no 1, juillet 1953, p. 52-54 ; Jeff Forret, « “Deaf & Dumb, Blind, Insane, or Idiotic”: The Census, Slaves, and Disability in the Late Antebellum South », Journal of Southern History, vol. 82, no 3, août 2016, p. 503-548 ; Dea H. Boster, African American Slavery and Disability: Bodies, Property, and Power in the Antebellum South, 1800-1860, New York, Routledge, 2014.
36 Voir Jonathan Metzl, The Protest Psychosis: How Schizophrenia Became a Black Disease, Boston, Beacon Press, 2011.
37 Voir Dennis Doyle, Psychiatry and Racial Liberalism in Harlem, 1936-1968, Rochester, University of Rochester Press, 2016 ; Gabriel N. Mendes, Under the Strain of Color: Harlem’s Lafargue Clinic and the Promise of an Antiracist Psychiatry, Ithaca, Cornell University Press, 2015 ; Martin Summers, « “Suitable Care for the African When Afflicted With Insanity”: Race, Madness, and Social Order in Comparative Perspective », Bulletin of the History of Medicine, vol. 84, no 1, 2010, p. 58-91 ; John Hoberman, Black and Blue: The Origins and Consequences of Medical Racism, Berkeley, The University of California Press, 2012.
38 Au sujet de King Davis, et de son projet de numérisation des archives du Central State Hospital, voir « Project On Central State Asylum Is Topic of Talk », The New Journal and Guide, 1er mars 2018, [http://thenewjournalandguide.com/project-central-state-asylum-topic-talk/], dernière consultation le 24 juillet 2018. Voir Kirby Ann Randolph, Central Lunatic Asylum for the Colored Insane: A History of African Americans with Mental Disabilities, 1844-1885, thèse d’histoire, dir. Mary F. Berry, université de Pennsylvanie, 2003.
39 Par exemple Ronald Littlewood, « Psychiatric Diagnosis and Racial Bias: Empirical and Interpretative Approaches », Social Science & Medicine, vol. 34, no 2, janvier 1992, p. 141-149 ; Thomas W. Pavkov, Dan A. Lewis et John S. Lyons, « Psychiatric Diagnoses and Racial Bias: An Empirical Investigation », Professional Psychology: Research and Practice, vol. 20, no 6, décembre 1989, p. 364-368 ; Marti Loring et Brian Powell, « Gender, Race, and DSM III: A Study of the Objectivity of Psychiatric Diagnostic Behavior », Journal of Health and Social Behavior, vol. 29, no 1, mars 1988, p. 122 ; Arthur L. Whaley, « Ethnicity/Race, Paranoia, and Psychiatric Diagnoses: Clinician Bias Versus Sociocultural Differences », Journal of Psychopathology and Behavioral Assessment, vol. 19, no 1, mars 1997, p. 120 ; William B. Lawson, Nancy Hepler et Jack Holladay, « Race as a Factor in Inpatient and Outpatient Admissions and Diagnosis », Psychiatric Services, vol. 45, no 1, avril 1994, p. 72-74 ; Glyn Lewis, Caroline Croft-Jeffreys et Anthony David, « Are British Psychiatrists Racist? », The British Journal of Psychiatry, vol. 157, no 3, septembre 1990, p. 410-415.
40 Sur la diversité en Californie, voir Daniel Sabbagh, « Une discrimination positive indirecte ? Les métamorphoses des politiques de promotion de la “diversité” dans l’accès aux établissements d’enseignement supérieur publics à caractère sélectif en Californie (1995-2008) », Sociétés contemporaines, no 79, 2010, p. 41-67.
41 Voir Laurence Kirmayer, « Rethinking Cultural Competence », Transcultural Psychiatry, vol. 49, no 2, 2012, p. 149-164 ; Arthur Kleinman et Peter Benson, « Anthropology in the Clinic: The Problem of Cultural Competency and How to Fix It », PLoS Medicine, vol. 3, no 10, 2006 ; Elizabeth A. Carpenter-Song, Megan Nordquest Schwallie et Jeffrey Longhofer, « Cultural Competence Reexamined: Critique and Directions for the Future », Psychiatric Services, vol. 58, no 10, octobre 2007, p. 1362-1365.
42 Mical Raz, What’s Wrong with the Poor? Psychiatry, Race, and the War on Poverty, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2013.
43 Helena Hansen, Philippe Bourgois et Ernest Drucker, « Pathologizing Poverty: New Forms of Diagnosis, Disability, and Structural Stigma under Welfare Reform », Social Science & Medicine, vol. 103, février 2014, p. 76-83 ; Philippe Bourgois, Seth M. Holmes, Kim Sue et James Quesada, « Structural Vulnerability: Operationalizing the Concept to Address Health Disparities in Clinical Care », Academic Medicine, vol. 92, no 3, mars 2017, p. 299-307. Voir aussi Jonathan M. Metzl et Helena Hansen, « Structural Competency: Theorizing a New Medical Engagement with Stigma and Inequality », Social Science & Medicine, vol. 103, février 2014, p. 126-133 ; Nancy Scheper-Hughes et Margaret M. Lock, « The Mindful Body: A Prolegomenon to Future Work in Medical Anthropology », Medical Anthropological Quarterly, vol. 1, no 1, mars 1987, p. 6-41.
44 Voir aussi Colin Samson, « Inequality, the New Right and Mental Health Care Delivery in the United States in the Reagan Era », Critical Social Policy, vol. 10, no 29, 1er octobre 1990, p. 40-57 ; Anastasia Cooper, « The Ongoing Correctional Chaos in Criminalizing Mental Illness: The Realignment’s Effects on California Jails », Hastings Women’s Law Journal, vol. 24, no 2, 2013, p. 339-361 ; Marian Moser Jones, « Creating a Science of Homelessness During the Reagan Era », The Milbank Quarterly, vol. 93, no 1, mars 2015, p. 139-178.
45 Julien Grard, Frontières invisibles : L’expérience de personnes prises en charge au long cours par la psychiatrie publique en France, thèse d’histoire, dir. Didier Fassin, Éditions de l’EHESS, 2011 ; voir aussi Didier Fassin et Richard Rechtman, L’empire du traumatisme. Enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion, 2007.
46 Priscille Sauvegrain, « La santé maternelle des “Africaines” en Île-de-France : racisation des patientes et trajectoires de soins », Revue européenne des migrations internationales, vol. 28, no 2, 2012, p. 81-100 ; Marguerite Cognet et Sylvie Fortin, « Le poids du genre et de l’ethnicité dans la division du travail en santé », Lien social et Politiques, no 49, printemps 2003, p. 155-172 ; Marguerite Cognet et Laurent Raigneau, « Le genre et l’ethnicité : les critères voilés de la délégation des actes en santé », Les Cahiers du Gres, vol. 3, no 1, printemps 2002, p. 25-38. Sur la racialisation dans le soin, voir Rosane Braud, Construction d’une catégorie de « migrants » dans les actions de lutte contre les inégalités face au diabète en France. Analyse des configurations contemporaines des rapports sociaux inégalitaires, thèse de sociologie, dir. Mahamet Timera, université Paris-Diderot, 2017.
47 Simeng Wang, Expériences migratoires au prisme des usages des soins psychiatriques : le cas de l’immigration chinoise en région parisienne : une enquête ethnographique en institution et dans les familles, thèse de sociologie, dir. Stéphane Beaud et Richard Rechtman, Éditions de l’EHESS, 2014 ; Didier Fassin, « Les politiques de l’ethnopsychiatrie. La psyché africaine, des colonies africaines aux banlieues parisiennes », Revue française d’anthropologie, no 153, janvier-mars 2000, p. 231-250 ; Didier Fassin, « L’ethnopsychiatrie et ses réseaux. L’influence qui grandit », Genèses, no 35, juin 1999, p. 146-171.
48 Richard Rechtman, « L’ethnicisation de la psychiatrie. De l’universel à l’international », L’Information Psychiatrique, vol. 79, no 2, février 2003, p. 161-169.
49 Andrew Abbott, The System of Professions: An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, University of Chicago Press, 1988. Voir aussi Christelle Rabier, « The System of Professions, entre sociologie et histoire. Retour sur une recherche », in Didier Demazière et Morgan Jouvenet (dir.), Andrew Abbott et l’héritage de l’école de Chicago (vol. 2), Paris, Éditions de l’EHESS, 2016, p. 320-339.
50 Thomas J. Ward, Black Physicians in the Jim Crow South, Fayetteville, University of Arkansas Press, 2003 ; Vanessa Northington Gamble, Making A Place for Ourselves: The Black Hospital Movement, 1920-1945, New York, Oxford University Press, 1995. Voir aussi Robert B. Baker, Harriet A. Washington, Ololade Olakanmi, Todd L. Savitt et al., « African American Physicians and Organized Medicine, 1846-1968: Origins of a Racial Divide », Journal of the American Medical Association, vol. 300, no 3, 2008, p. 306-313.
51 James Summerville, Educating Black Doctors: A History of Meharry Medical College, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 2002 ; Rayford W. Logan, Howard University: The First Hundred Years 1867-1967, New York, NYU Press, 1969.
52 Voir, par exemple, Melvin Sabshin, Herman Diesenhaus et Raymond Wilkerson, « Dimensions of Institutional Racism in Psychiatry », American Journal of Psychiatry, vol. 127, no 6, avril 1970, p. 787-793. À titre d’anecdote, dans les hôpitaux et asiles traitant les Noirs exclusivement, comme le Central State Hospital, le premier administrateur noir à être employé fut employé seulement dans les années 1980 (selon King Davis, lors d’une conversation avec l’auteur en mars 2015). Sur la rareté des écoles médicales pour Noirs, voir Earl H. Harley, « The Forgotten History of Defunct Black Medical Schools in the 19th and 20th Centuries and the Impact of the Flexner Report », Journal of the National Medical Association, vol. 98, no 9, septembre 2006, p. 1425-1429.
53 À propos de la professionalisation des psychiatres racisés, voir Élodie Grossi, « Clinique politique et politiques de la clinique : le cas des unités de soins psychiatriques “ethno-raciales” de l’université de Californie à San Francisco », Genèses, vol. 111, no 2, 2018, p. 92-113. Voir Benjamin Derbez, « Produire des sujets de recherche en cancérologie : entre soin et expérimentalisation du corps malade », in Benjamin Derbez, Natasia Hamarat et Hélène Marche (dir.), La dynamique sociale des subjectivités en cancérologie, Toulouse, Érès, 2016, p. 115-132 ; Muriel Darmon, Approche sociologique de l’anorexie : un travail de soi, thèse de sociologie, dir. François de Singly, université Paris-Descartes, 2001.
54 Caroline Rolland-Diamond, « Sociohistoire des Black Studies Departments », IdeAs. Idées d’Amériques, no 2, été 2012, [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideas/266], dernière consultation le 25 juillet 2018.
55 Sur les whiteness studies, voir le glossaire en annexe.
56 Eduardo Bonilla-Silva, Racism without Racists: Color-Blind Racism and the Persistence of Racial Inequality in America, New York, Rowman & Littlefield Publishers, 2003 ; Noel Ignatiev, How the Irish Became White, New York, Routledge, 2008 ; David R. Roediger, The Wages of Whiteness: Race and the Making of the American Working Class, New York, Verso, 1999 ; Ruth Frankenberg, White Women, Race Matters: The Social Construction of Whiteness, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1988 ; George Lipsitz, « The Possessive Investment in Whiteness: Racialized Social Democracy and the “White” Problem in American Studies », American Quarterly, vol. 47, no 3, 1995, p. 369-387. En France, voir sur le sujet Sylvie Laurent et Thierry Leclère (dir.), De quelle couleur sont les Blancs ? Des « petits Blancs » des colonies au « racisme anti-Blancs », Paris, La Découverte, 2013 ; Chantal Crenn et Simona Tersigni, « Entretien avec Éric Fassin », Corps, vol. 1, no 10, 2012, p. 21-27.
57 Voir Ann Morning, « Pour une sociologie de la conceptualisation raciale au 21e siècle », Terrains/Théories, no 3, 23 octobre 2015, [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/teth/579], dernière consultation le 28 juillet 2018.
58 Paul Schor, Compter et classer : histoire des recensements américains, Paris, Éditions de l’EHESS, 2009 ; Colette Guillaumin, op. cit. ; Véronique De Rudder, art. cité ; Patrick Simon, « The Choice of Ignorance: the Debate on Ethnic and Racial Statistics in France », French Politics, Culture & Society, vol. 26, no 1, 2008, p. 7-31.
59 Loïc Wacquant, Punishing the Poor: The Neoliberal Government of Social Insecurity, Durham, Duke University Press, 2009 ; Mitchell Duneier, Sidewalk, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2000 ; Didier Fassin et al., Juger, Réprimer, Accompagner. Essai sur la morale de l’État, Paris, Le Seuil, 2013 ; Didier Fassin, L’espace politique de la santé. Essai de généalogie, Paris, Presses universitaires de France, 1996 ; Philippe Bourgois, In Search of Respect: Selling Crack in El Barrio, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.
60 Citons cependant la thèse de Jean-Paul Lallemand-Stempak, Peaux noires, blouses blanches : les Afro-Américains et le Mouvement pour les droits civiques en médecine (1940-1975), thèse d’histoire, dir. François Weil, Éditions de l’EHESS, 2015. Cette thèse porte principalement sur la ségrégation raciale de la transfusion sanguine aux États-Unis.
61 Sur la biologisation du social dans le contexte français, voir Dominique Memmi, Faire vivre et laisser mourir, Paris, La Découverte, 2004 ; Sébastien Lemerle et Carole Reynaud-Paligot (dir.), La biologisation du social : discours et pratiques, Nanterre, Presses universitaires de Paris-Nanterre, 2017 ; Sébastien Lemerle, Le singe, le gène et le neurone : du retour du biologisme en France, Paris, Presses universitaires de France, 2014. Sur la médicalisation du social, voir Johanne Collin et Jacob Amnon Suissa, « Le phénomène de la médicalisation du social : enjeux et pistes d’intervention », Nouvelles pratiques sociales, vol. 19, no 2, printemps 2007, p. 25-33 ou encore Luc Berlivet (dir.), « Médicalisation », Genèses. Sciences sociales et histoire, vol. 82, no 1, 2011.
62 Certains auteurs comme Jean-Luc Primon définissent la racisation comme « [désignant] le processus général qui associe l’altérité à une marque somato-biologique et qui repose sur cette croyance ordinaire en une différence et séparation naturelles des catégories d’êtres humains », voir Jean-Luc Primon, « Ethnicisation, racisation, racialisation : une introduction », Faire Savoirs, no 6, mai 2007. D’autres auteurs, comme Damien Trawalé choisissent explicitement de dire que les termes racisation et racialisation sont interchangeables : « [La racialisation] signifie souvent la même chose que le terme racisation. Christian Poiret le définit comme la face mentale des rapports de race, une mise en forme cognitive raciale de notre monde social. Dans cet article le terme de racialisation ne sera pas utilisé et pas distingué du concept de racisation, les faces mentales et matérielles des phénomènes sociaux étant toujours liées et inséparables », p. 16, in Damien Trawalé, « Le rapport des gays noirs à leur position ethnoraciale et son extériorisation dans une dynamique militante LGBT noire », Cahiers de l’Urmis, vol. 15, juillet 2014, p. 1-17.
63 On s’appuiera sur la définition du racialisme et de racialisation donnée par Véronique De Rudder : « La “racialisation” est une forme particulière de racisation et correspond au procès idéologique de zoologisation du règne humain. Le “racialisme” attribue à des caractéristiques biologiques collectives supposées la détermination naturelle et absolue des comportements et des aptitudes des groupes définis comme “races” », in Véronique De Rudder, « Identité, origine et étiquetage. De l’ethnique au racial, savamment cultivés… », Journal des anthropologues, nos 72-73, 1998, p. 41.
64 Le terme « progressiste » n’est pas à concevoir comme un jugement de valeur ou un jugement moral : nous rapportons ce que les acteurs en disent.
65 Dans le cas par exemple de l’eugénisme.
66 Voir Gayatri Chakravorty Spivak, « Criticism, Feminism and the Institution, an Interview Conducted by Elizabeth Grosz », Thesis Eleven, nos 10-11, 1984-1985, p. 175-187.
67 Marcel Mauss, « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », Journal de psychologie normale et pathologique, 1924, p. 9, in Sociologie et anthropologie, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 1991, p. 283-310.
68 Mitchell Duneier, « How Not To Lie With Ethnography », Sociological Methodology, vol. 41, no 1, août 2011, p. 1-11.
69 Leo A. Goodman, « Snowball Sampling », Annals of Mathematical Statistics, vol. 32, no 1, 1961, p. 148-170.
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