Introduction de la troisième partie
p. 151-152
Texte intégral
1À la fin du xve siècle, la découverte d’un monde nouveau pour les Européens conduit à la construction de la représentation de l’Indien comme Autre. Cette représentation puise d’abord dans l’imaginaire médiéval. Chez Christophe Colomb et différents explorateurs à sa suite, les vieux mythes, chrétiens ou païens (Paradis terrestre, royaume du prêtre Jean, île de Saint-Brendan, etc.), se réactivent et se mêlent aux rêves dorés (région d’Ophir, villes de Cíbola et Quivira, etc.), pour donner lieu à la description d’une terre extraordinaire, souvent peuplée de créatures étranges tout droit sorties des légendes de l’Antiquité et des récits de voyage du Moyen Âge (géants, acéphales et Amazones). Il s’agit là, pour reprendre le terme de l’historien mexicain Edmundo O’Gorman, d’une première « invention » de l’Amérique et des Indo-Américains (O’Gorman, 1958)1.
2L’image ainsi créée est appelée à perdurer, tout en se remodelant sans cesse. En effet, les représentations du « nouveau » continent et de ses peuples autochtones correspondent, à l’époque coloniale, à de perpétuels déplacements identitaires (Gruzinski, 1999). Il faut par ailleurs souligner qu’il existe différents degrés d’altérité, de la différence radicale (le monstre) à la reconnaissance de certaines similitudes (l’humanité). Se crée alors une tension entre assimilation et différenciation dans la dialectique du « nous »/« eux ».
3Cette double polarité ne cesse pas d’exister avec les indépendances. Tout processus d’identification suppose soit l’absorption de l’Autre, soit son exclusion. Or, au moment où se construisent les différents États-nations hispano-américains, donc au moment où de nouveaux processus identitaires se mettent en place, les deux mécanismes se conjuguent très clairement en ce qui concerne la question indienne, notamment au Pérou. Nous avons analysé le premier de ces mécanismes dans la partie précédente. Nous nous pencherons à présent sur le second.
4Tout au long du xixe siècle, les nouvelles républiques hispano-américaines, dont le Pérou, mettent en avant leurs prétentions à l’homogénéisation. Cependant, l’Indien reste indéniablement « présent », c’est-à-dire représenté comme « différent », dans une époque qui, d’une part, n’est pas si éloignée des temps coloniaux et, d’autre part, voit l’opposition entre tradition et modernité, monde « barbare » et monde « civilisé », devenir un véritable paradigme de pensée.
5Au Pérou, le réagencement d’anciennes hiérarchisations coloniales sous la République a depuis longtemps été décrit par l’historiographie (Cotler, 1978). Parmi les travaux qui s’intéressent plus spécifiquement aux Indiens au xixe siècle, il faut signaler plusieurs essais importants sur le discours raciste : celui d’Alberto Flores Galindo (1988), qui parle d’une « république sans citoyens », ou celui de Cecila Méndez (1992), qui parle d’une « république sans Indiens ». On mentionnera également les analyses de ce discours menées à partir de la littérature ou de l’iconographie par Nelson Manrique (1999), Patricia Oliart (1995a et 1995b) ou Deborah Poole (2000). On poursuivra ces études, qui sont des études de cas, en s’interrogeant de façon plus globale sur la construction de la représentation de l’Indien comme Autre.
6Dans cette perspective, il ne s’agit pas d’analyser une « réalité » par rapport à une « théorie », mais de montrer comment, par le discours même, l’Indien continue d’exister en tant que catégorie spécifique.
⁂
7Comment invente-t-on à nouveau « l’Indien » au xixe siècle ? Et pourquoi ?
8Nous examinerons tout d’abord la façon dont les Indiens encore officiellement mis à part à travers certains restes de catégorisations coloniales avant de voir comment la législation républicaine intégratrice est de son côté constamment remise en question par divers secteurs de la société. Enfin, le troisième volet de cette partie portera sur la construction de l’altérité à travers la formation de stéréotypes, dans des discours variés.
Notes de bas de page
1 La bibliographie sur l’imaginaire de la Conquête est abondante. Voir entre autres : Duviols, 1986 ; Gil, 1989 ; Gómez, 1996 ; Magasich et Beer, 2001.
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