Introduction à la deuxième partie
p. 105-106
Texte intégral
1Comme on vient de le voir dans la partie précédente, les pratiques sportives étudiées se situent plutôt dans l’univers culturel du pôle conforme des fractions masculines des jeunesses populaires en France et aux États-Unis et dans la vie du quartier. Le rapport au corps engagé dans ces pratiques par les enquêtés est déterminé par l’intériorisation de catégories et de rapports sociaux propres à leur position sociale et modulée par leur trajectoire et expériences individuelles. Bien que les enquêtés appartiennent en partie aux fractions intermédiaires des classes populaires, ils demeurent éloignés du capital économique et du capital culturel institutionnalisé (certifié par l’école). La particularité des sportifs de cette enquête est double : ils appartiennent à la fois aux classes populaires et à des groupes ethno-raciaux stigmatisés qui font face à un racisme structurel. On pourrait en ajouter une troisième : ce sont dans l’immense majorité des jeunes garçons. Néanmoins, plutôt que de voir les enquêtés comme étant complètement écrasés par leur domination et dépossédés culturellement, je souhaite montrer que, malgré leur position sociale dominée, ils possèdent des ressources culturelles, mais que celles-ci passent souvent inaperçues car elles sont illégitimes et non reconnues par les institutions. Dans la partie qui suit, on traitera d’une question sociologique fondamentale soulevée par les pratiques étudiées : à savoir, le rapport entre l’autonomie des groupes dominés et les rapports de domination dans lesquels ceux-ci sont pris. On verra dans un premier temps, en étudiant de près la « carrière » sportive de ces jeunes garçons, comment ces derniers développent un nouveau rapport au corps et comment ils obtiennent un nouveau statut au sein de l’espace local. Pour essayer de mieux comprendre les formes contemporaines de la stratification sociale, notamment en termes de goûts et pratiques culturelles, on tentera de spécifier la forme que prend le capital culturel acquis par les enquêtés dans le cadre de leur pratique sportive. On montrera que ces pratiques sportives leur permettent d’acquérir du capital culturel sous forme incorporée (chapitre iii). Si l’engagement dans ces pratiques sportives permet aux enquêtés de prendre part à des circuits de sociabilité dense et d’entamer une certaine transformation de soi, il reste que le capital culturel accumulé, par ailleurs en partie déterminé par la faiblesse du capital économique, est illégitime, non certifié par l’institution scolaire et difficilement reconvertible sur le marché de l’emploi où il n’a que très peu de valeur. De plus, ces pratiques peuvent renforcer les stéréotypes sociaux et raciaux à propos des enquêtés (chapitre iv). Les pratiques étudiées oscillent ainsi entre émancipation et ajustement à la position dominée. C’est cette ambivalence et interdépendance des rapports sociaux qu’on voudrait aborder ici.
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