Introduction à la première partie
p. 27-28
Texte intégral
1Entre émotions et politique, l’épreuve vaut dans les deux sens : pour la politique, sous l’empire des émotions, qui sera le thème de la seconde partie ; mais aussi épreuve pour les émotions, dans le passage à la politique, qui nous intéresse ici. Il ne va pas de soi qu’une émotion trouve à s’y projeter, s’y cherche une légitimité. On pourrait presque dire le contraire : une émotion légitime relèverait plutôt de l’oxymore. C’est la façon dont l’empreinte émotionnelle se diffuse en politique, à partir d’un événement ou d’une cause qui ne se présente pas a priori comme relevant d’une problématique de pouvoir, qu’analysent ici les auteurs. En psychologie, une empreinte émotionnelle est ce qui demeure en chacun au-delà de l’événement déclencheur d’une émotion. Particulièrement utilisée dans le domaine de l’enfance, elle peut aussi s’appliquer à la façon d’appréhender, à partir de son propre vécu, l’expression de l’émotion d’autrui. Elle a donc une dimension sociale. Et nous allons voir dans cette première partie qu’elle peut parfaitement s’appliquer à des événements déclencheurs très éloignés de ceux qu’évoque la psychologie de l’enfance.
2Les événements dont l’empreinte est en question concernent tous un espace ou, mieux, un territoire, au sens où celui-ci est non seulement géographiquement délimité, mais habité par des représentations, des rapports de force, des attachements singuliers. C’est le parc du château de Versailles défiguré par le passage d’une tempête, étudié par Véronique Dassié dans une perspective historique. C’est une forêt primaire soudain menacée par un nouveau plan d’urbanisme, que Consuelo Biskupovic traite en anthropologue. Ni l’événement ni le territoire ne sont, bien sûr, les mêmes au fil du temps. Ils ne sont pas non plus fondateurs de la même façon pour chacun. Et c’est justement cet aller-retour constant entre l’individu et l’espace collectif et historique qui marque les chapitres de cette partie. Les attentats de la gare d’Atocha, à Madrid, étudiés par Gérôme Truc, le partage d’une situation de victime d’un scandale médical, selon la vision qu’en donne Coline Salaris, mettent en lumière les différentes manières de traiter cette empreinte émotionnelle.
3La construction politique des émotions obéit donc à certaines étapes, dans des contextes sociaux et historiques singuliers. En travaillant sur la cause animale, Christophe Traïni en fait l’objet de dispositifs de sensibilisation, une notion clef de la politisation des émotions. Au rang de ces contextes, nous avons évoqué le territoire, c’est-à-dire une sédimentation historique, dans laquelle s’entrelacent et s’entrechoquent des visions conflictuelles de l’espace. Tout l’enjeu du papier de Renaud Hourcade est là, lorsqu’il analyse tout ce qui s’ébranle lorsqu’on veut consacrer un mémorial au passé négrier. Sédimentations et conflits peuvent être mis au service d’une construction identitaire, où un territoire sensible (La Catalogne de Jordi Gomez) se mue en espace de politisation. L’émotion, y a-t-il des territoires pour cela ? Est-elle réservée à l’évocation nostalgique du village de l’enfance ? Certainement pas. Jean-Yves Trépos en apporte la preuve magistrale en s’intéressant à la « sensibilité des quartiers sensibles », de ceux qui sont aux antipodes de la carte postale, et qui augmentent notre capacité à comprendre l’attachement qu’il y a derrière la simple empreinte.
4Les chapitres qui suivent abordent, chacun à sa manière, ce glissement progressif de l’émotion en sensibilisation, puis de la sensibilisation en politisation. On peut les distinguer en deux pôles dominants. Les quatre premiers envisagent ce glissement à partir d’un événement. Les quatre suivants font plus référence à une cause. Tous montrent cependant l’intérêt qu’il y a à prendre au sérieux la construction sensible des problèmes publics.
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